CHIRURGIE
La chirurgie est une partie de la médecine qui se propose la guérison par l’œuvre des mains (du grec 﨑﨎晴福, main, et 﨎福塚礼益, ouvrage). Elle est, à l’heure actuelle, une branche tout à fait distincte de la médecine; mais il n’en a pas toujours été ainsi, car pendant de longs siècles la chirurgie n’a existé qu’à l’état embryonnaire.
Si la Renaissance permit de nombreux progrès dans les sciences médicales ou biophysiologiques, elle n’en apporta aucun à la chirurgie, car celle-ci se heurtait à deux problèmes majeurs: la douleur provoquée par l’opération, l’infection qu’elle engendre. C’est au milieu du XIXe siècle que, brusquement, ces deux problèmes sont résolus par la découverte de l’anesthésie (1846) et par celle de l’antisepsie (1867). Il n’est pas exagéré de dire qu’il s’agit d’une véritable «révolution chirurgicale», à ce point inattendue que la plupart des chirurgiens de l’époque la repoussèrent d’abord avec véhémence. Mais la chirurgie naît en tant que discipline et s’épanouit à partir de cette époque. En un siècle, elle a su conquérir une place considérable, au point que rapidement elle a dû se diviser en spécialités de plus en plus cloisonnées. Celles-ci ont obtenu des résultats prodigieux: opérations sur le cerveau, les reins, les poumons, le cœur enfin nous ont familiarisés avec les prouesses quotidiennes des chirurgiens. Certes, les moyens matériels que l’on met en œuvre dans les salles d’opération représentent un investissement considérable, mais combien moins important que le capital humain prodigué autour de l’opéré. Actuellement, des équipes chirurgicales groupant de nombreuses personnes, préparées de longue date, hautement spécialisées – chirurgiens, anesthésistes, réanimateurs, biologistes, infirmiers – restent à l’œuvre, souvent pendant des heures, selon un programme minutieusement établi à l’avance et contrôlé pas à pas.
Cependant, les progrès et l’expérience aidant, les chirurgiens se sont aperçus que leur rôle ne pouvait se borner à un geste purement manuel et technique. Retrouvant ce qu’avait dit Hippocrate vingt-quatre siècles auparavant, ils ont constaté que l’organisme humain est dans un état d’équilibre constant que l’acte opératoire bouscule. Le rôle du chirurgien ne saurait être complet s’il ne cherche à prévoir, puis à supprimer, ou tout au moins à contrôler, ce déséquilibre qu’il provoque et dont les perturbations se font sentir aussi bien sur les plans psychologique et social que sur celui des mécanismes physiologiques du corps humain opéré. Le chirurgien ne saurait donc se borner au geste opératoire. Il doit étendre la notion de guérison chirurgicale non seulement au succès technique de son opération, mais aussi au retour à l’équilibre physique et mental, à la réinsertion sociale de son opéré.
Sur le plan technique, cet article ne peut avoir la prétention de décrire l’ensemble de la chirurgie, de ses structures et de ses possibilités actuelles. Il se contentera donc, après un rappel historique de cette passionnante histoire qu’est celle des découvertes chirurgicales, de développer un large panorama d’ensemble de la chirurgie telle qu’elle se pratique quotidiennement. (Pour les détails concernant chaque spécialité, le lecteur est invité à se reporter au chapitre la concernant.)
1. Les origines
La plupart des peuplades antiques savaient extraire une flèche, ou réduire une fracture à l’aide d’attelles, grâce à des procédés rudimentaires, en général accompagnés d’incantations et de pratiques magiques pour s’assurer la faveur des dieux.
Les Indiens, toutefois, semblent avoir très tôt compris l’intérêt de l’entraînement à la dissection. Susruta (Ve s. apr. J.-C.) nous montre les apprentis chirurgiens s’entraînant sur l’animal et même sur les plantes, qui permettent de très fines dissections (incision de la tige creuse de l’iris, dissection des nervures d’une feuille).
En Égypte, le raisonnement déductif, l’observation comparative semblent avoir été en honneur; les descriptions minutieuses de plusieurs maladies et de leur traitement sont colligées notamment dans le papyrus Smith (XVIIIe s. av. J.-C.).
Mais en fait c’est Hippocrate, médecin grec vivant au Ve siècle avant J.-C., qui débarrassa la médecine des multiples pratiques magiques et empiriques dont elle était presque exclusivement faite. On sait qu’Hippocrate est considéré comme le véritable créateur de la médecine, pour son esprit méthodique dans l’observation des malades, son sens du raisonnement déductif, son humanisme enfin (primum non nocere ). La part de la chirurgie est certes modeste dans son œuvre, mais elle participe du même esprit nouveau.
Les invasions barbares, qui balayent les civilisations méditerranéennes au début de l’ère chrétienne, paralysent l’évolution. L’héritage toutefois n’est pas perdu. Transcrit par Byzance, puis par la civilisation arabe, notamment sous forme de manuscrits, l’enseignement hippocratique sera retrouvé au Moyen Âge. Mais, bien qu’à cette époque l’on possède les écrits d’Hippocrate, ceux de Gallien, des Alexandrins, voire des Arabes, on ne sait pas en tirer un juste parti. Ils ne servent que d’appoints pour être cités, souvent mal à propos, dans des querelles empiriques et dogmatiques. Les écrits et les manuscrits du temps nous font fort bien voir le mélange de mysticisme et de cruauté qui prévaut alors. Pour l’homme du Moyen Âge, chrétien à part entière, la maladie est une épreuve dont seuls Dieu ou Satan sont les maîtres; de raisons naturelles, il n’est pas question. Aussi fait-on appel aux hommes qui possèdent des connaissances surnaturelles. C’est à l’alchimiste, à l’astrologue que l’on s’adresse le plus souvent; et l’on ne fait confiance qu’aux pommades et aux formules magiques. Les superstitions les plus étranges et les amulettes sont considérées comme les armes thérapeutiques les plus efficaces. Lorsque de telles pratiques ne paraissent pas d’inspiration divine, elles proviennent du diable et le bûcher peut en être la sanction.
La chirurgie, dans ces conditions, est ramenée au rôle de pratique barbare, condamnée par l’Église. Le concile de Tours (en 1163) proclame: «Ecclesia abhorret a sanguine» («L’Église abhorre le sang»). La dissection des cadavres est strictement interdite.
«Les barbiers-chirurgiens seuls pratiquaient alors, sous les ordres et le contrôle des médecins, la petite chirurgie courante que la vie quotidienne rend toujours nécessaire, surtout à une époque où presque tous les hommes portaient des armes en permanence. Ils rasaient et coupaient les cheveux, ouvraient les abcès superficiels, saignaient et mettaient des ventouses, appliquaient des cautères et pansaient également les plaies faites à l’arme blanche; enfin, ils soignaient les fractures et luxations à la façon des rebouteux de village» (Lecène). Rien d’étonnant que les «barbiers-chirurgiens» soient tenus à cette époque par les médecins comme de vils manœuvres, entièrement à leurs ordres.
