BYZANCE
La délimitation dans le temps de l’Empire byzantin a toujours été flottante. Non pour la date de sa fin: l’Empire est mort avec son dernier souverain, Constantin XI, au matin de la chute de Constantinople, le 29 mai 1453, sur la brèche de la porte Saint-Romain. C’est sa date de naissance qui est controversée, quoique les Byzantins n’aient jamais eu là-dessus d’hésitation: pour eux, leur Empire date du règne d’Auguste. Il y a du vrai dans cette conception: dans l’évolution qui mène à travers quinze siècles du princeps au dernier basileus , on discerne bien des mutations plus ou moins brusques, mais jamais de véritables ruptures. Au XVIIIe siècle, on ne voyait dans l’histoire grecque du Moyen Âge que l’interminable prolongement d’une décadence commencée avec le Bas-Empire.
Les deux éléments essentiels à l’aide desquels s’est formée la monarchie de caractère proprement byzantin apparaissent dès le règne de Constantin. Le premier est la fin du conflit entre le christianisme et le pouvoir impérial; il faudra moins d’un siècle depuis les édits de tolérance pour qu’une étroite alliance de l’un et de l’autre devienne une des bases de l’État. Le second est l’existence, à partir de 330, d’une « nouvelle Rome » dans la partie orientale de l’Empire: romaine en effet par ses institutions, elle est grecque par son peuplement, sa langue et sa culture; et c’est par elle que le monde grec recevra enfin l’organisation politique puissante qu’il n’a encore jamais connue. Et ce rôle politique de Constantinople se double d’un rôle stratégique que la Rome impériale n’avait pas joué: à l’Empire assiégé de toutes parts, elle servit souvent de donjon, imprenable jusqu’en 1204.
Cette monarchie orientale et romaine, fortement centralisée, profondément chrétienne, centrée sur le domaine grec, n’apparaît pleinement constituée que sous Héraclius. Mais il est légitime d’en faire remonter l’histoire à l’époque où la séparation définitive des deux parties de l’Empire constantinien, après la mort de Théodose Ier (395), va mettre les souverains de Byzance aux prises avec des problèmes propres à la pars orientalis , problèmes qui les amèneront, comme malgré eux, à transformer l’État romain en État byzantin.
Appliqué à la littérature, le terme « byzantin » désigne les œuvres d’expression grecque de l’époque byzantine. Si l’on peut clore l’histoire de cette littérature à la chute de Constantinople, le début en est plus difficile à déterminer. Krumbacher le fait remonter à Constantin, d’autres seulement à Héraclius. Il est commode, bien qu’évidemment arbitraire, de fixer le début de l’âge byzantin de la littérature grecque à la date où l’on fait traditionnellement commencer l’Empire byzantin. Mais on ne perdra pas de vue le fait que la mort de Théodose Ier ne correspond à aucune coupure, à aucun événement intellectuel nouveau. En fait, la pensée grecque, si largement christianisée qu’elle fût déjà au début du Ve siècle, a mis encore plusieurs générations à acquérir tous les caractères qui l’ont rendue proprement byzantine.
Un tableau exhaustif de la littérature byzantine n’est pas encore possible: les études philologiques sont fort en retard sur les études historiques. La difficulté de la langue, l’absence d’instruments de travail, le grand nombre de textes inédits, mal édités ou difficilement accessibles attirent peu les hellénistes, trop exclusivement formés au grec classique. D’autre part, là où l’écrivain byzantin a des préoccupations esthétiques (ce qui n’est le cas ni pour la chronographie, ni pour les écrits spirituels ou scientifiques), il soumet son art à des règles rhétoriques très étudiées qui l’éloignent du nôtre.
Si les Byzantins se sentent politiquement des Romains (leurs historiens parlent toujours de l’empereur, de l’armée ou du peuple des Romains, jamais des Grecs), par la culture, ils se sentent entièrement grecs, héritiers directs de la civilisation classique et hellénistique. C’est que, dans l’Empire d’Orient épargné par les invasions barbares, il n’y a pas eu de rupture profonde entre l’Antiquité et le Moyen Âge. D’autre part, Byzance, longtemps isolée et comme assiégée entre les Barbares de l’Occident et du Danube et les civilisations peu assimilables de l’Orient, tendait à s’enfermer dans sa vieille culture nationale, à laquelle elle apparaît encore plus attachée sous les Comnènes ou même sous les Paléologues que sous Justinien. C’est en bon administrateur d’un patrimoine que le Byzantin s’est fait l’homme des compilations, des commentaires et des encyclopédies; l’humanisme byzantin, à la différence de l’occidental, ne pouvait suivre que d’assez loin l’érudition, car le lettré byzantin était moins relié par sa culture à l’homme universel que confiné par elle dans son orgueil de Grec.
Il ne faudrait cependant pas croire que ce goût pour le passé fût purement gratuit. Dans cette société fortement hiérarchisée, l’instruction était le seul moyen de s’élever très haut quand on n’était pas né dans l’aristocratie, comme le montre bien l’exemple d’un Psellos. Dans cet État fortement administré, l’art de bien dire, la précision et la subtilité de l’expression étaient choses primordiales pour les juristes et les théologiens qui formaient les cadres civils et religieux de l’Empire, et cela explique l’attention extrême portée à la rhétorique – essentiellement conçue comme une technique – et même aux recherches grammaticales. Cela explique aussi que, disposant de l’admirable instrument d’expression qu’était la langue classique, les Grecs de Byzance n’aient guère cherché à en créer un nouveau, plus conforme à l’usage de leur époque. Dès le début, la langue écrite a donc pris sur la langue parlée un retard qui est allé s’accentuant, jusqu’aux Temps modernes qui ont hérité du Moyen Âge la trop fameuse « question de la langue ». Le goût du pastiche aidant, la littérature a eu tendance à devenir de plus en plus la chose d’une aristocratie intellectuelle, inaccessible à la plus grande partie du peuple.
Cette évolution a heureusement été quelque peu freinée par l’Église, dont l’influence sur la littérature byzantine a revêtu deux formes. Elle a défendu l’orthodoxie, dégageant ainsi et maintenant toujours ouvert le problème essentiel de la philosophie grecque au Moyen Âge: la conciliation de la doctrine chrétienne avec les systèmes platonicien, néo-platonicien et aristotélicien, dont il n’a jamais été question à Byzance de nier la valeur. Elle a, d’autre part, gouverné pour ainsi dire la sensibilité byzantine et, par là, une grande partie de la production littéraire. C’est essentiellement par elle et par les genres qui lui sont propres, homélie, hagiographie, que le petit peuple de Byzance a eu accès à l’univers intellectuel. On a pu dire que le théâtre de Byzance, c’était sa liturgie, et que ses héros d’épopée se trouvaient dans les vies de saints. Or, il se trouve que, dans la religiosité byzantine, l’influence monastique (avec les hagiographes notamment) et syrienne (avec les poètes) est prépondérante. En imposant au génie grec son goût de l’ascétisme, son moralisme sévère, son dédain des contingences terrestres et même, à certaines époques, sa méfiance à l’égard de la culture païenne, elle a contribué à en diminuer la spontanéité et la puissance créatrice. Mais, d’autre part, par la nécessité d’être comprise de tous, l’Église a atténué les effets fâcheux de l’érudition et de la rhétorique sur l’expression littéraire.
Si la philosophie est surveillée par l’Église, la rhétorique, l’histoire, voire la poésie profane, sont plus ou moins placées sous la coupe du pouvoir civil qui les utilise volontiers pour sa propagande. Il ne faut pas oublier que Byzance a deux religions: celle du Christ et celle de l’empereur, héritée de l’ancienne Rome. C’est pourquoi l’autorité politique de la Cour se double, surtout aux périodes d’expansion, d’une influence littéraire, fort différente d’un pur mécénat; cela se voit à l’importance que prennent à Byzance l’éloquence d’apparat, oraisons funèbres ou éloges impériaux (c’est là une forme du culte impérial), et l’histoire, dont le rôle est de célébrer à la fois des fastes des souverains et la mission civilisatrice de l’Empire chrétien. Cette tutelle a-t-elle été ressentie comme une contrainte? C’est douteux, sauf dans les cas où le pouvoir prenait parti pour l’hérésie. En temps normal, le non-conformisme ne s’accordait guère avec le tempérament byzantin – non qu’il fût moutonnier (Constantinople est par excellence la ville des émeutes), mais parce que, dans son nationalisme ombrageux, surtout à partir d’Héraclius, il se dénie toute liberté à l’égard de la mission assignée par Dieu à l’État romain.
L’art byzantin est une filiation et une rupture. Byzance avait succédé à l’Empire de Dioclétien mais son art fut essentiellement celui de Constantinople, ville brusquement surgie en 330, par la seule volonté de Constantin le Grand, qui lui donna son nom en même temps que le tracé de ses rues, de ses péristyles, de ses églises, de ses places. La rupture avec Rome, que Byzance avait prise pour modèle, devait aller en s’accentuant de siècle en siècle. L’expansion de l’esprit grec, aussi bien dans le monde latin que dans l’univers « barbare » des Slaves, et jusqu’aux massifs de la Transcaucasie, a contribué à modeler les démarches multiples des artistes médiévaux. On pourrait dire, en forçant à peine le sens des mots, que l’art du Moyen Âge a été « byzantin » dans la plupart de ses manifestations jusqu’à la fin de l’époque romane, en Occident, de même que, plus à l’est, Byzance se survit dans le domaine de l’art sacré, jusqu’à nos jours pratiquement.
Les lacunes de l’information paraissent d’autant plus considérables. Les vicissitudes historiques ont fait disparaître un nombre de monuments plus important que partout ailleurs. Ce qui subsiste touche avant tout à l’art religieux. Il ne reste presque rien des palais prestigieux de Constantinople, et encore moins de leur mobilier d’apparat. Des musées et quelques collections privilégiées conservent des épaves de ces richesses évanouies. Pour en savoir davantage, il faut avoir recours aux textes ou, par conjecture, à la comparaison avec des œuvres destinées à l’usage de l’Église, car les Byzantins distinguaient mal – et c’était encore un héritage de l’Antiquité – entre le sacré et le séculier.
En fait, c’est le jugement esthétique qui doit l’emporter. Les monuments de l’art byzantin en appellent, de prime abord, à l’imagination par un éclat et une richesse qui correspondaient aux fastes passés d’une monarchie théocratique. Un spectateur averti est plus sensible encore aux rapports des couleurs, à la hardiesse des contours et à l’équilibre des masses. Une réussite exemplaire de style demeure dans son intégrité. Les peintres de la première moitié du XXe siècle en ont bénéficié dans leurs recherches fondamentales de forme et de métier. Henri Matisse n’avait pas négligé les leçons des icônes; la violente douceur de la célèbre Trinité de Roublev semble toujours vibrer dans les meilleures œuvres d’un Kandinsky ou d’un Larionov.
1. L’Empire byzantin
L’ère protobyzantine (395-610)
L’Empire byzantin est né en quelque sorte par hasard. Quand Théodose Ier, qui avait conféré le titre d’auguste à ses deux fils, Arcadius et Honorius, légua au premier le gouvernement de l’Orient et au second celui de l’Occident, il ne crut pas – ni personne en son temps – avoir procédé à un partage définitif; dans son esprit il ne s’agissait même pas d’un partage à proprement parler: ses deux fils n’étaient pas les souverains de deux États distincts, ils étaient deux coempereurs qui se partageaient les responsabilités d’un même Empire, où les décisions, qu’elles fussent prises pour l’Orient ou pour l’Occident, l’étaient en leur nom à tous deux. Cette conception, qui survécut longtemps aux règnes des deux frères (puisque le Code de Théodose II, en 438, fut promulgué aussi au nom de Valentinien III), explique l’énergie avec laquelle les empereurs orientaux de cette période, Justinien le tout premier, s’accrochèrent au passé, rêvèrent de reconstituer l’Empire universel. Ils ne portaient pas encore le titre grec de basileus et ne se considéraient pas comme des souverains grecs: au vrai, ils ne l’étaient guère. La dynastie théodosienne était issue d’Espagne; ses successeurs étaient pour la plupart originaires de la partie non grecque de la péninsule balkanique, tels les Thraces Marcien et Léon Ier, l’Épirote Anastase, l’Illyrien Justin Ier; on trouve même un pur barbare, l’Isaurien Zénon, qui s’appelait Tarasicodissa avant son avènement. Il faut descendre jusqu’à Tibère II pour rencontrer un empereur qui soit vraiment d’ascendance grecque. Parmi les hommes d’État qui entourent ces empereurs, il y a aussi beaucoup d’Occidentaux; du reste, la langue de l’administration et des tribunaux est encore le latin, et non le grec. Même dans le domaine de la culture, le grec n’a pas encore conquis toutes les positions: ainsi, l’université de Constantinople réorganisée par Théodose II compte seulement seize chaires grecques pour quinze latines. Cette période ambiguë, où l’élément grec ne finira par s’imposer que sous la pression des événements, et non pas selon un plan concerté, mérite donc bien le nom d’Empire romain d’Orient qui lui est parfois donné.
Les Barbares
On peut y distinguer trois phases. Durant la première, qui correspond aux règnes des faibles successeurs de Théodose Ier et des empereurs imposés par les milices barbares (395-491), l’Orient ne peut guère mieux faire que de survivre aux grands bouleversements qui emporteront la pars occidentalis . À trois reprises, les Balkans sont ravagés par les Barbares: sous Arcadius, par les Wisigoths d’Alaric, que Théodose avait installés en Mésie; en 441-443, par les Huns d’Attila; sous Zénon, par les Ostrogoths de Théodoric. Chaque fois, les Augustes de Constantinople réussissent à détourner vers l’Occident le flot barbare, soit par des tributs que la richesse encore très grande de l’Orient leur permet de payer, soit par l’habileté de leur diplomatie; ce faisant, ils sacrifient délibérément à la sécurité de leur domaine la pars occidentalis , indéfendable et déjà ruinée. On pourrait se demander pourquoi l’or de Byzance, au lieu d’être gaspillé en tributs, ne servait pas plutôt à renforcer l’armée pour la rendre apte à mieux défendre les frontières. C’est que l’Empire manquait d’hommes, non seulement du fait de la dénatalité (qui se fera sentir au moins jusqu’à la fin du VIe siècle), mais aussi parce que le régime dominant était celui de la grande propriété, très peu favorable au recrutement militaire. Il faut remarquer aussi que ce tribut était moins une marque de sujétion humiliante que l’instrument d’une fructueuse opération commerciale: l’or byzantin était en grande partie récupéré sur les marchés frontières installés par l’État et où, à des prix imposés par lui, les Barbares achetaient les marchandises de luxe fabriquées dans l’Empire. Cette manière de subvention détournée en stimulant la production industrielle, profitait au fisc.
L’influence des Goths se fit sentir à Constantinople même, par l’intermédiaire des chefs de l’armée, jusque sous Léon Ier. Celui-ci voulut la neutraliser en faisant appel à d’autres Barbares installés en Asie Mineure, les Isauriens. La rivalité des deux partis déchaîna des guerres civiles qui se prolongèrent durant tout le règne de l’Isaurien Zénon. Dans le même temps, l’opinion était déchirée par deux grandes querelles dogmatiques, envenimées l’une et l’autre par la rivalité des patriarcats d’Alexandrie et de Constantinople que l’exil de Jean Chrysostome (404) avait pour toujours dressés l’un contre l’autre. Si la capitale fut de nouveau vaincue, en la personne de Nestorius, par Cyrille d’Alexandrie au concile d’Éphèse (431), elle eut sa revanche au concile de Chalcédoine (451) où, grâce à l’appui de Rome, fut obtenue la condamnation du monophysisme. Cette doctrine, qui niait que l’humanité du Christ fût une nature complète comme l’était sa divinité, était incontestablement une hérésie; elle n’en fit pas moins beaucoup d’adeptes en Syrie et en Palestine et contribua grandement à détacher ces provinces de l’Empire.
Équilibre politique et crise religieuse
Avec l’avènement d’Anastase Ier (491) commence une seconde phase que l’on peut clore à la mort de Justinien (565) et où l’on voit l’Empire retrouver son équilibre politique sans parvenir à surmonter la crise religieuse. Anastase, fonctionnaire âgé qu’Ariadne, la veuve de Zénon, épousa à la demande du Sénat pour que le trône pût lui être donné, fut un grand administrateur et un excellent financier. Il supprima notamment l’exécrable système des curiales respon
sables de l’impôt et créa un corps de percepteurs. Il stimula l’économie urbaine en abolissant l’impôt sur le commerce et l’industrie, l’impopulaire chrysargyre – ce qui eut pour conséquence, il est vrai, de grever encore davantage la propriété rurale. Il rendit même à l’État assez d’autorité pour liquider le problème des Isauriens par la déportation en Thrace de ces Barbares. Mais cette mesure ne suffit pas à restaurer la paix intérieure, car Anastase soutint de plus en plus ouvertement le parti monophysite, dont il professait secrètement la doctrine, et favorisa le dème (parti) des Verts, qui, composé surtout d’Orientaux, représentait le monophysisme dans la capitale. Il en résulta des troubles qui ne cessèrent qu’à la mort de l’empereur.
L’élection à l’Empire du comte des
excubiteurs (commandant de la garde palatine), Justin, vieux soldat peu lettré dont la femme était une ancienne esclave barbare, fut le signal d’une violente réaction orthodoxe. Mais le parti monophysite était désormais trop puissant pour qu’on pût l’éliminer, et le grave problème qu’il posait pour l’unité de l’Empire devait empoisonner tout le règne de Justinien. Si le bilan de celui-ci fut positif en d’importants domaines (législation, culture, commerce extérieur), il s’avéra vite que Justinien avait surestimé les ressources militaires et économiques de l’Empire, qui ne pouvait à la fois garantir ses frontières du Danube et de l’Orient et défendre la pars occidentalis contre un retour offensif des Barbares; en revanche il avait largement sous-estimé le danger slave. Enfin, il avait épuisé le Trésor au point que son successeur, Justin II, ne put payer le tribut au roi perse Chosrau Ier.
L’Empire menacé
Justin II rouvrit les hostilités. Pour faire front, on dut abandonner une grande partie de l’Italie aux envahisseurs lombards et laisser les Avars et les Slaves ravager les Balkans et même la Grèce. Du moins, l’excellente administration de Justin II, de Tibère II, de Maurice surtout, et la bonne qualité de leurs troupes permirent de soutenir avec bonheur la lutte contre les Sassanides: le traité de 591 rapporta à Byzance une partie de l’Arménie perse, où se recrutaient les meilleurs mercenaires. Dans le même temps, Maurice sauvait ce qui restait des possessions occidentales de Byzance en organisant les exarchats de Ravenne et d’Afrique. Puis il se retourna contre les Avars; mais ses troupes, lassées d’une guerre interminable, se révoltèrent (602) et proclamèrent empereur un centurion, Phocas. Les troubles qui suivirent ce pronunciamento , et auxquels Phocas ne sut répondre que par un régime de terreur, favorisèrent l’invasion des Perses par la Cappadoce, des Slaves et des Avars par le Danube. En 610, à la fin de sa troisième et dernière phase, l’Empire romain d’Orient, encore solide intérieurement, semblait devoir être bientôt écrasé sous la double pression de l’Asie et de l’Europe barbare.
La crise du VIIe siècle (610-717)
L’idée de légitimité dynastique a fait, au VIIe siècle, de rapides progrès: jusqu’à la longue série de désastres et de coups d’État qui suivit la première chute de Justinien II, le trône fut constamment occupé par des membres de la famille des Héraclides, qui firent ainsi bénéficier l’État d’une incontestable continuité de vues, exception faite pour le domaine religieux – continuité qui tient peut-être en partie aux traits de caractère communs aux Héraclides: un goût très vif de l’action; des dons de stratège; une piété sincère, bien que souvent mal éclairée; un sens de l’autorité dégénérant parfois en despotisme. La régularité de cette succession est d’autant plus remarquable que le VIIe siècle ne fut pas précisément pour Byzance une époque de tranquillité: il commença dans le chaos et finit de même. Cette période qui vit réduire de moitié l’étendue des territoires où s’était exercée l’autorité de Justinien, couper les grandes voies commerciales vers l’Orient et l’Occident, reculer la culture et l’activité urbaine, amener par deux fois l’ennemi jusque sous les murs de la capitale, présente tous les aspects d’une décadence.
Les raisons d’une survie
L’Empire, en fait, ne présente alors que les aspects extérieurs d’une décadence, car une rénovation si profonde s’opère que beaucoup d’historiens datent du règne d’Héraclius le début de l’Empire byzantin à proprement parler, c’est-à-dire de l’État grec du Moyen Âge. La survie de cet État à travers une si terrible crise étonnait les philosophes français du XVIIIe siècle, et même un Montesquieu, d’ordinaire plus perspicace et mieux informé, ne voyait dans l’histoire byzantine qu’« un tissu de révoltes, de séditions et de perfidies ». Elle est due, sans doute, aux forces vitales que l’Empire gardait encore en lui, mais aussi à une double chance. La première est d’ordre géographique: l’attaque arabe, dont le point de départ se situe à peu près à la jointure de l’Afrique et de l’Asie, tomba d’abord sur l’Égypte et les provinces d’Orient, qui, précisément, par leur situation excentrique, leur attachement à l’hérésie, le prestige même de leurs vieilles capitales, constituaient un obstacle à l’unité de l’Empire. Ce qui resta de celui-ci après la perte de ces provinces forma désormais autour de la capitale un bloc plus cohérent et plus difficile à entamer. La seconde chance de l’Empire, c’est que les Héraclides aient su renoncer au rêve universaliste de la dynastie justinienne et comprendre assez tôt qu’à cet État, remodelé par le nouvel équilibre politique de l’Asie antérieure, il fallait des institutions nouvelles.
À sa mort, Héraclius laissait un Empire amputé par les Arabes de l’Arménie, de la Mésopotamie, de la Syrie-Palestine et bientôt de l’Égypte; les Balkans, submergés par les Slaves de la mer Noire à la Dalmatie, échappaient pour le moment à l’autorité impériale. Mais l’armature de l’État était bien plus forte que sous Justinien: la réforme administrative avait substitué aux anciennes provinces, trop petites et trop nombreuses, un système cohérent de thèmes ou divisions militaires, dirigés par des stratèges auxquels était subordonnée l’administration civile. La préfecture du prétoire, dangereuse par l’énormité de ses attributions, avait disparu, et ses services financiers avaient repris leur indépendance. Dans l’armée, l’importance des troupes mercenaires, peu sûres et très coûteuses, avait considérablement diminué par l’installation de soldats-paysans, les stratiotes , dans des « biens militaires », à eux concédés en échange d’un service actif, mesure qui, au surplus, favorisait l’équilibre social par l’extension de la petite propriété rurale. La situation intérieure eût donc été saine si Héraclius, rééditant l’erreur de Justinien, n’avait pas inventé de réconcilier les monophysites et les orthodoxes à l’aide du monothélisme, doctrine qui n’admet qu’une seule volonté chez le Christ, et dont les seuls effets furent d’allumer une nouvelle querelle religieuse et de tendre les rapports de l’Empire avec la papauté.
Après la mort prématurée de Constantin III et la déposition d’Héraclonas – coupable surtout d’être le fils de l’impopulaire Martine, la deuxième épouse d’Héraclius –, le Sénat donna le trône au jeune Constant II, dont le règne fut marqué surtout par l’irrésistible progression des Arabes, qui sous Moawiya occupèrent Césarée de Cappadoce, puis se lancèrent sur mer et ravagèrent Chypre, Rhodes, Cos et la Crète. Constant fut plus heureux dans les Balkans, où il réussit à reprendre pied; mais le point le plus faible de l’Empire était encore l’Occident, que menaçaient particulièrement les progrès des Arabes en Méditerranée. Déjà, des tentatives de sécession s’étaient produites en 646 dans l’exarchat d’Afrique, en 652 dans celui de Ravenne. Constant se vengea sur le pape Martin Ier, coupable d’avoir condamné le monothélisme et surtout de n’avoir pas demandé à l’autorité byzantine de ratifier son élection; il fut amené à Constantinople et, après une parodie de procès, déporté à Kherson où il mourut de misère (656). Le principal défenseur de l’orthodoxie en Orient, Maxime le Confesseur, fut également persécuté et mourut en prison en 662.
