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INFLATION
INFLATION

Phénomène économique majeur de la période ouverte par la Seconde Guerre mondiale, multiforme par l’échelle (inflation rampante, hyperinflation), la durée (inflation courte, inflation longue) ou le lieu (pays industrialisés, pays en développement) de ses manifestations, l’inflation est au carrefour des politiques gouvernementales et de la réflexion économique.

Les premières continuent généralement de voir en elle un mal redoutable, malgré l’atténuation du phénomène au cours des années 1980 dans les pays de l’O.C.D.E., puis son abaissement dans l’échelle des préoccupations avec le rebond de la crise au début de la décennie de 1990. La seconde n’a pas dissipé toute la confusion qui entoure une notion envisagée, selon les cas, en termes de symptômes, de fonctions ou de causes.

Par la diversité même de leurs approches respectives, les trois analyses qui suivent portent sur le sujet une lumière utile. Les deux premières, écrites l’une en 1970, l’autre vers 1980, rappellent que l’inflation appartient aujourd’hui autant à l’histoire de l’analyse économique qu’à celle des dernières décennies. La troisième examine la pertinence des explications théoriques attachées au processus de l’inflation.

1. Analyse traditionnelle

Le phénomène d’inflation présente un certain nombre de paradoxes dont le moindre n’est pas la prise de conscience récente (à l’échelle de l’histoire) d’une manifestation économique fort ancienne, la dépréciation de la valeur de la monnaie. C’est seulement, en effet, à partir du milieu du XXe siècle que le monde occidental a découvert qu’il venait d’entrer dans l’«âge de l’inflation» et que celle-ci constituait le danger le plus grave que pouvait connaître la vie économique. Auparavant, la menace provenait surtout des crises de surproduction, du chômage et de la déflation que les économistes étudiaient dans leurs théories du cycle économique de préférence à ces inflations qui n’apparaissaient que lors des guerres comme des phénomènes accidentels non liés à la vie économique normale. D’ailleurs, ils en possédaient depuis longtemps une interprétation simple et claire qui ne leur semblait pas devoir être remise en question. Aussi, vers la fin des années 1940, lorsque la reconstruction des économies occidentales fut pratiquement achevée, gouvernants et économistes craignaient davantage la survenue d’une «grande crise» comparable à celle de 1929 que la continuation de l’inflation qui avait régné depuis 1940.

Pourtant l’inflation persista, et l’on ne sait ce qui est le plus surprenant de l’extraordinaire état d’impréparation psychologique et théorique qui caractérise cette époque ou de l’énorme transformation qui s’est opérée en une décennie dans les esprits et dans la pensée économique à l’égard du phénomène d’inflation. On admet maintenant que celui-ci caractérise des économies de paix et non pas seulement de guerre, et qu’il n’apparaît pas uniquement dans les économies de marché capitalistes des pays à développement avancé mais aussi dans les économies planifiées socialistes et dans celles des pays en voie de développement. L’inflation n’est pas seulement limitée à de brèves périodes où les indicateurs monétaires semblent déréglés, mais est installée en permanence dans toutes les économies puisque la valeur de l’unité monétaire est amputée annuellement de 2 à 4 p. 100 pour les pays les moins atteints (sur une période de dix ans) et de 30 à 60 p. 100 pour des pays comme le Brésil et l’Indonésie. La déflation, qui en était le phénomène symétrique dans la conception initiale, ne l’est plus dans la conception moderne et disparaît pratiquement du vocabulaire et des faits, absorbée dans le concept de récession qui exprime une moindre tendance à l’expansion du produit national et à la hausse du niveau général des prix. Sans cesser pour autant de la combattre, les gouvernements se préoccupent bien plus de modérer un processus que sécrètent inévitablement les économies modernes que de l’enrayer définitivement, car il est, sous sa forme la plus atténuée, indissociable du progrès économique. Malheureusement, ces constatations ne sont pas généralement admises, et l’inflation est présentée comme un «fléau», une «drogue», un «cancer». Pourtant, au-delà des analogies qui ne sauraient jamais prétendre fournir des démonstrations scientifiques, l’inflation reste un processus de régulation économique par la dépréciation monétaire; comme telle, elle ne relève pas du jugement de valeur et n’a donc pas à être appréciée d’un point de vue normatif. Il ne peut en être ainsi que si l’inflation cesse d’être considérée comme le phénomène qu’elle était jusqu’en 1914.

Les causes et la fonction

Si le terme d’inflation vient du latin inflare , qui signifie enfler, et se trouve chez Cicéron et Pline, c’est aux États-Unis, lors de la guerre de Sécession, qu’il fut employé pour la première fois pour désigner l’émission exagérée de dollars à dos verts (greenbacks ). Le phénomène est encore de nos jours défini de la sorte par les profanes. En réalité, les modifications intervenues depuis un siècle dans les conditions économiques générales et dans les sytèmes monétaires interdisent de se rallier à cette conception comme à celle qui lui a succédé à partir de 1940.

L’enflure de la masse monétaire

Selon la conception initiale et conformément à l’étymologie, l’inflation a d’abord été considérée comme l’enflure de la masse monétaire, principalement des billets en circulation. Il y avait inflation quand la Banque centrale (l’Institut d’émission comme on l’appelait alors) émettait trop de billets. La conséquence en était une hausse du niveau général des prix et une diminution du stock d’or. Cette enflure des billets en circulation provenait donc d’une décision et d’une politique des autorités monétaires qui acceptaient de créer des moyens de paiement en trop grande quantité. Certains auteurs étudiant les cycles économiques firent bien remarquer, dès le XIXe siècle, que, durant la phase de prospérité ou d’expansion, les banques étaient incitées à offrir largement leurs crédits aux investisseurs, trop largement même, étant donné leurs réserves d’or. Mais comme le «renchérissement» des produits pendant une période était le plus souvent compensé par leur baisse dans la période suivante selon un rythme qui paraissait inéluctable, les banques se trouvaient lavées de tout soupçon inflationniste. Il n’en était pas de même du Trésor public qui devait recourir aux avances de la Banque centrale, donc à la création de monnaie, pour financer le déficit du budget. Dans la mesure où ce recours atteignit de fortes proportions pendant la guerre de 1914-1918, puis dans les années 1920, l’habitude fut prise d’imputer l’inflation à la mauvaise politique financière de l’État en temps de paix, celle du temps de guerre étant évidemment excusable. Sur le marché des changes, l’inflation se traduisait par une baisse de la valeur de la monnaie nationale par rapport aux monnaies étrangères et, à terme, par une dévaluation, sanction internationale de la dépréciation de la valeur interne de la monnaie.

Une telle conception, que l’on rencontre encore de nos jours, ne saurait être acceptée, non pas parce qu’elle limite la responsabilité de l’inflation au seul agent État, mais parce qu’elle ne se comprend qu’en faisant référence à un système monétaire aujourd’hui disparu, la convertibilité-or du billet de banque dans un régime d’étalon-or. Jusqu’en 1914, en effet, les billets de banque étaient librement convertibles en or, l’or était utilisé dans les paiements internes et, en dehors des limites déterminées par les gold points , dans les paiements internationaux. Comme de nos jours, la monnaie ne pouvait être créée qu’en contrepartie soit d’or et des devises gagnées dans les échanges internationaux, soit de créances achetées par la Banque centrale au Trésor public, soit de créances représentatives de crédits consentis achetées par la Banque centrale au système bancaire. Par aileurs, une législation très stricte obligeait les Banques centrales à maintenir une proportion donnée entre leur encaisse-or et la circulation des billets, de telle sorte qu’une diminution de l’encaisse rendait nécessaire une diminution du montant des billets en circulation et que seule une augmentation de l’encaisse justifiait une augmentation, une enflure des billets émis. La diminution de l’encaisse ne pouvait provenir que d’un déficit de la balance des paiements. Il fallait donc éviter tout déficit durable, sinon la convertibilité-or des billets devenait impossible et la Banque centrale violait une de ses règles statutaires essentielles. D’un autre côté, l’augmentation des billets en circulation ne pouvait provenir que d’une expansion de l’activité économique – celle-ci exigeant davantage de moyens de paiement – ou d’un déficit budgétaire. Si l’expansion se terminait le plus souvent d’elle-même par une crise, le déficit budgétaire, en revanche, devait être rigoureusement proscrit pour des raisons d’orthodoxie financière parmi lesquelles le danger d’inflation figurait en première place. En définitive, la création monétaire, c’est-à-dire l’accroissement de la masse monétaire, devait être proportionnée aux besoins de l’économie interne, État exclu, et à l’excédent de la balance des paiements, sinon le système monétaire était menacé d’effondrement.

Deux traits caractérisent l’inflation dans un tel système: elle est distincte de la hausse des prix, puisqu’elle est enflure de la masse de billets en circulation; elle remplit une fonction néfaste de destruction du système monétaire, puisque la convertibilité-or du billet n’est plus assurée. La disparition de la convertibilité du billet depuis 1914 aurait dû faire abandonner cette conception. Or, dans la conception qui dominera par la suite, l’inflation devient certes de plus en plus un déséquilibre économique, mais on la considère toujours comme accidentelle, liée à une mauvaise politique financière de l’État.

Un déséquilibre économique

Selon la conception traditionnelle, l’inflation est un déséquilibre économique entre l’offre et la demande globales se traduisant par une hausse du niveau général des prix. Dans une certaine mesure, cette conception a été influencée par la situation d’une économie de guerre dans laquelle l’offre de biens civils connaît une réduction alors que la demande se trouve accrue par une augmentation du volume monétaire consécutif au financement des dépenses de guerre.

Les économistes se sont attachés, durant la Seconde Guerre mondiale, à mesurer l’écart inflationniste existant entre la valeur de la demande globale et la valeur de l’offre globale en les anticipant au prix de la période de base afin de mieux supprimer cet écart par une politique adéquate et, ce faisant, ils suivaient la voie tracée par J. M. Keynes dans sa brochure How to Pay for the War (Comment financer la guerre , 1940). Après la fin de la guerre, quand la nécessité de contrôles directs sur les prix, les salaires et les profits se fit moins sentir, l’excès de la demande globale fut seulement envisagé conformément à l’analyse, cette fois, de la Théorie générale de l’emploi , de l’intérêt et de la monnaie (The General Theory of Employment, Interest and Money , 1936). Durant la guerre, la politique d’inflation refoulée (repressed inflation ) avait empêché la manifestation essentielle du déséquilibre, à savoir la hausse des prix; après la guerre, l’abandon de cette politique laissa se développer la hausse des prix. Peu à peu, l’inflation ne se définit plus par un excès de la demande globale sur l’offre globale entraînant une hausse du niveau général des prix, mais comme une hausse du niveau général des prix provoquée par un excès de la demande globale. Le changement est d’importance car, à nouveau, l’idée d’enflure apparaît mais appliquée aux prix cette fois.