La Renaissance va avoir une heureuse influence sur l’histoire de la chirurgie. L’esprit critique reparaît, qui anime un ardent désir de savoir.
À vrai dire, les médecins ne semblent pas adopter l’esprit nouveau et restent plongés dans leurs querelles dogmatiques et tatillonnes. Mais, à côté d’eux, certaines disciplines paramédicales vont de l’avant et suivent le mouvement du siècle: l’anatomie macroscopique avec Andreas Vesalius (1514-1564) et microscopique avec Marcello Malpighi (1628-1694) et Anton van Leeuwenhoeck (1632-1723), la physiologie expérimentale avec W. Harvey (1578-1657) qui découvre la circulation sanguine et le rôle moteur du cœur, l’anatomie pathologique avec G. B. Morgagni (1682-1771) et tant d’autres permettent en peu de temps une description complète du corps de l’homme, de ses mécanismes physiologiques et de ses états pathologiques.
Les chirurgiens du XVIe siècle sont surtout appelés à exercer leur art aux armées. Les plus connus d’entre eux s’y rendent célèbres, comme Ambroise Paré (1510-1592). D’autres se spécialisent dans un type d’opération et parcourent l’Europe précédés de leur réputation, tel P. Franco (1506-1579), «tailleur de vessie».
À partir du XVIIIe siècle, les chirurgiens ont à peu près partout en Europe acquis leur indépendance. Leur influence va grandissant et quelques-uns d’entre eux sont de véritables chefs d’école. Citons notamment J.-L. Petit (1674-1750) en France, A. Scarpa (1747-1832) en Italie, et surtout J. Hunter (1728-1793) en Angleterre, que l’on considère unanimement comme le plus grand. Les chirurgiens de cette époque sont éclectiques: leurs recherches les conduisent à étudier tout d’abord l’homme normal, son anatomie, sa physiologie, puis l’homme malade. La clinique, l’anatomo-pathologie, la médecine expérimentale même font partie de leur bagage. Ils n’hésitent pas à collaborer avec le chimiste, le physicien. Enfin, ils confrontent leur expérience avec celle des autres et donnent vie à des sociétés savantes ou à des journaux spécialisés. À tous ces points de vue, la chirurgie est, au XVIIIe siècle, en avance sur la médecine, que paralysent encore le dogmatisme et la routine.
S’ils connaissent bien l’anatomie du corps humain, les chirurgiens n’ont pas encore, par des dissections répétées, pris une connaissance exacte des maladies auxquelles ils pourraient s’attaquer, et ils échouent lorsqu’ils cherchent à innover. Ils doivent donc se cantonner à quelques opérations simples, connues depuis l’Antiquité: les hernies, la taille vésicale, les tumeurs cutanées et, surtout, les multiples plaies et fractures provoquées par les guerres. Ils acquièrent en ce domaine une habileté prodigieuse (au cours des campagnes de Napoléon Ier, D. J. Larrey, le chirurgien de l’Empereur, ampute une cuisse en quatre minutes, un bras en douze secondes).
Le début du XIXe siècle ne fait qu’accroître ce déséquilibre. Nombreux sont les chirurgiens adroits et de grande valeur (citons les Anglais Liston, Astley Cooper, l’Allemand Langenbeck, les Français A. Nélaton et G. Dupuytren, l’Américain E. Mac Dowell); mais tous opèrent très peu, car ils se heurtent à d’inexplicables échecs, causés le plus souvent par la suppuration que beaucoup estiment cependant «louable».
Tel est le paradoxe: il est clair pour nous comme est clair son remède. Mais aucun chirurgien d’alors ne semble l’avoir compris. Bien au contraire, beaucoup se croient à l’apogée de leur science. En 1836, Marjolin, professeur à la faculté de Paris, n’hésite pas à dire: «La chirurgie est parvenue au point de n’avoir presque plus rien à acquérir.»
2. La révolution chirurgicale
L’anesthésie
En moins d’un demi-siècle, trois découvertes capitales vont profondément transformer l’exercice de la chirurgie. Celle de l’anesthésie à partir de 1846, celle de l’antisepsie à partir de 1867, puis celle de l’asepsie à partir de 1886.
La découverte de l’anesthésie est due à deux dentistes américains. Horace Wells découvre par hasard, sur les tréteaux d’une foire, les propriétés anesthésiantes du protoxyde d’azote utilisé comme «gaz hilarant» pour amuser les foules. W. T. G. Morton, son ancien assistant, étudie pendant ce temps les propriétés anesthésiantes des vapeurs d’éther sulfurique et, le 16 octobre 1846, il endort son premier opéré au Massachusetts General Hospital de Boston. Cette découverte eut immédiatement un retentissement énorme et l’éther fut adopté par les chirurgiens du monde entier qui, la douleur étant vaincue, se crurent autorisés à tenter des opérations plus hardies.
C’est, par exemple, l’apparition de la chirurgie de l’abdomen. Mac Dowell avait montré en 1809 que l’ablation des kystes ovariens était possible, mais, les tentatives ultérieures ayant été malheureuses, l’opération avait été abandonnée. Plusieurs chirurgiens s’y attaquent à peu près en même temps: Spencer Wells à Londres en 1855, Keith à Édimbourg en 1862, Koeberle à Strasbourg en 1862, J. É. Péan à Paris en 1864. Leur succès incite d’autres chirurgiens à suivre cet exemple, et le nombre des opérations dans l’abdomen se multiplie rapidement. On tente en même temps d’enlever l’utérus (hystérectomie), d’intervenir sur l’estomac et sur l’intestin. Mais voici que l’enthousiasme initial est rapidement stoppé. Les opérations restent aussi meurtrières. Les statistiques avouent 50 p. 100, parfois 70 p. 100 de mortalité; et le succès est assez incertain pour que beaucoup de malades refusent de se faire opérer.
L’antisepsie
On se perd alors en conjectures sur les raisons de ces échecs. On connaît cependant déjà cet «empoisonnement du sang» appelé aujourd’hui septicémie, ou cette infection purulente (pyohémie) disséminant partout des abcès métastatiques. Mais on ne reconnaît pas toujours leur gravité réelle et surtout on ne sait pas les expliquer. On parle d’«inflammation» de la plaie opératoire, d’irritation locale, de poison même. Mais tout cela est vague, et la notion essentielle de «contagion» n’est pas présente. Pas un instant les chirurgiens ne supposent qu’ils apportent eux-mêmes avec leurs mains et leurs instruments les germes responsables de la mort. Car le chirurgien pénétrant en salle d’opération ne change pas d’habit; il reste en jaquette, col dur, les manches empesées à peine retroussées; ses aides en font autant. Il dispose de très peu d’instruments, et mène presque toute l’opération avec ses mains, qui manipulent les viscères abdominaux d’autant plus largement que l’éclairage est très médiocre. Pis, il ne se lave pas les mains avant d’opérer; très fréquemment, il vient de sortir d’une salle de malades où il a manipulé des pansements le plus souvent souillés de pus; souvent même, il vient de terminer une autopsie, ou une démonstration sur le cadavre! On ne peut que s’étonner, dans de telles conditions, qu’il remporte quand même des succès opératoires.
