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POLYGAMIE
POLYGAMIE

Le terme général de polygamie désigne toutes les formes possibles de mariage plural. On distingue le mariage par groupes, plus hypothétique que réel, dans lequel un groupe de frères se marie simultanément avec un groupe de sœurs; la polyandrie, dans laquelle une femme épouse plusieurs hommes (dans la polyandrie fraternelle, un groupe de frères); la polygynie, dans laquelle un homme épouse plusieurs femmes. La polygynie est extrêmement répandue dans le monde, à l’opposé de la polyandrie, rare, et du mariage par groupes, dont on peut discuter la structure réelle; aussi revêt-elle des formes différentes, depuis la polygynie sororale où un homme se marie avec deux ou plusieurs sœurs, jusqu’à la polygynie sérielle qui tend à remplacer actuellement la polygynie simultanée: on prend ses femmes l’une après l’autre et non plusieurs en même temps. L’extension de la polygynie s’explique surtout par des facteurs économiques (qui ne paraissent pas si opératoires dans le cas de la polyandrie); mais comme il y a en général, sauf en cas d’infanticides, peu de différences entre le nombre d’hommes et de femmes dans une même population, la polygynie des plus vieux ou des plus riches ou des chefs se traduit par la monogamie des plus jeunes ou des moins puissants. Cependant, cette monogamie ne doit pas être confondue avec la monogamie des Occidentaux: c’est une monogamie de fait, et non de droit. La monogamie n’existe pas seulement dans nos sociétés occidentales, on la trouve aussi dans les sociétés les plus primitives, celles des peuples qui vivent de la cueillette et de la petite chasse, mais alors elle provient de ce que le manque de ressources empêche un homme d’avoir plusieurs épouses – c’est encore une monogamie de fait plus que de droit, imposée par l’économie –, ou chez des peuples plus développés, comme les Hopi, mais alors elle est dictée par le type de résidence, l’homme vivant dans la maison de son épouse; ce n’est que lorsque la résidence matrilocale s’accompagne du sororat que la polygamie devient à nouveau possible, sous sa forme «sororale». Les changements qui s’opèrent aujourd’hui dans le monde, qu’ils soient d’ordre économique ou d’ordre idéologique (urbanisation, diffusion des idées occidentales, politiques d’acculturation des États), tendent à faire reculer partout la polygynie au bénéfice de la monogamie, malgré les obstacles rencontrés qui viennent du prestige toujours vivant de l’homme polygame sur l’homme monogame dans les groupes les plus traditionnels.

1. La répartition des systèmes polygamiques

Le sens exact du terme polygamie est: «union soit d’un homme, soit d’une femme avec plus d’un conjoint». Comme la polyandrie est rare, le terme de polygamie est souvent utilisé, non seulement dans le langage courant, mais même par les anthropologues, dans le sens de polygynie.

Théoriquement, on peut distinguer quatre formes possibles de mariages: un homme et une femme (monogamie); un homme et plusieurs femmes (polygynie); une femme et plusieurs hommes (polyandrie); plusieurs femmes avec plusieurs hommes (mariage par groupes).

On examinera successivement tous ces cas. Mais il est bien entendu que, sauf infanticide possible, le nombre d’hommes et de femmes dans une société étant à peu près équivalent, si un homme prend plusieurs femmes, il ne restera plus alors beaucoup de femmes disponibles, et que la majorité des individus sera contrainte à la monogamie. On doit donc distinguer la monogamie de fait de la monogamie de droit; les démographes ont bien montré que, dans les sociétés polygyniques, de 60 à 80 p. 100 des foyers sont monogames; on ne doit donc pas commettre la confusion entre le fait et le droit: c’est le droit seul qui intéresse cet article.

Juridiquement, la polygamie couvre un champ infiniment plus vaste que la monogamie. Certains l’estiment à 80 p. 100 des sociétés connues. Le tableau dressé par G. P. Murdock, à partir d’un échantillon de 558 sociétés considérées comme représentatives, montre que l’on trouve la monogamie dans 24 p. 100 de cet échantillon (mais nous pensons que, pour certaines d’entre elles, il s’agit plus d’une monogamie de fait, imposée par la pauvreté des hommes, que d’une monogamie de droit), la polygynie dans 75 p. 100 et la polyandrie dans 1 p. 100 seulement de l’échantillon.

2. Le mariage par groupes

Une hypothèse évolutionniste

Le mariage par groupes a occupé, grâce aux travaux de Lewis H. Morgan, une place importante dans l’anthropologie. Celui-ci, en effet, a supposé, dans son schéma de l’évolution du mariage, que l’homme, à peine sorti de l’animalité, a vécu d’abord dans un état de promiscuité sexuelle complète. À partir de ce premier stade, on aurait la famille consanguine, qui constitue déjà un progrès par rapport à la promiscuité originelle, excluant les mariages entre parents et enfants, mais permettant ceux entre frères et sœurs. Alors que la promiscuité sexuelle n’est, chez Morgan, qu’un postulat logique de sa théorie évolutionniste, la famille consanguine lui paraît suggérée par un certain nombre de faits empiriques, en particulier par le système de parenté hawaiien qui englobe dans une même désignation tous les parents d’une seule génération; or, dit Morgan, si les oncles maternels sont appelés du même nom que les pères, c’est qu’ils étaient bien également des pères, pouvant s’unir à leurs sœurs; la preuve en est encore qu’un seul homme désignait ses fils, ses filles, ses neveux et ses nièces d’un même terme, témoignage évident, à ses yeux, que ses sœurs étaient leurs épouses communes, à lui et à tous ses frères. Le mariage par groupes constituerait, dans le schéma évolutif de Morgan, le troisième moment, moment au cours duquel «un groupe d’hommes se marie conjointement à un groupe de femmes», et aurait ainsi servi de transition entre la promiscuité primitive et les formes actuelles du mariage, polyandrie et polygynie, puisqu’au fond un mariage par groupes n’est jamais qu’un ensemble de relations polyandriques et polygyniques coexistant. D’après Kohler, la nomenclature de parenté dakota serait le témoignage de ce type de mariage, où les frères AAA auaraient épousé les sœurs bbb et les frères BBB les sœurs aaa .

Un abus de langage

L’erreur de Morgan est d’avoir pensé que la terminologie de la parenté exprime l’état réel des relations sexuelles et que le terme de père s’identifie à celui de procréateur. Comme le dit Robert H. Lowie, «la théorie selon laquelle tous les pères sont des procréateurs potentiels entraîne la conséquence parallèle que les mères, dont chaque Hawaiien possède une bonne douzaine, l’ont toutes conçu et engendré. Morgan, il est vrai, essaie gauchement de tourner la difficulté en affirmant que l’indigène a ici en vue un rapport conjugal plutôt qu’une relation de parenté; le Hawaiien appelerait mère la sœur de sa mère parce qu’elle est la femme de son père putatif, donc en quelque sorte sa marâtre. Ce n’est cependant que par subterfuge. L’extension respective des termes père et mère est strictement parallèle; ils font partie d’un seul système et exigent une interprétation unique [...]. L’explication fort simple du système hawaiien se trouve dans la thèse de Cunow pour qui il représente une stratification de la parenté selon les générations».