Si les auteurs anglo-saxons adoptaient dans leur majorité cette conception de l’excès global, les auteurs français à la suite du professeur Jean Gabillard (La Fin de l’inflation ) préféraient une analyse plus fine. Constatant que l’inflation peut exister sans excès de la demande globale et qu’un tel excès ne provoque pas forcément l’inflation, ils proposèrent de partir de l’idée de tension inflationniste sectorielle, c’est-à-dire d’«un écart ou décalage entre flux réels et flux monétaires dans une zone où offre et demande sont inélastiques par rapport aux prix» (Gabillard). Tant que ces tensions sont contrebalancées par des tensions opposées, dites déflationnistes, et tant que les comportements des agents économiques n’anticipent pas la hausse des prix, l’inflation n’est pas déclarée. Dans le cas contraire, les tensions inflationnistes «s’agrègent», les processus cumulatifs se développent. L’inflation se caractérise donc à un double point de vue: celui des flux et celui des comportements. Elle suppose un certain état des comportements et des flux de biens et de monnaie.

Quoi qu’il en soit de ces différences d’optique globale ou sectorielle, l’inflation continue d’être envisagée comme un accident de la conjoncture économique, un état pathologique de l’économie. L’origine de l’inflation, cependant, ne se situe plus dans la seule sphère monétaire de l’économie, et la responsabilité n’en incombe plus à la seule politique financière de l’État.

Des facteurs monétaires (politique excessive de crédit, déficit budgétaire) et des facteurs réels tenant soit à l’offre (mauvaises récoltes, plein emploi de l’appareil de production, grèves), soit à la demande (hausse de l’investissement, accroissement des revenus) peuvent contribuer à l’inflation. C’est, en réalité, du fonctionnement du système économique tout entier qu’elle provient et non plus uniquement du système monétaire. D’autre part, si elle ne détruit plus le système monétaire, puisque celui-ci a été changé, elle produit néanmoins des effets néfastes qu’il est difficile d’admettre. Aussi faut-il empêcher l’inflation, la combattre par tous les moyens jusqu’à ce qu’elle disparaisse. «Inflationniste point ne seras, de cœur ni de consentement. Inflation tu combattras, jusqu’à complet épuisement» (Valéry Giscard d’Estaing, avril 1964).

À la fin des années 1950, l’inflation est donc tantôt un déséquilibre économique, tantôt la hausse du niveau général des prix, tantôt un déséquilibre économique se traduisant par la hausse du niveau général des prix. La plupart des économistes la jugent nocive et néfaste, non pas en se plaçant au point de vue de sa fonction, mais au point de vue de ses effets. Les gouvernants font de même. Ils proclament leur volonté de maintenir la stabilité de la monnaie, mais, hélas, ils n’y parviennent guère. Est-ce hypocrisie ou impuissance? L’inflation n’est-elle pas plutôt différente de l’idée qu’ils s’en font?

Régulation économique

Trois décennies après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale et de l’inflation qui l’accompagna et lui survécut, tout porte à croire qu’une nouvelle fois les esprits et la pensée économique connaissent une transformation radicale à l’égard de ce problème. Cinq phases d’inflation, à des degrés variables, se sont succédé dans tous les pays industriels: 1940-1948, 1950-1951, 1956-1958, 1960-1961 (1962-1964 pour la France), et depuis la fin des années 1960; mais le total des hausses annuelles du niveau général des prix dépasse le total des hausses de prix enregistrées durant ces cinq inflations. C’est dire que la dépréciation de la monnaie se poursuit même en dehors des périodes dites d’inflation. Ce fait capital permet de fonder sur de nouvelles bases la conception du phénomène.

Tout d’abord, il n’existe pas une inflation, mais au moins deux: l’inflation courte et l’inflation longue. La première qui, seule, mériterait le nom d’inflation du fait des caractères communs qu’elle présente avec les inflations passées, prend place dans la courte période, a une durée limitée dans le temps (un à trois ans), une intensité forte (plus de 5-6 p. 100 l’an de hausse des prix). La hausse des prix par laquelle elle s’exprime est «générale et cumulative» (J. Valier), elle se rencontre dans tous les secteurs de l’économie et se développe cumulativement selon un processus qui amplifie l’effet initial sous l’influence de comportements qui anticipent la hausse et manifestent une fuite devant la monnaie. Elle connaît une fin. En revanche, l’inflation longue, qui est caractéristique des économies contemporaines, est qualitativement différente. Elle ne peut être mise en évidence que par une investigation portant sur la longue période (plusieurs décennies) et revêt de ce fait une permanence que ne possède pas l’inflation proprement dite. Pour la faire apparaître, il suffit de comptabiliser les hausses et les baisses de prix annuelles et de calculer le taux annuel moyen. Ce dernier sera positif et relativement faible dans les pays industrialisés (inférieur à 3-4 p. 100) et d’autant plus faible que la période sera plus longue car, avant 1940, il y eut de nombreuses périodes de baisse des prix, à commencer par celle des années 1930, années de la «grande dépression». Pour la longue période de durée minimale (10 ans de 1958 à 1968), le tableau donne quelques taux pour différents pays.

Cette hausse des prix est une hausse «globale et non cumulative» (J. Valier): elle enregistre à la fois des hausses, des baisses ou la stabilité des prix. Par définition, elle ne saurait avoir de fin. Théoriquement, on peut poser que cette inflation longue est distincte de l’inflation rampante (creeping inflation ) qui tient à des facteurs propres aux économies contemporaines, et qui fait monter de 1 à 3 p. 100, même en dehors des périodes d’inflation courte, le niveau général des prix. Les périodes d’inflation courte ne seraient ainsi qu’une forme exacerbée de l’inflation rampante. La distinction entre inflation courte et inflation longue est essentielle à la compréhension de l’inflation moderne dans la mesure où certaines analyses s’appliquent davantage à l’une qu’à l’autre.

Ensuite, il n’est plus possible, dans cette conception, de se demander si le phénomène est ou non un accident de la conjoncture et s’il doit être ou non empêché. L’inflation (courte) peut être un accident et est susceptible d’être évitée, mais l’inflation longue et l’inflation rampante sont des faits économiques qui traduisent seulement dans une plus longue période ce que l’inflation entraîne dans une plus courte, à savoir une dépréciation de la valeur de la monnaie. Dès lors que l’on se place dans la longue période, les deux interrogations perdent toute signification. Il faut alors admettre l’inflation comme inévitable, sans doute pour l’avenir si les conditions économiques, politiques et sociales contemporaines persistent, sûrement pour le passé. Si, en effet, l’inflation n’a pu être vaincue, ce n’est pas que les gouvernements en aient été incapables ou que l’économie de marché capitaliste soit atteinte d’un défaut congénital. Quand l’inflation (courte) atteint une trop grande intensité, il n’est pas de gouvernement qui ait réussi, en Occident, à la stopper, et même lorsque les prix ne reflètent pas les rémunérations de facteurs comme dans les économies socialistes planifiées, le niveau général des prix monte. C’est que, d’une part, l’inflation va de pair avec une expansion économique rapide et un plein emploi de la main-d’œuvre et que, d’autre part, les sociétés modernes ne tolèrent plus le chômage, la baisse du pouvoir d’achat des revenus et la stagnation ou la diminution durables du produit national. Comme de plus l’inflation ne provoque pas, dans l’ensemble, des effets aussi catastrophiques que ceux qui lui sont ordinairement imputés (ce qui ne signifie pas que certaines catégories sociales ne soient pas durement et durablement touchées), il est aisé de comprendre le consentement général dont elle fait, en réalité, l’objet.

Il s’ensuit que la notion ne peut plus être ce qu’elle a été. L’inflation est, maintenant, une régulation économique et non plus une enflure monétaire ou un déséquilibre économique. Elle est la régulation de l’activité économique par la dépréciation de la valeur interne de la monnaie qui accompagne la hausse des prix. Celle-ci, pour laquelle on peut conserver l’idée d’enflure, est davantage l’expression d’un processus de rééquilibre que d’un état de déséquilibre. Ces notions d’équilibre et de déséquilibre ne se conçoivent, en effet, en analyse économique, que par référence à un certain niveau de prix. Il ne peut donc y avoir, pour la demande et l’offre, égalité entre les deux, excès ou insuffisance de la première sur la seconde que par rapport à un niveau de prix donné, à un moment donné. La hausse du (ou des) prix n’est alors que le processus de régulation par lequel se réalise, à un niveau de prix supérieur à celui pour lequel un excès de la demande était apparu, l’égalité nécessaire à tout moment entre la demande et l’offre. Si l’on ajoute que ces derniers concepts sont, surtout en analyse macro-économique, des concepts valables pour la période à venir, il faut admettre qu’il est plus utile de raisonner en termes de rééquilibre que de déséquilibre, car ex-post , en fin de période, il y a forcément équilibre.

C’est le principal apport de la conception moderne de ne plus tant s’intéresser aux causes du phénomène qu’à sa fonction. En cela, elle reste fidèle à la conception initiale mais elle l’adapte au système économique et monétaire actuel. Elle ne néglige pas, néanmoins, ce problème des causes qui a constitué l’essentiel de la réflexion économique sur le sujet, mais elle le remet à sa place et le distingue de celui de la définition de l’inflation. Elle préfère, au fond, une définition par la fonction à une définition par les causes et répond plutôt à la question de savoir «Pourquoi l’inflation existe-t-elle?» qu’à la question «D’où vient l’inflation?»

Inflation et déflation

Affirmer le caractère inéluctable de l’inflation longue, comme l’imposent à la fois les faits et le raisonnement, ne doit pas conduire à méconnaître les effets néfastes de l’inflation courte et à nier la nécessité d’une politique anti-inflationniste, mais seulement à nuancer les descriptions apocalyptiques des méfaits de l’inflation et l’efficacité des politiques anti-inflationnistes.

Les effets de l’inflation

Dans la mesure où l’inflation n’est plus enflure de la masse monétaire, ses effets ne se manifestent plus à l’égard du seul système monétaire, mais de l’économie tout entière. Le plus souvent, le résultat reste aussi catastrophique puisqu’elle est accusée de fausser les calculs économiques à terme, décourager l’épargne, stimuler la consommation, favoriser un gaspillage des ressources et une politique irrationnelle de l’investissement, donc sacrifier la croissance future. Elle accroît l’injustice sociale, en diminuant le pouvoir d’achat des titulaires de revenus fixes et en augmentant les profits des industriels et commerçants, avive les antagonismes sociaux, menace l’équilibre social et, à la limite, comme l’Allemagne des années 1920 en fit l’expérience, provoque l’apparition d’un régime fasciste.

Tout cela est peut-être vrai, mais s’applique bien plus à l’inflation galopante ou hyperinflation qu’à l’inflation courte. D’autre part, l’économie d’inflation suscite des réactions des agents économiques, susceptibles d’en atténuer les effets néfastes (phénomène d’accoutumance) d’une manière d’autant plus efficace que l’inflation produit d’importants bienfaits. Tout ce que peut faire la politique anti-inflationniste, soit par des restrictions monétaires, soit par une politique financière de suréquilibre budgétaire, c’est d’empêcher que l’inflation ne dégénère en hyperinflation. Ainsi peuvent être conservés les avantages de l’inflation rampante et atténués au maximum les inconvénients de l’inflation galopante.