Le rôle nocif de la contagion septique avait été pressenti par deux précurseurs: O. W. Holmes de Boston aux États-Unis et I. P. Semmelweis, gynécologue à Vienne (Autriche), mais ils avaient été peu écoutés, sinon tournés en dérision.
Ce n’est pas un médecin, mais un chimiste,
Louis Pasteur (1822-1895), qui parvient à montrer que l’air atmosphérique véhicule des germes microbiens qui pourraient être la cause des suppurations.
Le premier chirurgien à comprendre l’importance de cette découverte est Joseph Lister (1827-1912), qui exerce alors à Glasgow (1864). Le raisonnement de Lister est simple: si, d’après les travaux de Pasteur, l’air atmosphérique transporte les germes infectieux, il faut en débarrasser l’air qui vient au contact des plaies. Pendant trois ans, Lister met au point un produit destiné à «filtrer l’air», qui n’est autre que l’acide phénique, puis essaye sa méthode sur des sujets atteints de fractures compliquées de plaies. Il applique sur ces fractures ouvertes une sorte de pansement en coton imbibé d’acide phénique en solution aqueuse; il renouvelle fréquemment le pansement. Mais comme cet acide phénique irrite la peau, il doit lui substituer de l’huile phéniquée de plus en plus diluée. Il recouvrait primitivement le pansement de taffetas imperméable: il lui substitue une plaque de plomb. Lister décrit ensuite la formation d’une croûte sous ce pansement et la cicatrisation sous cette croûte, qui se fait sans putréfaction. Lister a inventé l’antisepsie . Il est peu écouté au début, et ses publications ne soulèvent que réticences. Mais ses résultats sont si remarquables qu’il finit par convaincre, et dès 1871 sa méthode se généralise rapidement.
L’asepsie
À partir de 1886, l’antisepsie va faire place à l’asepsie . Cette seconde méthode, mise au point par Pasteur, se différencie de l’antisepsie en ceci qu’au lieu de chercher à protéger l’organisme opéré contre les germes portés par les instruments de l’opérateur elle propose de n’utiliser que des instruments, des bandages, des éponges, des fils de suture préalablement stérilisés par la chaleur. Le procédé est beaucoup plus efficace, surtout en matière de chirurgie abdominale, où le nuage antiseptique ne peut qu’imparfaitement recouvrir la région opérée.
Selon les données mêmes de Louis Pasteur, on utilise soit la chaleur sèche en étuve à 160 0C (ou flambage), soit l’autoclave, où la température est portée à 130 0C, sous une pression de 2 à 3 atmosphères. Dans ces conditions, tous les germes sont tués.
L’asepsie ne se substituait pas complètement à l’antisepsie; celle-ci restait nécessaire pour nettoyer la peau du malade opéré. Jadis, on l’employait aussi pour stériliser les mains du chirurgien, et cette obligation si gênante ne trouve sa solution qu’en 1885, lorsque N. S. Halsted (États-Unis) met au point un gant de caoutchouc stérilisable selon le procédé de Pasteur. En 1890, la méthode aseptique triomphe définitivement. Le temps ne fera qu’y apporter quelques améliorations. Aujourd’hui encore, les procédés de stérilisation préconisés par Pasteur restent utilisés: le chirurgien se nettoie les mains puis enfile des gants de caoutchouc stériles; il revêt avant l’opération une «casaque» stérile, ainsi qu’une «calotte», une «bavette», qui lui permettent de respirer et parler sans véhiculer de germes; enfin, des «bottes» lui évitent d’introduire avec ses chaussures des souillures venant de l’extérieur.
Pour la chirurgie, désormais dotée de ses deux armes principales, l’anesthésie et l’antisepsie, toutes les prouesses techniques sont devenues possibles.
3. La chirurgie moderne
Les pionniers
Les découvertes de l’anesthésie et de l’antisepsie ont permis aux chirurgiens d’opérer sans être arrêtés dans leur action par la douleur et par la redoutable infection postopératoire. La période postérieure à ces deux découvertes est véritablement exaltante pour les chirurgiens. Presque toutes les opérations sont à inventer, et à tenter.
Dès 1890, une pléiade de grands chirurgiens défriche cet immense chantier. Les progrès viennent d’Europe comme d’Amérique du Nord. Souvent les découvertes naissent simultanément de deux, de trois foyers différents. La tâche est telle que l’égoïsme s’estompe devant l’émulation; chacun s’emploie autant à faire connaître qu’à apprendre. Certains maîtres s’imposent par leur rayonnement et attirent les chirurgiens du monde entier: T. Billroth, E. T. Kocher, Reverdin en Suisse, Bassini en Italie, Terrier en France, Spencer Wells, Paget en Angleterre, Mac Burney, Halsted aux États-Unis, Pirogoff en Russie, mais beaucoup d’autres sont d’égale valeur.
L’essor sera freiné par la Première Guerre mondiale, mais la plupart des techniques opératoires actuelles furent décrites pendant cette brève période de temps. Beaucoup d’entre elles étaient trop audacieuses pour l’époque et firent surtout l’objet de recherches théoriques. Mais les chirurgiens ne craignaient alors ni l’audace ni les responsabilités, ce que justifiait souvent leur grande habileté manuelle.
Leur mérite est immense, car ils durent mettre entièrement au point les conditions de l’acte opératoire. Ce fut d’abord la lutte contre l’infection, qui fut parachevée par la création d’une salle spéciale, où se feront les interventions chirurgicales. Dans cette «salle d’opération», tout doit être désormais méticuleusement propre. Le port d’une blouse blanche et d’une calotte y est indispensable. Une «salle de stérilisation» doit lui être annexée, où l’on nettoie et aseptise le matériel. Un personnel infirmier doit être créé et formé. Des écoles d’infirmières naissent un peu partout dans le monde, sous l’influence de Florence Nightingale (1823-1910).
Il en est de même en ce qui concerne les instruments chirurgicaux. Leur arsenal grossit de jour en jour et il n’est pas de chirurgien qui n’exerce son ingéniosité à créer un nouveau modèle. Chaque spécialité a ses nécessités, chaque chirurgien ses préférences.
Les objets conditionnés en récipient stérile et jetables après usage sont devenus monnaie courante dans le matériel chirurgical. Voilà qui vient compliquer le difficile problème de l’élimination des résidus médico-chirurgicaux que tout hôpital (ou clinique) met chaque jour en circulation.
Mais, à trop vouloir être audacieux, les chirurgiens s’aperçoivent, au prix de durs échecs, que leurs possibilités sont plus limitées qu’ils ne le pensaient. En effet, la technique opératoire prime tout. Le futur chirurgien est formé en vue de la technique: il doit connaître à fond l’anatomie et répéter sur le cadavre pendant plusieurs années les interventions qu’il sera appelé à faire. Les conséquences en sont parfois funestes. L’audacieux chirurgien qui enlève un corps thyroïde, ou les deux ovaires, ne sait pas encore qu’il va transformer son opéré en myxœdémateux boursouflé ou en maritorne travaillée par des bouffées de chaleur: à ses dépens, la physiologie lui donne là de dures leçons. Car il s’inquiète peu des réactions physiopathologiques de son malade à l’opération; à ses yeux, l’acte opératoire résume son rôle: le dernier point de suture terminé, il se redresse en se disant que l’opération a réussi et que son malade est guéri. On ne saurait aujourd’hui se satisfaire de ce succès purement technique.
