RÉFORME
L’Église chrétienne d’Occident, qui a réussi à surmonter plusieurs hérésies au Moyen Âge, a vu au cours du XVIe siècle, entre 1517 et 1570, de larges secteurs géographiques lui échapper définitivement, une opposition se créant ainsi entre l’Europe méditerranéenne, latine et romaine, et l’Europe protestante du Nord-Ouest et du Nord. Malgré le maintien de nombreux rapports entre les deux blocs, chacun élaborera après 1560 une culture originale qui a imprégné des générations de fidèles, en particulier dans les campagnes.
La Réforme a fourni une réponse au problème religieux qui préoccupait de nombreux chrétiens déçus de l’Église institutionnelle. Quatre raisons peuvent expliquer son succès: une sensibilité religieuse très vive, frappée par les malheurs du temps, hantée par une présence obsédante de la mort et de la peur et qui éprouvait le besoin d’un refuge; l’évolution vers le sacerdoce universel, qui a suscité un anticléricalisme dirigé contre les privilèges et les pratiques financières des clercs; l’importance des abus et le développement de l’imprimerie qui assurait la diffusion de la Bible, laquelle connaissait un grand succès et apparaissait comme une autorité infaillible.
Cependant, la Réforme, partie de Wittenberg, n’a pas conservé son unité. Elle s’est en réalité morcelée en trois tendances – luthéranisme, zwinglo-calvinisme et anglicanisme –, qui se sont parfois affrontées durement entre 1550 et 1650. Mais, en dépit d’une organisation ecclésiale différente et de divergences théologiques, l’accord a été maintenu touchant les questions fondamentales: le recours à la personne du Christ rédempteur, l’insistance sur la toute-puissance de la grâce (sola gratia ) et le sola fide (la justification est un don gratuit qui ne dépend d’aucune disposition humaine), l’Église est l’assemblée des croyants, la Bible est la révélation définitive de Dieu actualisée par la Parole vivante de la prédication (sola scriptura ). Enfin toutes les Églises de la Réforme rejettent l’autorité épiscopale, le culte de la Vierge et des saints, ainsi que la messe considérée comme un sacrifice offert à Dieu.
1. La Réforme luthérienne
Naissance et diffusion du mouvement
C’est dans l’Empire allemand que le mouvement spirituel qui aboutit à la Réforme est apparu sous l’impulsion d’un moine augustin saxon, Martin Luther (1483-1546). Depuis son entrée au couvent, Luther poursuivait un combat douloureux pour acquérir la certitude de son salut. Il trouva entre 1513 et 1518, au terme d’une laborieuse pérégrination, la solution dans un passage de l’Épître de Paul aux Romains (I, 17): il s’agissait de la justification par la foi, qui allait devenir la clé de voûte de la doctrine luthérienne. La vente d’indulgences, favorisée par le pape pour reconstruire Saint-Pierre de Rome, parut à Luther peu compatible avec les doctrines bibliques: la publication de quatre-vingt-quinze thèses sur «la vertu des indulgences», adressées le 31 octobre 1517 à l’archevêque de Mayence, déclencha une vive effervescence à travers tout l’Empire. Les thèses, imprimées et colportées à l’insu de Luther, connurent un succès inouï; les critiques pleines de bon sens qu’elles contenaient, à l’encontre de certaines pratiques et de la manière dont la crédulité populaire était exploitée au profit du fisc romain, en faisaient apparaître le texte comme un manifeste libérateur. Soumis à un feu roulant d’attaques de la part de la hiérarchie et de théologiens comme Jean Eck, notamment lors des disputes de Heidelberg et de Leipzig, Luther précisait peu à peu ses doctrines; sa fermeté aboutit en 1520 à la rupture totale avec Rome. Cette année-là, il écrivit quatre œuvres majeures: De la papauté qui est à Rome, À la noblesse chrétienne de la nation allemande, La Captivité babylonienne de l’Église et De la liberté du chrétien . Luther n’avait ni le goût du schisme, ni le tempérament d’un fondateur de secte. Il voulait au contraire la réforme de l’Église universelle. Ce ne fut qu’au bout de quelques années qu’il songea à donner une organisation aux communautés.
En 1521, il fut convoqué devant la diète de Worms, présidée par l’empereur Charles Quint. Au terme d’un voyage quasi triomphal, il comparut durant deux jours devant l’assemblée et se déclara incapable de désavouer ses ouvrages, à moins d’être convaincu d’erreur par le témoignage de l’Écriture sainte; il termina son intervention par la formule: «Je ne puis autrement. Que Dieu me soit en aide.» Mis au ban de l’Empire, son protecteur, l’Électeur de Saxe, le fit mettre à l’abri à la Wartburg, où il se consacra à une intense production littéraire. Les années 1518 à 1525 virent une diffusion extraordinaire des idées de Luther. L’université de Wittenberg, où tous ses collègues acceptaient ses opinions, devint un bastion de la doctrine évangélique. Luther s’acquit aussi l’estime de Spalatin, le chapelain de l’Électeur Frédéric le Sage, et l’amitié de l’helléniste Melanchthon; ce dernier publia en 1521 les Loci theologici , qui exposaient, pour la première fois de manière systématique, la pensée évangélique.
La révélation luthérienne répondait en Allemagne à des dispositions d’esprit générales telles que le patriotisme et l’aversion à l’égard de la civilisation latine. De plus, Luther était une forte personnalité qui exerçait une grande emprise sur les foules. Il savait s’adresser à l’élite de toutes les classes sociales et exalter les vertus des petites gens: la foi, la patience, la grâce, l’abandon total à la volonté de Dieu, la pratique consciencieuse des devoirs d’état. Enfin, son message était imprégné d’une confiance, d’une ardeur, d’une joie qui touchaient les sensibilités. À la théologie épuisée, perdue dans les subtilités de la logique ou les nuées des systèmes, et aux prédications grossières ou frivoles, il substitua une parole simple, pratique, biblique, parfois si proche du Christ qu’elle semblait un écho de l’Évangile.
L’imprimerie joua un rôle considérable dans la diffusion des idées luthériennes. La Réforme fut le premier mouvement religieux à en tirer un plein profit. Luther lui-même décrivit l’imprimerie comme «le plus grand et le plus extrême acte de la Grâce divine par lequel se propage l’influence de l’Évangile». On estime, en effet, qu’entre 1517 et 1520 plus de 300 000 exemplaires des écrits de Luther furent vendus. Le déluge de libelles a submergé les censeurs: les tirages se multiplient par neuf entre 1516 et 1524; le nombre des éditions allemandes passe de 150 en 1518 à 990 en 1524, ce qui représente plus d’un million d’exemplaires, dont au moins un tiers pour les écrits de Luther. Le réformateur marqua ainsi la mentalité européenne de son empreinte. Jusque vers 1550, il demeura l’auteur le plus lu.
Quatre groupes sociaux ont contribué à la diffusion de la Réforme. En premier lieu, une fraction importante du clergé, en particulier dans la jeune génération, embrassa avec enthousiasme les idées de Luther; il s’agissait de moines aussi bien que de séculiers, surtout de ceux qui s’intéressaient à l’humanisme ou qui avaient séjourné dans une université. La génération née entre 1490 et 1505 forma les troupes de choc qui ont porté partout la Réforme. La noblesse fut atteinte rapidement. Guidée par Ulrich de Hutten, elle se montra très favorable à Luther et accepta les sacrifices qui en découlaient, le renoncement aux revenus lucratifs qu’elle tirait des chapitres et des abbayes. Dans les villes, certains humanistes, ainsi que des artistes (Dürer, Cranach), voyant dans le moine saxon un libérateur de la vie religieuse, adhéraient à sa doctrine. En fait, les villes allemandes ont constitué un terrain favorable à la Réforme. Depuis la fin du Moyen Âge un anticléricalisme massif y régnait. Les écrits luthériens exprimaient et précisaient ce malaise latent. De plus, la thèse du sacerdoce universel permettait d’éliminer le clergé détesté, qui tenait un rôle de médiateur entre le fidèle et Dieu. La Réforme fut introduite à la demande des couches moyennes relativement aisées, notamment de la bourgeoisie des corporations. Elle apparut comme un mouvement de prédicants, qui répondait à des exigences politiques et sociales très diverses. A la campagne, ces idées étaient répandues par des colporteurs et des voyageurs, de sorte que bien des notables ruraux sollicitèrent la prédication du «pur Évangile» ou la communion sous les deux espèces.