James C. Frazer a tenté d’apporter de nouvelles preuves en faveur de l’existence d’un mariage par groupes antérieur et à la polyandrie et à la polygynie. C’est d’abord l’existence du lévirat qui prescrit au frère d’un homme marié mort sans enfant d’épouser sa veuve de façon à assurer au défunt la postérité qui lui manque. C’est encore la coutume qui autorise dans certaines populations l’époux à avoir des rapports sexuels avec les sœurs de sa femme et, lorsque sa femme meurt, le droit d’épouser la sœur de sa femme décédée (c’est ce qu’on appelle le sororat ). Mais le lévirat et le sororat ne supposent en aucune manière une forme de mariage dans laquelle les hommes d’un groupe auraient les mêmes droits sur toutes les femmes d’un autre groupe, avec comme corollaire l’interdiction, bien entendu, de se marier dans son propre groupe.

Mais, une fois l’hypothèse évolutionniste écartée, il n’en reste pas moins que certains ethnologues ont cru constater l’existence, rare, mais effective, d’un mariage par groupes. Il faut donc examiner les faits cités.

Le prix d’une alliance ou du pouvoir

Si on laisse de côté les cas de licence sexuelle des jeunes gens qui ont pu parfois être rapprochés du mariage par groupes, mais qui appartiennent au domaine de la «licence» et non de l’«obligatoire», qui échappent par conséquent au propos de cet article, on trouve affirmée l’existence d’un mariage par groupes, d’abord chez les Tchouktche, où des cousins, voire des hommes sans rapports de parenté, afin de cimenter entre eux des liens d’amitié, exercent ensemble leurs droits maritaux sur toutes les femmes des membres du groupe; mais en fait, comme l’a bien montré Bogoras, il s’agit plutôt d’un échange de femmes entre amis que d’un mariage plural; Bogoras n’a jamais trouvé d’hommes partageant simultanément plusieurs femmes, mais seulement des maris qui prêtent momentanément leurs épouses à des amis de passage ou à des camarades de contrat. Le deuxième cas connu est celui des Dieri australiens; cependant, ici non plus, il ne s’agit pas d’un véritable mariage par groupes: «Aucune femme n’est la fiancée de plus d’un homme. Cependant, après que le mariage est consommé, il est possible que l’épouse devienne la concubine d’autres hommes, mariés ou célibataires [...]; des frères qui ont épousé leurs sœurs peuvent partager leurs femmes; un veuf prend, en échange de présents, la femme de son frère comme concubine. En outre, un visiteur présentant la parenté requise peut recevoir la femme de son hôte comme compagne temporaire» (Lowie). Comme on le voit, seul celui qui a été fiancé est mari légitime, les autres femmes sont des concubines et non des épouses, l’homme non marié ne dispose que de droits secondaires et encore avec l’autorisation du mari. Le troisième cas apparaît dans les îles Marquises: le «ménage» comprend parfois un couple principal et une série d’autres hommes et d’autres femmes qui demeurent avec lui et qui auraient des droits sexuels aussi bien avec les membres du couple principal qu’entre eux; mais les liens de ces époux ou épouses subsidiaires avec le couple principal peuvent être rompus très facilement; il s’agit plus d’une stratégie politique des chefs pour avoir une clientèle que d’un véritable mariage plural institutionnalisé. Enfin, chez les Todas actuels de l’Inde, le mariage par groupes est un phénomène récent, dû à une adaptation forcée à certains événements historiques. On peut donc conclure qu’il existe des apparences de mariages de groupes, mais qu’on ne peut en certifier la réalité.

3. La monogamie

L’existence de «primitifs» monogames

Alors que, pour Morgan et les évolutionnistes, la monogamie est le dernier moment d’une longue évolution, qui a commencé dans la promiscuité primitive, et caractérise les «civilisés», en opposition aux «sauvages» et aux «barbares», pour W. Schmidt et les tenants de l’école d’ethnographie historique, c’est la monogamie qui définit l’humanité primitive. Il faut distinguer en effet entre les «vrais» et les «faux» primitifs. Les vrais primitifs, qui au moment de leur découverte en étaient encore à l’âge du Paléolithique du point de vue de leur outillage technique, et qui vivent uniquement de cueillette et de petite chasse, ne connaîtraient que la société conjugale fondée sur le mariage monogame: Semangs de Malacca, Négrilles d’Afrique, Négritos des Philippines, etc. Cependant, le père Schmidt est bien obligé de reconnaître qu’il existe chez ces peuples des cas de polygamie, si rares soient-ils; mais, pour lui, ces quelques cas ont nettement le caractère de dérogations à la pratique commune et, lorsqu’il arrive qu’un individu ait plusieurs femmes, ce n’est jamais dans le même campement, ce qui fait que l’école d’ethnographie historique se croit en droit de conclure que, chez les «vrais» primitifs, il ne s’agit pas d’une monogamie de fait, mais bien de droit.

Cette monogamie primitive correspond d’abord aux conditions économiques de vie; c’est elle en effet qui se prête le mieux à une équitable répartition du travail, la chasse pour l’homme, la cueillette des plantes sauvages, la cuisine et le soin des enfants en bas âge pour la femme. Ce n’est pas cependant une pure association utilitaire; car cette famille correspond, dans la mythologie, au couple des ancêtres de la tribu, créés et unis par l’Être suprême, ce qui fait que l’on peut parler, à son sujet, d’une «institution divine». Ce n’est qu’avec le passage de la petite chasse à la grande chasse, en Australie, que la famille individuelle se dissoudra dans le clan totémique, ou avec le passage de la grande chasse à l’agriculture que la monogamie fera place à la polygamie.

Le résultat d’une existence précaire

Il est parfaitement exact que la monogamie domine chez les «vrais» primitifs, mais il faut ajouter que ce n’est qu’une monogamie de fait, contrairement à ce que prétend l’école du père Schmidt, non une monogamie de droit. Claude Lévi-Strauss en a fait la juste remarque. Les conditions d’existence chez les Négrilles sont trop précaires pour qu’un homme puisse épouser plusieurs femmes. La polygamie n’est cependant pas défendue pour cela et un chasseur plus heureux pourra s’approprier deux femmes, car il est capable, par son habileté, de les faire vivre. Ainsi, chez les Esquimaux du Groenland, où il y a cent quatorze femmes pour cent hommes (la vie du chasseur arctique est si dure que sa mortalité est très élevée) et où, par conséquent, la polygynie de quelques-uns serait théoriquement possible, seul un excellent chasseur peut posséder plus d’une épouse; la proportion est de un bigame pour vingt hommes. Mais il n’y a pas que l’économique qui limite la possibilité de la polygamie. Certaines formes sociales peuvent également agir, par exemple la résidence matrilocale, sauf s’il existe en même temps le sororat. L’homme devant vivre dans la famille de sa femme, travailler pour ses beaux-parents et habiter avec eux ne peut naturellement être que monogame. C’est le cas par exemple des Indiens Zuñi et Hopi de l’Amérique du Nord qui sont matrilocaux et ignorent le sororat. Mais ici encore il s’agit d’une monogamie de fait plus que de droit, car un homme pourrait épouser deux femmes, vivre par exemple six mois chez les parents de l’une d’entre elles, et six autres chez les parents de l’autre. Or c’est ce qui se produit parfois; on en cite des exemples, tout au moins chez les Youkaghir de la Sibérie septentrionale.