L’effet le plus significatif de l’inflation se traduit, de nos jours, par l’état de la balance des paiements du pays dans la mesure où les économies occidentales ont abandonné depuis 1958 la plupart des restrictions relatives à la circulation des marchandises et à la convertibilité des monnaies. Toute hausse du niveau général des prix dans un pays, plus rapide que celle enregistrée dans les autres pays avec lesquels il entretient des relations commerciales, doit se traduire par une augmentation des importations et une diminution relative des exportations, donc un déséquilibre des paiements courants qui est financé par une baisse des réserves de change. Il s’ensuit une fuite des capitaux et une baisse du taux de change de la monnaie nationale. L’inflation, qui n’était inscrite que dans la dépréciation de la valeur interne de la monnaie, va maintenant s’inscrire dans la dépréciation de sa valeur externe, c’est-à-dire par rapport aux autres monnaies. Au point de vue international, l’inflation «interne» devient une inflation «externe».

N’est-ce pas, en définitive, cette seule inflation «externe» qu’il conviendrait de dénommer inflation courte? Serait simplement érosion monétaire la hausse lente et irréversible du niveau général des prix coïncidant avec une balance des paiements excédentaire ou en constante amélioration et serait inflation la hausse, certainement plus forte, coïncidant avec une balance des paiements qui se détériore et qui conduit, tôt ou tard, à une dévaluation, sanction de l’inflation passée. Tout dépend de l’évolution des taux relatifs d’inflation dans le monde, et l’on comprend fort bien la formule selon laquelle «l’essentiel est de ne pas faire plus de bêtises que les voisins» (W. Baumgartner). Le risque est alors, à la suite d’une dévaluation, de verser l’économie dans la déflation qui est encore plus redoutée que l’inflation.

L’inacceptation de la déflation

Définie à l’origine, dans la conception monétaire, comme l’inverse de l’inflation (dégonflement de la masse monétaire provoquée par une politique monétaire et financière délibérée), la notion de déflation a constamment oscillé entre cette conception originelle et une conception symétrique de celle d’inflation. Signifiant d’abord baisse des prix quand l’inflation était une enflure du niveau général des prix, puis excédent de l’offre globale sur la demande globale aux prix de la période de base quand l’inflation était considérée comme un déséquilibre économique, elle est aujourd’hui définie comme la phase de conjoncture dans laquelle l’activité économique se ralentit fortement, entraînant une moindre croissance du produit national et de la hausse des prix ainsi qu’un accroissement du chômage. Il n’est pas nécessaire que le produit national diminue ou que le niveau général des prix baisse. De même qu’un taux d’inflation de 2 à 3 p. 100 l’an est assimilé à la stabilité monétaire, de même, un ralentissement de l’expansion et de la hausse des prix est, de nos jours, présenté comme de la déflation, tellement est forte la volonté de croissance économique. Pour une part, la déflation s’apprécie en prenant pour critère le taux d’expansion et le taux de chômage plutôt que le taux de variation des prix: aussi préfère-t-on souvent employer le terme de récession.

Malgré certain parallélisme des formes, la signification de la déflation n’est plus la même que naguère. Compensation nécessaire de l’inflation, phase de remise en ordre de l’économie perturbée par les excès commis au cours de l’inflation, elle apparaissait, en définitive, comme un processus bénéfique assurant le maintien, en longue période, d’un certain équilibre dans une économie dotée de flexibilité. Dès l’instant où le chômage ne fut plus toléré comme régulation économique et où l’idéal de progrès économique fut légitimé par le welfare state , il ne fut possible d’admettre, hormis de brèves périodes, cette pause déflationniste.

Si l’inflation longue est incrustée dans les économies occidentales, c’est donc tout autant, sinon plus, du fait de la disparition des phases déflationnistes de baisse du niveau général des prix que de l’existence de facteurs structurels poussant les prix à la hausse. Ce blocage à la baisse, cette irréversibilité des variations du niveau des prix interdisent dorénavant toute compensation et toute stabilité monétaire de longue période. Il y a certainement des raisons structurelles à cela, mais, avant tout, il y a un choix politique fondamental qui tolère, jusqu’à un certain taux, une inflation courte et élimine toute éventualité de déflation durable. Les économistes contemporains formalisent ce choix dans la fonction de trade off qui cherche à établir dans quelle mesure certains objectifs peuvent être sacrifiés pour d’autres, la principale contrainte étant l’état des réserves de change du pays. C’est seulement lorsque ces réserves s’amenuisent dangereusement qu’une politique déflationniste est pratiquée, mais, tant que cette contrainte ne s’exerce pas, l’inflation rampante est tellement associée à l’obtention de résultats économiques jugés désirables qu’elle est préférable à une stabilité monétaire de caractère déflationniste. À ce niveau, l’économiste n’a plus qu’à céder la place à l’homme politique, car il ne lui appartient pas de choisir, mais d’éclairer les choix politiques. Il n’est pas douteux que, de ce choix, a dépendu et dépendra encore, pour une large part, notre type de société.

2. L’inflation dans les années 1970

Les politiques économiques des pays industriels, qui, dans le quart de siècle qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, ont été largement influencées par les idées keynésiennes, étaient surtout inspirées par le désir d’éviter une récession comparable à celle des années 1930; l’objectif était de soutenir et de «réguler» la demande, notamment par l’action budgétaire de l’État, afin de maintenir l’économie aussi près que possible du plein emploi et d’assurer la croissance régulière du produit national. Il est arrivé que, en période de surchauffe inflationniste, on appliquât le remède temporaire d’un ralentissement de l’activité (par exemple, la république fédérale d’Allemagne en 1966-1967, les États-Unis en 1970); mais il s’agissait de simples pauses dans la croissance.

Cependant, avec l’accélération qu’a connue l’inflation depuis le début des années 1970, ces idées se sont trouvées en butte à une contestation de plus en plus vive. Dès 1958, A. W. Phillips établissait sa fameuse courbe (cf. figure) liant l’évolution des salaires nominaux à celle du chômage (en se fondant sur l’étude de l’économie anglaise depuis cent ans): lorsque le chômage baisse, la croissance des salaires s’accélère. Si l’on veut éviter l’inflation, il faut limiter la hausse des salaires nominaux à un rythme cohérent avec la hausse de la productivité et accepter, de manière permanente, un certain «volant de chômage». Phillips concluait que, avec une productivité en hausse de 2 p. 100 par an, le taux de chômage permanent devrait être de 2,5 p. 100 de la population active pour assurer la stabilité monétaire. La nouveauté, par rapport aux idées de Keynes, c’est que les salaires sont assimilés à des prix, et que le «marché du travail» devient un véritable marché. Le chômage n’est pas seulement la conséquence d’une défaillance de la demande, justiciable d’une activité de relance, c’est aussi la condition, souhaitable jusqu’à un certain degré, de la stabilité des coûts du travail, donc des prix. Cette théorie fut très discutée, mais elle eut une assez large influence et fut reprise aux États-Unis, notamment par P. Samuelson et R. Solow. Elle repose sur l’idée (qui a pu se vérifier dans la pratique) que le plein emploi correspond en fait à un état de forte tension sur le marché du travail. Certains ont admis aujourd’hui qu’un certain «chômage structurel» n’est que la traduction de la fluidité et de la mobilité de la main-d’œuvre. Cependant, l’expérience a apporté un démenti assez net à la courbe de Phillips. On a pu constater que, s’il lui arrivait de jouer «à l’endroit» (hausses des salaires à l’approche du plein emploi), elle ne jouait guère «à l’envers»: depuis la récession de 1974-1975, la hausse du chômage dans la plupart des pays développés ne s’est pas toujours, tant s’en faut, accompagnée d’un ralentissement des hausses de salaires.

Plus généralement, l’apparition, dès le milieu des années 1960, de la «grande inflation», selon l’expression de Jean Denizet, son enracinement dans les économies modernes ont amené de profondes remises en cause doctrinales. Surtout, on a assisté à un phénomène qui s’inscrivait mal dans les théories existantes, la «stagflation» ou «infession» (R. Triffin): la production stagne, voire régresse, alors que les prix continuent d’augmenter à un rythme élevé.

Plutôt que d’entrer dans la mosaïque des doctrines modernes, où néo-classiques, néo-keynésiens, marxistes coexistent avec de nouveaux courants de pensée, il sera plus éclairant d’examiner deux domaines vers lesquels l’interprétation de l’inflation s’est élargie au cours des années 1970.

Inflation et comportements

Le domaine psycho-sociologique d’abord. Sans prétendre en faire le moteur unique de la hausse des prix, certains auteurs accordent un rôle important à la dynamique sociale des comportements et des modes de consommation. Un précurseur relativement méconnu a retrouvé une certaine vogue ces dernières années: Thorstein Veblen, qui, dans sa Théorie de la classe des loisirs (1899), mettait en valeur le rôle de la dépense ostentatoire. Ses analyses trouvent un écho en France dans les travaux modernes de sociologues comme Pierre Bourdieu et d’économistes comme Marc Guillaume et Jean-Pierre Dupuy. Le mode de consommation des classes les plus riches se diffuse de proche en proche, devient un signe de distinction sociale, et chaque classe aspire à accéder au statut apparent de la classe immédiatement supérieure. Cette «aspiration vers le haut» des modes de consommation, source d’insatisfaction (mais aussi de stabilité sociale, puisqu’il ne s’agit pas de détruire un modèle, mais de mieux s’y intégrer), est d’autant plus créatrice d’inflation que la société est plus inégalitaire; elle maintient la dépense souhaitée constamment au-dessus de la dépense objectivement possible, favorise l’endettement (donc la création monétaire) et avive les revendications salariales (donc la hausse des coûts).

D’autres explications de l’inflation ont été recherchées dans des rigidités «structurelles» de comportement. Par exemple, la résistance à la baisse du pouvoir d’achat, confortée dans les mentalités par une longue période de croissance où les revenus réels ont augmenté régulièrement (en France notamment), s’appuie dans les faits sur l’organisation des agents économiques: syndicats ouvriers, organisations paysannes, organisations de commerçants... De même, les comportements oligopolistiques et les protections diverses amènent les entreprises à maintenir leurs prix à des niveaux plus élevés qu’ils ne le seraient en situation de concurrence. Enfin, le rôle des anticipations inflationnistes a été mis en lumière: il est d’autant plus difficile de sortir d’une inflation forte et prolongée que les agents économiques pensent qu’elle se poursuivra et adaptent leur comportement en conséquence (moindre résistance des employeurs aux revendications salariales, moindre résistance des consommateurs aux hausses de prix, etc.).

