ÉVOLUTION
Le terme évolution a désigné et désigne encore plusieurs concepts; il sera pris ici dans le sens d’évolution biologique, défini précisément plus loin. Dans cette acception, il est d’un emploi relativement récent. Ni Lamarck ni Darwin ne s’en sont servi.
Au XVIIIe siècle, on nommait évolution tout d’abord les phases successives par lesquelles passe l’être vivant avant d’atteindre sa forme parfaite; il était en quelque sorte synonyme de développement , celui-ci couvrant l’embryogenèse et la croissance postembryonnaire (avec ou sans métamorphose) jusqu’à la forme adulte apte à se reproduire. Puis, sous l’influence des préformistes (Haller, Bonnet, Meckel, Réaumur...), le terme évolution s’appliqua à la théorie selon laquelle toute l’organisation de l’être est présente dans le germe: «Le germe préexiste à la fécondation. Toutes les parties essentielles ont coexisté dans le même temps. Le développement des unes paraît précéder celui des autres. Leur consistance, leurs proportions relatives, leur forme, leur situation subissent peu à peu de très grands changements» (C. Bonnet, Considérations sur les corps organisés , t. III des Œuvres complètes , Neuchâtel, 1779, pp. 111 et 112). Les préformistes étaient alors qualifiés d’évolutionnistes ; on les opposait aux épigénistes , pour qui l’embryon se forme peu à peu à partir d’un plasma amorphe, une modification en provoquant une autre.
Dès lors, les raisons sont évidentes pour lesquelles le terme évolution ne pouvait venir sous la plume de Lamarck, épigéniste convaincu, pour désigner sa doctrine de la filiation des espèces. Pour des raisons peu claires, Darwin laissa, lui aussi, sa doctrine innomée.
Si ce n’est Herbert Spencer qui le premier utilisa le terme évolution dans son sens actuel, il lui revient de l’avoir fait connaître par ses livres dont la diffusion fut mondiale. Thomas Huxley, le plus ardent des propagandistes du darwinisme, utilisa très largement le terme évolution, aujourd’hui universellement employé.
Nous définirons l’évolution biologique comme le processus par lequel, au cours des âges, se succèdent et s’engendrent, tout en variant, les espèces végétales et animales. L’évolution est la continuité des êtres vivants dans une dissimilitude orientée. L’hérédité, objet de la génétique, étudie la succession des êtres vivants dans la similitude. L’une concerne le changement, l’autre la stabilité.
1. Histoire de l’évolutionnisme
Nombreux sont les naturalistes et les philosophes en qui on a vu des précurseurs de l’évolutionnisme. Pour l’Antiquité, les noms de Démocrite (460-370 av. J.-C.), d’Épicure (341-270 av. J.-C.), de Lucrèce (98-55 av. J.-C.) sont prononcés; pour les Temps modernes, on parle de Maillet (1656-1738), de Buffon (1707-1788), de Maupertuis (1698-1759), de Diderot (1713-1784), surtout dans ses œuvres posthumes, de Cabanis (1757-1808). Mais, en fait, aucun n’a eu une vue précise de l’évolution; leurs écrits contiennent quelques pensées qui évoquent des principes transformistes ; il ne s’en dégage aucune conception générale de la genèse et de l’histoire des êtres vivants. D’ailleurs, en l’absence de données positives, aucune théorie de l’évolution n’est recevable.
La notion d’évolution biologique n’a pris corps qu’avec les écrits de Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck (Discours d’ouverture du cours , 27 floréal an X; Philosophie zoologique , 1809). La pensée de ses prétendus prédécesseurs ne paraît en rien l’avoir influencé.
En 1858, deux naturalistes anglais, Charles R. Darwin, quarante-neuf ans, et Alfred R. Wallace, trente-cinq ans, après avoir accompli de longs voyages sous les tropiques, proposent indépendamment l’un de l’autre une théorie expliquant la genèse des nouvelles espèces, tant animales que végétales, par filiation directe et continue. Les individus varient, d’eux ne persistent que les mieux adaptés, fortuitement, aux circonstances; la sélection naturelle est l’agent formateur des nouvelles espèces. C. Lyell et J. Hooker présentèrent le même jour, à la Linnean Society of London, un texte, rédigé en commun par Darwin et Wallace, intitulé On the Tendance of Species to Form Varieties, and the Perpetuation of Varieties and Species by Natural Selection . Par la suite, Wallace, bien que poursuivant avec succès sa carrière scientifique mais faisant preuve d’une modestie exemplaire, s’effaça devant Darwin qui, ainsi, eut la bonne fortune d’être le principal champion de l’évolutionnisme.
Les Anglais, à de rares exceptions près (Lyell), ignoraient la théorie transformiste de Lamarck; aussi les idées de Darwin leur parurent-elles extrêmement nouvelles et hardies. Elles furent accueillies avec faveur par la plupart des naturalistes et par le grand public cultivé; elles ne choquèrent que des hommes d’Église, de bonne foi, certes, mais incompréhensifs.
À la fin du XIXe siècle, le darwinisme reçut l’appui du «mutationnisme», théorie imaginée par le botaniste Hugo De Vries (1848-1935); le darwinisme a adopté le postulat d’après lequel les mutations (variations brusques, héréditaires, quelconques) sont les matériaux de l’évolution sur lesquels s’exerce la sélection naturelle. L’étude de la sélection naturelle à partir de modèles théoriques a tenté plusieurs mathématiciens: Volterra (1860-1940), Fisher (1930), Sewall Wright (1969), entre autres. Par la voie de la déduction, en appliquant les lois de l’hérédité, ils en tirèrent des règles exprimées en formules mathématiques. Les auteurs contemporains, tout en restant strictement fidèles aux principes posés par Darwin, prétendent faire du nouveau et parlent d’un néo-darwinisme . Julian Huxley a exposé leurs thèses, en détail et avec talent, dans son livre: Evolution, the Modern Synthesis (1942).
Au cours des vingt dernières années, un nouveau courant de pensée, non orthodoxe, est né; il n’admet ni l’universalité ni l’omnipotence de la sélection naturelle, et accorde au hasard une très large part dans la conservation des nouvelles structures (Kimura et Ohta, 1971).
2. Preuves de l’évolution
L’évolution, a-t-on écrit, n’est pas une hypothèse mais un fait. Tant de preuves ont été produites en sa faveur que cette affirmation s’impose. Il n’est plus un biologiste pour la mettre en doute. Seules des sectes religieuses ne l’acceptent pas.
Preuves paléontologiques
Ce sont les plus fortes, car elles donnent l’image de ce que fut l’évolution réelle au cours des temps. Les chimistes et physiciens ont livré au paléontologiste les techniques qui lui permettent de dater les fossiles. On constate que, dans leur ensemble, les deux règnes animal et végétal sont allés de formes simples à des formes de plus en plus complexes.
La flore
D’abord apparaissent les Bactéries (3 milliards 200 millions d’années), puis les Cyanophycées (Algues bleues). Les végétaux cellulaires viennent deux milliards d’années plus tard. Ils se composent d’une seule cellule; les uns possèdent un pigment chlorophyllien et sont autotrophes , les autres en sont dépourvus et sont hétérotrophes (le plus souvent chimiotrophes ).
La réalisation des Algues pluricellulaires se fit lentement; les formes que l’on découvre dans les dépôts siluriens étaient déjà fort évoluées et ont été précédées, selon toute vraisemblance, par des types plus simples.
Les Nematophycus , dont le thalle avait jusqu’à un mètre de diamètre, flottaient, Laminaires géantes, dans les mers siluriennes. Les premiers Végétaux terrestres, les Psilophytales, sont trouvés dans les sédiments du Dévonien moyen et supérieur. Les Rhynia , qui comptent parmi les mieux connues, se composaient d’un rhizome à poils absorbants, d’où s’érigeaient des tiges grêles terminées par des sporanges. Les Psilophytales, qui possédaient des vaisseaux, n’étaient plus de simples Thallophytes, mais des Cryptogames vasculaires. On sait quel développement prirent ceux-ci à partir du Dévonien supérieur, pour atteindre leur apogée au Carbonifère.
Au Carbonifère moyen, les Phanérogames font leur apparition avec les Cordaites . Par la suite s’y ajoutent quelques Cycadées et les Conifères avec le genre Walchia . L’ancêtre des Ginkgos est déjà connu au Permien (Ginkgophyllum ).
Au Secondaire, tandis que déclinent les Cryptogames vasculaires, que persistent encore quelques Fougères à graines (Ptéridospermées), les Gymnospermes se développent, avec les Cycadées qui atteignent leur maximum au Jurassique, puis ne cessent de décliner, et les Conifères, qui prennent la première place dans la flore terrestre du Crétacé. Les Angiospermes apparaissent brusquement au début de cette période (Aptien) et, à la fin du Secondaire, des plantes à fleurs, voisines de nos espèces, sont déjà parfaitement conformées et comprennent à la fois des Monocotylédones et des Dicotylédones.
Le règne végétal, au cours des temps, s’est donc progressivement compliqué: les formes simples sont apparues les premières, les formes complexes, les dernières.
La faune
L’ère précambrienne qui s’étend sur près de 800 millions d’années a été féconde en production de nouveautés. Elle a vu naître les Protozoaires qui constituent vraisemblablement un ensemble hétérogène, dont les composantes sont issues de souches ancestrales distinctes.
L’animal franchit un pas immense quand, d’unicellulaire, il devint pluricellulaire et ordonna ses cellules en un sac clos délimitant un espace, ébauche d’un milieu intérieur. En même temps, il formait des cellules spécialisées dans la reproduction et détentrices en puissance de la totalité des caractères propres à l’être; ces cellules ou gamètes assurent la pérennité de l’espèce: elles sont potentiellement immortelles. Un tel être simple existe encore dans les eaux salées: le Trichoplax . Sans doute date-t-il d’une époque antécambrienne.
Au début de l’ère primaire , l’animal gravit un échelon de plus quand il répartit en deux feuillets les cellules le constituant: l’un externe ou ectoderme , l’autre interne ou endoderme . À cet état diploblastique (deux feuillets embryonnaires) appartiennent les Spongiaires (Éponges) et les Cnidaires (Hydres, Méduses, Coraux), qui apparurent il y a quelque 700 millions d’années. Le troisième grand événement fut l’apparition d’un troisième feuillet, le mésoderme . Les animaux triploblastiques acquièrent des organes à fonctions spécialisées et bien individualisées et une tête (à l’exception des Échinodermes à symétrie radiaire). Leur naissance se place avant le Cambrien, il y a probablement 600 millions d’années. Dès que le troisième feuillet fut acquis, l’évolution se précipita et de nouveaux plans d’organisation contribuèrent grandement à compliquer le règne animal.
Du Cambrien, nous connaissons Spongiaires, Cnidaires, Annélides, Mollusques, Onychophores, Crustacés, Mérostomes, Trilobites et Brachiopodes. En revanche, aucun fossile attribuable en toute certitude à un Vertébré n’appartient à cette époque.
Au Silurien, les groupes, qui existaient au Cambrien, changent en se perfectionnant: les Crinoïdes se compliquent; les Trilobites montrent des formes de plus en plus variées; les Nautilidés, parmi les Céphalopodes, se diversifient. Au Silurien supérieur, les Scorpions sont les premiers Arthropodes à passer sur la vase ou sur la terre ferme. À la même époque, les Vertébrés font leur apparition avec les Ostracodermes, qui appartiennent à la classe des Agnathes, c’est-à-dire des Lamproies, et réunissent des caractères archaïques (absence de mâchoire inférieure et de vertèbres individualisées, présence de deux canaux semi-circulaires, d’une seule narine médiane, etc.) à des caractères fortement évolués (œil pinéal, organes électriques, etc.).