L’Occident était pour Constant II un tel sujet d’inquiétude qu’il finit par s’y établir, abandonnant Constantinople où, du reste, ses brutalités l’avaient rendu impopulaire. Il périt assassiné à Syracuse où il résidait depuis cinq ans (668).
Les Arabes
C’est sous son fils Constantin IV qu’eut lieu le premier grand assaut des Arabes contre Constantinople. Le siège, mené à la fois par terre et par mer, dura quatre ans (674-678) et se termina par la défaite complète de l’assaillant, grâce au feu grégeois qui fait ici son apparition dans l’histoire. Cette victoire, comparable à celle de Poitiers, interdit définitivement aux Arabes l’accès de l’Europe par l’Orient; mais elle fut payée d’un affaiblissement du front balkanique, où venait d’apparaître un ennemi bien plus dangereux que les Slaves: le peuple bulgare. Battu sur le Danube, Constantin IV dut payer tribut. Du moins restaura-t-il la paix religieuse en liquidant le monothélisme, que la perte désormais assurée des provinces orientales rendait sans objet. Ce fut l’affaire du troisième Concile de Constantinople (680-681).
Par malheur pour l’Empire, Constantin IV mourut jeune, laissant le pouvoir à un jeune homme de seize ans, Justinien II, fort doué, mais d’un tempérament despotique et mal équilibré. Les débuts de son règne furent heureux. Profitant de la paix conclue par son père avec le califat, il rétablit la souveraineté grecque dans une partie des Balkans, y étendit le régime des thèmes, et transplanta des tribus slaves dans les régions dévastées de l’Asie Mineure pour mieux assurer leur défense. Le nombre des stratiotes s’accrut ainsi considérablement, et avec lui l’importance de la classe paysanne libre. Mais ces mesures diminuaient l’influence des grands propriétaires ruraux qui formaient la classe dirigeante depuis que les invasions arabes, en coupant les voies commerciales de l’océan Indien et de la Méditerranée, avaient causé le déclin de l’activité industrielle. Or, Justinien II eut l’imprudence de s’aliéner aussi les classes populaires en aggravant une fiscalité déjà très lourde, pour satisfaire ses goûts de bâtisseur fastueux. Il ne trouva pas de défenseurs lorsqu’une émeute dirigée par le stratège d’Hellade, Léontios, le détrôna en 695. Le nez coupé (d’où son surnom de Rhinotmète), il fut relégué à Kherson.
Les Arabes profitèrent de ces événements pour envahir l’exarchat d’Afrique, ce qui provoqua la chute de Léontios. Le drongaire (amiral) Apsimar prit sa place, sous le nom de Tibère III. Son règne devait être brutalement interrompu par le retour inopiné de Justinien II qui s’était évadé de Kherson et avait réussi à gagner à sa cause le khagan des Khazars, dont il avait épousé la fille, puis le kh n des Bulgares, Tervel. Avec l’aide de ce dernier il se rétablit au pouvoir. Ce fut pour faire régner la terreur en décimant l’administration et le haut commandement, au grand profit de l’adversaire arabe. Quand un nouveau soulèvement de l’armée le renversa en 711, la dynastie d’Héraclius s’éteignit avec lui. Son successeur, l’Arménien Philippicos, tomba au bout de deux ans, victime d’un malencontreux essai de retour au monothélisme. Après lui, Anastase II et Théodose III, tous deux fonctionnaires civils, mais portés au trône et renversés successivement par une armée versatile, employèrent leurs courtes années de règne à préparer la capitale en vue d’un second assaut des Arabes. Un dernier soulèvement donna en 717 le pouvoir au stratège du thème des Anatoliques, Léon. Une nouvelle dynastie s’intallait, qui allait régner à Byzance durant tout le VIIIe siècle.
L’iconoclasme: dynasties isaurienne et amorienne (717-867)
La sévérité des historiens des siècles passés à l’égard de l’Empire byzantin tient en grande partie aux querelles religieuses qui s’y sont succédé presque sans interruption jusqu’au milieu du IXe siècle, et qui ont semblé si futiles aux esprits modernes. La violence de ces querelles vient de ce qu’elles mettaient en jeu l’unité de l’Empire; dans l’Occident déjà politiquement morcelé, mais spirituellement uni autour d’un unique patriarche, le pape, elles n’auraient pu être de si grande conséquence. À Byzance, la sujétion du patriarche, et par conséquent de l’Église, à l’empereur n’a jamais été contestée. Les souverains en ont trop souvent déduit qu’il en était de même de la doctrine et qu’il leur était permis d’adapter celle-ci à leurs buts politiques. La crise iconoclaste représente la dernière de ces tentatives, et la seule qui ait eu un résultat positif: elle a fixé pour l’avenir les rapports de l’Église et de l’État en des bornes que ni l’une ni l’autre ne franchiront plus. Désormais le patriarche sera, à de rares exceptions près, le fidèle agent de la politique impériale; en retour, les empereurs serviront, d’une part, l’ambition des patriarches contre l’autorité romaine, d’autre part, la vaste expansion du christianisme oriental à travers les pays slaves.
Cette époque décisive commence par le règne brillant de Léon III, qui sut défendre Constantinople contre les Arabes avec autant d’efficacité que l’avait fait Constantin IV, et les refoula hors de l’Asie Mineure avec l’aide des Khazars. C’est lui aussi qui proscrivit le culte des images ; cette mesure le brouilla avec la papauté, à qui il enleva, par mesure de représailles, sa juridiction sur l’Illyricum et l’Italie du Sud pour la donner au patriarche de Constantinople. Celui-ci, qui avait déjà trouvé profit à l’abaissement des patriarches d’Antioche et d’Alexandrie devenus sujets des musulmans, se voyait ainsi nanti en Orient d’une autorité spirituelle comparable à celle du pape en Occident.
Conséquences de la perte de Ravenne
Le fils de Léon III, Constantin V, profita du déclin des Omeyyades, que les Abbassides devaient détrôner en 750, pour prendre l’offensive en Arménie, en Mésopotamie et en Syrie, tout en réussissant à tenir en respect les Bulgares. Mais, ainsi engagé en Orient, il ne put empêcher l’exarchat de Ravenne de tomber aux mains des Lombards. La perte de ce petit territoire lointain eut une très grave conséquence: le pape, ne pouvant plus compter sur la protection des armes byzantines, se tourna vers les Francs et cessa dès lors de se considérer comme le sujet de l’empereur grec.
C’est sous Constantin V que l’iconoclasme, soutenu d’ailleurs par une partie non négligeable du clergé séculier, atteignit son paroxysme. L’empereur réunit à Hiéria (754) un concile qui décida l’interdiction du culte des images et la destruction de celles-ci. Ces mesures rencontrèrent l’opposition des milieux monastiques, fort importants en nombre et dont le prestige était grand. Il en résulta une violente persécution contre les moines, qui émigrèrent en grand nombre vers l’Occident. La persécution se ralentit sous Léon IV, sans doute à l’instigation de sa femme Irène, qui était fort amie des moines, et, par conséquent, des images. La mort prématurée de Léon IV fit d’Irène la détentrice réelle du pouvoir, qui revenait officiellement à son jeune fils Constantin VI: elle n’eut rien de plus pressé que de convoquer, en 787, un nouveau concile, le deuxième concile de Nicée, qui rétablit le culte des images.
Ce retour à l’orthodoxie ne devait pas être définitif. L’ambition d’Irène, plus grande que son intelligence, causa la perte de sa dynastie. Quand elle eut détrôné et fait aveugler son propre fils, l’incapable et impopulaire Constantin VI, et qu’elle se fut proclamée empereur, elle ne sut ni administrer l’État, ni éviter la défaite sur le front arabe et sur le front bulgare, ni surtout épargner à Byzance l’humiliation de voir ressusciter avec Charlemagne un Empire rival en Occident. Un coup d’État la renversa après cinq ans d’un règne désastreux.
Les années qui séparent la chute d’Irène de la seconde période iconoclaste auraient été dans l’ensemble réparatrices, si la puissance des Bulgares, débarrassés par les victoires de Charlemagne de leurs ennemis avars, n’avait pas grandi dans d’inquiétantes proportions. Les excellentes mesures prises par Nicéphore Ier, ancien haut fonctionnaire des finances – en particulier l’établissement du fouage, le monopole du prêt à intérêt, la transplantation de Grecs d’Asie Mineure dans les Balkans pour aider à l’assimilation des occupants slaves – suffisent à montrer son mépris de l’impopularité. Mais son règne fut brutalement interrompu par une défaite écrasante où il trouva la mort sous les coups des Bulgares. Deux ans plus tard (813), son successeur Michel Ier était de nouveau mis en déroute par le même kh n bulgare, Kroum. Cette défaite causa sa chute et le parti iconoclaste revint au pouvoir en la personne d’un stratège d’origine arménienne, Léon V.
La doctrine iconoclaste régna de nouveau sous Léon V et, après l’assassinat de celui-ci, sous Michel II, fondateur de la dynastie amorienne, et sous son fils Théophile, mais avec moins de dureté qu’au temps de Constantin V, parce que le parti orthodoxe s’était considérablement renforcé et que l’attention des empereurs était détournée des questions religieuses par d’autres soucis. La mort inopinée de Kroum avait ramené la tranquillité sur le front bulgare (814), mais la terrible rébellion de Thomas le Slave mis l’Asie Mineure, puis la Thrace, à feu et à sang, de 820 à 823; et les Arabes, progressant toujours en Méditerranée, emportaient la Crète, débarquaient en Sicile. Sous Théophile souverain artiste, fastueux et cruel qu’attirait d’ailleurs la culture arabe, les califes abbassides reprirent même la guerre en Asie Mineure, occupèrent Ancyre et Amorion.
Il était temps de rétablir la paix intérieure et d’en finir avec l’iconoclasme. Ce fut l’œuvre de Théodora, veuve de Théophile et régente au nom de son fils, le petit Michel III, et du patriarche Méthode (843). Le rétablissement solennel du culte des images marque le début d’une véritable renaissance pour l’État byzantin comme pour la culture héllénique. Deux grands hommes d’État, le logothète Théoctistos et le frère de Théodora, le césar Bardas, qui se succédèrent sous le règne de Michel III, restaurèrent l’enseignement, reconstituèrent les réserves d’or, prirent l’offensive contre les Arabes et aussi contre les hérétiques pauliciens qui, persécutés par Théodora, avaient constitué sur le haut Euphrate un État indépendant, allié aux Arabes.
L’affaire Photius
Plus marquante encore est la figure du patriarche Photius, ancien professeur d’un immense savoir, qui donna à la culture byzantine une impulsion décisive. Photius devait son siège à Bardas qui, pour l’y installer, s’était débarrassé assez lestement du patriarche Ignace, représentant du parti des zélotes, c’est-à-dire des intransigeants (des moines surtout, particulièrement éprouvés par les persécutions iconoclastes), déçus de voir que la réconciliation de 843 s’était accomplie sans vengeance ni représailles à l’égard des vaincus. Il s’ensuivit une nouvelle querelle où Ignace et ses zélotes obtinrent l’appui du pape Nicolas Ier. Telle est l’origine du schisme de Photius, qui prit bientôt l’aspect d’une lutte entre les deux principaux patriarcats catholiques, et qui, opposant deux conceptions différentes de l’organisation de l’Église, annonçait le schisme du XIe siècle.
L’affaire Photius coïncide avec le début de l’expansion de l’Église grecque en Europe orientale: c’est le temps où Cyrille et Méthode vont conquérir à l’Évangile les Slaves de la Grande-Moravie (863-885), où un prince bulgare reçoit le baptême à Constantinople (864), où les premiers missionnaires paraissent chez les Russes, dont l’existence a été brutalement révélée aux Grecs par l’attaque de la capitale en 860. Ces prises de contact devaient se révéler singulièrement fécondes, et non pas seulement au point de vue spirituel. Au moment où Michel III, ayant consenti à l’assassinat du césar Bardas par son favori Basile, était assassiné à son tour par son ambitieux complice (867), il commençait à apparaître que l’essor politique et économique de Byzance dépendait en grande partie de ses relations avec le Nord.
La dynastie macédonienne et l’apogée de Byzance (867-1081)
En se débarrassant par un meurtre sordide de son bienfaiteur Michel III, il se trouva que Basile Ier installait au pouvoir, pour deux siècles, la dynastie dite macédonienne – en réalité d’origine arménienne – qui allait mener l’Empire à son apogée. La continuité remarquable que l’on observe dans l’œuvre des Macédoniens nous oblige à la considérer dans son ensemble plutôt que d’insister sur la part personnelle que chaque souverain y a prise. On peut en esquisser ainsi les conditions et les caractères généraux.
La régularité de la succession dynastique montre combien s’était affermie à Byzance le sentiment de la légitimité depuis l’époque de Justinien. C’est d’autant plus remarquable quand l’extrême jeunesse de l’héritier du trône – ainsi Basile II – ou son peu d’intérêt pour l’exercice du pouvoir – c’est le cas de Constantin VII – favorisait les usurpations. De fait, les usurpateurs ne manquèrent pas; mais, quelque désir qu’ils en aient eu, aucun ne put fonder de dynastie en détrônant l’empereur légitime, car le peuple de Byzance ne l’aurait pas admis. C’est ainsi, par exemple, que pendant vingt-quatre ans Romain Lécapène put reléguer le porphyrogénète Constantin VII au rang de coempereur sans pouvoir; mais, après sa chute, lorsque le faux bruit courut que les fils de Lécapène avaient exilé Constantin, une terrible émeute éclata pour défendre cet empereur falot que personne ne connaissait, et ce furent les fils de Lécapène qui partirent pour l’exil. Il est juste d’ajouter que ces usurpateurs furent tous d’excellents souverains.
Prospérité matérielle et développement culturel
L’expansion politique de l’Empire se double d’un développement culturel; amorcé sous les Amoriens, il a été consciemment encouragé, voire dirigé par la plupart des souverains macédoniens (avec, il est vrai, une exception notable qui est Basile II); les uns furent surtout des lettrés comme Léon VI et Constantin VII, les autres de grands bâtisseurs, tel Basile Ier. L’art vénitien et l’art slave sont encore là aujourd’hui pour attester combien cette politique a servi le prestige et, par conséquent l’influence de Byzance en Orient comme en Occident. D’autre part, le haut niveau de la culture était indispensable au recrutement du personnel administratif dont l’Empire avait besoin.
C’est en effet sous les Macédoniens que les progrès du système administratif sont le plus notables. Le vieux principe qui subordonnait les services dépensiers aux diverses caisses (fisc, domaines de l’État ou « patrimoine » de l’empereur) par lesquelles ils étaient alimentés, est définitivement abandonné: l’État possède désormais un véritable budget établi par un service autonome, et un véritable ministère des finances, dirigé par le « logothète 精礼羽 塚﨎益晴﨑礼羽 », qui contrôle toutes les sources du revenu fiscal, y compris les biens de l’empereur. Dans l’administration locale, caractérisée par la multiplication des thèmes qui désormais couvrent tout le territoire de l’Empire, la hiérarchie militaire continue de dominer la hiérarchie civile; mais un fonctionnaire peut passer facilement de l’une à l’autre.
L’Empire a compensé la perte des provinces orientales par un grand développement de l’activité industrielle et commerciale. Pour assurer la qualité de la production, et notamment celle de la soie, l’État contrôle de très près les corporations dont les chefs sont nommés par lui. Les principales voies commerciales vont vers l’Asie centrale par l’Arménie, vers Venise par l’Adriatique, surtout vers la principauté de Kiev et, de là, par le royaume khazar, vers l’Extrême-Orient.
Au perfectionnement de l’administration, au développement économique correspond, surtout au début de la dynastie, une grande activité législatrice. Les Macédoniens se sont appliqués à simplifier et à remettre à jour le lourd appareil de lois légué par Justinien. Ce fut surtout l’œuvre de Léon VI, dont les Basiliques firent tomber en désuétude les recueils juridiques publiés sous Justinien.
Deux siècles de guerres continuelles
Il peut paraître étrange que ces deux siècles si prospères matériellement et intellectuellement aient été aussi deux siècles de guerres presque continuelles. La raison en est d’abord dans la nécessité de protéger les routes commerciales. Byzance ne pouvait ni laisser la Méditerranée et ses villes côtières exposées aux pirateries arabes, ni tolérer l’existence d’un Empire bulgare qui, installé à la fois sur le Danube et sur les côtes dalmates, menaçait de couper la route de Venise et la voie terrestre menant en Russie du Sud. En Asie, en revanche, c’est Byzance qui se montra agressive et conquérante, et cela pour des motifs divers: la volonté de maintenir sa prépondérance en Arménie et dans le Caucase, un certain esprit de croisade animé par un patriarcat plus puissant que jamais, et surtout le besoin de terres. Malgré les efforts de la plupart des empereurs, les grands domaines des couvents et de la noblesse provinciale s’accroissent toujours au détriment de la petite propriété. Il y a là une menace très grave pour le recrutement de l’armée, fondé sur le système des biens militaires. Pour maintenir des effectifs suffisants, Byzance est contrainte de demander à la guerre l’acquisition de nouveaux territoires.
On peut diviser l’époque macédonienne en trois grandes phases. Dans la première (867-944) que clôt le règne décisif de Romain Lécapène, on voit s’édifier l’œuvre législative de Léon VI et le vaste monument littéraire et scientifique de Constantin VII; en Orient et en Occident, l’Empire fait front devant les Arabes, avec des succès divers, mais il n’échappe qu’à grand-peine au péril que lui fait courir le tsar de Bulgarie, Syméon. La deuxième (944-1025), dont les deux tiers sont remplis par le long et brillant règne de Basile II, met l’Empire à son plus haut point de puissance et de prospérité. La troisième (1025-1081) est l’ère des « époux de Zoé »; ce demi-siècle suffit pour précipiter Byzance dans la pire détresse.
De grands empereurs
Basile Ier (867-886) fut le fondateur de la dynastie macédonienne. S’il se révéla comme un souverain capable de faire face aux Arabes, il est surtout connu pour son œuvre de législateur. Son fils Léon VI, grand lettré, élève de Photius (que du reste il déposa et exila), fut un grand législateur; il acheva, comme on l’a dit, l’œuvre juridique de Basile et publia plus de cent édits ou Novelles qui, dans l’ensemble, accentuèrent fortement la centralisation du gouvernement. Le grand défaut de cette œuvre imposante a été de supprimer les obstacles que la loi opposait à l’accaparement des terres par l’aristocratie des fonctionnaires. Les successeurs de Léon VI devront revenir sur ces dispositions imprudentes. C’est sous le règne de cet empereur que se place l’avènement du plus grand souverain bulgare, Syméon, et ses premières entreprises contre Byzance, au grand profit des Arabes qui achevèrent la conquête de la Sicile, écumèrent l’Égée, mirent à sac Thessalonique (904). Après le règne aussi court qu’insignifiant d’Alexandre, la régence fut d’abord exercée par le patriarche Nicolas Mystikos au nom du jeune Constantin VII (qui n’avait alors que sept ans et ne commencera véritablement à exercer le pouvoir que trente-trois ans plus tard). Ce furent des années difficiles. Toute l’habileté diplomatique de Nicolas, qui alla jusqu’à concéder à Syméon le titre d’empereur des Bulgares et à le couronner, ne put empêcher le conquérant bulgare d’étendre sa domination sur tous les Balkans. La situation changea lorsque Romain Lécapène, drongaire de la flotte, se fut imposé comme coempereur en 920. Romain, arménien comme Basile Ier, se révéla aussi bon stratège que bon diplomate. Pour détourner de Constantinople le tsar dont l’ambition suprême était d’être couronné empereur des Romains, il sut détacher les Croates, puis les Serbes de l’alliance bulgare, ce qui eut pour résultat de faire entrer ces peuples dans la sphère d’influence byzantine et d’engager Syméon dans des guerres désastreuses. Après sa mort subite en 927, son successeur Pierre signa un traité d’amitié avec Byzance et les Balkans retrouvèrent le calme. Romain Lécapène avait confié au meilleur général grec, Jean Courcouas, la direction des opérations en Arménie et en Mésopotamie; elles aboutirent à la reprise de Mélitène et à la capture de la fameuse image miraculeuse du Christ conservée à Édesse. Quant aux relations avec les Russes, elles devinrent satisfaisantes, lorsque l’assaut manqué de 941 contre Constantinople leur eut démontré qu’il était plus avantageux de commercer avec l’Empire que d’essayer de piller sa capitale.
Romain Lécapène fut renversé par ses propres fils, ambitieux et impatients; mais ceux-ci ne trouvèrent aucun partisan, et durent céder la place à Constantin VII, qui allait enfin exercer le pouvoir. Cet empereur archiviste et encyclopédiste travailla beaucoup à sa manière, qui n’est pas la plus mauvaise, pour le renom de Byzance; il centralisa autour de lui l’activité intellectuelle de son temps, et légua aux âges futurs les sources les plus précieuses pour la connaissance du passé byzantin, dont la principale est son Livre des cérémonies . En outre, sa législation continua l’effort obstiné de Lécapène pour la protection de la petite propriété rurale; ni l’un ni l’autre, malheureusement, ne surent voir que, si cette petite propriété disparaissait, c’était en grande partie par la faute de l’État lui-même et de sa fiscalité trop lourde.
L’époque de la grande expansion de Byzance commence, assez curieusement, par le règne d’un incapable, Romain II, marié à une belle intrigante, Théophano. Quand son mari mourut, après quatre ans de règne, Théophano, pour ne pas être écartée du pouvoir, épousa le meilleur général de son temps, le vieux Nicéphore Phocas, qui venait d’être proclamé empereur par ses propres troupes. Le règne de ce pieux et rude homme de guerre, dont la personnalité annonce celle de Basile II, son pupille, fut très brillant sur le plan militaire, comme on pouvait s’y attendre. Non seulement il reconquit Chypre et la Crète, ce qui fermait la mer Égée aux flottes musulmanes, mais il fut le premier général grec, depuis l’invasion arabe, à forcer la ligne du Taurus, à pénétrer en Cilicie et en Syrie: en 969, la vieille cité d’Antioche, ou ce qui en restait, rentrait dans le sein de l’Empire. Au milieu de ces succès, Nicéphore mourut assassiné par son neveu Jean Tzimiskès, à l’instigation de Théophano, la maîtresse du meurtrier. Celui-ci accédait au pouvoir dans le moment même où le prince russe Svjatoslav, qui venait de détruire les royaumes des Khazars et des Bulgares, dressait contre Byzance les forces de son jeune et immense empire. Tzimiskès, aussi brillant homme de guerre que Phocas, régla son compte à Svjatoslav en quatre mois et annexa la Bulgarie (971). Puis il se tourna contre les Fatimides d’Égypte qui menaçaient la Syrie et les refoula jusqu’à Césarée en annexant la Phénicie.
Les faiblesses d’une très grande puissance
Les campagnes de Phocas et de Tzimiskès avaient fait de Byzance la plus grande puissance d’Europe et d’Asie antérieure. Mais ces deux règnes n’avaient pas été aussi bienfaisants, il s’en faut, pour l’équilibre social de l’Empire. Les Macédoniens, depuis Basile Ier, ayant réservé à l’aristocratie les commandements militaires, il était fatal que l’on vît arriver au pouvoir les chefs de ces armées si souvent victorieuses; or ces chefs étaient en même temps les représentants de la classe des grands propriétaires provinciaux, dont ils soutinrent évidemment les intérêts. Aussi la législation agraire de Nicéphore Phocas marque-t-elle une réaction par rapport à celle de Romain Lécapène et de Constantin VII. Il y avait là une menace pour l’avenir.