4. La polyandrie

La polyandrie est rare. Il ne faut pas la confondre avec certains phénomènes qui en sont apparemment proches, par exemple avec certaines coutumes que l’on trouve chez les Crow (Indiens des Prairies), les Massaï (Afrique), du désistement temporaire d’un mari de ses droits maritaux en faveur d’un ami, d’un visiteur étranger de la même classe que lui, ou d’un supérieur dont on veut obtenir des dons ou des pouvoirs spéciaux. Si on élimine ces cas de fausse polyandrie, alors la vraie polyandrie ne se rencontre que chez les Bahima de l’Afrique orientale, certaines tribus d’Esquimaux, les Toda de l’Inde, enfin et surtout au Tibet (sous la forme de la polyandrie fraternelle). On note tout de suite que ces populations sont extrêmement diverses du point de vue du genre de vie (chasseurs, pasteurs et agriculteurs). Ce qui fait non seulement que la polyandrie est rare, mais encore qu’on ne trouve pas une explication générale qui puisse en rendre compte. Il faut examiner les cas connus l’un après l’autre.

L’infanticide des filles chez les Toda

Et d’abord les Toda, parce qu’on a déjà rencontré cette population à propos du mariage par groupes. En effet, le mariage chez les Toda a varié au cours des temps. Les Toda ont été d’abord polyandres, c’est-à-dire que, lorsqu’un homme se mariait, sa femme devenait automatiquement l’épouse de ses frères et que tous vivaient, en général, dans la même habitation; les enfants étaient ceux de l’aîné des époux, tout au moins jusqu’au moment où un autre mari célébrait la cérémonie de l’arc et de la flèche sur la femme enceinte; alors les enfants à naître lui appartenaient jusqu’à ce qu’un troisième mari, par ordre d’âge, célébrât le rituel. Ainsi, la qualité de père était déterminée sociologiquement; c’était la cérémonie de l’arc et de la flèche qui établissait la paternité légale. Or, à l’époque où les Toda étaient polyandres, ils pratiquaient l’infanticide des filles, et par conséquent, dans ce cas particulier, on peut lier la polyandrie à l’infanticide des filles. Mais pourquoi tuait-on les filles? Il est probable que le pays ne fournissait pas les ressources nécessaires pour qu’une population nombreuse puisse y prospérer; or, comme la croissance de la population se fait par les femmes, les Toda n’ont trouvé d’autre solution pour restreindre la croissance démographique que l’assassinat des enfants du sexe féminin. Cependant, les Anglais ayant interdit l’infanticide des filles, les rapports entre les sexes se sont peu à peu rapprochés de la normalité. Ainsi, H. W. R. Rivers a pu montrer que, à partir de 1870 et jusque vers 1900, pour trois générations successives, le nombre des hommes pour 100 femmes était tombé dans un groupe de 159,7 à 129,2 et dans un autre de 259 à 171. Les Toda ont réagi à la situation nouvelle qui leur était imposée non pas en abandonnant la polyandrie, mais en la complétant par la polygynie: «Là où autrefois trois frères se partageaient une épouse, ils en ont maintenant deux et s’adaptent ainsi au nombre croissant des femmes» (Lowie). On est ainsi passé de la polyandrie au mariage par groupes, que nous avons défini comme un mixte de polyandrie et de polygynie. Et nous trouvons dans cette évolution une nouvelle preuve de l’erreur de la théorie évolutionniste de Morgan; loin que le mariage par groupe ait constitué un moment obligatoire archaïque de l’évolution du mariage, il peut être au contraire une formation sociale relativement récente.

Mode de vie entre frères

La polyandrie des Esquimaux est, comme celle des Toda, liée causalement à l’infanticide des filles et cet infanticide à son tour, encore plus sûrement que chez les Toda, aux difficultés économiques de vivre dans des régions polaires où les ressources sont maigres. Mais les Bahima ou les Tibétains polyandres ne pratiquent pas l’infanticide des filles et il faut alors trouver d’autres raisons. Distinguons d’abord les Bahima des Tibétains. La polyandrie chez les premiers est circonstancielle alors qu’elle est permanente chez les seconds. Chez les Bahima en effet, lorsqu’un homme est trop pauvre pour se marier, il reçoit le droit d’avoir des rapports sexuels avec les femmes de ses frères, mais cela seulement jusqu’à la naissance d’un enfant, qui clôt pour lui le cycle de la polyandrie. Chez les Tibétains, une même femme, quand elle épouse un homme, se trouve en même temps la femme de tous ses frères; d’après les auteurs qui ont cherché les raisons de cette coutume, ce serait le désir d’éviter le morcellement de la propriété de la terre entre les familles monogames des frères, après la mort du père, qui aurait poussé les Tibétains à cette polyandrie fraternelle. En effet, au cours du temps, certaines de ces propriétés étaient devenues si petites qu’elles ne permettaient pas à un groupe conjugal de pouvoir vivre sur elles; il fallait donc lutter contre ce mouvement de fragmentation aboutissant à des micropropriétés et il n’y avait pour cela que deux solutions possibles: ou bien l’un des fils abandonnait la propriété pour entrer dans les ordres religieux, ou bien les frères vivaient ensemble avec la femme de l’un d’eux. Et la preuve que, dans le cas tibétain, la polyandrie serait bien d’origine économique, c’est qu’on la trouve surtout dans les classes inférieures de la société; les Tibétains riches sont monogames ou même parfois pratiquent la polygynie.

À la liste donnée plus haut des peuples polyandres, R. Thurnwald ajoute les Guilyaco du nord de la Sibérie et les populations préceltiques de l’Irlande, R. Linton, certaines ethnies de la région des lacs africains et des îles Marquises. Chez les Guilyaco, il ne semble pas qu’il s’agisse d’une véritable polyandrie; certes, tous ceux qui sont dans une certaine relation de parenté, la relation pu , peuvent avoir des relations sexuelles licites avec une personne déterminée par l’ordre matrimonial; et ce sont bien en général les frères du mari, tout au moins les pu qui demeurent dans le même village. Mais ils ne peuvent exercer ce droit sexuel qu’en l’absence du mari. Il s’agit donc moins d’un mariage polyandrique que d’un mariage accessoire. Le cas de l’Irlande préceltique est plus délicat; en tout cas, on sait que, lorsque les Celtes ont été christianisés, ils ont appelé le mariage monogamique qu’on leur a imposé privatus (privé), par opposition au mariage breton de leurs ancêtres, que certaines descriptions suggèrent bien de nature polyandrique. Les populations du cercle des lacs en Afrique ne nous retiendront pas longtemps; si l’on excepte les pasteurs Hima où les frères semblent bien avoir une femme en commun, dans l’Ankolé il s’agit d’une fausse polyandrie, dans les familles pauvres où l’aîné cède pour un temps sa femme aux cadets incapables de se marier ou bien à des camarades de clan afin de cimenter leur solidarité.

Le mari principal, maître des autres (îles Marquises)

Quant au cas des îles Marquises, nous l’avons rattaché plus haut au mariage par groupe; cependant, la polyandrie y domine bien la polygynie; si, dans la maison des chefs, il y a bien onze ou douze hommes pour trois ou quatre femmes, dans les maisons ordinaires, il y a deux ou trois hommes pour une seule femme. Le chef contractait souvent un mariage avec une femme qui avait plusieurs amants, car les hommes suivaient les femmes, et ainsi les amants devenaient les serviteurs, du mari principal; quand les maris étaient trop nombreux, ils vivaient dans des maisons séparées; quand ils étaient peu nombreux, ils vivaient ensemble, le deuxième mari avait alors un statut plus élevé que le troisième ou, éventuellement, le quatrième, il prenait en charge la direction du «ménage» quand le premier mari s’absentait, et il avait des droits préférentiels sur l’épouse. Ce qui définit cette polyandrie, ici préférentielle plus qu’institutionnalisée, puisque la polygynie existe aussi, c’est que l’infanticide des filles n’y est pas noté et que, cependant, la proportion des hommes est de deux et demi pour une femme; le facteur essentiel est donc démographique comme dans les ethnies où se pratique l’infanticide; c’est en second lieu que la polyandrie n’y est pas fraternelle: les frères vont se marier dans des maisons différentes; c’est enfin qu’au facteur démographique il faut ajouter un facteur politique: les chefs cherchent à épouser une femme qui par sa beauté attirera beaucoup d’hommes qui deviendront ses clients ou serviteurs.