Au Dévonien, les Mérostomes atteignent leur apogée, tandis que surgissent de nouveaux types d’Ammonites et les Placodermes, Poissons à squelette cartilagineux et à plaques squelettiques dermiques, pourvus d’une mandibule inférieure. Au Dévonien supérieur, on découvre les Sélaciens.
Au Carbonifère et au Permien, Myriapodes, Insectes, Arachnides se fossilisent dans les dépôts continentaux ou littoraux. Les Poissons osseux sont déjà reconnaissables, mais gardent encore des structures archaïques. Les premiers Vertébrés tétrapodes, les Stégocéphales, apparus au Dévonien supérieur sous des aspects proches des Poissons Crossoptérygiens évoluent en de multiples directions. Au Permien, les Reptiles: Prosauriens et Théromorphes, débutent par des formes de taille minime et de mœurs terrestres, tandis que les Stégocéphales disparaissent. Très tôt, les Théromorphes s’orientent vers l’organisation mammalienne.
L’ère secondaire voit le déclin des Échinodermes à tige et la poussée des formes libres. Les Ammonites foisonnent et atteignent leur apogée. Les Mérostomes et les Trilobites disparaissent; les premiers laissent quelques vestiges de leur splendeur. Les Crustacés supérieurs, les Décapodes, font leur apparition et les Insectes à métamorphoses complètes datent du Secondaire. Les Poissons osseux à squelette bien ossifié remplacent les cartilagineux (Ganoïdes). Les Reptiles connaissent une étonnante fortune et peuplent de formes géantes la terre ferme aussi bien que les mers et les airs.
Les premiers Mammifères, apparentés aux Ictidosauriens, sont connus du Jurassique: ils sont de petites dimensions et de complexion archaïque. Les Placentaires ne viendront que plus tard, au Crétacé. Les plus anciens Oiseaux ont été trouvés au Jurassique supérieur.
Lorsque l’ère tertiaire s’ouvre, tous les Reptiles géants ont disparu; en revanche, les Oiseaux et les Mammifères connaissent une extraordinaire floraison. Presque tous leurs ordres actuels se forment au début de cette époque.
Au Quaternaire , l’Homme, Homo sapiens , précédé par de grands Primates d’âge tertiaire, fait son entrée sur la scène terrestre.
Au terme de cette revue très sommaire, on découvre que l’ordre évolutif, c’est-à-dire l’ordre chronologique d’apparition des groupes, correspond à l’ordre de complication anatomique et physiologique tel que les zoologistes l’ont établi. Ce qui permet d’assurer que les formes simples sont plus anciennes que les complexes (à la réserve près des phénomènes d’évolution régressive).
Jusqu’ici, aucune trouvaille paléontologique n’est venue infirmer cette règle; les Agnathes précèdent les Poissons, et ceux-ci, les Batraciens... Si on découvrait un Mammifère antérieur aux Reptiles, on mettrait en doute la valeur de la loi; mais étant donné la masse des documents accumulés, on peut sans crainte tenir une telle éventualité pour hautement improbable.
La complication organique et la montée vers un psychisme supérieur ne se sont pas opposées à la diversification des types et à des évolutions particulières formant les pics du massif montagneux qu’évoque en imagination l’ensemble des formes qui se sont succédé au cours de l’évolution. Le type Insecte (avec les insectes sociaux), les Crustacés décapodes, les Échinodermes... sont les sommets atteints par l’évolution diversifiante. L’Homme occupe l’un d’eux, mais non le sommet de la pyramide (comme l’affirme une conception anthropocentrique de l’Univers) que formerait le règne animal tout entier.
Dans bien des cas, les fossiles ont permis de reconstituer et de suivre dans le temps l’évolution de lignées, telles que celles des Chevaux, des Mastodontes, des Rhinocéros, des Chameaux, pour s’en tenir aux Mammifères. La paléontologie peut davantage. Elle réussit parfois à surprendre la naissance d’une classe. Par exemple, elle a établi la généalogie des Mammifères qui prennent racine au sein des Reptiles Pélycosauriens. Leur genèse fut lente et s’étend sur une durée d’environ 80 millions d’années.
Le paléontologiste possède aussi des séries de fossiles (Oursins, Pectens, Cérithes...) qui lui enseignent comment se sont réalisées les nouveautés et lui apportent la preuve irréfutable de l’évolution. Si, au mépris de l’évidence, on refuse cette preuve, on dénie toute signification aux fossiles et on se résigne à ne comprendre ni les transformations dans le temps des plantes et des animaux, ni l’apparition de nouvelles structures et de nouvelles fonctions.
Preuves embryologiques
L’étude comparative des embryogenèses a révélé des faits démontrant l’existence du processus évolutif. Au cours de son développement, l’animal passe rapidement par les états embryonnaires de ses ancêtres. De cette constatation, Ernst Haeckel (1866) a tiré la loi biogénétique fondamentale , que Thomas Huxley a énoncée avec esprit sous la forme que voici: tout animal durant son développement embryonnaire grimpe à son arbre généalogique. Cette loi avait été entrevue bien avant Haeckel par E. R. Serres (1824) et par Von Baer (1792-1876), mais ni l’un ni l’autre n’en avaient compris la signification transformiste.
Rappelons que la loi se trouve parfaitement applicable aux Mammifères: au cours de leur ontogenèse, ils sont d’abord morula , puis blastula et gastrula que déforme un ample lécithocèle (cavité pleine d’un liquide nutritif). Leur neurula rappelle singulièrement celles des Amphibiens et des Reptiles, les fentes branchiales et arcs branchiaux sont reconnaissables et présents, mais les fentes ne s’ouvrent pas, et le matériel cellulaire qui les forme participe à la construction du cou et à la genèse de glandes endocrines (thyroïde, parathyroïdes, thymus). L’ébauche du cœur est tubulaire et courbée en S à la manière d’un cœur de Poisson; le rein est d’abord un pronéphros, puis un mésonéphros et enfin un métanéphros. Tous les embryons de Vertébrés ont la corde dorsale des Amphioxus et des Agnathes; autour d’elle se moulent les vertèbres.
Ces faits sont inintelligibles si l’on ne reconnaît pas une parenté, une communauté d’origine aux animaux qui, au cours de leur développement embryonnaire, possèdent les mêmes ébauches organiques et passent par les mêmes stades.
La loi biogénétique fondamentale s’applique à tous les embranchements, à toutes les classes composant le règne animal. Elle a été critiquée par quelques naturalistes anglo-saxons parmi lesquels se distinguent Garstang (1923-1929) et de Beer (1929). Ils lui opposent que l’embryon d’une classe supérieure ressemble, au cours de son développement, non aux adultes des classes inférieures, mais aux embryons de ces mêmes classes. On substitue alors à la loi de Haeckel les lois qu’énonça l’embryologiste Von Baer, il y a plus d’un siècle, et dont l’auteur ne vit pas les rapports avec l’évolution.
– Au cours du développement embryonnaire, les caractères généraux apparaissent plus tôt que les caractères particuliers. Un Chien, au cours de son ontogenèse, est un Vertébré avant d’être un Mammifère et un Mammifère avant d’être un Carnivore.
– Les structures les moins générales dérivent des structures les plus générales et ainsi de suite jusqu’à ce que se réalisent les caractères les plus spéciaux.
– L’embryon d’un animal donné demeure toujours distinct des embryons des autres formes.
– Fondamentalement, l’embryon d’un animal supérieur ne ressemble jamais à l’adulte d’une espèce inférieure mais seulement à l’embryon de cet adulte.
En réalité, contrairement à ce que croient certains biologistes, la pensée de Haeckel n’est pas tellement différente de celle de Von Baer. C’est faire injure au naturaliste d’Iéna que de le supposer capable d’assimiler un embryon de Mammifère à un Poisson adulte mangeant, nageant et se reproduisant. Il suffit de formuler explicitement la critique pour en montrer ce qui est excessif. Haeckel a tenu, c’est certain, à souligner la persistance, au cours du développement individuel, des traces de l’état antérieur. Il avait parfaitement raison. Il ne faudrait pas que des critiques, portant plus sur le détail que sur le fond, fassent oublier le bien-fondé de cette vue pénétrante. Sans doute, il est des formes embryonnaires ou larvaires caractéristiques qui n’ont pas toujours un rapport évident avec un état adulte antérieur. Ainsi, qui affirmerait que le nauplius des Crustacés et la trochophore de l’Annélide ou d’un Mollusque correspondent à des formes adultes ancestrales plutôt qu’à des stades adaptés à la dissémination de l’espèce?
D’ailleurs, Haeckel lui-même a bien perçu les différences qui existent entre l’ontogenèse et la phylogenèse. Il a su séparer les structures qui ont une valeur phylétique de celles qui n’en ont pas. Il n’a jamais soutenu que les ancêtres de la Roussette (Sélacien) avaient nagé avec une énorme vésicule vitelline appendue à leur face ventrale. Il a qualifié de palingénétiques les caractères qui récapitulent les stades ancestraux et de cœnogénétiques ceux qui apparaissent secondairement. Le placenta est un organe cœnogénétique, tandis que le cœur courbé en S, la corde dorsale, les somites céphaliques sont palingénétiques. Il a aussi parfaitement vu que l’ontogenèse peut présenter une altération des caractères palingénétiques par un dérangement de leur ordre d’apparition; à ce trouble, il donne le nom d’hétérochronie . En vérité, les causes sont multiples qui, au cours du développement, troublent la palingenèse .
Que l’embryon d’une classe supérieure ressemble aux embryons ou aux adultes des classes inférieures, il n’en porte pas moins l’empreinte du passé. Sans elle, qui aurait pu reconnaître la position systématique et la signification des Rhizocéphales? Qui aurait deviné dans la structure d’une Sacculine ou d’un Peltogaster le plan d’organisation de l’Arthropode? Personne, sans doute! La découverte des stades embryonnaires nauplius et cypris a non seulement permis d’affirmer que Sacculine et Peltogaster sont des Crustacés, mais de préciser leurs affinités avec les Cirripèdes. La persistance de stades primitifs est ici certaine. D’une façon générale, les organismes parasites les plus dégradés conservent des larves presque identiques à celles des espèces libres; mentionnons le nauplius du Xenocœloma , cet étrange Copépode qui vit greffé aux flancs d’une Annélide, les trochophores des Gastéropodes parasites. Il en va de même pour les formes fixées: dans le cas des Ascidies, par exemple, la larve «têtard», qui possède corde dorsale et tube neural, en est un excellent exemple.
Gamètes, embryons et larves sont moins sujets à varier que les formes parfaites. Le spermatozoïde de tous les Métazoaires est construit sur le même type: chez l’Éponge comme chez le Mammifère, il est une cellule flagellée, sans cytoplasme, avec un noyau portant un centrosome à sa base. Les spermies aflagellées (divers Crustacés, Termites, Diplopodes, Arachnides...) ne sont que des aberrations du type général. L’interprétation de la persistance et de l’uniformité de ce type ne peut être qu’évolutionniste et orientée dans le sens indiqué par Ernst Haeckel. Si la ressemblance n’intéresse pas l’adulte mais concerne l’embryon, cela ne change pas le fond même de la loi; en effet, l’embryon porte les caractères de la classe à laquelle il appartient; cette constatation fait même l’objet de la troisième loi de Von Baer. Que le Mammifère passe par le stade Poisson ou par le stade embryon de Poisson, qu’importe à l’évolutionniste! L’essentiel est que l’influence ancestrale continue à peser sur l’ontogenèse.
