FRUITS
Lorsque le botaniste parle de fruit, il ne songe pas seulement aux produits de consommation, souvent très appréciés. Le fruit constitue l’aboutissement de la fonction reproductrice sexuée des végétaux supérieurs; les fleurs, qui renferment les organes reproducteurs mâles et femelles (étamines et ovules), se transforment, après pollinisation et fécondation, en fruits de structure extrêmement variée, fruits secs déhiscents ou indéhiscents, fruits charnus à pépins ou à noyaux. Ainsi formé, le fruit passe par une phase de maturation, puis de sénescence au cours de laquelle il libère les graines qui résultent de la transformation des ovules suivant des modalités variables liées à sa structure même. Sa croissance, dans la plupart des cas, dépend surtout de la maturation des graines, en particulier des substances hormonales qu’elles élaborent; toutefois, certains fruits proviennent de fleurs non fécondées et sont dépourvus de graines (fruits parthénocarpiques).
Les qualités organoleptiques et la richesse en vitamines de tels ou tels fruits justifient l’intérêt qu’on leur porte. De produits de cueillette, connus depuis la préhistoire, les fruits devinrent, avec le développement des civilisations, l’objet de soins particuliers, mais ils restèrent longtemps réservés à quelques privilégiés. Actuellement, l’urbanisation, l’amélioration des moyens de transport et de conservation ont engendré une véritable industrie fruitière. Celle-ci, pour répondre aux besoins de plus en plus exigeants des consommateurs, est soumise à des normes qui se rencontrent à tous les niveaux de la production et de la commercialisation, depuis l’utilisation des engrais et pesticides jusqu’aux méthodes et matériels d’emballage.
La production des fruits de la zone tempérée sera seule envisagée ici, à l’exclusion du raisin de table et des fraises. Le raisin de table est en effet produit par des vignes selon des méthodes qui ne diffèrent pas fondamentalement de celles utilisées pour la production du raisin de cuve. La culture des fraisiers, végétaux herbacés, est considérée en France comme une culture légumière. Les agrumes et autres fruits tropicaux, dont les méthodes de culture sont très différentes de celles pratiquées dans les pays tempérés, sont traités dans l’article produits TROPICAUX.
1. Aspects biologiques
On a donné du fruit des plantes supérieures deux types de définition. C’est tantôt l’organe résultant de la transformation de l’ovaire après fécondation, et tantôt l’ensemble des parties de la fleur qui se développent ou se différencient après fécondation des ovules. Cette seconde définition répond mieux à la notion commune de fruit. Si, très souvent, il ne subsiste de la fleur que l’ovaire accru et modifié (tomate), d’autres constituants de la fleur originelle peuvent aussi persister et se différencier: réceptacle (fraise), calice (Physalis ), bractées (noisette) et même pédoncule (pomme cajou). Typiquement, c’est la paroi de l’ovaire qui devient la paroi du fruit, mais, dans les fruits dérivés d’ovaires infères, il s’y ajoute les tissus du réceptacle.
Le fruit mûr
L’état de maturité est bien défini dans le cas des fruits charnus consommés par l’homme; la couleur, la consistance, le parfum, la saveur sont alors caractéristiques. Dans les autres cas, on peut considérer que le fruit est mûr lorsqu’il tombe, sèche ou s’ouvre en libérant ses graines. Les fruits sont en effet de types très divers (fig. 1) et on les classe en quatre groupes (tabl. 1).
Un ensemble de fleurs peut donner naissance à un groupe compact de fruits (fruits composés ), tels que la mûre de mûrier, la figue, l’ananas, où l’axe, les bractées et les péricarpes sont soudés et charnus. Parfois, les carpelles d’une même fleur ne sont pas soudés et le fruit a l’apparence d’un fruit composé (framboise). Entre ces diverses dispositions, il existe de nombreux intermédiaires.
Structure
En principe, une section transversale de fruit met en évidence un péricarpe (paroi) et des loges renfermant des graines insérées sur les placentas (tomate, fig. 2). Le nombre et la disposition des loges sont liés au type de placentation de l’ovaire originel, mais des avortements de carpelles sont possibles; des cloisons ou des tissus supplémentaires peuvent aussi se développer (fausses cloisons de la noix; poils charnus remplissant les loges des oranges).
La structure histologique des fruits charnus à maturité est caractérisée par l’existence d’un épiderme externe ou épicarpe cutinisé et parfois cireux (pruine des prunes) et d’un parenchyme à grandes cellules à paroi mince et à vacuole très développée (mésocarpe ). L’épiderme interne (endocarpe ) et les couches de parenchyme contiguës (mésocarpe interne) peuvent se différencier en cellules ou en fibres à paroi épaisse et lignifiée dont l’ensemble forme un noyau (cerise); le terme d’endocarpe est parfois employé pour désigner le noyau tout entier.