L’inflation importée

La seconde grande voie explorée par les interprétations récentes de l’inflation est celle des relations internationales. Il est devenu de plus en plus évident, à partir de la fin des années 1960, qu’un pays autre qu’une superpuissance ne pouvait être ni entièrement responsable, ni entièrement maître de son inflation interne, en raison de l’interdépendance de plus en plus grande des économies. Cette interdépendance se manifeste dans trois domaines, très liés les uns aux autres, mais que l’on distinguera pour les besoins de l’analyse. Dans les trois cas, on verra apparaître des mécanismes d’« inflation importée».

Le premier domaine est celui des échanges. Leur développement, lié aux progrès de la division internationale du travail, provoque une intégration de plus en plus poussée des économies, qui se manifeste concrètement par l’augmentation de la part des échanges extérieurs dans le produit national des différents pays. Ainsi, le niveau des prix intérieurs devient de plus en plus sensible à celui des prix extérieurs. Dans cette optique, une des causes visibles de l’inflation dans les pays industriels consiste en un «renversement des termes de l’échange» vis-à-vis de pays en voie de développement producteurs de certains produits de base. Le pouvoir d’achat de ces produits exprimé en dollars, qui, sauf tensions temporaires, n’avait cessé de se dégrader jusqu’au début des années 1970, a augmenté depuis lors sous l’effet de divers facteurs, notamment politiques. L’exemple le plus éclatant est fourni par l’évolution du prix du pétrole à partir de la fin de 1973. Ainsi, le coût du pétrole importé par la France, entre 1972 et 1979, a été multiplié par 2,6 en francs constants et par 5,1 en francs courants.

Le deuxième domaine est celui des changes. En principe, entre deux pays, l’évolution de la valeur de leurs monnaies respectives l’une par rapport à l’autre reflète celle des prix, de façon à tendre vers l’équilibre des échanges. Un pays dont la monnaie est trop longtemps surévaluée enregistrera un déficit commercial de plus en plus lourd, jusqu’à ce que survienne une correction de la parité (dévaluation). Dans le système des changes fixes qui fut institué entre les pays occidentaux à Bretton Woods en 1944, sérieusement compromis en 1971 et définitivement abandonné en 1973, la stabilité de la valeur de la monnaie garantit, au moins pendant un certain temps, sa neutralité par rapport au niveau des prix. Les dévaluations et réévaluations interviennent à l’initiative des gouvernements, pour corriger des déséquilibres commerciaux devenus trop lourds. On a pu reprocher, au contraire, au système des changes flexibles en vigueur depuis 1973, de constituer une cause supplémentaire d’«inflation importée». En effet, les taux de change ne s’adaptent pas automatiquement à l’évolution des prix, mais ont tendance à exagérer celle-ci: les pays à inflation modérée (R.F.A., Suisse) ont une monnaie régulièrement surévaluée, les pays à inflation importante ont au contraire une monnaie «trop» faible. Une étude réalisée en juillet 1979 sous l’égide de la Commission des Communautés européennes calculait pour les grands pays industriels l’évolution, entre 1970 et 1978, du «taux de change réel», c’est-à-dire du taux de change effectif «déflaté» par l’indice de prix relatif du P.N.B. de chaque pays par rapport à ses principaux concurrents. En stricte orthodoxie, ce taux de change aurait dû rester constant, puisque l’évolution des parités monétaires est censée compenser celle des prix. Or il avait augmenté de près de 18 p. 100 pour la R.F.A., de 50 p. 100 pour le Japon, et diminué de 12 p. 100 pour l’Italie et de 34 p. 100 pour les États-Unis. Ainsi, le lien de cause à effet entre les prix et les variations monétaires s’inverse. Les pays à inflation forte voient le prix de leurs importations (notamment de pétrole et de matières premières) artificiellement augmenté, puisqu’ils les achètent avec une monnaie sous-évaluée. Ils subissent ainsi une nouvelle forme d’inflation importée, qui contribue à son tour à affaiblir leur monnaie. Cette «spirale dévaluationniste» a caractérisé notamment la situation de l’Italie et de la Grande-Bretagne dans les années qui ont suivi le choc pétrolier de 1973.

Le troisième aspect international de l’inflation, enfin, concerne les mouvements de capitaux. L’intégration croissante de l’économie mondiale s’accompagne d’une circulation plus active des capitaux, qui franchissent les frontières pour se fixer là où leur emploi est le plus rentable. Le développement des échanges, en lui-même, entraîne nécessairement un gonflement des moyens de paiement internationaux. Mais le système n’est pas homogène: le poids spécifique de l’économie américaine et les politiques qui l’ont guidée ont été sources de profonds déséquilibres. Les déficits commerciaux accumulés par les États-Unis, d’abord en période de change fixe (sous l’effet de la surévaluation d’un dollar dont il n’était pas question de contester l’hégémonie de monnaie internationale), puis en raison des importations américaines massives de pétrole, ont eu pour contrepartie le développement anarchique d’une énorme masse de «dollars externes», auxquels sont venus s’ajouter les excédents de recettes des pays producteurs de pétrole vis-à-vis du reste du monde. Ce phénomène est doublement inflationniste. D’une part, il représente un accroissement des liquidités internationales incontrôlable pour les gouvernements: l’existence d’un marché de plusieurs centaines de milliards d’«eurodollars» auquel peuvent recourir les banques et les grandes entreprises rend très aléatoire toute tentative de régulation nationale de la quantité de monnaie. D’autre part, l’excédent de l’offre de monnaie par rapport aux emplois immédiatement réalisables crée des volants de «capitaux flottants» qui rendent les marchés des changes particulièrement nerveux. Les autorités monétaires sont donc contraintes, pour se protéger contre des afflux ou des reflux brutaux de capitaux sur leurs places, d’adopter des politiques à court terme de taux d’intérêt qui sont souvent en contradiction avec leurs objectifs à moyen terme (la R.F.A., par exemple, en 1979-1980, a dû retarder de plusieurs mois sa politique de «refroidissement» monétaire par la hausse des taux, de peur d’un afflux spéculatif sur le deutsche Mark).

Ainsi, l’inflation «rampante» des années 1960 s’est transformée en inflation «ouverte», voire en «hyperinflation» dans beaucoup de pays, sous l’effet d’un processus cumulatif; l’accroissement des déficits américains et des balances-dollars, joint à une surchauffe générale des économies occidentales dans les années qui ont précédé 1974, a contribué à la désorganisation du système monétaire international, d’où une première aggravation de l’inflation. La hausse des prix et la faiblesse du dollar ont aggravé la baisse du pouvoir d’achat du baril de pétrole, baisse qui se poursuivait de façon continue depuis plus de vingt ans. Des facteurs politiques ont alors servi de catalyseur à l’explosion des prix pétroliers, qui elle-même, en précipitant la crise économique, a aggravé l’inflation de deux façons: par le renchérissement des coûts, d’abord, et, de façon plus durable, par l’accroissement de la masse des liquidités internationales provoqué par les nouveaux excédents de recettes des pays producteurs.

Depuis 1980, l’application de politiques monétaristes assez strictes dans certains grands pays industriels (notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne fédérale) et la stagnation des économies (partiellement imputable au «deuxième choc pétrolier» de 1979) ont provoqué un net ralentissement de la hausse des prix à la consommation: pour l’ensemble des pays de l’O.C.D.E., celle-ci a été ramenée de 12,8 p. 100 en 1980 à 7,8 p. 100 en 1982 (aux États-Unis, de 13,5 p. 100 à 6,1 p. 100; en Grande-Bretagne, de 18 p. 100 à 8,6 p. 100).

En définitive, l’inflation est un phénomène étroitement lié aux comportements sociaux, comme aux rapports de forces internationaux. Son analyse déborde le cadre de l’économie. Ses causes sont largement politiques. Ses conséquences aussi.

3. Une approche théorique

L’inflation est le plus souvent définie en fonction de ses effets sur les prix et sur le pouvoir d’achat de la monnaie. Elle est ainsi couramment assimilée à l’augmentation du niveau général des prix ou à la perte de pouvoir d’achat de l’unité monétaire.

Or ces deux définitions ne sont équivalentes que si le niveau des prix est déterminé par le rapport entre monnaie et produit, ce qui est bien le cas d’après les fondements théoriques traditionnellement acceptés. La théorie quantitative de la monnaie nous enseigne, en effet, que le niveau général des prix résulte de l’équilibre entre la masse du produit (offre globale) et la masse monétaire (demande globale). La relation entre ces deux masses est stable à condition que leur variation soit proportionnelle. Si la masse monétaire augmente sans être accompagnée d’un accroissement proportionnel de la production, la hausse du niveau général des prix est de nature inflationniste et entraîne une perte du pouvoir d’achat de chaque unité de monnaie.

Dès lors, la tentation est grande de réduire l’explication de l’inflation à une mécanique élémentaire entre ces deux forces. Si toute augmentation de la masse monétaire relativement à celle des produits conduit à une hausse inflationniste du niveau général des prix, n’est-il pas correct de rechercher les causes de l’inflation du côté de la demande? Et, réciproquement, étant donné que la diminution de la masse des produits relativement à celle de la monnaie provoque le même effet inflationniste, ne faut-il pas expliquer ce dernier par la variation de l’offre?

Pleinement justifiée à l’échelle microéconomique, l’utilisation de la loi de l’offre et de la demande peut-elle, toutefois, être mécaniquement transposée à celle des grandeurs globales? La nature de la monnaie impose une logique très stricte, et il est nécessaire d’analyser avec la plus grande rigueur les explications traditionnelles pour vérifier si elles sont effectivement compatibles avec la loi de l’offre et de la demande telle qu’elle s’applique aux variables monétaires.

On commencera par dénoncer comme source de grave confusion l’identification de l’inflation à la hausse du coût de la vie. On analysera ensuite les principales causes d’inflation, en distinguant entre celles qui sont habituellement attribuées aux comportements des différentes catégories d’agents économiques et celles dont l’origine est plutôt à rechercher dans la structure monétaire qui règle aujourd’hui les systèmes de paiement nationaux et internationaux.

Les dangers liés à l’utilisation de l’indice des prix

Le recours aux données statistiques est sans doute d’une grande utilité si celles-ci sont calculées à partir d’une théorie qui indique aux statisticiens les critères exacts du choix des variables. Cela ne semble malheureusement pas être toujours le cas pour ce qui est de l’inflation. Les difficultés liées à la construction du «panier» de marchandises utilisé pour le calcul de l’indice des prix à la consommation sont bien connues. Du changement du goût et des habitudes à l’évaluation des données qualitatives, en passant par les fluctuations des taux de change, il y a là toute une série de problèmes qui rendent particulièrement ardu le travail des experts. Mais il y a d’autres raisons pour douter que l’augmentation de l’indice des prix permette une bonne approximation de la hausse inflationniste des prix.