La femme et les rivalités masculines

La situation de la femme n’est pas inférieure dans les familles polyandriques. Chez les Tibétains, c’est elle qui est chargée des finances de la famille et elle sait jouer suffisamment bien des rivalités masculines pour dominer ses maris. Quant aux îles Marquises, nous renvoyons à A. Kardiner qui a analysé avec beaucoup de soin le rôle frustrateur de la femme dans une société d’hommes: «Le rôle de la femme en tant que mère, comme plus tard en tant qu’objet sexuel, est un rôle frustrateur, dû à la proportion numérique des hommes par rapport aux femmes et au fait que ces dernières sont exclusivement vouées au perfectionnement de leurs techniques sexuelles au détriment de leurs relations affectives avec leurs enfants [...]. Dans l’acte sexuel, l’initiative et l’agressivité reviennent à la femme. Puisque l’union charnelle dépend de son bon plaisir et exige l’autorisation du mari principal, tous les maris doivent avoir l’impression qu’ils peuvent être exploités par elle [...]. Les femmes peuvent donc, en raison de leur petit nombre, exercer leur tyrannie sur les hommes.»

5. La polygynie sororale

On commencera l’étude des diverses formes de polygynie par la polygynie sororale, d’abord parce quelle constitue le symétrique de la polyandrie fraternelle du Tibet, puis parce qu’elle est prise, dans l’œuvre de M. Granet, à un schéma évolutionniste qui nous fait relier cette forme de polygynie au mariage par groupes.

Coutume féodale de la Chine classique

Partant de la coutume moderne du sororat qui veut qu’à la mort de l’aînée la cadette est appelée à épouser son beau-frère, Granet montre que ce sororat est ce qui persiste d’une coutume féodale, la polygynie sororale, qui voulait que l’homme s’unît en mariage avec deux ou plusieurs sœurs. Les auteurs chinois soutenaient que cette obligation avait pour but d’éviter les querelles de gynécée, car seules des femmes unies par des liens de parenté ne pouvaient être divisées par la jalousie; le noble certes pouvait acheter des concubines, mais il ne devait se marier qu’une fois et avec une seule famille, afin de permettre la stabilité des groupes de familles seigneuriales qui sont le fondement de toute politique féodale. Le noble recevait donc d’une unique famille le lot de femmes nécessaires pour qu’il puisse fournir une servante à ses ancêtres, dans le culte où la femme était prêtresse à côté de son mari. Toutefois une hiérarchie existait; l’aînée était l’épouse principale, elle mangeait avec son mari, elle avait droit à une nuit complète d’amour, elle présidait au culte ancestral; la cadette ne mangeait pas avec son seigneur, elle ne restait pas toute la nuit auprès de lui, elle aidait l’aînée dans le culte ancestral; mais, si l’aînée mourait, la cadette acquérait aussitôt toutes ces prérogatives. La cadette, non les cadettes car toute une métaphysique des chiffres présidait au mariage plural, et le noble ordinaire n’avait droit qu’à deux épouses, alors que le grand officier avait droit à trois, le seigneur à neuf, le roi de neuf à douze; surtout, ni un seigneur ni un roi ne pouvaient prendre, quel que fût leur prestige, plus de deux sœurs dans la même famille; on complétait ce nombre en y adjoignant une ou plusieurs nièces.

Alliance à une seule famille ou mariage de groupe

C’est justement parce que la polygynie féodale chinoise n’est pas totalement sororale, puisqu’elle s’étend aux nièces, et que cette polygynie a évolué au cours du temps, que Granet suppose que ce système matrimonial qui, dans l’institution polygynique, engageait d’un seul coup un groupe de femmes et, primitivement, seulement un groupe de sœurs devait à l’origine engager d’un seul coup un groupe de frères: «Laissés à eux-mêmes, les époux prétendus eussent été incapables de réussir leur rapprochement matrimonial; il fallait, à l’un et à l’autre, pour y arriver, la collaboration d’un suivant et d’une suivante [...], le suivant du mari aidait la femme, la suivante aidait le mari à opérer les lustrations préparatoires, la première disposait la natte où le mari s’asseyait [...], l’autre étendait celle de la femme [...]. Dans une société où la séparation des sexes est un principe fondamental, l’intimité particulière des rapports établis par ces pratiques entre des personnes de sexe différent ne peut se comprendre que s’il doit exister entre elles des rapports maritaux; et, en effet, c’est grâce à ces pratiques que la suivante de la femme est rapprochée du mari et devient une épouse secondaire; les mêmes pratiques ne donnaient-elles pas au suivant du mari des droits secondaires sur l’épouse [...]. Ensemble de rites incompréhensibles s’ils ne se rapportent point à un mariage de groupe, si le suivant et la suivante ne sont point unis d’un lien principal analogue au lien matrimonial que la communion directe crée entre les époux.» L’hypothèse est ingénieuse, mais elle n’est qu’une hypothèse. La polygynie sororale existe ailleurs qu’en Chine, particulièrement en Afrique et en Amérique du Nord. On la justifie également en disant que, mariées à un seul homme, des sœurs sont moins susceptibles de se quereller que d’autres femmes. Mais elle est pratiquée par des tribus qui ne sont pas toutes féodales, tandis que des régimes féodaux s’appuient au contraire sur la polygynie étendue au plus grand nombre possible de lignages en vue de contrôler l’ensemble des familles étendues plus sûrement. La polygynie sororale doit donc être située, comme un cas particulier, dans l’ensemble des types possibles de polygamie entre la polygynie fermée (sur une seule famille: sororat) et la polygynie ouverte (multiplication des alliances entre familles, d’où l’interdiction alors du sororat).

6. La polygynie

La polygynie du chef, gage de la sécurité individuelle

On doit donc distinguer plusieurs types de polygynie. Nous appellerons la première archaïque. Elle a été étudiée par Lévi-Strauss chez les Nambikwara du Brésil où existe la polygamie des chefs (et des sorciers) en opposition à la monogamie des sujets. «Le groupe, dit-il, a échangé les éléments d’une sécurité individuelle qui s’attachaient à la règle monogame contre une sécurité collective qui découle de l’organisation politique.» Le chef Nambikwara, en effet, a de lourdes responsabilités, car c’est lui qui doit programmer l’itinéraire d’une population nomade afin d’assurer sa subsistance, qui négocie ou organise la lutte avec d’autres tribus, qui doit enfin constituer des réserves. Ses sujets, en compensation, lui permettent la polygamie, mais les femmes secondaires qui lui sont données sont des compagnes plus que des épouses, elles ne cuisinent ni ne s’occupent du ménage, elles l’assistent dans ses expéditions, dans ses travaux agricoles ou artisanaux, car sans elles, il ne pourrait faire face à ses responsabilités. La polygamie du chef peut donc être définie comme «la superposition d’une forme pluraliste de camaraderie amoureuse à un mariage monogame» et l’existence, dans une même population, de sujets monogames et d’un chef polygame comme la rencontre de deux systèmes de prestations et contre-prestations complémentaires, celui qui lie entre eux les membres individuels du groupe (le mariage monogame) et celui qui lie entre eux l’ensemble du groupe et son chef (sécurité des individus assurée par la polygamie du chef).