Comment le passé peut-il agir sur le développement individuel, processus actuel par excellence? Il faut d’abord se rendre compte que les organes embryonnaires, même s’ils ne donnent aucune partie de l’adulte, ne sont pourtant pas dénués de fonction. La corde dorsale, qui est le seul axe squelettique de l’Amphioxus et aussi, à peu de chose près, de la Lamproie (Agnathe), existe dans les embryons des autres classes de Cordés, bien que, dans certaines, elle disparaisse complètement chez l’adulte. Elle n’en sert pas moins chez tous de moule vertébral et d’inducteur: sans corde dorsale, pas de colonne vertébrale possible. Les arcs branchiaux existent dans tous les embryons des Vertébrés. Au stade adulte, il ne sont fonctionnels que chez les Agnathes et les Poissons, mais, des Batraciens aux Mammifères, ils jouent un rôle important dans la genèse de certaines parties de l’appareil respiratoire (trompe d’Eustache), d’organes lymphoïdes (amygdale, thymus) et de la région cervicale. Autrement dit, un même matériel cellulaire a, selon les groupes considérés, une destinée et des productions diverses. En voici un exemple: le cartilage de Meckel a, chez les Mammifères, un sort bien différent de celui qu’il subit chez les autres Vertébrés, puisque tous les os issus de ses portions proximales se séparent de la mandibule et passent au service de l’oreille moyenne. Dans la genèse du rein, le pronéphros sert probablement d’organisateur à l’égard du mésonéphros et celui-ci à l’égard du métanéphros. Il faut donc tenir le plus grand compte de la physiologie embryonnaire dans l’interprétation des structures ontogénétiques.
Toutefois, il est des organes qui ne jouent probablement aucune fonction et qui ne sont que les vestiges d’un état ancestral: citons, entre autres, les germes dentaires des embryons d’Oiseaux, homologues des dents de l’ancêtre reptilien, les vésicules cœlomiques de la tête de l’embryon d’Insecte qui se désagrègent sans laisser de traces mais indiquent la métamérie de très lointains ancêtres (se reporter au paragraphe sur les organes rudimentaires).
Tous les Vertébrés, pour s’en tenir à eux, ont, dans leur patrimoine héréditaire, un fonds commun de gènes qui déterminent la structure «vertébré», tandis que d’autres gènes réalisent la structure moins générale «oiseau», par exemple; enfin, de certains dépendent les caractères de l’ordre, du genre et de l’espèce. Ces gènes, au cours du développement, n’agissent pas au même moment, mais entrent en action selon un ordre déterminé. Ceux qui correspondent aux structures les plus générales, c’est-à-dire les plus anciennes, interviennent les premiers et ainsi de suite. Les décalages dans le temps de l’activité des différents gènes sont responsables de l’hétérochronie. Le code génétique est transmis aux effecteurs selon un ordre temporel défini, lié sans doute au développement épigénétique.
La récapitulation phylogénétique se ramène en dernière analyse à la possession d’un assortiment de gènes légués par les ancêtres et communs à toutes les classes inférieures à la classe de l’espèce considérée. Rien de métaphysique, dans ce rappel du passé, mais simplement la mise en jeu, sous l’empire de causes actuelles, de déterminants héréditaires provenant des plus lointains ancêtres. Vue sous cet angle, la loi biogénétique conserve une valeur de tout premier ordre. Elle est confirmée d’ailleurs par d’autres preuves embryologiques. Ainsi les territoires formatifs des feuillets et des organes des Vertébrés sont disposés dans l’œuf selon un plan qui existe dans ses grandes lignes dans l’œuf de Tunicier, ancêtre des Cordés (Amphioxus, Vertébrés).
Unité de composition chimique
La biochimie a démontré que tous les êtres vivants sont composés de cytoplasme et d’une ou de plusieurs molécules d’ADN (acide désoxyribonucléique) qui code l’information et assure sa réplication; sa distribution égale, tant quantitative que qualitative, est opérée par la mitose équationnelle. La microscopie électronique a apporté la preuve que tous les êtres vivants cellulaires possèdent les mêmes organites, à savoir noyau avec chromosomes et nucléole, mitochondries, ergastoplasme, appareil de Golgi, ribosomes. En outre, la biochimie a prouvé que vingt acides aminés ont formé les structures protéiniques de tous les êtres vivants, comme vingt-cinq lettres ont suffi à donner toutes les langues indo-européennes.
Ces faits et d’autres, que nous ne pouvons exposer par manque de place, imposent l’idée de l’origine unique de tous les êtres vivants. La substance des premiers s’est transmise sans interruption jusqu’à nous et se perpétuera dans les siècles des siècles, probablement aussi longtemps que notre planète recevra la lumière du Soleil.
Anatomie comparée
Les organes homologues
On constate que des organes, bien que distincts par leur structure et leur fonction, proviennent d’un même matériel cellulaire de l’embryon. De tels organes sont dits homologues : par exemple, la vessie natatoire des Poissons et le poumon des Vertébrés aériens. Le matériel embryonnaire change de destinée, c’est le principe de la déviation évolutive qui montre, en quelque sorte, l’évolution en action, avec acquisition de nouveaux gènes. Les pièces buccales des Insectes, si diverses d’un ordre à un autre, les os de la face et du crâne des Vertébrés ne s’interprètent qu’à la lumière du principe de la déviation évolutive et de l’homologie organique. On admet que les animaux pourvus d’organes homologues possèdent en commun un certain ensemble de gènes, mais, à partir d’un certain stade de l’embryogenèse, d’autres gènes, propres à chaque classe ou à chaque ordre, entrent en jeu et engagent le développement des organes concernés dans une nouvelle voie.
Les organes rudimentaires
Les organes rudimentaires ne s’interprètent qu’à travers l’évolution, dont ils constituent en fait une bonne preuve. Ils sont les homologues d’organes normalement développés dans des groupes zoologiques tenus pour moins évolués. La musculature atrophiée du pavillon de l’oreille chez l’Homme est l’homologue de la musculature qui, chez certains Lémuriens, meut le même pavillon.
Les organes embryonnaires transitoires sont le témoignage matériel d’un certain passé. Par exemple, les embryons d’Insectes portent sur la face ventrale de leur abdomen des rudiments d’appendices qui disparaissent avant la fin de l’embryogenèse, mais persistent, plus ou moins développés, chez les Thysanoures (sensu lato ) adultes. L’embryon de l’Orvet (Reptile saurien) possède des ébauches de pattes, alors que l’adulte est totalement apode.
Les organes rudimentaires, vestiges de l’état anatomique des ancêtres, sont plus fréquents qu’on ne le suppose généralement. L’anatomie de l’Homme en offre un riche assortiment: musculature de l’oreille externe (déjà mentionnée), musculature coccygienne homologue de la musculature caudale, appendice vermiculaire du cæcum, vertèbres coccygiennes, repli semi-lunaire, rudiment de la paupière nyctitante de plusieurs Mammifères, système pileux du corps, etc.
3. Théories explicatives de l’évolution
On peut être un évolutionniste convaincu et rejeter toutes les théories prétendues explicatives de l’évolution. Trop souvent, on confond l’évolution avec le lamarckisme ou le darwinisme. D’un côté, il y a les faits, et ils sont l’essentiel, et d’un autre les vues théoriques, les doctrines. La confusion, lourde de conséquences, est entretenue par certains milieux scientifiques qui oublient que le néo-darwinisme est un système d’hypothèses et non l’expression de la vérité. Deux doctrines ou plus exactement deux grands courants d’idées prétendent expliquer l’évolution: le lamarckisme et le darwinisme. Comme deux phares, Lamarck et Darwin illuminent l’horizon de l’évolutionnisme: leur puissance attractive est telle que la quasi-totalité des recherches ont été inspirées par l’un ou par l’autre. On peut le regretter, car d’autres voies s’ouvrent à la recherche et à la méditation. De cette attraction exclusive, la science a sûrement pâti.
Lamarckisme
Aucune doctrine scientifique n’a été aussi maltraitée que le lamarckisme. Cuvier (1769-1832), qui en fut le farouche contempteur, n’a pas compris qu’à la lumière des découvertes de Lamarck (1744-1829) ses travaux prenaient une grandeur que la simple anatomie descriptive, fût-elle comparée, ne pouvait leur conférer. Darwin dans ses rapports avec les savants de son temps, fut juste et courtois. Dans l’appréciation de ses prédécesseurs, il fit preuve de mesure et d’objectivité, sauf quand il s’agit de Lamarck, sa bête noire; il le traita avec mépris et tint son œuvre pour insignifiante. Thomas Huxley, darwinolâtre inconditionnel, porte sur Lamarck des jugements que leur outrance a discrédités. Jamais critiques et sarcasmes n’aboliront la réalité. Il est inscrit dans les textes, dans les livres, dans les dates que Lamarck est le père de l’évolutionnisme. Dans son Discours d’ouverture de l’an VIII , il ébauche déjà sa théorie. Il constate la continuité du règne animal dans la diversité et la filiation parentale des grandes unités zoologiques comme celle des espèces. Il a clairement vu que l’évolution s’est déroulée, allant du simple au complexe. Dès 1802, il écrit: «Cette gradation, soutenue dans la simplification ou dans la complication des êtres vivants, est un fait incontestable» (ibid. , p. 30).
La chaîne des êtres part des plus simples, les Infusoires, pour atteindre les plus complexes, les Mammifères. Dans son exposé relatif à la dégradation, il précise sa pensée: «Or, comme nous prenons la série générale des animaux en sens inverse de l’ordre même qu’a suivi la nature, en les faisant successivement exister, cette gradation se change alors pour nous en une dégradation frappante qui règne d’une extrémité à l’autre de la chaîne animale...» (La Philosophie zoologique , éd. de 1873, pp. 146 et 147). Cette gradation parentale existe aussi bien chez les Invertébrés que chez les Vertébrés; c’est elle que le naturaliste doit retrouver quand il classe les animaux, l’ordre de gradation correspondant à l’ordre naturel de production. La production des nouveautés est liée à la propriété qu’ont les êtres de changer selon les circonstances. Lamarck a observé de visu la variation des plantes et celle des animaux, particulièrement sur les Mollusques dont il prit une connaissance approfondie. Dans un milieu qui se modifie, les besoins de l’animal ne sont plus les mêmes. «Or, si les nouveaux besoins deviennent constants ou très durables, les animaux prennent de nouvelles habitudes, qui sont aussi durables que les besoins qui les ont fait naître» (La Philosophie zoologique , ibid. , p. 223).
Lamarck attribue une origine différente aux changements des Végétaux. «Dans les Végétaux, où il n’y a point d’actions et, par conséquent, point d’habitudes proprement dites, de grands changements de circonstances n’en amènent pas moins de grandes différences dans les développements de leurs parties; en sorte que ces différences font naître et développer certaines d’entre elles, tandis qu’elles atténuent et font disparaître plusieurs autres. Mais ici tout s’opère par les changements survenus dans la nutrition du végétal, dans ses absorptions et ses transpirations, dans la quantité de calorique, de lumière, d’air et d’humidité qu’il reçoit alors habituellement; enfin, dans la supériorité que certains des divers mouvements vitaux peuvent prendre sur les autres» (La Philosophie zoologique , ibid. , p. 225).
L’action du milieu n’est jamais directe ; elle suscite une réaction de la part de l’être vivant. À ce propos, donnons la parole à Lamarck afin d’éviter toute équivoque: «Ici, il devient nécessaire de m’expliquer sur le sens que j’attache à ces expressions; les circonstances influent sur la forme et l’organisation des animaux, c’est-à-dire qu’en devenant très différentes elles changent, avec le temps, et cette forme et l’organisation elle-même, par des modifications proportionnées», et, plus loin, «assurément, si l’on prenait ces expressions à la lettre, on m’attribuerait une erreur, car, quelles que puissent être les circonstances, elles n’opèrent directement sur la forme et sur l’organisation des animaux aucune modification quelconque» (La Philosophie zoologique , chap. VII, ibid. , p. 223).
