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ANTIOCHE
ANTIOCHE

Comme sa rivale Alexandrie, Antioche nous offre l’exemple d’une grande cité hellénistique, centre commercial et foyer de culture, devenue un des pôles du christianisme ancien. Parallèles et souvent opposées à celles d’Alexandrie, les tendances de sa tradition exégétique et théologique se retrouvent encore vivantes dans la théologie de l’Église d’aujourd’hui.

1. Histoire et archéologie

Antioche fut fondée en 300 avant J.-C., sur la rive gauche de l’Oronte, au pied du mont Silpius, par Seleucus Nicator, après sa victoire sur Antigonos à Ipsos. Seleucus donna à la nouvelle ville le nom de son père, Antiochus. Grâce à sa situation géographique, la ville fut rapidement riche et florissante, commerçante et cultivée à la fois. Quand Pompée conquit la Syrie (64 av. J.-C.), Antioche devint la capitale de la province romaine de Syrie. Elle était alors la troisième ville de l’Empire, après Rome et Alexandrie. Au IVe siècle de notre ère, elle comptait environ 300 000 habitants, auxquels il faut ajouter les esclaves, qui pouvaient être 200 000. Mélangée d’éléments grecs et syriens, cette population pouvait à l’occasion se montrer fort turbulente (en 387, à propos de l’imposition d’une taxe extraordinaire, elle se souleva contre Théodose le Grand et renversa les statues de l’empereur et des membres de la famille impériale; cette «émeute des statues» provoqua une répression cruelle et fut l’occasion d’une série de vingt et un sermons de Jean Chrysostome, alors prêtre de l’Église d’Antioche). Au IVe siècle encore, le rhéteur Libanius y attira de nombreux disciples, mais Julien, l’empereur philosophe, fut mal reçu par cette population amie des plaisirs et des fêtes.

Les fouilles, menées surtout à partir de 1932 par l’université de Princeton, ont révélé l’étendue de la ville et l’importance de ses monuments: rues à colonnes et à portiques, temples, palais impérial, thermes, théâtres, amphithéâtre, stade. Daphné, un faubourg d’Antioche, était célèbre par un sanctuaire d’Apollon et par les cérémonies de son culte, qui dégénéraient en fêtes licencieuses.

La ville, ruinée par des tremblements de terre, détruite par Chosroès en 538, perdit de son importance. La conquête arabe (637) acheva cette décadence. Conquise par les croisés en 1098, elle devint le siège d’une principauté franque (Bohémond, Tancrède) et d’un patriarcat latin. Reprise en 1268 par le sultan d’Égypte Baïbars, elle passa aux mains des Turcs en 1517 et resta turque depuis cette époque. Ant ky n’est plus aujourd’hui qu’une petite ville, assez misérable, au milieu des ruines.

2. Antioche chrétienne

Antioche fut évangélisée d’abord par des chrétiens de Jérusalem dispersés par la persécution qui suivit la mort d’Étienne (Actes des Apôtres, XI, 19-20). Paul et Barnabé y séjournèrent toute une année (env. 43). C’est à Antioche que les disciples reçurent pour la première fois le nom de chrétiens (Actes, XI, 26), vraisemblablement un sobriquet dont les affublèrent les païens. Antioche est le point d’attache de Paul et le centre de ses missions; il y revient à chacun de ses voyages (Actes, XII, 25; XIII, 1-3; XIV, 26-27; XV, 25). Antioche devint ainsi le centre du christianisme helléniste (par opposition à Jérusalem, qui reste le centre des chrétiens d’origine juive) et le foyer de l’expansion du christianisme en Orient, aussi bien vers la Cilicie ou l’Asie que vers la Syrie et la Mésopotamie. Si rien ne permet d’assurer que l’«autre lieu» où se rend Pierre après sa délivrance miraculeuse (Actes, XII, 17) soit Antioche, Pierre y est certainement vers 48-49 (Gal., II, 2-11: l’incident d’Antioche). Une ancienne tradition, dont la liturgie avait conservé le souvenir, fait de lui le premier évêque d’Antioche (Eusèbe, Histoire ecclésiastique , III, XXXVI, 2).