Conséquence de la stratification sociale

Une autre forme de polygynie archaïque est celle que R. Thurnwald appelle «gérontocratique» et que l’on trouve dans certaines régions d’Australie et en Mélanésie. Les plus vieux s’approprient plusieurs femmes, ce qui fait que beaucoup de jeunes sont obligés d’attendre de longues années avant de se marier ou vivent avec des femmes plus vieilles qu’eux, reçues en héritage de leurs frères décédées par lévirat. A. P. Elkin explique cette polygamie gérontocratique par le fait que, pour les vieux, une seconde épouse plus jeune, fournit à l’homme âgé et à sa vieille compagne la possibilité de se pourvoir en vivres et ainsi de subsister. Chez les Dieri, d’après A. W. Howitt, les anciens non seulement sont polygames, mais encore contrôlent toute la vie prénuptiale et matrimoniale des plus jeunes; les vieux peuvent en effet céder une de leurs pirrauru à des jeunes qui deviennent ainsi leurs obligés et clients. Dans quelques tribus de l’Australie centrale et du Queensland, les vieillards disposent même d’une espèce de droit de jus primae noctis sur les jeunes filles pubères au moment de leur initiation. Comme on le voit par ces deux cas, la polygynie apparaît en même temps que la stratification sociale; elle est signe du passage des sociétés égalitaires aux sociétés fondées sur l’inégalité, politique ou sociale, où les alliances matrimoniales ne se font plus entre égaux, mais entre des groupes hiérarchisés. La polygynie peut être ainsi un facteur de puissance politique, le chef devenant le beau-frère de tous les lignages en s’alliant avec le plus grand nombre possible de groupes familiaux. Elle est successive d’ailleurs autant que simultanée (ainsi, aux îles Samoa, le fils aîné du chef se marie successivement avec tous les lignages qui sont subordonnés à l’autorité de son père, chacun annulant le précédent, mais en maintenant l’alliance).

Un signe de richesse, parfois de puissance

Le deuxième type de polygynie est celui des sociétés patrilinéaires ou patriarcales ; certes, ici encore, ce sont généralement les plus vieux qui ont plusieurs femmes, mais parce qu’ils sont les plus riches; et si, comme il arrive aujourd’hui avec les mutations profondes qui secouent le continent noir depuis la colonisation et l’indépendance, les plus jeunes arrivent à s’enrichir, ils se hâtent de prendre plusieurs épouses – symbole de prestige social –, alors que les plus vieux, plus ou moins ruinés, resteront monogames. Ce nouveau type de polygynie apparaît avec ce que les africanistes appellent le lobola et qui est constitué par une série de biens (troupeaux, lances, monnaies...) échangés contre la femme. Ce sont donc les possesseurs de ces biens, c’est-à-dire, dans des sociétés où la propriété est familiale et où l’autorité appartient à l’aîné du lignage, les aînés, qui sont les détenteurs de biens; il est vrai que lorsque ces aînés reçoivent un lobola en mariant une de leurs filles, ce lobola doit être remis dans le circuit, en achetant une femme pour le frère de la sœur mariée; mais les chefs de lignage, lorsqu’ils disposent de ressources suffisantes, peuvent également utiliser ces biens pour prendre plusieurs épouses. Comme il s’agit de populations agricoles, où les femmes travaillent les champs, la polygynie, en même temps qu’elle est signe de richesse et donc de statut social élevé, est aussi instrument d’enrichissement. La preuve en est que, chez les Pahouin, l’aire moyenne des terres cultivées par les monogames est de 230 ares alors qu’elle s’élève pour les polygames de 296 à 719 ares. Linton, cependant, refuse de lier directement la polygynie à l’économie, car, dit-il, elle existe aussi bien là où les femmes travaillent (et où, par conséquent, une nouvelle épouse est source de richesses) que là où l’homme a tout le poids du travail (et où, par conséquent, une nouvelle épouse coûte, puisqu’il faut la nourrir, l’entretenir, lui faire des cadeaux comme contre-prestations du bénéfice sexuel que le mari en retire). Ce que l’on peut tirer d’une pareille affirmation, c’est que seuls les riches dans ce dernier cas, peuvent avoir plusieurs femmes. Et il faut ajouter que si les femmes ne travaillent pas, si elles sont nombreuses, elles donnent de plus nombreux enfants qui, eux, travaillent dans les plantations de leur père et, par conséquent, ici aussi, la polygynie est source d’enrichissement économique. La polygynie est donc toujours liée à l’inégalité économique. Tout ce que l’on peut dire, c’est que là où la femme coûte plus qu’elle n’est source possible de richesses, par exemple chez les Peuls, la polygynie est moins répandue, donc chez les pasteurs moins que chez les sédentaires, bien qu’on ne puisse évaluer exactement le rôle du facteur économique, car la sédentarisation s’accompagne d’une accentuation de l’islamisation dont l’idéal est le quadruple mariage d’un homme.

En Afrique, d’ailleurs, également, la polygynie peut être un moyen de gouvernement, la clientèle prenant alors le pas sur la parentèle; les chefs féodaux réussissent à multiplier, grâce à elle, les alliances avec les principales familles du pays tout comme les rois, en donnant certaines femmes de leurs harems à des chefs locaux, réussissent à les lier à eux, en tant que «donneurs de femmes».

Le statut de la femme d’une société à l’autre

On a beaucoup discuté de la situation de la femme dans les ménages polygyniques. Certains affirment qu’il existe des tensions entre coépouses qui se lancent mutuellement, surtout si leurs enfants meurent, des accusations de sorcellerie. D’autres, que la situation de la femme est bonne dans les sociétés traditionnelles, mais que la polygynie s’accompagne chez les peuples patrilinéaires et patrilocaux d’une dégradation du sort de la femme achetée par le mari. D’autres enfin notent avec plus de raison que la polygynie n’implique pas la domination de l’homme sur les femmes; souvent, au contraire, les femmes forment un bloc uni contre le mari; du point de vue des relations entre les sexes, les sociétés polygyniques sont aussi diverses que les sociétés monogamiques. Chez les Gourmantche, la première épouse a certaines prérogatives et un statut plus élevé que les femmes secondaires, elle répartit les tâches entre les coépouses, elle assiste seule son mari dans ses fonctions rituelles; mais elle n’a pas une autorité absolue sur les autres femmes, et ses enfants ne jouissent pas d’un statut particulier. Chez les Wahenga du Nyassa, chaque épouse a sa propre maison et le mari va manger et passer la nuit successivement dans chacune d’entre elles, afin d’assurer l’égalité de chacune devant lui; mais les fils se distinguent selon l’âge de leur mère; le fils de la première femme doit se marier le premier; le mari doit cultiver le champ de sa femme principale avant celui des autres, et il ne peut faire de cadeau à aucune sans avoir d’abord fait un cadeau de valeur équivalente à sa première épouse. Il arrive, dans certains cas, par exemple au Bénin, que la plus vieille épouse demande elle-même à son mari de prendre une seconde femme qui deviendra en quelque sorte sa servante. Par conséquent, on trouve tout un continuum entre l’égalité des femmes et leur indépendance, et l’inégalité entre épouse principale et épouses secondaires (même sexuellement favorites) et la subordination.