En ce qui concerne les animaux, Lamarck a condensé l’essentiel de sa thèse dans les deux lois que voici:
– Première loi: «Dans tout animal qui n’a point dépassé le terme de ses développements, l’emploi plus fréquent et soutenu d’un organe quelconque fortifie peu à peu cet organe, le développe, l’agrandit et lui donne une puissance proportionnée à la durée de cet emploi; tandis que le défaut constant d’usage de tel organe l’affaiblit insensiblement, le détériore, diminue progressivement ses facultés et finit par le faire disparaître.»
– Une deuxième loi pose le principe de l’hérédité des caractères acquis, qui n’a pas été confirmé par l’expérimentation: ce que l’être acquiert au cours de son existence n’est pas légué à ses descendants.
Mais Lamarck, comme nous l’avons écrit plus haut, considère que toute réponse de l’être vivant à un changement de circonstances n’est pas le fait d’une partie de l’organisme mais de celui-ci agissant comme un tout. Si Weismann avait lu Lamarck avec quelque soin, il n’aurait jamais coupé la queue des Rats pour en susciter la régénération. Il en aurait compris le non-sens. L’organisme réagit, par lui-même, aux influences du milieu et élabore sa réponse adaptative. Dans le lamarckisme, il est un agent actif de l’évolution; alors que dans le darwinisme, il la subit et ne peut rien sur son devenir. Lamarck admet que les transformations acquises par les individus sont transmises à leurs descendants, et, ainsi de génération en génération, la lignée change, évolue. Aucune expérience tentée pour provoquer l’héritage d’un caractère acquis ne paraît avoir suscité la réaction globale, unitaire, à laquelle Lamarck attribue l’apparition du caractère adaptatif, le seul pourvu d’une signification pour le processus évolutif. P. Wintrebert (1962), reprenant à son compte la conception lamarckienne, en a précisé l’application aux variations adaptatives des êtres vivants.
En vérité, Lamarck fut bien plus que l’inventeur de l’évolutionnisme, il fut l’un des meilleurs botanistes de son temps (sa Flore françoise fut imprimée grâce à l’appui de Buffon); en tant que zoologiste, il possédait une connaissance étendue de la conchyliologie; il a fondé la systématique moderne des Invertébrés, dont il fixa définitivement les limites. Il reste un des grands philosophes de la nature; méditatif profond, esprit intuitif, ce n’est pas seulement la «dénaturation des espèces» et la formation de nouvelles unités taxonomiques qu’il désire expliquer, mais l’ensemble de la nature. Son livre, injustement oublié, Système analytique des connaissances positives de l’homme et l’Introduction à l’Histoire naturelle des animaux sans vertèbres sont d’une extrême richesse en nouveautés, en vues ultérieurement confirmées par la science.
La philosophie de la nature, les idées de Lamarck n’ont connu ni le succès, ni la diffusion qu’elles méritaient à cause de l’opposition totale que leur fit Cuvier, le tout-puissant. Le lamarckisme ne s’est jamais entièrement relevé des attaques purement passionnelles (c’est-à-dire sans fondement scientifique) que le pair de France lui a prodiguées. Le rejet actuel du lamarckisme tient surtout à l’incapacité dans laquelle se trouve le biologiste de démontrer par l’expérience l’hérédité des caractères acquis. Mais, chose étrange, qui marque une non-perception du contradictoire, nombreux sont les biologistes qui adhèrent au parti darwiniste à cause de la carence lamarckienne; ils ne voient donc pas que la doctrine darwinienne est frappée de la même impuissance que la doctrine lamarckienne: elle n’a jamais prouvé que, dans la nature, un plan d’organisation, une évolution quelconque sont nés de la conjonction mutation-sélection. Ce que l’on exige de l’un, on doit l’exiger de l’autre; telle est la règle de tout esprit épris de science et de vérité.
Darwinisme et néo-darwinisme
L’histoire veut que le jeune Darwin ait eu la révélation du transformisme, non à la suite de lectures, mais au cours de son voyage à bord du Beagle (1831-1836), en comparant la faune des îles Galapagos à celle de l’Amérique du Sud. L’observation des espèces venues du continent et vivant depuis longtemps dans les îles lui révéla que les espèces ont la faculté de devenir autres. Voici comment:
1. L’espèce varie . Dans une espèce donnée, les jeunes ne sont jamais tout à fait identiques à leurs parents, ni identiques entre eux. Cette variabilité native s’oppose en quelque sorte à la variabilité acquise provoquée par les changements de milieu, d’habitudes, etc. Il existe enfin une variabilité indéfinie, spontanée, due à des changements brusques ou sports de l’animal ou de la plante. Darwin a précisé lui-même sa pensée: «Il ne faut jamais oublier que, dans le terme variation, je comprends les simples différences individuelles» (L’Origine des espèces , édition française, Reinwald, 1887, p. 88). Les races d’animaux domestiques (Chien, Pigeon et autres) donnent l’image d’une variation très ample et accomplie en des temps relativement très courts.
2. L’obtention de races et de variétés nouvelles parmi les plantes cultivées et les animaux domestiques est le fait de la sélection des géniteurs. La sélection fortifie le caractère choisi dans ceux-ci. Darwin adopte l’opinion de l’agronome Youatt (exprimée avant la publication de L’Origine des espèces ) d’après laquelle la sélection «permet à l’agriculteur de modifier non seulement son troupeau, mais de le transformer entièrement. C’est la baguette magique au moyen de laquelle il peut appeler à la vie les formes et les modèles qui lui plaisent». Que la sélection artificielle soit pratiquée inconsciemment ou volontairement, on peut toujours en suivre les effets tout au long de la formation et de l’amélioration des races d’animaux domestiques et de plantes cultivées, en comparant les formes actuelles aux formes anciennes. Par exemple, les races de nos poules, qui dérivent toutes du Gallus bankiva d’origine orientale, de nos canards issus du Canard sauvage (Anas platyrhynchos ), ont été formées et isolées par une sélection pratiquée pendant quelques siècles. Darwin accorde peu d’importance à l’hybridation qui combine des caractères préexistants et n’en fait pas apparaître de vraiment nouveaux.
3. Dans la nature, plantes et animaux changent grâce à la sélection (sélection naturelle ), exactement comme le font plantes cultivées et animaux domestiques.
4. La compétition entre individus (lutte pour la vie ), qu’ils appartiennent à une même espèce ou à plusieurs, est le plus souvent provoquée par le déséquilibre alimentaire dont souffrent les populations naturelles, qui subissent des pertes énormes. La sélection joue, faisant disparaître les uns, conservant les autres, et ainsi c’est elle qui est responsable de la différenciation des espèces et des variétés.
5. Les caractères qui donnent prise à la sélection sont infiniment variés et peuvent être très minimes. L’essentiel est qu’ils confèrent un avantage à celui qui les porte et les plus petites variations peuvent posséder une valeur sélective.
«Le duvet du fruit et la couleur de la chair sont considérés par les botanistes comme des caractères insignifiants; cependant, un excellent horticulteur, Downing, nous apprend qu’aux États-Unis les fruits à peau lisse souffrent, beaucoup plus que ceux revêtus de duvet, des attaques d’un Insecte, le Curculio ; que les prunes pourprées sont beaucoup plus sujettes à certaines maladies que les prunes jaunes; et qu’une autre maladie attaque plus facilement les pêches à chair jaune que les pêches à chair d’une autre couleur» (L’Origine des espèces , ibid. , p. 91).
Des différences de même amplitude doivent avoir dans la nature la même importance sélective. La mort, par les éliminations qu’elle cause, accuse les divergences entre les individus d’une même espèce; elle est essentiellement différenciatrice.
Darwin, comme tous les hommes cultivés de son temps, avait lu le livre de Malthus, Essai sur le principe de la population (1797). Sans doute fut-il impressionné par un texte tel que celui-ci: «Un homme qui naît dans un monde déjà occupé, si sa famille ne peut plus le nourrir, ou si la société ne peut utiliser son travail, n’a pas le moindre droit à réclamer une portion quelconque de nourriture, et il est réellement de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature, il n’y a point de couvert mis pour lui. La nature lui commande de s’en aller, et elle ne tarde pas à mettre elle-même cet ordre à exécution.» Ne nous attardons pas à discuter les problèmes d’éthique que posent ces affirmations, mais disons que ce texte et divers autres de l’Essai sur le principe de population ont inspiré à Darwin l’idée du rôle exercé dans la vie des espèces par la lutte pour l’existence, laquelle aboutit à la sélection naturelle. Les mal-conformés, les variants désavantageux sont, dans la nature, les équivalents des pauvres dans la société humaine; vaincus dans la lutte pour l’existence, ils meurent ou ont une faible descendance. Malthus soutient, avec chiffres à l’appui, que dans les sociétés humaines la masse de nourriture s’accroît moins (en progression arithmétique) que la population (en progression géométrique); il en résulte un déséquilibre dont pâtit une fraction de la population, la moins apte à se défendre.
Darwin applique ce principe aux populations naturelles animales et végétales. La quantité de nourriture étant peu variable, elle ne permet que de légers écarts numériques de la population considérée. La sélection naturelle supprime l’excédent. Son intensité (pression sélective) est d’autant plus forte que le déficit alimentaire est plus grand. Mais, en fait, toutes les composantes du milieu extérieur exercent à un degré plus ou moins élevé une pression sélective sur la population considérée, et c’est pourquoi la sélection naturelle semble logiquement aboutir à la survivance du plus apte.
C’est par le tri des caractères modifiés effectué par la sélection en fonction du bien de l’espèce que celle-ci se transforme en une autre.
En 1871, Darwin ajouta à sa doctrine la notion de sélection sexuelle . Les mâles ou les femelles les plus forts ou les plus beaux sont choisis par l’un ou par l’autre sexe, de préférence aux autres, et ont ainsi plus de chances d’avoir une descendance et de transmettre leurs propres caractères. Cette sélection porte principalement sur les caractères sexuels secondaires: phanères, couleurs, danses, chants, etc., qui paraissent dénués d’utilité si on ne leur attribue pas cette valeur sélective.
Nombreux sont les biologistes qui ont tenté de perfectionner la doctrine et de la mettre en accord avec les progrès de la science. August Weismann (1834-1914) s’est montré le plus efficace. D’après lui, tout être pluricellulaire se compose de deux plasmas, l’un contenant l’autre. Le plasma germinatif ou germen comprend les cellules germinales , qui deviennent les éléments reproducteurs ou gamètes . Il est potentiellement immortel, car il se transmet substantiellement d’une génération à une autre. Le soma , qui abrite le germen, constitue le corps de l’être vivant; au bout d’un certain temps, il meurt et devient le cadavre. Il n’exerce aucune influence sur le germen et, de ce fait, ne transmet aucun des caractères qu’il a acquis. Ses variations n’intéressent pas le devenir de l’espèce.
Weismann a reconnu que la sélection, contrairement à l’opinion de Darwin et de ses premiers disciples, ne crée rien par elle-même; elle conserve ce qui préexiste, l’oriente par le choix (ou persistance) des géniteurs, ou rassemble dans un même patrimoine les déterminants qui contrôlent la grandeur d’un caractère quantitatif. Le néo-darwinisme a adopté le postulat de Weismann de l’indépendance radicale du germen à l’égard du soma et celui de De Vries de la mutation, unique source de la variabilité évolutive.