Il arrive que l’épiderme externe porte des poils (pêche). Il peut présenter par places des stomates ou des lenticelles; sur certaines pommes, l’épiderme est, localement au moins, remplacé par du liège. Les tissus externes sont souvent colorés; le pigment peut être dissous dans les vacuoles (anthocyanes des pommes rouges) ou localisé dans des chromoplastes (caroténoïdes des tomates).
Les cellules de parenchyme peuvent présenter à l’examen microscopique, outre les pigments, des inclusions phénoliques, de l’oxalate de calcium (banane), des lipides (avocat), des îlots scléreux (poire), des fibres, exceptionnellement en réseau dense (Luffa , utilisé comme éponge), des appareils sécréteurs (poches sécrétrices du zeste d’orange, canaux sécréteurs des fruits d’Ombellifères, etc.). Les lipides sont abondants dans le péricarpe des fruits oléagineux, sources d’huiles comestibles (olivier, palmier à huile). Les faisceaux vasculaires sont toujours présents.
Dans les péricarpes secs, les éléments ligneux (vaisseaux, fibres et cellules) forment des couches continues, des faisceaux parallèles ou des réseaux plus ou moins complexes (Datura ).
Caractéristiques physiques et chimiques
Les fruits charnus sont souvent parés de vives couleurs. Ils sont fréquemment mous, parfois «fondants», et souvent parfumés et de saveur agréable. Ces diverses propriétés font l’objet d’études quantitatives visant à définir objectivement la qualité commerciale ou le degré de maturité: appréciation photométrique de la couleur, mesure de la fermeté, enregistrement d’«aromagrammes». Ils sont aussi très riches en eau; ils renferment évidemment les groupes de constituants présents dans toute cellule végétale: acides nucléiques, protéines, lipides, glucides, acides organiques, sels minéraux. Les glucides et l’acide ascorbique (cassis, citron...) doivent être mentionnés particulièrement comme facteurs de la valeur nutritive des fruits; les acides organiques, les sucres et les phénols interviennent dans la saveur, les composés pectiques dans la consistance, les produits volatils dans le parfum.
Tous ces constituants sont inégalement abondants dans les diverses parties du fruit, les tissus superficiels étant d’ordinaire les plus riches en glucides, en acide ascorbique ou en pigments.
Caractéristiques physiologiques
Le fruit mûr, du moins lorsqu’il est charnu, est caractérisé chez de nombreuses espèces par une respiration et une émission d’éthylène intenses (fig. 3) et par une grande fragilité aux pressions: toute blessure non cicatrisée favorise la croissance de champignons, agents d’altération. Le fruit est capable, par ailleurs, d’une survie parfois longue après avoir été cueilli (conservation industrielle des fruits).
Le fruit sec en fin d’évolution a perdu la plus grande partie de son eau; à l’exception des graines, il est mort.
Le développement du fruit
On admettra, d’une façon schématique, que la vie des fruits charnus comporte quatre stades repérables, séparant trois périodes (tabl. 2). La durée totale de la vie du fruit est très variable: quelques semaines pour une tomate, plus d’une année pour les fruits de certains palmiers.
Naissance
Un pommier porte communément des milliers de fleurs; un nombre réduit de fruits seulement en seront issus. En principe, la fécondation est à l’origine de la fructification. À côté des fruits «noués» qui poursuivront leur développement, un grand nombre tombent prématurément, anormaux, blessés ou attaqués par des parasites.
Des fruits peuvent aussi se développer sans fécondation préalable; ils ne renferment donc pas de graines et on est alors en présence de cas de parthénocarpie , due par exemple à une destruction accidentelle du stigmate par la gelée, à la stérilité du pollen ou à l’incompatibilité entre pollen et stigmate. La parthénocarpie est la règle chez diverses variétés d’oranger, d’ananas, de figuier, de vigne. On peut la provoquer expérimentalement à l’aide d’agents chimiques: extraits de pollen, substances de croissance synthétiques telles que l’acide 2-naphtoxyacétique qui, pour la tomate, a un grand intérêt pratique.
Croissance
Tandis que la taille du fruit augmente, sa forme et sa structure changent. Par suite d’inégalités de la croissance, une très jeune poire n’a pas la même forme qu’une poire mûre.
