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ESTHÉTIQUE
ESTHÉTIQUE

QU’EST-CE que l’esthétique? Le philosophe allemand Martin Heidegger la définissait, en 1936, comme «la science du comportement sensible et affectif de l’homme et de ce qui le détermine», étant entendu que ce déterminant est le beau, que le beau peut aussi bien apparaître dans la nature qu’être issu de l’art, et que l’homme, s’il se targue souvent d’en être l’auteur, ne saurait refuser d’en être d’abord le témoin.

Le terme d’esthétique a été introduit en 1735 par Baumgarten dans les Meditazioni filosofiche su argomenti concernenti la poesia : il s’agissait, pour cet élève de Leibniz, de rattacher l’appréciation des beaux-arts à une connaissance sensible (cognitio sensitiva , aisthétikè épistémè ) intermédiaire entre la pure sensation (obscure et confuse) et le pur intellect (clair et distinct), connaissance «parfaite» en ce qu’elle prendrait en compte les formes artistiques plutôt que les contenus. Que l’esthétique ait eu, dès le départ, à s’inquiéter des formes, ce fait allait trouver son écho et sa confirmation dans l’œuvre de Kant: avant d’appeler «esthétique» le jugement de goût, c’est-à-dire celui qui concerne «le beau et le sublime dans la nature et dans l’art» (Critique de la faculté de juger , 1790), le philosophe de Königsberg devait dénommer esthétique transcendantale l’étude de l’espace et du temps en tant que formes a priori de l’intuition sensible en général (Critique de la raison pure , 1781). Et inversement, en remontant l’histoire, on s’avise aisément de la solidité de la tradition au nom de laquelle des notions comme matière et forme régissent en Occident l’étude de la sensibilité humaine en général.

Qu’en conclure? Que l’esthétique existait «avant» l’esthétique, avant la constitution d’une discipline autonome portant ce nom. Que, cependant, les doctrines esthétiques, loin de surgir comme les commentaires de l’histoire du goût, se font jour par connivence et par contraste avec des doctrines antérieures. Mais ce caractère relativement «abstrait», cette distance prise à l’égard de l’histoire – toujours événementielle... – de l’art, garantit aussi une fécondité à laquelle, hélas, l’histoire se refuse par hypothèse: si les esthéticiens sont à la recherche de leur propre goût, il leur arrive de susciter l’éclosion de ce goût et par là d’agir dans l’histoire, de faire l’histoire au lieu de se la laisser conter. Singulièrement à l’époque présente, l’esthétique est partie prenante – à l’inverse de ce qui se pratiquait à d’autres époques – dans l’art le plus actuel; à la différence d’autres disciplines, l’esthétique ne se laisse pas museler par l’inféodation au révolu.

Il n’empêche que la préhistoire de l’esthétique pèse lourd. Elle remonte à Platon. Ce par quoi un étant diffère d’un autre étant, son visage ou sa physionomie, eidos ou idea , Platon le tient comme source d’une distinction entre le limitant (la forme, morphè ) et le limité (la matière, hylè ). Ce qui se montre avec le plus d’apparence, l’ekphanestaton , ce à propos de quoi s’aiguise le mieux l’hylémorphisme ou l’opposition matière-forme, Platon l’appelle le beau. Rien n’interdit alors à la réflexion «esthétique» (avant la lettre) de faire de l’étant le plus beau un objet qu’il reviendra à un sujet d’apprécier à sa juste valeur. En liaison avec son inféodation au couple matière-forme, l’esthétique fait de la chose dont elle s’occupe un objet pour un sujet, le «sujet» étant l’homme «sensible» qui «perçoit» l’objet, c’est-à-dire s’en empare pour en jouir. Héritière, en ce sens, d’un type «occidental» de réflexion sur la rencontre sujet-objet, l’esthétique ne saurait exister à proprement parler hors du champ (historique et géographique) dans lequel cette rencontre a lieu. En Extrême-Orient par exemple, où la notion de subjectivité est inconnue, on constate qu’une réflexion sur l’art se déploie – mais elle ne se ramène jamais à une «esthétique» stricto sensu. Et n’était-ce pas déjà le cas pour ce que Heidegger nomme le «grand art hellénique»? Nulle «esthétique» n’en rendait compte. On ne se privait pas pour autant de critiquer l’art, et encore moins de le penser.