Cependant, la diffusion fut ralentie par plusieurs obstacles. Dès 1522, à Wittenberg, Karlstadt entreprit des innovations qui allèrent dans un sens iconoclaste et illuministe. Certains associaient la doctrine luthérienne à des revendications sociales. Les petits nobles, guidés par Hutten et Sickingen, ruinés et menacés à la fois par les princes territoriaux et les villes libres, se soulevèrent en 1522; mais Luther refusa de les soutenir, estimant ne pas pouvoir identifier une réforme religieuse et une cause patriotique et sociale (cf. guerre des PAYSANS). Il adopta une attitude analogue envers les paysans qui organisaient en Allemagne du Sud des ligues et mêlaient dans leur programme (Douze Articles de la paysannerie souabe ) des revendications socio-politiques (réduction des impôts et des corvées, abolition du servage) et des exigences religieuses (droit d’élire les pasteurs, reconnaissance de la souveraineté de l’Écriture). Il exhortait les paysans à ne pas recourir à la force, car la Bible ne peut apporter aucune solution aux problèmes de la vie civile ou économique, ce qui devait décevoir profondément des hommes qui attendaient de l’Évangile la transformation de leur condition. Pendant la guerre, il rédigea un libelle violent: Contre les hordes criminelles et pillardes de paysans , où il engageait les seigneurs à châtier sans pitié ceux qui avaient osé prendre les armes. Cet écrit lui valut de voir disparaître une grande partie de sa popularité dans les campagnes, mais son crédit s’accrut auprès des princes. Il perdit alors confiance dans le peuple organisé en communautés. L’Église luthérienne cessa d’être populaire pour devenir un organe contrôlé par le prince. Au Luther de la liberté chrétienne succédait le Luther de l’Église d’État. En même temps, le réformateur rompt avec l’humanisme chrétien d’Érasme par le traité Du serf arbitre , écrit dans un langage violent et brutal, qui relevait la gravité du péché et la totale impuissance de la volonté humaine. Enfin, la Réforme se trouva confrontée au problème anabaptiste lors de la tragédie de Münster (1534), qui entraîna dans les États restés fidèles à Rome un regain d’hostilité envers la doctrine protestante. Quant aux luthériens, ils tinrent à marquer aussi nettement que possible qu’ils n’avaient rien de commun avec les prophètes de Münster. Luther écrivit alors un traité sur Le Devoir des autorités civiles de s’opposer aux anabaptistes par des châtiments corporels .
Organisation et implantation de l’Église
À partir de 1525, Luther se préoccupa aussi de l’organisation de l’Église. Il mit au point une messe allemande qui devait servir de modèle à la plupart des territoires allemands luthériens. Mis à part l’usage de la langue vulgaire pour l’ensemble du culte et quelques petites suppressions dans le canon, était conservé le caractère traditionnel de la liturgie qui encadre désormais le sermon, élément central du culte. Luther composa un recueil de sermons qui fut utilisé par un grand nombre de pasteurs; il multipliait surtout les cantiques qui donnaient à la cérémonie un puissant élément d’émotion.
Le pullulement de doctrines au lendemain de la guerre des Paysans posait le problème de la reconstitution d’une Église officielle et organisée. L’orthodoxie et le moralisme exigeaient le cadre d’une Église munie d’une discipline ecclésiastique confiée au prince. Luther revint à la conception courante en son temps, d’après laquelle le prince, comme chrétien éminent et du fait de sa mission divine, était une sorte d’évêque chargé de faire régner l’ordre dans l’Église. Tous les princes luthériens s’empressèrent de suivre ce conseil qui leur permettait d’augmenter leur pouvoir sur leurs sujets par l’élaboration d’ordonnances ecclésiastiques et la mise sur pied de visites régulières, à l’image de celle de la Saxe en 1527-1529, à laquelle Luther participa. Cette mainmise princière, discutable, était toutefois assez bien adaptée à l’état religieux et culturel de l’époque. Enfin, le réformateur saxon publia le Grand et le Petit catéchisme : celui-ci, écrit dans un langage simple et rythmé, est un manuel populaire adapté aux enfants, et un symbole de foi qui veut rendre la piété sensible.
La réforme progressait simultanément dans les territoires princiers et dans les villes. Parmi les premiers, les plus importants étaient ceux de l’Électeur de Saxe et du landgrave de Hesse, suivis par la Poméranie, le Wurtemberg, le Brandebourg et le Mecklembourg. Quant aux villes, l’introduction y fut plus rapide et, vers 1540, cinquante et une villes d’Empire sur soixante-cinq avaient adopté la Réforme.
En même temps, le luthéranisme débordait le monde germanique. Il put prendre pied au Danemark grâce à la prédication de Jean Tausen et à l’appui de Frédéric Ier. Une ordonnance de 1537 donna à l’Église une constitution luthérienne qui apparaît comme un césaropapisme évangélique. En Norvège et en Islande, la Réforme dut s’appuyer sur la force, car la résistance catholique y eut un caractère national. En Suède, les idées nouvelles furent diffusées par d’anciens disciples de Luther à Wittenberg, les frères Olaf et Laurent Petersen. Le roi Gustave Vasa, qui venait de rendre l’indépendance à la nation, fit décréter à la diète de Västeraas (1527) la libre prédication de l’Évangile. La Réforme s’implanta avec modération et l’adaptation aux idées nouvelles dura plus d’un siècle. Vers l’est, le grand maître de l’Ordre teutonique, Albert de Brandebourg, avait sécularisé les terres de son ordre, et, en y introduisant la Réforme, il les avait érigées en duché de Prusse. Enfin, les idées luthériennes ont pénétré dans les pays baltes et en Finlande. En revanche, la concurrence calviniste empêcha le luthéranisme de s’implanter dans le monde francophone et aux Pays-Bas, de sorte qu’il est demeuré confiné au monde germanique et scandinave.
Dans l’Empire, l’implantation luthérienne connut pourtant bien des vicissitudes. Si, lors de la diète de Spire en 1526, Charles Quint dut accepter de laisser aux princes toute liberté en matière de religion, il revint sur cette concession à la deuxième diète de Spire, en 1529, ce qui entraîna une protestation de cinq princes et de quatorze villes libres; telle est l’origine du nom de protestants, donné aux partisans de la Réforme. Ceux-ci, inquiets, cherchèrent alors à se rapprocher des Suisses. Le landgrave Philippe de Hesse réunit en 1529 à Marburg les théologiens allemands et suisses acquis à la Réforme. En dépit des efforts des Strasbourgeois, aucun accord ne put être réalisé concernant l’eucharistie: les Allemands insistaient sur la présence réelle du corps du Christ, alors que les Suisses n’y voyaient qu’un mémorial de la Passion. En 1530, lors de la diète d’Augsbourg, Melanchthon présenta à l’empereur la Confession d’Augsbourg , qui est reconnue depuis par la plupart des luthériens comme un texte doctrinal, et qui réduit par souci irénique les divergences dogmatiques avec Rome. Charles Quint sommait néanmoins les protestants de se soumettre à Rome dans un délai de sept mois. Inquiets, ces derniers constituèrent en 1531 la ligue de Smalkalde, qui obligea l’empereur à leur accorder une trêve. Pour rapprocher les États gravitant autour de Wittenberg et ceux de haute Allemagne, séparés par des divergences sur la question de l’eucharistie, Bucer élabora la Concorde de Wittenberg (1536), qui contribua à accroître l’influence du luthéranisme en Allemagne du Sud et à isoler les Suisses. En 1540 et 1541 eurent lieu les colloques de Haguenau, de Worms et de Ratisbonne en vue de mettre un terme à la division religieuse. Leur échec amena un regain de tension entre les deux partis. Mais la ligue de Smalkalde fut affaiblie par la bigamie de son chef Philippe de Hesse. En 1546, à la suite du refus des protestants de reconnaître le Concile de Trente et au lendemain de la mort de Luther, Charles Quint attaqua la ligue, qui fut anéantie par le désastre de Mühlberg. En 1548, il imposa à tous les protestants l’Intérim d’Augsbourg qui ne leur faisait que deux concessions: la communion sous les deux espèces et le mariage des prêtres. Aussi suscita-t-il de vives résistances, en particulier de la part d’une grande fraction du clergé et d’une partie de la population, ce qui est une confirmation de son enracinement. Les sombres perspectives ne s’éloignèrent que grâce au revirement de Maurice de Saxe, qui, allié de l’empereur en 1546 pour obtenir l’électorat, s’unit en 1552 à la France. Il contraignit Charles Quint, privé de troupes, à s’enfuir en Italie; et, en 1555, la diète d’Augsbourg mit fin aux luttes consécutives à la Réforme; elle sanctionna la division confessionnelle en accordant aux États évangéliques la liberté de conserver leur foi telle qu’elle était exprimée dans la Confession d’Augsbourg . De plus, la paix d’Augsbourg conférait aux princes tous les droits épiscopaux. En vertu du principe cujus regio, ejus religio , seuls les princes avaient la liberté de conscience et de culte. Les sujets n’avaient le choix qu’entre l’acceptation de la religion du prince et l’émigration.