La redécouverte des lois de l’hérédité qu’avait établies le moine Gregor Mendel (1865) fut suivie de l’étude que fit le botaniste hollandais, Hugo De Vries, des variations brusques et héréditaires subies par des Végétaux (Œnothera et autres). À ces variations, connues de Darwin sous le nom de sports et auxquelles, en raison de leurs caractères anormaux, il refusait une valeur évolutive, Hugo De Vries accorde le privilège d’être les agents exclusifs de l’évolution (d’où le nom de mutationnisme donné à sa thèse). Les nouvelles espèces apparaissent brusquement sans formes intermédiaires.
Les déterminants des caractères ou gènes sont des segments de molécule d’acide désoxyribonucléique. Les agents mutagènes en modifient la structure en altérant l’ordre ou la nature des bases (cytosine, adénine, guanine, thymine) qui entrent dans la composition des nucléotides (monomères de l’ADN). Les agents mutagènes ne sont connus que dans le cas des mutations provoquées par l’homme: radium, rayons X, ultraviolets; divers composés chimiques (acide nitreux, gaz moutarde, substances dérivées de l’acridine, etc.). Ajoutons que les variations mutatives des populations naturelles et leur influence sur la démographie sont assimilées par les néo-darwiniens à des tranches d’évolution, ce que contestent formellement de nombreux biologistes. Au total, les principes néo-darwiniens, en dépit de certaines apparences, restent très proches de ceux de la théorie initiale de Darwin: les mutations des êtres vivants, variations fortuites, sont les matériaux sur lesquels s’exerce la sélection naturelle, dont les effets provoquent la transformation des espèces, qui serait l’évolution biologique.
L’application du darwinisme à l’organisation des sociétés humaines a tenté de nombreux sociologues et philosophes: Vacher de Lapouge, Les Sélections sociales (1896); Chamberlain (gendre de Wagner, violemment antisémite), Fondements du XIXe siècle (1899), Homme et Dieu (1921). En Amérique, le darwinisme social est repris sous une forme plus moderne sous le nom de sociobiology (E. O. Wilson, 1975). Cette application du darwinisme ne concerne pas directement notre sujet, l’évolution.
4. Valeur explicative des théories
Le grand – et en fait le seul – argument opposé au lamarckisme est la non-transmission des caractères acquis. La plupart des expériences tentées pour démontrer la non-transmission, comme celles de Weismann, sont inadéquates, voire absurdes. Il n’en reste pas moins que l’hérédité des caractères acquis telle que la conçoivent la plupart des biologistes reste à prouver.
Le lamarckisme actuel est plutôt une manière de concevoir l’évolution qu’une doctrine imposant une solution tenue pour définitive. Il anime ceux qui pensent que l’organisme par lui-même participe à son évolution et n’est pas le jouet d’une production désordonnée de variations quelconques. Il laisse la porte ouverte à de nouvelles observations, à de nouvelles expériences. Il ne refuse pas un rôle à des facteurs internes orientant l’évolution, tels les systèmes, probablement géniques, qui modifient les structures selon la taille de l’être vivant (évolution des Mastodontes, des Titanothères...).
Paul Wintrebert, dans un livre d’une grande originalité, fruit d’une longue et profonde méditation, propose une nouvelle forme du lamarckisme, le lamarckisme chimique , avec comme principe directeur Le Vivant créateur de son évolution , qui est le titre de son livre fondamental (1962). L’avenir, à la lumière de faits nouveaux, mesurera la part de vérité que contient cette théorie.
Le darwinisme, quelle qu’en soit la forme, n’explique pas la grande évolution qui concerne le plan d’organisation de l’embranchement, de la classe, de l’ordre. Il doit borner son ambition à débrouiller les mécanismes de la formation des espèces. La mutation, telle qu’elle se manifeste chez les êtres vivants actuels, est quelconque et se produit à des moments imprévisibles et sans rapport avec l’ontogenèse ou toute autre phase du cycle vital. En majorité, les mutations sont des micromutations moléculaires sans traduction physiologique à l’exception de celles qui entraînent des anomalies, des malformations, des dysfonctions. Dans le temps, elles se succèdent n’importe comment. Elles sont les accidents dont souffrent les molécules d’ADN dans lesquelles est codée l’information constitutive de l’espèce. Elles ne participent pas aux créations que comporte toute évolution. Du fait de leur caractère aléatoire, les mutations, pour satisfaire les nouveaux besoins liés à un changement de milieu ou de comportement, doivent être produites en nombre immense, afin que parmi elles puisse se trouver celle qui convient, et cela à point nommé.
Aucune observation n’autorise à dire que cette éventualité se produit dans la réalité. Jusqu’ici, elle n’est qu’une hypothèse. Le rôle de la sélection naturelle dans les grands processus évolutifs est plus qu’improbable et toujours indémontré . La mutation la mieux étudiée dans la nature, carbonaria de Biston betularia , même dans les districts industriels enfumés, ne s’est jamais totalement substituée au type sauvage. Le taux des mutations (grandes et petites) dans les espèces panchroniques est aussi élevé que dans les espèces récentes supposées variables, ce qui est la preuve tangible, constamment vérifiable, de l’inefficacité des mutations dans l’évolution réelle.
La production des milliards de milliards de mutations qu’exigent, selon le néo-darwinisme, les organogenèses tant soit peu complexes s’étendrait sur des durées dont la longueur dépasse de beaucoup celle des temps au cours desquels l’évolution s’est effectivement déroulée. La durée de l’évolution, telle que l’imaginent les néo-darwiniens, n’est pas celle de l’évolution réelle, elle est beaucoup plus longue.
La mutagenèse est utilisée par les êtres vivants pour ajuster vaille que vaille leur génotype aux conditions de milieu. Elle a pour effet certain de personnaliser les sujets composant l’espèce. Lui attribuer un rôle prépondérant dans la grande évolution, c’est exprimer une hypothèse qui ne s’appuie pas sur des faits.
Le mécanisme de la grande évolution, c’est-à-dire la vraie, reste à découvrir.
5. La théorie synthétique et les mécanismes de l’évolution
Plus personne aujourd’hui ne met en doute l’existence de l’évolution, et les conflits ne commencent que lorsqu’on aborde les mécanismes.
En effet, l’étude de l’évolution poursuivie depuis le XIXe siècle à partir des sciences comparées et des fossiles a permis la construction d’arbres phylogénétiques intellectuellement très satisfaisants (fig. 1 et 2; cf. aussi PHYLOGENÈSE). Mais il fallut attendre les progrès de la génétique formelle, puis de la génétique des populations (cf. génétique des POPULATIONS) pour pouvoir proposer des mécanismes expérimentalement étayés. La difficulté de l’entreprise résidait dans la nécessité d’expliquer des phénomènes développés sur des dizaines ou des centaines de millions d’années, à partir d’expériences ou d’observations menées sur quelques semaines, quelques mois ou quelques années.
La théorie synthétique, aujourd’hui la plus généralement admise, s’appuie sur l’idée darwinienne de la sélection naturelle et considère que la différenciation des catégories systématiques (taxa) d’ordre supérieur s’est faite par différenciation progressive, selon des mécanismes analogues à ceux que l’on rencontre au sein des populations: pour ses partisans, les mécanismes contrôlant la macro-évolution ne sont pas fondamentalement différents de ceux contrôlant la micro-évolution. La recherche des mécanismes contrôlant l’évolution peut donc être effectuée expérimentalement, en ce qui concerne les populations, par la génétique des populations et les modèles proposés confrontés à la réalité paléontologique. Cette théorie, apparue aux alentours des années quarante, grâce à l’action conjuguée de généticiens de populations, de zoologistes et de paléontologistes, tels Teissier et Dobzhansky (1937), Mayr (1942) et Simpson (1944), s’est enrichie de tous les progrès de la biologie moléculaire et de la biochimie comparée effectués ces dernières années.
La sélection naturelle
Darwin avait été frappé par l’énorme variabilité des populations naturelles, mais il fallut attendre la mise en évidence des mutations par les généticiens, au début du XXe siècle, pour en déterminer l’origine. L’analyse des populations naturelles, effectuée entre 1930 et 1960 par Timofeef-Ressovsky, Dobzhansky, Ford, Teissier, Lamotte, Bocquet, devait mettre en évidence le caractère génétique d’une grande partie de cette variabilité. Dobzhansky tenta d’en chiffrer l’étendue en mesurant la fréquence des gènes létaux – qui ne peuvent exister qu’à l’état hétérozygote –, mais l’évaluation précise ne devint possible que lors du passage au niveau moléculaire. S’appuyant sur le fait qu’un gène code pour un enzyme [cf. GÉNÉTIQUE] et qu’une mutation du gène [cf. MUTATIONS] produit un enzyme dont la charge électrique a toutes chances d’être différente de l’enzyme non mutée. Lewontin et Hubby montrèrent, en 1965, que 30 p. 100 des locus géniques sont à l’état hétérozygote, ce chiffre représentant une sous-évaluation systématique liée à la technique.
Une telle quantité de polymorphisme permet la constitution d’un nombre énorme de génotypes (2n types de gamètes pour n couples alléliques). L’interaction, durant le développement, entre ces génotypes et l’environnement fournit un nombre non moins énorme de phénotypes parmi lesquels la sélection peut choisir, ne permettant la survie que des mieux adaptés au milieu, les moins adaptés ne se développant pas ou laissant moins de descendants [cf. SÉLECTION NATURELLE (biologie)].
Les progrès rapides de la cytogénétique et des techniques de la biologie moléculaire ont montré en outre l’existence au sein des populations du polymorphisme des chromosomes [cf. MUTATIONS], qui peuvent présenter des inversions, délétions, soudures, duplications. Celles-ci, plus ou moins importantes, entraînent le doublement d’un gène, d’un fragment de chromosome ou même d’un chromosome entier par suite de crossing-over inégal ou de polyploïdie, avec pour résultat l’augmentation de la quantité d’information (S. Ohno, 1970).
La variété des phénotypes soumis à la sélection permet donc, dans l’absolu, une grande liberté de choix. En réalité, ce choix est réduit du fait du caractère fréquemment contradictoire des pressions sélectives, dont le résultat est le plus souvent un compromis entre les différentes tendances. Mais de nombreuses expériences et observations ont démontré son rôle et aucun expérimentateur ne songe à le nier.
Néanmoins, la perplexité des généticiens devant l’énorme quantité de polymorphisme mise en évidence au niveau moléculaire devait amener un certain nombre de théoriciens, dont Kimura, à proposer la «théorie neutraliste», appelée encore «théorie non darwinienne de l’évolution». Sans nier le rôle de la sélection dans l’élimination d’un certain nombre de mutants délétères, ces auteurs considèrent que les variants enzymatiques mis en évidence par électrophorèse sont sélectivement neutres et que les polymorphismes résultent exclusivement des mutations et d’énormes phénomènes de dérive génétique, liés au très petit nombre d’individus formés par rapport au pool gamétique total. Cette théorie permettant, comme toute théorie mathématique, des prévisions quant aux niveaux d’hétérozygotie des populations naturelles, ses prévisions ont été comparées aux résultats expérimentaux, mais elles n’ont généralement pas été confirmées. En outre, l’analyse expérimentale de l’évolution des variants à divers sites chromosomiques (locus) a conduit à écarter, pour certains d’entre eux, l’hypothèse de la neutralité. Mais les arguments les plus forts contre la théorie se situent au niveau géologique, comme on le verra plus loin.
La spéciation
La théorie synthétique donne un rôle primordial à l’espèce: en effet, alors que le flux génique est libre au sein des populations ou entre populations, il devient impossible au niveau de l’espèce [cf. SPÉCIATION]. Cette impossibilité du croisement entre espèces a pour résultat de maintenir constant le pool génique de celles-ci, assurant ainsi leur adaptation à un type de milieu déterminé.
L’espèce constitue donc l’élément de base de la différenciation: une fois que l’isolement interspécifique s’est installé, la divergence ne peut que s’accroître.