Les «mariages de femmes» du golfe du Bénin

Il existe aussi en Afrique, chez les Yoruba, les Ibo, les Bavenda, les Dinka, au Bénin, un curieux mariage de femmes entre elles, qui peut être soit monogame (une femme qui n’a pas d’enfant se marie légalement avec une autre femme et paie à son père le prix de la fiancée; les enfants qui naissent alors appartiennent non au mari de la femme stérile, mais au «mari femelle»), soit polygame (une femme riche peut épouser plusieurs femmes qui ont des relations sexuelles avec le mari, mais toujours avec la permission de la «femme-mari», et qui travaillent pour celle-ci; on retrouve alors la liaison entre polygynie et source de richesses; ainsi, au Bénin, certaines femmes arrivent à acquérir une propriété personnelle, dont la femme devient «l’ancêtre», et les enfants que ses coépouses lui donneront constitueront le point de départ d’une lignée matrilinéaire en plein pays patrilinéaire). Herskovits souligne pour le Bénin que ces mariages de femmes, qui comme on le voit n’ont rien d’homosexuel, sont bien considérés par certains maris qui y voient la possibilité pour eux d’avoir des femmes supplémentaires (et c’est pourquoi nous insérons cette forme de mariage dans la polygynie) sans avoir à payer le prix de la fiancée et sans avoir la responsabilité des enfants.

Polygynie sérielle des Afro-Américains

La dernière forme de polygynie est celle que l’on trouve chez les Afro-Américains et que M. Freilich a appelé la «polygynie sérielle»; elle est liée à la famille matrifocale. La femme habite seule avec ses enfants et des concubins successifs, mais qui sont toujours considérés comme des étrangers; chacun des deux partenaires sexuels est libre de changer, ou même d’avoir plusieurs partenaires sexuels en même temps; l’homme qui va d’une femme à l’autre cherche un toit et des gratifications sexuelles, la femme l’argent apporté par son mari temporaire et aussi des gratifications sexuelles. Les Afro-Américains ne confondent pas cette polygynie sérielle avec le pur concubinage; les femmes qui changent trop souvent sont pour eux des «putains»; les liaisons dont il s’agit ici sont des liaisons sérieuses, qui durent un certain temps, mais pas éternellement – car le système de la plantation oblige les hommes à migrer d’une terre à une autre – et qui sont réglées par des normes d’échange institutionnalisées: l’activité sexuelle est conçue comme un service rendu à l’homme qui doit en contrepartie des cadeaux de nourriture, de vêtements, d’argent, et doit s’occuper de ses enfants comme de ceux des précédentes unions de sa femme. Mais si la polygynie sérielle est typique des familles matrifocales afro-américaines, elle n’est pas inconnue de l’Afrique où elle se répand au contraire d’autant plus vite que, avec les changements structurels succédant à la décolonisation, le nombre des divorces va sans cesse croissant. Le mouvement varie d’une ethnie à une autre; on peut dire que la polygynie bien structurée et les mariages successifs sont en relation inverse; les Peuls, par exemple, pratiquent une polygynie sérielle alors que les Malinke voisins conservent la polygynie simultanée; celle-ci empêche une trop grande mobilité des femmes chez eux.

L’urbanisation qui se développe dans l’Afrique moderne rend plus difficile la polygynie simultanée, car il est difficile d’avoir plusieurs épouses en même temps dans une grande agglomération, mais suscite par contre une polygynie sérielle, par l’augmentation des contacts et des rencontres sexuelles.

Influence de la religion et de l’urbanisation

La grande ville, pourtant, si elle freine la polygynie, ne la détruit pas encore. Ainsi, si à Dakar la monogamie est dominante chez les chrétiens et les animistes, on compte 227 ménages polygames chez les musulmans contre 593 monogames. Ce qui est intéressant, c’est d’ailleurs la répartition de ces ménages suivant la profession; les démographes de l’agglomération dakaroise ont montré que la polygamie augmentait quand on passait des manœuvres aux ouvriers et des ouvriers subalternes aux employés supérieurs, tandis que, dans l’enseignement, la santé, les professions libérales, la polygamie était abandonnée. Il y a donc l’ancien facteur qui joue, celui de la richesse, le nombre d’épouses étant signe de statut social élevé, ce qu’on appellerait la «maintenance des valeurs traditionnelles». Mais un nouveau facteur apparaît, dans les groupes occidentalisés, un nouveau monde de valeurs se fait jour, privilégiant la monogamie. Cependant, ne croyons pas que, malgré les efforts des missionnaires chrétiens qui ont voulu imposer le mariage monogame chez les nouveaux convertis, ou les efforts des hommes politiques responsables des États nés de la décolonisation, qui veulent «occidentaliser» leurs pays, la polygamie ne reste pas l’idéal des masses. On sait que beaucoup d’Églises noires se sont constituées qui ont rompu avec les Églises missionnaires justement à propos de la polygamie, Églises chrétiennes sans doute, mais acceptant le mariage plural, dont elles trouvaient l’existence dans l’Ancien Testament, preuve de la possibilité d’être chrétiens et polygames en même temps. Là où il existe seulement des Églises noires orthodoxes, la polygamie persiste malgré tout. À Porto Novo, par exemple, si la polygynie domine chez les musulmans, bien qu’un tiers des musulmans restent monogames, on trouve un quart de chrétiens polygames. Surtout, la polygynie y prend une forme clandestine: des chrétiens apparaissent monogames, qui ont des liaisons permanentes avec d’autres femmes, continuent à résider à tour de rôle chez elles, et reconnaissent leurs enfants. Les idéologies sont donc moins fortes que les facteurs économiques, bien qu’elles aient un rôle. Que les Africains le désirent ou non, la tendance est cependant à la monogamie (ou à la polygynie sérielle que l’Occident connaît également avec l’augmentation des divorces), car si la femme est source de richesses en milieu rural, elle est une charge en milieu urbain, et l’homme, dans les cités naissantes, peut se procurer plus facilement des satisfactions sexuelles sans avoir à payer une dot pour se procurer une nouvelle épouse et se charger de son entretien.

7. Lévirat et sororat

On a déjà rencontré deux fois le lévirat et le sororat. D’abord à propos du schéma évolutionniste des types d’alliances matrimoniales; le lévirat, qui oblige la veuve à épouser le frère de son mari défunt, et le sororat, qui oblige un homme à épouser les sœurs cadettes de sa femme, qu’elle soit en vie ou morte, seraient pour Tylor et Frazer des survivances du mariage par groupes (pour J. F. Helennan, le lévirat serait un reste de polyandrie et le sororat la forme première de la polygynie). Ensuite, lorsqu’on s’est posé le problème de savoir comment les jeunes gens pouvaient trouver une femme dans des sociétés où les vieux et les chefs accaparent les épouses, vu que la sex ratio est en général équilibrée et qu’il n’existe pas un surplus de femmes disponibles; le lévirat est une des solutions qui permettent alors à un célibataire d’avoir une femme avant de contracter un autre mariage; Denise Paulme a trouvé chez les Bete de la Côte-d’Ivoire deux maris qui totalisaient quatorze épouses, mais dont cinq étaient les veuves d’un aîné.

