GUATEMALA
La république du Guatemala, située entre la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique, occupe 108 889 kilomètres carrés au sud-est du Mexique, dont une longue partie de la frontière suit le fleuve Usumacinta. Elle est bordée à l’est par le Belize, ex-Honduras britannique, et, au sud, par le Salvador et le Honduras. De loin le pays le plus peuplé d’Amérique centrale, avec 9,5 millions d’habitants en 1992, le Guatemala compte une majorité d’Indiens qui peut être estimée à environ 65 p. 100 de la population totale, bien que les chiffres officiels minimisent leur importance (44 p. 100), selon un usage répandu en Amérique latine. La moyenne du taux de croissance de la population lors de la décennie 1980-1990 était de 2,9 p. 100.
L’agriculture d’exportation domine l’économie. Le développement de l’agriculture souffre de la permanence de structures qui favorisent une oligarchie terrienne puissante à côté d’un secteur rural de subsistance – ce dernier correspondant principalement à la population indienne, dont une partie continue de vivre en communautés.
La capitale, Ciudad Guatemala, se situe sur la route panaméricaine. Les autres villes importantes sont Quezaltenango, Puerto Barrios, Huehuetenango, Totonicapán, Escuintla, Antigua... Les hauts plateaux abritent la plus grande densité de peuplement après la capitale; c’est là aussi que vit la plus importante population indienne; celle-ci atteint de 70 à 90 p. 100 dans les départements de San Marcos, Huehuetenango, El Quiché, Quezaltenango, Totonicapán, Sololá, Chimaltenango, Altaverapaz, Bajaverapaz.
Le pays comporte vingt et un départements dont le plus vaste, le Petén, garde de prestigieux vestiges de l’ancienne civilisation maya.
La langue officielle, l’espagnol, coexiste avec vingt-trois autres langues parlées, les principales étant le quiché, le mam, le kakchikel et le kekchi. Le taux d’analphabétisme est très élevé: 44 p. 100 en 1986. La religion dominante est le catholicisme, souvent en symbiose avec la religion maya dans les communautés indiennes. Mais le protestantisme est de plus en plus présent dans le pays, surtout à travers de multiples sectes (principalement d’origine nord-américaine) qui, à plus ou moins long terme, peuvent modifier l’équilibre religieux du Guatemala.
Depuis la fin des années soixante-dix jusqu’à l’instauration d’un gouvernement civil en 1986, le Guatemala a vécu une période de violence sans précédent dans son histoire pourtant mouvementée. Prétextant la lutte anti-insurrectionnelle, les forces armées sont responsables de véritables massacres, de déplacements massifs de populations et de l’exode de plusieurs centaines de milliers de réfugiés. Ce sont les Indiens qui ont le plus souffert de ce qui a pu être qualifié par certains observateurs de terrorisme d’État. Mais le conflit politique et militaire qui a dominé la scène nationale pendant toutes ces années a aussi mis en relief une réalité souvent niée dans ce Guatemala malgré tout souriant et coloré qui fait la joie des touristes: la dichotomie entre ladinos (non-Indiens) et Indiens majoritaires mais dépourvus de pouvoir et objets d’un racisme profondément enraciné dans tous les aspects de la vie quotidienne.
1. Le pays et les hommes
Pays extrêmement varié, le Guatemala présente des basses terres (Petén, Quiché, Huehuetenango, côte pacifique) et des terres montagneuses, dites hautes terres. Les terres moyennes, qui correspondent aux versants montagneux, sont propices à la culture du café. Des volcans de formation récente se succèdent sur une bande allant du Mexique au Salvador; certains sont encore en activité comme le Pacaya et le Fuego non loin de la capitale. Ces contrastes du relief se reflètent dans le climat: froid dans les hautes terres, très chaud dans les basses terres. Les plaines fertiles de la côte pacifique, humides et torrides, comportent de grandes propriétés où sont cultivés bananes, coton et canne à sucre.
Les Indiens occupent surtout les hautes terres les moins fertiles, où ils ont été repoussés tout au long de la colonisation, soit sur des parcelles individuelles (minifundios ), soit dans des communautés. Ils produisent du maïs, des haricots, du piment et d’autres plantes vivrières. La population rurale du Guatemala coïncide en grande partie avec la population indienne. Cependant, ne produisant pas suffisamment pour satisfaire leurs besoins, c’est par milliers que des ouvriers agricoles saisonniers en provenance des hautes terres vont effectuer un travail temporaire dans les plantations de café, de canne et de coton des basses terres. Pour les mêmes raisons, ils sont environ 20 000 à traverser chaque année la frontière pour participer à la cueillette du café au Chiapas, dans le sud du Mexique.
Les Indiens, pourtant majoritaires, ne détiennent ni le pouvoir politique, ni le pouvoir économique, qui se trouvent entre les mains des ladinos. Seule une petite bourgeoisie indigène, essentiellement commerçante, a réussi à percer à Quezaltenango, à Totonicapán et à Ciudad Guatemala.
La réforme libérale de 1871, en consolidant les moyennes propriétés et en étendant les grands domaines au profit des ladinos, affecta les communautés, et le clivage entre Indiens et non-Indiens s’est accentué, malgré une politique indigéniste visant à intégrer l’Indien à la société nationale guatémaltèque.