Après la mort de Jean Tzimiskès, le pouvoir effectif revint, non sans difficulté du reste, aux descendants directs de Basile Ier, qui ne l’avaient, en somme, exercé qu’à de rares intervalles et sans éclat depuis la mort de Léon VI.
L’Empire eut la chance d’avoir Basile II le Bulgaroctone (957-1025) à sa tête dans la terrible lutte qui l’opposa à la Bulgarie renaissante. Basile ne fut véritablement maître de son État qu’à partir de 988: il le gouverna en souverain militaire et en autocrate. Il défendit les petits propriétaires et, par un renversement de politique, chargea les grands domaines du fardeau de l’allêlengyon , impôt dû par des contribuables insolvables: il reposait jusqu’alors sur la communauté villageoise et provoquait l’abandon de la terre.
À sa mort, le plus grand des empereurs byzantins laissait un État qui s’étendait à l’est jusqu’au mont Ararat, au nord jusqu’à la ligne du Danube et de la Drave, à l’ouest jusqu’à l’Istrie, au sud jusqu’aux abords de Tripoli; la côte sud de la Crimée, l’Italie méridionale jusqu’à Teano étaient byzantines. Le centre de gravité de l’Empire était reporté vers l’Europe, ce qui diminuait encore l’influence des grands propriétaires d’Asie Mineure.
La seule erreur de Basile fut de se désintéresser de sa succession. À sa mort, elle échut à son frère Constantin VIII, déjà coempereur depuis cinquante ans, qui ne crut pas nécessaire de rien changer à sa vie de plaisirs. Il n’avait pas de fils. Sur son lit de mort, il maria l’une de ses trois filles, Zoé, qui avait la cinquantaine, à l’éparque (préfet) de Constantinople, Romain Argyre. Avec le premier des « époux de Zoé » commencent à la fois la décadence de l’Empire et le règne de la noblesse civile et constantinopolitaine, dont la rivalité avec la noblesse militaire et rurale de la province explique l’instabilité du pouvoir pendant le demi-siècle qui va suivre.
Ce n’est pas là la seule cause de décadence. Les prodigalités de souverains au pouvoir mal assuré, contraints de satisfaire la cupidité de leurs partisans, coïncident malheureusement avec une baisse progressive des revenus de l’État. Les mesures financières prises par Basile II ont été rapportées par Constantin VIII et par Romain III; et la grande propriété laïque et ecclésiastique échappe beaucoup plus facilement à l’impôt que la petite: l’une ne cesse d’absorber l’autre. En outre, la poussée des peuples turcs (Petchenègues installés sur le Danube depuis Basile II, Polovtzes en Russie du Sud, Seldjoukides aux frontières orientales) coupe les voies de communication vers le nord et l’est; cela entraîne le déclin du commerce et de l’activité urbaine, alors que la fiscalité pèse de plus en plus lourd sur les classes les moins favorisées et sur les vassaux bulgares et slaves et contribue à détacher ceux-ci de l’Empire. Enfin, de nouveaux dangers extérieurs apparaissent à l’horizon. Les Turcs, qui vont régner à Bagdad à partir de 1055, ne sont pas les seuls qu’attirent la richesse légendaire de Byzance et le luxe de sa capitale: des aventuriers normands se sont établis en 1029 dans l’Italie du Sud. Ce sera la perte de la marche byzantine d’Italie, le catépanat constitué sous Basile II. Puis les Normands traverseront l’Adriatique et ouvriront un troisième front sur le flanc occidental des Balkans. Pour protéger leurs possessions dalmates que leur flotte ne suffit plus à défendre, les empereurs feront appel à leurs vassaux vénitiens: autre peuple de proie dont les exigences exorbitantes ruineront peu à peu toute l’économie byzantine.
Michel Psellos et Michel Cérulaire
Zoé, épouse mûre mais encore pleine d’ardeur, finit par suivre l’exemple de Théophano: elle fit assassiner son vieux mari pour en prendre un plus jeune. Michel IV, souverain consciencieux et courageux, qui mourut d’épilepsie après avoir réprimé les Bulgares révoltés par la fiscalité impitoyable du tout-puissant ministre Jean l’Orphanotrophe, frère de l’empereur. Le fils de Jean, Michel V, qu’il avait fait adopter par Zoé, fut renversé au bout de quatre mois pour avoir essayé de détrôner la vieille porphyrogénète. Le peuple soulevé mit à sa tête la vieille Théodora, que sa sœur Zoé avait jadis fait enfermer dans un couvent, et avec qui elle dut partager le trône. En 1042, le troisième mariage de Zoé porta au pouvoir un sénateur d’un caractère aimable, généreux et humain, mais sans autorité: Constantin Monomaque. Son règne fut celui des lettrés, dont le plus marquant est Michel Psellos, et ouvre la période la plus brillante de la culture byzantine. En revanche, l’administration commença à se détériorer: on vit apparaître le système de la ferme des impôts, et l’on commença à remplacer par un versement en espèces le service militaire dû par les stratiotes. Cela signifiait pour l’armée un retour au mercenariat. Les armes byzantines étaient toujours puissantes: l’Empire s’était encore agrandi, depuis la mort de Basile II, par l’annexion d’Edesse, du royaume arménien d’Ani, de la Sicile occidentale. Et le prestige de l’Église byzantine était monté si haut que le patriarche Michel Cérulaire cessa en 1054 de reconnaître l’autorité du siège romain. Mais ce prestige même desservait l’État, car, pour le régime chancelant qui s’appuyait sur elle, l’Église se montrait la plus insatiable des parties prenantes. Quand la maison de Macédoine se fut éteinte en 1056, la crise financière ne fit que s’aggraver, d’abord sous Michel VI, puis – après une brève réaction qui mit à la tête de l’Empire un des chefs de l’armée d’Asie, Isaac Comnène – sous Constantin X, le protégé de Michel Psellos.
Quand enfin la noblesse militaire exaspérée par les avanies et les refus de crédits, imposa au patriarche Jean Xiphilin l’un des siens, Romain Diogène, il était trop tard. Les Seldjoukides avaient envahi l’Arménie, la Cappadoce jusqu’à Césarée, et Romain ne put leur opposer qu’une armée de mercenaires petchenègues et occidentaux qui fut écrasée à Mantzikert, en Arménie (1071). Les Turcs imposèrent à l’empereur prisonnier un traité fort modéré; mais, pendant sa captivité, une révolution de palais avait donné le pouvoir à l’incapable Michel VII, fils de l’empereur défunt Constantin X. À son retour, Romain fut pris par traîtrise et aveuglé. N’étant plus liés par le traité, les Turcs reprirent l’offensive. Dans le même temps, le nouveau maître de Naples, le Normand Robert Guiscard, achevait la conquête de l’Italie byzantine, et les Croates de Dalmatie se rendaient indépendants. À l’intérieur, la situation n’était pas plus brillante, du fait d’une terrible hausse des prix, aggravée par l’expérience étatiste du logothète Niképhorizès. La révolte d’un stratège d’Asie Mineure, Nicéphore Botaniate, fut le signal du chaos (1078). Les dernières armées byzantines ne s’occupèrent plus que de lutter les unes contre les autres pour imposer l’empereur qu’elles s’étaient choisi, et lorsque le vainqueur de cette ruineuse compétition, Alexis Comnène, neveu d’Isaac, s’installa au Grand Palais, il trouva l’Asie Mineure presque entièrement aux mains des Turcs, le trésor vide, la monnaie dévaluée – une monnaie dont le cours n’avait pas varié depuis le lointain règne d’Anastase Ier –, le commerce et l’industrie ruinés.
La noblesse militaire au pouvoir: les Comnènes et les Anges (1081-1204)
Si les empereurs issus de la classe sénatoriale étaient tombés pour avoir fait aux dépens de l’armée les seules économies qui leur parussent nécessaires, la noblesse militaire avait aussi de lourdes responsabilités dans la ruine du régime: elle avait largement contribué à réduire au servage la plus grande partie de la paysannerie libre, tarissant ainsi la meilleure source de recrutement et aggravant le déséquilibre social qui tendait à faire disparaître les classes moyennes et à opposer directement – pour parler le langage des novelles – les « puissants » toujours plus puissants et les « pauvres » toujours plus nombreux. Les trois premiers Comnènes pourront bien, par leur courage, leur ténacité, leurs brillantes qualités de diplomates, reconquérir une grande partie du territoire envahi et conjurer pour un siècle le péril turc en Asie et en Europe, ils n’en resteront pas moins prisonniers de la classe qui les aura mis au pouvoir, et de ses intérêts: caste au loyalisme toujours douteux, dont assurément la tenue est meilleure que celle de la noblesse civile du XIe siècle et la culture souvent raffinée, mais orgueilleuse et fermée; avide de titres et de privilèges, elle n’éprouve ni pitié ni sollicitude pour un peuple qui souffre.
Grandes ambitions, faibles moyens
D’Alexis Ier à Manuel, on voit les Comnènes suivre une politique de plus en plus ambitieuse, s’abandonner au rêve d’un Empire reconstitué dans toute sa puissance, sans voir que l’état social et économique du pays ne le permet plus. Ni même son administration, bien dégradée depuis l’époque des Macédoniens, comme le montre le recours de plus en plus étendu au système de la ferme des impôts, d’un faible rapport pour l’État et odieux à ses sujets. Le budget militaire devient écrasant. Sans doute, les Comnènes ont-ils réussi à reconstituer une armée nationale en ressuscitant le système des biens militaires sous une forme adaptée à l’esprit du siècle. Déjà ancienne, la pronia ( 神福礼羽礼晴見), concession d’un revenu ou d’un domaine faite par l’État à un individu à titre viager, reçoit désormais une destination militaire: des domaines, avec les parèques (serfs) qui les cultivent, passent aux mains de bénéficiaires évidemment choisis dans la noblesse – qui, en échange, non seulement doivent l’impôt du sang à titre personnel, mais la fourniture d’un certain contingent. Pour reconstituer une infanterie légère, cette redevance en hommes fut même étendue à toutes les propriétés foncières, même ecclésiastiques. Les effectifs réunis grâce à ce système restaient cependant fort insuffisants. Il fallut les compléter en engageant des mercenaires, toujours coûteux, notamment des Russes, des Scandinaves et des Anglais qui composaient la fameuse garde des Varanges. Il fallut surtout utiliser les services des croisés, dont l’avidité stupéfia Anne Comnène, et de la marine vénitienne, qui se fit payer en privilèges commerciaux, ruineux pour l’Empire.
Les exploits et les travaux d’Alexis Ier avaient, en 1118, refait de Byzance une grande puissance, à vrai dire rejetée vers l’Orient par la perte de l’Italie du Sud et de presque toute la Dalmatie, et menacée au sud de son domaine asiatique par les jeunes principautés franques. Mais les croisades avaient eu une conséquence plus grave encore: celle de dériver vers la Syrie les voies commerciales venant de l’Est, et cela dans le temps même où le réveil économique de l’Occident, la croissance des cités d’Italie et de la Flandre réduisaient les débouchés extérieurs de l’industrie byzantine. Celle-ci, profitant de la sécurité retrouvée et d’une administration moins étatiste était redevenue fort active; mais la concurrence des Vénitiens, puis des Génois, la menaçait déjà et finira par l’étrangler.
Le successeur d’Alexis, Jean II, est une des plus grandes figures de Byzance, autant par ses qualités d’homme d’État que par sa valeur morale, assez rare chez les empereurs grecs. Il rendit la sécurité aux Balkans en écrasant les Petchenègues, qui dès lors disparurent de l’histoire (1122), en imposant sa souveraineté aux Serbes de Rascie et en refoulant les Hongrois. En Orient, ses succès furent plus grands encore: il profita des divisions entre les États seldjoukides pour reconquérir toute la côte nord de l’Asie Mineure ainsi que la partie sud-ouest, de Laodicée à Attalia. Il anéantit ensuite la principauté de Petite-Arménie, récupérant la Cilicie (1137-1138), et rétablit pour quelques années la suzeraineté byzantine sur la principauté normande d’Antioche. Mais, faute d’une flotte assez puissante, il ne put réussir à arracher à Venise les privilèges commerciaux que son père avait dû concéder.
Isolement
Héritant de son père les qualités militaires et l’habileté diplomatique, Manuel Ier y ajoutait des vues politiques hardies, trop sans doute pour n’être pas quelque peu chimériques, et un attrait pour la civilisation occidentale qui fait de lui le plus original des Comnènes et – pour nous autres Occidentaux du moins – le plus attachant. Il épousa successivement une princesse allemande, puis une princesse normande d’Antioche, accueillit de nombreux Latins à sa cour, au grand déplaisir des Grecs, et y introduisit la mode des tournois. L’axe de sa politique fut la recherche de l’alliance allemande contre Roger II, roi de Sicile, dont la puissance grandissante inquiétait déjà Jean Comnène. Les résultats furent décevants, surtout quand l’échec de la deuxième croisade eut ébranlé la puissance de Conrad III. Après la mort de son allié, Manuel se crut assez fort pour agir seul et débarqua en Italie; mais il ne put s’y maintenir. En Orient, en revanche, il rétablit la suzeraineté de Byzance sur Antioche, et l’imposa au royaume latin de Jérusalem et au sultanat d’Iconium (1158-1160). Du côté de l’Occident, il profita habilement de la compétition entre les deux prétendants à la succession de Geiza II, roi de Hongrie, pour récupérer la Bosnie, la Croatie et la Dalmatie. Cette politique impérialiste et interventionniste inquiétait beaucoup l’Occident, particulièrement Venise, menacée par l’annexion de la Dalmatie, et Frédéric Barberousse, qui savait que Manuel, dans le dessein de lui enlever la couronne impériale d’Occident, négociait en sous-main l’union des Églises avec le pape Alexandre III et soutenait la ligue Lombarde avec l’or byzantin. Quand l’empereur mourut, quatre ans après la grave défaite de Myrioképhalon infligée par le sultan d’Iconium Kilidj Arslan, il n’avait guère que des ennemis en Occident, et il laissait un État épuisé où les charges militaires accablantes dévoraient progressivement toutes les sources de revenus.
Fin de l’Empire grec
Il ne fallut qu’un quart de siècle pour que, après trois règnes si brillants, l’Empire grec non seulement perdît toute sa puissance, mais fût rayé de la carte. L’étonnante aventure d’Andronic Comnène, qui aurait peut-être sauvé Byzance si elle avait réussi, fut pour elle le début du chaos. Ce cousin de Manuel, pourvu de tous les dons et de beaucoup de vices, avait toujours ambitionné la couronne. La régence de Marie d’Antioche, en favorisant maladroitement les Latins détestés, lui permit de se poser en chef de l’opposition nationaliste. Le succès de sa rébellion, en 1182, fut le signal du massacre général des Latins à Constantinople, où il entra en triomphateur et ceignit la couronne du jeune Alexis II, qu’il fit étrangler ainsi que la régente sa mère. Son court règne, commencé dans le sang, fut étonnamment bienfaisant pour l’Empire: il lutta avec une énergie sauvage contre la corruption des fonctionnaires et l’injustice fiscale. Naturellement, il vit se dresser contre lui toute l’aristocratie et, lorsque l’Empire fut envahi à la fois par les Hongrois de Béla III et les Normands de Guillaume II de Sicile, l’agitation intérieure ne lui permit pas de leur opposer une défense efficace. Quand les Normands furent presque aux portes de la capitale, une émeute détrôna Andronic, qui mourut déchiqueté par une foule déchaînée.
L’émeute s’était trouvé un chef, un peu par hasard, dans la personne d’un lointain parent des Comnènes, Isaac Ange, qui fonda ainsi sans l’avoir cherché une brève et lamentable dynastie. Sous son règne, l’Empire commença de se décomposer: Chypre passa aux Lusignans, l’Empire bulgare ressuscita avec le tsar Jean Ier Asen. La détresse de Byzance devint si évidente que la conquête de l’Empire, plusieurs fois manquée par les Normands d’Italie, rêvée plus récemment encore par Frédéric Barberousse, parut possible au doge de Venise Enrico Dandolo: il y était stimulé à la fois par la haine et le mépris réciproques qui séparaient les Grecs et les Latins depuis le schisme et les croisades, et par le désir qu’avait Venise d’installer à Constantinople un gouvernement à sa dévotion pour pouvoir exploiter l’Empire sans risques et sans contrainte.
Dandolo était un politique de génie: il sut mettre à profit à la fois la quatrième croisade lancée par le pape Innocent III et les prétentions du jeune Alexis Ange, fils d’Isaac que son frère Alexis III avait détrôné et aveuglé. Sous le prétexte de chasser l’usurpateur, les croisés se laissèrent volontiers détourner vers Constantinople et la prirent. Mais Isaac II et Alexis IV ne purent payer l’énorme salaire qui leur était demandé, et la population se rebella contre la présence des Latins. Le 13 avril 1204, les croisés forçaient la ville et la soumettaient à un épouvantable pillage: de mémoire d’homme, on n’avait jamais fait un si riche butin. Et suivant un plan soigneusement préparé d’avance, l’Empire fut partagé entre la république de Venise et les chevaliers francs.
L’Empire de Nicée (1204-1261)
Les complices de l’opération de 1204 ne purent la mener complètement à bien. Chose curieuse, ce fut la décadence même de l’État byzantin qui aida à sa survie: dans un pays où les forces centrifuges l’emportaient désormais sur la volonté centralisatrice d’un pouvoir affaibli, il ne suffisait plus de frapper à la tête et de s’emparer de la capitale pour voir l’ensemble de l’Empire tomber sous la domination du conquérant. Ses parties les plus éloignées de Constantinople, à l’est la région de Trébizonde, à l’ouest l’Épire, restèrent grecques et se constituèrent en royaumes indépendants. Surtout, l’Asie Mineure dut à l’énergie de Théodore Lascaris, gendre d’Alexis III, qui semble avoir été élu empereur par le clergé quelques heures avant la prise de Constantinople, d’échapper à la conquête pour sa plus grande partie et de former le noyau à partir duquel sera reconstitué l’Empire, en moins de soixante ans, avec une habileté digne des plus grands souverains de Byzance.
Venise
Dans le partage de ce que les croisés avaient pu conquérir, Venise se taillait la part du lion: avec les principaux ports et la plupart des îles, un très vaste quartier de Constantinople, une franchise commerciale absolue dans tout l’Empire et le monopole de l’élection du patriarche, les Vénitiens devenaient les véritables maîtres de la conquête franque et en recueillaient les meilleurs bénéfices. Le reste du territoire, sous la suzeraineté d’un empereur élu qui fut Baudouin de Flandre, était distribué entre les chevaliers et devenait une mosaïque de principautés féodales, dont les plus importantes furent le royaume de Thessalonique que s’attribua Boniface de Montferrat et la principauté française d’Achaïe, dans le Péloponnèse. Ainsi le vieil État des Macédoniens, dont l’organisation déjà moderne était naguère en avance de plusieurs siècles sur tout le reste de l’Europe, était ravalé à la condition d’un empire colonial et d’un royaume féodal.
Innocent III
Innocent III avait rêvé de faire de ce nouvel État le soutien et la forteresse de la croisade: sa forme archaïque le rendait bien incapable de jouer ce rôle. Il ne put même pas résister à l’attaque de Kalojan, tsar de Bulgarie, venu soutenir la révolte des proniaires grecs, que l’on avait en partie intégrés au système féodal, mais que la morgue et la brutalité des Latins avaient exaspérés. En 1205, l’empereur Baudouin tombait aux mains du tsar sur le champ de bataille d’Andrinople. Innocent III commit en 1208 une autre erreur très grave: quand le clergé de la capitale, se résignant à faire montre de loyalisme envers Henri de Hainaut, successeur de Baudouin, écrivit au pape pour reconnaître sa primauté et demander l’autorisation d’élire un patriarche de rite grec à côté du patriarche latin, comme à Antioche et à Jérusalem; il ne reçut même pas de réponse. Alors il se tourna vers Nicée, où ses délégués participèrent à l’élection d’un patriarche qui couronna empereur Théodore Lascaris. L’Empire avait de nouveau un chef consacré et reconnu, et ce chef se trouva être fort redoutable pour les Latins.
Le désastre d’Andrinople
On ne peut ici que résumer brièvement l’œuvre de restauration menée à bien par les Lascaris. Le centre en fut Nicée, où Théodore avait trouvé refuge. De cette place très forte qui barrait la route de l’Asie Mineure aux attaques venues de Constantinople et qui était en même temps un centre religieux vénéré des Grecs, Théodore fit une capitale administrative et un centre de culture, d’ailleurs bien modeste encore. Il eut bien du mal à imposer son autorité à l’aristocratie locale et à défendre son État naissant contre les « Grands Comnènes », ces descendants d’Andronic installés à Trébizonde, et contre les Latins. Le désastre d’Andrinople le sauva. En 1210, il était devenu assez fort pour repousser l’attaque du sultan d’Iconium, qu’il tua de sa main. Mais il rencontra rapidement un adversaire plus redoutable que l’Empire latin, dont la décadence commença dès la mort de Henri de Hainaut, le seul souverain de valeur qu’il ait eu à sa tête. L’ambition du despote d’Épire Michel Ange était aussi de ressusciter à son profit l’Empire de Byzance: et c’est la rivalité des deux principaux États grecs qui prolongea la vie moribonde de l’Empire latin.
Sous Théodore Ange, qui prit le titre de basileus, l’État d’Épire s’étendit à une vitesse foudroyante, presque jusqu’aux portes de Constantinople. Mais ce ne fut là qu’un feu de paille. Théodore avait compté sans un troisième compétiteur, Jean Asên II, tsar de Bulgarie, qui convoitait aussi le titre d’empereur des Romains, et qui l’écrasa à Klokotnitsa en 1230.
Un grand homme d’État
À Nicée régnait depuis 1222 un remarquable homme d’État, Jean Vatatzès. À sa mort, l’Empire, qui avait récupéré presque toutes les conquêtes des Latins dans le nord-ouest de l’Asie Mineure ainsi que les grandes îles de la côte asiatique, de Lesbos à Rhodes, s’étendait désormais sur les deux rives de l’Hellespont, sur toute la côte nord de la mer Égée, englobait la Thrace jusqu’à la Maritsa, la Macédoine jusqu’à la hauteur de Skoplje et même atteignait l’Adriatique au nord de Dyrrachium. La reprise de Constantinople apparaissait imminente; les difficultés de Théodore II en Épire, sa mort prématurée et l’usurpation de Michel VIII la retardèrent de quelques années. En 1258, Michel VIII devait même faire face à une coalition du roi de Sicile Manfred, du despote d’Épire, du prince franc d’Achaïe et du roi serbe, tous menacés par une restauration de l’Empire byzantin.
Gênes
La coalition fut battue à Pélagonia en Macédoine (1259), et deux ans plus tard une petite troupe de Grecs occupa par surprise Constantinople que, à leur grand étonnement, ils trouvèrent presque sans défenseurs. Le 15 août 1261, Michel VIII était couronné dans Sainte-Sophie par le patriarche. Mais entre-temps, croyant à tort que la ville était difficile à emporter, il avait concédé aux Génois, en échange du concours de leur flotte qui lui semblait indispensable, les mêmes privilèges commerciaux que Venise avait jadis possédés dans l’Empire. Celui-ci, en mettant le Paléologue à sa tête, était retombé au pouvoir d’une aristocratie décidément fermée à l’intelligence des réalités économiques: sous sa direction, il s’engageait une seconde fois dans une voie qui l’avait déjà mené à la catastrophe.
Les Paléologues et la chute de Byzance (1261-1453)
En faisant aveugler le petit Jean IV, héritier légitime des Lascaris, Michel VIII installait à Byzance une dynastie qui devait durer jusqu’à la fin de l’Empire. L’histoire de cette dynastie comporte deux parties: les vingt ans de règne de Michel VIII lui-même, qui semblèrent inaugurer une nouvelle période de puissance et de grandeur pour l’Empire, et une décadence de près de deux siècles qui aboutit à sa disparition définitive. Il ne faut pas en déduire que tous les successeurs de Michel VIII furent des incapables; mais, eussent-ils tous été géniaux, il n’était pas en leur pouvoir de résoudre des problèmes que le règne de Michel VIII avait contribué à rendre insolubles.