Le cadet ou la cadette, substitut de l’aîné

Seulement, il faut bien distinguer, avec A. R. Radcliffe-Brown, un «vrai» et un «faux» lévirat. Le premier, celui qui est décrit dans la Bible (Ruth et Booz), n’a existé que chez les Hébreux et dans l’Inde; il ne se retrouve aujourd’hui que dans quelques populations, comme les Nuer ou les Zoulous en Afrique: lorsqu’un homme meurt et que sa femme n’a pas dépassé l’âge d’enfanter, le frère du mari doit cohabiter avec la veuve afin de lui donner des enfants; dans le vrai lévirat, la veuve reste la femme du mort, le frère n’est que son substitut, et les enfants sont tenus pour les fils du défunt; il s’agit de perpétuer la lignée du mort et le culte des ancêtres lignagers (Genèse, XXXVIII, 9). Dans le faux lévirat, qui est beaucoup plus répandu, il s’agit d’une espèce de mesure de secours mutuel entre frères et d’un moyen d’assurer la survie des veuves, trop vieilles souvent pour travailler; le frère alors hérite bien des femmes de son frère défunt (si elles y consentent), mais, si elles sont encore en âge d’enfanter, il sera le père légitime des enfants qu’elles lui donneront.

De la même façon, il existe un «vrai» et un «faux» sororat. Si une femme est stérile, sa femme doit obligatoirement fournir une sœur au mari, et les enfants qui naîtront alors de cette sœur seront considérés comme les enfants de la première femme. Cette coutume, que l’on trouve par exemple chez les Zoulous, constitue le vrai sororat. Mais on entend généralement par sororat la coutume qui consiste, lorsqu’une femme meurt et que le mari a paru à sa belle-famille un homme travailleur et honnête, à donner au veuf une sœur pour remplacer l’épouse défunte; on estime, dans ce cas, que la sœur peut être pour les enfants déjà nés une bien meilleure marâtre qu’une femme étrangère.

Le lévirat est très répandu; cependant, il a perdu souvent son caractère obligatoire; ainsi, chez les Thonga du sud de l’Afrique, la veuve peut choisir parmi les parents du défunt celui qu’elle devra épouser. Lorsqu’on dispose de données chronologiques sûres, on voit aussi qu’il peut évoluer au cours du temps. Par exemple, chez les Hébreux, tous les fils du frère cadet appartenaient au début au frère aîné décédé; puis seul le premier-né de la nouvelle union appartenait au mort, recevant son nom, afin que ce nom ne disparaisse pas en Israël, et s’il n’y avait pas de frères, le père du défunt devait se marier avec la bru; plus tard encore on restreignit le lévirat, l’héritage allant à la fille, quand il n’y avait pas de garçons; enfin le lévirat fut finalement interdit. Le sororat est également très répandu chez les peuples agriculteurs. Il peut coexister avec le lévirat, comme chez les Hidatsa du nord de Dakota ou chez les Indiens Gralha. Le sororat peut être aussi restreint à une seulement des sœurs. Ainsi, chez les Andaman, chez les Thonga, les relations sexuelles entre un homme et la femme de son frère cadet sont interdites alors qu’il n’y a aucune prohibition pour la femme du frère aîné. Le lévirat peut exister sans sororat; chez les Bariba du Nord-Dahomey, toutes les familles où des parents avaient pris déjà des femmes étaient interdites, et cela en vue d’obliger les polygames à multiplier les alliances avec les familles les plus diverses et mieux cimenter ainsi l’unité de l’ethnie.

Coexistence du lévirat et du sororat

Là où le lévirat et le sororat existent côte à côte, on peut noter des évolutions différentes pour l’une et pour l’autre de ces deux coutumes; chez les Peuls, le lévirat continue à dominer et même à élargir son domaine, alors que le sororat a presque disparu des mœurs actuelles. Ailleurs, c’est le lévirat, au contraire, qui tend à disparaître. Bien souvent, là où il existe, il n’agit plus comme un droit, il est devenu une charge, le beau-frère devant fournir protection et appui à la veuve et à ses enfants plus que l’épouser à proprement parler (Tchouktche, Gourndich-Nara). En Amérique du Nord, il semble même que le lévirat soit interdit chez les Pueblo du Sud-Ouest.

Tous ces faits montrent, contre la thèse évolutionniste critiquée au début de cet article, que le lévirat et le sororat sont des institutions qui ne peuvent être comprises que replacées dans le contexte des sociétés globales dans lesquelles on les trouve et dont la signification, la fonction, ou l’évolution ne s’expliquent que par les circonstances concomitantes. Ainsi, Lowie explique bon nombre de cas de lévirat par l’achat de la femme, qui en fait un bien transmissible par héritage; c’est ainsi que, chez les Kai, si un autre homme veut épouser la veuve, il doit une compensation pécuniaire au frère restant, ou encore que chez les Shasta de Californie les parents d’un individu s’unissent pour payer le prix de la fiancée, et acquièrent ainsi un droit secondaire sur la femme. D’autres cas s’expliqueraient par le caractère collectif que prend le mariage chez les «primitifs» comme alliance non pas entre des individus, mais entre les lignages, ce qui fait que, lorsqu’un des conjoints meurt, le défunt doit être automatiquement remplacé par un membre du groupe auquel le mort appartenait. Enfin, et cela vaut surtout pour l’Afrique, le lévirat permet, comme on l’a signalé, aux cadets privés d’épouses de trouver une femme, tandis que le sororat permet, lorsque l’épouse est stérile, à la famille de cette dernière de maintenir l’alliance contractée avec le groupe de son mari.

8. Les idéologies de la polygynie

L’Occident réprouve la polygamie (bien qu’il connaisse, avec l’augmentation du nombre de divorces et des remariages, une forme de polygamie sérielle). Cependant, la polygamie résiste aux critiques comme aux efforts qui ont été faits pour la rayer des droits coutumiers. On peut se demander pourquoi.

Continuité du lignage

La première raison, qui ne paraît pas la moins forte, c’est la nécessité d’avoir des enfants qui continuent le lignage et le culte des ancêtres. Si une femme est stérile (car, dans l’idéologie des peuples cités, la stérilité est toujours considérée comme féminine, non comme masculine), on épousera donc une seconde femme. D’une façon générale, la pluralité des femmes est la plus sûre garantie, pour le pasteur comme pour l’agriculteur, d’avoir une postérité mâle, et cela est surtout important pour les familles patriarcales où tout l’avenir de la famille repose sur l’aîné. On sait aussi que le sevrage est, dans les populations archaïques, généralement tardif et que l’enfant continue à prendre le sein de sa mère durant dix-huit mois, deux ans, parfois plus; or, pendant tout ce temps, les relations sexuelles sont interdites entre la mère et le père, car «elles gâteraient le lait». Ce qui fait que la polygynie permet une meilleure santé de la femme qui peut espacer la naissance de ses fils de deux en deux ans au minimum sans que le mari, désireux de prouver sa virilité par une nombreuse progéniture, ait à souffrir de cet interdit. D’ailleurs, l’urbanisation agit sur ces deux phénomènes en même temps: tandis que la polygynie tend à disparaître ou tout au moins à se restreindre, la durée de l’allaitement diminue et les rapports sexuels apparaissent même avant le sevrage.

Source de richesse en économie rurale

La seconde raison, à laquelle il a été fait allusion déjà, c’est que, pour les sociétés paysannes où la femme travaille la terre et où, même si elle ne travaille pas, elle donne à son mari des fils qui cultiveront, dès leur plus jeune âge, la propriété familiale, la polygynie est une source d’augmentation des revenus. Certes, D. Paulme soutient que ce calcul est finalement un leurre, car le mariage entraîne de multiples charges; le prix de la fiancée est allé sans cesse en augmentant pour atteindre souvent de nos jours, malgré les lois, des taux exorbitants, et de plus, là où les femmes sont chargées des cultures alimentaires (et non des cultures commerciales), elles gardent pour elles l’argent acquis en vendant les surplus que leur donnent leurs champs sur les marchés locaux. Cependant, la polygynie se maintient davantage dans les zones rurales que dans les zones urbaines, car, sinon par elles, du moins par le plus grand nombre d’enfants qu’elle permet, elle rend possible un «surplus» de richesses que le chef polygame peut redistribuer dans sa clientèle et, ainsi, la polygynie devient, en second lieu, et par voie de conséquence, un symbole de prestige. Dans les villes, au contraire, la polygynie coûte davantage qu’elle ne rapporte; par conséquent, elle n’est plus source que de prestige social, par maintenance dans un autre secteur, progressiste, des valeurs archaïques rurales.