Avant tout, cet indice ne tient pas suffisamment compte de l’un des phénomènes qui caractérise le plus l’économie des pays industrialisés: le progrès technologique. Il ne fait pas de doute, en effet, que le progrès technologique marque d’une façon croissante l’évolution de nos systèmes productifs et qu’il entraîne une baisse des coûts de production ainsi qu’une hausse de la qualité. Mais la diminution des coûts porte à une baisse des prix de vente (parfaitement compatible, on le sait, avec une augmentation des profits). Compte tenu du progrès technologique, la constance de l’indice des prix à la consommation sur une période donnée masque donc un accroissement de nature inflationniste qui entraîne une baisse équivalente du pouvoir d’achat des titulaires de revenus. Même la baisse de l’indice des prix n’indique pas nécessairement l’absence de tout écart inflationniste. La corrélation entre inflation et hausse de l’indice des prix est donc démentie. Elle l’est une seconde fois lorsque l’on considère un certain nombre de causes qui peuvent provoquer une augmentation de l’indice des prix.

Prenons comme exemple l’éventualité d’une forte hausse du prix de l’essence décidée par les autorités d’un pays consommateur. Une telle augmentation porterait sans doute, toutes choses égales d’ailleurs, à une hausse du prix du panier et donc de l’indice des prix qui le représente. Mais cela est-il suffisant pour conclure que l’augmentation du prix de l’essence est de nature inflationniste? Une telle augmentation ne définit pas un écart inflationniste, car elle ne modifie guère le rapport existant entre la masse monétaire et la masse du produit. Bien que le public doive dépenser une somme accrue de son revenu pour acheter de l’essence, la quantité de monnaie disponible dans le pays ne se trouve pas modifiée, de sorte que la demande globale demeure au niveau de l’offre globale. Autrement dit, le revenu disponible est toujours suffisant, après comme avant la hausse du prix de l’essence, pour l’écoulement de l’entière production.

En termes de théorie quantitative, cette conclusion est évidente, car la hausse du prix de vente de l’essence ne définit aucune variation du produit national (la masse des biens et services) ou du revenu national (la masse monétaire). Le prix plus élevé d’un des éléments les plus importants du panier aura donc pour conséquence une redistribution de revenu des consommateurs à l’État. Comme toute autre imposition fiscale nouvelle, la hausse du prix de l’essence décidée par l’État conduit à une augmentation du coût de la vie qui n’entraîne aucune diminution du pouvoir d’achat de l’unité monétaire. Ce qui ne peut pas être acheté par le public, dont une partie accrue du revenu est détournée dans les caisses du Trésor, l’est par l’État, dont la demande rétablit immédiatement l’équilibre entre monnaie et produit.

Un résultat analogue est atteint lorsque des entreprises se trouvant dans une situation particulièrement favorable (monopole, exclusivité d’un brevet, etc.) sont en mesure d’augmenter le prix de vente de leurs produits. Comme dans le cas précédent, cela entraîne une hausse du prix du panier et, par conséquent, de l’indice des prix à la consommation. Tout en achetant moins de produits qu’auparavant, les consommateurs doivent sacrifier le même revenu, dont une plus grande partie est perçue par les entreprises sous forme de profit. Encore une fois, le revenu global demeure inchangé; seule sa répartition entre les ménages et les entreprises est modifiée. La demande étant exercée à partir du revenu et le revenu n’ayant pas plus changé que le produit, il est vain d’attribuer un caractère inflationniste à une hausse des prix liée à une augmentation des profits normaux.

En définitive, la variation de l’indice des prix nous fournit des indications précieuses quant à l’évolution du coût de la vie, mais cet indice ne doit pas être considéré comme une mesure, même approximative, du taux d’inflation. Mesurer l’inflation par rapport à la quantité d’objets qu’un même revenu nous permet d’acheter en des périodes distinctes revient à ignorer l’effet du progrès technologique ou à lui attribuer des vertus anti-inflationnistes qu’il ne saurait posséder. Ce qu’il faut bien comprendre, en effet, c’est que l’inflation est une maladie qui frappe la monnaie dans son rapport avec le produit d’une seule et même période, qu’elle est appelée à mesurer et à véhiculer. Ainsi, la masse du produit national français d’une année donnée est mise en relation avec la quantité de monnaie nécessaire à son écoulement. Si cette masse monétaire se trouve accrue, pour des raisons que nous examinerons par la suite, le même produit national est transporté par une plus grande quantité de francs, ce qui définit une perte de pouvoir d’achat de chaque unité de monnaie française et une hausse inflationniste du niveau général des prix. C’est donc la modification du rapport, pour une période donnée, entre masse monétaire et masse du produit qui est la mesure d’un déséquilibre, et non la modification du rapport entre la quantité de monnaie d’une période et la quantité de biens réels d’une autre période.

Reprenons l’exemple du progrès technologique. Si, aujourd’hui, en dépensant la même somme d’argent, je peux acheter la même quantité de produits qu’il y a une année, c’est que l’indice des prix n’a pas varié, malgré la réduction des coûts due au progrès technologique. Le rapport entre la masse des produits et la masse monétaire en année b est le même qu’en année a , ce qui paraît justifier la conclusion de l’absence d’inflation. Or, il faut y insister, la réalité est autre. La comparaison pertinente est entre la quantité de biens produits en b (que nous supposons égale à celle de a ) et la quantité de monnaie nécessaire à leur écoulement. Nous nous apercevons que, à cause de la réduction des coûts de production, les biens réels disponibles en b devraient être confrontés à une masse monétaire réduite relativement à celle de a . Si, dans les faits, la quantité de francs demeure égale à celle de l’année précédente, cela signifie que l’inflation l’a gonflée, en rongeant le gain dont la communauté tout entière aurait dû bénéficier grâce au progrès technologique.

Inflation et comportements

Suivons la tradition et distinguons les comportements qui modifient la demande de ceux qui influencent l’offre.

L’inflation par la demande

On considère comme causes d’inflation par la demande toutes celles dont l’effet est d’accroître la masse monétaire relativement à celle des produits. C’est l’application du principe de l’offre et de la demande: si l’augmentation de la demande n’est pas accompagnée d’une hausse équivalente de l’offre, les prix s’accroissent.

La propension à la consommation est une première cause, fréquemment citée. De nombreux manuels soulignent qu’un changement soudain des habitudes des consommateurs peut provoquer une augmentation de la demande à laquelle l’offre ne peut s’ajuster qu’après un certain temps, à cause de la relative rigidité de l’appareil productif. L’écart positif entre demande globale et offre globale amènerait ainsi à une hausse du niveau général des prix que les auteurs n’hésitent pas à définir comme inflationniste. Pour confirmer cette analyse, on cite souvent le cas de la période qui suivit la Seconde Guerre mondiale, où la dépense des revenus épargnés pendant le conflit aurait provoqué une augmentation de la demande dépassant de beaucoup la capacité productive des entreprises.

Or, pour bien comprendre la portée réelle de cette thèse, il est nécessaire de distinguer l’argument «propension à la consommation» de l’argument «guerre». Tout d’abord, il faut se demander si une variation de la propension marginale à la consommation, indépendamment des causes (plus ou moins structurelles) de cette variation, peut provoquer une hausse inflationniste des prix. En d’autres termes, nous devons établir quelles sont les conséquences d’une modification du comportement des consommateurs sur la masse monétaire et sur celle des produits. Supposons que le public décide de réduire le montant du revenu épargné, cette décision amènera-t-elle à un accroissement de la quantité de monnaie disponible dans le système considéré? La réponse ne pourrait être positive que si le revenu épargné ne faisait pas partie de la masse monétaire. Mais comment soutenir cette thèse aujourd’hui, quand la monnaie est entièrement de nature bancaire? Les revenus épargnés définissent des dépôts bancaires, et il serait étrange de les exclure de la masse monétaire, d’autant plus que les banques les prêtent aussitôt en permettant ainsi aux emprunteurs d’exercer une demande à la place des épargnants. Si les consommateurs réduisent leur épargne, ils accroissent leur propre demande, mais à cet accroissement correspond une diminution de la demande exercée par les bénéficiaires des prêts bancaires. La demande globale n’est donc pas affectée par la diminution de la propension à l’épargne. Une réduction de l’épargne a bien un impact sur l’investissement et sur la consommation, mais elle ne modifie pas le montant du revenu disponible, dont la mesure est donnée, d’après l’équation keynésienne, par la somme de C (consommation) et de I (investissement). Et, comme la demande ne peut être exercée qu’à partir d’un revenu, il s’ensuit nécessairement que la demande globale demeure constante face aux variations dans la répartition du revenu entre épargne et consommation.

Soit, encore une fois, la chaîne du raisonnement:

– le revenu épargné n’est pas détruit pour autant. Au contraire, déposé en banque, il demeure entièrement disponible;

– toute demande est réelle, à condition d’être fondée sur un revenu;

– la demande globale est ainsi définie par le revenu dépensé dans l’achat des biens de consommation et dans celui des biens d’investissement;

– la diminution de l’épargne accroît la demande des biens de consommation, mais réduit de manière équivalente celle des biens d’investissement;

– la demande globale n’étant pas modifiée, le niveau général des prix demeure, lui aussi, inchangé, ce qui prouve bien que le changement de la propension marginale à la consommation n’est pas de nature inflationniste.

Il reste vrai que, dans beaucoup de pays, l’après-guerre a été caractérisé par une forte hausse des prix. Cette hausse, loin d’être une preuve que l’épargne forcée conduit, dès qu’elle est libérée, à un accroissement inflationniste de la demande, signifie seulement que les causes du déséquilibre ne sauraient être attribuées au comportement des consommateurs. Pourraient-elles être dues à celui des autorités publiques?

Les dépenses publiques sont souvent accusées de provoquer l’accroissement inflationniste de la masse monétaire. Pendant la guerre, une grande partie de ces dépenses était destinée à financer la production d’armes. Il est donc important de se demander où les États trouvaient les ressources nécessaires. Une partie provenait certainement des impôts, mais le reste? De deux choses l’une: ou bien les autorités publiques avaient recours à une création monétaire de la part de la banque centrale, ou bien elles couvraient leur déficit par des emprunts. Dans cette seconde éventualité, l’épargne des titulaires de revenu aurait été dépensée par l’État pour l’achat de canons, et elle n’aurait plus été disponible, à la fin de la guerre, pour l’achat de biens de consommation. Les épargnants auraient pu dépenser leur épargne seulement à condition d’être remboursés par l’État et donc, dans l’hypothèse où nous sommes, seulement si ce dernier avait été le bénéficiaire d’un transfert de revenu de la part des autres titulaires. La demande des anciens épargnants aurait ainsi été financée par le revenu nouvellement épargné par le public et prêté (ou payé sous forme d’impôt) à l’État. Inutile de souligner que cette opération aurait laissé inaltérée la masse monétaire définissant la demande globale et qu’elle n’aurait donc pas provoqué de hausse inflationniste des prix.