D’ailleurs, cet acte opératoire, l’opérateur en a vite découvert les limites, infranchissables pour l’époque. L’expérience lui enseigne que l’anesthésie ne permet guère d’opérer plus d’une heure et demie. Il doit éviter toute hémorragie tant soit peu importante. Cela l’incite surtout à plus d’adresse, plus de rapidité. Le geste devient parfois brutal, l’hémostase est escamotée, ce qui n’est pas sans majorer l’agression subie par l’organisme, temporairement camouflée par l’anesthésie.
L’acte opératoire en lui-même n’est pas tout. Si l’opération chirurgicale permet d’obtenir la guérison, c’est au prix d’une agression qui sera d’autant plus sévère que la maladie que l’on se propose de guérir est plus grave et que l’organisme du malade en est plus déséquilibré. Les progrès des sciences médicales et physiologiques devenaient la condition essentielle du développement de la chirurgie.
La spécialisation chirurgicale
À partir de 1918, les progrès de la chirurgie vont se faire dans une nouvelle perspective. À l’intervention chirurgicale, pôle exclusif de l’activité et de l’intérêt du chirurgien, va se substituer la notion plus complète de la maladie, dans laquelle l’opération n’interviendra que comme moyen thérapeutique, essentiel certes, mais non exclusif.
À ces progrès vont concourir toute une série de découvertes, qui seront dues non seulement à des chirurgiens, mais à des médecins, des physiologistes, des chimistes, des physiciens.
Un grand nombre de découvertes ont permis l’essor de la chirurgie moderne; on se contentera ici de passer en revue quelques-unes des plus importantes.
La recherche expérimentale
C’est Claude Bernard (1813-1878) qui introduisit la méthode expérimentale dans la recherche médicale. Claude Bernard n’était pas médecin, mais physiologiste; il fit comprendre l’importance du raisonnement expérimental et de l’expérimentation sur l’animal. C’est grâce à cette expérimentation que les maladies purent être reproduites, que les opérations purent être essayées et leurs conséquences étudiées.
Pour prendre un exemple, l’ablation du corps thyroïde en cas de goitre provoque des troubles sévères de privation glandulaire, si la glande est enlevée en totalité. Quelle quantité du corps thyroïde peut-on enlever sans risque? Quelle sera alors la technique opératoire à adopter? Quels seront les médicaments à utiliser en cas de troubles de thyréo-privation? Autant de questions auxquelles la recherche expérimentale a pu apporter une réponse.
La chirurgie expérimentale s’est développée dès le début du XXe siècle, et les pays qui ont su en comprendre l’importance sont ceux où se sont faites les plus grandes découvertes. Alexis Carrel, l’un des promoteurs les plus prestigieux de la chirurgie expérimentale, l’avait bien compris lorsqu’en 1904 il quitta la France, estimant ne pouvoir y conduire ses expériences dans de bonnes conditions. Installé aux États-Unis, ses recherches se révélèrent rapidement d’une telle importance qu’elles lui permirent d’obtenir le prix Nobel de médecine à l’âge de trente-deux ans.
La chirurgie expérimentale garde toute son importance et il n’est guère de centre chirurgical de quelque importance auquel ne soit annexé un laboratoire de recherche. Sans expériences préalables, nombre d’opérations chirurgicales, et notamment toute la chirurgie du cœur et des vaisseaux, n’auraient pu voir le jour.
Progrès de l’anesthésie
Jusqu’après la Première Guerre mondiale, et même bien au-delà dans certains pays, l’anesthésie n’était donnée que de façon très succincte et n’était pas sans danger.
À partir de 1925, ses progrès vont être considérables. L’anesthésie par simple inhalation d’éther ou de chloroforme est progressivement complétée par les éléments suivants:
– les médications préalables (morphine, gardénal...), qui conduisent en salle d’opération un malade calme et déjà somnolent;
– la possibilité de contrôler l’anesthésie par un circuit complètement clos (anesthésie en circuit fermé); ce qui, outre l’avantage d’éviter toute perte de gaz et d’en contrôler rigoureusement l’admission, permet de créer une pression positive dans les poumons: on maintient ainsi une respiration pulmonaire, même si les deux plèvres sont ouvertes (l’Anglais Magill créa cette méthode en 1928);
– l’utilisation d’une grande variété de médicaments du sommeil: entre autres, les produits introduits par voie veineuse (le plus connu est le Penthotal);
– l’adjonction de produits non anesthésiants par eux-mêmes, notamment le curare, ce poison violent dans lequel les Indiens trempaient leurs flèches; purifié et débarrassé de ses composants toxiques par Mac Intyre (New York), il est introduit en 1942 par Griffith (Montréal).
Les appareils d’anesthésie deviennent de ce fait très compliqués, et l’emploi de nombreux médicaments oblige l’anesthésiste à acquérir des connaissances approfondies et à se spécialiser rapidement. Mais l’anesthésie y gagne en confort et en sécurité: une opération peut durer plus de douze heures sans dommage pour l’opéré.
La réanimation
La réanimation a pour but de surveiller et de rééquilibrer physiologiquement le malade non seulement après, mais aussi avant et pendant l’opération. Plus la maladie à opérer sera grave et l’opération faite importante, plus le rôle de la réanimation sera primordial.
Celle-ci fait appel à de très nombreuses disciplines annexes, notamment la radiologie, et le laboratoire biochimique permet de mesurer la plupart des constantes physico-chimiques de l’organisme. Elle a à sa disposition un bagage considérable de médicaments ou d’éléments thérapeutiques qui s’accroît encore continuellement. Parmi ceux-ci on peut citer:
– La transfusion sanguine : l’idée de transfuser du sang à un homme qui en a perdu est très ancienne. Tentée plusieurs fois au XVIIe siècle (Denys fut le premier à l’oser), de l’animal à l’homme, puis d’homme à homme, elle avait dû être abandonnée en raison de ses échecs. Une transfusion de sang peut en effet provoquer des réactions graves chez le transfusé, et parfois la mort. C’est K. Landsteiner qui, vers 1900, découvrit l’existence des groupes sanguins. Si à un individu donné on transfuse un sang de groupe différent, on risque de provoquer des «accidents d’incompatibilité». Donneurs comme receveurs doivent donc être groupés avant toute transfusion.
Avertis de ces détails, les chirurgiens, dès le début du siècle, reprirent les essais de transfusion. Vers 1907, George Crile, chirurgien américain, adopta les vieilles techniques du XVIIIe siècle. Il unit par un simple tube de verre artère du donneur et veine du receveur, la différence de pression permettant la transfusion directe.