Symbole des alliances politiques

Enfin, à plusieurs reprises, on a noté dans les sociétés à chefferies, féodales ou royales, que la polygynie avait une fonction politique, au point que la force d’une chefferie dépend – là où il y a concurrence entre les seigneurs pour le pouvoir – du nombre des alliances avec d’autres lignages et que, dans les royautés où l’obligation existe pour le roi de prendre une femme dans chacun des lignages princiers, la polygynie devient le langage à travers lequel s’exprime l’unité de l’État. Ainsi la polygynie, tout comme l’échange généralisé de Lévi-Strauss, est-elle un facteur d’ouverture, permettant à la société restreinte de sortir de ses frontières pour contracter alliance avec d’autres lignées, d’autres clans, et à la limite d’autres peuples, élargissant sans cesse ainsi le champ des rencontres et cimentant de plus larges solidarités.

polygamie [ pɔligami ] n. f.
• 1558; lat. polygamia, du gr.
1Situation d'une personne polygame (aussi bigamie, polyandrie); organisation sociale reconnaissant les unions légitimes multiples et simultanées. En France, la polygamie est punie par le Code pénal.
2(fin XVIIIe) Bot. Vieilli Caractère d'une plante polygame.
⊗ CONTR. Monogamie.

polygamie nom féminin (bas latin polygamia, du grec polugamos, polygame) Situation d'une personne polygame. Système social admettant légalement le mariage d'un homme avec plusieurs femmes (polygynie) ou d'une femme avec plusieurs hommes (polyandrie). Caractère des plantes polygames. ● polygamie (synonymes) nom féminin (bas latin polygamia, du grec polugamos, polygame) Situation d'une personne polygame.
Contraires :
- monogamie

polygamie
n. f.
d1./d état d'une personne polygame.
Cour. Polygynie.
d2./d BOT Qualité d'une plante polygame.

⇒POLYGAMIE, subst. fém.
A.— Forme de régime matrimonial qui permet à un époux d'avoir simultanément plusieurs femmes (polygynie) ou, plus rarement, à une épouse d'avoir simultanément plusieurs maris (polyandrie). Anton. monogamie. [Chez les Indiens de la côte du Pacifique] la polygamie était relativement rare, mais elle était permise aux hommes de haut rang (PAGE, Dern. peuples primit., 1941, p. 114). La polygamie africaine se continue, chez les descendants d'esclaves, sous la forme de la multiplicité des amantes, chacune vivant dans un quartier différent (Traité sociol., 1968, p. 329) :
Si beaucoup de jeunes gens sont tués à la guerre (...), les femmes en âge d'être mariées prédomineront. Si (...) les difficultés de l'existence ou des motifs superstitieux poussent les indigènes à tuer un certain pourcentage de nouveau-nés du sexe féminin, le nombre des jeunes hommes nubiles dépassera celui des jeunes filles. Dans les deux cas, la polygamie deviendra possible. Si les hommes adultes sont en minorité, il y aurait polygynie (...); la situation inverse conduit à la polyandrie...
LOWIE, Anthropol. cult., trad. par E. Métraux, 1936, p. 267.
B.— ZOOL. Type de société animale dans laquelle un mâle s'accouple à plusieurs femelles. Anton. monogamie. Il existe 2 formes de sociétés polygames. Un premier type où (...) les mâles et les femelles vivent en troupeaux séparés (...). Ces troupeaux se mélangent pendant la période sexuelle et le mâle victorieux (...) s'octroie alors toutes les femelles (...). Un second type représente une polygamie plus permanente (Animaux 1981).
Prononc. et Orth. :[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1558 « état d'un homme qui se marie avec plusieurs femmes » (F. ALVAREZ, Historiale description de l'Ethiopie, p. 75 ds FEW t. 9, p. 137); 2. 1689-91 « état d'un homme qui a eu successivement plusieurs femmes » (BOSSUET, Quatrième avertissement aux Protestans, p. 268, chap. IX); 3. a) 1749 bot. (Th.-Fr. DALIBARD, Florae parisiensis prodromus, p. LI); b) 1845-46 zool. (BESCH., citant Virey). Empr. au lat. chrét. polygamia, et celui-ci au gr. , dér. au moyen du suff. - (-ie) de (polygame). Au sens 3 a, empr. au lat. sc. polygamia (1735, LINNÉ, Systema naturae [non paginé]). Fréq. abs. littér. :53.
DÉR. Polygamique, adj. [Corresp. à supra A] Relatif à la polygamie; qui est fondé sur la polygamie. Alliance, société polygamique. Situations domestiques si variées dans lesquelles (...) famille polygamique ou monogamique, avec ou sans divorce (Arts et litt., 1935, p. 64-11). []. 1res attest. a) 1778 bot. (LAMARCK, Flore fr., I, discours préliminaire, XLIV ds Fonds BARBIER); b) 1832 sociol. (RAYMOND); de polygamie, suff. -ique.

polygamie [pɔligami] n. f.
ÉTYM. 1558; lat. polygamia, mot grec. → -game, -gamie.
1 Situation d'une personne polygame ( aussi Androgamie, bigamie, polyandrie); organisation sociale reconnaissant les unions légitimes multiples et simultanées, en général, d'un homme avec plusieurs femmes ( Mariage; famille). || Patriarcat et polygamie. REM. Dans la langue classique, on désignait aussi par polygamie (polygamie indirecte, cf. Bossuet, in Littré) les unions légitimes successives (→ Divorce, remariage); → encore cit. Bonald, ci-dessous (et aussi Monogamie, cit. Bourget). — Les mormons, les musulmans, pratiquent encore la polygamie. || En France, la polygamie est punie par le Code pénal (art. 340).
1 Quoique dans les pays où la polygamie est une fois établie le grand nombre des femmes dépende beaucoup des richesses du mari, cependant on ne peut pas dire que ce soient les richesses qui fassent établir dans un État la polygamie : la pauvreté peut faire le même effet (…)
Montesquieu, l'Esprit des lois, XVI, III.
2 La polygamie, ou plusieurs mariages successifs, est non une famille, mais plusieurs familles (…) Nous traiterons des effets de la polygamie en parlant du divorce, qui est une polygamie actuelle ou éventuelle, puisqu'elle permet à l'homme d'avoir une ou plusieurs femmes du vivant des premières.
de Bonald, Démonstration philosophique…, in Bouglé et Raffault, Éléments de sociologie, p. 82.
3 Au début de son règne Talou VII avait épousé une jeune Ponukéléienne idéalement belle, nommée Rul.
Très amoureux, l'empereur refusait de choisir d'autres compagnes, malgré les usages du pays, où la polygamie était en honneur.
Raymond Roussel, Impressions d'Afrique, p. 244.
2 (Fin XVIIIe). Bot. Caractère d'une plante polygame.Vx. Chez Linné, Classe des plantes polygames.
CONTR. Monogamie.
DÉR. Polygamique.

Encyclopédie Universelle. 2012.