La première éventualité que nous avons évoquée est bien plus dangereuse. Le financement par simple création monétaire (ex nihilo ) de quelque achat final que ce soit conduit toujours à un accroissement indû de la quantité de monnaie et, par là même, du niveau général des prix. L’utilisation de la planche à billets pour financer le déficit budgétaire est d’ailleurs reconnue par tout le monde comme étant une source d’inflation. Aujourd’hui, il n’est certes plus question que les États aient recours au seigneuriage, sinon dans des cas et des pays que nous pouvons considérer comme marginaux (c’est ce qui se passe dans certains pays du Tiers Monde à régime dictatorial) ou de transition (les pays de l’Est, où les systèmes bancaires sont encore largement imparfaits et où la relation entre banques secondaires et banque centrale demeure partiellement obscure). L’inflation dont souffrent les économies des pays développés ne peut donc, normalement, être attribuée au comportement des autorités publiques.

Il y a une autre catégorie de dépenses publiques à laquelle certains auteurs semblent attribuer des effets inflationnistes: le financement des travaux publics. D’après leur analyse, les travailleurs payés par l’État seraient à même d’exercer une demande supplémentaire de biens de consommation qui, avant d’être neutralisée par une offre accrue, pousserait leurs prix à la hausse. Mais, s’il est certain que le revenu gagné par les ouvriers nouvellement employés par l’État accroît le montant de la demande globale, il est tout aussi évident que cet accroissement de la masse monétaire est compensé par une augmentation équivalente de la masse des produits. Compte tenu des biens produits par les travailleurs, on s’aperçoit aisément que le rapport entre offre et demande globale demeure inchangé. Par ailleurs, il ne fait pas de doute non seulement que les travaux publics font partie de la masse du produit national, mais qu’ils doivent être achetés par l’ensemble des titulaires de revenu. Qu’ils le soient par achat direct ou par le biais de l’imposition fiscale ou de l’emprunt public, cela n’a pas d’importance. Dans tous les cas, l’entreprise-État est tenue de couvrir ses coûts de production, ce qui entraîne une dépense finale de revenu dont le montant est égal à celui du revenu gagné par ses employés. Ainsi, l’accroissement de la demande de biens de consommation ne pouvant être nourri par le nouveau revenu, il l’est nécessairement au détriment de la demande privée de biens d’investissement. L’intervention de l’État a donc ici comme résultat le financement d’une partie de l’investissement public par une partie de l’investissement privé, le complément étant financé par un prélèvement dans l’avoir des ménages.

En conclusion, pourvu que les autorités monétaires évitent de financer les achats finaux de l’État par seigneuriage, il n’est pas question de leur attribuer la responsabilité de l’écart inflationniste qui ronge le pouvoir d’achat des monnaies nationales.

La politique du crédit menée par les banques serait-elle davantage à incriminer? La monnaie étant d’origine bancaire, il n’y a rien de plus normal, apparemment, que d’attribuer aux banques la cause essentielle de l’accroissement inflationniste de la masse monétaire. Et, comme il est universellement reconnu que la plus grande partie de la masse monétaire n’est pas composée de monnaie centrale, c’est aux banques secondaires que les accusations les plus graves sont adressées. En accordant des crédits avec trop de facilité, elles permettraient au public d’exercer une demande accrue, source certaine d’un écart inflationniste dans le cas où la capacité productive ne saurait immédiatement s’ajuster.

Faisons la distinction entre le crédit accordé à partir de dépôts préalables et le crédit en création de monnaie.

Il est bien connu que les banques secondaires reçoivent en dépôt le revenu des épargnants et qu’elles le prêtent. La demande que les épargnants renoncent à exercer sur le marché des produits est ainsi exercée par les emprunteurs, ceux-ci ne pouvant jamais dépenser plus que ce qui a été épargné. En d’autres termes, les banques ne peuvent pas prêter plus que ce qu’elles reçoivent en dépôt. Dès lors, il est inconcevable que les crédits accordés à partir des dépôts puissent accroître la masse monétaire et être une cause d’inflation par la demande. Ce qui est perçu par les emprunteurs est cédé par les épargnants. Ce qui est dépensé par les uns est épargné par les autres, de sorte que la demande globale, définie par le montant total du revenu disponible, demeure inchangée. Répétons que, d’après la théorie quantitative, il y a inflation seulement si la quantité de monnaie s’accroît relativement à la masse des produits. Or, dans notre cas, aucune unité monétaire ne s’ajoute à celles qui sont déjà disponibles. Le crédit se réduit à un simple transfert de revenu, et tout transfert est une opération double, positive pour les uns et négative pour les autres, qui ne modifie pas la situation d’ensemble.

Mais les banques peuvent aussi accorder des prêts qui vont bien au-delà du montant des dépôts préalablement constitués chez elles. On parle alors de crédit en création de monnaie, car la masse monétaire s’accroît dans la mesure même où les banques prêtent à l’économie les unités nécessaires à la monétisation des nouvelles transactions. Il s’agit donc de savoir si cette augmentation de la quantité de monnaie est compensée ou non par un accroissement équivalent de la masse des produits. Pour répondre à cette question, il est nécessaire de déterminer la nature des transactions que la monnaie nouvellement émise est appelée à véhiculer.

Supposons d’abord qu’il soit question de financer l’achat final de biens et de services. Dans ce cas, l’émission des banques secondaires est-elle une création ex nihilo ou bien une simple avance de revenu? En d’autres termes, les banques secondaires jouissent-elles du pouvoir du seigneur de battre monnaie ou sont-elles tenues de couvrir leurs prêts par des dépôts équivalents? Personne ne doute du fait que le seigneuriage est la source d’un accroissement inflationniste de la masse monétaire. Or ce risque est évité par l’adoption d’un principe qui règle le fonctionnement du système bancaire, à savoir l’équilibre quotidien des crédits et des dépôts. Toute banque secondaire sait bien que le non-respect de cette règle a comme conséquence l’endettement interbancaire, et elle essaye donc de s’y conformer le plus rigoureusement possible. Cela signifie qu’elle accorde uniquement les crédits qu’elle est à même de couvrir grâce à ses dépôts. La somme prêtée pour l’achat de biens et de services est donc prélevée dans les dépôts déjà constitués ou dans ceux que la banque est sûre d’obtenir dans la même journée. La création de monnaie qui accompagne ces prêts n’est donc rien d’autre qu’une avance: la banque avance aux emprunteurs le revenu qu’elle recevra des déposants et qui, ayant justement été dépensé à l’avance, ne pourra plus l’être une seconde fois au moment du dépôt effectif. Ainsi, ni la masse monétaire ni la demande globale ne peuvent normalement s’accroître à cause des crédits à la consommation accordés par l’ensemble des banques secondaires.

Il est toujours possible, il est vrai, que des banques secondaires accordent des crédits qu’elles n’arrivent pas à couvrir par des dépôts. Dans ce cas, le prix à payer est double: l’endettement interbancaire d’un côté, l’inflation de l’autre. Toutefois, l’écart entre demande globale et offre globale dû à la fonction créatrice des banques n’est pas cumulatif dans le temps, car il est compensé, à l’échéance du prêt, par un écart inverse. La demande excédentaire créée par les banques est ainsi neutralisée par une offre excédentaire équivalente qui se manifeste au moment du reflux de la somme prêtée en surabondance. L’analyse approfondie de ce phénomène montre en outre, nous reviendrons sur ce point, que l’anomalie est liée à la confusion entre fonction créatrice et activité d’intermédiation financière, confusion qui tient à la structure du système monétaire à l’intérieur duquel les banques sont appelées à effectuer leurs opérations, et non pas au comportement des banques elles-mêmes.

Il reste à analyser une autre catégorie de crédits, ceux que les banques accordent afin de financer une nouvelle production. Dans ce cas, aucun dépôt préalable n’est nécessaire, car, au moment même où le prêt est effectué, il donne naissance à un dépôt équivalent. Prenons l’exemple d’une entreprise qui bénéficie d’un crédit à la production de 100 millions de francs. Sa banque se charge donc de financer le paiement de ses coûts de production jusqu’à concurrence de cette somme, qu’elle inscrit à l’actif de son bilan. Or la rémunération des facteurs (les travailleurs de notre entreprise) est simultanément enregistrée au passif, pour le même montant: le prêt accordé à l’entreprise est ainsi aussitôt balancé par le dépôt définissant le revenu gagné par les travailleurs de celle-ci. Tout en respectant la règle de la couverture des crédits par les dépôts, les banques secondaires accroissent donc la quantité de monnaie dès qu’elles interviennent pour monétiser une nouvelle production. Mais il est immédiatement évident que cette émission supplémentaire de monnaie n’est pas inflationniste, car elle est équilibrée par une hausse équivalente de la masse des biens et services réels. L’augmentation de la demande est compensée par celle de l’offre, de sorte qu’aucune force n’intervient pour modifier le rapport entre monnaie et produit.

Remarquons encore que, d’après certains auteurs keynésiens, il faudrait distinguer, dans l’analyse de l’accroissement de la masse monétaire, entre la quantité de monnaie destinée au financement des transactions et celle qui est accumulée pour satisfaire aux besoins spéculatifs. D’après ces auteurs, seul l’accroissement pathologique de la monnaie de transaction serait cause d’inflation, la monnaie spéculative n’étant dépensée ni sur le marché des produits ni sur celui des titres. Cependant, comme il est démontré par l’analyse monétaire la plus récente, toute épargne définit un dépôt bancaire. La monnaie spéculative, qui n’est pas soustraite au système bancaire, demeure donc complètement disponible pour le financement de la demande globale, exercée aussi bien par les consommateurs que par les emprunteurs. Ainsi, s’il y a accroissement de la masse de monnaie face au revenu (inchangé) d’une même période, l’inflation est mesurée par le total de l’accroissement, et non pas seulement par l’une de ses parties.

Ainsi, dans ce procès sur les causes de l’inflation par la demande qui caractériserait les économies des pays développés, les principaux accusés – consommateurs, autorités publiques, système bancaire – doivent être acquittés sans réserve, le financement des achats par la voie du seigneuriage étant imputable à une malformation de la structure monétaire et non pas au comportement des banques. Le concept même de l’inflation par la demande doit être revu à la lumière de ces considérations. Celui de l’inflation par les coûts permettrait-il mieux de découvrir les vrais coupables du désordre qui accable nos économies monétaires?

L’inflation par les coûts

Dès qu’on assimile l’inflation à la hausse de l’indice des prix, il est normal qu’on range parmi ses causes toutes celles qui engendrent un accroissement des coûts de production supérieur à celui de la productivité. Ainsi, on affirme souvent que la hausse substantielle du prix du pétrole dans les années 1970 a été une source d’inflation pour les pays industrialisés, car ceux-ci ont vu augmenter soudainement leurs coûts de production. Et, comme l’augmentation des coûts est répercutée sur les consommateurs, la hausse du prix du panier a été considérée comme un signe certain de la perte du pouvoir d’achat de la monnaie de ces pays.