Crile fut peu suivi, car sa technique était difficile. Ce n’est qu’après la guerre de 1914-1918 qu’on fit de réels progrès, grâce notamment à la mise au point de seringues spéciales permettant la transfusion directe de veine à veine, et surtout la possibilité de conserver le sang en bouteille en y ajoutant du citrate de soude pour le rendre incoagulable.
La guerre de 1939-1945 devait permettre aux chirurgiens américains de mettre au point, à l’échelle de leur immense armée, une organisation véritablement commerciale de la transfusion de sang. C’est le modèle que les nations ont adopté après l’armistice.
On sait l’importance qu’on attache à l’heure actuelle à remplacer le sang perdu.
– Les antibiotiques : c’est à la suite d’une découverte fortuite que sir Alexander Fleming mit au point la pénicilline, dont la première utilisation date de 1940. À partir de ce médicament, destiné à lutter contre l’infection en détruisant les microbes qui en sont responsables, une quantité croissante d’autres antibiotiques seront découverts. Ils ont chacun leur action sélective contre tel ou tel microbe. Leur importance est considérable, car jusqu’à leur apparition l’infection postopératoire restait la complication la plus redoutable.
– Les médicaments nouveaux : outre les antibiotiques, le réanimateur dispose d’une quantité de médicaments efficaces. Il peut rendre le sang incoagulable, grâce aux anticoagulants, ce qui permet de guérir la redoutable phlébite et d’éviter les embolies pulmonaires postopératoires. Il peut calmer les douleurs de l’opéré sans pour autant le déprimer. Il peut à volonté ralentir ou accélérer son rythme cardiaque, stimuler la contraction du cœur, la filtration du rein, la sécrétion de la plupart des glandes endocrines. L’aspiration digestive lui permet de vider un intestin paralysé, et grâce à certains médicaments il peut réveiller les contractions intestinales ou au contraire les apaiser.
Ces exemples donnent un aperçu du champ des possibilités. La découverte de la plupart de ces médicaments date d’une cinquantaine d’années et l’on peut en espérer beaucoup d’autres encore.
Les conditions de l’acte opératoire
On peut juger combien la chirurgie est devenue une science complexe. Le nombre et les difficultés des opérations se sont accrus dans des proportions considérables et l’acte opératoire lui-même s’est entouré d’une série de manœuvres indispensables.
Avant l’opération , ce sont les investigations cliniques et paracliniques préalables qui permettent d’obtenir un diagnostic aussi précis que possible. C’est aussi la réanimation préopératoire qui fait de sujets parfois moribonds des patients opérables. Pendant l’opération , c’est l’anesthésie, la surveillance peropératoire de l’état constant de l’opéré, parfois l’utilisation d’appareils tels qu’un respirateur ou un cœur-poumon artificiels. Certaines opérations, notamment la pose de prothèses orthopédiques, doivent être effectuées en atmosphère stérile. Les chirurgiens opèrent alors à travers une «bulle» stérile coiffant l’ensemble du champ opératoire et des instruments. Après l’opération , enfin, c’est l’étude et le constant rééquilibre d’un organisme qui vient de subir une grave agression et qu’il faut aider à en supporter les conséquences (ce que René Leriche appelait la «maladie opératoire»). Des appareils de télésurveillance électronique sont couramment utilisés, parfois même un ordinateur, pour surveiller les opérés les plus graves.
Cette évolution a obligatoirement poussé les chirurgiens, d’une part, à se spécialiser, et, d’autre part, à s’entourer de collaborateurs eux-mêmes spécialisés.
Spécialités et équipes
Les spécialités chirurgicales sont nombreuses. Chacune s’est attachée non à une région anatomique, mais à une fonction précise de l’organisme. C’est ainsi qu’existent notamment la chirurgie digestive, la chirurgie urinaire, la chirurgie pulmonaire, la neurochirurgie, la cardiochirurgie, la chirurgie gynécologique, la chirurgie infantile et enfin la chirurgie orthopédique et réparatrice à qui revient la tâche de réparer les conséquences des multiples accidents. Le chirurgien dit de «chirurgie générale» n’existe plus que de nom. Aucun chirurgien ne peut, à l’heure actuelle, connaître correctement l’ensemble des maladies opérables et la totalité des opérations qu’il doit faire. La spécialisation est moins poussée toutefois dans les campagnes ou les pays peu développés, que dans les grands centres urbains, pour des raisons d’ordre économique et social. C’est dans les grandes villes que s’organisent les services les plus perfectionnés, qui sont évidemment aussi les plus coûteux. Ils groupent, autour du bloc opératoire, les unités de réanimation, les laboratoires hémobiologiques et le centre de recherche expérimentale. Chaque spécialité est exclusive et cloisonnée, et il n’est pas exceptionnel de voir des chirurgiens accentuer leur spécialisation dans le cadre même de leur spécialité.
Par ailleurs, à la notion de chirurgien unique responsable s’est substituée celle de l’équipe chirurgicale. Le chirurgien s’entoure de nombreux collaborateurs, assistants, anesthésistes, biochimistes, techniciens, chercheurs, dont la présence auprès de lui est indispensable.
Les progrès ont donc conduit inéluctablement vers la fragmentation en spécialités et la création d’équipes de travail. Cette évolution se poursuit en imposant des exigences architecturales et pécuniaires de plus en plus élevées.
C’est à ce prix que peuvent se faire de nouveaux progrès, comme l’ont prouvé les premiers succès des greffes d’organes et que la chirurgie peut prendre de nouvelles orientations: la microchirurgie par exemple.
4. Bilan actuel et perspectives
Notre époque est si fertile en découvertes qu’il est bien difficile de prévoir ce que sera la chirurgie dans l’avenir. Certains secteurs de la pathologie médicale ont disparu, comme certaines maladies contagieuses, d’autres sont en plein remaniement. En revanche, des maladies nouvelles sont apparues, soit qu’elles aient été méconnues jusqu’alors, soit qu’elles aient été créées par les progrès dus à notre mode de vie. On peut citer notamment les maladies dues à l’irradiation radioactive à certains médicaments ou encore à des virus. Enfin, de grands secteurs de la pathologie voient leur traitement complètement transformé par de nouvelles découvertes: la compréhension de l’étiologie des cancers modifie leurs traitements, au même titre que la découverte des traitements immunologiques a permis la transplantation chirurgicale d’organes. Ces bouleversements ont un retentissement direct sur la pathologie chirurgicale, c’est-à-dire sur les maladies que le chirurgien est appelé à opérer.
Parallèlement, des progrès continuent sur le plan de la technique chirurgicale, aussi bien que sur celui de la réanimation chirurgicale. Cela rend possibles de nouvelles opérations plus audacieuses, qu’il était encore déraisonnable de tenter il y a quelques années. La chirurgie est donc toujours en pleine évolution. À la lumière des résultats déjà acquis et des travaux expérimentaux actuellement en cours, il est possible de dresser une sorte de tableau de ce que sera probablement la chirurgie dans les décennies à venir.