Malgré ses limites, cet accord eut le mérite d’assurer une paix relative à l’Empire pendant plus de six décennies. C’est au lendemain de cet accord que le luthéranisme connut son apogée en Allemagne: en dehors des territoires des Habsbourg et de la Bavière, presque tous les princes laïcs étaient alors luthériens. mais le luthéranisme, qui avait donné une forte impulsion à la vie intellectuelle par la création de nombreux «gymnases» et l’essor des universités, allait peu à peu se scléroser en une orthodoxie desséchante et conservatrice, précisée dans le Livre de concorde (1580) et menacée à la fois par les progrès du calvinisme, non reconnu juridiquement et par ceux de la Contre-Réforme.
2. Les Réformes zwinglienne et bucérienne
À côté de Wittenberg, Zurich et Strasbourg devinrent très rapidement deux autres pôles importants de la Réforme, avec Zwingli et Bucer, lesquels ont exercé sur les communautés urbaines de la haute Allemagne et de la Suisse une autorité spirituelle qui éclipsa celle de Luther lui-même. Leur théologie a été influencée de façon décisive, en particulier à propos de la doctrine de l’État et de celle de l’eucharistie, par l’existence de la communauté urbaine. Il s’agit donc d’une Réforme adaptée aux villes et marquée par une tonalité bibliste et humaniste. La Réforme suisse fut à la fois la réalisation, sur le plan théologique, d’un évangélisme fort proche d’Érasme et, sur le plan ecclésiastique, d’une organisation et d’un culte qui reprennent les simplifications radicales de Karlstadt.
À Zurich, la Réforme fut essentiellement l’œuvre d’Huldrych Zwingli, curé de la cathédrale. À la différence de Luther, il admirait les philosophes de l’Antiquité et se souciait plus de la prédestination que de la justification par la foi; enfin, plus rationaliste que mystique, il faisait du baptême et de la cène des cérémonies symboliques, alors que les partisans de Luther les regardaient comme des sacrements; cela rendit impossible toute entente avec les Allemands. Enfin, Zwingli était un radical et un activiste dans la réforme des organismes religieux et des pratiques de dévotion. Il s’agissait en fait d’une théologie adaptée aux villes, ce qui explique qu’elle se soit rapidement répandue dans l’espace urbain alémanique, suisse et germanique.
À partir de 1519, il glissa peu à peu vers la Réforme et entraîna progressivement la ville avec lui. En 1523, le Conseil de Zurich organisa une première dispute de théologiens. Zwingli rédigea soixante-sept thèses qui étaient caractérisées par un christocentrisme radical teinté de spiritualisme, et qui servirent de base aux discussions. À la suite de la dispute, le magistrat adopta le programme réformateur. Une seconde dispute se limita au problème des images et de la messe. Ces disputes allaient devenir, pendant une douzaine d’années, le modèle pour une bonne trentaine de villes allemandes et suisses, sous l’impulsion soit de Zwingli lui-même, soit de l’exemple de Berne, qui a passé à la Réforme de cette manière. Zwingli s’entoura peu à peu d’une équipe de théologiens de valeur (Megander, Jud et Myconius); avec l’appui du magistrat, il fit séculariser les couvents (1524) et créa une école d’exégèse biblique (Prophezei ). En 1525, la messe fut supprimée et remplacée par un culte très dépouillé. En même temps fut créé un tribunal matrimonial qui étendit rapidement sa compétence à toute la vie morale et sociale des citoyens. L’ecclésiologie aboutit ainsi à un césaropapisme. Cette alliance étroite avec l’État zurichois fut confirmée par la crise anabaptiste, au cours de laquelle Zwingli eut recours aux autorités civiles pour faire condamner et même noyer les dissidents.
Le réformateur de Zurich s’efforça rapidement d’amener toute la Suisse à la Réforme, mais son audience ne progressa que lentement, et surtout il se heurta à de vives réactions dans les cantons primitifs, régions montagneuses et pauvres qui, détournées de la Réforme par l’aspect politique et social qu’elle prit dans la cité de Zwingli, organisèrent une ligue destinée à écarter Zurich de la diète suisse. En 1526, la dispute de Baden, où l’Église romaine envoya ses meilleurs polémistes, en particulier Murner et Jean Eck, se termina par la victoire des catholiques; la diète somma Zurich d’abandonner Zwingli, qui venait d’être excommunié.
Le sort de la Réforme était alors précaire en Suisse. Mais, en 1527, des élections permirent à ses partisans de conquérir la majorité au sein du Grand Conseil de Berne. En 1528 eut lieu la dispute de Berne, où l’Église romaine ne fut défendue que par des hommes de second plan, alors que la Réforme était présentée par une pléiade de théologiens éminents, qui obtinrent la victoire. Aussitôt le magistrat imposa la Réforme sur le modèle zurichois, ce qui eut une portée immense, parce que le canton était le plus puissant de la Confédération suisse. D’autres villes suivirent, toujours par l’effet d’une décision politique du magistrat: en 1528 Glaris et Saint-Gall, en 1529 Bienne, Schaffhouse et Mulhouse. La même année, les bourgeois de Bâle où Œcolampade répandait depuis 1522 les idées nouvelles avec modération, renversèrent le Conseil et imposèrent la Réforme. L’humaniste Œcolampade, dans l’organisation de l’Église bâloise, s’inspira du modèle zurichois.
Les succès protestants accentuèrent la division de la Suisse en deux camps. En 1529, la guerre ne fut évitée que de justesse. Zwingli tenta alors de créer une coalition entre les protestants suisses et allemands. Ce fut le motif de son voyage à Marburg. Mais sa politique ne connut plus que des déboires et sa dictature lui aliénait les sympathies de la bourgeoisie zurichoise. Aussi ne put-il réunir qu’une petite troupe, qui fut mise en déroute à Cappel en 1531 par les cantons catholiques exaspérés par un blocus économique qui menaçait de les affamer. Zwingli fut tué au cours de la bataille, avec l’élite de ses concitoyens. Sa politique aboutissait ainsi à un échec qui compromettait l’avenir. Cette défaite fixa la frontière confessionnelle de la Suisse pour plus de trois siècles. L’hostilité de Zwingli vis-à-vis du mercénariat lui valut, dès le départ, celle des chefs militaires, ce qui constituait un profond handicap dans des régions pauvres où le service militaire à l’étranger était une nécessité économique. En Suisse romande, la Réforme pénétra par étapes à Neuchâtel et, après la conquête par Berne d’une partie des terres du duc de Savoie, à Genève et dans le pays de Vaud (1536).
La mort de Zwingli et celle d’Œcolampade entraînèrent le triomphe du césaropapisme en Suisse. Si la Réforme ne fut pas ébranlée à Zurich après cette catastrophe, c’est grâce à Bullinger (1504-1575), lequel fit preuve d’une étonnante lucidité et d’une pondération qui n’excluait nullement la fermeté. Durant sa longue carrière, il s’efforça de maintenir un équilibre qui laissait l’application de la discipline ecclésiastique aux autorités temporelles, après audition des pasteurs. Il travailla aussi à la réunion des réformés divisés par le problème eucharistique. En 1536, il encouragea Zurich à signer avec quelques autres villes la première Confession helvétique . Après plusieurs années de tractations difficiles avec Calvin, il put conclure avec celui-ci le Consensus tigurinus (1549), qui maintenait certes le caractère symbolique de la cène, mais qui soulignait aussi la réalité de la présence spirituelle du Christ, chère à Calvin. En unissant Zurich et Genève, cet accord contribua à rapprocher de manière durable les Réformes zwinglienne et calvinienne. Bullinger connut, dans l’Europe protestante, une notoriété considérable, due à l’étendue de sa correspondance, à la diffusion de ses ouvrages, à l’hospitalité qu’il accorda aux persécutés et au rôle de conseiller qu’il jouait en particulier auprès de l’anglicanisme. Enfin, il rédigea la Confession helvétique postérieure , qui fut reconnue en 1566 par la plupart des Églises réformées suisses, et qui fut acceptée en Écosse, en Hongrie et en Pologne.