Depuis les années 1970, les Indiens remettent en cause de plus en plus la domination des ladinos et continuent à réclamer les terres dont ils ont été dépouillés, tant par les grands propriétaires que par les militaires eux-mêmes qui ont acquis un pouvoir économique accru. De plus, une conscience ethnique, entretenue par les langues indiennes et les traditions communautaires qui cherchent à s’adapter à la modernité, persiste et s’affirme chez les différents peuples qui composent le pays. La terrible répression militaire qui s’est abattue sur eux a mis en lumière, par-delà la réprobation internationale des violations massives des droits de l’homme au Guatemala, cette présence indienne qui obligera peu à peu toute la société à réviser ses positions. Le conflit armé au Guatemala, s’il n’a pu aboutir dans le sens souhaité par la guérilla, a cependant permis de se rendre compte que, dans ce pays, aucun changement de société ne saurait s’effectuer sans les Indiens. Ceux-ci, en participant aux luttes sociales, soit à travers les organisations existantes, soit en constituant eux-mêmes leurs propres canaux d’expression, témoignent d’une volonté d’être reconnus comme sujets autonomes. À la fin des années 1980, le défi pour eux est d’effacer le traumatisme de la guerre, de reconstituer leurs forces, de reconquérir des espaces locaux et de s’adapter à la restructuration physique et démographique opérée par les militaires dans les campagnes.
2. Une économie en crise
Le Guatemala, qui cultivait au XIXe siècle l’indigo et la cochenille nécessaires à l’industrie textile européenne, s’est tourné au début du XXe siècle vers la culture de la banane, avec l’implantation dans le pays de l’United Fruit Company. Cette compagnie, pour servir ses intérêts, construisit le chemin de fer qui aboutit au port de Puerto Barrios.
60 p. 100 de la population travaillent dans des activités agricoles, qui présentent de profonds contrastes entre le secteur de subsistance (situé surtout sur les hautes terres et voué à la culture du maïs, du blé, des haricots et de divers légumes) et les grandes plantations modernes tournées vers la culture des produits d’exportation. Les propriétés foncières moyennes sont le plus souvent entre les mains des ladinos. C’est le secteur de subsistance (autrement dit les Indiens) qui nourrit pratiquement le pays sur des parcelles de terre de moins de 3 hectares. Les grandes plantations sont consacrées au café, au coton, aux bananes et à la canne à sucre.
Le café constitue le principal produit d’exportation du Guatemala: il représentait, en 1986, plus de 47 p. 100 de la valeur totale des exportations, ce qui fait dépendre hautement l’économie guatémaltèque des fluctuations des cours du café sur le marché international. C’est pourquoi le Guatemala essaie de diversifier ses exportations de produits non traditionnels comme les fruits et les légumes.
Les principaux acheteurs sont: les États-Unis, les pays d’Amérique latine, la C.E.E. (et en particulier la république fédérale d’Allemagne). La majorité des capitaux étrangers investis au Guatemala provient des États-Unis. Mais le Japon a intensifié sa présence dans le pays, ainsi que la Corée du Sud.
Depuis les années 1970, les différents gouvernements encouragent la colonisation des «terres vierges» (il s’agit des basses terres du nord du pays et du Petén), qui sert de soupape de sûreté à la pression qui se fait fortement sentir sur l’Altiplano. Cependant, la découverte de pétrole et d’autres richesses minérales dans ces zones de colonisation a engendré de nouveaux conflits en raison de la revalorisation des terres et des appétits insatiables des acquéreurs de grandes propriétés (pour beaucoup des militaires).
Les capitaux étrangers se déplacent du secteur agricole vers les activités minières, l’exportation du pétrole et le tourisme. Nombre de grands domaines nouvellement constitués aux dépens des premiers colons dépourvus de titres de propriété s’adonnent à l’élevage destiné à l’exportation de la viande. L’oligarchie traditionnelle, liée à la grande propriété foncière, reste la plus puissante économiquement et politiquement. Une sorte de nouvelle bourgeoisie est apparue avec la mise en valeur de la frange transversale du Nord (qui s’étend de la frontière mexicaine jusqu’à la latitude du sud du Belize). Cette zone est le lieu de grands projets de développement, en particulier miniers; la région recèle du pétrole dont l’exploitation, entre les mains de plusieurs sociétés transnationales, a commencé en 1975; il est acheminé par un oléoduc jusqu’à la côte atlantique. Le Guatemala est aussi riche en nickel, autour du lac Izabal. Les autres ressources minérales sont le cuivre, l’antimoine, le tungstène, le plomb, le zinc. La grande centrale hydroélectrique de Chixoy, qui a bénéficié de prêts de la Banque interaméricaine de développement (B.I.D.), est le plus important projet jamais entrepris dans le pays.
La dette publique extérieure du Guatemala a augmenté considérablement dans les années 1970, pour atteindre 3 milliards de dollars en 1991.
Le climat de violence qui a régné depuis les années 1970 dans le pays a entraîné une fuite des capitaux et une chute des investissements étrangers. L’insécurité dans les campagnes a eu des répercussions négatives sur les cultures, comme celles du café, dont la production a diminué de 10 p. 100 en 1981, ou du coton. L’agriculture a été également gravement affectée par l’exode de réfugiés dans les pays avoisinants (Mexique, Belize, Honduras) ou plus éloignés (États-Unis) et d’un million de déplacés internes qui sont allés s’abriter dans les montagnes ou grossir les bidonvilles de la capitale où ils se sont retrouvés au chômage.
Or la base de l’économie guatémaltèque est l’agriculture, qui contribue pour 28 p. 100 au P.I.B. Mais l’inégale répartition de la terre dans ce pays où 90 p. 100 des tenures ont moins de 7 hectares (la moyenne n’atteignant même pas un hectare) constitue une bombe à retardement.