Les modèles de spéciation, présentés essentiellement par Mayr, sont toujours valables. Ou bien la différenciation génétique résultant de la coupure de l’aire de répartition et de la différence des conditions sélectives entraîne secondairement des modifications des gènes contrôlant le comportement sexuel, de sorte que le croisement devient impossible lors du retour au contact, créant deux bonnes espèces. Ou bien un petit nombre d’individus, migrants ou population bordière, se trouvent écartés de la population mère; leur pool génétique appauvri par le hasard se réorganise au cours d’une révolution génétique de sorte que, lors du retour au contact avec la population mère, les individus qui en sont issus sont incapables de se croiser.
Il s’y ajoute néanmoins un certain nombre d’éléments nouveaux: les phénomènes de polyploïdisation, d’abord connus pour être à l’origine de nombreuses espèces de plantes, ont été mis en évidence chez les Amphibiens et les Poissons. Par ailleurs, on considère de plus en plus – sans toutefois disposer d’un nombre suffisant d’exemples bien étudiés – que les remaniements chromosomiques jouent un rôle dans la spéciation.
Est-ce à dire que nous connaissons bien les mécanismes de spéciation? Certainement pas, et dans deux domaines au moins. Nous ne savons presque rien, tout d’abord, sur les gènes de régulation des Eucaryotes, alors qu’un certain nombre de résultats permettent de penser qu’ils jouent un rôle essentiel dans la différenciation morphologique. Ainsi, deux espèces morphologiquement aussi différentes que l’homme et le chimpanzé sont très semblables quant à leurs gènes de structure et ne devraient les différences morphologiques qui les séparent qu’à la mutation de quelques gènes de régulation qui ont modifié le fonctionnement des gènes de structure durant l’ontogenèse, opinion que conforte la ressemblance de leur fœtus. Nous ignorons, d’autre part, le rôle que jouent dans la spéciation les séquences d’ADN mobile moyennement répétitives qui s’insèrent dans le génome de la Drosophile et déclenchent stérilité et haute mutabilité. L’observation de profondes différences de distribution de certains de ces éléments dans les populations naturelles permet de penser qu’ils peuvent jouer un rôle dans la différenciation des populations, voire dans la spéciation. Si les modalités de leur dispersion dans les populations sont encore conjecturelles, les recherches dans ce domaine se multiplient et peuvent aboutir dans un avenir relativement proche.
La différenciation des taxa d’ordre supérieur
Que pensent les paléontologistes de la théorie synthétique? La différenciation des taxa d’ordre supérieur se fait-elle par différenciation progressive, le triptyque «mutation-sélection-dérive» contrôlant le processus?
En 1944, le paléontologiste américain Simpson interprétait l’évolution à partir des mécanismes proposés par les généticiens dans un livre qui devait faire date: Tempo and Mode in Evolution [cf. PHYLOGENÈSE]. Plus récemment (1977), les paléontologistes Gould, Eldredge, puis Stanley, proposant le modèle ponctualiste de spéciation, ont écrit que la théorie synthétique était battue en brèche par les résultats paléontologiques. Qu’en est-il exactement?
La première question posée est de savoir si les mécanismes qui interviennent dans la micro-évolution constatée chaque jour sous nos yeux sont valables pour la macro-évolution qui se déroule à l’échelle géologique [cf. PHYLOGENÈSE].
L’un des éléments de réponse à cette question est fourni par la biochimie comparée et la paléogénétique chimique: la comparaison des séquences d’acides aminés qui constituent les protéines a été faite pour un certain nombre d’espèces contemporaines. En ce domaine, l’hémoglobine a été la première et la mieux étudiée (fig. 3).
L’analyse des séquences protéiniques montre, au sein d’une même espèce, des analogies entre les différents types d’hémoglobine, qui mènent à la conclusion que ces différents types sont issus d’une molécule ancestrale commune proche de la myoglobine: ainsi, le gène codant pour l’hémoglobine provient d’une duplication du gène codant pour la myoglobine, et le gène codant pour l’hémoglobine 廓 d’une duplication du gène codant pour l’hémoglobine 見. La situation de ces gènes sur un même chromosome ou sur deux chromosomes différents permet même de préciser si la duplication s’est faite en tandem par suite d’un crossing-over inégal ou par diploïdie.
D’une espèce à l’autre, on constate des analogies de séquences d’autant plus grandes que ces espèces sont considérées comme phylogénétiquement plus proches par les anatomistes comparés. Étant donné que chaque acide aminé est codé par un codon, le nombre de changements d’acides aminés permet d’évaluer le nombre de mutations maintenues par la sélection depuis la séparation des deux espèces à partir de leur ancêtre commun.
Le rôle de la sélection à l’échelle moléculaire est mis en évidence par le fait que le nonbre de substitutions d’acides aminés est moins élevé dans les sites actifs des protéines (qui déterminent leur rôle biologique) qu’il ne l’est hors des sites actifs (lesquels, sans action précise, peuvent varier au hasard). Même constatation pour l’ADN, où l’on note une vitesse d’évolution différente dans les exons (parties transcrites des gènes) et dans les introns (parties non transcrites, donc neutres), dans l’ADN génique et dans l’ADN intergénique.
Il paraît donc légitime de conclure que la ressemblance des arbres phylogénétiques moléculaires, construits à partir du nombre de substitutions maintenues par la sélection, avec les arbres construits par les méthodes classiques prouve le rôle majeur du tandem mutation-sélection dans l’évolution géologique.
Ce qui ne signifie pas que les substitutions se soient faites à un rythme constant, comme le prouve l’évolution des globines, plus rapide durant la période d’amélioration fonctionnelle qui a précédé le passage à la vie aérienne qu’ultérieurement.
Ces différents éléments montrent, malgré leur caractère sommaire, que les processus qui président à l’évolution dans le domaine des populations sont les mêmes que ceux qui contrôlent l’évolution géologique. Ils confirment en outre le rôle sélectif des polymorphismes protéiniques, contrairement aux affirmations de la théorie neutraliste.
La deuxième question posée est de savoir si certain modèle nouveau développé par les paléontologistes va à l’encontre de la théorie synthétique. Le modèle concerné, le ponctualisme, développe l’idée que la spéciation est un processus rapide (à l’échelle géologique), s’appuyant fortement sur la dérive et dont sortent des espèces qui vont demeurer stables sur une longue période de temps. Ce mécanisme, qui explique bien certaines discontinuités, paraît rappeler beaucoup l’effet fondateur de Mayr et ne semble nullement en contradiction avec la théorie synthétique.
Est-ce à dire que les grandes lignes de la macro-évolution puissent être induites de celles de la micro-évolution? Certainement pas. Les modèles peuvent être proposés par la micro-évolution, mais l’opportunité de les appliquer aux données paléontologiques ne peut être décidée que par les paléontologistes eux-mêmes, à partir des fossiles.
En résumé, il semble légitime de conclure que la théorie synthétique de l’évolution, bâtie à partir de données pour une part purement logiques, a bien résisté à l’épreuve des découvertes des cinquante dernières années. Ce qui ne veut pas dire que tout soit expliqué. Des lacunes demeurent, dont certaines seront comblées, comme celles concernant la génétique du développement ou le rôle des éléments mobiles répétitifs d’ADN dans la spéciation, tandis que d’autres ne le seront jamais. Mais l’armature reste solide et le rôle du triptyque «mutation-sélection-dérive génétique», bien affirmé.
évolution [ evɔlysjɔ̃ ] n. f.
• 1536; lat. evolutio « action de dérouler », de volvere « rouler »
I ♦
1 ♦ Milit. Mouvement exécuté par des troupes qui changent leur position pour une nouvelle. ⇒ 1. manœuvre. Les évolutions des troupes au cours d'une bataille, d'une revue.
♢ Cour. Au plur. Suite de mouvements variés. Les évolutions d'un avion au-dessus d'une ville. Suivre avec intérêt les évolutions d'une danseuse, d'un patineur.
2 ♦ Littér. et vieilli Action de faire un tour, une rotation. ⇒ révolution. « l'évolution des corps célestes » (Miomandre).
II ♦ (fin XVIIIe en sciences) Fig.
1 ♦ Suite de transformations dans un même sens; transformation graduelle assez lente, ou formée de changements successifs insensibles. ⇒ changement, transformation. Moments, phases, stades, étapes d'une évolution. Évolution lente (⇒ glissement) , rapide, continue, discontinue; progressive, régressive. Considérer les choses dans leur évolution. ⇒ 2. devenir, mouvement. Évolution des événements, d'un conflit. ⇒ développement, histoire, 2. marche, processus, progression; 1. tournure. Lente évolution qui provoque une révolution. Évolution des idées. Évolution des mœurs. Évolution d'une notion, d'une doctrine, d'une science; description d'une évolution (⇒ historique) . Refuser toute évolution (⇒ immobilisme) . Évolution d'une langue; évolution phonétique, sémantique d'un mot. — En (pleine) évolution. Science en pleine évolution.
♢ Changement dans le caractère, les conceptions d'une personne, d'un groupe. Il est venu à cette doctrine par une lente évolution. Évolution personnelle. « l'évolution, [le] lent changement du personnage, à la faveur de ces événements » (A. Gide).
♢ Méd. Évolution d'une maladie, les différentes phases par lesquelles elle passe. ⇒ cours, processus.
2 ♦ (1870; trad. angl. evolution employé par Lyell [1832], Darwin [1859]) Biol. Transformation progressive d'une espèce vivante aboutissant à la constitution d'une espèce nouvelle. ⇒ macroévolution, microévolution; spéciation. L'idée d'évolution s'oppose dès la fin du XVIII e siècle à celle de la fixité des espèces professée par Linné. Doctrines de l'évolution (⇒ darwinisme, évolutionnisme , lamarckisme, transformisme) . Évolution discontinue (⇒ mutationnisme) . L'espèce humaine « représente l'aboutissement d'une longue série de transformations, autrement dit d'une évolution » (J. Rostand).
⊗ CONTR. Immobilité. Permanence, stabilité. Fixité.
● évolution nom féminin (latin evolvere, dérouler) Passage progressif d'un état à un autre : L'évolution de la mode. Succession des phases par lesquelles passe un processus pathologique : Étudier l'évolution d'une tumeur. Transformation du caractère, du comportement, des opinions de quelqu'un au cours du temps : Observer l'évolution d'un homme politique. Ensemble de ces modifications, stade atteint dans ce processus, considérés comme un progrès ; développement : Être arrivé à un haut degré d'évolution. Ensemble des changements subis au cours des temps géologiques par les lignées animales et végétales, ayant eu pour résultat l'apparition de formes nouvelles. ● évolution (citations) nom féminin (latin evolvere, dérouler) Jean, dit Jean-Richard Bloch Paris 1884-Paris 1947 Les parvenus, les nouveaux riches et les imbéciles sont les ferments indispensables de l'évolution esthétique. Naissance d'une culture Rieder Émile Michel Cioran Răşinari, près de Sibiu, 1911-Paris 1995 Évolution : Prométhée, de nos jours, serait un député de l'opposition. Syllogismes de l'amertume Gallimard Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck Bazentin, Somme, 1744-Paris 1829 Dans tout ce que la nature opère, elle ne fait rien brusquement. Philosophie zoologique Pierre Teilhard de Chardin Sarcenat, Puy-de-Dôme, 1881-New York 1955 L'Évolution, en découvrant un sommet au Monde, rend le Christ possible, tout comme le Christ, en donnant un sens au Monde, rend possible l'Évolution. Comment je crois Le Seuil François Marie Arouet, dit Voltaire Paris 1694-Paris 1778 Cela est fort beau, mais j'ai du mal à croire que je descends d'une morue. Les Colimaçons du R.P. L'Escarbotier Commentaire À propos du « transformisme » de du Maillet et Maupertuis. Gottfried Wilhelm Leibniz Leipzig 1646-Hanovre 1716 La nature ne fait pas de sauts. Natura non facit saltus. Nouveaux Essais, IV, 16 ● évolution (synonymes) nom féminin (latin evolvere, dérouler) Passage progressif d'un état à un autre
Synonymes :
- développement
Contraires :
Succession des phases par lesquelles passe un processus pathologique
Synonymes :
- progrès
Contraires :
- stabilité
Transformation du caractère, du comportement, des opinions de quelqu'un au...