Inflation et produits importés

Comme on l’a déjà remarqué, bien que la perte de pouvoir d’achat de la monnaie engendre toujours une perte pour les titulaires de revenu, la diminution du pouvoir d’achat des consommateurs n’est pas nécessairement la marque d’un déséquilibre inflationniste. Dans le cas du choc pétrolier, le prix plus élevé des produits des pays industrialisés n’était pas dû à un accroissement pathologique de la masse monétaire. La hausse du prix du pétrole importé exerce un effet sur la balance des paiements des pays importateurs et implique une nouvelle répartition du revenu intérieur, dont une partie accrue est consacrée à l’achat des produits extérieurs. Mais ce qui importe ici, c’est le rapport entre monnaie nationale et produit national, entre la masse monétaire et la masse des produits du pays considéré.

L’inflation est une maladie qui affecte la monnaie d’un pays relativement aux produits qu’elle doit véhiculer, et il est certain que le pouvoir d’achat de toute monnaie nationale est défini relativement au produit national. Ainsi, le franc est soumis à un déséquilibre inflationniste s’il perd une partie de son pouvoir d’achat sur la production française. Or la quantité de monnaie circulant en France n’est pas accrue du fait que le pétrole importé par les résidents français est vendu plus cher par les pays producteurs. Si la production de biens et de services français reste la même, le revenu créé en France demeure inchangé, ainsi que le rapport entre demande et offre globales. Les coûts étant plus élevés, les entreprises doivent vendre plus cher leur produit, c’est entendu, mais cette hausse des prix à la consommation n’affecte pas le pouvoir d’achat des francs, dont le contenu est déterminé par la totalité de la production française. Comme le même produit est véhiculé par la même quantité de monnaie, il n’y a aucune raison de penser qu’un choc extérieur tel que la hausse du prix du pétrole puisse creuser des écarts inflationnistes à l’intérieur du pays.

Inflation et salaires

Avec les salaires, on touche à l’un des problèmes les plus épineux de la théorie traditionnelle de l’inflation. Il s’agit en effet de déterminer si la hausse des salaires est une cause de la diminution du pouvoir d’achat, ou si elle n’est qu’une tentative de limiter a posteriori l’effet négatif de l’augmentation inflationniste des prix. Il s’agit de savoir si le comportement des travailleurs et de leurs associations peut être la source d’un déséquilibre monétaire.

Supposons qu’en France les salaires nominaux passent de 100 à 110 unités de monnaie par unité de temps, sans qu’il y ait accroissement de la productivité du travail. Si l’augmentation est générale, le coût de production des produits français augmentera dans la même proportion, ainsi que l’indice des prix déterminé à partir du panier. Ce résultat paraît d’ailleurs conforme à la théorie quantitative: à cause de la hausse des salaires, la masse monétaire s’accroît, tandis que, faute d’augmentation de la productivité, la masse des produits demeure inchangée.

Mais est-il exact d’affirmer que la modification des salaires n’a aucune répercussion sur la masse des produits? Tout en admettant que la quantité physique des biens et des services ne varie pas, cela est-il suffisant pour conclure à la constance de la masse des produits économiques?

Remarquons tout d’abord que les produits correspondant aux salaires de 100 ne sont pas identiques à ceux définis par les salaires de 110. Indépendamment de leur constitution physique, il s’agit de deux masses distinctes (p1 et p2) et non pas d’une seule et même masse. L’augmentation de la quantité de monnaie définit donc non pas un changement du rapport entre un produit et la monnaie qui le véhicule, mais l’établissement du rapport entre le nouveau produit et la monnaie à un niveau numériquement différent du premier.

Si la masse monétaire passait de 100 à 110 unités relativement au seul produit p1, il n’y aurait pas à hésiter quant à la nature inflationniste de l’opération. Mais ce qui se passe ici est tout différent. C’est p2, en effet, et non pas p1, qui est véhiculé par 110 unités de monnaie. Monétairement, le produit p2 est complètement distinct de p1, et il n’y a pas de raisons fondamentales pour qu’il ne soit pas monétisé par un nombre d’unités plus grand que celui qui était utilisé pour monétiser p1. Ce qu’il est important d’observer, c’est que l’accroissement des salaires nominaux correspond uniquement à un changement d’échelle, et qu’il n’a aucune répercussion sur le niveau du pouvoir d’achat des unités monétaires. Les 110 unités ont un pouvoir d’achat tout aussi parfait que les 100 unités de la période précédente, étant donné que les premières définissent un produit économiquement différent de celui que définissaient les secondes.

Cela dit, il va de soi que, en absence d’inflation, il n’y aurait aucune raison de modifier l’échelle des salaires nominaux. Le progrès technologique à lui seul serait suffisant pour que la croissance des salaires nominaux fût accompagnée d’un accroissement des salaires réels, et la stabilité monétaire serait ainsi parfaitement compatible avec la diminution du coût de la vie. Si, dans le monde contemporain, nous constatons une variation presque constante du niveau des salaires, c’est bien parce que les travailleurs essaient de limiter la perte du pouvoir d’achat qui leur est causée par l’inflation. Il n’est donc pas correct d’affirmer l’existence d’une chaîne causale allant de la hausse des salaires vers l’inflation.

Étant donné un certain niveau d’inflation, n’est-il pas vrai, au moins, que l’indexation des salaires introduit une spirale qui conduit à une diminution accrue du pouvoir d’achat? Cette conclusion serait justifiée uniquement si la hausse des salaires pouvait se transformer en cause d’inflation. En réalité, non seulement cette hausse n’intervient qu’après coup, c’est-à-dire une fois que les salariés ont déjà subi pendant des mois l’effet pervers de la hausse inflationniste des prix, non seulement elle n’est en général pas suffisante pour rétablir le niveau précédent des salaires réels, mais elle a aussi un effet positif, car elle réduit proportionnellement la part de la masse monétaire d’origine inflationniste. Par exemple, si, avant l’augmentation des salaires, 10 unités monétaires sur 100 étaient de nature inflationniste, après l’augmentation, ces mêmes 10 unités feraient partie d’une masse totale de 110, ce qui réduirait le taux d’inflation de 10 à 9,09 p. 100.

Finalement, le résultat auquel on était parvenu en analysant les causes «comportementales» de l’inflation par la demande est confirmé: définie par un «gonflement» pathologique de la masse monétaire, l’inflation dont souffrent les économies avancées n’est en aucun cas la conséquence des décisions prises par les différentes catégories d’agents économiques. Qu’il s’agisse de l’État, des banques, des consommateurs, des partenaires étrangers ou des travailleurs, leur activité n’est pas à même de modifier le rapport monnaie/produit. Mais, alors, comment se fait-il qu’en réalité ce rapport soit constamment modifié? Le moment est venu d’introduire les éléments d’une approche structurelle du problème de l’inflation.

Inflation et structure monétaire

Il s’agit de savoir si la structure monétaire est saine, c’est-à-dire parfaitement conforme à la nature de la monnaie bancaire. Le doute est légitime, d’autant plus que la perte du pouvoir d’achat dont souffrent nos monnaies échappe constamment au contrôle des autorités monétaires. Prétendre que c’est là le signe d’une contradiction inhérente à tout système monétaire, c’est renoncer à comprendre. L’inflation n’est pas plus consubstantielle à l’économie monétaire que le sida aux êtres humains: dans les deux cas, il s’agit de maladies dont il est nécessaire de découvrir l’origine afin de pouvoir s’en débarrasser.

La monnaie, répétons-le, est de nature bancaire. Cela signifie qu’elle est émise sous forme d’écritures comptables et qu’elle circule sous cette même forme. Toute transaction requiert l’intervention de la monnaie comme étalon de mesure et moyen de paiement. Or il est possible que les mécanismes qui règlent aujourd’hui les jeux d’écritures ne respectent pas toujours la nature essentiellement véhiculaire de la monnaie bancaire, et que ces transactions, en elles-mêmes tout à fait normales, aient comme conséquence l’accroissement inflationniste de la masse monétaire.

L’inflation structurelle d’origine intérieure

Supposons que le produit national français d’une période donnée soit véhiculé par 100 millions de francs. Avant toute inflation, le produit est ainsi le contenu des 100 millions de francs, qui en définissent la mesure économique (la forme). Le rapport produit/monnaie est des plus parfaits, et tel il resterait si aucune opération ne donnait lieu à une émission supplémentaire de monnaie. Mais, si une telle opération avait lieu, alors le même produit, précédemment défini par 100 millions de francs, serait porté par une somme accrue (par exemple 110 millions), dont une partie correspondrait à de la monnaie «vide». Or la monnaie émise par le système bancaire peut répondre à deux définitions: ou bien elle est la reproduction d’un revenu épargné et non encore dépensé, ou bien il s’agit d’une nouvelle création destinée à monétiser une nouvelle production. Dans les deux cas, aucune monnaie vide n’apparaît dans le système, car la monnaie émise est aussitôt associée à un produit équivalent. Toutefois, si, au lieu d’être monétisé par une monnaie nouvellement émise, le produit l’était à partir d’un revenu épargné, il y aurait superposition de deux opérations: la dépense d’un revenu (qui définit toujours l’achat d’un produit) et la monétisation d’une production (qui définit toujours un nouveau produit). Le respect de la nature de la monnaie bancaire exige que les deux opérations soient distinctes au niveau comptable. Si elles ne le sont pas, comme c’est effectivement le cas de nos jours, l’une est imputée à l’autre, ce qui donne naissance à une monnaie vidée de son contenu. Lorsqu’elle est associée au paiement des salaires, la dépense du revenu soustrait le produit de la monnaie nouvellement émise et conduit à un accroissement pathologique de la masse monétaire, sans que ce résultat puisse être attribué au comportement fautif d’aucun agent économique.

Structure monétaire et demande extérieure

Étant entendu que l’inflation est toujours accompagnée d’une demande excédentaire et que l’accroissement inflationniste de la masse monétaire ne peut pas être attribué au comportement des différents agents économiques, l’écart entre demande globale et offre globale doit être vu comme le résultat d’une anomalie structurelle du système bancaire. Or cela s’applique aussi aux relations extérieures. L’ouverture des frontières, en effet, est à l’origine d’une demande externe qui peut conduire à un gonflement inflationniste de la quantité interne de monnaie.

Rappelons que le rapport déterminant est celui entre la masse du produit national et la quantité de monnaie domestique. Il s’agit donc de vérifier si la demande extérieure a une répercussion sur la masse de monnaie émise à l’intérieur. Sans entrer dans les détails de l’analyse, nous pouvons aisément constater que, dans le cas où la balance commerciale d’un pays est excédentaire, l’entrée nette de devises est destinée à accroître ses réserves officielles. Mais l’accroissement de ces réserves implique une création supplémentaire de monnaie nationale de la part de la banque centrale. Les devises sont ainsi achetées par la voie du seigneuriage, opération de création ex nihilo , dont la fâcheuse conséquence est d’engendrer une demande excédentaire à l’intérieur du pays.