Le double front
Ces problèmes étaient à la fois d’ordre extérieur et intérieur. En redevenant une puissance mi-européenne mi-asiatique, avec laquelle il fallait compter, Byzance avait retrouvé le double front qui avait déjà usé tant de dynasties. À l’ouest, c’est le royaume serbe en pleine expansion; à l’est, un adversaire beaucoup plus dangereux que l’État seldjoukide va entrer vers 1300 en contact avec les Grecs: la tribu des Osmanlis. Or, Byzance ne peut plus tenir ces deux fronts à la fois. Michel VIII, pour soutenir l’assaut de l’Occident, a dû laisser presque sans défense l’ancien domaine asiatique des souverains de Nicée. Comme les Paléologues, par manque de terres et d’autorité sur la noblesse, ne pouvaient reconstituer des biens militaires quand les Turcs eurent conquis ceux qui existaient en Asie, il fallut en revenir au système du mercenariat, doublement ruineux, pour les finances et pour la sécurité intérieure. L’aventure des Almugavares le prouva bientôt. Cette bande de Catalans, invincibles mais ingouvernables, fut engagée avec son chef Roger de Flor par Andronic II pour combattre les Turcs. Ils les battirent en effet, mais ravagèrent tout, en Asie d’abord, puis en Europe où Andronic avait cherché à les employer contre les Bulgares. Après d’affreux ravages, devant lesquels les Grecs étaient complètement impuissants, ils finirent par s’installer dans le duché d’Athènes qu’ils enlevèrent aux Français.
Les problèmes intérieurs n’étaient pas moins graves. Dès le règne de Michel VIII, le manque d’or obligeait à dévaluer l’hyperpère (nouveau nom du sou d’or, l’ancien nomisma), ce qui entraîna une forte hausse des prix et chassa la monnaie byzantine du marché international, où jusqu’ici elle faisait prime; pour la remplacer, on se mit en Occident à frapper des monnaies d’or – florin et ducat notamment – qui lui furent rapidement préférées. À la crise monétaire s’ajoutait à Byzance une crise d’autorité. Le régime féodal établi par les croisés n’avait pu qu’aggraver les tendances séparatistes déjà flagrantes sous les Comnènes. En particulier, l’autonomie municipale, qui avait disparu depuis le temps d’Héraclius, s’était mise à renaître sous la pression des « puissants » qui tenaient déjà la plus grande partie de la terre. Dès le XIe siècle, on avait vu apparaître de véritables constitutions urbaines, qui devinrent très nombreuses sous les Paléologues; elles étaient en général purement aristocratiques et, par conséquent, n’étaient pas de nature à rapprocher le peuple et le pouvoir central dans l’exercice des responsabilités. Bien au contraire, elles occasionnèrent de graves troubles sociaux, surtout à Thessalonique, seconde ville de l’Empire, qu’ensanglanta au milieu du XIVe siècle la révolte populaire des zélotes.
Jean Cantacuzène
Andronic II, qui avait recueilli le lourd héritage de Michel VIII, passa tout son long règne à se débattre contre ces difficultés. Il ne put ni s’opposer aux progrès du roi serbe Miloutine en Macédoine, ni intervenir dans la guerre entre Venise et Gênes qui finirent par s’entendre aux dépens de Byzance, ni se défendre du fléau catalan; du moins affermit-il l’autorité impériale en Morée et récupérat-il quelques territoires en Épire et en Thessalie. La fin de son règne fut troublée par une guerre civile que provoqua l’ambition de son petit-fils Andronic, et où il finit par perdre sa couronne. Andronic III devait sa victoire à Jean Cantacuzène, grand homme d’État qui accomplit une excellente réforme judiciaire et réussit à faire rentrer l’Épire et la Thessalie dans le sein de l’Empire. Mais à la mort d’Andronic éclata une guerre civile entre les partisans du tout-puissant ministre et ceux de l’impératrice Anne de Savoie, qui se disputaient la régence (1341-1346). Sur ce conflit se greffèrent la querelle religieuse qui s’était élevée autour du mouvement mystique de l’hésychasme, et le soulèvement des zélotes provoqué par la crise économique. Jean Cantacuzène eut pour lui les hésychastes, contre lui les zélotes.
D’abord vainqueur, Jean se fit couronner sous le nom de Jean VI; mais, par la suite, lorsque le fils d’Andronic III, Jean V, fut en âge de revendiquer le pouvoir, un second conflit éclata (1352-1354) qui se termina par l’abdication forcée de l’usurpateur. Au cours de ces luttes longues et confuses, chacun des partis fut fatalement amené à solliciter l’appui de l’étranger; ce fut le signal du démembrement de l’Empire. Sous Andronic III, sa partie asiatique disparut, occupée par les Osmanlis; sous Jean VI, le grand roi serbe Étienne Douchan lui enleva les provinces balkaniques récemment récupérées, réduisant de moitié le territoire qui lui restait; Gênes s’emparait de Chio; enfin en 1354, le sultan osmanli Ourkhan prenait pied en Europe par l’occupation de Gallipoli.
L’Occident utile et détesté
Désormais il ne reste à jouer qu’une seule carte à l’État byzantin, et elle sera jouée, toujours avec les mêmes déceptions, sous Jean V, sous Jean VIII, sous Constantin XI: la carte de l’Occident. Au pape seul Byzance a encore quelque chose à offrir: la fin du schisme et l’union avec Rome, en échange d’un secours sous la forme d’une croisage contre les Turcs organisée par Rome. Malgré des efforts sincères de part et d’autre, l’union ne se fera pas et le secours promis n’arrivera jamais jusqu’à Constantinople. Du côté de l’Occident, les raisons principales de cet échec sont dans l’éclipse que subit, aux XIVe-XVe siècles, l’autorité pontificale et, avec elle, le sentiment de l’unité chrétienne, dans la désunion des États européens, surtout dans l’égoïsme féroce et aveugle des républiques maritimes d’Italie. Gênes et Venise ne comprendront que bien trop tard le danger turc; elles ne se préoccupent que de maintenir les conditions momentanément les plus favorables à leur colonisation économique de l’Europe du Sud-Est: le morcellement politique, et la faiblesse de l’État byzantin. Elles ne permettent pas aux empereurs de prendre des mesures intérieures qui risqueraient de diminuer leurs profits. Jean VI essaye-t-il en 1348 d’abaisser les droits de douane pour rendre quelque vie au port grec de Constantinople, aussitôt les Génois, en pleine paix, détruisent les navires byzantins et interdisent aux bateaux étrangers l’entrée de la Corne d’Or. Il est juste de remarquer, du reste, que cette brutalité n’est pas entièrement gratuite: Génois et Vénitiens sont en quelque sorte prisonniers de la politique qu’ils ont toujours menée à l’égard de Byzance. S’ils laissent à celle-ci la possibilité de redevenir un État puissant, ils savent qu’ils ont tout à craindre de l’explosion des haines accumulées contre eux depuis deux siècles, dans tout l’Orient. C’est un peu la situation des Athéniens à l’égard de leur empire maritime pendant la guerre de Péloponnèse.
C’est précisément cette haine inexpiable à l’égard de l’Occident qui fera échouer aussi les projets d’union du côté grec. Dans l’écroulement général de l’Empire, il n’a subsisté que trois choses: le despotat de Morée, l’Université et le patriarcat, dont le prestige et l’autorité dépassent de loin ceux de l’empereur. Même lorsque Jean VIII aura déterminé son patriarche, Joseph II, et une partie des évêques à s’abaisser devant Rome et à souscrire à l’union au concile de Florence (1439), le peuple et l’immense majorité du clergé s’y opposeront avec une telle violence que l’empereur n’osera pas faire proclamer le décret d’union à Constantinople.
Dans ces conditions, Byzance ne pouvait qu’assister impuissante au duel qu’allaient bientôt se livrer les Turcs et les Serbes pour la domination des Balkans, certaine de figurer de toute manière dans le butin du vainqueur. Les voyages qu’avait faits Jean V en Occident pour y quêter du secours ne lui avaient rapporté que des humiliations: à Venise, il fut même emprisonné comme débiteur insolvable. Cependant, dans les Balkans, les Ottomans l’emportaient sur les Slaves, et la puissance serbe était brisée à Kossovo en 1389. À ce moment, les empereurs byzantins étaient déjà passés sous la vassalité des Turcs et leur payaient tribut: désormais les sultans faisaient et défaisaient à leur guise les souverains qui avaient jadis régné de l’Espagne à l’Arménie.
La prise de Constantinople
À l’avènement de Manuel II (1391), l’Empire était réduit à sa capitale et à la principauté de Morée, dont la prospérité, sous l’intelligent gouvernement de vice-rois héréditaires, contrastait avec la misère de Constantinople. Il est même probable que, sans les Turcs, la Morée grecque aurait été le point de départ d’une nouvelle renaissance byzantine: les ruines de Mistra, sa capitale, sont encore là pour attester le haut niveau de la civilisation dans ce dernier réduit de l’hellénisme. En revanche, la chute de Constantinople parut imminente après le désastre de Nicopolis (1396) où s’abîma la croisade organisée par le roi de Hongrie Sigismond et le comte de Nevers. L’invasion inopinée de l’empire osmanli par les Mongols de Tarmerlan et la défaite de Bajazet à Angora (1402) procurèrent à Byzance un sursis de cinquante ans, lui permettant même de reconstituer un embryon d’empire en Thrace et d’améliorer encore sa situation en Morée, dont les Latins furent presque entièrement éliminés. Mais l’abaissement des Osmanlis fut de courte durée. Dès 1422, ils reparaissaient sous les murs de Constantinople; en 1430, ils reprenaient Thessalonique. Manuel II était mort en 1425, regretté de tout le peuple; homme bon et de grand caractère, respecté des Turcs eux-mêmes, au surplus grand ami de la culture et écrivain de talent, il avait su attirer les étudiants occidentaux dans l’Université réorganisée par ses soins. Son fils Jean VIII, pour sauver l’Empire, était décidé à conclure coûte que coûte l’union, avec Rome; il se rendit en Italie à cet effet. L’union, obtenue au prix de grandes concessions de la part des Grecs, fut proclamée à Florence (6 juillet 1439), et une croisade organisée sous la direction du roi de Bohême, Vladislas II, du régent de Hongrie, Jean Hunyadi, et du légat du pape. Elle fut écrasée à Varna (1444) par Mourad II; à Constantinople, le parti de l’union n’avait pas eu un meilleur sort. Ce double échec scellait le destin de l’Empire. À son avènement, en 1451, Mahomet II décidait de faire de Constantinople sa capitale. Le dernier empereur grec, ancien despote de Morée, Constantin XI, ne pouvait espérer aucun secours de l’Occident, en dehors d’un petit contingent génois; il choisit cependant de résister à la formidable armée turque, vingt fois plus nombreuse que ses troupes. Après une défense désespérée qui dura sept semaines, la ville fut prise grâce à l’artillerie de Mahomet II, et Constantin, ne voulant pas survivre à l’Empire, se fit tuer dans la mêlée. En 1460, le despote de Morée, Démétrius Paléologue, montrait moins d’héroïsme et livrait Mistra aux Turcs. Enfin, en 1461, était annexé le minuscule empire de Trébizonde; la nation grecque disparaissait jusqu’au XIXe siècle de la carte du monde.
2. La littérature byzantine
Le temps des incertitudes (395-610)
De la mort de Théodose à l’avènenement d’Héraclius, on compte deux siècles pendant lesquels Byzance hésite encore entre sa vocation orientale et le mirage d’une restauration de l’Empire universel où s’épuisera Justinien. Constantinople n’est pas encore le centre unique d’un empire où le grec n’est pas encore la seule langue de culture, où la foi de Chalcédoine n’a pas encore rallié toutes les âmes. La plupart des éléments politiques, sociaux, culturels qui formeront l’Empire proprement byzantin apparaissent durant cette période, mais encore mêlés aux structures caduques héritées du passé.
Cette incertitude se reflète dans la vie intellectuelle, qui se partage entre les vieux centres de l’hellénisme: Alexandrie, Antioche, Gaza où prospère une célèbre école de rhétorique, Athènes où meurt l’Université païenne. Du paganisme religieux il ne reste à peu près rien après le règne de Justinien: mais les curiosités esthétiques de l’alexandrinisme touchent encore beaucoup d’esprits. Le dernier romancier antique, Achille Tatios, le dernier épistolographe, Aristénète, sont probablement tous deux du Ve siècle: ils trouvent des lecteurs, qui ne sont sûrement pas tous des païens. Ni l’un ni l’autre n’ont éprouvé le besoin de changer quoi que ce soit aux formules traditionnelles des genres qu’ils ont cultivés. On peut en dire autant des poètes profanes: auteurs de petites épopées dans le goût alexandrin, comme Tryphiodore, ou Colouthos, qui versifia (fin du Ve siècle?) L’Enlèvement d’Hélène ; épigrammatistes surtout. L’épigramme est peut-être le seul genre de poésie profane qui soit resté en honneur jusqu’à la fin de la période byzantine. Elle connaît un regain de faveur au VIe siècle, grâce au cercle littéraire réuni autour d’Agathias le Scolastique (536-582 env.), d’où est sorti le Kyklos , recueil d’épigrammes anciennes et nouvelles disposées par genres et futur noyau de l’Anthologie palatine . C’est à ce cercle qu’appartenait entre autres Paul le Silentiaire, officier de la cour de Justinien, poète sensuel et passionné qui, en d’autres temps, eût pu être un grand élégiaque.
La tradition alexandrine se perpétue aussi dans le domaine des sciences, où l’on voit déjà poindre, cependant, un goût très byzantin pour les florilèges et les abrégés. On peut citer les monumentales Ethnika du géographe Étienne de Byzance, malheureusement perdues, le traité sur l’astrolabe de Jean Philoponos, précurseur de la mécanique moderne, l’Onomatologos , ou dictionnaire des écrivains célèbres, d’Hésychios de Milet (VIe s.), surtout la Médecine en douze livres d’Alexandre de Tralles, frère de l’architecte de Sainte-Sophie, remarquable par l’importance qu’y prend l’observation méthodique.
Si la fermeture de l’université d’Athènes en 529 porte le dernier coup à la philosophie païenne, il faut se rappeler que, depuis plusieurs siècles, celle-ci occupait une place secondaire par rapport à la rhétorique dans l’éducation grecque. Loin de proscrire la philosophie, l’époque pré-byzantine lui a ouvert une nouvelle carrière en l’appelant à fournir une base rationnelle aux doctrines qui s’affrontaient dans les grandes batailles dogmatiques. Certains esprits tâchent d’appliquer à cette fin la méthode d’Aristote, sa logique et ses conceptions scientifiques, jetant ainsi les bases de la scolastique: c’est le cas de Jean Philoponos, païen converti, qui réfuta la théorie de l’éternité du monde (De la création du monde) , et de Léontios de Byzance (475 env.-542), qui chercha une formulation philosophique du dogme des deux natures du Christ. Mais c’est surtout au platonisme et au néo-platonisme que les philosophes de ce temps ont demandé d’unir la rasion et la foi. Leur influence est sensible dans l’œuvre des maîtres de l’école de Gaza (Énée de Gaza, 450 env.-534; Procope de Gaza, 465-529 env.; Zacharie le Scolastique), d’ailleurs plus rhéteurs que philosophes, et surtout dans celle du pseudo-Denys l’Aréopagite, fondateur de la théologie mystique.
La littérature religieuse
La période de répit qui sépare la crise monophysite de la crise monothélite voit fleurir la littérature ascétique, genre appelé à un grand avenir à Byzance. Jean Climaque (525 env.-605), dans L’Échelle du paradis , enseigne à ses moines du Sinaï l’impassibilité par la méditation de la mort; Jean Moschos (550 env.-619) propose dans les anecdotes du Pré spirituel l’exemple des grands ascètes de Palestine. Tous deux sont d’origine orientale, tous deux écrivent dans une langue populaire. Ces deux traits se retrouvent dans l’hymnologie liturgique de cette époque, qui est remarquable par sa puissance et son originalité. Elle s’exprime dans un genre propre à Byzance, bien qu’il dérive probablement de modèles syriaques adaptés au public grec: c’est le kontakion , sorte d’homélie rythmée et chantée, dont les strophes, d’une structure métrique compliquée, se terminent toutes par le même refrain. En dehors de Romanos, bien peu d’œuvres des mélodes ou poètes de Kontakia nous sont parvenues: les plus remarquables, encore en usage dans l’office actuel, sont le Chant funèbre d’Anastase, et surtout l’Acathiste, hymne à la Rédemption et litanie à la Vierge, d’une luxuriante abondance. L’hagiographie enfin, autre genre à la fois religieux et populaire, trouve d’emblée son maître dans la personne de Cyrille de Scythopolis, moine de Palestine (514-557 env.), biographe de saint Sabas et des grands abbés de Terre sainte, qui, par le sérieux de sa documentation, fait figure de véritable historien.
L’histoire
L’histoire est en grand honneur dès les premiers siècles de Byzance, où elle se partage en deux genres bien distincts. D’un côté, on a les historiens proprement dits, qui limitent leur sujet à l’époque contemporaine et mettent en œuvre avec intelligence, sinon toujours avec objectivité, une documentation de première main, dans la grande tradition des historiens classiques, dont le souvenir imprègne jusqu’à leur langue. Tels sont Procope et ses continuateurs: Agathias, déjà cité comme poète (Le Règne de Justinien) ; plus rhéteur que Procope, Ménandre le Protecteur, dont il ne reste que des fragments; Théophylacte Simocatta (Histoires) , historien de Maurice. On peut leur adjoindre un historien ecclésiastique, Evagrios d’Épiphanie (né en 536) qui a su exposer avec clarté les conflits doctrinaux du Ve et du VIe siècle.
D’autre part, les chronographes, plus moralistes qu’historiens, s’adressent à un public populaire qu’ils prétendent édifier en retraçant – sans aucune critique, bien entendu – l’histoire de l’humanité depuis Adam, et en s’attachant surtout aux événements frappants: pestes, éclipses, séismes, naissances de monstres, etc. Ils sont liés entre eux, non par un lien de continuité, comme les historiens, mais parce qu’ils puisent tous plus ou moins à un fonds commun dont on peut suivre la formation jusqu’à Julius Africanus, au IIIe siècle. Ces chronographes sont encore rares au VIe siècle: le principal est Jean Malalas, moine d’Antioche, d’esprit fort particulariste, et le plus « vulgarisant » des écrivains de cette époque.
Du monothélisme à la crise iconoclaste (610-843)
Entre Héraclius et Michel III, dans ce qu’on a appelé ses « siècles obscurs », se situe l’étiage intellectuel de Byzance. Dans l’Empire appauvri, diminué, ravagé par des guerres continuelles, amputé des deux grandes métropoles d’Antioche et d’Alexandrie, déchiré par deux crises religieuses qui opposent l’orthodoxie à l’autorité impériale, la culture est en décadence; seule la science médicale est encore illustrée au VIIe siècle par Paul d’Égine, dont l’Abrégé de médecine servait encore à l’Université de Paris au XVIIIe siècle. Il n’y a pas d’historiens; du moins, à défaut d’un Procope, les campagnes d’Héraclius ont-elles trouvé leur Homère en la personne de Georges Pisidès, dont les poèmes patriotiques, notamment l’Héracliade , d’une facture très traditionaliste, ont connu un succès durable. Vers la fin de cette période, donc à la veille de la renaissance macédonienne, paraît aussi une poétesse de valeur, Cassia.
La littérature de ce temps, essentiellement religieuse et surtout monastique, intéresse donc plutôt l’histoire de l’Église byzantine. L’orthodoxie est défendue contre le monothélisme par Sophronios de Jérusalem (mort en 638) et Maxime le Confesseur (582 env.-662). Celui-ci, influencé par le pseudo-Denys, expose dans son Livre ascétique une ascèse plus sereine que celle de Jean Climaque; on peut rattacher à son école Anastase le Sanaïte. Au siècle suivant, Jean Damascène (675 env.-754 env.), dans sa monumentale Source de la connaissance , dresse en face de l’iconoclasme un exposé systématique de la foi orthodoxe qui paraîtra définitif aux chrétiens de Byzance et qui met comme un point final à la dogmatique grecque. C’est encore à un moine et à un adversaire de l’iconoclasme, Théophane de Sygriana (mort en 817), que l’on doit une Chronographie célèbre et très tôt traduite en Occident; en l’absence d’autres sources historiques, elle nous est précieuse par l’ampleur de son information.
Mais l’influence monastique se fait sentir plus encore dans le domaine de l’hymnologie. Bien que le kontakion soit encore cultivé, notamment par Joseph l’Hymnographe et l’école sicilienne, il est progressivement évincé par un genre nouveau apparu au VIIe siècle, le canon , composition formée de plusieurs « odes » à strophes courtes, et dont le caractère n’est plus narratif ou dramatique comme dans le kontakion , mais purement lyrique. Chez le plus ancien maître connu du genre, André de Crète (660-720), Syrien d’origine, et auteur du Grand Canon de deux cent cinquante strophes, on sent encore l’influence de Romanos. Le canon reçoit sa forme définitive au siècle suivant, dans deux écoles d’hymnographes: celle de Syrie avec Jean Damascène et son frère Cosmas de Maïouma et celle du Stoudios, le grand couvent constantinopolitain, avec Théodore le Studite (759-826), connu aussi comme polémiste et écrivain ascétique, son frère Théodore et Théophane Graptoï (775-844 et 778-845). Leurs œuvres forment la base des livres liturgiques actuels. Ce bouleversement de l’hymnologie traditionnelle s’explique, non seulement parce que le canon permet de varier le rythme et par conséquent la mélodie, mais aussi par un souci de plus grande précision dogmatique dans le texte de l’office. Cette précision a pour rançon une certaine impersonnalité de style.
Renaissance des lettres (843-1025)
Avec la dynastie macédonienne commencent pour les lettres byzantines des temps meilleurs, annoncés dès la fin de la période précédente par la réorganisation de l’Université sous Théophile, puis sous Bardas, ministre de Michel III. C’est alors seulement que, dans l’Empire en pleine expansion, Constantinople devient vraiment la capitale intellectuelle. Elle le doit surtout à deux personnages exceptionnels et aux cercles de lettrés réunis autour d’eux. Le premier est le patriarche Photius (820 env.-891) qui, bien plus qu’un homme d’Église, fut un érudit à la curiosité universelle. En tant qu’écrivain, il est surtout connu pour son Myriobiblion ou Bibliothèque , qui est en fait un ouvrage collectif: c’est le recueil des comptes rendus des livres, très divers, lus par les membres de son cercle. Son disciple, l’empereur Léon VI le Philosophe (866-912), fut comme lui un érudit, un mécène et un animateur. Mais son fils, l’empereur Constantin VII Porphyrogénète (905-959), le fut bien plus encore. Savant en toutes choses, polyglotte, artiste, poète même, il régna moins sur Byzance que sur une équipe de lettrés avec laquelle il édifia un vaste monument encyclopédique, dont la plus grande partie a malheureusement disparu. Ce qui nous en reste, notamment le traité De l’administration de l’Empire , le traité Des thèmes , surtout le Livre des cérémonies , est très précieux pour l’histoire des institutions et de la société byzantines. C’est certainement à l’impulsion donnée par Contantin VII à la compilation érudite que l’on doit des ouvrages comme le Lexique de Suidas (ou la Souda) , la nouvelle Anthologie , réunie vers 900 par le poète Constantin Képhalas et dont une seconde édition sera l’Anthologie palatine , ou le vaste recueil hagiographique de Syméon Métaphraste (Xe-XIe s.), qui rhabille de rhétorique moralisante les anciennes vies de saints.