On observe dans le fruit très jeune des divisions cellulaires (pendant les quatre à neuf premières semaines de la croissance de l’orange); plus tard, on n’enregistre plus qu’un agrandissement des cellules. Celles-ci, d’abord contiguës, se décollent ensuite localement, laissant souvent de grands méats revêtus de substance pectique. Là où existent des îlots scléreux ou un noyau, ceux-ci se différencient peu à peu à partir de cellules parenchymateuses qui lignifient leur membrane (cellules pierreuses des poires). En surface, un enduit cireux apparaît fréquemment et des lenticelles peuvent s’ouvrir (pomme). Dans les fruits secs, la lignification des cellules est souvent intense.
Le développement des fruits charnus fait intervenir des substances de croissance (auxines, gibbérellines, kinines, le plus souvent associées), comme l’ont montré les cultures pures de tissus de fruits.
Lors de la pollinisation, le pollen apporte à l’ovaire des substances de croissance, rôle tenu plus tard par les jeunes graines. Certaines sont même fort riches en ces substances et fournissent au physiologiste des sources importantes d’auxines et de kinines (lait de coco, lait de maïs). L’influence des akènes sur le développement de la fraise est certes le plus spectaculaire; la destruction partielle des ovules fécondés empêche localement la croissance du fruit.
La taille du fruit en fin de croissance varie largement d’une espèce végétale à une autre, mais il faut noter aussi la grande variabilité de la taille et de la composition des fruits d’une même variété et même d’un arbre unique, en fonction d’une multitude de facteurs externes et internes (irrigation, température, nutrition minérale et organique, développement du feuillage de la plante, nombre de fruits portés par la plante, pollinisation). Les facteurs de la croissance et de la maturation peuvent être étudiés grâce à la méthode de culture des fruits isolés in vitro .
Maturation et sénescence
Le déroulement de la maturation des fruits charnus dépend en particulier de la nutrition générale de la plante, de l’abondance des graines (la maturation commence souvent dans le fruit à leur voisinage), et aussi de la cueillette qui accélère la maturation des fruits verts, si ceux-ci ne sont pas trop jeunes lors de la séparation.
Les températures élevées précipitent la maturation et le froid, au-dessus du point de congélation, la ralentit (principe de la conservation frigorifique des fruits et des pratiques de maturation accélérée). Elle n’est souvent possible qu’entre deux températures limites (par exemple, entre 0 et 24 0C environ pour des poires Williams). Les températures trop basses empêchent la maturation et peuvent provoquer des maladies dites «physiologiques» (c’est le cas des bananes vertes, au-dessous de 12 0C). La maturation est un phénomène aérobie, et l’élévation du taux d’oxygène jusqu’à 50 p. 100 peut l’accélérer, tandis que les basses concentrations la ralentissent (aussi la conservation des fruits peut-elle se faire en atmosphère dite contrôlée). Enfin, l’éthylène ajouté à l’air en faible proportion (quelques parties par million) déclenche ou active la maturation, et notamment le jaunissement des oranges, des bananes ou des poires.
Les phénomènes biochimiques et physiologiques qui caractérisent la maturation sont très nombreux (fig. 3); accroissement intense de la production d’éthylène, de la respiration et de l’émission organique volatile, hydrolyse de l’amidon et enrichissement en saccharose, diminution des acides organiques, synthèse protéique, synthèse de pigments et régression des chlorophylles, solubilisation des composés pectiques, etc. Les phénomènes les plus évidents sont liés aux variations de la couleur, de la fermeté, du parfum et de la saveur. La crise respiratoire de maturité dite climactérique est observable chez de nombreuses espèces à fruits charnus. La production d’éthylène par les cellules est, on le verra, particulièrement importante. La maturation ne peut pas être considérée comme une dégradation progressive du fruit. Si certains changements de structure, ceux des chloroplastes en particulier, évoquent une telle interprétation, les nombreuses synthèses observées (protéines enzymatiques, pigments, lipides) montrent que la vie des cellules est très active durant cette période.
Un problème intéressant est celui du déterminisme et de la régulation de la maturation. L’éthylène, ou certains produits de son métabolisme, joue dans ce phénomène un rôle de premier plan. D’autres substances de croissance synthétisées par le fruit, telles que l’acide abscissique, interviennent probablement aussi.
La sénescence est caractérisée par une chute de l’intensité respiratoire conduisant à la mort. Mort ou mourant, le fruit se détache de la plante, sèche ou pourrit sur pied, mais finalement, il joue un rôle dans la dispersion plus ou moins active des semences, ou dans leur germination.