La chirurgie des infections est en constante régression. Elle fut longtemps une des principales occupations des chirurgiens. Déceler, puis ouvrir un abcès, enlever un organe infecté représentait la moitié, sinon plus, de leur activité. Avec l’avènement des sulfamides, puis des antibiotiques, les maladies infectieuses sont désormais sinon évitées, du moins guéries sans opération. Cela est vrai tout autant pour les infections aiguës (les panaris à ouvrir sont rares) que pour les infections chroniques et froides. La tuberculose, et particulièrement la tuberculose pulmonaire, est devenue moins fréquente, elle nécessite rarement une opération chirurgicale. Tout progrès cependant porte en lui ses inconvénients. Si les antibiotiques ont bouleversé le pronostic et les indications thérapeutiques des infections, leur abus a engendré une nouvelle pathologie infectieuse souvent plus torpide et sournoise, due à l’éclosion de souches de germes résistants.
Les tumeurs restent du domaine de la chirurgie, car l’un des moyens de les guérir est en général de les enlever. Cela est vrai des tumeurs bénignes, aussi bien que des tumeurs malignes, ou cancers. Mais les progrès de la radiothérapie et de la chimiothérapie ont transformé la stratégie thérapeutique de certaines tumeurs, qu’elles soient de petite taille ou au contraire très évolutives (cancer du sein en poussée notamment), certaines d’entre elles montrant une sensibilité particulière aux radiations ou aux antimitotiques. Désormais, la chirurgie des tumeurs ne se conçoit plus comme un acte radical et exclusif, mais comme un «moment thérapeutique» dans une stratégie très complexe où interviennent à des moments variés (avant, pendant et ou après l’intervention) d’autres exécutants. Parfois même ces thérapeutiques se substituent complètement à la chirurgie, notamment dans les formes dépassées des tumeurs. Les découvertes concernant l’étiologie et la genèse des cancers permettent de modifier leur traitement de manière préventive ou bien en arrêtant l’évolution de la tumeur dès son apparition. La chirurgie se bornera alors à de petites ablations de résidus tumoraux détruits. On sait que des sommes considérables sont dépensées dans les laboratoires du monde entier pour tenter de résoudre ce problème.
La chirurgie physiologique ne semble pas réaliser les espoirs que René Leriche fondait en elle. On sait que cette chirurgie se propose de corriger une maladie en modifiant par une opération chirurgicale le fonctionnement, devenu anormal, de certains organes.
La résection partielle d’une glande thyroïde pour hyperthyroïdie est une opération physiologique directe. La section du nerf sympathique lombaire, qui vise à lever le spasme artériel et à ouvrir des voies de circulation artérielle collatérale, en cas d’artérite oblitérante, est un exemple de chirurgie physiologique indirecte. Il existe tout un éventail d’opérations de ce genre. Seules les opérations directes sont de pratique courante, et elles sont peu nombreuses. Cependant, dans certains domaines, cette chirurgie physiologique vit un regain d’intérêt. C’est le cas notamment de la vagotomie suprasélective dont le but est de supprimer les seuls nerfs sécrétoires de l’estomac et de guérir l’ulcère, sans altérer les autres fonctions de cet organe. C’est la sympathectomie cardiaque destinée à supprimer les douleurs de l’angine de poitrine. Ce sont enfin les opérations destinées à soulager certaines douleurs intolérables, chez les cancéreux notamment.
Les anomalies congénitales , par contre, sont de plus en plus du domaine chirurgical. Les anomalies, lorsqu’elles sont compatibles avec la vie, et quel que soit l’organe qu’elles atteignent, ne peuvent être corrigées que par une opération réparatrice. L’ingéniosité des chirurgiens et les progrès de la technique permettent d’augmenter régulièrement le nombre des anomalies congénitales opérables. Depuis 1938, date de la première opération cardiaque pour malformation congénitale, la chirurgie cardiaque a fait des progrès considérables et continue d’en faire, mais elle reste un acte opératoire délicat. Les progrès de la réanimation et de la microchirurgie (sous microscope) permettent de sauver des nouveau-nés autrefois condamnés. Il est désormais possible de maintenir en vie et d’opérer des prématurés de 900 g. Certes, on risque ce faisant de faire survivre un être dont l’autonomie socioprofessionnelle n’est pas certaine, et dont nous ignorons encore quelle sera la descendance. Il y a là un «seuil de gravité» qu’il faudrait ne pas dépasser. Encore faudrait-il le connaître rigoureusement car rien n’est plus difficile que de freiner la marche inéluctable du progrès. L’évolution de la génétique apportera sans doute la réponse qui, permettant de déceler les causes des anomalies congénitales, donnerait la possibilité de les éviter.
Si maintenant nous considérons la chirurgie selon chacune de ses spécialités, il est là aussi possible de distinguer des lignes de force qui orientent l’avenir.
La chirurgie digestive semble avoir atteint un palier. Cette chirurgie est surtout destinée à enlever des organes malades. Les difficultés techniques parfois considérables auxquelles se heurtaient ces résections, et éventuellement les opérations plastiques destinées à remplacer l’organe enlevé, sont résolues. Il n’est pas un segment du tube digestif ou de ses glandes annexes que l’on ne puisse enlever, parfois au prix d’une opération longue et éprouvante. Leur reconstruction plastique, lorsqu’elle est indispensable, est souvent possible. Pour citer un exemple, on peut remplacer l’œsophage par une partie de l’estomac ou un segment du tube digestif. L’apport de la chirurgie microscopique a permis d’ouvrir très largement les possibilités techniques de ces reconstructions. Prélever un segment d’intestin grêle, ou du grand épiploon, et le mettre en place dans une autre région de l’organisme est possible, à condition de le prélever avec ses vaisseaux, artères et veines, qui seront branchés sur les vaisseaux correspondants du lieu de réception. Le cou par exemple pour l’intestin, le thorax, voire un segment de membre, ou le cuir chevelu, pour le grand épiploon.
La transplantation d’un organe étranger est techniquement possible pour certains organes, mais elle se heurte aux phénomènes de rejet, non encore contrôlés. Un examen immunologique préalable du receveur et du donneur est nécessaire.
La chirurgie gynécologique , qui était surtout une chirurgie mutilante, s’oriente désormais de plus en plus vers la chirurgie de réparation. Elle le doit surtout au progrès de l’endoscopie et de la microchirurgie (réparation des trompes utérines).
Il en est de même de la chirurgie urinaire , qui, à côté de technique d’exérèse très étendue (on peut enlever toute la vessie), progresse aussi dans le domaine de la chirurgie réparatrice grâce à la microchirurgie et à l’utilisation du rayon laser. Ajoutons que la transplantation d’un rein est actuellement régulièrement pratiquée, avec de bons résultats.
La chirurgie cardio-vasculaire est toujours en plein essor et peut à bon droit s’attaquer à des domaines aussi étendus que les malformations congénitales, même chez le nouveau-né, les séquelles valvulaires du rhumatisme articulaire aigu (par le remplacement d’une ou de plusieurs valves), les sténoses et les oblitérations des artères coronaires (par le procédé de la greffe en pont à l’aide d’un segment veineux du sujet opéré).