À Strasbourg se développait également une Réforme urbaine originale. Cette grande ville rhénane fut très vite atteinte par le mouvement de Wittenberg. Dès 1521, le vicaire de la cathédrale, Matthieu Zell, commentait l’Épître aux Romains avec un succès grandissant. En 1523, Capiton, prédicateur de talent et grand érudit, et Bucer, conquis par Luther, arrivèrent dans la ville et enflammèrent la population par leurs sermons passionnés. L’effervescence religieuse fut telle qu’en 1524 le magistrat de Strasbourg installa des prédicateurs de l’Évangile dans les sept paroisses urbaines, après un vote favorable des trois cents échevins de la ville. La liturgie fut progressivement simplifiée. Bucer penchait pour les conceptions sacramentaires de Zwingli et manifestait beaucoup de sens social. Des écoles furent créées dans toutes les paroisses et un catéchisme publié en 1527. En 1533, un synode élabora une constitution ecclésiastique qui instituait le convent, c’est-à-dire une assemblée hebdomadaire du clergé avec la participation de trois laïcs appelés Kirchenpfleger . La discipline ecclésiastique était confiée aux seuls laïcs ou anciens. En 1538 fut créé le «gymnase», ou Haute École, dont le premier recteur fut l’humaniste Jean Sturm et où la théologie occupait une place considérable. Calvin y donna des cours durant son séjour à Strasbourg.
Dans l’Empire, cette ville jouait un grand rôle. En 1530, à la diète d’Augsbourg, elle présenta en commun avec les villes de Constance, Lindau et Memmingen, sa propre Confession – appelée la Tétrapolitaine – qui se situe à mi-chemin sur le plan eucharistique entre Luther et Zwingli et qui préconise une piété tournée vers les aspects pratiques. La ville de Strasbourg n’a cessé d’exercer une fonction de médiation entre les Suisses et les États allemands gravitant autour de Wittenberg. Mais, après le désastre de Cappel, Bucer se rapprocha des Wittenbergeois; on aboutit ainsi à la Concorde de Wittenberg (1536). Les théologiens furent invités, en 1540 et 1541, aux colloques de Worms, de Haguenau et de Ratisbonne, où ils jouèrent un rôle important. Bucer en particulier jouissait d’un crédit considérable: il fut le conseiller de Philippe de Hesse et assista à son second mariage.
La victoire de Charles Quint sur la ligue de Smalkalde, dans laquelle Strasbourg occupait une place de premier plan, mit un terme à cette brillante période. Le Stettmeister Jacques Sturm dut faire amende honorable devant l’empereur; celui-ci exigea le bannissement de Bucer, qui refusa de cautionner l’Interim . Le véritable successeur de Sturm, Jean Marbach, raffermit les positions protestantes en imposant à l’Église un régime d’autorité et en supprimant l’ouverture d’esprit chère à Bucer. Il contraignit le protestantisme strasbourgeois à passer par la porte étroite d’une stricte orthodoxie luthérienne, sourcilleuse face aux dissidences. Cet épigone à l’horizon théologique borné imposa en 1563 la Confession d’Augsbourg et orienta le luthéranisme vers un raidissement dogmatique analogue à l’évolution qu’il connaissait dans le reste de l’Empire. Si l’originalité bucérienne s’estompait, l’Église était néanmoins solidement implantée et Strasbourg demeurait pour longtemps une citadelle luthérienne.
3. La Réforme calvinienne
La Réforme éveilla très tôt de profonds échos dans les pays francophones. Dès 1519, les ouvrages de Luther étaient vendus à Paris. L’évangélisme diffusé par le cénacle de Meaux, que protégeait l’évêque Briçonnet, s’ouvrait à l’influence de Wittenberg, des villes suisses et de Bucer.
Calvin exerça son activité à la fois à Genève et auprès des huguenots français. Après des études de droit, de lettres et de théologie, le jeune et brillant humaniste, converti à la Réforme, fut retenu en 1536 à Genève par Guillaume Farel qui y prêchait celle-ci depuis quatre ans. La ville lémanique, soucieuse de garder son indépendance face aux ducs de Savoie, s’était alliée aux cantons de Fribourg et de Berne: par ce dernier les idées évangéliques se répandaient dans la cité, en particulier grâce à la propagande du Dauphinois Farel et du Vaudois Pierre Viret. En 1536, la Réforme fut introduite officiellement dans la cité.
Calvin devint l’homme capable de mener à bien l’œuvre de renouvellement qui venait d’être commencée. Il élabora Quatre Articles et une Instruction et confession de foi , destinés à doter l’Église réformée de Genève d’une solide armature disciplinaire et doctrinale. Son intransigeance lui valut l’hostilité du magistrat et de nombreux bourgeois et finalement l’exil (1538). Après un séjour de trois ans à Strasbourg, il fut rappelé à Genève, où son autorité tenait au fait qu’il était un pasteur servi par une intelligence aiguë, par une énorme puissance de travail, par une ténacité et un rayonnement remarquables. Il organisa l’Église par les Ordonnances ecclésiastiques , qui distinguaient quatre ministères dans l’Église; il rédigea un catéchisme, qui était plus un exposé doctrinal qu’une œuvre pédagogique, et élabora une liturgie, la Forme des prières et chants ecclésiastiques , qui empruntait maints éléments au rituel de Strasbourg.
Jusqu’à sa mort, Calvin engagea un combat difficile pour tenter de transformer Genève en une ville-Église. Il s’efforça avec l’aide du Consistoire de contrôler toute la vie morale et sociale de la cité et d’écarter de la cène tous les contrevenants. Mais cette pression se heurta à l’opposition du magistrat, au mécontentement populaire et aux représentants des grandes familles genevoises, hostiles aux rigueurs imposées surtout par des réfugiés français. Calvin entreprit une lutte analogue pour éliminer les «fausses» doctrines, pour réduire en particulier les humanistes – qui refusaient de s’engager dans la Réforme ou, tel Castellion, mettaient en question l’autorité des Écritures –, les anabaptistes, les spiritualistes, les antitrinitaires, notamment Servet, que le Conseil de Genève fit brûler en 1553. Le réformateur polémiqua aussi avec ceux qui contestaient des points précis de sa doctrine: la prédestination (un ancien carme, Jérôme Bolsec) et l’eucharistie (des luthériens allemands).
Certes, cette lutte donnait à Genève l’apparence d’une cité intolérante, mais Calvin n’était en cela qu’un fils de son siècle, faisant passer la gloire divine et le salut du prochain avant sa liberté d’opinion. Parce qu’on s’efforçait d’y vivre en accord avec la Parole de Dieu, Genève acquit la réputation d’une nouvelle Jérusalem – d’une Rome protestante, où l’identification de la cité avec la religion était totale – auprès de ceux qui, dans les pays catholiques, souffraient pour leurs convictions religieuses. La ville exerça du vivant de Calvin une attirance dans toute l’Europe, et, de 1540 à 1564, près de mille nouveaux bourgeois y furent reçus. Calvin exerça alors une sorte de magistère spirituel, politique et moral en Europe, ce qui contribua à nourrir des mythes, positifs et négatifs, sur la citadelle de la Réforme. Genève ne fut pas seulement un lieu de refuge, mais aussi une métropole spirituelle dont le rayonnement européen tenait au souci d’unité protestante qui animait Calvin face aux autres cités suisses, aux luthériens allemands et aux anglicans, et qui l’incitait à entretenir une correspondance avec des personnes de presque tous les pays d’Europe; ce rayonnement tenait également à la réputation de l’Académie, qui fut fondée en 1559, et attira très vite des étudiants de tout le continent; elle a formé surtout des pasteurs, mais aussi des juristes et une partie de l’élite réformée européenne.
Genève est ainsi devenue le creuset où se formèrent un type d’homme et une civilisation: mais le moralisme, maintenu au prix d’une inquisition dans la vie privée, s’appuyait sur un vif sentiment religieux qui freinait l’hypocrisie. La spiritualité calviniste fut dure et peu sentimentale, moins soucieuse de l’amour chrétien que de l’honneur de Dieu. Calvin accordait aussi une grande importance à l’organisation, à l’administration et à la spécialisation.
Si Genève fut le bastion de la Réforme calvinienne, la France en fut le champ de manœuvre. À partir des années 1520, des groupes non structurés se constituaient dans de nombreuses villes, sous l’impulsion du message de Luther largement diffusé par l’imprimerie et les grandes cités périphériques du royaume (Strasbourg et Bâle), pour étudier les Écritures. La période 1536-1546 amorça un processus qui s’accéléra jusqu’au début des guerres de religion. À partir de 1540, s’est épanouie une littérature protestante accompagnée d’une transmission orale. Mais Calvin appréciait peu ces nicodémites, qui continuaient de s’associer aux cérémonies de l’Église, et il les condamna dans deux épîtres importantes, ainsi que l’illuminisme, qui menaçait certaines assemblées évangéliques. Il unifia les aspirations religieuses de ses coreligionnaires et les organisa. Ceux-ci se recrutaient surtout dans les villes, parmi les bourgeois, les artisans, les gens d’Église, les érudits et les écrivains. Les femmes semblent avoir eu une certaine influence. Les nobles hésitèrent longtemps, mais vers 1560 ils permirent aux réformés de devenir une puissance politique. La Réforme a mieux pénétré dans les milieux alphabétisés que dans le monde paysan illettré et conservateur. Vers 1550, la propagande évangélique semble avoir atteint l’ensemble du royaume.