Le sort du fruit: déhiscence et chute
Le sort du fruit mûr varie d’une espèce à une autre: il se décompose sur pied, tombe (nombreux fruits charnus et akènes), se disjoint en articles (gousse d’Hedysarum , fig. 1), ou le péricarpe s’ouvre en libérant les graines (capsules diverses). Quelques plantes enfouissent leurs fruits (arachide, linaire cymbalaire). Les fruits charnus et les fruits secs à graine unique sont généralement indéhiscents.
La déhiscence comporte un très grand nombre de modalités: ouverture au niveau d’un couvercle (mouron rouge), de pores (pavot, campanule), de fentes transversales ou longitudinales, celles-ci pouvant être de longueur limitée (dents, fruits de Lychnis ) ou très longues; dans ce dernier cas, on peut observer une fente (follicules de pivoine), deux fentes (gousse de Vicia ), trois (violette), quatre (silique des Crucifères), ou six fentes (Orchis ). L’emplacement des lignes de déhiscence est prédéterminé par les structures histologiques; l’hétérogénéité des tissus entraîne, lors de la dessication, des déformations qui expliquent l’ouverture; cette dernière peut être brutale et les graines sont alors projetées (violette). Certains fruits charnus projettent aussi leurs graines (Ecballium , balsamine).
La chute des fruits est un phénomène important tant du point de vue biologique que du point de vue économique. La chute peut être prématurée ou se produire à maturité. Elle est préparée par la différenciation d’un ensemble de tissus dits séparateurs , apparaissant à un niveau déterminé du pédoncule ou à la base du fruit. Une zone fragile s’élabore à cet endroit; des divisions cellulaires engendrent des cellules à paroi mince, ou bien une gélification des membranes rend la chute facile. La place du fruit dans l’inflorescence originelle, l’abondance des graines, les blessures, les parasites, les conditions climatiques peuvent prédisposer plus ou moins le fruit à la chute. Les substances de croissance et l’éthylène jouent un rôle certain dans ce phénomène, que l’on peut retarder par un traitement à l’aide de substances de croissance synthétiques convenables. Dans les conditions naturelles, les gradients de teneurs en auxines le long des pédoncules peuvent jouer, ainsi que la teneur en acide abscissique, substance qui, à l’inverse des auxines, accélère les séparations, et dont la présence dans les péricarpes a été prouvée.
Rôle biologique
Le péricarpe échange sans aucun doute des substances avec les graines dont il peut d’abord favoriser la croissance et, plus tard, inhiber la germination. Les graines agissent d’autre part sur la croissance du fruit, sa composition chimique, sa forme, sa maturation.
En fin d’évolution, le fruit intervient dans la dispersion des semences. La capsule du marronnier d’Inde éclate en arrivant au sol et projette ses graines. Chez de nombreuses espèces, les fruits, légers, sont dispersés par le vent (anémochorie pour les akènes ailés ou à parachute). Ailleurs, le transport est effectué par les animaux (zoochorie ); les fruits sont alors comestibles (drupes de lierre consommées par les oiseaux) ou portent des dispositifs qui leur permettent de s’accrocher au pelage ou au plumage (fruits à crochets de Galium , fruits collants). Lorsque les péricarpes sont comestibles, les oiseaux rejettent les graines non digérées. Quelques animaux (fourmis, écureuils) constituent aussi des stocks partiellement inconsommés. Certains fruits légers et bien protégés peuvent être enfin disséminés par les eaux (hydrochorie , exemple de la noix de coco).
2. La production fruitière
Origines et caractéristiques de l’arboriculture fruitière
La culture fruitière a débuté en Extrême-Orient trente ou quarante siècles avant J.-C. (pommier, poirier, amandier, abricotier). Bien que très anciennement connues, d’autres espèces n’ont été que très tardivement cultivées (agrumes, cassis et groseilliers), d’autres enfin sont d’origine ou d’introduction contemporaines (prunier japonais, actinidia, clémentinier). Le développement de véritables vergers en Europe paraît se situer à l’époque des croisades (jardins des châteaux, couvents et monastères), tandis que la Renaissance marque les débuts d’une culture fruitière florissante. Dès cette époque, deux types de vergers sont déjà individualisés: une arboriculture intensive est représentée dans les jardins, où l’on recherche une production le plus régulière possible de fruits de qualité, souvent à l’abri de murs, parfois de serres, tandis qu’une conception plus extensive se développe dans les prés-vergers composés d’arbres à hautes tiges, implantés dans les pâtures, et faisant l’objet de peu de soins culturaux. Ces deux types de vergers se sont partiellement maintenus aujourd’hui (vergers de fruits à cidre ou d’amateurs).