Entre 1960 et 1978, l’industrie devint un secteur dynamique de l’économie, dominant même le Marché commun centraméricain. L’économie guatémaltèque, dont la modernisation n’est pas négligeable (qui profite en fait à une minorité favorisée par les gouvernements militaires successifs) a subi les contrecoups de la crise mondiale et régionale, mais aussi du conflit armé interne. Le début des années 1980 a coïncidé avec une baisse de l’activité économique due aux restrictions des échanges commerciaux centraméricains.
Lorsque les forces armées acceptèrent de remettre le pouvoir aux civils, en organisant les élections générales de 1985, le pays était en proie à une crise très grave que le pouvoir militaire se révélait incapable d’affronter. Le chômage touchait alors la moitié de la population économiquement active, l’inflation s’était élevée à 35 p. 100, les exportations et les importations avaient diminué de 43 à 30 p. 100 de 1980 à 1986. C’est un lourd héritage qui attendait le gouvernement démocrate-chrétien de Vinicio Cerezo lorsqu’il arriva au pouvoir au début de 1986. En juin, il approuvait un programme destiné à stabiliser l’économie. Le système de change fut simplifié. Le gouvernement réussit, avec le soutien des militaires, à faire passer une loi fiscale très controversée malgré la violente opposition du secteur privé (habitué à ne pas payer d’impôts!). Un nouveau ministère était créé, celui du développement urbain et rural, dans un but de décentralisation, qui instaurait des «conseils de développement» aux niveaux local, régional et national, tant dans le domaine urbain que rural, afin de faire participer la population à son propre développement. Cette nouvelle structure répondait aussi à une volonté de démilitarisation de la société.
Mais la nécessaire réforme agraire que réclament les campagnes ne sera pas encore à l’ordre du jour; elle heurterait de front l’oligarchie terrienne et sonnerait le glas du gouvernement civil.
Dans le domaine de l’intégration économique latino-américaine, le Guatemala fait partie du Système économique latino-américain (S.E.L.A.), de l’Union des pays exportateurs de bananes (U.P.E.B.) et du Marché commun centraméricain qui est en déclin à la suite du retrait du Honduras en 1969 et des convulsions qui secouent l’Amérique centrale.
Cependant, les gouvernements centraméricains sont conscients de la nécessité pour eux de relancer l’intégration régionale pour s’affirmer dans le monde moderne et relancer leurs économies exsangues, comme ils l’ont notamment exprimé lors des différents sommets des cinq présidents (Guatemala, Honduras, Nicaragua, Costa Rica, El Salvador) qui se sont tenus depuis 1986 et dont le second, Esquipulas II, a abouti à un accord de paix régional (7 août 1987).
L’un des souhaits du Guatemala en matière économique serait aussi de s’ouvrir sur les Caraïbes. Mais la route des Caraïbes passe pour lui par une normalisation de ses rapports avec le Belize, dont il a pendant longtemps revendiqué le territoire et dont il n’a pas reconnu l’indépendance en 1981.
3. Un peuple à la recherche de lui-même
La période précolombienne
La période précolombienne de la région qui deviendra plus tard le Guatemala fut caractérisée par la florissante civilisation maya, s’étendant depuis le Yucatán (Mexique) jusqu’au Honduras et au Salvador actuels; celle-ci atteignit un remarquable développement tant dans le domaine des arts que dans celui des sciences exactes, dont les sites majestueux de Tikal et de Uaxactún témoignent en partie (la forêt du Petén recèle d’autres monuments non encore explorés). Aux œuvres architecturales à fonction cérémonielle s’ajoutèrent le travail de la céramique, l’astronomie qui permit d’élaborer deux calendriers (l’un religieux, l’autre civil, qui comportait 18 mois de 20 jours et un mois de 5 jours, avec une remarquable précision). Également très avancés en mathématiques, les Mayas avaient conçu une forme de zéro. En revanche, ils ne connaissaient ni la roue ni les animaux de trait, et le travail des métaux n’apparut que très tard.
Les Mayas possédaient aussi de grandes aptitudes littéraires. Nous disposons malheureusement de peu de documents à l’heure actuelle, car ils furent en grande partie détruits par les Espagnols, notamment les missionnaires qui voulaient obliger les indigènes à abandonner leurs croyances. Cependant, quelques œuvres de la littérature maya ont pu être sauvées et leur écriture hiéroglyphique déchiffrée en partie; la plus connue est le Popol Vuh , histoires anciennes du Quiché.
Les Mayas durent se soumettre successivement aux Toltèques, puis aux Aztèques venus du Nord vers 1300. À l’arrivée des Espagnols, la civilisation maya était en déclin, selon la plupart des chercheurs, pour des raisons mal connues. L’hypothèse de fléaux naturels, de la famine, de migrations, de la montée du militarisme, de guerres intestines, entre autres, a été avancée. Il faut également rappeler qu’en ce qui concerne la page de l’histoire maya qui précède immédiatement la Conquête, et coïncide avec elle, nous ne disposons que des textes écrits par les Espagnols: l’«effondrement» de la civilisation maya constituait un argument pour justifier la Conquête. Cependant, il semble vrai que la société que trouvèrent les Européens traversait une phase de mutations qui restent à déterminer.
La première guérilla contre le conquérant Pedro de Alvarado était dirigée par le résistant maya Tecún Umán. De multiples révoltes indiennes devaient ensuite jalonner l’époque coloniale et républicaine.