C’est à partir de 1555 que les groupes se transformèrent en assemblées animées par un consistoire et pourvues d’un ministre de la Parole. Pour diriger cet effort, Calvin envoya des dizaines de prédicants, dévoués au réformateur, qui exercèrent une influence déterminante dans la fondation des Églises réformées. Mais l’extrême rapidité de la diffusion de la Réforme inquiétait Calvin et son adjoint Bèze autant qu’elle les réjouissait, car elle prenait de plus en plus l’allure d’une Réforme par en bas. À la fin de 1561, il existait plus de six cent soixante-dix Églises réformées, et l’on estime qu’à ce moment plus du quart de la population du royaume était huguenot. La cohésion entre les Églises fut assurée par un régime synodal. En 1559 se tint à Paris le premier synode national des Églises réformées de France, qui élabora une Discipline et accepta une confession de foi nommée à partir de 1571 Confession de La Rochelle . La répression organisée par le roi Henri II ne parvenait pas à freiner l’extension de la Réforme, mais le colloque de Poissy (1561) fut un échec et déboucha, en raison des flottements de la politique royale, des ambitions des partis politiques et du déchaînement des passions, sur les guerres de Religion. Il est vrai que Calvin contribua à la politisation et même à la militarisation des Églises pour éviter des déviations doctrinales et sociales.
La Réforme calvinienne s’installa aussi en Suisse, dans le pays de Vaud et la principauté de Neuchâtel. À partir de 1560, elle pénétra, mêlée d’éléments zwingliens et mélanchthoniens, dans l’Empire, surtout dans les pays rhénans et le Nord-Ouest, suscitant le Catéchisme de Heidelberg (1563), qui fut reconnu par la majorité des Églises réformées. Par hostilité envers le luthéranisme, jugé trop germanique, cette Réforme fut adoptée aussi en Pologne, en Bohême et surtout en Hongrie.
Aux Pays-Bas, le calvinisme prit la forme d’un théocentrisme rigoureux et d’une doctrine de la prédestination. Ce durcissement doctrinal coïncida avec un conflit politique entre le roi d’Espagne et une élite désireuse de défendre les libertés traditionnelles. En 1561 fut publiée une Confessio belgica qui était très proche des idées de Calvin et qui fut rendue obligatoire par le premier synode des Églises réformées wallonnes et flamandes à Emden (1571). En raison de la guerre d’Indépendance, le calvinisme ne put se maintenir dans le Sud, mais il s’installa solidement entre 1570 et 1600 dans les Provinces-Unies.
Enfin, en Écosse, en 1560, John Knox établit, après des troubles politico-religieux, une version plus démocratique du calvinisme, dont il adopta l’ecclésiologie et la discipline autant que la dogmatique avec la Confessio scotica et le Livre de discipline : ce fut l’Église presbytérienne, qui se lia au nationalisme écossais et s’implanta rapidement dans la totalité du royaume.
4. La Réforme anglicane
À la différence des autres Réformes entreprises par des hommes d’Église et des théologiens de large envergure, la Réforme anglicane fut préparée, instaurée et rétablie, en trois temps, sous les auspices de la monarchie. L’œuvre des souverains, inspirée par le désir de subordonner la vie ecclésiastique aux intérêts de l’État, n’aurait d’ailleurs pas survécu si la papauté n’avait été auparavant profondément déconsidérée dans les îles Britanniques. En 1527, le roi Henri VIII, qui avait écrit contre Luther, voulut faire annuler par Rome son mariage avec Catherine d’Aragon, tante de Charles Quint, en vue d’épouser une dame d’honneur de la reine, Anne Boleyn. Mais il se heurta au refus du pape qui l’excommunia en 1534, ainsi que cette dernière, devenue entre-temps sa femme. Henri VIII fit alors voter trois lois qui constituent l’ Acte de suprématie : le pape se voyait privé de tout pouvoir de juridiction sur l’Église d’Angleterre, le roi devenait le «chef suprême sur terre» de celle-ci, et il put faire élire par les chapitres les évêques de son choix. L’application de ces mesures ne rencontra que peu d’opposition; deux érasmiens, l’ancien chancelier Thomas More et l’évêque Fisher, qui s’y opposèrent, furent décapités.
Les monastères furent supprimés au profit de la couronne. La vente de leurs biens donna naissance à une aristocratie terrienne dévouée à la Réforme; elle suscita néanmoins une insurrection. En 1536, une confession de foi en Dix Articles donna les signes d’un rapprochement avec les luthériens pour des raisons de politique extérieure, mais ce document ambigu ne faisait en réalité que des concessions minimes. Le roi ordonna ensuite à chaque église du royaume de posséder une Bible anglaise. Très vite, cependant, il manifesta un raidissement théologique: la loi des Six Articles (1539), le «fouet à six cordes», soutenait le dogme de la transsubstantiation, niait la nécessité de la communion sous les deux espèces, interdisait le mariage des prêtres et maintenait les messes privées et la confession auriculaire. Le King’s Book de 1543 était résolument antiprotestant. Sur les plans religieux et théologique, Henri VIII s’est toujours défendu de rompre avec le catholicisme. Son anglicanisme n’était guère qu’un gallicanisme radical fondé sur une assise nationale indépendante. Les initiatives contradictoires du roi avaient déçu aussi bien ceux qui restaient fidèles à Rome que les adeptes de l’Évangile.
Les deux «protecteurs» de son successeur Édouard VI (1547-1553), qui n’avait que neuf ans à son avènement, instaurèrent un protestantisme plus affirmé. Somerset, partisan d’un luthéranisme modéré, fit abroger les Six Articles , adoucit le sort des catholiques, abolit la loi sur les hérétiques et fit publier un Prayer Book qui conservait la plus grande partie de la liturgie traditionnelle. Warwick, qui renversa et fit exécuter Somerset, se rapprocha davantage de Calvin. En 1552, parut un second Prayer Brook , assez apparenté à la théologie de Bucer. Puis fut promulguée une nouvelle confession de foi en Quarante-Deux Articles , voisine de la théologie des réformés suisses. Le Parlement vota la «combustion» des anciens livres liturgiques et la destruction des images et statues, opération qui fit disparaître de nombreuses œuvres d’art. La mort d’Édouard VI amena au pouvoir sa demi-sœur, Marie Tudor (1553-1558); catholique fervente, elle réconcilia son royaume avec Rome et engagea une persécution qui lui valut le surnom de Marie la Sanglante et qui fit 280 martyrs, dont Thomas Cranmer, l’archevêque de Canterbury. Cette répression contribua à développer chez les Anglais un antipapisme tenace.
À la mort de Marie Tudor, Élisabeth, fille d’Anne Boleyn, consolida la Réforme anglicane. Peu préoccupée par les questions religieuses et partageant l’hostilité au papisme de son peuple, elle pratiqua une politique érastienne de soumission de l’Église à l’État et fonda véritablement l’Église anglicane. Elle renonça au titre de chef suprême de l’Église d’Angleterre pour prendre celui moins gênant de gouverneur. Le Parlement vota le rétablissement de l’Acte de suprématie et du Prayer Book de 1552, remanié dans un sens moins sacramentaire. En même temps, la législation anticatholique de 1534 fut remise en vigueur. Acceptées par 95 p. 100 du bas clergé, ces mesures furent refusées par la quasi-totalité de l’épiscopat, qu’il fallut renouveler. En 1563, les évêques définirent les Trente-Neuf Articles , qui sont restés, à la place des Quarante-Deux Articles , la confession de foi officielle jusqu’à l’époque présente. Même si le culte y conserve des apparences catholiques, ces articles sont d’inspiration largement calviniste: l’Écriture est la seule base de la foi; la cène est une communion réelle, mais spirituelle, avec le Christ; la foi seule justifie. Ces articles devaient permettre à l’Église d’Angleterre de faire cohabiter en elle une grande variété de tendances théologiques, tout en suscitant une double opposition: celle des catholiques, qui y voyaient leur foi condamnée, et celle des puritains qui en sous-estimaient le contenu protestant.