Parmi les évêques d’Antioche dans les premiers siècles, on retiendra les noms de saint Ignace, martyr à Rome vers 107 (Lettres ), de saint Théophile, auteur vers 180 d’une apologie A Autolycus , de Paul de Samosate et d’Eustathe, qui prit part au concile de Nicée (325) et fut un nicéen convaincu. Le sixième canon du concile de Nicée confirme la préséance et les privilèges de l’évêque d’Antioche, après ceux de Rome et d’Alexandrie. Les remous de la crise arienne troublèrent longtemps l’Église d’Antioche. Plusieurs synodes se tinrent à Antioche: en 341, le synode dit «des Encænies» (dédicace de la basilique) rédigea un symbole qui passait sous silence le terme de consubstantiel ( 礼猪礼礼羽靖晴礼﨟), défini à Nicée. Après 361, Antioche eut en même temps trois évêques, un arien et deux catholiques : Mélèce, que soutenait l’Orient (saint Basile), et Paulin, reconnu par Rome (le pape Damase) et Alexandrie. Le «schisme d’Antioche» dura jusqu’en 415. Lors de la crise nestorienne, l’évêque Jean d’Antioche prit à Éphèse le parti de Nestorius (431), mais en 433 il se désolidarisa de lui en même temps qu’il se ralliait à Cyrille d’Alexandrie. Au VIe siècle, Antioche connut des patriarches monophysites (Pierre le Foulon, Sévère), et la majeure partie de la population adhéra au monophysisme (jacobites), sans doute par opposition à la politique du basileus de Constantinople. Actuellement Antioche est le siège d’un patriarche grec-uni (en résidence à Alep), d’un patriarche syrien jacobite, d’un patriarche syrien-uni et d’un patriarche maronite.

Les nombreuses églises connues par les textes anciens ont disparu sans laisser de traces, ou gisent encore sous terre. On a identifié au-delà de l’Oronte les ruines de deux basiliques. Le calice d’Antioche , en argent ciselé, découvert en 1910, date vraisemblablement du Ve ou du VIe siècle. On y voit sur les rameaux d’une vigne les figures assises du Christ et des apôtres.

3. Lécole d’Antioche

Antioche devint rapidement un centre intellectuel et théologique important, aux caractéristiques bien marquées. Après l’apologiste saint Théophile, le premier théologien antiochien que nous connaissions est Paul de Samosate (évêque à partir de 260 env.). Dans l’état actuel de nos sources, il est difficile de reconstituer avec certitude l’enseignement de ce personnage, au demeurant assez étrange. Il semble avoir considéré le Christ comme un homme, adopté par Dieu; il représenterait déjà la tendance rationaliste qu’on reprochera à la tradition antiochienne. Vigoureusement contré par le prêtre Malchion, «un sophiste savant, chef de l’enseignement de la rhétorique dans les écoles helléniques» (Eusèbe, Hist. eccl ., VII, XXIX), il fut condamné et déposé par deux synodes successifs (264-265, 268-269).

Au début du IVe siècle, saint Lucien, prêtre martyrisé sous Dioclétien (312), est un savant exégète, auteur d’une recension de la Bible grecque (Septante) et du Nouveau Testament: il pose par là les bases de la critique biblique, qui sera une caractéristique de l’exégèse antiochienne. D’autre part, les premiers ariens se réclameront de lui, sa théologie semble en effet avoir été subordinatienne: le Verbe ( 炙礼塚礼﨟) est inférieur au Père.