La colonisation
Les Espagnols pénétrèrent pour la première fois au Guatemala en 1523. Pedro de Alvarado, lieutenant de Cortés, ne réussit à soumettre définitivement le Guatemala qu’au bout d’un an de guerre, après avoir écrasé la place forte de Quezaltenango. Il y exerça une tyrannie sanglante, brûlant et pillant les villages, déportant et vendant les indigènes. Il est à l’origine du système de l’encomienda , qui consistait à octroyer aux «conquistadores» des terres et des Indiens réduits à la condition de serfs.
Après la mort de Pedro de Alvarado, en 1541, à Mexico, l’actuel territoire guatémaltèque fut incorporé dans la Capitainerie générale du Guatemala, qui comprenait toute l’Amérique centrale. Le système économique et juridique ainsi que les normes religieuses qui prévalurent dans ce territoire ressemblaient à celles qu’imposait la couronne espagnole dans toutes ses colonies. Tout particulièrement l’Espagne s’octroyait le monopole du commerce avec ces pays. L’Inquisition y sévit de 1572 à 1821.
L’indépendance
La colonie accéda à l’indépendance en 1821 en même temps que nombre d’autres possessions espagnoles. Son entrée dans l’empire mexicain (1822-1823) déclencha une guerre civile. Puis elle fit partie des Provinces-Unies de l’Amérique centrale, fédération qui se scinda en cinq États indépendants en 1839.
Le Guatemala connut ensuite une succession de régimes dictatoriaux, parmi lesquels il faut noter celui de Rafael Carrera, Indien clérical, fanatique et sans scrupule, qui exerça le pouvoir durant vingt-cinq ans. Des «règnes» de cette durée ne sont pas rares au Guatemala, où la violence est cependant un habituel facteur de changement politique.
Le successeur de Carrera, le général Justo Rufino Barrios, dirigea le pays de 1871 à 1885 et contribua à sa modernisation avec des méthodes qui lui étaient propres; c’est ainsi qu’il n’hésita pas à réduire les Indiens au servage et à les expulser des terres les plus fertiles.
L’influence des États-Unis
Un troisième despote parvint au pouvoir en 1898 en la personne de Manuel Estrada Cabrera, qui ouvrit le Guatemala à l’influence des États-Unis. Il fut emprisonné en 1920 pour avoir fait bombarder sa propre capitale.
La pénétration des intérêts nord-américains, particulièrement ceux des compagnies bananières comme la United Fruit Co., fut également favorisée par Jorge Ubico qui accéda à la présidence en 1931. Ubico, comme bien d’autres dictateurs guatémaltèques, avait le souci du développement de son pays, qu’il dirigeait d’une main de fer. C’est à lui que le Guatemala doit une bonne part de son réseau routier, construit grâce au travail des Indiens, astreints à un impôt en nature.
Il fut renversé en 1945 par un mouvement démocratique qui porta au pouvoir le président Arévalo. Celui-ci entreprit de changer des structures économiques et sociales conformes aux intérêts étrangers et à ceux d’une oligarchie nationale, réduite à quelques dizaines de grandes familles de latifundistes. Pour ce faire, il élabora un code du travail, un système d’assurance sociale et surtout un projet, bien timide encore, de redistribution des terres. Le colonel Jacobo Arbenz, élu en 1951 au suffrage universel – chose rare dans ce pays – grâce aux réformes de son prédécesseur, se proposait de poursuivre son œuvre. C’était méconnaître la puissance des privilèges et des intérêts acquis.
Le coup de force du colonel Castillo Armas
En 1954, venues du Honduras et du Nicaragua, les «forces armées rebelles» du colonel Castillo Armas envahirent le Guatemala et, après quelques jours de combat, renversèrent le régime progressiste de Jacobo Arbenz.
Le «coup du Guatemala» constituait la première d’une longue série d’interventions spectaculaires de la C.I.A. en Amérique latine. La raison immédiate de ce coup de force était un décret (no 900) du précédent régime, qui mettait en vigueur une réforme agraire, effective certes, mais pas aussi radicale qu’on l’a souvent affirmé. Dès sa mise en application, en janvier 1953, des terres appartenant à l’État ou provenant de certains latifundia démembrés furent distribuées à plusieurs milliers de paysans, dont 85 000 ha de terres inexploitées appartenant à la société nord-américaine United Fruit Co. et qui fut alors expropriée. Il est maintenant bien établi que les pressions de cette compagnie toute-puissante, véritable État dans l’État, ont joué un rôle déterminant dans la décision prise par les États-Unis d’appuyer l’invasion.
Dès son accession au pouvoir, le colonel Castillo Armas abrogea le décret et rétablit l’ordre de choses antérieur. Cependant, si, aujourd’hui encore, l’ambassade des États-Unis reste un des centres de décision politique importants au Guatemala, l’United Fruit Co. n’y a jamais retrouvé son ancienne puissance. Castillo Armas devait rester trois ans au pouvoir. Il fut assassiné en 1957 dans des conditions qui demeurent obscures.