Ces progrès, elle les doit surtout aux possibilités que lui offrent la chirurgie à cœur ouvert, d’une part, les progrès de la réanimation, d’autre part. La parfaite tolérance de prothèses valvulaires, à l’intérieur du cœur, dont certaines fonctionnent depuis maintenant vingt ans, est une preuve supplémentaire que l’organisme supporte parfaitement ces prothèses à la condition que les matériaux soient bien choisis (cf. cœur – Chirurgie cardiaque).
La chirurgie vasculaire en apporte une autre preuve, car elle met à la disposition des chirurgiens des vaisseaux des tissus synthétiques (Dacron et ses dérivés) qui peuvent se substituer à presque tous les vaisseaux du corps humain. La microchirurgie a permis de pousser beaucoup plus loin les possibilités de cette chirurgie puisqu’il est désormais possible, sous microscope, de suturer des vaisseaux d’un millimètre de diamètre, l’artère sylvienne, à la surface de l’encéphale, ou une artère de la face latérale d’un doigt, par exemple.
L’avenir de la chirurgie du cerveau est difficile à prédire. La chirurgie d’ablation cérébrale est toujours limitée par la gravité des séquelles qu’elle provoque. Grâce aux meilleures connaissances des méthodes d’exploration préopératoire, des progrès constants se font dans le sens d’une neurochirurgie très limitée dans l’espace et très précise (cryochirurgie, chirurgie stéréo-taxique, laser, microchirurgie).
La chirurgie orthopédique a étendu le domaine de ses possibilités pour les mêmes raisons.
Grâce à la mise au point de matériaux bien tolérés par l’organisme, les prothèses osseuses ou articulaires se multiplient: prothèse totale de l’articulation de la hanche, prothèse totale du genou pour citer deux exemples. Grâce à la microchirurgie, elle peut désormais réimplanter des segments de membres amputés par accident, doigts, orteils, mains et même l’avant-bras. Il est hors de doute que l’orthopédie reste la chirurgie dont l’avenir est assuré. Notre civilisation multiplie les risques d’accidents, toujours plus graves. Les fractures seront toujours à appareiller, ou à opérer, quand bien même les vis, les clous ou les plaques se verraient remplacer par une colle chirurgicale, ce qui n’est pas encore le cas.
Ce large survol a quelque chose d’exaltant. Il montre que la chirurgie, plus d’un siècle après sa naissance, continue de progresser dans tous les domaines. Bien sûr, les progrès ne sont plus maintenant ceux de la seule technique, mais font appel désormais aux disciplines telles que la réanimation, la physiologie, la biologie, la bactériologie, la microscopie, le génie biomédical et la science des matériaux [cf. BIOMATÉRIAUX].
Des nouveau-nés peuvent être opérés à leur naissance, des vieillards de quatre-vingt-dix ans peuvent l’être aussi avec sécurité. Beaucoup de ces opérations deviennent très onéreuses, c’est pourquoi la chirurgie ne peut plus désormais se développer en vase clos, elle mobilise des contingences socio-économiques et culturelles, voire religieuses, dont elle doit désormais aussi tenir compte.
chirurgie [ ʃiryrʒi ] n. f.
• cirurgie 1171; lat. méd. chirurgia, gr. kheirourgia « opération manuelle »
♦ Partie de la thérapeutique médicale qui comporte une intervention manuelle et aidée d'appareils (instruments, laser, robot...) (⇒ -ectomie, -plastie, -tomie). Manuel, traité de chirurgie. Petite chirurgie : opérations simples (plâtres, ponctions, sondages, petites incisions, etc.). Chirurgie ambulatoire. Chirurgie générale. Chirurgie des os, du cœur. Chirurgie à cœur ouvert. Chirurgie cardiovasculaire, orthopédique. Chirurgie plastique, réparatrice ou esthétique, restauratrice. Chirurgie du système nerveux. ⇒ neurochirurgie. Chirurgie sous microscope ⇒ microchirurgie , assistée par ordinateur ⇒ téléchirurgie . Actes de chirurgie : ablation, amputation, antisepsie, autogreffe, cathétérisme, césarienne, couture, curetage, débridement, diérèse, dilatation, énucléation, évidement, excision, exérèse, extirpation, extraction, greffe, hémostase, hétéroplastie, incision, injection, insufflation, intervention, ligature, occlusion, ouverture, ponction, pontage, prothèse, réduction, résection, section, suture, taille, tamponnement, 2. toucher, transfusion, trépanation. — Chirurgie dentaire (⇒ dentiste) . — Chirurgie vétérinaire.
● chirurgie nom féminin (latin chirurgia, du grec kheirourgia) Discipline médicale spécialisée dans le traitement des maladies et des traumatismes, qui consiste à pratiquer, manuellement et à l'aide d'instruments, des actes opératoires sur un corps vivant. ● chirurgie (expressions) nom féminin (latin chirurgia, du grec kheirourgia) Chirurgie cardiovasculaire, chirurgie destinée à traiter les maladies du cœur et des vaisseaux. Chirurgie dentaire, synonyme de odontologie. Chirurgie esthétique, spécialité chirurgicale regroupant l'ensemble des interventions consistant à améliorer l'apparence physique d'un individu. Chirurgie ophtalmologique, spécialité chirurgicale traitant les maladies du globe oculaire et de ses annexes (muscles oculomoteurs, paupières). Chirurgie orthopédique, spécialité chirurgicale traitant les maladies, les accidents et les déformations de l'appareil locomoteur (os, articulations, ligaments, tendons, muscles). Chirurgie pleuropulmonaire, chirurgie destinée à diagnostiquer et à traiter certaines maladies du poumon et de la plèvre. Chirurgie réparatrice, spécialité chirurgicale regroupant l'ensemble des interventions consistant à réparer diverses lésions du corps humain.
chirurgie
n. f. Branche de la thérapeutique médicale faisant appel à la pratique des interventions manuelles ou instrumentales. Chirurgie générale. Chirurgie esthétique.
⇒CHIRURGIE, subst. fém.
A.— MÉD. Partie de la thérapeutique qui met en œuvre des procédés manuels et l'usage d'instruments, et qui groupe elle-même diverses spécialités selon les organes ou appareils intéressés (chirurgie thoracique), les buts recherchés (chirurgie réparatrice), etc. :
• 1. Chirurgie, manuopera, manœuvre, œuvre de main. Tout homme se sert de ses mains. Mais n'est-il pas significatif que depuis le XIIe siècle, ce terme œuvre de main ait été spécialisé au point de ne plus désigner que le travail d'une main qui s'applique à guérir?
VALÉRY, Variété V, 1944, p. 55.
SYNT. Chirurgie à cœur ouvert, conservatrice, esthétique, d'exérèse, d'urgence, sanglante; docteur, thèse en chirurgie; congrès, professeur, service, table, traité, trousse de chirurgie; exercer, pratiquer la (une) chirurgie; étudier en chirurgie; être traité à la chirurgie; chirurgie dentaire, du cœur, de la tête. Petite chirurgie ou chirurgie ministrante. Chirurgie simple (bandages, plâtres, prélèvements, etc.).