Les arbres fruitiers sont des végétaux ligneux arborescents ou buissonnants, caractérisés par une certaine pérennité . Bien que leur longévité puisse atteindre et même dépasser un siècle en conditions favorables (olivier, poirier), leur durée pratique d’exploitation en verger est réduite à vingt ou vingt-cinq ans pour le pommier, quinze ans pour le pêcher, du fait du caractère intensif de la production, de l’innovation variétale et de l’évolution phytotechnique. La vie d’un arbre en verger comporte une phase de croissance d’une durée de trois à douze ans, selon les espèces et les modes de conduite, pendant laquelle la production est négligeable. Les soins culturaux dispensés pendant cette période s’ajoutent au coût de plantation proprement dit (travaux préparatoires, achat et installation des plants, réalisation d’infrastructures) pour constituer un coût d’établissement considérable. Le capital ainsi investi donne lieu à un amortissement différé qui représente pendant la maturité du verger 10 à 15 p. 100 du coût de production des fruits.
Lors de la création d’un verger, seules une étude attentive des possibilités de débouchés économiques et une parfaite connaissance des contraintes locales de production (sol, climat) permettent le choix judicieux du matériel végétal (espèces, variétés, porte-greffe) et l’adoption d’un mode de production adéquat. Toute erreur de conception se répercute lourdement sur l’avenir du verger, et peut compromettre sa rentabilité.
Mutations techniques et économiques
L’évolution des techniques arboricoles, très lente jusqu’en 1950, était jadis conditionnée par le souci d’une production de fruits de qualité, qui ne rencontrait guère de problèmes de mise en marché, compte tenu de sa relativement faible abondance. À partir des années cinquante et jusqu’en 1967 environ, l’arboriculture fruitière a connu un essor considérable avec la plantation de vergers intensifs à grand rendement, notamment dans le Sud-Est et le Sud-Ouest, et l’utilisation de techniques plus performantes qu’antérieurement, venues pour la plupart d’Amérique du Nord. Cet essor a coïncidé avec la régression de l’autoconsommation, avec l’accroissement de la demande des populations urbaines et à leur exigence de qualité, la satisfaction des besoins alimentaires vitaux faisant une plus large place, dans le budget des ménages, aux fruits. Le développement de moyens de transport (rail et route) efficaces et rapides et l’apparition de grandes capacités d’entreposage frigorifique à cette époque ont en outre énormément contribué à diminuer le caractère local ou régional de la consommation, ainsi que son caractère saisonnier, notamment pour les produits stockables (pommes, poires, agrumes).
Le début des années soixante-dix a été marqué par les premières difficultés économiques graves, dues à une situation de surproduction structurelle , en particulier pour la pomme. Chez cette espèce, cette situation est aggravée par le caractère monovariétal de l’excédent (variété «Golden delicious»), et par la détérioration de la qualité gustative des fruits, du fait de l’utilisation de techniques de production très intensives (rendements excessifs) et souvent mal maîtrisées (récolte de fruits immatures, par exemple). Ces difficultés économiques et techniques ont eu notamment pour conséquence une baisse importante des prix à la production et provoqué l’arrêt des plantations «anarchiques», ainsi que l’arrachage des vergers les plus mal situés ou improductifs.
Depuis 1975, l’accroissement du coût de la main-d’œuvre, qui est supérieur à celui des fruits, incite l’ensemble des producteurs à une plus grande maîtrise des facteurs techniques de la production et des prix de revient, tandis qu’une meilleure valorisation des produits est recherchée, et un effort de diversification est fait. Contrairement à d’autres produits horticoles, le coût de production des fruits a été peu alourdi par l’accroissement du prix des hydrocarbures. En revanche, depuis 1972, de nombreux aléas climatiques (gels printaniers) ont pesé sur la production et contribué à aggraver certaines situations (régression des vergers dans le Sud-Ouest).
La concentration des unités de production fruitière ainsi que le caractère mondial des échanges de matériel végétal (semences, greffons, plants et fruits) accroissent les riques d’apparition ou d’introduction de parasites ou de maladies nouvelles, susceptibles de remettre en cause la culture de certaines espèces dans les régions atteintes (dépérissement bactérien du pêcher dans la vallée du Rhône, feu bactérien du poirier dans le Sud-Ouest, le Nord et le Centre).