On peut se demander également quel a été l’impact, sur la constitution de l’esthétique, de l’identification (grecque) de l’art et de la technè . L’art est, certes, affaire de métier, donc de technique. Mais la technè des Grecs ne désigne jamais en premier lieu le métier artisanal: le mot vise le savoir par lequel l’homme s’assure une place dans la nature (physis ) en mettant au jour, soit sous les espèces d’un ustensile (artisanal), soit sous celles d’une œuvre (d’art), quelque chose de déjà présent au sein de la nature elle-même. Si la technè voit son sens se spécialiser, c’est dans la mesure où matière et forme interviennent pour caractériser l’«intérieur» et l’«extérieur» de l’objet fabriqué: alors, en effet, il est besoin d’une compétence, par laquelle le technicien entreprendra de se substituer à la nature plutôt que de continuer à lui obéir. Par extension, l’art sera conçu comme s’opposant à la nature – quand bien même son mérite se résumerait-il, comme disait Valéry, à produire «en peu de jours ce que la nature fait en des siècles». On ne sépare plus, dès lors, l’esthétique de l’art: en lui assignant pour objet les seules œuvres de l’homme, on se donne le luxe d’omettre tout ce qui, n’étant pas fabriqué par l’homme, ne paraît pas lui avoir été destiné a priori.

Mais, du même coup, apparaît en pleine lumière ce qui faisait défaut à toute pensée antérieure au XVIIIe siècle, et qui interdisait que l’esthétique s’érigeât en corpus indépendant: il manquait une conception unitaire des beaux-arts qui fût susceptible de remplacer la nature comme source de beauté. Qu’on se donne en revanche une telle conception, et il devient loisible, comme l’a montré le philosophe italien Gianni Vattimo, à la faveur du rapprochement des différents arts dans une même aspiration vers le beau, d’éviter que ces arts soient confondus avec les différentes techniques auxquelles la tradition reconnaissait abusivement le statut d’arts à part entière, comme l’art de naviguer ou l’art culinaire. Or cette unification des beaux-arts est contemporaine de l’avènement de la division du travail dans la société bourgeoise: celle-ci délie les œuvres des rites sociaux et religieux dans lesquels elles se trouvaient empêtrées, durant l’Antiquité et le Moyen Âge, au bénéfice de la référence à une valeur unique et réputée neutre à l’égard de l’intérêt, de l’économie ou de l’utilité (quoi qu’il en soit de cette neutralité). Gadamer, et Vattimo encore, ont insisté aussi sur l’importance – symptomatique – que prend à cette même époque le musée, rassemblement d’œuvres supposées plaire à tous, et non plus, comme c’était le cas des collections nobiliaires ou privées de jadis, reflet d’un goût déterminé. Dès lors que le musée réunit des pièces illustrant des critères généraux de beauté, indépendamment des genres, des écoles et des styles, il devient possible de définir l’esthétique en termes non plus philosophiques, mais scientifiques: on verra en elle, comme le faisait Étienne Souriau, «le travail scientifique qui s’efforce de réunir les connaissances susceptibles de généralité que nous pouvons avoir sur l’art. Ces mots, susceptibles de généralité , servant à distinguer l’esthétique de l’histoire de l’art, qui étudie des faits singuliers, dans leur singularité même».

Une telle définition sonne moderne: elle s’inscrit en effet dans le droit fil de l’effort wagnérien, tant admiré jusqu’à nos jours, d’unification des différents arts en une seule œuvre, et, «par-delà cette union plutôt numérique et cumulative», selon Heidegger, elle vise, par le biais de la généralité, à réhabiliter l’idée de l’art comme «célébration de la communauté populaire: la religion même» (Heidegger).

Mais, sonnant moderne, la définition scientifique de l’esthétique continue néanmoins à faire écho à la conception de cet anti-Wagner qu’était Nietzsche, aux yeux duquel l’esthétique se devait d’être une «physiologie appliquée». Toutefois, il est à présumer que, dès lors que «l’art est livré à l’explication scientifique, [...] l’interrogation esthétique s’épuise dans ses dernières conséquences» (Heidegger).