Mais c’est la fin du IVe siècle et la première moitié du Ve siècle qui verront la période la plus brillante de l’«école d’Antioche». Entendons par là non pas une institution universitaire, ni même une école catéchétique analogue à celle d’Alexandrie, mais une tradition intellectuelle et spirituelle, un esprit et une méthode, qui vont marquer une génération d’exégètes et de théologiens. Tout au plus peut-on retenir que Diodore rassemble autour de lui, dans un monastère qui est en même temps un centre d’études ( 見礼兀精兀福晴礼晴), des disciples, dont quelques-uns furent très grands: Théodore de Mopsueste, saint Jean Chrysostome et peut-être aussi Théodoret.

Exégèse

L’école d’Antioche est d’abord une école d’exégèse. Diodore, qui devait être évêque de Tarse († av. 394), commente l’Ancien Testament, les Évangiles, les Actes des Apôtres, l’Épître aux Romains et la Ire Épître de saint Jean. Jean Chrysostome, diacre puis prêtre d’Antioche avant d’être évêque de Constantinople en 397 († 407), n’est pas un spécialiste de l’exégèse savante, mais sa prédication, à Antioche comme à Constantinople, est avant tout un commentaire de l’Écriture (les Psaumes, Isaïe, Matthieu, Luc, Jean, les Actes, et surtout saint Paul, dont il est peut-être le meilleur interprète). Jean est un pasteur et un moraliste, mais ses homélies familières révèlent un exégète pénétrant, sans aucune tendance à l’allégorisme. De Théodore, évêque de Mopsueste en Cilicie († 428), on a conservé, intégralement ou par fragments, des commentaires sur les Psaumes, saint Jean, saint Paul. Exégète savant, il est pour l’Orient syrien l’Interprète par excellence (Mefasqu n ). Enfin Théodoret, évêque de Cyr († env. 466), théologien, apologiste, historien, commente les Psaumes, le Cantique des cantiques, les Prophètes, saint Paul.

Tous prennent vigoureusement parti contre l’allégorie, dont Origène est le représentant le plus célèbre. Entendons par ce mot, malgré les imprécisions d’un vocabulaire assez fluent, le procédé littéraire qui dans les faits racontés par l’histoire ne veut voir qu’une parabole à travers laquelle il faut découvrir un sens spirituel caché. Ainsi déjà Eustathe reproche à Origène ses subtiles interprétations des noms des personnages bibliques: par là, Origène détruit la réalité des récits; il a tout bouleversé par ses interprétations allégoriques (Sur la pythonisse , 22). Théodore avait écrit un ouvrage en cinq livres, malheureusement perdu. Sur l’allégorie et l’histoire, contre Origène. À l’en croire, les allégoristes ruinent le sens de l’Écriture, suppriment l’histoire en déformant les faits passés, pour y découvrir un sens spirituel plus profond: cette interprétation spirituelle est une folie manifeste (Commentaires sur l’Épître aux Galates , IV, 24). Il faut donc s’en tenir à une interprétation strictement littérale. On en donnera ici trois exemples significatifs.

1. L’histoire du mensonge de Rébecca (Gen. , XXVII). Alors qu’un Augustin, par exemple, fidèle à la tradition de l’exégèse spirituelle, ne nie pas la réalité historique de ce mensonge, mais y voit un mystère , le signe d’une réalité sacrée et encore cachée: l’incarnation, le Christ prenant sur lui nos péchés, comme Jacob se revêtant des vêtements d’Ésaü (Contra mendacium , 24), saint Jean Chrysostome au contraire admet sans difficulté le récit de la Genèse; il analyse avec finesse l’amour maternel de Rébecca, qui l’excuse de son mensonge, et conclut que Dieu a permis ce mensonge, qui est un mal, pour tirer le bien du mal: exégèse historique et littérale, psychologique et moralisante.

2. Les Psaumes: Théodore de Mopsueste ne retient pour messianiques (s’appliquant au Christ à venir) que quatre psaumes (Ps. II, VIII, XLIV, CIX), parce qu’ils sont explicitement appliqués au Christ par le Nouveau Testament. D’autres (même le Ps. XXI: Eli, Eli, lamma sabacthani ..., que Jésus lui-même a repris sur la croix) ne sont pas prophéties ou figures du Messie, mais simple adaptation d’un texte à une situation toute nouvelle.