Évolutions phytotechniques
Choix des sites de plantation
Les difficultés économiques évoquées ci-dessus, ainsi que la sensibilité des arbres fruitiers à certaines carences du milieu de culture (zones gélives au printemps ou sujettes à la grêle, sols asphyxiants) imposent à l’arboriculteur, lorsqu’il en a la possibilité, le choix d’un site aussi propice que possible à la production. En situation défavorable, certaines carences du milieu peuvent être palliées par le choix judicieux des porte-greffes et des variétés, mais les corrections s’avèrent le plus souvent coûteuses (drainage, dispositif de lutte antigel), voire antiéconomiques (filets paragrêle). D’une manière générale, on a pu constater par le passé l’abandon progressif de la zone septentrionale par les cultures de fruits à noyau (pêches, abricots) et le renforcement de l’ensemble des productions dans la zone méridionale, tandis que certaines régions se maintenaient en se spécialisant (fruits à pépins dans le Val de Loire) ou en exploitant certaines «rentes de situation» (subsistance partielle de l’arboriculture périurbaine). Aujourd’hui, ces évolutions sont à peu près stabilisées, bien que la région sud-ouest soit entrée en phase de régression pour la production de pêches.
Évolution du matériel végétal
L’arbre fruitier est le plus souvent un végétal composite, constitué par l’association d’un système racinaire (le porte-greffe ) et d’une partie aérienne (le greffon ). Le porte-greffe est issu soit de semis, soit de bouture ou de marcotte ou encore de culture in vitro. La pratique très ancienne du greffage était justifiée par le souci de maintenir les meilleures variétés fruitières et par l’insuffisance des méthodes de propagation directe (bouturage , marcottage , drageonnage ). Aujourd’hui, ces techniques mieux maîtrisées sont appliquées principalement aux porte-greffes, le greffage des variétés demeure d’actualité car le porte-greffes est un instrument privilégié d’adaptation au milieu de culture (sol, climat, maladies et parasites) permettant en outre de moduler certaines caractéristiques variétales: port et vigueur des arbres, rapidité d’entrée en production, qualité et précocité des fruits. Une certification instaurée en 1962 modifiée par un décret en 1984 assure les arboriculteurs de l’authenticité variétale et du bon état sanitaire des plants, qualités qui conditionnent la réussite du verger. Ce règlement officiel sera modifié en 1993 pour devenir une certification européenne.
En matière variétale, après une période de standardisation et de réduction de l’éventail, pendant les années 1955-1965, autour de quelques variétés très productives, la création des variétés relève des stations de recherche et des pépinières; elle nécessite plusieurs années d’observation et d’expérimentation. La pomme a suscité un regain d’intérêt du consommateur pour des variétés anciennes telles que «Belle de Boskoop» ou «Reine des Reinettes», tandis que de nouvelles variétés, «Akane», «Idared», «Melrose», ont été introduites.
La diversification de la production ne s’adresse qu’au marché national, l’exportation étant réservée aux «Golden», «Delicious rouges» et «Granny Smith». Elle demeure une nécessité chez les producteurs qui sont confrontés aux problèmes de l’interpollinisation et de l’échelonnement du calendrier des récoltes et pour répondre aux souhaits du consommateur (production de kiwis).
Conduite et entretien du verger
L’intensification des techniques de production a fait abandonner, à partir des années cinquante, les vergers jardinés et leurs formes sujettes à des tailles de fructification très courtes et sévères, au profit de vergers de plein vent: formes («buissons», «gobelets») soumises à des tailles longues . À partir des années soixante, pour des raisons d’organisation du travail, et d’économie de main-d’œuvre, sont apparus les vergers en haie fruitière , dans lesquels les opérations culturales s’effectuent en continu le long de véritable «murs fruitiers». Cette tendance a été suivie pour les arbres fruitiers à noyau où l’on recherche plutôt des techniques rapides et standardisées de constitution de la charpente. Depuis 1970, la part croissante de la main-d’œuvre dans le coût de production des fruits et la charge financière du capital investi incitent les arboriculteurs à rechercher des techniques d’intervention de plus en plus légères et rapides (pincements au lieu de tailles de formation), mises en œuvre dans des vergers où la précocité d’entrée en production devient un objectif primordial. Cela explique le développement actuel des vergers à haute densité de plantation (de 1 500 à 4 000 arbres/hectare), au moins chez les espèces que l’on sait nanifier. Pendant leur jeune âge, ces vergers produisent un tonnage important, proportionnel au nombre d’arbres plantés, puis les rendements se stabilisent à un niveau comparable à celui de la haie fruitière. Une meilleure qualité des fruits est recherchée par un éclairement optimal des frondaisons. Dans tous ces vergers, des techniques d’assistance mécanique au travail sont en outre développées: sécateurs pneumatiques ou hydrauliques, passerelles automotrices convoyant les ouvriers à hauteur d’exécution de la taille ou de la récolte.