La modernité sonnerait-elle donc le glas de l’esthétique, en même temps qu’elle en marquerait l’apogée? Méfions-nous des diagnostics mortifères: de même que l’art ne s’est jamais si bien porté que depuis l’annonce, faite par Hegel, de la mort de l’art, de même l’esthétique, avertie de ses limites, sait aujourd’hui comment les surmonter. La remise en question actuelle de la plupart des présupposés qui étaient traditionnellement les siens – à commencer par la sacro-sainte distinction sujet-objet – est sans doute l’indice d’un renouveau dont nous n’avons pas fini de mesurer les conséquences.

esthétique [ ɛstetik ] n. f. et adj.
• 1753; lat. mod. æsthetica (1750), gr. aisthêtikos, de aisthanesthai « sentir »
I N. f.
1Science du beau dans la nature et dans l'art; conception particulière du beau. Domaines de l'esthétique : philosophie, psychologie et sociologie de l'art. Traité d'esthétique. L'esthétique dogmatique de Platon, d'Aristote. L'esthétique de Hegel. « Propos sur l'esthétique », d'Alain. « une philosophie des beaux-arts; c'est là ce qu'on appelle une esthétique » (Taine).
Littér. au sens étym. « L'esthétique est la science du sentiment » (Maurras).
2Caractère esthétique. beauté. L'esthétique d'une pose, d'une attitude, d'un visage. « Au point de vue du beau, la femme donne tout... Quant à l'esthétique mâle, n'en parlons pas ! » (L. Daudet). plastique. Sacrifier l'utilité à l'esthétique.
3(1951) Esthétique industrielle : conception et fabrication d'objets manufacturés visant à harmoniser les formes, les fonctions. ⇒ design, stylisme.
II Adj.
1Relatif au sentiment du beau. Sentiment, émotion esthétique. Jugement esthétique. N'avoir aucun sens esthétique. « Le sens esthétique si éminent dont il [Chateaubriand] était doué » (Renan).
2Qui participe de l'art. artistique. « Curiosités esthétiques », essais de Baudelaire.
3Qui a un certain caractère de beauté. Attitudes, gestes esthétiques. 1. beau, harmonieux. Ce bâtiment n'a rien d'esthétique.
4Relatif aux moyens mis en œuvre pour maintenir ou améliorer l'apparence physique. Soins esthétiques (cf. Soins de beauté). La chirurgie esthétique peut raccourcir ou affiner le nez, supprimer les bourrelets adipeux, les tissus affaissés. plastique.
⊗ CONTR. Inesthétique.

esthétique adjectif (latin aesthetica, du grec aisthêtikos, de aisthanesthai, sentir) Qui a rapport au sentiment du beau, à sa perception : Il n'a pas le sens esthétique. Qui a une certaine beauté, de la grâce, de l'élégance ; agréable à voir, artistique, harmonieux : Décoration esthétique. Qui entretient ou développe la beauté du corps : Soins esthétiques.esthétique (expressions) adjectif (latin aesthetica, du grec aisthêtikos, de aisthanesthai, sentir) Chirurgie esthétique, partie de la chirurgie plastique consacrée à améliorer l'aspect extérieur du corps, et plus spécialement du visage. Doctrine esthétique, selon Nietzsche, doctrine qui a pour objectif de réconcilier l'art et la vie en se plaçant d'un point de vue actif. Jugement esthétique, chez Kant, jugement qui considère les formes des choses de manière à en tirer un sentiment de plaisir. ● esthétique (synonymes) adjectif (latin aesthetica, du grec aisthêtikos, de aisthanesthai, sentir) Qui a une certaine beauté, de la grâce, de l'élégance ;...
Synonymes :
- artistique
- beau
- coquet
- décoratif
- harmonieux
- joli
Contraires :
- disgracieux
- inesthétique
- laid
esthétique nom féminin Caractère esthétique d'une forme d'art quelconque ; harmonie, beauté : L'esthétique d'une construction. Principes esthétiques à la base d'une expression artistique, littéraire, etc. : L'esthétique romantique. Théorie philosophique qui se fixe pour objet de déterminer ce qui provoque chez l'homme le sentiment que quelque chose est beau. ● esthétique (citations) nom féminin Pierre Reverdy Narbonne 1889-Solesmes 1960 L'éthique c'est l'esthétique du dedans. Le Livre de mon bord Mercure de Franceesthétique (expressions) nom féminin Esthétique industrielle, étude des produits élaborés par une entreprise, en les soumettant aux critères d'adaptation à l'usage, de beauté et de facilité de fabrication. (On a plus souvent recours, aujourd'hui, à la notion de design.) ● esthétique (synonymes) nom féminin Caractère esthétique d'une forme d'art quelconque ; harmonie, beauté
Synonymes :
- beauté