L’histoire aussi subit l’influence de Constantin VII; mais c’est parce que celui-ci met les historiens au service de la propagande impériale: c’est le cas des « continuateurs de Théophane », parmi lesquels Constantin VII lui-même, auteur d’une Vie de Basile Ier , et de Joseph Génésios, qui écrit quatre Livres des Rois (de Léon V à Basile Ier); leur objectivité est évidemment sujette à caution. À la fin du Xe siècle, Léon le Diacre (né en 950), dans ses dix livres qui vont de 959 à 976, fait preuve d’une impartialité et d’une intelligence qui sont d’un véritable historien; son style fleuri et compliqué est imité d’Agathias. Sous le règne de Michel III, on trouve encore une chronique très représentative du genre, celle de Georges Hamartôlos ou Georges le Moine. Mais, après lui, la chronographie tend à se rapprocher de l’histoire parce qu’elle cesse d’être un genre monastique.
L’Église des IXe-Xe siècles, après la victoire des moines orthodoxes sur le haut clergé iconoclaste, tend, en effet, à se replier intellectuellement sur elle-même. Les lettres profanes n’entrent plus guère dans les couvents, où l’on cultive de plus en plus la théologie mystique. Le principal maître de cette époque est Syméon le Nouveau Théologien (949-1022), dont la mystique entièrement vécue rejette tout apport intellectuel autre que l’Écriture (Catéchèses, Chapitres théologiques ). L’hymonographie est surtout vivante dans l’Italie grecque (école de Grottaferrata), qui est en retard sur la capitale. En revanche, l’hagiographie profite toujours de la vigoureuse impulsion que lui ont donnée dès le VIIIe siècle les persécutions iconoclastes. Mais elle se teinte volontiers de romanesque et de fantastique: certaines biographies sont de purs romans, comme la Vie de saint Théodore d’Édesse, la Vie de saint Léon de Catane, et surtout la Vie de saint André le Fou par le prêtre Nicéphore (début du Xe s.) qui est même un roman d’anticipation, car on y trouve un étonnant récit de la fin du monde.
On doit enfin signaler à cette époque la naissance d’une littérature populaire, favorisée par l’effacement de la littérature monastique, et aussi par les exploits militaires des souverains macédoniens, car elle se manifeste surtout par les chansons acritiques , sortes de cantilènes épiques célébrant les exploits des héros de la frontière, les acrites . Elles forment plusieurs cycles rattachés aux grandes familles de la noblesse militaire et provinciale. Mais celles qui nous sont parvenues, constamment transformées au cours des âges, sont aujourd’hui très difficiles à dater.
L’âge d’or (1025-1204)
Au point de vue de la culture, le « siècle des Comnènes » commence en fait avec le déclin de la dynastie macédonienne, après la mort de Basile II (1025); durant le long règne du plus grand souverain byzantin, sorte de moine-soldat peu ami des lettres, Byzance subit une éclipse intellectuelle. Après lui, la noblesse civile accède au pouvoir, et avec elle grandit l’influence de la bourgeoisie lettrée, dont Michel Psellos est le principal représentant. C’est en vue d’ouvrir plus largement aux lettrés les grandes carrières administratives que Constantin IX réorganise une fois de plus l’Université, dont il confie la direction à Michel Psellos, avec le titre de « consul des philosophes ». À côté de l’Université fonctionne l’école patriarcale, qui forme les futurs cadres de la hiérarchie ecclésiastique aux études profanes avant de leur dispenser un enseignement proprement religieux.
Un nouvel humanisme
La littérature de ce temps a donc pour base une culture générale plus profonde et mieux équilibrée, plus directement reliée aux sources antiques que celle du siècle précédent: c’est le début d’un nouvel humanisme, que favorisent encore au XIe siècle les rapports multipliés avec l’Occident latin. Sous les Comnènes, pourtant issus de la noblesse militaire, la Cour deviendra, non plus un foyer d’érudition comme sous Constantin VII, mais celui d’une culture plus créatrice et plus artiste qu’à l’époque macédonienne. La différence se mesure bien au style des écrivains de l’une et l’autre période: au lieu de chercher à prouver son savoir par une langue très travaillée et chargée de termes rares, on cherche à se conformer au canon d’un atticisme rénové. En ce faisant, d’ailleurs, on s’éloigne encore davantage de la langue parlée, ce qui correspond à la tendance fortement aristocratique de la société des Comnènes.
Le début de cette époque est dominé par la puissante personnalité de Michel Psellos (1018-1078), petit bourgeois parvenu aux plus hautes charges, érudit universel dans la grande tradition des lettrés byzantins, mais surtout passionné de rhétorique et de beau style: c’est lui qui, par l’étude appronfondie de Platon et des orateurs de toutes les époques, a mis au point une nouvelle prose d’art, au rythme réglé par des lois sévères, au vocabulaire extrêmement riche, qui s’affinera encore sous les Comnènes. Psellos est aussi à l’origine de la renaissance de la philosophie byzantine, et particulièrement du platonisme, car il rêva d’unifier l’ensemble des connaissances humaines en un schéma platonicien, en se servant d’ailleurs de la logique d’Aristote, qui profita donc lui aussi de ce renouveau philosophique. Le mouvement s’amplifia au XIe siècle avec des platoniciens comme Jean Italos, Michel Italikos, Sotérikos Panteugénos qui soutint le nominalisme, et des commentateurs d’Aristote comme Michel d’Éphèse, Eustrate de Nicée, qui fut traduit en latin. Les efforts de cette école pour donner au dogme une interprétation rationnelle ont contribué à la naissance de la scolastique occidentale, mais à Byzance ils furent mal vus du clergé et des Comnènes eux-mêmes, qui avaient besoin de l’appui de l’Église. Jean Italos et Eustrate furent condamnés pour hérésie.
Il n’en existe pas moins, dans l’Église d’alors, un courant très favorable à la culture profane, surtout chez les hauts prélats: tels le patriarche Jean Xiphilin (1010 env.-1075 env.) qui appliqua la philosophie à l’étude du droit et dont les travaux ont eu une grande influence sur l’école de Bologne, les archevêques Théophylacte d’Achrida (mort vers 1108), Eustathe de Thessalonique (mort vers 1198), bien connu pour ses commentaires des auteurs classiques, ou Michel Acominate (1140-1220). Le monde monastique, lui, continue à se cantonner dans la théologie mystique, dont les principaux maîtres sont alors le Stoudite Nicétas Stéthatos (1000 env.-après 1050), disciple et biographe de Syméon le Nouveau Théologien, et, au XIIe siècle, Callistos Cataphygiotis, déjà proche de l’hésychasme.
La renaissance de l’atticisme au XIe siècle ainsi que la vie de cour fort brillante sous les Comnènes font fleurir plus que jamais les divertissements de lettrés et aussi l’éloquence d’apparat; Psellos excella notamment dans l’oraison funèbre. La mode est aux discours fictifs, comme l’Éloge du chien de Nicéphore Basilakis (XIIe s.) ou la Prosopopée de Michel Acominate, qui est un procès entre l’âme et le corps devant un tribunal d’ascètes. On se s’étonnera pas de voir en honneur l’épigramme, la poésie didactique ou de circonstance avec Constantin Stilbès (XIe-XIIe s.) voire l’épopée pseudo-homérique avec les Antehomerica Homerica et Posthomerica de Jean Tzétzès (1120 env.-1180 env.), curieux personnage de poète famélique qui fut aussi un philologue d’une prodigieuse éruditon. C’est aussi le divertissement d’un érudit, mais non d’un homme d’esprit, que le roman anonyme de Timarion (milieu du XIe s.), pastiche ou plutôt caricature de Lucien.
De grands historiens
Le genre historique n’a jamais eu plus d’éclat que sous les derniers Macédoniens et les Comnènes; il est presque toujous cultivé par de hauts personnages ou des gens qui ont vu de très près les événements tel Michel Attaliate, qui écrit l’Histoire des années 1034-1079 dans un style fleuri et pompeux qui sent encore le siècle de Constantin VII. Avant lui, Michel Psellos avait écrit vers 1060 une Chronographie d’une grande valeur littéraire, remarquable par le choix qu’il a su faire des événements essentiels, la pénétration psychologique et l’art des portraits. Nicéphore Bryennios (1062 env.-1138), gendre d’Alexis Ier, a laissé une Histoire inachevée des années 1070-1074, très bien informée, dans un style sec consciemment imité de Xénophon. Sa femme, Anne Comnène est le meilleur historien du XIIe siècle (1083-1148), avec son Alexiade , œuvre empreinte d’une piété familiale exemplaire. Son récit a été continué par deux anciens secrétaires impériaux: Jean Kinnamos (1143 env.-après 1183) dont l’Epitomê du règne de Manuel Ier s’intéresse un peu trop exclusivement aux événements militaires, et Nicétas Choniatès (mort en 1210), historien profond, objectif, capable de grandes vues d’ensemble et assez porté au style oratoire.
La chronographie, en tant que genre distinct de l’histoire, ne dépasse pas le siècle des Comnènes. Elle n’est d’ailleurs plus le monopole des moines: Jean Skylitzès (mort à la fin du XIe s.), qui continue Théophane à partir de 811, est un haut fonctionnaire. On essaie aussi de varier le genre avant de l’abandonner définitivement. Jean Zonaras (mort en 1050) donne à son Epitomê l’ampleur d’une histoire universelle. Michel Glykas (XIIe s.) truffe sa Chronographie de digressions sur la théologie ou l’histoire naturelle. Constantin Manassès (première moitié du XIIe s.) rédige la sienne en vers politiques (vers de quinze syllabes), ce qui lui assure d’emblée un grand succès populaire; il a même été traduit en slave.
La littérature populaire
C’est en effet vers le XIe siècle que la littérature populaire naissante trouve son instrument d’expression dans un vers de quinze syllabes dont le rythme est fondé sur le retour d’un accent tonique (comme dans l’ancienne poésie du kontakion) , donc conforme à l’état de la langue parlée. On le trouve employé dans des contes fantastiques empruntés aux folklores orientaux, comme Syntipas qui est le Sindbad des Mille et Une Nuits ou le Stéphanitès et Ichnélatès qui est d’origine bouddhique. Ce vers est celui de l’« épopée » byzantine, celui aussi de la satire illustrée par Théodore Prodromos (1115-1166).
Qu’en fut-il d’un autre genre populaire, dont il ne nous est rien parvenu: le théâtre? Nous n’en savons rien. Il a existé à Byzance un théâtre de mimes, fort licencieux (« mime » est le nom couramment donné aux prostituées) et fort réprouvé des prédicateurs, et un embryon de théâtre religieux dont on a conservé quelques traces. Le seul ouvrage dramatique qui nous ait été transmis est le Christ souffrant , en vers iambiques, qui met en scène la Passion, avec des réminiscences de Romanos. Longtemps attribué à saint Grégoire de Nazianze, il est reconnu aujourd’hui comme un ouvrage du Xe-XIe siècle.
Une période de transition (1204-1282)
L’intermède réparateur que constitue l’Empire de Nicée n’a pas été nuisible aux lettres byzantines. À peine installés, les Lascaris se préoccupèrent de reconstituer l’Université dispersée, les bibliothèques pillées, non seulement dans leur capitale, mais aussi en province: une certaine décentralisation caractérise donc leur politique culturelle, à l’inverse des empereurs de Byzance.
En ce siècle de transition, les lettrés réfugiés à Nicée y apportent le goût néo-attique des Comnènes, leur passion de rhétorique, leur conception très évoluée de l’histoire; chez les moines, l’évolution de la mystique vers l’hésychasme s’accentue. Mais on voit aussi paraître des éléments nouveaux qui annoncent l’âge des Paléologues et notamment un renouveau d’intérêt pour les sciences exactes et les sciences de la nature. La controverse avec les Latins fait renaître la théologie, qui prend un caractère nationaliste marqué, laissant le champ libre à de plus hardies spéculations néo-platoniciennes.
Comme aux siècles précédents, l’orientation littéraire est donnée par l’influence de grands érudits polygraphes. Deux sont particulièrement importants. Le premier est Nicéphore Blemmydès (1197-1272), moine et précepteur de Théodore II, dont il chercha à faire un philosophe couronné sur le modèle qu’il propose dans sa Statue royale . Il s’occupa de promouvoir les études aristotéliciennes, entre autres par sa Physique abrégée qui servit de manuel de base même en Occident. Son élève, l’empereur Théodore II (1222-1258), a été le plus cultivé des empereurs grecs, à la fois philosophe, mathématicien, humaniste, avec une touche de romantisme que révèle sa correspondance. Il est d’ailleurs mal connu, car son œuvre est en grande partie inédite.
L’Empire de Nicée a eu son historien, le grand logothète Georges Acropolite (1217-1282) très bien informé et d’un réalisme politique qui le porta à travailler pour l’union avec Rome. En cela, il s’opposait à des prélats humanistes comme Jean Apokavkos (mort vers 1230) ou Georges Bardanès. Dans le domaine plus proprement littéraire, la poésie d’inspiration et de forme populaire gagne du terrain, par exemple avec Nicolas Irénikos, auteur d’un Épithalame sur le mariage de Jean III, et avec les premiers romans de chevalerie, dont l’apparition coïncide avec l’occupation franque. Quelles que soient les influences, très controversées, qu’exerce sur ce genre nouveau le roman occidental, l’élément merveilleux y prédomine d’une manière bien orientale sur l’élément héroïque. À cet égard, le roman anonyme de Belthandros et Chry-santza est particulièrement intéressant.
La dernière renaissance (1282-1453)
On pourrait s’attendre à ce qu’à la lente décomposition de l’État byzantin à partir de la mort de Michel VIII (1282) corresponde une décadence intellectuelle. Il n’en est rien. En réalité, la haute culture qui est de tradition dans la dynastie des Paléologues, la nouvelle Université réorganisée par Manuel II et qui attirera les étudiants italiens, le prestige du patriarcat et de son école, une décentralisation imposée par le morcellement du domaine byzantin et qui fera de Thessalonique et surtout de Mistra des centres de culture, le grand mouvement spirituel de l’hésychasme enfin, tout cela contribue à maintenir la vitalité des lettres byzantines; et plus encore, peut-être, les contacts plus fréquents avec l’Occident et l’épanouissement d’un esprit de liberté grâce à la disparition de la contrainte exercée par un État puissant.
Un esprit de liberté
L’impulsion est donnée dès le début de cette période par une génération de grands professeurs et de hauts fonctionnaires – souvent les deux à la fois – tels que Georges Pachymère (1242 env.-1310 env.), qui compila Aristote dans sa Philosophie et, dans ses Récits historiques , continua Georges Acropolite dans un sens antilatin; le grand philologue Maxime Planude (1260 env.-1310 env.), l’éditeur de l’Anthologie palatine , qui fit connaître aux Grecs saint Augustin et peut-être saint Thomas; Nicéphore Choumnos (1255 env.-1327), philosophe éclectique qui chercha à concilier la physique et la cosmologie des Anciens avec la doctrine chrétienne; et surtout le grand logothète Théodore Métochite (1269-1332), savant curieux de tout, dont l’œuvre très vaste est en grande partie inédite. Il est connu d’abord comme restaurateur de l’astronomie (Introduction à la science astronomique ); mais il fut aussi un poète assez personnel. Son disciple Nicéphore Grégoras (1295-1360), adversaire malheureux de l’hésychasme, fut aussi un homme de grand savoir et un astronome, qui préconisa avec deux siècles d’avance la réforme du calendrier (De la date de Pâques ); Grégoras, en plus, est historien. Son Histoire romaine en trente-sept livres, désordonnée mais de vaste conception, est importante pour l’histoire de l’hésychasme. Toute cette école est divisée par une querelle de rhéteurs – c’est l’époque où la rhétorique envahit tout – entre les tenants de l’atticisme (ou de ce qu’on prend alors pour l’atticisme) et de l’imitation des Anciens, tels que Choumnos, et les « Modernes » comme Métochite, dont la manière, semble-t-il, était plus exubérante et passionnée.
L’influence de ces grands lettrés, au XIVe siècle, est plus heureuse dans le domaine scientifique que dans le domaine littéraire. Les ouvrages qui ont le plus d’intérêt à ce dernier point de vue sont, en poésie, les Hymnes à la Mère de Dieu , de Nicéphore Callistos Xanthopoulos (mort vers 1350), connu aussi comme historien ecclésiastique; en prose, l’Histoire de l’ex-empereur Jean VI Cantacuzène (1292 env.-1383 env.), dont la relative simplicité de style est rare pour l’époque. Le mouvement scientifique est représenté par des philologues comme Thomas Magister, des astronomes comme Théodore Méliténiote, des médecins: au XIIIe siècle Nicolas le Myrepse, dont le traité Des médicaments servit de codex à Paris jusqu’au XVIIIe siècle; au XIVe, Jean l’Actuaire, précurseur de la psychiatrie (Sur les effets normaux de l’esprit animal et sur son comportement ).
Un dernier éclat
L’histoire religieuse du XIVe siècle est, comme on le sait, dominée par le mouvement hésychaste, qui appartient à l’histoire ecclésiastique plutôt qu’à l’histoire littéraire. On notera cependant que la querelle soulevée par cette doctrine, purement mystique et monastique à l’origine, eut de profonds échos dans le monde intellectuel comme dans le monde politique: au grand théologien de l’hésychasme, Grégoire Palamas (1296 env.-1360 env.), s’opposèrent non seulement des théologiens officiels comme Manuel Calécas, mais des humanistes comme Nicéphore Grégoras; d’autre part, un autre grand humaniste, Nicolas Cabasilas (mort en 1371), soutint l’hésychasme avant de le dépasser en un mysticisme platonisant qu’il voulait compatible avec la vie séculière (Les Sept Paroles de la vie dans le Christ ).
Au début du XVe siècle, l’Université de Manuel II, où l’enseignement a désormais un caractère humaniste, jette un dernier éclat; mais le principal centre intellectuel grec est Mistra, où enseigne Georges Gémiste Pléthon (mort vers 1451), le philosophe le plus hardi que Byzance ait connu. Ce platonicien radical conçut le curieux projet de reconstituer autour du despotat de Morée un État grec dont il prétendait exclure la tradition romaine et la tradition chrétienne, en lui donnant une organisation sociale à la fois communautaire et hiérarchisée comme celle de la République de Platon, et une religion polythéiste. Ses attaques contre Aristote déterminèrent une abondante controverse, à laquelle prirent part notamment le futur patriarche Georges Scholarios (mort en 1468), un des meilleurs spécialistes byzantins d’Aristote, qui connut même fort bien la scolastique latine, et le futur cardinal Jean Bessarion (1390 env.-1472), élève de Pléthon, platonicien tolérant qui essaya de prouver que les deux systèmes étaient complémentaires.
Les derniers historiens de Byzance sont contemporains de sa fin tragique. Deux d’entre eux l’ont racontée en patriotes: ce sont Doukas (Chronique des années 1341-1462) et Georges Phrantzès (1401-1478), ancien secrétaire de Manuel II (Chronique des années 1413-1477); tous deux, surtout le premier, écrivent dans une langue proche de la langue parlée. Laonicos Chalcocondyle, au contraire, prend pour centre de son Histoire des années 1298-1463 le peuple turc, et Critoboulos d’Imbros, en son Histoire de Mahomet II , se fait l’historiographe du vainqueur; tous deux – chose sans doute significative – écrivent dans une langue archaïsante.
La littérature romanesque en langue vulgaire semble – pour autant du moins qu’on en puisse dater les productions – abondante au XIVe et au XVe siècle. Dans le roman de Callimaque et Chrysorrhoé , écrit entre 1310 et 1340 par un neveu de Michel VIII, Andronic Paléologue, on retrouve les thèmes plutôt érotiques qu’héroïques des premiers romans byzantins; mais, en général, l’influence occidentale se fait de plus en plus sentir dans les œuvres de ce genre. Ainsi l’auteur de Phlorios et Platziaphlora ne fait qu’adapter la version toscane de Flore et Blanchefleur (fin du XIVe s.), et celui de l’Achilléide (début du XVe s.) connaît les romans de la Table ronde. Même le thème du Roman de Bélisaire est venu d’Occident. Il faut enfin signaler, à mi-chemin entre l’histoire et la chanson de geste, une chronique en vers politiques, sans valeur littéraire du reste, la Chronique de Morée , récit de la conquête franque du Péloponnèse et de la vie de la principauté jusqu’en 1292; elle a été rédigée par un « gasmoul », demi-franc et demi-grec.
3. L’art
Les témoignages artistiques occupent une place de premier plan dans l’héritage laissé par Byzance. Pourtant, la documentation conservée est très lacunaire et elle n’est pas représentative de l’ensemble de la création artistique. Les monuments de Constantinople ont beaucoup souffert des destructions, plus que ceux des provinces et de la périphérie du monde byzantin. En outre, l’architecture profane reste très mal connue, alors que les édifices religieux sont conservés en grand nombre. Enfin, les œuvres d’arts somptuaires (ivoires, émaux, orfèvrerie, manuscrits, etc., souvent transportés en Occident à l’époque des croisades) offrent un champ d’investigation beaucoup plus vaste que les réalisations monumentales. Le matériel conservé ne représente donc qu’une faible partie de la production artistique de Byzance. L’étude de celle-ci souffre, en outre, du petit nombre d’œuvres datées avec certitude et localisées avec précision. Si le rôle de Constantinople fut, sans nul doute, primordial dans l’élaboration de l’art byzantin et dans sa diffusion, il faut se garder d’attribuer à la capitale toutes les œuvres de bonne qualité. Là, comme ailleurs, plusieurs niveaux de production artistique coexistèrent, en fonction du milieu social des commanditaires.
C’est au IVe siècle, avec la Paix de l’Église et le transfert de la capitale de l’Empire romain sur les rives du Bosphore, que commence l’histoire de l’art byzantin, art qui doit certaines de ses caractéristiques les plus essentielles aux structures politiques et religieuses de cet empire autocratique et chrétien. Tout au long de l’histoire de Byzance, art impérial et art religieux resteront étroitement liés, conséquence de la conception théologique du pouvoir: l’empereur tient son autorité de Dieu, qu’il représente sur terre, et la majesté terrestre n’est que le reflet de la majesté céleste. Ainsi l’art chrétien, qui n’était au IIIe siècle qu’une branche modeste de l’art du Bas-Empire romain, acquiert-il, au IVe siècle, un caractère public, officiel: il bénéficie alors de l’appui et de la richesse des empereurs et des classes dominantes de la société. L’époque protobyzantine (IVeVIIe s.), transition entre l’Antiquité et le Moyen Âge, réalise la synthèse du christianisme et de la tradition gréco-romaine; c’est au VIe siècle que se dégagent, dans tous les domaines, les caractères spécifiques de l’art byzantin et que se perfectionnent les différentes techniques. Pendant les « siècles obscurs » (VIIe-première moitié du IXe s.), qui suivent l’effondrement de l’empire de Justinien, l’activité artistique s’est incontestablement ralentie, encore que ce déclin n’ait pas été aussi général qu’on le pensait jusqu’à ces dernières années. Le rétablissement du culte des images, en 843, et une situation politique restaurée favorisent un nouvel essor de l’activité monumentale et artistique sous les empereurs macédoniens (867-1056): la « renaissance macédonienne ». Cet essor atteint son apogée au XIe siècle et dans la première moitié du XIIe, phase peut-être la plus accomplie, la plus raffinée de l’art de Byzance, tandis que, dans la seconde partie du XIIe siècle, des innovations capitales se produisent, qui portent en germe les transformations ultérieures. Après la coupure de la domination latine (1204-1261), pendant laquelle l’évolution se poursuit hors des frontières de l’Empire, une ultime Renaissance, culturelle et artistique, s’épanouit sous les Paléologues (1261-1453) et l’art de Byzance rayonne alors sur un très vaste territoire.
L’architecture
Urbanisme et architecture civile
La cité paléochrétienne était l’héritière, sans altération majeure, de l’urbanisme antique (cf. art PALÉOCHRÉTIEN). Mais à partir du début du VIIe siècle, dans les Balkans, en Grèce, en Asie Mineure, une rupture se produit, en liaison avec les graves périls qui menacent l’Empire (invasions perses, slaves et arabes).