Synonymes :
Ensemble de ces modifications, stade atteint dans ce processus, considérés...
Synonymes :
- développement
évolution
n. f.
rI./r
d1./d Transformation graduelle, développement progressif. évolution des moeurs, d'une personne. évolution d'une maladie.
d2./d BIOL évolution des êtres vivants, ensemble de leurs transformations élémentaires dues aux mutations génétiques, en liaison avec la sélection qu'opère le milieu de vie.
rII./r Mouvement d'ensemble. évolution d'une formation aérienne.
— (Plur.) Série de mouvements divers. évolutions d'un cheval de cirque.
Encycl. Biol. - La théorie de l'évolution s'appuie sur plusieurs disciplines. La paléontologie fournit des séries d'animaux et de végétaux appartenant à des époques géologiques différentes dont les transformations montrent avec netteté que la forme la plus récente dérive de la plus ancienne. L' embryologie et l' anatomie comparée établissent qu'au cours de l'embryogenèse, un animal passe par des stades comportant des organes et formations transitoires que l'on retrouve chez des animaux beaucoup plus primitifs. La génétique, en étudiant les mutations, a prouvé que les mécanismes fondamentaux des diverses transformations des espèces sont aléatoires; la modification, la création ou la perte de gènes donnent le jour à des individus nouveaux qui sont ensuite sélectionnés par le milieu, les formes non viables étant rejetées.
⇒ÉVOLUTION, subst. fém.
Changement progressif de position ou de nature.
A.— [Dans l'espace]
1. ARM., MAR. Mouvement concerté et ordonné, exécuté par une troupe ou une flotte pour prendre une nouvelle position. Les évolutions et les manœuvres de la veille étaient en réjouissance d'une des grandes victoires anglaises en Espagne (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 921). Les évolutions combinées de troupes de toutes armes en terrains variés (JOFFRE, Mém., t. 1, 1931, p. 49) :
• 1. Des bruits vagues, par moments, venaient de l'inconnu du brouillard : grondements de roues, piétinements de foule, trots lointains de chevaux. C'étaient les mouvements de troupes que la brume cachait, toute l'évolution du 7e corps en train de prendre ses positions de combat
ZOLA, Débâcle, 1892, p. 236.
♦ Escadre d'évolution (vieilli). Escadre constituée en temps de paix pour l'entraînement des officiers et des équipages. L'auteur [du Mariage de Loti] est un enseigne de vaisseau, très jeune, toujours en mer, à cette heure même sur la côte d'Afrique avec l'escadre d'évolution (A. DAUDET, Crit. dram., 1897, p. 216).
— Spéc. [En parlant d'un navire] Fait de changer de cap. Une bonne manœuvrabilité correspond à une évolution rapide sur une étendue réduite de la mer (faible diamètre de giration) (Encyclop. Sc. Techn., t. 8, 1972, p. 270). Le navire en évolution (J. CHAPON, Trav. mar., Paris, Eyrolles, t. 1, 1978, p. 103).
♦ Voile d'évolution. Voile qui permet à un bateau d'évoluer (cf. ce mot A 1 spéc.). Voile d'évolution [la voile carrée] mais bien fragile et qui ne sera remplacée qu'en 1725 par le foc, sur le Triton (LA VARENDE, Tourville, 1943, p. 96).
2. P. ext., cour., gén. au plur. (Action, fait de se déplacer par une) succession de mouvements variés. Le prêtre et les deux diacres, revêtus de riches ornements, exécutent devant l'autel les gestes et les évolutions hiératiques (COPPÉE, Bonne souffr., 1898, p. 97). Dans le métier Jacquard, l'évolution des fils est réglée par un carton percé de trous représentant le dessin (Ch. THOMAS, ARAUD, Fabric. drap, 1921, p. 49) :
• 2. La mer était magnifique; on pouvait facilement suivre à sa surface les rapides évolutions du squale, qui plongeait ou s'élançait avec une surprenante vigueur.
VERNE, Enf. cap. Grant, t. 1, 1868, p. 6.
SYNT. Évolutions gracieuses, légères, lentes; les évolutions d'un avion, d'un danseur, d'un oiseau; légèreté, lenteur, rapidité des évolutions.
— P. anal. L'écriture arabe des premiers siècles, celle qu'on nomme coufique, se compose de caractères mâles, aux bases anguleuses, aux brusques évolutions, et dont la ferme élégance a quelque chose de monumental (Ch. BLANC, Gramm. arts dessin, 1876, p. 285).
3. Spéc., vieilli. Fait d'exécuter un mouvement circulaire, de tourner. Synon. révolution. Dans la colossale évolution terrestre autour du soleil, l'océan, avec son flux et reflux, est le balancier du globe (HUGO, Travaill. mer, 1866, p. 255).
— En évolution. Le vent est au nord, dit gravement Colline, en indiquant une girouette en évolution sur un toit voisin (MURGER, Scène vie boh., 1851, p. 227).
B.— [Dans le temps]
1. a) Processus continu de transformation, passage progressif d'un état à un autre. Une évolution irréversible; l'évolution de la vie; compromettre, favoriser une évolution. Arrivé à ce tournant de ma vie, et jetant un regard sur ce long ruban de route à travers mon passé (...). C'est bien moins mon évolution qui me frappe que ma fixité (MAURIAC, Journal 1, 1934, p. 70). Une révolution est produite par la sensation de lenteur d'une évolution. Si les choses changent assez vite, pas de révolution (VALÉRY, Suite, 1934, p. 69). J'assiste (...) à la transformation, à l'évolution sous les forces du monde extérieur, de notre petit clan incohérent et uni (ARNOUX, Crimes innoc., 1952, p. 209) :
• 3. La conception que nous avons tenté d'exposer ci-dessus ne s'est pas formée d'un seul coup, et n'est que le terme d'une évolution qui s'est poursuivie depuis plus d'un demi-siècle, et n'a pas été sans rencontrer de sérieuses résistances...
Gds cour. pensée math., 1948, p. 45.
— Évolution + adj.
♦ [L'adj. exprime une qualité] Évolution constante, contemporaine, fatale, générale, ininterrompue, limitée, normale, particulière, pathologique, régulière, séculaire. Tout être vivant dépend étroitement de son milieu et s'adapte aux fluctuations de ce milieu par une évolution appropriée (CARREL, L'Homme, 1935, p. 19).
En partic. [En parlant d'une société, d'un pays] Évolution capitaliste, libérale, révolutionnaire, socialiste. Nous espérons voir se développer en Italie une évolution démocratique, qui, un jour ou l'autre, permettra à la France de régler ses affaires avec cette Italie-là (DE GAULLE, Mém. guerre, 1956, p. 630).
♦ [L'adj. exprime une relation] Évolution personnelle; évolution culturelle, linguistique. Pour tous ceux qui se tiennent au courant de l'évolution scientifique, il n'est plus permis de douter que la physiologie se constitue en ce moment comme une science biologique fondamentale autonome (C. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p. 93). L'évolution phonétique du français et son évolution morphologique sont étroitement liées (Traité sociol., 1968, p. 269) :
• 4. Dans toute évolution normale, individuelle ou collective, l'amour nous conduit d'abord à la foi, tant que l'essor demeure spontané. Mais, quand il devient systématique, on construit la foi pour régler l'amour.
COMTE, Catéch. posit., 1852, p. 174.
SYNT. Évolution animale, humaine, terrestre; évolution biologique; évolution démographique, économique, morale, politique, religieuse, sociale, spirituelle; évolution sémantique.
— Évolution + compl. de nom
♦ [Le compl. désigne ce qui évolue] Évolution de l'humanité, de l'univers; évolution de la pensée; évolution de l'art, de la médecine; évolution d'un artiste, d'un homme; évolution d'un conflit, d'un fléau, de la situation; évolution des sociétés; évolution des connaissances, des mœurs; évolution des prix, des salaires. L'évolution d'une langue se conforme, en gros, à une loi d'efficacité maximum dans la répartition des mots (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 115).
♦ [Le compl. désigne la durée de l'évolution] Une évolution de deux mille ans (BRETON, Manif. Surréal., 2e Manif., 1930, p. 117).
— Évolution vers, en. C'était en elle une telle débâcle des croyance anciennes, une évolution telle vers un monde nouveau, qu'elle n'osait s'interroger et conclure (ZOLA, Dr Pascal, 1893, p. 124). La découverte des grosses molécules à propriétés de virus nous rend un peu plus aisément concevable cette évolution de la matière inerte en matière vivante (J. ROSTAND, Genèse vie, 1943, p. 195).
— Évolution, déterminant de subst. L'axe, le sens, la marche, le mécanisme d'une évolution; les étapes, les phases d'une évolution; l'aboutissement, le résultat d'une évolution; un processus d'évolution. Il ne saurait être question, bien entendu, en pure critique d'art, que de comparer chaque artiste avec lui-même et de dessiner la courbe de son évolution (LHOTE, Peint. d'abord, 1942, p. 157).
— Loc. En (pleine) évolution. Dans les sciences en évolution, l'empirisme précède donc la théorie (C. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878 p. 180).
b) Spéc. [En parlant d'une maladie] Passage par les divers stades de son développement habituel, présentation de ses manifestations, de ses symptômes successifs. Des septicémies à évolution suraiguë (NOCARD, LECLAINCHE, Mal. microb. animaux, 1896, p. 470). Si l'on intervient à temps, on peut enrayer l'évolution des lésions et guérir les malades dans 90 % des cas (NOCARD, LECLAINCHE, Mal. microb. animaux, 1896 p. 634). L'incubation est lente : elle peut durer de huit à dix ans. Et l'évolution elle aussi est lente (MONTHERL., Lépreuses, 1939, p. 1453).
c) P. méton. Le résultat, le terme d'une évolution. [L'élection de Louis Bonaparte à la présidence de la République] n'était plus une évolution réelle, rationnelle, c'était une création du bon plaisir électoral, une légende, un mythe (PROUDHON, Confess. révol., 1849, p. 269).
2. BIOL. [Toujours avec l'art. déf.]
a) [Le terme de l'évolution est prévisible] Développement individuel d'un organisme animal ou végétal depuis la cellule initiale qui le renferme tout entier en puissance et jusqu'à l'âge adulte (ou la sénescence). Synon. ontogénèse. Comme Bonnet, Cuvier croit que l'animal adulte résulte simplement de l'évolution, c'est-à-dire de l'accroissement en tous sens d'un germe semblable à lui, contenu dans l'œuf (E. PERRIER, Zool., t. 1, 1893, p. 383). Cf. développement ex. 7 :
• 5. L'évolution de l'être vivant, comme celle de l'embryon implique un enregistrement continuel de la durée, une persistance du passé dans le présent, et par conséquent une apparence au moins de mémoire organique.