esthétique
adj. et n. f.
rI./r adj.
d1./d Relatif au sentiment du beau.
d2./d Conforme au sens du beau. Ce monument n'est guère esthétique.
|| Chirurgie esthétique, qui vise à embellir, à remodeler les formes du corps, les traits du visage.
rII./r n. f.
d1./d Science, théorie du beau. L'Esthétique de Hegel.
d2./d Caractère esthétique d'un être, d'une chose. L'esthétique d'un drapé. Syn. beauté, harmonie.
Esthétique industrielle: design.

⇒ESTHÉTIQUE, adj. et subst. fém.
I.— Adjectif
A.— Qui est motivé par la perception et la sensation du beau. Jugement esthétique; émotions, sensations esthétiques. Tout désir de faire du beau style pour le plaisir d'en faire, pour se donner et pour donner aux lecteurs des jouissances esthétiques, est pour lui proprement inconcevable (SARRAUTE, Ère soupçon, 1956, p. 143).
B.— Qui répond à des exigences ou à des lois de beauté. Vouloir « tout court », ce n'est nullement vouloir en général, sans rien vouloir de déterminé, de particulier ni de présent : ce vouloir en soi est un vouloir en l'air qui ressemble à une attitude esthétique plutôt qu'à un rapport éthique (JANKÉL., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 239).
Soins, chirurgie esthétique(s). Traitement qui vise à l'amélioration de l'aspect du corps. Enfin, certains malades pourront bénéficier d'interventions relevant de la chirurgie esthétique (QUILLET, Méd. 1965, p. 368).
C.— Qui a pour caractéristique la beauté. Il avait beau s'en défendre : son orgueil intellectuel, sa conception complaisante d'un monde purement esthétique, fait pour la joie de l'esprit, rentraient sous terre, à la vue d'une injustice (ROLLAND, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1288).
II.— Subst. fém.
A.— Partie de la philosophie qui se propose l'étude de la sensibilité artistique et la définition de la notion de beau. Toutes les recherches, dans l'ordre de l'esthétique, sont dominées par les analyses de la « Critique du jugement » de Kant (ALAIN, Beaux-Arts, 1920, p. 7). Cf. aussi apaisement ex. 2 :
1. ... mais dans son essai [de Schiller] sur la grâce et la dignité, et dans ses lettres sur « l'esthétique », c'est-à-dire la théorie du beau, il y a trop de métaphysique.
STAËL, Allemagne, t. 3, 1810, p. 327.
En partic. [Avec spécialisation]
♦ [en fonction d'une théorie partic. d'un philosophe ou d'un artiste] L'esthétique kantienne, hégelienne. Faut-il s'étonner qu'entre certaines pages d'« Aurélia », inspirées de souvenirs occultistes, et l'esthétique baudelairienne des « Correspondances », il y ait une analogie profonde qui dépasse les simples concordances de vocabulaire? (BÉGUIN, Âme romant., 1939, p. 366).
Rem. ,,Chez Kant (esthétique transcendantale) : partie de la Critique de la raison pure, qui détermine les formes a priori de la connaissance sensible. Ces formes sont l'espace (connaissance du monde extérieur) et le temps (connaissance du monde intérieur de la conscience)`` (FOULQ-ST-JEAN 1962).
♦ [en fonction d'un genre, d'une école, d'une époque] L'esthétique du théâtre, du Romantisme :
2. Rappellerai-je, par exemple, comment l'esthétique romane, abstraite, relève de l'idéalisme a priori en cours durant le premier Moyen Âge, tout pénétré de la leçon de saint Augustin, tandis que l'esthétique gothique, positive, répond à l'aristotélisme ou à la doctrine expérimentale qui s'épanouiront au XIIIe siècle...
HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p. 435.
B.— Recherche de ce qui est beau.
1. Appréciation personnelle de ce qui peut être beau; sens du beau, goût :
3. Je conçois (...) pour l'avenir que le mot morale devienne impropre et soit remplacé par un autre. Pour mon usage particulier, j'y substitue de préférence le nom d'esthétique. En face d'une action je me demande plutôt si elle est belle ou laide que bonne ou mauvaise.