Le général Miguel Ydígoras Fuentes, soutenu lui aussi par le gouvernement des États-Unis, le remplaça et se signala par une politique particulièrement conservatrice, qui n’empêcha pas qu’un coup d’État ne le renversât afin de «conjurer la menace du communisme»! En effet, en mars 1963, au moment des élections présidentielles, le ministre de l’Intérieur, le colonel Enrique Peralta Azurdia, prenant prétexte d’une nouvelle candidature de José Arévalo, soutenue, semble-t-il, par le département d’État, força le président de la République à démissionner. En fait, le colonel Peralta était soutenu dans ce coup de force par l’oligarchie guatémaltèque particulièrement rétive à toute transformation des structures sociales et qui se souvenait du caractère progressiste du premier gouvernement Arévalo en 1945. Les élections présidentielles en 1966 amenèrent au pouvoir un universitaire libéral, Julio Cesar Méndez Montenegro. Malgré son désir d’entreprendre quelques réformes dans un pays qui en a tellement besoin, son mandat se caractérisa par l’immobilisme économique et social. Son gouvernement resta pratiquement prisonnier de l’armée, qui détient tous les pouvoirs réels derrière la façade d’un gouvernement civil.
La montée de la violence
Dès novembre 1960, des officiers libéraux se soulevèrent contre le gouvernement d’Ydígoras Fuentes. Malgré l’échec de cette première tentative, ils se réfugièrent dans les régions boisées d’Izabal et y organisèrent les premiers groupes de guérilla. En 1962, trois fronts «soutiennent la lutte contre le gouvernement». Après plusieurs échecs, que les révolutionnaires attribuent eux-mêmes à leur manque d’expérience, à la précipitation et à des divisions internes surmontées seulement à la fin de 1967, ils se replient sur les villes où ils continuent le combat sans désemparer.
La violence de la répression poursuivie sans relâche par l’armée, qui favorise le développement de groupes clandestins d’extrême droite, contribue à faire naître rapidement un climat de terreur et une guerre civile larvée. Les attentats se multiplient, et on compte les victimes par centaines. Plusieurs conseillers militaires américains de haut rang furent tués en 1968 en plein centre de la ville, ainsi que l’ambassadeur des États-Unis, accusé de soutenir activement un régime de dictature masquée. Depuis janvier 1969, un calme relatif s’est rétabli. Certes, les attentats sont loin d’avoir cessé, l’état d’exception est proclamé régulièrement et le climat politique demeure extrêmement tendu. Mais la période des combats d’envergure semble provisoirement terminée. Pour les uns, les guérilleros auraient été décimés à la suite de la vague de répression; pour les autres, ils seraient en train de se réorganiser.
Le gouvernement de Méndez Montenegro a profité de ce répit pour organiser l’élection présidentielle. Le vainqueur de cette élection (mars 1970) est le colonel Carlo Osorio Araña, et, d’autre part, le Parti révolutionnaire remporte la majorité aux élections législatives qui se déroulent à la même date; viennent ensuite le Parti démocrate chrétien (un tiers des sièges) et les Indépendants (une infime minorité). Toutefois, l’armée reste toujours puissante et aucun des problèmes fondamentaux du pays n’a été résolu comme l’affirment périodiquement les organisations d’extrême gauche, toujours réfugiées dans la clandestinité.
De la répression sélective à la répression massive
Le général d’extrême droite Kjell Laugerud García est élu à la présidence le 3 mars 1974, grâce à des fraudes notoires, alors que, en réalité, les élections avaient été gagnées par le Front national d’opposition, dirigé par le général Efraín Rios Montt qui défendait un programme modéré. Candidat officiel du gouvernement précédent, le général Laugerud allait assurer la continuité d’un régime qui s’était caractérisé par une lutte et une répression sans merci contre les opposants.
Les organisations paramilitaires comme la Mano, l’E.S.A. (Armée secrète anticommuniste) sèment la terreur dans le pays. Les droits de l’homme sont tellement bafoués qu’en 1977 le président Carter en vient à suspendre l’aide militaire des États-Unis au Guatemala. Elle ne sera renouée qu’en 1985, remplacée entre-temps par le matériel et les conseillers militaires israéliens.
Dans ce contexte, la protestation populaire se développe, tant au niveau du syndicalisme paysan et d’inspiration catholique qu’à travers les luttes politico-militaires menées par divers fronts de guérilla. Celle-ci comporte alors quatre organisations: l’O.R.P.A. (Organisation révolutionnaire du peuple en armes), l’E.G.P. (Armée de guérilla des pauvres), les F.A.R. (Forces armées rebelles) et le P.G.T. (Parti guatémaltèque du travail, communiste), qui, en 1982, s’unissent pour constituer l’Unité révolutionnaire nationale guatémaltèque (U.R.N.G.). En 1978 naît le Comité d’unité paysanne (C.U.C.) dans le département du Quiché, composé essentiellement d’Indiens. Ceux-ci sont de loin les plus décimés par la répression militaire qui s’abat sur toute l’opposition, même la plus modérée. Le 29 mai 1978, l’armée mitraille à Panzos, dans le département d’Altaverapa, une centaine d’Indiens Kekchi réclamant les terres dont les grands propriétaires les avaient dépouillés.
Le général Romeo Lucas García, qui accède à la présidence en juillet 1978, à la suite d’élections elles aussi vivement contestées, poursuit la même politique d’extermination de toute opposition, animé par une peur viscérale du communisme. En 1979 sont assassinés les deux principaux dirigeants sociaux-démocrates, Alberto Fuentes Mohr et Manuel Colom Argueta.
En janvier 1980, trente-neuf Indiens Quiché périssent dans l’incendie de l’ambassade d’Espagne qu’ils occupaient pacifiquement pour réclamer une commission d’enquête sur les crimes perpétrés par les forces armées dans leurs communautés.