À côté des Réformes qui donnèrent naissance à des Églises organisées, la Réforme entraîna également le développement de mouvements spiritualistes, illuministes, enthousiastes et millénaristes; hostiles à toute institution et obligés de vivre dans une semi-clandestinité, ils constituent l’«aile gauche de la Réforme».
Le principal mouvement est celui des anabaptistes, qui apparaît comme une réaction de laïcs contre la théologie savante. Il se distingue des grandes confessions protestantes par sa conception de l’Église, dont il fait une assemblée de professants convaincus qui met l’accent sur une morale rigoureuse, le dualisme, l’importance de la discipline, la ségrégation ecclésiastique, une notion du baptême envisagé comme cérémonie d’initiation dans la communauté, qui jette la malédiction sur la société temporelle et sur l’État, et en vient ainsi au refus du serment et de toute obligation militaire. Le mouvement, né à Zurich, s’étendit aux pays rhénans et souabes après 1525. Il s’appuya sur l’élite spirituelle du peuple qui avait soif d’absolu et parfois aussi sur une élite sociale. La répression freina son essor: autorités catholiques et protestantes, appliquant l’édit impérial de 1529 qui prévoyait la peine de mort, rivalisèrent de zèle pour emprisonner, bannir ou exécuter les anabaptistes, qui étaient regardés, surtout au lendemain de la tragédie de Munster, comme des révolutionnaires menaçant l’ordre social. Beaucoup trouvèrent un refuge dans la seigneurie de Liechtenstein en Moravie, où Hutter organisa le communisme des phalanstères, qui s’y maintint jusqu’à la guerre de Trente Ans. Sous l’influence de Menno Simons, de fortes communautés anabaptistes se créèrent aux Pays-Bas et en Allemagne du Nord.
Le mouvement antitrinitaire, fondé par des Espagnols (Valdès, Servet) et des Italiens (Ochino, Sozzini), se développa en Transylvanie, en Pologne et en Lituanie.
Finalement, tous les pays européens ont été atteints par la Réforme de façon plus ou moins profonde. Seuls les pays méditerranéens, l’Espagne et l’Italie, furent peu touchés à cause de la vigueur de la réaction catholique, en particulier de l’Inquisition, qui pourchassait systématiquement toutes les manifestations d’évangélisme. En Italie, la Réforme atteignit des nobles et de nombreux religieux de valeur, mais l’établissement de l’Inquisition en 1542 provoqua l’exil de tous les partisans de l’Évangile et mit fin au mouvement.
La Réforme a entraîné des changements considérables dans la vie religieuse en Europe. Elle a apporté la certitude du salut à de nombreux fidèles, favorisé l’individualisme et mis l’accent sur le savoir, qui, par le biais de la catéchèse, doit restaurer les mœurs et fonder sur la Bible un ordre social protestant. Le sacré est mis à la portée des fidèles. Les dévotions populaires sont remplacées par la prière et le chant. Le clergé est désormais mieux instruit et de meilleure qualité. Enfin, la Réforme a suscité une éthique chrétienne qui valorise le travail, la vie familiale et certaines vertus telles que la fidélité, la modestie et la responsabilité. Mais aussi la Réforme a lié la religion aux structures politiques et sociales existantes, devenant ainsi une force de conservation sociale. En général, la Réforme accéléra la mainmise du pouvoir politique sur les Églises, ce qui aboutit à une alliance entre l’absolutisme et la morale et enleva tout pouvoir et toute initiative aux communautés paroissiales. La seconde génération des réformateurs, constituée de personnages de moindre envergure, a fixé les dogmes en une orthodoxie rigide. Néanmoins, la Réforme, qui a été exclue de l’Église et qui a contribué à la division de l’Occident, a apporté au christianisme un regain de vitalité, retrouvé le souffle prophétique, et élaboré une nouvelle civilisation qui a marqué de son empreinte des millions de fidèles.
réforme [ refɔrm ] n. f.
• 1625; de réformer
I ♦ Amélioration apportée dans le domaine moral ou social.
1 ♦ Rétablissement de la règle primitive dans un ordre religieux. « l'abbé de Rancé introduisait la réforme dans son abbaye » (Chateaubriand).
2 ♦ Absolt (1640) LA R ÉFORME : mouvement religieux du XVI e s., qui fonda le protestantisme et voulait ramener la religion chrétienne à sa forme primitive. ⇒vx réformation, protestantisme; calvinisme , luthéranisme. La Réforme provoqua un schisme dans le christianisme. La Réforme et la contre-réforme.
3 ♦ Changement profond apporté dans la forme d'une institution afin de l'améliorer, d'en obtenir de meilleurs résultats. Réforme du calendrier; de l'orthographe. Réforme agraire. Réforme de la Constitution. « La réforme politique contient en germe les réformes sociales » (Gambetta). Réforme superficielle. ⇒ réformette.
♢ Spécialt Amélioration partielle et progressive de l'ordre social (opposé à révolution).⇒ réformisme.
II ♦ Milit.
1 ♦ (1762) Mise hors de service de ce qui y est devenu impropre; situation qui en résulte.
♢ Fig. et vx « il n'avait pas eu le cœur de mettre à la réforme quelques vieux meubles » (A. Hermant). ⇒ rebut.
2 ♦ Position du militaire dispensé du service dans les armées pour inaptitude physique ou mentale. Commission de réforme. Réforme temporaire, définitive (⇒ réformé) .
● réforme nom féminin (de réformer) Changement de caractère profond, radical apporté à quelque chose, en particulier à une institution, et visant à améliorer son fonctionnement : Réforme de l'enseignement. Action de retirer du service un véhicule ferroviaire pour révision, réparation ou examen. Opération par laquelle un militaire atteint d'une affection qui diminue son aptitude physique est déclaré inapte temporaire ou définitif au service dans les armées ; position de ce militaire. Classement hors service des matériels reconnus inutilisables pour l'armée. Retour d'un ordre religieux à l'observation de ses règles primitives. ● réforme (expressions) nom féminin (de réformer) Commission de réforme, organisme chargé d'émettre un avis ou de statuer sur la mise en réforme temporaire ou définitive des militaires ou de proposer l'attribution d'une pension d'invalidité.
Réforme
(la) le mouvement religieux dont naquit le protestantisme. La Réforme, qu'avaient plus ou moins lointainement annoncée les vaudois Wyclif ou Jan Hus, a déterminé, au XVIe s., une partie de la chrétienté à se détacher de l'église romaine et à rejeter à la fois ses dogmes et l'autorité du pape. Le premier réformateur, Luther, ne voulait pas créer une église indépendante: il espérait que l'église rétablirait le christianisme des origines, débarrassé des adjonctions qui l'avaient altéré. La rupture fut consommée avec l'excommunication de Luther (1520) et sa mise au ban de l'Empire (1521). Le luthéranisme se répandit en Allemagne, malgré l'opposition de Charles Quint. Les luthériens présentèrent leur Confession de foi (rédigée par Melanchthon et Camerarius) à la diète d'Augsbourg en 1530 (Confession d'Augsbourg); ensuite, on admit que chaque prince pouvait imposer sa religion à ses sujets (paix d'Augsbourg, 1555). Du vivant de Luther, sa doctrine s'était également répandue dans les états scandinaves et dans les pays Baltes. Un mouvement analogue naquit sous l'impulsion de Zwingli, en Suisse, où le Français Jean Calvin imposa une doctrine distincte du luthéranisme: le calvinisme, qui se répandit en France malgré l'opposition du roi; un synode clandestin adopta à Paris, en 1559, une Confession de foi dite de La Rochelle (où elle fut confirmée en 1570) et rédigée en grande partie par Calvin. La fin du XVIe s. a été marquée en France par des guerres dites de Religion, marquées notam. par le massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572). Promulgué en 1598, par Henri IV, l'édit de Nantes autorisa le protestantisme, mais Louis XIV le révoqua en 1685. L'édit de tolérance (1787) et les Articles organiques de 1801 officialisèrent les églises réformées. La Réforme calviniste se répandit en Europe, partic. en Hongrie, aux Pays-Bas, au Palatinat et en écosse, souvent malgré l'opposition du pouvoir. Une troisième famille protestante vit le jour, quand Henri VIII détacha de Rome l'église d'Angleterre et la soumit au roi (Acte de suprématie, 1534). L'anglicanisme s'imposa sous élisabeth Ire à la fin du XVIe s. Depuis l'Angleterre, la Réforme (partic. sous son aspect puritain) se répandit dans les colonies anglaises d'Amérique du Nord et, à partir du XIXe s., en Afrique. V. Réforme catholique.