Les vergers sont implantés en tenant compte des exigences de la pollinisation : de nombreuses espèces fruitières, du fait de leur autostérilité, requièrent la présence de pollinisateurs judicieusement choisis et implantés, et l’apport de ruches à la pleine floraison (pollinisation entomophile). À cette époque, puis après la fécondation et la nouaison, la sensibilité des organes au gel est très grande. Les gelées printanières , encore combattues par des techniques actives (lutte antigel par aspersion, cartouches fumigènes, brassage de l’atmosphère) font l’objet d’une lutte préventive (choix des sites de plantation, maintien d’un sol nu et tassé au pied des arbres, retard volontaire de floraison) ou exceptionnellement curative (emploi des gibbérellines sur poirier).
L’éclaircissage des jeunes fruits constitue le complément indispensable aux tailles longues. Pratiqué manuellement ou chimiquement (auxines, ethrel) dans le mois qui suit la floraison, il permet d’obtenir de meilleurs calibres grâce à la chute précoce des jeunes fruits en excédent, et de maîtriser le phénomène de l’alternance.
L’alimentation hydrique et minérale des vergers, après avoir été longtemps empirique, du fait des difficultés de quantification liées au caractère pérenne des arbres fruitiers, est aujourd’hui mieux maîtrisée. Les besoins en eau sont mesurés grâce à des études en cases lysimétriques et reliés à l’É.T.P. (évapotranspiration potentielle). Le perfectionnement des technologies d’apport d’eau (aspersion, irrigation localisée) contribue à un meilleur contrôle des quantités distribuées, permettant le plus souvent une économie d’eau, que l’on peut encore accroître par un rationnement volontaire pour favoriser la qualité des fruits. La nutrition minérale a également opéré des progrès décisifs, conduisant de la même manière à des économies substantielles d’engrais (fertilisation par bandes, rationnement en azote). La nutrition minérale est contrôlée par des analyses de feuilles et de fruits, ces dernières permettant en outre de juger de la conservabilité des fruits. Les éventuelles carences peuvent être corrigées par des pulvérisations foliaires (oligo-éléments, calcium). Sous l’influence décisive des techniques performantes utilisées sous serre, l’irrigation fertilisante localisée sur le rang de plantation s’est développée (l’apport d’eau est modulé par des tensiomètres, on factionne l’apport minéral en fonction des besoins de l’arbre) et s’accorde parfaitement avec la conduite du verger intensif.
L’entretien mécanique du sol des vergers, responsable de bris de racines et de déstabilisation structurale de l’horizon superficiel tend aujourd’hui à être abandonné au profit du désherbage , associé ou non à l’enherbement de l’interligne ou à la technique de l’engrais vert .
La protection phytosanitaire des arbres fruitiers est également en progrès constant du fait de la meilleure connaissance des cycles biologiques des ravageurs et des maladies. D’une manière générale, pour des raisons de coût et dans un souci de meilleur respect de la faune utile, on évolue aujourd’hui vers une lutte plus dirigée que préventive, visant, à terme, à une lutte intégrée mettant en œuvre conjointement les principes de lutte génétique (résistances), culturale, biologique, physique et chimique. La législation actuellement en vigueur tient le plus grand compte de la santé du consommateur en spécifiant les tolérances en résidus de pesticides.
La récolte des fruits demeure un des gros soucis de l’arboriculteur. Le choix de la date de récolte, élément décisif de la qualité du fruit et de son aptitude à une éventuelle conservation, est encore trop souvent guidé par des considérations spéculatives (recherche de la précocité), alors que des tests relativement précis sont applicables. Les chantiers de récolte évoluent vers la mécanisation . Celle-ci est intégrale pour les fruits d’industrie (pruneaux, cassis, olives, amandes), et l’est partiellement pour certains fruits frais (cerises). La récolte des fruits à pépins demeure essentiellement manuelle, mais l’assistance mécanique et l’utilisation de caisses de très grande taille (palox) ont permis d’accroître significativement le rythme de la cueillette et de réduire son coût.
La conservation est aujourd’hui très bien maîtrisée grâce à une meilleure connaissance de la physiologie des fruits. Outre les améliorations concernant la technologie du froid, des techniques sont développées pour améliorer la durée de survie (maturité) et la qualité des produits entreposés (prétraitements thermiques ou gazeux, atmosphères contrôlées).