— P. ell., fam. [Jargon des hôpitaux]: Chirurgie (Être en). Être en traitement dans un hôpital pour une affection chirurgicale. [Cf. être en médecine.] (L. RIGAUD, Dict. de l'arg. mod., 1881, p. 96).
B.— P. anal., dans le domaine végétal :
• 2. Il donnait à cette chirurgie des prétextes rationnels et je l'ai vu s'escrimer sur les lilas en consultant une encyclopédie rustique. Un jour, pendant notre absence, il fit tomber un des grands arbres, avec la complicité du tâcheron Herbelot. Malgré les difficultés, l'opération fut menée à bien, si j'ose ainsi parler, en une seule matinée.
G. DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Vue de la Terre promise, 1934, p. 117.
— Spéc., ARBORIC. Intervention manuelle sur un arbre (d'apr. Forest. 1946).
C.— P. métaph., dans le domaine moral :
• 3. — Mais le mal d'amour? — On n'a pas encore inventé de chirurgie morale pour arracher la douleur; ...
MURGER, Scènes de la vie de jeunesse, 1851, p. 193.
Prononc. et Orth. :[]. Pour la prononc. de l'initiale par [] cf. chimère. FÉR. Crit. t. 1 1787 fait la rem. suiv. : ,,Chirurgie, chirurgien. Suivant le Dict. Gram., on devrait prononcer sirugie, sirugien. On ne cite point d'autorités pour justifier cette prononciation. Tenons nous-en à La Touche qui avertit qu'il faut dire chirurgien, et non pas chirugien. La prononciation marquée dans le Dict. Gram. est du peuple. Dans la Comédie du Portrait, Fanchon, domestique villageoise, dit : A (elle) travâilloit jour et nuit, pour pouvoir payer le Médecin et le Sirugien. Ceux qui parlent mal, dit Richelet, disent, chirugie, chirugien.`` Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. Ca 1175 cirurgie (CHR. DE TROYES, Chevalier lion, éd. W. Foerster, 4698); 1381 chirugie (Invent. de la Bibl. de J. de Neufchâtel, Bull. Soc. hist. Paris, nov.-déc. 1889, p. 169 ds GDF. Compl.); fin XVIe s. chirurgie (A. Paré ds LITTRÉ). Empr. au lat. class. de même senschirurgia, cyrurgia « id. », lui-même empr. au gr. « activité manuelle, travail, industrie » d'où, dep. Hippocrate « opération, pratique chirurgicale ». Fréq. abs. littér. :146.
chirurgie [ʃiʀyʀʒi] n. f.
ÉTYM. 1171, cirurgie; lat. méd. chirurgia, grec kheirourgia « opération manuelle ».
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♦ Méd. Partie de la thérapeutique médicale qui comporte une intervention manuelle et instrumentale (intervention sanglante ou manœuvre externe) sur l'organisme humain (→ Opération, cit. 6). || Apprendre, enseigner, exercer la chirurgie. || Manuel, traité de chirurgie. || École, société, académie de chirurgie. — Petite chirurgie : opérations simples (plâtres, ponctions, sondages, petites incisions, etc.). || Chirurgie générale; chirurgie cardio-vasculaire, digestive, gynécologique, neurologique (⇒ Neurochirurgie, psychochirurgie), orthopédique (⇒ Orthopédie, traumatologie), pulmonaire, urinaire; chirurgie de l'œil (⇒ Ophtalmologie), de l'oreille (⇒ Oto-rhino-laryngologie). || Chirurgie plastique et esthétique : chirurgie des formes. || Chirurgie néonatale, infantile. || Chirurgie expérimentale, scientifique. || Chirurgie des infections, chirurgie physiologique, chirurgie de transplantation. || Chirurgie préventive, conservatrice, réparatrice. || Chirurgie sous microscope (⇒ Microchirurgie). || Chirurgie du cœur, chirurgie cardiaque. || Chirurgie à cœur ouvert, à cœur fermé. — Les services de chirurgie d'un hôpital. — Abrév. fam. : chir (1979, in Dico-plus [D. D. L.], mais très antérieur. → Autochir).
1 La connaissance des processus de réparation a donné naissance à la chirurgie moderne. Sans l'existence des fonctions adaptives, le chirurgien serait incapable de traiter une plaie. Il n'agit pas sur les mécanismes de la guérison. Il se contente de les guider. Il s'efforce, par exemple, de placer les bords d'une plaie, ou les extrémités d'un os brisé, dans une position telle que la régénération puisse se faire sans cicatrice défectueuse et sans déformation. Pour ouvrir un abcès profond, suturer un os fracturé, faire une opération césarienne, extirper un utérus, une portion de l'estomac ou de l'intestin, soulever la voûte du crâne et enlever une tumeur du cerveau, il doit faire de longues incisions, de vastes plaies. Les sutures les plus exactes ne suffiraient pas à fermer ces plaies si l'organisme ne savait pas se réparer lui-même. La chirurgie moderne est basée sur l'existence de ce phénomène.
Alexis Carrel, l'Homme, cet inconnu, V, p. 943.
2 Sans doute, l'évocation de la chirurgie n'est plus aussi terrifiante que jadis : il y a une centaine d'années, l'acte chirurgical était encore un épouvantail, un suprême recours, quand il devait s'attaquer aux viscères et ne pas se borner aux amputations de membres ou aux indispensables réparations de blessures. C'était l'extrême urgence, et presque le désespoir, qui avaient alors l'initiative des opérations. Mais comme la chirurgie a, depuis cette époque, grandi presque démesurément en puissance, en hardiesse, en moyens et en résultats, la fréquence et la sûreté de son intervention ont, dans la même proportion, modifié le sentiment public à son égard.
Valéry, Variété V, Discours aux chirurgiens, p. 44.
3 Quant au nez de Cléopâtre, c'est une affaire de chirurgie esthétique assez banale en somme. On eût un peu enlaidi cette pernicieuse beauté, et la face du monde y eût peut-être gagné.
Valéry, Variété V, Discours aux chirurgiens, p. 45.
➪ tableau Lexique de la chirurgie.
♦ Chirurgie dentaire, chirurgie bucco-dentaire. ⇒ Dentisterie, odontostomatologie, odontologie, orthodontie, stomatologie; dent, dentiste; abrasion, appareil (dentaire), arracher, avulsion, bridge, couronne, dentier, détartrage, extraction, gingivectomie, inlay, obturation, onlay, plombage, prothèse, pulpectomie, râtelier; cautère, clef (à dents), davier, drille, élévateur, excavateur, fouloir, fraise, levier (dentaire), miroir (dentaire), obturateur, pied-de-biche, pince (à dents), roulette.
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COMP. Électrochirurgie, microchirurgie, neurochirurgie, psychochirurgie, téléchirurgie.
Encyclopédie Universelle. 2012.