La répression atteint les secteurs les plus divers: Indiens, syndicalistes, universitaires, prêtres, avocats, journalistes... En décembre 1980, Alaide Foppa, intellectuelle critique d’art connue vivant au Mexique, revient dans son pays et «disparaît». Les disparitions deviennent une méthode de gouvernement. À tel point qu’en 1980 le vice-président Villagran Kramer déclarait, avant de démissionner et de s’exiler: «Il n’y a pas de prisonniers politiques au Guatemala, il n’y a que des morts...»
Les organisations de défense des droits de l’homme ne cessent de dénoncer la terreur qui s’est installée au Guatemala. Massacres, villages rasés (méthode antisubversive de la «terre brûlée»)... De nombreux observateurs n’hésitent pas à parler d’un véritable génocide.
Les élections du 7 mars 1982, auxquelles ne se présentent que des candidats de diverses tendances de droite, s’effectuent sous surveillance de l’armée et accordent 35 p. 100 des suffrages au général Anibal Guevara qui arrive en tête du scrutin. Là encore, des fraudes sont dénoncées par les autres candidats. La grande confusion qui fait suite à ces élections culmine avec le coup d’État du 23 mars 1982 qui installe à la tête du pays le général Efraín Rios Montt, fervent adepte d’une secte protestante nord-américaine, l’Église du Verbe. Il entend lutter «au nom de Dieu» contre les insurgés. La lutte anti-insurrectionnelle va désormais s’appuyer sur de nouvelles méthodes: regroupement forcé des populations indiennes dans des «pôles de développement» coïncidant précisément avec les zones de conflit; les villages stratégiques, encore appelés hameaux modèles (aldeas-modelos ), étroitement contrôlés et occupés par l’armée, sont conçus pour couper la population de la guérilla. En même temps, les villageois sont tenus de s’enrôler dans des «patrouilles d’autodéfense civile» (800 000 hommes entre 18 et 55 ans). Le coût social de cette offensive de l’armée est énorme: un million de déplacés internes, selon la Conférence épiscopale du Guatemala, et des dizaines de milliers de réfugiés, notamment au Mexique voisin, où 46 000 d’entre eux sont recueillis dans des camps.
Cette période est aussi celle de l’intégration massive des Indiens aux organisations de guérilla, fait nouveau puisque les guérillas des années 1960 s’étaient caractérisées par l’absence de participation indienne.
Le 8 août 1983, le général Rios Montt est renversé par son propre ministre de la Défense, le général Oscar Humberto Mejía Víctores, soutenu par l’oligarchie agro-exportatrice affectée par l’instauration d’un impôt sur la valeur ajoutée. Ce coup d’État est bien accueilli par les États-Unis qui rétablissent aussitôt ouvertement leur aide économique au Guatemala.
La recherche d’une meilleure image internationale
Tout en poursuivant la lutte anti-insurrectionnelle menée par ses prédécesseurs, le régime du général Mejía Víctores tente de sortir le Guatemala de son isolement international. Pour cela, il joue fondamentalement sur deux tableaux: à l’extérieur, une habile politique étrangère améliore ses relations tant avec les États-Unis (tout en continuant de garder à leur égard une relative autonomie politique) qu’avec le Mexique voisin, notamment en soutenant le processus de paix du Groupe de Contadora dans lequel le Mexique joue le rôle de leader et en conservant d’excellentes relations avec le Nicaragua, qui est aussi un important partenaire commercial au niveau centraméricain; cette politique extérieure de soutien au processus de paix en Amérique centrale contribue par ailleurs à retirer à la guérilla une partie de ses appuis internationaux; sur le plan intérieur, les élections d’une Assemblée constituante le 1er juillet 1984 sont suivies, en 1985, de la promulgation d’une nouvelle constitution; enfin, des élections présidentielles sont convoquées par les militaires eux-mêmes le 8 décembre 1985, à la suite d’une intense mobilisation sociale. Le vainqueur au second tour, Vinicio Cerezo, du Parti démocrate-chrétien, obtient 62,24 p. 100 des suffrages contre 32,76 p. 100 à son principal adversaire, Jorge Carpio, de l’Union du centre national (U.C.N.). Premier président civil depuis vingt-trois ans, il arrive au pouvoir dans un pays épuisé, traumatisé par plusieurs décennies de répression aveugle, un pays profondément transformé physiquement et démographiquement par les déplacements de populations, les regroupements pluri-ethniques dans les pôles de développement et la restructuration institutionnelle opérée par le pouvoir militaire.
Un pouvoir civil bridé par l’armée
La désillusion: tel est le sentiment dominant éprouvé au terme des cinq années de gouvernement démocrate-chrétien de Vinicio Cerezo. Le nouvel élu civil avait fait de la dénonciation des «excès de la répression» le thème phare de sa campagne électorale. Mais, après deux années de relative accalmie en 1986 et 1987, marquées par la restauration de la liberté d’expression (parution de nouveaux titres comme le quotidien Siglo Veintiuno ou l’hebdomadaire Cronica , relance du mouvement syndical...), l’engrenage de la violence s’est à nouveau enclenché. Les séquestrations et assassinats d’opposants au pouvoir en place, réels ou présumés, ont repris de plus belle. Basses besognes réalisées le plus souvent par des groupes d’hommes armés, en civil, utilisant des véhicules aux vitres teintées, sans plaque d’immatriculation. En juin 1989, Amnesty International publiait un rapport au titre éloquent: Pouvoir civil, espoirs déçus . Il signalait notamment «une recrudescence des enlèvements, des disparitions et des exécutions extrajudiciaires» au cours des dix-huit mois précédents. Deux exemples parmi de nombreux cas: vingt-deux paysans massacrés en novembre 1988 à El Aguacate, dans le département de Chimaltenango, par un détachement de l’armée; treize habitants de Santiago Atitlán abattus par les soldats de la garnison, le 2 décembre 1990, lors d’une manifestation pacifique...