Aspects commerciaux
Comme le montrent les tableaux 3, 4 et 5, les fruits frais sont aujourd’hui bien plus que jadis des produits d’économie de marché , subissant pour la plupart la loi de l’offre et de la demande. Si l’offre est fluctuante du fait des divers aléas qui peuvent modifier la quantité, la qualité et le calendrier de commercialisation, on doit noter que la demande l’est également, en particulier pour les fruits saisonniers (pêches, cerises, fraises), dont la consommation est très sensible aux conditions climatiques du moment. Cette dernière caractéristique ne vaut pas pour les fruits qui sont présents sur le marché toute l’année en grande quantité (pommes, poires, agrumes et bananes), produits interconcurrents et menacés par la progression des desserts de substitution (produits laitiers, pâtisseries, etc.), où la présence éventuelle de fruits a essentiellement valeur de symbole. L’élévation du niveau de vie et la standardisation des techniques de production fruitière sont largement responsables d’une certaine banalisation des fruits frais, à laquelle s’ajoutent des modifications de notre comportement alimentaire (essor de la restauration collective et commerciale, simplification ou éclatement de la structure des repas, attrait des produits nouveaux). Pour ces diverses raisons, la consommation , qui avait connu une très forte progression dans les années soixante est stagnante depuis 1970. L’image de marque des fruits frais demeure cependant excellente (valeurs naturelles et diététiques reconnues comme indispensables).
Le Français consomme en moyenne 61 kilos de fruits chaque année, dont plus de 40 p. 100 sont importés (agrumes, bananes et autres fruits exotiques). De ce fait, bien que la France soit un important exportateur de pommes, la balance commerciale est largement déficitaire : 1,4 million de tonnes d’import net, soit une valeur de sept milliards de francs (1990). Les échanges de fruits sont essentiellement intra-européens. Pour les produits dits sensibles, le marché est régulé en cas d’excédents par le mécanisme des retraits qui contribuent, s’ils sont préventifs, à soutenir les prix à la production.
Le stockage et le conditionnement des fruits frais sont des opérations coûteuses (fragilité et périssabilité des produits), auxquelles s’ajoutent les charges du circuit de distribution (transports, marges des grossistes et des détaillants). La valeur ajoutée par ces opérations dépasse très largement les coûts de production «bord verger», ce qui est le plus souvent mal ressenti par les consommateurs. Actuellement, des intégrations dans la chaîne de distribution se développent soit en amont (groupements de producteurs), soit en aval (centrales d’achats des magasins succursalistes). Elles n’atténuent cependant que partiellement le coût des différentes fonctions.
Le secteur de la transformation fruitière française, en dépit des atouts importants dont il dispose, connaît des difficultés inquiétantes face à la concurrence internationale. Les solutions résident principalement dans le développement d’une politique contractuelle producteurs-transformateurs saine, continue et, au besoin, soutenue.
Perspectives d’avenir
Sur le plan technique, les grandes mutations amorcées seront poursuivies. Elles passent par une meilleure connaissance de la physiologie de l’arbre fruitier, qui trouve son application notamment dans le domaine des régulateurs de croissance . Le développement récent des méthodes de micropropagation in vitro , qui sont extrêmement performantes, autorise dès à présent la multiplication très rapide des porte-greffes, mais permet également d’envisager en site favorable la culture des variétés fruitières sur leurs propres racines (arbres fruitiers à noyau notamment). L’évolution des concepts en matière de pollinisation amène les arboriculteurs à pratiquer davantage la fécondation croisée. Cela peut être réalisé dans les parcelles monovariétales en adaptant sur les ruches des distributeurs à pollen. Pour ce qui concerne les variétés, le maintien d’une certaine diversité et la redécouverte de la notion de terroir paraissent nécessaires.
Sur le plan commercial, outre une meilleure gestion des marchés , on devra rechercher le développement de productions de qualité (fruits frais mais aussi transformés), soutenues par des systèmes de valorisation efficaces, seules susceptibles d’enrayer le phénomène de «désalimentarisation» du fruit, et de favoriser de nouveaux types de consommation.
● fruits nom masculin pluriel Littéraire. Ce qui provient de quelque chose ; produits, récoltes : Les fruits de la terre. Produits réguliers et périodiques qu'une chose mobilière ou immobilière donne par sa nature et sans altération de sa substance, soit naturellement (fruits naturels), soit par le travail de l'homme (fruits industriels), soit encore par les avantages pécuniaires qu'on en tire (fruits civils). ● fruits (expressions) nom masculin pluriel Fruits de mer, nom donné aux crustacés, aux coquillages et autres petits animaux marins comestibles. Fruits rafraîchis, salade de fruits frais divers au sucre et souvent arrosés d'un alcool. ● fruits (synonymes) nom masculin pluriel Produits réguliers et périodiques qu'une chose mobilière ou immobilière donne...
Synonymes :
- gain
- profit
- rapport
Encyclopédie Universelle. 2012.