De nombreuses villes sont abandonnées, les autres voient leur périmètre considérablement rétréci (Éphèse, Sardes, Milet, Pergame). Des villes sont créées sur des points facilement défendables (Monemvasie), parfois pour une brève période (Arif en Lycie?). Seuls se maintiennent de très grands centres urbains comme Thessalonique, Smyrne et Constantinople.
À partir de la seconde moitié du IXe siècle, un certain renouveau de l’habitat se manifeste avec l’apparition de bourgs fortifiés. Le mouvement s’amplifie entre les Xe et XIIe siècles. Les « villes » se développent alors, débordant parfois de leurs murailles. Artisanat et commerce sont florissants si l’on en croit les sources (Nicolas Choniate, Anne Comnène, Benjamin de Tudèle, Idrisi) et certaines découvertes archéologiques (ateliers de verriers et de potiers à Corinthe par exemple). Au XIIIe siècle, marqué par l’occupation latine de Constantinople, certaines régions d’Asie Mineure semblent relativement prospères (empires de Nicée et de Trébizonde). Aux XIVe-XVe siècles, la ville de Mistra, construite sous la protection de la forteresse de Villehardouin, offre un dernier exemple de ville byzantine avec son kastro, sa ville moyenne et ses faubourgs.
Dans ces gros bourgs qui se développent de manière anarchique, par quartiers, autour d’églises près desquelles les morts sont désormais admis, s’installe un habitat où la pauvreté du matériau le dispute à l’irrégularité des plans. Des maisons ont été mises au jour à Thèbes et à Athènes; certaines présentent encore une cour médiane autour de laquelle s’articulent des pièces indifférenciées. Une maison campagnarde, faite d’une pièce oblongue accolée à deux pièces de dimensions variées, a été découverte à Armatova en Élide. Mais elle ne permet guère de se faire une idée de l’habitat rural. À Corinthe, une maison du Xe siècle, accolée à la fontaine Pirène, offre un luxueux triklinos (salle à manger) séparé en deux parties par une arcade triple. À Pergame, les maisons s’articulent le plus souvent autour d’une cour, mentionnée dans les actes athonites. Tous ces bâtiments sont pourvus de nombreuses jarres de stockage (grains, huile). Les maisons sont le plus souvent pauvrement bâties, en bois et en boue plus souvent qu’en pierre et en brique, cloisonnées en planches (descriptions données dans un acte inédit du monastère d’Iviron en 1104). Certes, la capitale et les grands centres offraient, d’après les sources, des bâtiments prestigieux (constructions des empereurs iconoclastes au Grand Palais ; aménagement du Palais des Blachernes; palais de fantaisie décrit dans l’épopée de Digenis Akritas). Le palais de Tekfur Saray à Constantinople, ceux de Bryas (dans l’actuelle ville de Maltepe dans le golfe d’Izmit), de Trébizonde et de Nymphaion (près d’Izmir) sont peut-être à rapprocher, par leurs corps de logis allongés, du palais des Despotes à Mistra. Cette ville (et, à un moindre titre, Geraki) offre un habitat bien étudié. Les maisons, souvent perpendiculaires à la pente, sont toutes pourvues d’un étage et le rez-de-chaussée est enterré du côté de la montagne. Les plus riches sont dotées d’une terrasse (héliakon) donnant sur la vallée et de tours. La famille résidait à l’étage dans un ample triklinos pourvu d’une cheminée.
L’habitat byzantin est trop mal connu pour que l’on puisse établir un lien entre lui et celui qui lui succède dans les îles (Thasos, Chios, Antiparos, Kimolos) et, à date plus récente, dans les Balkans.
Architecture religieuse
Durant l’époque proto-byzantine (IVe-VIIe s.), l’édifice religieux courant fut la basilique à charpente. Mais déjà les architectes de Justinien avaient essayé de couvrir d’une ou de plusieurs coupoles des édifices allongés de plan basilical. L’exemple le plus célèbre, mais le plus aberrant également, est celui de Sainte-Sophie où les demi-coupoles viennent épauler à l’est et à l’ouest une coupole d’un diamètre longtemps insurpassé (32 m), tandis qu’au nord et au sud les arcs porteurs, de l’épaisseur d’un simple mur, n’étaient pas épaulés dans leur partie haute. Ce même déséquilibre devait s’observer dans l’état primitif de Sainte-Irène: alors que les arcs porteurs sont bien épaulés par un berceau (et le cul-de-four de l’abside) à l’est et par deux à l’ouest, ils étaient libres au nord et au sud. Ce manque d’homogénéité fut réparé lorsque, au milieu du VIIIe siècle, on refit les parties hautes de l’édifice. On reconstruisit au nord et au sud deux berceaux qui avaient la largeur des collatéraux; à l’ouest, une calotte remplaçait les deux berceaux originels. Ce dernier parti, calotte occidentale et coupole (fortement décalée vers l’est), semble avoir été adopté pour la basilique B de Philippes, construite peu après Sainte-Sophie. À Saint-Jean-d’Éphèse, dont Procope souligne la ressemblance avec l’Apostoleion disparu de Constantinople, le plan cruciforme a permis d’épauler la coupole centrale par quatre coupoles au nord, au sud, à l’est et à l’ouest, ce bras recevant, en raison de sa longueur, une coupole supplémentaire. À Paros, la Katapoliani offre une version moins sophistiquée, provinciale, de couverture cruciforme: la coupole centrale est épaulée par des berceaux. Qasr-Ibn-Wardan, enfin, en Syrie du Nord, qui témoigne d’évidentes influences constantinopolitaines, fournit, dès l’époque de Justinien, le plan trapu qui a prévalu aux VIIIe et IXe siècles.
L’architecture de ces deux siècles, qui correspondent à l’iconoclasme et à une situation extrêmement difficile de l’Empire, est très mal connue. Peu d’édifices sont préservés. Citons Sainte-Sophie de Thessalonique, dont les dimensions sont importantes (43 m 憐 35 m); elle offre une coupole reposant sur quatre épais berceaux qui retombent sur des piles exceptionnellement larges. Celles-ci ont pour effet de déporter vers le nord et le sud les collatéraux et de les excentrer par rapport aux annexes du sanctuaire (prothèse et diaconicon) qui apparaissent alors et constituent désormais l’un des traits permanents de l’architecture byzantine. L’église, pourvue de tribunes, était l’église épiscopale de Thessalonique. De dimensions plus réduites et sans tribunes, le catholicon (église conventuelle) du monastère de la Dormition à Nicée (fin du VIIe s.) est de conception semblable: les piliers porteurs repoussent aussi les nefs latérales vers l’extérieur, mais les annexes du sanctuaire, exceptionnellement larges, rachètent le décalage. D’autres édifices (Saint-Clément d’Ankara ou bien Sainte-Sophie de Bizye) paraissent appartenir au même groupe, mais leur date n’est pas déterminée. Deux églises lyciennes, Saint-Nicolas de Myra (VIIIe s.) et Dere Agzi (seconde moitié du IXe s.), complètent ce maigre corpus.
Vers la même époque commence à Constantinople un nouvel essor de l’architecture religieuse, lié à celui des couvents dans lesquels l’aristocratie, à commencer par les familles régnantes, place ses capitaux et auxquels elle demande de prier pour ses disparus. Sont encore bâties des basiliques à coupole, dont Nicée et Myra fournissent de bons prototypes et qui comprennent un carré central (aux angles, de gros piliers d’angle; entre eux, sur trois côtés, deux colonnes) ceinturé sur trois côtés par les deux nefs et le narthex: l’église de la Pammakaristos (XIVe s., Fethiye Camii), Gül Camii (Sainte-Théodosie?, env. 1100-1150), Saint-André in Krisei (fin du XIIIe s., Koca Mustafa Pa ずa Camii), l’église sud de Fenari Isa Camii (env. 1300) en sont de bons exemples. Mais apparaît un nouveau plan, pour la première fois attesté en 880, lorsque Basile Ier (867-886) fait édifier dans son palais la Nea, surmontée de cinq coupoles, celui de la croix grecque inscrite. Il peut être simple lorsque les supports se réduisent à quatre éléments: colonnes (Saint-Sauveur in Chora [Karye Camii], première église des Comnènes, env. 1077-1081, et Saint-Jean in Trullo [Ahmed Pa ずa Camii], XIIe siècle), ou équerres maçonnées (Atik Mustafa Pa ずa Camii, Xe-XIe siècle; Kalenderhane Camii, fin du XIIe siècle, Panayia Kyriotissa [?]). Il peut être composé, lorsque les supports sont au nombre de six, par dédoublement des supports orientaux. C’est le cas dans les églises de Constantin Lips (Fenari Isa Camii, 908), du Myrelaion (Bodrum Camii, env. 930), du couvent du Pantocrator (églises nord et sud, Molla Zeyrek Camii, 1118-1124), du Christ Pantepoptes (Eski Imaret Camii, avant 1087). On trouve également des tétraconques comme la Kamariotissa de Chalki (première moitié du XIIe s.?) où est attestée l’utilisation de la trompe d’angle, comme l’église du monastère de la Mouchliotissa (ou de la Panagiotissa, XIe s.).
Les églises sont souvent groupées comme Fenari Isa Camii ou Molla Zeyrek Camii. Ce second ensemble comprend une église sud, dédiée au Pantocrator (1118-1124), une église nord consacrée à la Vierge Eleousa (1118-1124) et, entre les deux, l’hérôon dédié à saint Michel, qui servit de mausolée à l’empereur Manuel Ier Comnène. Devant le narthex de l’église sud se trouvait un exonarthex qui était précédé d’un atrium avec deux phiales (annexes liturgiques). Ce monastère comprenait en outre une bibliothèque, un hôpital de cinquante lits et un hospice. En élévation, ces églises comprenaient parfois deux niveaux. Au Myrelaion, le niveau inférieur était occupé par une église funéraire, dans l’église de Constantin Lips, quatre chapelles avaient été aménagées sur le toit de l’église inférieure. Celles de l’ouest étaient reliées à celles de l’est par une coursive partiellement en surplomb. Les façades, particulièrement les absides, étaient animées par des niches et des arcatures. L’appareil était fait soit de moellons et de briques, soit de briques seulement.
En Asie Mineure, un assez grand nombre de monuments se dressent encore, indépendamment même des églises rupestres de Cappadoce, dont certaines – les églises à colonnes – atteignent un degré remarquable de monumentalité. Citons les églises de Bithynie (Triglye, Sige, Kur ずunlu, Iznik), de Sardes et du Latmos. Plus à l’est, évoquons les églises de Canli Kilisse (Cappadoce) et de Trébizonde. À Chypre, quelques églises (monastère de Saint-Chrysostome, env. 1090, proche de la Nea Moni de Chio; église du château de Saint-Hilarion, XIe s.) témoignent d’une forte influence constantinopolitaine.
Dans les Balkans et en Grèce, l’étude des monuments byzantins est beaucoup plus avancée et permet la constitution de séries plus assurées. On note la persistance du plan basilical avec, fréquemment, le maintien de la couverture en charpente (Protaton de Karyes, Zourtsa, Saint-Achillée de Prespa, Blachernes d’Arta). Mais très tôt apparaît le plan en croix grecque inscrite, avec des accents provinciaux très marqués à Skripou (où les berceaux nord et sud sont en forte saillie), construite en 873-874, par un certain Léon, protospathaire et propriétaire terrien dans cette région, et à Episkopi de Skyros (895). Comme à Constantinople, il y a un type simple, à quatre supports (Metamorphosis Sotiros à Athènes) et un type composé, à six supports, qui prévaut dans les catholica des couvents importants dont se couvre la Grèce du Xe au XIIe siècle (Panayia de Saint-Luc, Kaisariani, Hosios Meletios, Merbaka, Chonika, Ayia Moni). À la différence de la capitale, les compartiments d’angle sont souvent couverts en berceau et non d’une calotte ou d’une voûte d’arêtes.
La réussite la plus connue de cette architecture est celle où la coupole repose sur huit points d’appui auxquels la relient des trompes d’angle. On distingue un type insulaire, directement inspiré par la capitale (Nea Moni de Chio, 1042-1044) et un type continental où les nefs latérales sont doublées et où d’épais contreforts sont disposés par couples sur les flancs nord et sud (catholicon d’Hosios Loukas, env. 1011; Daphni, env. 1080). Une autre particularité régionale voit le jour à Mistra où l’Afendiko, érigée au début du XIVe siècle, présente la superposition d’un plan basilical (au rez-de-chaussée) et d’une couverture en croix grecque inscrite.
Des triconques, particulièrement au Mont-Athos (Lavra, début du XIe s., où les conques sont un ajout) et des tétraconques (Peristera, 871, et Saints-Apôtres d’Athènes, fin du Xe s.) complètent cet éventail de formes. À la souplesse des lignes constantinopolitaines s’oppose en Hellade une prédilection pour les surfaces rectilignes ou triangulaires. On retrouve toutefois un souci décoratif similaire fondé sur l’utilisation de la brique et de son opposition aux moellons de pierre. Mais il prend des aspects particuliers: les moellons, souvent soigneusement équarris, sont cernés sur leurs quatre côtés de briques qui peuvent être taillées et représenter des motifs coufiques, des lettres grecques, voire des signes christologiques.
Mosaïques et peintures murales
Le décor intérieur des édifices profanes ne nous étant pas parvenu, il ne sera question ici que d’art religieux. Dans les églises byzantines, mosaïques et peintures ont une signification particulière: loin d’être purement décoratives, ou même seulement didactiques (la « Bible des illettrés »), elles doivent exprimer la splendeur du royaume de Dieu, rendre présent et accessible le monde transcendant de l’Intelligible et fournir un cadre approprié à la liturgie.
L’époque protobyzantine
La mosaïque, par la somptuosité des coloris, la simplification du dessin et, surtout, le rôle joué par la lumière, convenait parfaitement à l’expression du surnaturel, et les artistes des Ve et VIe siècles en perfectionnèrent la technique pour en exploiter toutes les possibilités. Les monuments conservés à Thessalonique (rotonde Saint-Georges, Hosios-David, Saint-Démétrius) et à Ravenne (mausolée de Galla Placidia, baptistères des orthodoxes et des ariens, Saint-Apollinaire-le-Neuf, Saint-Vital, Saint-Apollinaire-in-Classe [cf. RAVENNE]) témoignent, avec quelques décors dispersés, à Pore face="EU Caron" カ (Yougoslavie), à Chypre et au Sinaï, de la variété des programmes mis en œuvre: sujets profanes, évocations paradisiaques, croix, images de majesté du Christ ou de la Vierge, compositions triomphales, scènes tirées de l’Ancien ou du Nouveau Testament, etc. Aucun thème n’est imposé, aucune règle fixe ne détermine l’emplacement des sujets dans l’église. À un style encore marqué par la tradition illusionniste hellénistique succède, au VIe siècle, un art plus hiératique, plus solennel, indifférent aux valeurs plastiques et spatiales, substituant le fond or au fond bleu et dématérialisant les figures. Les deux courants coexistent à Saint-Vital de Ravenne, tandis que la seconde tendance s’affirme dans les mosaïques un peu postérieures de Sainte-Catherine, au mont Sinaï.
L’essor du culte des images, au VIIe siècle, va favoriser la généralisation de ce style austère et réellement « iconique » (mosaïques de Saint-Démétrius à Thessalonique), tandis que, parallèlement, survit toujours la tradition illusionniste héritée de l’Antiquité (pavement du Grand Palais, mosaïque de la Présentation au temple de Kalenderhane Camii à Istanbul, peintures de Sainte-Marie-Antique à Rome). Au VIIe siècle, période si pauvre en témoignages artistiques, peuvent être attribués aujourd’hui (malgré des controverses persistantes) plusieurs décors peints de Cappadoce, qui témoignent de la richesse du répertoire byzantin disparu, ou connu dans d’autres régions de façon très fragmentaire, et révèlent des contacts parfois étroits avec les mondes copte, syro-mésopotamien, transcaucasien ou sassanide.
L’iconoclasme (726-843)
On connaît mal la décoration monumentale de la période iconoclaste: les œuvres conservées sont peu nombreuses, de datation souvent incertaine, et les sources écrites, émanant des seuls adversaires des iconoclastes, sont tendancieuses. La croix, seul motif chrétien maintenu, joue un rôle important dans le décor des églises, particulièrement dans l’abside (mosaïque de Sainte-Irène, à Constantinople, de la Dormition de Nicée et de Sainte-Sophie, à Thessalonique). L’attribution à l’époque iconoclaste de plusieurs décors provinciaux découverts en Asie Mineure (Cappadoce, Isaurie), en Grèce (Magne) et dans les îles (Naxos, Crète) demeure souvent conjecturale, même si elle paraît, dans certains cas, très vraisemblable. L’absence de toute figure humaine et la fréquence des images de la croix et des motifs décoratifs correspondent à une tradition protobyzantine, qui s’est perpétuée parfois, dans des régions reculées, après la fin de l’iconoclasme.
L’époque des Macédoniens et des Comnènes (IXe-XIIe s.)
À la suite de la crise iconoclaste, un système cohérent de décoration d’église, dont les principes de base resteront à peu près immuables, est élaboré et mis en place à Constantinople. Conçu pour le type architectural alors dominant (l’église en croix inscrite à coupole), il reflète les conceptions politico-mystiques contemporaines de l’Empire byzantin comme royaume chrétien idéal, reflet sur terre du royaume céleste. L’église, microcosme, symbolise l’univers chrétien gouverné par le Christ Pantocrator , antétype et modèle de l’Empire byzantin dirigé par le basileus autocrator . Autour du Christ, qui domine dans la coupole centrale (symbole du ciel), « inspectant par le regard la terre et en méditant la bonne organisation et le gouvernement » (Photius), s’ordonnent les différentes figures de la hiérarchie céleste: anges, prophètes, apôtres, Pères de l’Église et autres saints, la Vierge (rappel de l’Incarnation) occupant la voûte de l’abside. Cette hiérarchie de figures isolées pouvait être complétée par des scènes de la vie du Christ correspondant aux grandes fêtes liturgiques (cycle du Dodécaorton ). Ce programme iconographique fut mis en place à Constantinople dans plusieurs églises de la seconde moitié du IXe siècle, mais il n’en subsiste que quelques fragments à Sainte-Sophie, et c’est aujourd’hui dans les riches fondations monastiques du XIe siècle (Saint-Luc en Phocide, la Néa Moni de Chios, Daphni) qu’on en trouve les plus remarquables applications.
Ce système décoratif ne prévalut pas immédiatement dans toutes les provinces de l’Empire. Ainsi, en Cappadoce, continuat-on, jusqu’en plein Xe siècle, à décorer les églises, généralement de plan basilical, de cycles narratifs détaillés de la vie du Christ, se déroulant en frises continues sur la voûte et les parois de la nef, tandis que le Christ en gloire figure dans l’abside (églises dites archaïques). Le programme élaboré à Constantinople, qui s’imposera au XIe siècle, n’empêchera d’ailleurs pas le maintien de particularismes locaux.
La Cappadoce est aussi la seule province de l’Empire qui conserve toute une série de peintures murales des IXe et Xe siècles, période fort mal documentée par ailleurs (mosaïques de Sainte-Sophie de Thessalonique et de Sainte-Sophie de Constantinople). Parmi les œuvres de styles variés et de qualité inégale, se détachent, vers le milieu du Xe siècle, les remarquables peintures de la nouvelle église de Tokal face="EU Caron" チ, à Göreme, exemple unique, dans la décoration monumentale, du classicisme de la renaissance macédonienne.
Les témoignages artistiques du XIe siècle conservés à travers l’Empire sont beaucoup plus nombreux et leur style, dicté semble-t-il par Constantinople, devient plus homogène. Le courant qui connut le plus d’interprétations provinciales est un style hiératique, linéaire, que l’on qualifiait jadis à tort de monastique, d’oriental ou de populaire. Il est représenté par les peintures de la Panagia tôn Chalkéôn , à Thessalonique (1028), par les mosaïques et les fresques de Saint-Luc en Phocide, fondation probablement liée à une riche famille de propriétaires terriens de la région de Thèbes, en Béotie (4e décennie du XIe s.?), par les mosaïques de Sainte-Sophie de Kiev et de nombreux autres monuments, en Grèce, en Cappadoce, en Italie du Sud et à Venise. Un second courant, plus pictural, apparu un peu plus tard, connut également une grande diffusion. Les mosaïques de la Néa Moni à Chios, associées à Constantin IX Monomaque (1042-1055), en offrent un des premiers et des plus beaux exemples, caractérisé par l’utilisation savante et raffinée des couleurs, un modelé relativement élaboré et l’expression intense des visages. Les mosaïques (perdues) du narthex de la Dormition de Nicée (1065-1067) et certaines peintures, à Sainte-Sophie d’Ohrid, en Cappadoce (Karaba ず Kilise) ou à Chypre (Saint-Nicolas du Toit, près de Kakopétria) offrent des variantes du même style. Une tendance nouvelle apparaît, à la fin du XIe siècle, dans les mosaïques de Daphni, près d’Athènes, caractérisée par le classicisme et l’élégance des figures et une facture souvent plus linéaire, qui annonce l’évolution stylistique ultérieure.
Au XIIe siècle (surtout dans la seconde partie du siècle), des changements importants se manifestent dans la décoration monumentale: la peinture remplace presque toujours la mosaïque, les programmes iconographiques s’enrichissent de sujets nouveaux liés à l’influence plus marquée de la liturgie (et des discussions théologiques) sur le décor et au désir d’éveiller la sensibilité du spectateur par l’expression des « valeurs affectives » et, en particulier, des sentiments dramatiques. Ce contenu émotionnel nouveau s’observe dans les peintures de Saint-Pantéléimon de Nérézi (1164), en Macédoine yougoslave, monument clé de cette période et bel exemple de l’esthétique nouvelle, qui privilégie la valeur expressive du dessin, de la ligne, pour animer compositions et personnages. La recherche d’élégance décorative conduira, dans les dernières décennies du siècle, aux exagérations maniéristes et aux raffinements un peu artificiels du style dit dynamique, qui sera très populaire à Byzance et hors des frontières de l’Empire (Saints-Anargyres de Castoria, Kurbinovo, Pérachorio à Chypre, Monreale en Sicile). Originaire de Constantinople, ce style connaît une variante « art nouveau » ou « fin de siècle », dont témoignent les peintures de Saint-Hiérothée, près de Mégare (Attique), de Chypre (ermitage de Saint-Néophyte à Paphos, Lagoudéra), de Géraki (Evanguélistria) ou de l’Episkopi du Magne. En réaction à ces tendances apparaît, à la fin du XIIe siècle, un style plus monumental, aux figures plus calmes, plus classiques, au modelé plus pictural (Saint-Jean le Théologien à Patmos, Saint-Démétrius à Vladimir). Style « dynamique » et approche monumentale nouvelle coexistent dans le décor de haute qualité récemment découvert à Thessalonique, dans l’église Hosios-David.
L’époque de la domination latine (1204-1261)
Tout en conservant son prestige de métropole artistique, Constantinople perd, au XIIIe siècle, son rôle de chef de file. Si des peintres grecs continuèrent à travailler sur place, parfois pour des clients latins (les franciscains à Kalenderhane Camii), d’autres se réfugièrent dans les centres restés grecs, en particulier à Nicée, ou répondirent à l’appel de nouveaux patrons, les souverains serbes ou bulgares. Le morcellement de l’Empire favorisa ainsi l’apparition de nouveaux centres et l’essor d’un art plus libre, dont on suit le mieux l’évolution dans les régions périphériques: églises de Serbie (Studenica, Mileševa, Sopo がani) ou de Bulgarie (Bojana, 1259), décorées par des peintres grecs, dont l’origine – Constantinople, Thessalonique ou Nicée – reste difficile à déterminer. Plusieurs décors ont été également réalisés en Grèce, alors sous domination franque, et quelques-uns en Asie Mineure.