3. Le Cantique des cantiques: seul dans toute l’exégèse ancienne, Théodore refuse toute interprétation spirituelle du Cantique; il l’entend au sens strictement littéral, comme un chant d’amour humain, composé par Salomon à l’occasion de son mariage avec une princesse égyptienne. (Au concile de Constantinople de 553, qui a condamné Théodore pour ses positions christologiques, on fit allusion à cette interprétation; mais il n’est pas exact qu’elle ait été condamnée par le concile.)

Ainsi les exégètes d’Antioche refusent l’allégorie qui leur paraît compromettre la réalité de l’histoire, mais il ne faut pas méconnaître pour autant qu’ils restent fidèles à la conception chrétienne traditionnelle, qui voit dans les faits de l’Ancien Testament la figure et le type des réalités du Nouveau. Aussi, pour employer un vocabulaire autour duquel semble se faire l’accord des historiens, ils acceptent la typologie, qui conserve la réalité de l’histoire, mais voit dans les faits, non pas un enseignement spirituel caché, mais l’image et l’annonce des réalités à venir. Ainsi on retrouve chez les antiochiens l’application au Christ et à l’Église des grandes figures bibliques: le sacrifice d’Isaac, Joseph vendu par ses frères, le passage de la mer Rouge, la manne, le serpent d’airain, etc. Bref, «le type est une prophétie énoncée par des faits» (Chrysostome, De paenit. hom. , VI, 4). Au lieu de chercher un sens spirituel à chacun des détails – voire des mots – du récit, l’exégèse antiochienne cherche une relation d’annonce prophétique et de première réalisation entre événement et événement, situation et situation. C’est la tendance de l’exégèse moderne. Mais entre Antioche et Alexandrie, y a-t-il ici vraiment conflit ou plutôt malentendu, dû surtout à l’imprécision du vocabulaire?

Christologie

D’autre part, la christologie antiochienne présente des traits très accusés. S’opposant expressément à la théologie d’Apollinaire de Laodicée, qui refusait au Christ une âme humaine, elle insiste sur la pleine réalité de l’humanité du Christ et de sa psychologie, vue dans une perspective d’histoire du salut. Mais l’insuffisance de sa métaphysique de la personne l’empêche de faire pleinement droit à l’unité personnelle du Verbe incarné: on accusera les théologiens d’Antioche, Diodore et Théodore, de «diviser le Christ», de parler de «deux fils», le fils de Marie et le fils de Dieu. Ils refusent en effet de donner à Marie le titre déjà traditionnel de Mère de Dieu ( 粒﨎礼精礼礼﨟): elle n’est pour eux que la mère de l’homme assumé par le Verbe. C’est sur ce point que la prédication de Nestorius, prêtre d’Antioche devenu archevêque de Constantinople (428), heurte le plus la conscience chrétienne: il est condamné par le concile d’Éphèse (431), où triomphe la christologie alexandrine (Cyrille).

Malgré ses limites, qui tiennent pour une part à l’imprécision du vocabulaire théologique (nature-personne), la christologie antiochienne représente une valeur non négligeable, et son influence sur la définition dogmatique du concile de Chalcédoine (451) ne saurait être méconnue. Un certain accord semble s’établir parmi les historiens pour reconnaître l’importance théologique de Théodore de Mopsueste.

Antioche
(auj. Antakya) v. de Turquie, sur l'Oronte; 91 550 hab.; ch.-l. d'il. Stat. estivale; centre comm.
Fondée par Séleucos Ier Nikatôr vers 300 av. J.-C., elle fut la cap. des Séleucides et la plus import. cité de l'Orient hellénistique. Annexée à l'Empire romain en 64 av. J.-C., elle devint ensuite l'un des principaux centres de la chrétienté. Les Perses sassanides s'en emparèrent en 540. Elle fut une principauté franque de 1098 à 1268.

Encyclopédie Universelle. 2012.