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Réforme
n. f.
rI./r Correction apportée en vue d'une amélioration.
d1./d HIST La Réforme: le mouvement religieux dont naquit le protestantisme (V. Réforme [la].).
d2./d Changement apporté à une institution en vue de l'améliorer. Réforme fiscale, agraire.
rII./r MILIT
d1./d Mise hors de service du matériel périmé.
d2./d Libération d'un soldat des obligations militaires pour inaptitude physique au service.
⇒RÉFORME, subst. fém.
A. — Modification effectuée dans un but d'amélioration. Synon. vieilli réformation.
1. Changement apporté en vue du rétablissement d'une forme primitive ou ancienne.
a) Réforme (d'un ordre religieux). Retour à l'observance de la règle primitive. L'abbé de Rancé introduisit à la Trappe la réforme monastique (Ac. 1935):
• 1. Le besoin de l'ordre, de la discipline, de la rigidité morale y éclatait avec ardeur. C'est le temps où Robert de Molême introduisait une règle sévère à Cîteaux; le temps de saint Norbert et de la réforme des chanoines; le temps de la réforme de Cluny, enfin de la grande réforme de saint Bernard.
GUIZOT, Hist. civilis., leçon 6, 1828, p. 34.
b) Réforme des abus. Suppression, correction des abus qui se sont développés. Mon ami me fit part de ce qu'il redoutait aux approches de la révolution. — Si l'on ne voulait, me dit-il, que la réforme des abus, j'y consentirais de bon cœur (DUSAULX, Voy. Barège, t. 1, 1796, p. 34).
2. Vieilli
a) Changement de mal en bien dans les mœurs, la piété. Réforme intérieure, morale. Partant toujours du principe inhumain, que notre nature est mauvaise, que l'éducation n'en est pas la bonne économie, mais la réforme (MICHELET, Peuple, 1846, p. 218). Il regrettait sincèrement « l'irrégularité de sa conduite passée » et avait entrepris une grande réforme de lui-même (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1948, p. 101).
b) Réforme de la/des monnaie(s). ,,Action de rétablir les valeurs réelles des monnaies dont on avait surhaussé le prix`` (Ac. 1835-1935). En 1715, on entreprit de nouveau une réforme de la monnaie. Les pièces nouvelles étant portées à 20 livres et 5 livres respectivement, et les pièces anciennes ou usées demeurant à 16 livres et à 4 sols (SHAW, Hist. monnaie, 1896, p. 131).
3. Correction, changement profond, transformation, par des moyens conformes aux règles existantes, de quelque chose en vue de le réorganiser, d'améliorer son fonctionnement, ses résultats. Réforme électorale, hospitalière, scolaire; réforme grégorienne, julienne; réforme de l'enseignement, de l'orthographe. À la fin de la même année 1911 paraissait à Rome la bulle Divino Afflatu qui (...) décidait pour toute l'Église la réforme du bréviaire et du missel (CHAUVE-BERTRAND, Question calendrier, 1920, p. 103). V. consciencieusement ex. 3.
— Absol. La réforme en question; celle qui présente une grande importance selon le lieu, le temps. On avait dit au peuple que la Réforme amènerait la fin de tous ses maux; le peuple avait imposé la Réforme aux Lords et les maux étaient pires que jamais (MAUROIS, Disraëli, 1927, p. 139):
• 2. Plus d'un siècle s'écoula ensuite avant que le calendrier grégorien fût reçu par les protestants (...). Les protestants d'Allemagne, lorsqu'ils se décidèrent à appliquer la réforme, ne l'adoptèrent que corrigée par Weigel d'après les tables de Képler.
CHAUVE-BERTRAND, Question calendrier, 1920, p. 84.
— POL. [P. oppos. à révolution] Changement profond réalisé sans violence dans le cadre institutionnel existant. Réforme du code, de la constitution; réforme agraire, électorale, constitutionnelle. Il se sépare de Guesde comme tacticien. Socialiste de gouvernement, il croit aux réformes partielles. Guesde n'admet que la révolution complète (RENARD, Journal, 1901, p. 710). Vous ne savez pas parler au peuple. Vous lui prêchez la révolte, et il faut lui enseigner l'esprit de réforme, c'est-à-dire l'amélioration dans l'ordre (BOURGET, Actes suivent, 1926, p. 134).
B. — 1. HIST. RELIG.
a) Réforme religieuse (pour les catholiques, prétendue réforme), ou absol., la Réforme. Mouvement introduit dans l'Église catholique au XVIe s. par Luther et Calvin dans le but de réorganiser les structures et de modifier les dogmes, et ayant abouti à la formation d'Églises séparées (protestantisme luthérien, anglicanisme, protestantisme calviniste). Synon. réformation (v. ce mot B 1). Époque, temps de la Réforme; doctrines de la Réforme. Les premiers jours du seizième siècle virent naître la réforme religieuse dans les Êtats les plus éclairés de l'Europe: en Allemagne, en Angleterre, bientôt après en France (STAËL, Consid. Révol. fr., t. 1, 1817, p. 23). La prétendue réforme du seizième siècle avoit ébranlé le système politique de l'Europe. Partout où elle s'établit, on vit naître aussitôt ou le despotisme, ou l'anarchie (LAMENNAIS, Religion, 1825, p. 19).
— P. méton. Doctrine adoptée ayant entraîné le schisme. Adjurer la réforme. La réforme, en détruisant la confession, les indulgences, les moines, et le célibat des prêtres, épura les principes de la morale, et diminua même la corruption des mœurs dans les pays qui l'embrassèrent; elle les délivra des expiations sacerdotales (...) et du célibat religieux (CONDORCET, Esq. tabl. hist., 1794, p. 133). En Angleterre même, la Réforme, par la lecture de la Bible, faisait naître à leur égard [aux Juifs] une curiosité presque sympathique (MAUROIS, Disraëli, 1927, p. 10).
b) Réforme (catholique). Mouvement de renouvellement intérieur et de restauration entrepris au sein de l'Église catholique au XVe s. et qui prit toute son ampleur à partir du XVIe s., notamment avec le Concile de Trente, afin de lutter contre les doctrines protestantes, et qui est connu à partir du XVIe s. sous le nom de Contre-réforme. Préoccupations missionnaires de l'Église de la Contre-réforme (MARROU, Connaiss. hist., 1954, p. 253):
• 3. Osera-t-on pourtant dire qu'à la juste compréhension du monde actuel l'intelligence de la Réforme protestante ou de la Réforme catholique, éloignées de nous par un espace plusieurs fois centenaire, n'importe pas davantage que celle de beaucoup d'autres mouvements d'idée ou de sensibilité, plus proches, assurément, dans le temps, mais plus éphémères?
M. BLOCH, Apol. pour hist., 1944, p. 12.
2. Domaine milit.
a) Mise hors service de quelqu'un.
) Vieilli. Position de l'officier de carrière privé d'emploi avant le temps requis pour l'ouverture de ses droits à la retraite, pour une cause qui ne lui est pas forcément imputable et lui donnant droit à un traitement. Solde de réforme. Picquart a été mis en réforme, et, par suite, chassé de l'armée, sur les seuls témoignages de Henry — et de Gonse ou de Gribelin (CLEMENCEAU, Vers réparation, 1899, p. 141). La réforme est la position de l'officier sans emploi, non susceptible d'être rappelé à l'activité et n'ayant acquis aucun droit à la retraite. (...) La réforme peut être prononcée: pour raisons de santé; par mesure disciplinaire (LUBRANO-LAVADERA, Législ. et admin. milit., 1954, p. 74).
) Licenciement partiel de troupes; réduction de corps de troupes. (Dict. XIXe et XXe s.).
♦ Congé de réforme, ou absol., réforme. Position du militaire reconnu inapte physiquement, de manière temporaire ou définitive. Réforme temporaire, définitive. Il ne pouvait pourtant pas espérer la réforme numéro 1. Il ne voulait pas, même si on la lui eût offerte, de la réforme numéro 2 qui l'assimilerait aux « mal foutus » (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1938, p. 181).
♦ Conseil de réforme. ,,Conseil chargé d'examiner les soldats susceptibles d'être reconnus impropres au service`` (Ac. 1935).
b) ) Mise hors service des chevaux de l'armée, devenus impropres au service; p. méton., chevaux mis à la réforme (d'apr. Ac. 1798-1935).
) Mise hors service du matériel reconnu impropre, trop vieux ou de conception trop ancienne. Réforme des matériels hors service. — Le matériel appartenant à l'État est réformé par l'intendance sur proposition du chef de corps. Le matériel appartenant au corps est réformé par le chef de corps (LUBRANO-LAVADERA, Législ. et admin. milit., 1954, p. 222).