L’évolution, sensible dès la fin du XIIe siècle, vers un style plus monumental, aux grandes figures nobles et calmes, se confirme au début du XIIIe dans l’église de la Vierge de Studenica (1208-1209). Dans le second quart du siècle, se manifeste un intérêt plus marqué pour la plasticité des formes et le rendu du volume par un modelé pictural (Mileševa). Ce style atteindra son apogée dans les années soixante à Sopo がani: paysages et architectures représentés en perspective confèrent aux compositions une spatialité nouvelle et situent les scènes de façon plus concrète. Les mêmes tendances s’observent à la même époque dans les peintures de Sainte-Sophie de Trébizonde. Cette conception nouvelle de l’image est le fait des peintres les plus progressistes du XIIIe siècle, car bien des artistes restent encore fidèles aux principes de la peinture des Comnènes.
L’iconographie se développe dans le sens, amorcé au XIIe siècle, d’un enrichissement des programmes: l’influence plus marquée de la liturgie, l’humanisation de l’art religieux, l’intérêt pour la réalité sensible sont les principaux facteurs de ce renouvellement. Le développement des sujets locaux (portraits de personnages historiques, représentations d’événements contemporains), caractéristique surtout du décor des églises serbes, témoigne d’une évolution significative dans la conception même du décor des églises.
Les Paléologues (1261-1453)
Restauré autour de sa capitale, Constantinople, reconquise en 1261, l’empire des Paléologues est un État réduit, affaibli et appauvri. Pourtant, la peinture ne connaît aucun déclin et elle rayonne même sur un territoire plus vaste que jamais. Mosaïstes et peintres déploient à nouveau une activité intense dans les deux villes les plus importantes de l’empire: Constantinople (Fethiye Camii, vers 1310-1320; Kariye Camii, 1315-1321) et Thessalonique (chapelle Saint-Euthyme à Saint-Démétrius, 1303; Saints-Apôtres, 1310-1314 et 1328-1334; Saint-Nicolas Orphanos, 1314-1317). Mais l’art fleurit aussi dans les monastères du mont Athos et à Mistra, dans l’empire de Trébizonde et en Épire (Parègoritissa d’Arta), en Bulgarie, en Serbie, en Valachie, en Géorgie et en Russie.
Sous Andronic II (1282-1328) s’épanouit à Byzance une ultime renaissance. Les peintres s’inspirent parfois de l’Antiquité mais surtout de la précédente renaissance et en particulier des manuscrits enluminés du Xe siècle. Maints détails antiquisants (motifs d’architecture, accessoires, personnifications, etc.) sont alors introduits, un peu comme des citations en littérature, dans les compositions traditionnelles. Les personnages sont figurés dans des attitudes souvent plus compliquées, leurs mouvements sont plus libres, parfois violents. D’amples draperies soulignent le volume plastique du corps, l’expression des visages se diversifie. L’environnement, d’architectures ou de paysage naturel, s’enrichit, se complique, suggérant un espace tridimensionnel mais irréel, morcelé, souvent chaotique, dans lequel la perspective est « inversée », les points de vue multipliés et la profondeur de champ fréquemment limitée par un mur. Deux grands courants artistiques dominent: au style dit macédonien, qui privilégie les figures volumineuses, la vivacité des gestes et l’élargissement de l’espace (Saint-Clément d’Ohrid, Saints-Apôtres de Thessalonique), s’oppose un courant plus réservé, plus académique, s’intéressant moins au volume ou à la liberté des attitudes qu’à la noblesse et à l’élégance de personnages élancés évoluant entre des constructions imaginaires (mosaïques de Kariye Camii). Dans le courant du XIVe siècle, la tendance classicisante évoluera vers plus de mysticisme, accentuant la dématérialisation et la spiritualisation des figures, ou au contraire vers plus de pittoresque et une interprétation plus laïque des sujets traditionnels.
Réflexions théologiques et, surtout, influence de la liturgie continuent d’être à l’origine d’un renouvellement et d’un enrichissement de l’iconographie, qui témoignent du pouvoir créateur des artistes de l’époque. Des images traditionnelles sont ainsi modifiées et des sujets nouveaux font leur apparition dans le décor des églises, inspirés généralement par les prières, les hymnes ou les lectures liturgiques. L’iconographie mariale connaît, en particulier, un grand développement: au cycle apocryphe de l’enfance de Marie s’ajoutent l’illustration de l’hymne acathiste (composé au VIe siècle en l’honneur de la Vierge) et la représentation des prototypes de Marie et l’Incarnation dans l’Ancien Testament (échelle de Jacob, porte close d’Ezéchiel, buisson ardent de Moïse, etc.) correspondant aux lectures des Prophètes pour les différentes fêtes mariales. D’une manière générale, la tendance est à la multiplication des cycles figurés, qu’ils soient mariologiques, christologiques (Passion, miracles) ou hagiographiques. Plus riche, plus prolixe, plus complexe aussi, la peinture perd cependant en qualité monumentale et l’effet obtenu évoque parfois une juxtaposition d’icônes agrandies.
Les icônes
L’icône portative, peinte sur un panneau de bois, est peut-être l’expression la plus caractéristique de l’art et de la spiritualité de Byzance [cf. ICÔNE]. Nouvelles découvertes et travaux récents ne cessent d’en faire progresser l’étude, et pourtant, si le corpus des œuvres s’accroît, si la chronologie souvent s’affine, maints problèmes demeurent, qui touchent à la datation des pièces, à la localisation des centres de production et à l’origine des artistes.
Multipliées pour répondre aux besoins de la piété populaire, les plus anciennes icônes conservées ne sont pas antérieures au VIe siècle. Peintes surtout dans la technique de l’encaustique, qui sera abandonnée après le VIIIe siècle pour la détrempe, ces œuvres pré-iconoclastes sont conservées principalement au monastère de Sainte-Catherine, au mont Sinaï, mais elles proviennent d’ateliers de Constantinople, de Palestine, de Syrie ou d’Égypte.
Si quelques rares exemplaires, toujours au Sinaï, peuvent peut-être être datés de l’époque iconoclaste, l’essor de l’art de l’icône ne commence vraiment que sous les empereurs macédoniens: loin d’être seulement destinées à la dévotion privée, les icônes deviennent alors un élément essentiel du culte liturgique. Bien peu d’œuvres subsistent des IXe et Xe siècles, mais on possède heureusement, pour pallier cette lacune, les « icônes » réalisées dans d’autres techniques: marbre, ivoire, stéatite, métaux précieux ou émaux. Exposées dans les églises (en particulier sur le proskynétarion ), les icônes commencent à garnir la clôture du chœur (le templon ) qui va progressivement se transformer en iconostase (icônes d’épistyle, d’abord, placées sur l’architrave et représentant surtout la Déisis et les Douze Fêtes, icônes d’entrecolonnements, plus tard). La multiplication des icônes est également favorisée aux Xe et XIe siècles par le développement du culte des saints. Les rares œuvres conservées des IXe et Xe siècles sont d’un style assez sévère, tandis que les figures délicates et dématérialisées du XIe siècle sont souvent proches de celles des enluminures contemporaines: icônes et miniatures étaient vraisemblablement produites dans les mêmes ateliers et par les mêmes peintres.
Quelques pièces d’une remarquable qualité artistique, provenant probablement des ateliers de Constantinople, nous sont parvenues pour le XIIe siècle. L’élégance du dessin et le raffinement des couleurs s’y allient à l’expression d’une spiritualité profonde (Miracle de saint Michel à Chonae et Échelle céleste de Jean Climaque, au Sinaï). La dernière phase, plus maniériste, de la peinture à l’époque des Comnènes est également représentée par un chef-d’œuvre: L’Annonciation du Sinaï, remarquable par sa technique raffinée, l’élégance des figures et leur richesse émotionnelle.
La domination latine (1204-1261) n’a pas interrompu la production d’icônes et toute une série de pièces, plus ou moins marquées d’influences occidentales (icônes dites « des Croisés »), est actuellement l’objet de discussions entre spécialistes qui tentent de déterminer les centres de production (Jérusalem, Acre, la Syrie, le Sinaï ou Chypre) et l’origine des peintres (latins – italiens et français surtout – ou « orientaux »).
L’époque des Paléologues marque l’apogée de la peinture d’icônes à Byzance et dans sa sphère d’influence. Pour satisfaire les besoins croissants de la piété privée, du culte liturgique et de l’exportation, les icônes sont produites en grand nombre dans les ateliers de Constantinople, de Thessalonique, d’Ohrid et d’autres centres, dont l’activité reste toujours difficile à cerner. Le répertoire iconographique s’enrichit et le style suit, malgré un attachement plus marqué aux traditions, les courants de la grande peinture contemporaine. Les deux icônes bilatérales d’Ohrid (Vierge /Annonciation , Christ /Crucifixion ), Les Douze Apôtres (musée Pouchkine des Beaux-Arts, Moscou), l’icône de Poganovo (Galerie nationale, Sofia), L’Hospitalité d’Abraham (musée Bénaki, Athènes) sont, parmi bien d’autres, des exemples représentatifs de l’art de cette période. À la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe, les ateliers de la capitale produisirent également, pour une clientèle riche et raffinée, des icônes en mosaïque, de petites dimensions et d’une grande virtuosité technique (Crucifixion , Staatliche Museen, Berlin; Annonciation du Victoria and Albert Museum de Londres; Diptyque des Douze Fêtes de l’Opera del Duomo à Florence, etc.).
Les enluminures
Les miniatures de manuscrits représentent un très vaste domaine de l’art byzantin, domaine en partie encore inexploité et qui pose les habituels problèmes de datation et de localisation. La recherche sur les ateliers de miniaturistes n’en est encore qu’à ses débuts, la notion même d’ateliers de peintres et les rapports de ceux-ci avec les scriptoria étant, à Byzance, difficile à cerner.
Dans leur grande majorité, les manuscrits illustrés conservés sont religieux. Les Bibles sont rares (Bible de la reine Christine, Bibliothèque vaticane; Bible de Nicétas, Xe s.); la Genèse n’est illustrée séparément qu’à l’époque paléochrétienne (Genèse, Nationalbibliothek, Vienne; Genèse Cotton, British Library, Londres). On possède, en revanche, plusieurs copies richement enluminées de l’Octateuque, une du Livre des Rois (Bibliothèque vaticane, gr. 333, XIe s.) et une de Josué (le Rouleau de Josué du Vatican, Xe s.). Le Livre de Job, récit d’édification très populaire au Moyen Âge, a été illustré de cycles narratifs détaillés, que l’on conserve dans une quinzaine de manuscrits. Mais le livre de l’Ancien Testament le plus souvent et le plus richement enluminé est, en raison de son importance liturgique, le Psautier. Le rapport des images au texte est variable. Dans les psautiers « à illustrations marginales » (Psautier Chludov du Musée historique de Moscou; Pantocrator 61 du Mont Athos, Ms. gr. 20, de la Bibl. nat. de Paris, IXe s.; Add. 19 352, British Library, Londres, 1066), les miniatures illustrent parfois littéralement le texte qu’elles accompagnent, mais, le plus souvent, elles introduisent un commentaire théologique ou spirituel ou font référence à des doctrines ou à des événements contemporains (enluminures polémiques contre les iconoclastes). Au XIe siècle, les images hagiographiques se multiplient, conséquence de l’introduction des lectures de vies de saints dans l’office quotidien. Dans un autre groupe de psautiers, « aristocratiques » ou « à frontispices » (Bibl. nat., Paris, ms. gr. 139, Xe s.), l’illustration se limite souvent à la représentation de l’auteur – David –, à des épisodes de sa vie et à quelques scènes inspirées par les psaumes.
Le lectionnaire (ou évangéliaire), qui contient les péricopes de l’évangile pour toute l’année, reçut aussi, à cause de son utilisation liturgique, un décor particulièrement soigné, voire luxueux. Constitué aux Xe et XIe siècles, il consiste en un petit nombre d’images, généralement en pleine page, représentant les évangélistes et les grandes fêtes liturgiques – compositions solennelles, traitées comme de véritables icônes. Dans de rares tétraévangiles se développent, au contraire, des cycles narratifs très détaillés (Cod. Plut. VI, 23 de la Bibliothèque laurentienne de Florence; Bibl. nat., ms. gr. 74, XIe s.). L’influence de la liturgie est sensible aussi dans l’illustration des recueils de vies de saints, abondamment enluminés à partir du Xe siècle (Ménologe de Basile II, au Vatican) et dans celle des homélies patristiques (sermons de Grégoire de Nazianze).
Parmi les autres manuscrits importants, citons les deux exemplaires, très richement illustrés, des homélies sur la Vierge du moine Jacques de Kokkinobaphos (Bibl. nat., ms. gr. 1208; Vatican gr. 1162, XIIe s.), les Sacra Parallela (Bibl. nat., ms. gr. 923, IXe s.), florilège attribué à saint Jean Damascène, qui regroupe une iconographie aux sources multiples, L’Échelle céleste de Jean Climaque, traité de discipline monastique, ou Le Roman de Barlaam et Joasaph , adaptation à l’usage chrétien de la biographie de Bouddha, tous textes illustrés de cycles détaillés. L’illustration des hymnes (hymne acathiste, canon pénitentiel) reste, en revanche, assez rare et tardive.
Les manuscrits profanes sont conservés en moins grand nombre et leur décor s’inspire souvent de modèles antiques et hellénistiques. Outre plusieurs traités scientifiques et techniques (Dioscoride, sur les vertus curatives des plantes; Theriaca de Nicandre; Géographie de Ptolémée; Cynégétiques du Pseudo-Oppien, etc.), on ne possède qu’un très petit nombre d’ouvrages littéraires (L’Iliade , Le Roman d’Alexandre de Pseudo-Callisthène) et de chroniques historiques (le Skylitzès de Madrid, daté aujourd’hui du XIIe siècle, la Chronique de Constantin Manassès, dans sa traduction bulgare, au Vatican, vers 1345) qui soient illustrés de miniatures.
Il n’est guère possible de retracer l’histoire de l’enluminure à l’époque paléochrétienne: les manuscrits parvenus jusqu’à nous sont trop peu nombreux et de styles trop hétérogènes (cf. art PALÉOCHRÉTIEN). L’iconoclasme n’a pas interrompu la production de manuscrits enluminés. En témoignent une Géographie de Ptolémée à la Bibliothèque vaticane (vers 813-820) et, peut-être, les Sacra Parallela de la Bibliothèque nationale, à Paris, florilège de textes patristiques très abondamment illustrés, que K. Weitzmann date de la première moitié du IXe siècle et attribue à un atelier palestinien, mais qui continue à faire l’objet de vives controverses. En revanche, les plus anciens psautiers à illustrations marginales, qui ont été souvent datés de cette époque, sont généralement considérés aujourd’hui comme postérieurs à la fin de l’iconoclasme. Plusieurs manuscrits précieux, produits dans les ateliers de la capitale aux IXe et Xe siècles, sont marqués par l’esprit de renouveau classique, qui caractérise les œuvres issues des cercles de lettrés de la cour et du patriarcat à l’époque de la dynastie macédonienne (Bibl. nat., ms. gr. 510 et ms. gr. 139; Rouleau de Josué de la Vaticane). Le somptueux recueil des Homélies de Grégoire de Nazianze de la Bibliothèque nationale de Paris (gr. 510) est l’un des manuscrits les plus intéressants de cette époque. Destiné à l’empereur Basile Ier et probablement conçu par le patriarche Photius, il comporte une illustration abondante et de qualité, qui témoigne d’une grande érudition théologique et du souci d’exalter le dédicataire impérial du manuscrit (880-883). Le Rouleau de Josué du Vatican est également une œuvre exceptionnelle, par la forme du support (le rouleau) comme par la technique (sorte d’esquisse coloriée) de ses peintures qui sont d’un caractère antique prononcé et glorifient les victoires d’un empereur byzantin (Nicéphore Phocas ou Jean Tzimiskès) par le biais de l’épopée biblique de Josué conquérant la Terre promise. Progressivement s’élabore, aux Xe et XIe siècles, un style nouveau, proprement médiéval, qui met la beauté des formes classiques au service de l’expression de la spiritualité chrétienne (Bibl. nat., ms. gr. 70; monastère de Sainte-Catherine, Sinaï, ms. 204). Les figures deviennent de plus en plus hiératiques et spiritualisées; les compositions sur fond or sont harmonieuses et équilibrées, l’eurythmie des formes et l’éclat des couleurs concourent à l’expression du sacré (Ménologe de Basile II, au Vatican). L’idéal ascétique gagnant progressivement au XIe siècle, les silhouettes sont plus frêles, plus immatérielles sur le fond or, et l’exécution témoigne souvent d’un extrême raffinement, qui n’est pas toujours exempt de maniérisme (Bibl. nat., ms. gr. 74; British Library, Londres, Add. 19352). Tout un groupe de manuscrits de petit format, de la fin du XIe siècle, présentent des figures minuscules et élancées, associées à une riche ornementation, dont la palette émaillée rappelle les pièces d’orfèvrerie (Bibl. nat., ms. gr. 64). Grâce à des études récentes, on peut aujourd’hui regrouper plusieurs manuscrits du XIIe siècle (ceux des Homélies de Jacques de Kokkinobaphos, le codex Ebnerianus, Bodleian Library, Oxford, le Vatic. Urbin. gr. 2) qui furent probablement exécutés dans le même atelier de la capitale. Aux XIIIe et XIVe siècles, le rôle de l’enluminure paraît décliner: les manuscrits sont moins nombreux, souvent de moindre qualité, et l’illustration est plus pauvre. Un groupe important, jadis localisé à Nicée, dans l’entourage de la cour impériale, et daté de la seconde partie du XIIIe siècle, est à présent rajeuni (fin du XIIe-début XIIIe s.) et attribué à Chypre ou à la Palestine. L’analyse codicologique et paléographique, l’étude des ornements et du style ont aussi permis récemment de regrouper une quinzaine de manuscrits, datant de la fin du XIIIe siècle, exécutés presque tous à Constantinople, dans le même scriptorium. Quelques œuvres du XIVe siècle se distinguent encore par la beauté de leurs miniatures, témoignant du haut niveau qu’a pu atteindre parfois l’enluminure sous les Paléologues (Œuvres théologiques de Jean Cantacuzène, Bibl. nat., ms. gr. 1242).
La sculpture
Époque proto-byzantine (IVe-VIIe s.)
La sculpture byzantine plonge ses racines dans la sculpture romaine d’Orient, notamment celle du Bas-Empire qui fleurit dans un certain nombre de villes d’Asie Mineure. Celles-ci pouvaient exploiter des carrières proches, particulièrement Éphèse, Aphrodisias et Nicomédie. Des types de sarcophage (à guirlandes, notamment), des chapiteaux (par exemple le rendu de l’acanthe dans les chapiteaux corinthiens), des plaques (comme celles du grand nymphée de Sidé) offraient des traits qui les séparaient déjà de la production occidentale. L’art constantinopolitain se trouvait donc en présence d’un vocabulaire décoratif prestigieux et de marchés déjà constitués sur les rives de la mer Noire et de la Méditerranée. Avec la création de la nouvelle capitale, la production s’amplifia et se diversifia, particulièrement celle de Proconnèse pour qui la construction de Constantinople constituait un marché d’une rare ampleur. Le marbre était en effet omniprésent dans une architecture où les colonnades, les revêtements des murs, les dallages faisaient exclusivement appel à ce matériau. Il faut d’ailleurs noter que certaines schématisations s’introduisirent dans les bases et les chapiteaux. En revanche, certains types apparurent comme le chapiteau ionique à imposte (ce dernier élément s’imposant peu à peu avec la substitution de l’arcade à l’architrave plus courante sous l’Empire), puis les chapiteaux à protomés animalières (Pore が) et les chapiteaux en corbeille (comme à Sainte-Sophie de Constantinople ou à Saint-Vital de Ravenne). L’accent était mis de plus en plus sur les contrastes de clair-obscur entre la surface et les parties surcreusées au trépan (acanthe appelée théodosienne), dont les exemples les plus connus, au milieu et au troisième quart du Ve siècle, sont à Saint-Jean-Stoudios de Constantinople, à l’Acheiropoietos de Thessalonique et au martyrium de Léonidès au Léchaion, port de Corinthe. Ces valeurs s’accentuent au VIe siècle, au moment où apparaît un répertoire ornemental d’aspect orientalisant, bien mis en évidence par la découverte de l’église de Saint-Polyeucte construite en 524-527 par Julia Anicia, parent de Justinien. En dépit de la prépondérance des carrières de Proconnèse et de Constantinople, dont la production était exportée à une grande échelle (cargaison naufragée de tous les éléments préfabriqués d’une église trouvée au large de Marzamemi, en Sicile), d’autres carrières de marbre blanc (Attique, Phrygie) ou de couleur (Thessalie, Carystos, Carie) produisaient en abondance des sculptures comparables. Dans d’autres régions où prédominait le calcaire (Égypte, Syrie du Nord, Lycie) s’épanouissait une sculpture différente possédant un caractère local très affirmé.
Le bas-relief connaît aussi un certain développement, surtout à la fin du IVe et au début du Ve siècle: colonnes historiées de Théodose (379-395) et d’Arcadius (395-408), qui imitent la colonne Trajane; base de l’obélisque de Théodose où est représentée la famille impériale. Des sarcophages en marbre, sarcophages à colonnes ou à décor symbolique, étaient destinés à une clientèle riche, constantinopolitaine ou étrangère (exportations vers Ravenne) tandis que des devants de sarcophage reproduisaient, en calcaire, cette sculpture pour une clientèle moins fortunée. Aux alentours de 500 et après, cet art offre de moindres réussites (bases du cocher Porphyrios, ambon de la Rotonde Saint-Georges à Thessalonique).
La statuaire officielle reste importante dans les grands centres comme Sardes, Éphèse, Aphrodisias, Mégare, Corinthe où magistrats et généraux sont souvent représentés avec des expressions et une stylisation étonnantes.
Époque byzantine (IXe-XVe s.)
Après un siècle et demi de moindre expansion, où la rareté des documents datés rend délicate l’analyse des caractéristiques, la sculpture architecturale se développe à nouveau, abondamment parfois, dans la plupart des régions de l’Empire. La nature de la production a d’ailleurs évolué. Moins de colonnes et de chapiteaux: ceux-ci, de type corbeille le plus souvent (à la Vierge des Chaudronniers [Panayia Chalkêon] de Thessalonique, env. 1028, à Hosios Loukas, à la Nea Moni de Chios, aux musées de Bursa et de Manisa en Turquie), peuvent être encore corinthiens (cf. les curieux exemplaires de l’église de la Vierge [Panayia, seconde moitié du Xe s.], à Hosios Loukas) ou ioniques à imposte (voir les remplois byzantins à Saint-Marc de Venise). En revanche, le templon (ou iconostase), c’est-à-dire la clôture haute séparant les fidèles du sanctuaire, se développe largement. Beaucoup de ses éléments (plaques de parapet, supports, architraves) nous sont parvenus. Un des plus anciens exemples est celui de Skripou (Béotie), daté de 873-874, où des rinceaux grêles cernent des animaux maladroitement rendus. Du bel ensemble sculpté de l’église du monastère de Constantin Lips, l’église nord de l’ensemble de Fenari Isa Camii, subsistent, outre les plaques d’iconostase, les corniches, les meneaux; tous ces éléments sont décorés d’ornements « orientaux » et d’animaux (paons, aigles) qui évoquent la sculpture de Saint-Polyeucte. Leur traitement est très stylisé et leur rendu, d’une grande virtuosité, rappelle celui des arts du métal. Toujours dans cette église, on a recours à l’incrustation pour certaines icônes (sainte Eudoxie) d’emplacement mal connu.