RENAN, Avenir sc., 1890, p. 177.
P. méton. Ensemble des qualités qui constituent les critères de cette appréciation ou les éléments d'une beauté personnelle. Les mots ont en eux-mêmes et « en dehors du sens qu'ils expriment » une beauté et une valeur propres... Je les aime pour leur esthétique personnelle, dont la rareté est un des éléments, la sonorité un autre... (BREMOND, Poésie pure, 1926, p. 109).
Loc. adj. Esthétique corporelle. Qui concerne l'emploi de procédés utilisés pour entretenir et développer la beauté du corps. Boutiques d'esthétique faciale (MORAND, New-York, 1930, p. 235).
2. Esthétique industrielle. Recherche sur les formes, la matière, les couleurs, etc., pour rendre toutes productions industrielles le plus attrayantes possible :
4. [Le] terme d'esthétique industrielle (...) souligne bien que les objets produits par l'industrie ne s'épuisent pas dans leurs fonctions utilitaires, et qu'ils peuvent développer de surcroît des qualités plus généralement humaines.
H. VAN LIER, Esthétique industrielle ds Encyclop. univ. t. 6 1970, p. 572.
Rem. 1. L'esthétique est une recherche de ce qu'est le beau et de ce qui est beau. Il semble donc abusif d'employer ce mot en tant que synon. de beau pour l'adj., de beauté pour le subst. Selon DUPRÉ 1972, il faut éviter de dire : Cette cravate est plus esthétique que celle-ci; il faut préserver l'esthétique du quartier de l'Étoile. Pour l'observateur de la langue, de tels emplois attestent un glissement de sens de l'adj. (« conforme au bon goût ») et du subst. (« beauté spécifique »). 2. On rencontre ds la docum. le préf. esthético-. Qui concerne l'esthétique. Esthético-morale (DURKHEIM, Divis. trav., 1893, p. 218), esthético-social (DU BOS, Journal, 1924, p. 14) ou, avec nuance dépréc. « prétendument esthétique » (cf. GENEVOIX, Mains vides, 1928, p. 10).
Prononc. et Orth. :[], [e-]. Enq. : /estetik/. Ds Ac. 1835-1932. Étymol. et Hist. 1. 1753 subst., « science du beau » (BEAUSOBRE, Dissertations philosoph., p. 163 ds LITTRÉ); 2. 1819 « ensemble de règles, de principes selon lesquels on juge de la beauté » (MAINE DE BIRAN, Journal p. 217); 3. 1798 adj. (Ch. F. SCHWAN, Nouv. dict. de la langue allemande et françoise, Suppl.). Empr. au lat. philos. aesthetica empl. par le philosophe all. A. G. Baumgarten (1717-62) dans son ouvrage Aesthetica acroamatica (1750-58); terme formé sur le gr. , « qui a la faculté de sentir; sensible, perceptible » (cf. « percevoir par les sens, par l'intelligence »). Fréq. abs. littér. :1 380. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 204, b) 1 127; XXe s. : a) 2 198, b) 3 769.
DÉR. Esthétiquement, adv. a) De façon esthétique; selon des lois, des exigences de beauté. Voici ce que je pense : (...) la croix est une chose laide, esthétiquement parlant (FLAUB., Corresp., 1873, p. 87). b) Selon ce qui touche à l'esthétique (cf. ce mot II A). Mais cela même à quoi M. Gide se plie esthétiquement, cet ordre qui fait que le langage « tient », que l'œuvre d'art « tient » et qui n'est que l'ordre même des choses, celui qu'on doit nécessairement subir dès qu'on « fait » quelque chose, il se garde d'en prolonger la leçon dans l'ordre moral et humain (MASSIS, Jugements, 1924, p. 52). [], [e-]. 1re attest. 1798 (Ch. F. SCHWAN, Nouv. dict. de la langue allemande et françoise, Suppl.); de esthétique, suff. -ment2. Fréq. abs. littér. : 25.
BBG.— COLOMB. 1952/53, p. 299. — DUCH. Beauté 1960, pp. 103-104. — GALL. 1955, p. 125; pp. 352-353. — QUEM. DDL t. 1 (s.v. esthétiquement). — UITTI (K. D.). Rem. sur la lang. « moderniste ». Fr. mod. 1972, t. 40, p. 26.