Autant dire que le président Cerezo se révéla incapable d’empiéter sur le pouvoir prépondérant de l’institution militaire et des milieux d’affaires les plus conservateurs regroupés au sein du Comité de coordination des associations agricoles, commerciales, industrielles et financières (C.A.C.I.F.). Les officiers ultras firent spectaculairement montre de leur opposition aux réformes à l’occasion de deux tentatives de coup d’État, le 11 mai 1988, puis le 8 mai 1989.
La machine économique s’est développée et diversifiée au prix d’un endettement extérieur très modéré (moins de 3 milliards de dollars). Les envois de fonds des quelque cinq cent mille migrants économiques installés aux États-Unis (à Los Angeles et à San Francisco notamment) forment au début des années 1990, à l’égal du café, la principale rentrée de devises. Mais les ombres au tableau sont loin d’être négligeables. Au dire même du ministre du Travail, Rodolfo Maldonado, à la fin de 1988, «72 p. 100 des Guatémaltèques vivent dans une pauvreté extrême». Par ailleurs, l’armée et les forces de sécurité continuent d’accaparer 40 p. 100 du budget national, tandis que nombre d’observateurs dénoncent une extension de la corruption et du népotisme dans les sphères dirigeantes.
Sur le plan international, Vinicio Cerezo a réussi à sortir le pays de l’isolement: les flux d’aide américains ont repris, et les relations diplomatiques avec Londres ont été rétablies – elles avaient été rompues en 1981 lors de l’accession à l’indépendance de Belize, ex-Honduras britannique; le Guatemala ne remet plus en cause la souveraineté du nouvel État et se contente de revendiquer un débouché sur la haute mer.
Mais la grande fierté de Vinicio Cerezo, qui s’était fait le chantre d’une «neutralité active», reste l’action qu’il a menée avec le président costaricien, Oscar Arias, en faveur d’une dynamique de paix en Amérique centrale. Une entreprise ponctuée de succès: le 7 août 1987, les cinq chefs d’État centraméricains ont ratifié le plan de paix d’Esquipulas II, qui se proposait d’amener partout dans l’isthme les belligérants et leurs soutiens à résipiscence. Si l’accord, qualifié d’«historique» pour la région, n’a pas tardé à porter ses fruits au Nicaragua et au Salvador, les progrès furent plus laborieux au Guatemala même. Une Commission nationale de réconciliation fut bien créée, avec la bénédiction d’un médiateur ecclésiastique, Mgr Rodolfo Quezada, une première rencontre organisée à Madrid en août 1988 entre les représentants du gouvernement et ceux des insurgés. Elle fut suivie de plusieurs autres, qui n’ont pas donné de résultats probants. C’est que, à la différence du Salvador, où prévalait un certain équilibre militaire, l’état-major guatémaltèque a le sentiment d’avoir vaincu sur le terrain les quatre mouvements de guérilla qui composent l’U.R.N.G. et se montre peu enclin aux concessions politiques. En 1990, les généraux imposaient encore comme condition de la participation du gouvernement Cerezo aux pourparlers de paix le dépôt des armes par les guérilleros.
Un prêcheur peu convaincant
Le 6 janvier 1991, Jorge Serrano Elias est élu à la magistrature suprême en recueillant 65 p. 100 des suffrages, contre 30 p. 100 à Jorge Carpio Nicolle, candidat de l’U.C.N., le taux d’abstention atteignant 55 p. 100. Pour la première fois depuis 1954, un président civil élu succède à un autre président démocratiquement désigné, au terme d’un scrutin honnête. L’avènement de Jorge Serrano, prédicateur évangéliste, signale une autre conversion majeure, celle d’un pays hier acquis au catholicisme, et dont 30 p. 100 des 9,5 millions d’habitants appartiennent désormais à l’une des trois cents Églises et sectes protestantes recensées, dont plus de quatorze mille temples sont présents sur le territoire.
Les cérémonies célébrant le cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique auraient dû constituer le temps fort de l’année 1992. Le jury d’Oslo en a décidé autrement. Il a souhaité rendre hommage aux descendants marginalisés des Mayas, en décernant le prix Nobel de la paix, le 16 octobre 1992, à Rigoberta Menchu, âgée de trente-trois ans, fille d’une famille paysanne de l’ethnie quiché, dont presque tous les membres furent assassinés, et qui jura alors de faire entendre au monde la voix des Indiens. C’est en effet la vingtaine de groupes ethnolinguistiques (Quiché, Cakchiquel, Mam, Ixil...) qui a payé le plus lourd tribut à la guerre civile, longue de trente ans (quelque 100 000 morts et 40 000 disparus). Exilée depuis 1981 au Mexique, Rigoberta Menchu, forte de sa nouvelle aura, est, au grand dam de l’oligarchie et de ses affidés ladinos (métis), retournée vivre au Guatemala. Demain, les communautés indigènes majoritaires, et enfin reconnues, pèseront-elles de tout leur poids dans la vie politique du pays?