La Phrygie a livré un matériel considérable dont l’iconostase exceptionnelle de Selçikler (Sebaste) décorée de personnages en buste, incisés et niellés, inscrits dans des médaillons. Les motifs géométriques de ces sculptures (arcades, palmettes, entrelacs) se retrouvent en Grèce et dans les Balkans, notamment dans le Péloponnèse où travaille, dans la seconde moitié du XIe siècle, l’atelier du marbrier Nicétas. Les églises de Saint-Luc, de Saint-Panteleimon de Nerezi, de la Blachernitissa d’Arta, de Daphni ont livré d’importants éléments de leur décor. Celui-ci peut s’étendre aux phiales (comme par exemple celle de Lavra [Athos] attribuée au XIe s.), ou aux arcosolia qui abritent les sépultures des grands personnages (à Kariye Camii, notamment).
À partir du XIe siècle, la forme humaine reparaît en bas relief. Signalons tout d’abord une série de Vierge , dont certaines sont remarquables, comme celle du musée d’Istanbul provenant des Manganes, celle qui fait partie de la collection de Dumbarton Oaks, à Washington, d’autres encore d’Athènes, de Thèbes, de Venise, des images de saints, des scènes christologiques (comme le Baptême conservé au musée de Rouen). Des bustes d’anges et de saints se retrouvent sur des chapiteaux comme sur les exemplaires de la fin du XIe-début du XIIe siècle de la Kariye Camii ou sur celui, plus tardif, du musée de Cluny. Les arcosolia , les sarcophages (par exemple, au musée d’Istanbul, celui qui reproduit le sarcophage de la fin du IVe siècle dit de Sari Güzel ou celui de l’impératrice Théodora à Arta) témoignent aussi de ce renouveau de la sculpture anthropomorphe, qui redonne vie et plasticité à un art caractérisé par la rigueur géométrique, par le culte de la symétrie et par une stylisation toute orientale.
Les arts somptuaires
L’importance du mécénat impérial et aristocratique a favorisé l’essor des différentes techniques d’art somptuaire dans lesquelles les Byzantins ont particulièrement excellé. La richesse des matériaux, le raffinement des formes et les effets de polychromie reflètent les goûts des classes supérieures de la société, qui aimaient s’entourer de ces objets précieux et les utilisaient comme instruments efficaces de propagande. Réalisés à la gloire de Dieu et du donateur, ils constituaient des présents officiels tout indiqués pour les hauts dignitaires, mais aussi pour les papes ou les princes « barbares ». Reçues en présents, rapportées en souvenir ou comme butin, ces pièces, très prisées à l’étranger, ont ainsi joué un rôle essentiel dans la diffusion des modèles byzantins, en particulier en Occident.
L’orfèvrerie
Les pièces conservées ne donnent qu’une faible idée de l’importance de l’orfèvrerie byzantine, mais les témoignages littéraires nous font connaître la richesse et la diversité des œuvres disparues: table d’autel en or massif incrustée de pierres précieuses, à Sainte-Sophie, trône placé sous un ciborium d’or au Grand Palais de Constantinople, vaisselle relatant les victoires impériales, fabriquée avec l’or pris aux Vandales, sont quelques-unes des réalisations du règne de Justinien. Les empereurs iconoclastes, Constantin V, que son goût pour l’or avait fait surnommer le « nouveau Midas », et Théophile, enrichirent leurs palais de multiples pièces d’orfèvrerie: automates, orgues d’or semées de pierres précieuses, meuble à cinq tours (le Pentapyrgion) enfermant les insignes de l’Empire, etc.
Les artisans byzantins utilisèrent et perfectionnèrent les techniques traditionnelles – repoussé, ciselure, filigrane – et aimèrent associer à l’or des perles, des pierres fines de couleurs vives, des pierres précieuses, des incrustations de nielle ou des émaux, créant ainsi de riches effets de couleurs. Cette recherche d’une polychromie chatoyante restera, au cours des siècles, l’une des principales caractéristiques de l’orfèvrerie byzantine.
Les objets parvenus jusqu’à nous sont surtout des bijoux (colliers, croix, amulettes, médaillons, bracelets, bagues, agrafes, boucles d’oreilles, ceintures), généralement retrouvés dans des trésors enfouis dans la terre par leurs propriétaires (trésors de Chypre, de Mersin, de Mytilène, etc.). Pour la technique et le style, les Byzantins s’inspirèrent de la bijouterie romaine, mais ils supprimèrent progressivement, au VIe siècle, les motifs païens pour les remplacer par des symboles chrétiens. À l’époque médiobyzantine, les émaux seront de plus en plus souvent associés à l’or, tandis que sous les Paléologues l’appauvrissement général et la pénurie de matériaux précieux provoquent une certaine décadence de l’orfèvrerie.
L’argenterie
Après l’époque paléochrétienne, pour laquelle on dispose d’un nombre important d’objets profanes et liturgiques, décorés de sujet mythologiques et religieux (cf. art PALÉOCHRÉTIEN), l’argenterie connaît, sous les Macédoniens (IXe-XIe s.), une nouvelle floraison, dont témoigne la variété des œuvres conservées. Le goût a évolué et l’on recherche désormais la diversité des formes et les effets de couleur: l’argent, travaillé au repoussé, ciselé, gravé ou ajouré, est généralement rehaussé de dorure et souvent associé à d’autres matériaux (nielle, émaux, perles et pierres). Les objets conservés sont religieux (croix, reliquaires, vases et ustensiles liturgiques, cadres et revêtements d’icônes, icônes, plats de reliure, etc.), presque rien ne subsistant de l’argenterie profane, pourtant utilisée à profusion pour rehausser la splendeur des palais impériaux.
Le style des sujets représentés en argent suit l’évolution générale de l’art byzantin. La reliure du Lectionnaire de Nicéphore Phocas à Lavra (mont Athos) montre, au Xe siècle, un style encore sévère, tandis qu’une recherche plus poussée d’élégance s’affirme dans les œuvres du XIe siècle (patène du trésor de la cathédrale d’Halberstadt). L’argent doré, associé aux émaux, aux perles et aux gemmes, est utilisé pour les montures de calices en sardoine, les plats de reliure, les reliquaires de la Vraie Croix et les icônes, comme le montrent les pièces du trésor de Saint-Marc et de la Bibliothèque marcienne, à Venise. D’Antioche provient peut-être le curieux artophorion (coffret pour pain eucharistique) d’Aix-la-Chapelle, en forme d’église à coupole, en argent partiellement doré et niellé (début du XIe s.). Dans le trésor de Saint-Marc de Venise se trouve également un « coffret » en forme d’église (brûle-parfums ou lampe, au décor profane, qui fut transformé plus tard en reliquaire du Saint Sang (Italie méridionale ou Venise, fin XIIe s.). De l’époque des Paléologues datent de nombreux cadres et revêtements d’icônes, le plus souvent d’argent doré (Saint-Clément d’Ohrid, mont Athos), des éventails liturgiques et des plats de reliure, comme ceux de la Bibliothèque marcienne (Venise) avec la Crucifixion et l’Anastasis représentées au repoussé.
Le bronze
Parmi l’abondante production byzantine d’objets de bronze se distinguent quelques plaques à sujets religieux, généralement dorées et d’un haut niveau artistique, véritables substituts des icônes en métaux précieux ou en ivoire (Vierge à l’Enfant du musée de Plovdiv, triptyque du Victoria and Albert Museum de Londres). Les artisans de Constantinople ont également atteint une maîtrise remarquable dans la fabrication des portes de bronze décorées de reliefs et d’incrustations de nielle, d’argent et de divers alliages: on leur doit les portes réalisées dans la seconde moitié du XIe siècle pour les églises italiennes d’Amalfi, du Mont-Cassin, de Saint-Paul-hors-les-Murs à Rome, de Monte Sant’Angelo, de Salerne, de Saint-Marc de Venise et d’Atrani.
Les émaux
Les émaux cloisonnés, appliqués généralement sur or ou électrum, occupent une place privilégiée dans les arts somptuaires byzantins. Ils furent, en effet, utilisés avec prédilection pour les objets de parure (bracelets, boucles d’oreilles, insignes du pouvoir), les objets de culte (icônes, croix, reliquaires, reliures, sertissures de calices ou de patènes, ornements des vêtements liturgiques), le mobilier d’église (autels, iconostases) et le décor des palais. Ils constituaient aussi des présents particulièrement appréciés des princes barbares.
L’histoire de l’émaillerie protobyzantine reste mal connue, car les pièces conservées sont peu nombreuses (portrait en médaillon de l’impératrice Eudocie au cabinet des Médailles à Paris, Ve s., staurothèque de l’abbaye de la Sainte-Croix à Poitiers offerte par Justin II, 565-568). Quelques objets (aiguière de Saint-Michel d’Agaune, croix-reliquaire de Pascal Ier, Museo sacro, Vatican) témoignent de la poursuite de la production à l’époque iconoclaste, mais c’est sous les Macédoniens et, surtout, sous les Comnènes que se situe la grande floraison de l’émaillerie byzantine. Dans les œuvres du IXe et du début du Xe siècle, le dessin reste simple, les cloisons rectilignes, les couleurs peu nombreuses et translucides (couronne votive de Léon VI à Saint-Marc de Venise). La technique se perfectionne dans le courant du Xe siècle: les cloisons dessinent des réseaux plus complexes et plus souples, la palette s’enrichit considérablement et les couleurs deviennent plus opaques et plus intenses (staurothèque du trésor de la cathédrale de Limbourg-sur-Lahn, icône en relief de l’archange Michel à Saint-Marc de Venise, calices de l’empereur Romain et de Théophylacte, dans le même trésor, etc.). Un grand nombre d’émaux byzantins ont été à cette époque exportés en Géorgie et rapidement imités par les ateliers locaux, si bien que la distinction entre production byzantine et production géorgienne reste souvent difficile à établir. Sur le célèbre triptyque de Kakhouli (musée des Arts géorgiens de Tbilissi, Xe-XIIe s.) sont ainsi juxtaposés plaques byzantines et émaux locaux. Parmi les témoins les plus importants de l’émaillerie du XIe siècle, citons les deux couronnes envoyées aux Hongrois par les empereurs byzantins Constantin IX Monomaque (1042-1050, au Musée national de Budapest), et Michel VII Doukas (1071-1078). La Pala d’Oro de Saint-Marc de Venise, retable maintes fois remanié et enrichi, conserve de remarquables témoignages de l’art des émaux à l’époque comnène, même si l’on ne s’accorde toujours pas aujourd’hui sur leur date précise et leur provenance. À la fin du XIe siècle et au début du XIIe, la technique a atteint un degré extrême de raffinement: bien propres à exprimer la réalité transcendante par la richesse de la matière, la stylisation des formes et l’éclat chatoyant des couleurs, les émaux rivalisent avec les mosaïques et les miniatures, sur lesquelles ils exercèrent une influence importante. La technique tend ensuite à décliner, les couleurs deviennent plus ternes, le graphisme plus sec et plus compliqué. Les pièces tardives qui nous sont parvenues sont généralement moins élégantes et souvent d’ailleurs de provenance incertaine.
La verrerie
Les Byzantins n’ignorèrent pas la verrerie de luxe, comme en témoignent plusieurs objets du trésor de Saint-Marc et, en particulier, un vase de verre pourpre décoré de figures mythologiques, très représentatif de la renaissance macédonienne. Ils fabriquèrent également des vitraux, dont on a retrouvé quelques fragments dans les églises de Constantinople (Kariye Camii, Zeyrek Camii).
Les ivoires
Matériau de luxe par excellence, l’ivoire, rare et précieux, a donné lieu, dès l’époque protobyzantine, à une production très abondante (cf. art PALÉOCHRÉTIEN). Après l’interruption quasi totale des « siècles obscurs » (VIIe-première partie du IXe s.), une nouvelle floraison, d’une grande ampleur mais d’assez courte durée, se produit aux Xe et XIe siècles. Les ivoires religieux sont les plus nombreux: plaques, diptyques ou triptyques, comme les luxueux exemplaires décorés de la Déisis du Palazzo Venezia, à Rome, et du Louvre (triptyque Harbaville), constituaient autant d’icônes portatives, destinées surtout à la dévotion privée. Mais on possède aussi des coffrets décorés de thèmes profanes, inspirés par la mythologie ou la littérature antique, dont le plus bel exemple est le coffret « à rosettes » de Veroli, conservé au Victoria and Albert Museum de Londres, qui était vraisemblablement un coffret de mariage, issu du milieu de la cour impériale ou de la haute aristocratie.
La classification des ivoires médiobyzantins, jadis proposée par K. Weitzmann, reste encore valable dans ses grandes lignes. Dans le « groupe pictural » (ou « classicisant »), on range de très nombreuses pièces, qui s’inspirent de peintures de manuscrits ou d’icônes, dans un style fidèle aux modèles antiques (Dormition , Staatsbibliothek, Munich, Entrée à Jérusalem , Staatliche Museen Preussischer Kulturbesitz à Berlin, coffrets « à rosettes »). Les ivoires du « groupe de Romanos », surtout destinés à la cour impériale, sont caractérisés par une grande élégance formelle et un haut niveau de perfection technique (Couronnement de Romanos et Eudocie au cabinet des Médailles de Paris, triptyques du Palazzo Venezia, Rome, et du Louvre avec la Déisis, Vierge Hodigitria, Rijksmuseum et Katharijne Convent, Utrecht). Dans le « groupe de Nicéphore » sont classés des ivoires d’une qualité un peu moindre (staurothèque de la cathédrale de Cortone) et dans le « groupe des triptyques » des productions presque stéréotypées. Enfin, les ivoires « à encadrement », inspirés eux aussi de modèles peints, sont d’origine discutée (peut-être vénitienne). Déclinant au XIIe siècle, la production d’ivoires ne cessa pas totalement, mais ne connut pas non plus de renouveau sous les Paléologues, époque à laquelle on ne peut attribuer que quelques pièces isolées (pyxide de la collection de Dumbarton Oaks, Washington).
La glyptique: stéatites et pierres dures
Pierre tendre sans pores, dont la couleur varie du vert amande au gris clair, la stéatite a été très utilisée à Byzance, à partir de l’époque macédonienne, pour la fabrication de pendentifs, d’amulettes et surtout de nombreuses petites icônes. Moins onéreuses que les pièces en ivoire, auxquelles elles se subtituent quand celles-ci se raréfient, au XIIe siècle, les icônes en stéatite sont plus répandues, mais de qualité inégale, allant des productions de série destinées à la dévotion populaire aux œuvres savantes, comparables aux meilleurs ivoires contemporains (Dormition de la Vierge , Kunsthistorisches Museum, Vienne).
Plusieurs espèces de pierres dures furent utilisées par les artisans byzantins: le jaspe (Vierge orante de la Walters Art Gallery de Baltimore), l’héliotrope (Christ du Kremlin), la sardoine (Annonciation du cabinet des Médailles à Paris), la serpentine (Vierge orante du Victoria and Albert Museum de Londres, 1078-1081), le lapis-lazuli (Christ du musée des Armures au Kremlin), etc. Si quelques pièces, souvent d’une facture assez grossière, remontent aux Ve-VIIe siècles, la plupart – dont les plus remarquables – appartiennent à l’époque médiobyzantine (Xe-XIIe s.). Aux œuvres de petites dimensions, qui sont les plus nombreuses (pendentifs, icônes, éléments de décoration pour reliures ou couronnes), s’ajoutent des vases, coupes, calices et patènes, souvent sertis de montures d’or ou d’argent doré enrichies d’émaux, de cabochons et de perles (trésor de Saint-Marc).
Les tissus
Ce sont surtout les soieries de luxe qui firent la renommée, pendant tout le Moyen Âge, des manufactures byzantines. Leur fabrication, strictement réglementée et contrôlée par l’État, connut un grand développement à partir du VIe siècle, quand fut introduite à Byzance la sériciculture (vers 552). Les manufactures impériales (les « gynécées ») détenaient le monopole des étoffes teintes de vraie pourpre et brochées d’or. Mais des tissus de soie devaient provenir aussi de Tyr, de Béryte ou d’Alexandrie. Les sépultures coptes ont livré, d’autre part, un nombre très important de tapisseries de lin et laine (Antinoé, Akhmîn-Panopolis en Égypte), décorées surtout de sujets mythologiques ou de scènes pastorales, dans la tradition de l’art alexandrin, ou, plus rarement, de compositions religieuses (Vierge à l’Enfant du musée de Cleveland).
Les tisserands byzantins ont, dès le VIe siècle, montré une nette prédilection pour les motifs d’origine orientale, en particulier sassanide: grands médaillons enfermant des personnages ou des animaux réels ou fantastiques, affrontés de part et d’autre d’un arbre de vie stylisé, scènes de chasse, combats d’animaux, etc. (suaire de Saint-Calais, tissus aux cavaliers, suaire de Saint-Victor de Sens). Après sa victoire sur Chosroès II, en 624, Héraclius fit d’ailleurs venir à Constantinople des tisserands persans. L’imitation des modèles est parfois si fidèle qu’il est difficile de distinguer les productions byzantines des productions sassanides. La chronologie des pièces conservées reste bien incertaine malgré l’existence de quelques points de repère, comme la soierie de Mozac (Musée historique des tissus, Lyon) donnée par Constantin V (741-775) à Pépin le Bref. Le goût des motifs orientaux a, en effet, persisté à Byzance sous les Macédoniens. Sur d’autres fragments est illustré le thème typiquement byzantin de l’aurige vainqueur sur son quadrige (Aix-la-Chapelle, musée de Cluny, VIIe-VIIIe s.). La même incertitude subsiste pour les soieries à sujets religieux, comme L’Annonciation et La Nativité du Museo sacro du Vatican, attribuées successivement à l’Égypte, à la Syrie et à Constantinople et datées entre le VIe et le VIIIe siècle.
L’industrie textile atteint son apogée sous les Macédoniens et les Comnènes; les ateliers de Constantinople sont désormais concurrencés par ceux de Patras, de Corinthe, de Sparte, de Thèbes et de Chypre. Les motifs zoomorphes répétés dans des compositions symétriques et majestueuses, d’un remarquable effet décoratif, l’emportent nettement sur les représentations figurées (triomphe d’un empereur à cheval sur la soierie de Bamberg). Les plus belles soieries des Xe et XIe siècles, souvent à fond pourpre, représentent de grands lions passant (musée de Düsseldorf, cathédrale de Cologne), des griffons (musée de Valère, à Sion, suaire de Siviard à Sens), des chevaux ailés, des éléphants (Aix-la-Chapelle) ou des aigles aux ailes éployées (Saint-Eusèbe d’Auxerre, cathédrale de Bressanone). Aux soieries polychromes s’ajoutent, à la fin du Xe siècle et au début du XIe, des pièces à l’éclat satiné, selon la technique de l’« incisé monochrome », souvent décorées de motifs floraux et particulièrement appréciées en Allemagne, où l’on en conserve plusieurs exemples. Au XIIe siècle, une recherche plus poussée d’élégance et de finesse dans le dessin entraîne un certain déclin de la qualité monumentale. De nombreux tisserands byzantins travaillaient, à cette époque, à la cour normande de Sicile et en Italie: ils contribuèrent à la diffusion, en Occident, des textiles byzantins.
Les riches tissus de l’époque des Paléologues sont surtout connus par les représentations des mosaïques, peintures murales, miniatures ou icônes: préférence est donnée aux très grands motifs circulaires où s’inscrivent animaux ou motifs floraux, traités dans des couleurs souvent assez heurtées.
C’est, de plus en plus, l’art de la broderie qui passe au premier plan, pour l’usage de la cour d’abord, puis, surtout, aux XIVe et XVe siècles, pour les vêtements ecclésiastiques et les voiles liturgiques. L’une des pièces les plus exceptionnelles, par la qualité de l’exécution (broderies en fils d’or et d’argent sur fond de soie bleue) comme par l’ampleur du programme iconographique, est la prétendue dalmatique de Charlemagne au Vatican (en fait un sakkos destiné au patriarche). Les épitaphios , voiles liturgiques symbolisant le linceul du Christ, forment aussi un groupe important de broderies religieuses de l’époque des Paléologues (épitaphios provenant de Thessalonique, au Musée byzantin d’Athènes). Figures et scènes qui décorent ces pièces sont exécutées avec un soin méticuleux et avec un art qui peut soutenir la comparaison avec la peinture. L’essor de la broderie religieuse se poursuivra à l’époque postbyzantine, en Grèce, en Roumanie et dans les pays slaves.
Perspectives nouvelles de la recherche en archéologie et en histoire de l’art
L’incessant apport de l’archéologie et des monographies relatives à des monuments, des sites ou des régions de l’empire byzantin a rendu souvent caducs les schémas et les classifications hérités des premiers historiens de l’art byzantin. Rome ou l’Orient, la prédominance des ateliers d’Antioche, d’Alexandrie ou de Constantinople conçus comme des entités aux attributs transcendants ont cédé la place a des enquêtes régionales regroupant sans a priori esthétique les monuments, qu’il s’agisse de l’architecture de Syrie du Nord (Tchalenko), des peintures de Cappadoce (Jerphanion, Thierry, Restle), ou des manuscrits. Les datations sont le plus souvent mieux fondées, même si des querelles récentes autour des églises de Cappadoce montrent que beaucoup reste à faire dans cette voie.
En architecture, les lacunes les plus criantes concernent l’habitat du VIIIe au XVe siècle: à part Corinthe et Pergame, nous avons peu d’éléments d’information sur les villes et les campagnes. Pour les édifices religieux même, un effort tout à fait considérable est fait dans les monographies pour étudier systématiquement tous les remaniements ou les différences et pour les agencer en phases. À Istanbul, cette quête minutieuse a donné d’excellents résultats (Sainte-Irène, Kalenderhane Camii, Fenari Isa Camii, Kariye Camii...).
Pour les enduits de ces édifices (peintures et mosaïques), l’étude attentive des couches picturales, de leur superposition, de leur composition (y compris les pigments) a donné des résultats appréciables surtout pour les deux premiers points. Mais leur simple exploration est loin d’être terminée. La Géorgie, l’Arménie, la Nubie, l’Éthiopie ont considérablement renouvelé notre stock d’images et permettent de mieux apprécier la peinture chrétienne du Moyen-Orient dans toutes ses différences et dans sa profonde unité. Extension dans le temps également: 1453 n’a pas marqué la fin de la peinture de style byzantin. Celle-ci a continué pendant deux siècles au moins avec des œuvres remarquables, comme celle de Theophane (M. Chatzidakis) ou de Frangos Catelanos, sur lesquelles les archives, qui nous font défaut pour la période proprement byzantine, nous livrent maints renseignements. Nous pouvons ainsi étudier les mécanismes du marché de l’œuvre d’art dans la Crète sous domination vénitienne, lorsque les madonieri de Candie pouvaient peindre pour leur clientèle italo-grecque à la grecque ou à l’italienne. En outre, la recherche des programmes que suivent ces peintures, celle des préférences régionales qui traduisent telle dévotion particulière et par là même la mentalité religieuse des fidèles d’une région, celle enfin des intentions précises qui se cachent derrière le choix et la place des images dans tel édifice particulier ont permis de voir la peinture byzantine autrement que comme la traduction intangible d’un archétype immuable.
De même, des progrès sensibles ont été faits dans les méthodes d’étude des manuscrits (Weitzmann). Les corpus réalisés (Athos, Athènes, Oxford) rendent ces œuvres beaucoup plus accessibles. En sculpture, quêtes régionales et études des carrières renouvellent considérablement notre connaissance de la production courante. Pour les objets de la vie matérielle, l’effort des chercheurs doit porter sur la céramique médio-byzantine: peu de progrès ont été réalisés en ce qui concerne les différentes productions et la localisation des ateliers.
Recherches sur l’habitat et la vie matérielle, sur la fonction et la signification des peintures ainsi que sur le fonctionnement des édifices qui les abritent, sur la place de l’image dans la culture et les mentalités, autant d’approches convergentes qui ont fait émerger Byzance du grandiose théâtre d’ombres où elle était encore cantonnée il y a un siècle.
Byzance
ville grecque qui devint au IVe s. Constantinople. Le terme désigne aussi l'Empire byzantin.
Encyclopédie Universelle. 2012.