esthétique [ɛstetik] n. f. et adj.
ÉTYM. 1753; lat. philos. æsthetica, 1750, mot créé par le philosophe all. G. Baumgarten; grec aisthêtikos, de aisthanesthai « sentir ».
———
I N. f.
1 a Science du beau dans la nature et dans l'art ( Art, II., beau); conception particulière du beau, du « sentiment » de la beauté. || Domaines de l'esthétique : philosophie, psychologie, sociologie de l'art. || L'esthétique en peinture, en architecture, en littérature. || Traité, notions d'esthétique. || La pluralité des esthétiques (→ Civilisation, cit. 14). || L'esthétique dogmatique de Platon, d'Aristote (→ Beau, cit. 101). || L'esthétique de Hegel. || Bréviaire d'esthétique, de B. Croce. || Propos sur l'esthétique, d'Alain. || L'Esthétique généralisée, de R. Caillois.
1 Supposez que, par l'effet de toutes ces découvertes, on parvienne à définir la nature et marquer les conditions d'existence de chaque art : nous aurions alors une explication complète des beaux-arts et de l'art en général, c'est-à-dire une philosophie des beaux-arts; c'est là ce qu'on appelle une esthétique.
Taine, Philosophie de l'art, t. I, p. 11.
2 L'esthétique est la science du sentiment.
Ch. Maurras, Anthinéa, p. XI.
N. B. Allusion au sens étym. (en grec), mais dans le contexte moderne.
3 (…) sa seule excuse (à l'écrivain) est d'être original; il doit dire des choses non encore dites et les dire en une forme non encore formulée. Il doit se créer sa propre esthétique, — et nous devrons admettre autant d'esthétiques qu'il y a d'esprits originaux et les juger d'après ce qu'elles sont et non d'après ce qu'elles ne sont pas.
R. de Gourmont, le Livre des masques, p. 13.
4 (…) le nom seul de l'Esthétique m'a toujours véritablement émerveillé, et (…) il produit encore sur moi un effet d'éblouissement, si ce n'est d'intimidation. Il me fait hésiter l'esprit entre l'idée étrangement séduisante d'une « Science du Beau », qui, d'une part, nous ferait discerner à coup sûr ce qu'il faut aimer, ce qu'il faut haïr, ce qu'il faut acclamer, ce qu'il faut détruire; et qui, d'autre part, nous enseignerait à produire, à coup sûr, des œuvres d'art d'une incontestable valeur; et en regard de cette première idée, l'idée d'une « Science des Sensations », non moins séduisante, et peut-être encore plus séduisante que la première.
Valéry, Variété IV, p. 238.
5 La réalité est que Gautier résout catégoriquement au bénéfice du Beau le dualisme Beau et Bien. L'esthétique est substituée à l'éthique comme principe justificatif de l'existence.
Matoré, Introd., p. LXVIII, in Th. Gautier, Préface de Mlle de Maupin.
b Chez Kant. || Esthétique transcendantale : analyse des formes pures de la sensibilité (espace et temps).
2 Appréhension, considération de la beauté, des jugements de valeur sur le beau, dans un domaine complexe.
Étude, connaissance de la beauté naturelle (du visage, du corps humain). || L'esthétique du visage.
6 Vous me faites songer que les professeurs (comme on dit) d'esthétique du visage ont fait récemment une découverte : c'est qu'une vie placide et mesurée, loin de favoriser leurs clientes, vient gâter l'équilibre d'une beauté qui ne court plus ses dangers : les muscles s'y relâchent, les sécrétions s'y ralentissent, la figure s'affaisse.
J. Paulhan, Entretien sur des faits divers, p. 74.
(1951). || Esthétique industrielle : conception et fabrication d'objets manufacturés visant à harmoniser les formes, les fonctions. (anglic.) Design.
Par ext. Goût esthétique (d'une personne).
7 Les employés d'état civil d'autrefois, au moment de transcrire un nom, devaient consulter surtout leur esthétique personnelle.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. III, IV, p. 53.