Il est important de remarquer que le droit du seigneur, exercé par la banque centrale, est automatiquement induit par le mécanisme des relations comptables défini par la structure des paiements de nos systèmes monétaires. Ce n’est donc pas le comportement des banques centrales qui est à blâmer, mais bien le fait que les paiements en devises sont fondés sur une conception de la monnaie qui a comme conséquence la fameuse «duplication» dénoncée par Jacques Rueff (les devises payées par le reste du monde restent déposées dans leur pays d’origine tout en étant enregistrées à l’actif du système bancaire des pays exportateurs) et l’émission «gratuite» d’une monnaie nationale privée de tout contenu réel. Ne pouvant logiquement avoir un pouvoir libératoire qu’à l’intérieur du pays où elles sont émises, les monnaies nationales (dont les devises clés) ne devraient pas être assimilées à des actifs nets lors de leur utilisation comme moyen de paiement international. En absence de tout revenu d’origine extérieure (la production internationale n’est, en effet, que la partie multinationale de la production de l’ensemble des pays), les devises ne devraient être que le véhicule des transactions internationales. Si cela n’est pas le cas, l’enregistrement de leur duplicata à l’actif des banques des pays excédentaires et leur accumulation dans les réserves officielles de ces mêmes pays conduisent nécessairement à une émission inflationniste de la part des banques centrales. C’est par un mécanisme pervers que naît l’inflation, et c’est donc par une réforme structurelle qu’elle pourra enfin être éliminée.

inflation [ ɛ̃flasjɔ̃ ] n. f.
• 1919, empr. angl.; XVe « gonflement », sens du lat. inflatio
1Hausse généralisée et continue des prix. Inflation structurelle, conjoncturelle. Taux d'inflation mesuré à partir de l'indice des prix. Inflation galopante. Inflation de 10% par an. Inflation monétaire, budgétaire. Inflation interne, importée. Politique qui mène à l'inflation. inflationniste. Inflation et stagnation de la production. stagflation. Érosion monétaire résultant de l'inflation. Réduire, juguler l'inflation ( désinflation) .
2Par ext. (1925) Extension, augmentation jugée excessive d'un phénomène. Inflation verbale.
3Pathol. Gonflement (d'un tissu, d'un organe) par infiltration de gaz ou de liquide. emphysème, œdème.
⊗ CONTR. 2. Déflation.

inflation nom féminin (anglais inflation, du latin inflatio, -onis, de inflare, gonfler) Situation ou phénomène caractérisé par une hausse généralisée et continue du niveau des prix. Augmentation, accroissement excessif : Inflation de fonctionnaires. Astronomie Phase d'expansion extrêmement rapide qu'aurait connue l'Univers une fraction de seconde après le big bang, selon certains théoriciens. ● inflation (expressions) nom féminin (anglais inflation, du latin inflatio, -onis, de inflare, gonfler) Inflation rampante, inflation chronique, mais dont le taux demeure relativement faible (par opposition à hyperinflation, ou inflation galopante). Inflation résiduelle, tendance du niveau des prix sur le long terme, inhérente à l'existence d'une structure économique donnée, et non liée à des facteurs externes.

inflation
n. f.
d1./d ECON Phénomène économique qui se traduit par une hausse des prix généralisée, dû, selon certains économistes, à une circulation monétaire excessive, ou, selon d'autres, à un déséquilibre entre l'offre et la demande globale des biens et des services disponibles sur le marché.
d2./d Augmentation excessive. Inflation du nombre des fonctionnaires. Ant. déflation.

⇒INFLATION, subst. fém.
A. — MÉD. ,,Distension d'un tissu ou d'un organe par un gaz ou un liquide`` (Méd. Biol., t. 2, 1971). L'enflure est le résultat de l'inflation (LITTRÉ).
B. — ÉCON. POL. Inflation (monétaire). ,,Déséquilibre économique se traduisant par la hausse de prix et dû à l'augmentation du volume monétaire en circulation, au déficit budgétaire, à l'excès du pouvoir d'achat des individus par rapport aux biens mis à leur disposition`` (BARR. 1974) :
1. Le pape critiquait le gouvernement de Philippe le Bel, (...), intervenait même dans les finances puisqu'un de ses griefs était l'altération des monnaies, mesure nécessitée par la guerre, elle aussi; car, en ce temps-là, où l'on n'avait pas la facilité d'imprimer des billets de banque, on mettait moins de métal précieux dans les pièces de monnaie, ce qui était la forme ancienne de « l'inflation monétaire ».
BAINVILLE, Hist. Fr., t. 1, 1924, p. 80.
SYNT. Inflation contenue, déchaînée, effrénée, fiduciaire, galopante, latente, ouverte, rampante, refoulée, salariale; inflation du papier monnaie; menace, période d'inflation; éviter, réfréner l'inflation; lutter contre l'inflation.
En partic.
Inflation de croissance. ,,Phénomène se produisant lorsqu'il y a un déséquilibre global entre la capacité de production totale et le niveau de la demande globale, provoqué par un effort massif d'investissement`` (d'apr. BIROU 1966).
Inflation de sous-développement. ,,Inflation structurelle de stagnation`` (BIROU 1966).
P. anal. Extension, développement excessif. Inflation intellectuelle, poétique, verbale. L'épithète est dépréciée. L'inflation de la publicité a fait tomber à rien la puissance des adjectifs les plus forts (VALÉRY, Variété III, 1936, p. 283). L'insolence sexuelle trahit souvent, comme l'inflation érotique, une déchéance de l'instinct (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 488) :
2. L'écrivain qui rend témoignage à sa foi est sans cesse menacé par cette inflation : il est toujours exposé au péril d'émettre plus de protestations, plus d'exhortations, qu'il ne détient réellement de foi, de pureté et d'amour.
MAURIAC, Journal 2, 1937, p. 149.
C. — PSYCHOL. ,,Extension de la personnalité qui dépasse ses limites individuelles`` (VIREL Psych. 1977). Tout accroissement de conscience porte en lui le danger de l'inflation (VIREL Psych. 1977).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. 1935. Étymol. et Hist. 1. Ca 1300 « enflure, gonflement » l'inflation du membre (La Chirurgie de l'abbé Poutrel, Ms. Reg. lat. 1211 Bibl. Vatican, 17 v° d'apr. O. SÖDERGÅRD ds Mél. Lecoy, 1973, p. 545); 2. 1919 écon. (H. TRUCHY, Cours d'économie politique, t. 1, p. 353); 3. 1919 dans une compar. (L. DAUDET, Monde images, p. 180 : Comme l'or, il [le mot] se discrédite par l'abondance et l'inflation); d'où 1922 « excès, surabondance avec dévalorisation » le déluge et l'inflation des mots (ID., St. XIXe s., p. 141); cf. aussi emploi métaph. de 1 au XVIe s. 1511 « excès, abus prétentieux » inflation de science (J. LEMAIRE DE BELGES, Schismes et Conciles, 1re part., III, 259 ds HUG.). Empr. au lat. inflatio « gonflement » dér. de inflare (v. enfler). Le terme d'écon. est sans doute empr. à l'angl. inflation resté vivant au sens de « excès, surabondance et dévalorisation » (cf. NED) et attesté dès 1838 en anglo-amér. comme désignant la hausse des prix et la dévalorisation de la monnaie (Dict. of Americanisms, 4e éd. 1966). Fréq. abs. littér. : 72.

inflation [ɛ̃flɑsjɔ̃] n. f.
ÉTYM. 1549; « gonflement », XVe; lat. inflatio « gonflement », de inflatum, supin de inflare « gonfler » (→ Enfler); le sens II par l'anglais.
———
I Méd., vx. Action d'enfler, de s'enfler. || L'enflure est le résultat de l'inflation (Littré, Dictionnaire).
Mod. Gonflement (d'un tissu, d'un organe) par infiltration de gaz ou de liquide. Emphysème, œdème.
———
II
1 (1919; angl. inflation [1838, dans ce sens, aux États-Unis], de to inflate, du supin du lat. inflare). Hausse des prix continue et généralisée, souvent causée par un accroissement excessif des instruments de paiement (billets de banque, capitaux) et dont l'une des conséquences peut être la dépréciation de la monnaie. Stagflation. || Les facteurs de l'inflation. || L'inflation entraîne une érosion monétaire, la baisse du pouvoir d'achat. || Inflation fiduciaire, monétaire, caractérisée par l'augmentation du nombre des billets de banque en circulation. || Inflation de capitaux. || Politique qui mène à l'inflation. Inflationniste. || Menaces d'inflation. || Dévaluation consécutive à l'inflation. || L'inflation compromet l'épargne (cit. 10). || Lutte contre l'inflation. || Inflation rampante, galopante, courte, longue. || Inflation ouverte, déclarée. || Taux d'inflation mensuel, annuel. || Revenus menacés, rongés par l'inflation.Inflation de croissance; de stagnation, de sous-développement. || Inflation structurelle, conjoncturelle.
1 Le moyen était trop tentant et l'Assemblée n'en avait pas d'autres pour tenir ses promesses. Dès lors la maladie de l'inflation suivit son cours fatal : dépréciation constante, incoercible, appelant des émissions de plus en plus fortes, ce que nous avons vu de nos jours en Russie et en Allemagne. Partie de 400 millions, la Révolution, au bout de quelques années, en sera à 45 milliards d'assignats lorsqu'il faudra avouer la faillite monétaire.
J. Bainville, Hist. de France, XVI, p. 338.
2 L'inflation est tout accroissement des moyens de paiement mis à la disposition du public, qui n'a pas été provoqué par l'accroissement des besoins du public en fait de moyens de paiement. Il y a des inflations de monnaie métallique (…) Il y a des inflations de crédit (…) Enfin il y a des inflations de billets à cours forcé. Celles-ci sont (…) généralement d'un ordre de grandeur supérieur à celui des inflations des autres espèces et (…) elles ont des conséquences plus étendues et plus graves (…) Des moyens de paiement en surnombre, cela a pour conséquence la dépréciation de l'unité monétaire, dépréciation qui se traduit par la hausse des prix (…) Mais cette hausse des prix n'est pas la seule conséquence dommageable de l'inflation. Une conséquence plus dommageable encore est l'instabilité des prix.
Henri Truchy, Cours d'économie politique, t. I, p. 352-353.
2 (1925). Par ext. Extension, augmentation jugée excessive (d'un phénomène) qui tend à lui faire perdre sa valeur. || Inflation verbale. || L'inflation des cadres. || L'inflation des titres olympiques.
3 Les jeunes gens les plus dégourdis sont prévenus de reste aujourd'hui contre l'inflation poétique. Ils savent ce qui se cache de vent derrière (…) les sonores rengaines lyriques.
Gide, les Faux-monnayeurs, III, VI, in Romans, Pl., p. 1199.
4 Ne pas mentir, ni se payer de mots; refuser toute inflation verbale; proscrire les morceaux de bravoure; ne pas parler à tort et à travers et faire de la littérature un art touche à tout; écrire comme quelqu'un qui sait ce que parler veut dire et n'user du langage qu'avec la rigueur et la loyauté les plus grandes.
S. de Beauvoir, Tout compte fait, p. 173.
CONTR. Déflation. Désinflation.
DÉR. et COMP. Inflationniste. Désinflation, hyperinflation.

Encyclopédie Universelle. 2012.