— De réforme, loc. Mis à la réforme. Synon. réformé. [Alain] avait un petit camion, avec une mule de réforme, achetée à l'armée anglaise, encore marquée sur la fesse d'initiales au fer rouge (VAN DER MEERSCH, Invas. 14, 1935, p. 456).
c) Vieilli. Diminution, restriction.
) Diminution des dépenses, du service, du train d'une maison. À la suite des malheurs successifs qui étaient arrivés à son père, de grandes réformes avaient été faites dans les dépenses de la maison (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 369). Je l'entendais toujours se plaindre, parler d'économies, de réformes, de placements avantageux (A. DAUDET, Femmes d'artistes, 1874, p. 115).
) ,,Réduction à un moindre nombre des employés d'une administration`` (Ac. 1835, 1878). Il y a une grande réforme dans ce ministère (Ac. 1835, 1878).
REM. Réformette, subst. fém., fam. Réforme de détail qui est sans portée. En tendant une main timide à l'opposition non communiste, il [M. Fraga Iribarne] espérait faire cautionner sa politique de « réformettes » par une très large partie de l'opinion espagnole (Le Nouvel Observateur, 19 avr. 1976, p. 44, col. 1).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1694, 1718: re-; dep. 1740: ré-. Étymol. et Hist. A. 1. 1625 « rétablissement de l'ancienne discipline dans une maison religieuse`` (PEIRESC, Lettres, éd. Tamizey de Larroque, t. 6, p. 78); 2. a) 1690 « suppression des abus » (FUR.); 1694 se jeter dans la réforme « revenir à une vie plus vertueuse » (REGNARD, Sérénade, sc. 13 ds Œuvres, t. 1, p. 223 [éd. Paris, 1830]; b) 1713 « diminution de la dépense dans le train d'une maison » (HAMILTON, Mém. du comte de Grammont, 11 ds LITTRÉ); 3. 1660 La Réforme « mouvement religieux qui au XVIe s. a donné naissance aux églises protestantes » (OUDIN); B. 1. a) 1671 « mesure par laquelle on casse des officiers en leur maintenant une partie de leur solde » (POMEY); b) 1680 « licenciement partiel des troupes » (RICH.); c) 1762 « fait d'écarter de l'armée un homme, un cheval reconnus inaptes au service » (Ac.); d) 1855 « dispense temporaire ou définitive des obligations militaires » (LITTRÉ-ROBIN), 2. 1837 mettre à la réforme « au rebut » (BALZAC, Employés, p. 86). Déverbal de réformer. Fréq. abs. littér.:1 328. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 2 476, b) 1 127; XXe s.: a) 1 908, b) 1 786. Bbg. DUB. Pol. 1962, p. 400. — GREIVE (A.). Contributions méthodol. à la lexicol. des mots savants. In: Congrès Internat. de Ling. et Philol. Rom. 13. 1971. Québec. 1976, t. 1, pp. 613-620. — RICHARD (W.) 1959, p. 17. — VARDAR Soc. pol. 1973 [1970], p. 299.
réforme [ʀefɔʀm] n. f.
ÉTYM. 1625; déverbal de réformer. → aussi Réformation.
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♦ Action de réformer; résultat de cette action.
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I Amélioration apportée dans les choses non matérielles, abstraites, morales.
1 Rétablissement de la discipline primitive dans un ordre religieux. || Introduire (cit. 10) la réforme dans une abbaye (→ aussi Monastique, cit. 1).
2 (XVIIe). Absolt. Relig., hist. || La réforme : le mouvement religieux du XVIe siècle qui fonda le protestantisme et voulait ramener la religion chrétienne à sa forme primitive. ⇒ Réformation (cit. 2); protestant, protestantisme; calvinisme, luthéranisme (→ aussi Laïque, cit. 1). || La Réforme provoqua un schisme dans le christianisme. || La Ligue (cit. 3) combattit la Réforme (⇒ Contre-réforme). || La Renaissance et la Réforme (→ Éclat, cit. 36). || Luther et Calvin, artisans de la Réforme. ⇒ Réformateur.
1 Sans vouloir toucher au christianisme (au contraire, en faisant effort pour le replacer sur le dogme qui en est l'essence), Luther l'a transformé (…) Il a transposé la religion du miracle à la nature, du fictif à la vérité (…) Ainsi le mot de la Renaissance : « Revenez à la nature » s'est accompli par l'homme qui ne voulait que rappeler le christianisme et le salut surnaturel. Luther, fervent chrétien, a, sans le vouloir, servi l'esprit nouveau. Son cœur, profondément humain, a chanté les deux chants, donné en partie double le concert harmonique de la Réforme et de la Renaissance.
Michelet, Hist. de France, t. X, VI.
3 (1690). Absolt et vx. Retour (de qqn) au devoir, à la piété, et, par ext. Vie, conduite vertueuse. || « Je me suis jeté dans la réforme » (Regnard, Sérénade, 13).
2 Un homme de talent (…) s'il est chagrin et austère, effarouche les jeunes gens, les fait penser mal de la vertu, et la leur rend suspecte d'une trop grande réforme et d'une pratique trop ennuyeuse.
La Bruyère, les Caractères, XII, 30.
4 (1640). Changement apporté dans la forme d'une institution afin de l'améliorer, d'en obtenir de meilleurs résultats (⇒ Amélioration). || La réforme du calendrier. || Réforme de l'orthographe, orthographique (→ Partisan, cit. 2). || Réforme de l'enseignement, d'une école (→ 1. Général, cit. 23). || Réformes sociales et réformes politiques (→ Compression, cit. 2; germe, cit. 12). || Une réforme agraire (→ Morceler, cit. 2), financière; les réformes de Calonne (→ Patriote, cit. 2). || Réforme judiciaire…, électorale, constitutionnelle (⇒ Révision). || Réforme d'une loi. ⇒ Amendement. || Proposer, exiger… la réforme de… (→ Économiste, cit. 4). || Réformes difficiles à accomplir (→ Exécution, cit. 7). || Réformes improvisées (cit. 9). || Le bien, le progrès qui résulte des réformes.
3 Vivien nous conta que le roi avait jeté dans son tiroir un projet de réforme électorale, en disant : — Voilà pour mon successeur ! — C'est le mot de Louis XV, ajoutait Vivien, en supposant que la réforme soit le déluge.
Hugo, Choses vues, II, XI, I.
4 Il y avait, dans la structure de l'ancienne société, deux vices fondamentaux qui appelaient deux réformes principales. En premier lieu, les privilégiés ayant cessé de rendre les services dont leurs avantages étaient le salaire, leur privilège n'était plus qu'une charge gratuite mise sur une partie de la nation au profit de l'autre : il fallait donc le supprimer. En second lieu, le gouvernement étant absolu, usait de la chose publique comme de sa chose privée, avec arbitraire et gaspillage : il fallait donc lui imposer un contrôle efficace et régulier.
Taine, les Origines de la France contemporaine, t. I, III, p. 213.
5 Pour un Français, dénoncer un abus, c'est dire du mal de la France, parce qu'il la voit au passé, et comme inchangeable. Pour un Américain, c'est préparer une réforme, car il voit son pays au futur.
Sartre, Situations III, p. 132.
♦ Spécialt, (polit.). Amélioration partielle et progressive de l'ordre social (opposé à révolution). ⇒ Réformisme, réformiste. || Partisans des réformes en Russie. ⇒ Menchevik.
6 On ne peut pas demander au capitalisme de se détruire lui-même en sapant ses propres assises ! Quand il se trouve par trop acculé aux désordres qu'il a créés, il emprunte aux idées socialistes quelques réformes devenues indispensables.
Martin du Gard, les Thibault, t. V, p. 225 (→ Cause, cit. 23).
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II
1 Milit. Mise hors de service de ce qui y est devenu impropre; situation qui en résulte. — (1762). « Position du militaire sous les drapeaux et libéré temporairement ou définitivement des obligations militaires pour inaptitude physique » (Capitant). || Conseil de réforme. || Réforme temporaire, définitive. ⇒ Réformé. — Se dit aussi de la position des chevaux de l'armée déclarés inaptes, du matériel réformé. || Mettre à la réforme.
7 Nicolas doit passer dans quelques jours au conseil de révision; au lieu de solliciter sa réforme, mon général, sur la protection de qui les Tonsard comptent, n'a qu'à bien le recommander au prône.
Balzac, les Paysans, Pl., t. VIII, p. 181.
2 ☑ Fig. Mettre à la réforme, au rebut.
8 Quand il s'était meublé à neuf, il n'avait pas eu le cœur de mettre à la réforme quelques vieux meubles hollandais qu'il possédait par héritage (…)
A. Hermant, les Épaves, II, II.
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CONTR. Corruption, dérèglement.
COMP. Contre-réforme.
Encyclopédie Universelle. 2012.