3 (Sens objectif). Caractère esthétique. Beauté. || L'esthétique d'un monument. || L'esthétique du corps humain, ses proportions, son harmonie. || L'esthétique d'une pose, d'une attitude, d'un visage… || Sacrifier l'utilité à l'esthétique.
8 Au point de vue du beau, la femme donne tout… Quant à l'esthétique mâle, n'en parlons pas !… Homme, va te cacher !
Léon Daudet, la Femme et l'Amour, p. 281.
4 Moyen mis en œuvre pour maintenir ou accroître la beauté physique de quelqu'un. || Esthétique corporelle. || Salon d'esthétique ( Esthéticien).
———
II Adj. (1798).
1 Vx ou littér. Relatif au sentiment.
2 Mod. Relatif au sentiment du beau, à la beauté et aux jugements sur le beau. || Sentiment, émotion esthétique. || Jugement esthétique. || Être doué de sens esthétique (→ Défectueux, cit. 3). || N'avoir aucun sens esthétique. || Conceptions, attitudes esthétiques.
9 La première littérature, esthétique par nécessité plutôt que par choix, se renferma longtemps dans l'expression naïve de la sensation.
Charles Nodier, in P. Larousse.
10 Poe avait un front vaste (…) où trônait dans un orgueil calme le sens de l'idéalité, le sens esthétique par excellence.
Baudelaire, E. Poe, sa vie et ses œuvres, III.
11 (…) la conception esthétique exprimée par Gautier présente un caractère particulier. Gautier ne se contente pas d'opposer de manière irréductible l'art et les idées morales et utilitaires que défend la critique (…) Gautier va dissocier définitivement l'idée de Beau des éléments qui lui sont étrangers. La Nature est absente de la Préface (…) la vérité de l'Art n'est pas celle de la Nature; celle-ci, écrira-t-il, « est stupide, sans conscience d'elle-même, sans pensée, ni passion (…) ».
Matoré, Introd., p. LXVIII, in Th. Gautier, Préface de Mlle de Maupin.
Qui concerne la beauté, le sentiment du beau, la théorie, la philosophie du beau. || Considérations esthétiques en urbanisme.
11.1 Il essaye de tenir un discours qui ne s'énonce pas au nom de la Loi et/ou de la Violence : dont l'instance ne soit ni politique, ni religieuse, ni scientifique; qui soit en quelque sorte le reste et le supplément de tous ces énoncés. Comment appellerons-nous ce discours ? érotique, sans doute, car il a à faire avec la jouissance; ou peut-être encore : esthétique, si l'on prévoit de faire subir peu à peu à cette vieille catégorie une légère torsion qui l'éloignera de son fond régressif, idéaliste, et l'approchera du corps, de la dérive.
R. Barthes, Roland Barthes, p. 87.
3 Qui participe de l'art (contr. : inesthétique). Artistique. || Curiosités esthétiques, essais de Baudelaire.
4 Fam. Qui a un certain caractère de beauté. || Attitudes, gestes esthétiques. Beau, harmonieux. || Ce bâtiment n'est pas esthétique, n'a rien d'esthétique.
12 La peinture d'une femme nue ne devient esthétique que par une certaine stylisation.
A. Maurois, Études littéraires, t. II, p. 153.
13 G. Planche (…) protestait que cette sculpture n'était pas une création d'art valable en soi, pour la raison qu'il ne pouvait s'agir que d'une œuvre moulée sur le corps même du modèle (…) le ventre avait des plis peu esthétiques (…)
Émile Henriot, Portraits de femmes, p. 385.
5 Relatif à l'ensemble des moyens mis en œuvre pour maintenir ou améliorer la beauté physique de quelqu'un. || Soins esthétiques. Spécialt. || Chirurgie esthétique, par laquelle on change les formes du corps, du visage dans ce qu'elles ont de disgracieux. Chirurgie (cit. 3). || La chirurgie esthétique peut raccourcir ou affiner le nez, supprimer les bourrelets adipeux, les tissus affaissés…
CONTR. et COMP. Inesthétique.
DÉR. Esthéticien, esthétiquement. — V. aussi Esthète.

Encyclopédie Universelle. 2012.