Près de quarante-cinq mille Guatémaltèques, indiens pour la plupart, ont fui les violences du début des années 1980 et trouvé refuge au Mexique voisin. Ils entrevoient une lueur d’espoir. En janvier 1993, un premier groupe de deux mille cinq cents personnes a pu rentrer d’exil. Des terres à défricher leur ont été attribuées dans les inhospitalières forêts de l’Ixcan, dans le nord du département du Quiché. Non loin de là, environ vingt mille «réfugiés de l’intérieur» continuent de survivre, depuis plus de dix ans, dans des campements de fortune. Ces «communautés de population en résistance» revendiquent le statut de population non combattante, avec le soutien de la conférence épiscopale, pour vivre en paix, commercialiser leurs maïs..., mais les responsables de l’armée persistent à les considérer comme des auxiliaires de la guérilla.
L’institution militaire est habituée, depuis des lustres, à l’impunité. Signe de temps nouveaux, au début de 1993, un tribunal civil a osé condamner un sous-officier à vingt-cinq ans de prison pour le meurtre d’une anthropologue. Les organisations de défense des droits de l’homme se font à nouveau entendre. Elles signalent l’extension de la misère urbaine en même temps que s’érigent de somptueux quartiers résidentiels, dernières «retombées» de l’irrésistible montée du trafic de drogue. La région septentrionale du Petén, qui abrite des centaines de pistes d’atterrissage, sert de lieu de transit à la cocaïne colombienne destinée au marché nord-américain. Depuis la fin des années 1980, sous l’impulsion des trafiquants mexicains d’héroïne, la culture du pavot progresse rapidement. Le Guatemala en serait d’ores et déjà le cinquième producteur mondial.
Arguant de son succès aux élections municipales du 9 mai 1993, et impressionné par les méthodes à poigne de son homologue péruvien Alberto Fujimori, le président Jorge Serrano a tenté le 25 mai 1993 de s’octroyer les pleins pouvoirs. Cette tentative d’autogolpe échouant, il a été contraint à l’exil. Son successeur, désigné le 5 juin par le Parlement, Ramiro de León Carpio, âgé de cinquante et un ans, exerçait jusqu’alors les fonctions de procureur des droits de l’homme (médiateur) et jouissait de la considération de la société civile. La transition démocratique semble, cette fois, mieux engagée.
Guatemala ou Ciudad de Guatemala
cap. du Guatemala, à 1 480 m d'alt.; 754 240 hab. (aggl. urb. 1 311 190 hab.). Princ. centre économique du pays.
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Guatemala
(république du) (República de Guatemala), état de l'Amérique centrale, au sud du Mexique; 108 889 km²; env. 9 millions d'hab. (en 1958, 3 545 000 hab.); croissance démographique: 3 % par an; cap. Guatemala. Nature de l'état: rép. de type présidentiel. Langue off.: esp. Monnaie: quetzal. Population: Amérindiens (env. 50 %), Ladinos (métis d'Indiens et d'Espagnols et Indiens urbanisés, de langue esp.), très peu de Blancs. Relig.: catholique (officielle, 75 %). Géogr. et écon. - Les hautes terres constituent l'armature du relief et groupent encore la majorité des habitants. Elles dominent, au S., les plaines tropicales humides et fertiles du littoral du Pacifique où règnent les grandes plantations. Au N., le Petén, vaste plateau tropical couvert de forêts denses, est encore presque vide. Sur les hautes terres, de petites exploitations (surtout indiennes) produisent maïs, haricots et piments. Les grandes plantations des plaines et vallées fertiles (aux mains de grands propriétaires, Ladinos et étrangers) exportent canne à sucre, café, banane, coton, avocat, ananas. L'industrie, embryonnaire, concerne l'agro-alimentaire et le textile; le tourisme est important. La guérilla et la violence politique ont aggravé la crise: chute des cours des produits exportés, inflation élevée, mais la croissance oscille entre 4 et 5 %. Hist. - Pays de civilisation maya, le Guatemala fut conquis par Pedro de Alvarado, lieutenant de Cortés (1523-1524), et dépendit, à partir de 1544, de la capitainerie générale de Guatemala. Indépendant de l'Espagne en 1821, inclus dans l'Empire mexicain (1822-1823), puis centre des Provinces-Unies d'Amérique centrale, il forma un état indépendant en 1839. L'emprise écon. des È.-U. s'exerça dès la fin du XIXe s., notam. sous les dictatures de M. Estrada Cabrera (1898-1920) et de J. Ubico (1931-1944). Dans les années 50, le président J. Arbenz Guzmán promulgua la réforme agraire (distribution de 900 000 ha à 100 000 familles), mais il fut chassé par un coup d'état militaire organisé à Washington (1954). Dans les années 60-70, les militaires se sont succédé au pouvoir; une guérilla d'origine castriste, rurale et urbaine, s'est développée, parallèlement à la répression et à la violence d'extrême droite (assassinats de leaders démocrates, massacres de paysans). En mars 1982, un coup d'état porte à la présidence le général E. Ríos Montt, renversé en août 1983 par le général Mejía. Une vaste offensive (enrôlement forcé dans les patrouilles d'autodéfense civile, concentration des Indiens dans des "pôles de développement") fait reculer la guérilla. En déc. 1985, le candidat démocrate-chrétien Vinicio Cerezo est élu président de la République, l'armée continuant à contrôler la situation politique. Jorge Serrano, centre-droit, élu président en 1991, est déposé en 1993 et remplacé par Ramiro de Léon Carpio. En 1996, le candidat de la "droite progressiste", Alvaro Arzu, est élu.
Encyclopédie Universelle. 2012.