BERGSON, Évol. créatr., 1907, p. 19.
b) [Le terme de l'évolution n'est pas prévisible] Série de transformations qui ont conduit à l'apparition, puis à la diversification des espèces par filiation à partir d'une même forme de vie primitive. Synon. phylogénèse. Si le fait de l'évolution est hors de conteste, on discute encore (...) sur la nature des procédés par quoi elle s'est accomplie (J. ROSTAND, La Vie et ses probl., 1939, p. 168). Depuis les temps de Darwin et de Lamarck, de nombreuses trouvailles sont venues établir l'existence des formes de passage que postulait la théorie de l'évolution (TEILHARD DE CH., Phénom. hum., 1955, p. 83) :
• 6. Les observations d'organogénie (...) semblent confirmer pleinement cette idée de l'évolution successive des êtres les plus simples jusqu'aux plus compliqués, dont chaque groupe, chaque Espèce, représente un des points d'évolution.
Gérard ds Dict. univ. d'hist. naturelle, Paris, t. 5, 1844, p. 431.
♦ P. ext. :
• 7. Fortement influencé par le transformisme de Lamarck et de Darwin, Spencer conçoit une théorie de l'évolution universelle (...) reposant sur un processus de différenciation qui conduit de l'homogène à l'hétérogène.
Hist. sc., 1957, p. 1571.
— Spéc. Évolution régressive. ,,Les processus de réduction et de rudimentation qui affectent certaines structures organiques`` (THINÈS-LEMP. 1975). Certaines régressions, tolérables dans une constellation particulière de facteurs écologiques, n'entravent nullement l'équilibre adaptatif. L'évolution régressive des animaux cavernicoles en est le meilleur exemple (Encyclop. univ. t. 6 1970, p. 829).
Rem. 1. On rencontre rarement l'expr. évolution progressive à cause de l'idée de progrès qu'implique normalement le terme évolution. Des organismes soumis à toutes les lois de l'évolution progressive ou régressive par mutations ou variations brusques des caractères spécifiques (DUHAMEL, Maîtres, 1937, p. 108). 2. La plupart des dict. gén. enregistrent évolutionnaire, adj. a) ARM., MAR. ,,Qui concerne les évolutions`` (LITTRÉ). b) Qui a rapport à la doctrine de l'évolution ou transformisme. Emploi subst. masc. ,,Celui qui est partisan de cette doctrine`` (ibid.). On rencontre ds la docum. un emploi subst. de cet adj. avec le sens de « partisan d'un changement progressif ». On dit d'Émile Ollivier qu'il n'est pas un révolutionnaire, mais un évolutionnaire (HALÉVY, Carnets, t. 1, 1867, p. 147).
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1718-1932. Étymol. et Hist. 1536 art milit. « action de manœuvrer » (L'Œuvre d'Aelian, f° 297 ds GDF. Compl.); 1776 « changement, transformation, développement » (Tristram Shandy, trad. de Frenais, chap. 161 ds Revue des Deux-Mondes, 15 oct. 1873, p. 761 ds LITTRÉ). Empr. au lat. class. evolutio « action de dérouler, de parcourir ». Fréq. abs. littér. :1 969. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 338, b) 2 119; XXe s. : a) 3 951, b) 4 573. Bbg. CAMUS (P.). L'Évolution, écran de fumée. Déf. Lang. fr. 1973, n° 67, pp. 21-24. — LA LANDELLE (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, p. 176. — QUEM. DDL t. 5 (s.v. évolutionnaire). — ROBINSON (A.-H.). Les Désignations de la « marche dans l'espace ». Fr. mod. 1974, t. 42, p. 157.
évolution [evɔlysjɔ̃] n. f.
ÉTYM. 1536, selon Bloch, au sens milit.; lat. evolutio « action de dérouler », du supin de evolvere, de e- (ex-), et volvere « rouler ».
❖
———
1 Milit. Mouvement exécuté par des troupes qui changent leur position pour en prendre une nouvelle. ⇒ Manœuvre. || Les évolutions des troupes au cours d'une bataille, d'une revue militaire. || Évolutions navales. || Escadre d'évolution, spécialement constituée pour faire des exercices tactiques. || L'évolution (rare), les évolutions d'une escadrille.
1 Dans cet état de choses, quel espoir de se mesurer avec avantage contre des hommes vieillis dans la discipline, formés aux évolutions, instruits dans la tactique ?
G.-T. Raynal, Hist. philosophique, XVIII, 47.
2 Les évolutions se font par conversions, contre-marches, doublement de rangs ou de files (…) La science ou l'art des évolutions (navales) est l'art de conduire et de faire agir plusieurs vaisseaux ensemble (…)
Dict. de Trévoux, art. Évolution.
♦ Cour. au plur. Suite de mouvements variés. ⇒ Mouvement. || Les évolutions d'un avion, d'un planeur au-dessus d'une ville (→ Aéronef, cit. 2). || Évolutions des chevaux dans un cirque, des cavaliers dans un carrousel. || Suivre avec intérêt les évolutions d'une danseuse (⇒ Arabesque), de patineurs. || Vous allez voir le célèbre trapéziste X dans ses évolutions.
3 Qu'il apprenne à faire tous les pas qui favorisent les évolutions du corps, à prendre dans toutes les attitudes une position aisée et solide (…)
Rousseau, Émile, II.
4 Se tenant par les mains et formant une chaîne, elles (les danseuses grecques) se livrent à de lentes évolutions accompagnées de chants.
F. de Miomandre, la Danse, p. 7.
2 Didact. ou littér. Action de faire un tour. ⇒ Révolution.
♦ Mar. Rotation d'un navire autour de son axe vertical; fait de changer de cap. ⇒ Giration. || Navire en évolution. — Faire faire à une meule des évolutions rapides (Hatzfeld).
5 (…) des élans qui parfois ne nous projetaient qu'à une centaine de yards, et d'autres fois nous faisaient accomplir une évolution complète autour du tourbillon.
Baudelaire, Trad. E. Poe, Histoires extraordinaires, Descente dans le Maelstrom.
6 L'autel, placé au centre du temple, figurait le soleil, et les officiants, représentant tantôt les signes du zodiaque, tantôt les sept planètes ou les constellations, tournaient autour de lui dans le sens de l'évolution des corps célestes.
F. de Miomandre, la Danse, p. 5.
———
II Fig.
1 Suite de transformations dans un même sens; « transformation graduelle et conçue en général comme assez lente, ou comme formée de changements élémentaires assez minimes pour n'être pas remarqués » (Lalande). ⇒ Changement, transformation. || Processus d'évolution. || Moment, phase, stade, étape d'une évolution. || Le cours, le terme d'une évolution. || Évolution lente, rapide, continue, discontinue. || Évolution progressive (⇒ Progrès), régressive (⇒ Régression; catagenèse). || Considérer les choses dans leur évolution. ⇒ 2. Devenir, mouvement. || Suivre, favoriser, compromettre l'évolution de quelque chose. || L'évolution, principe de la dialectique. || Évolution de la matière, des êtres vivants, de l'esprit. — Évolution du sol : ensemble des transformations du sol au cours du temps. || Évolution historique; évolution d'un peuple, d'une civilisation. || Les Lois psychologiques de l'Évolution des peuples, ouvrage de G. Le Bon (1894). ⇒ Histoire (→ Dépendre, cit. 6). || Évolution des événements, d'un conflit. ⇒ Développement, marche, processus, progression; tournure. || Lente évolution. || Évolution vers le socialisme. || Évolution et révolution. || Évolution des idées, des mœurs. || Évolution d'une notion, d'une doctrine, d'une science; description d'une évolution. ⇒ Historique. || Évolution d'une langue; évolution phonétique, sémantique d'un mot. ⇒ Vie. — En (pleine) évolution. || Science en pleine évolution.
7 (…) et il en était venu à accepter, comme évolution définitive et magnifique, la transformation de la grande république française en immense république humaine.
Hugo, les Misérables, V, I, V.
8 Ainsi nous avons déjà vu à Paris l'évolution romantique favorisée par la monarchie, pendant que les libéraux et les républicains restaient opiniâtrement attachés aux routines de la littérature dite classique.
Baudelaire, l'Art romantique, R. Wagner et Tannhäuser, II.
9 Ce n'est point une évolution, comme on dit un peu sottement, employant inconsidérément, par un abus lui-même incessant, un des mots du langage moderne qui est devenu lui-même le plus lâche, c'est un approfondissement.
Ch. Péguy, la République…, p. 279.
10 On sent qu'une ère nouvelle va commencer, à laquelle, avec un noble loyalisme et le souci de freiner dans la mesure du possible l'inévitable évolution, le maréchal de Mac-Mahon essaie encore de présider.
Georges Lecomte, Ma traversée, p. 30.
11 L'histoire enseigne que les dogmes, pendant des siècles, ont pu se transformer, s'accroître, être soumis à l'évolution générale : vivre, en somme. Pourquoi, maintenant, les laisser immobiles dans la tradition, comme des momies ?
Martin du Gard, Jean Barois, p. 61.
12 L'évolution, c'est le déroulement régulier des phénomènes, des événements, des idées, déroulement, selon les saisons, plus ou moins lent, plus ou moins rapide, mais toujours soumis aux exigentes lois de la vie.
G. Duhamel, Manuel du protestataire, Préface, p. 9.
13 (…) ces exemples tirés de l'histoire, sur lesquels on assied une « loi » qui prétend valoir pour toute l'évolution, passée et future, de l'humanité.
Julien Benda, la Trahison des clercs, p. 256.
♦ Changement dans le caractère, les conceptions d'une personne, d'un groupe. ⇒ Métamorphose (→ Apport, cit. 2). || Il est venu à cette doctrine par une lente évolution. || Il s'est produit chez lui une évolution.
14 (…) l'intérêt de la pièce n'est sans doute point tant dans la peinture des événements que dans celle de l'évolution, du lent changement du personnage, à la faveur de ces événements.
Gide, Attendu que…, p. 213.
♦ Évolution d'une maladie, les différentes phases par lesquelles elle passe. ⇒ Cas (cit. 15); cours, processus. || Maladie à évolution lente, rapide.
2 (V. 1870; trad. de l'angl. evolution employé par Lyell (1832), Darwin (1859)}}; 1877, in Littré, Suppl.). Transformation progressive d'une espèce vivante aboutissant à la constitution d'une espèce. ⇒ Évolutionnisme, transformisme. || Théorie de l'évolution des espèces. || L'idée d'évolution s'oppose dès la fin du XVIIIe siècle à celle de la fixité des espèces professée par Linné. || Doctrines qui font de l'évolution un phénomène continu fondé sur l'hérédité des caractères acquis (⇒ Darwinisme, lamarckisme), un phénomène discontinu sans hérédité de caractères acquis (⇒ Mutationnisme). || On admet de nos jours que l'évolution a produit des rameaux parallèles, qu'elle a été discontinue, limitée, irréversible, qu'elle s'est faite généralement dans un même sens et qu'elle a été progressive dans l'ensemble. — Évolution régressive : processus de réduction, de simplification affectant certaines structures organiques. — L'Évolution créatrice, œuvre de Bergson.
15 Tous les jours, sous nos yeux, les formes les plus hautes de la vie sortent d'une forme très élémentaire. L'expérience établit donc que le plus complexe a pu sortir du plus simple par voie d'évolution. Maintenant, en est-il sorti effectivement ? La paléontologie, malgré l'insuffisance de ses documents, nous invite à le croire, car là où elle retrouve avec quelque précision l'ordre de succession des espèces, cet ordre est justement celui que des considérations tirées de l'embryogénie et de l'anatomie comparées auraient fait supposer, et chaque nouvelle découverte paléontologique apporte au transformisme une nouvelle confirmation.
H. Bergson, l'Évolution créatrice, p. 24.
16 Comme toute autre espèce vivante, l'espèce humaine, nous n'en pouvons guère douter, représente l'aboutissement d'une longue série de transformations, autrement dit d'une évolution. Nul ne pense en effet qu'une machine aussi compliquée que la nôtre ait pu se former de prime saut.
Jean Rostand, l'Homme, VIII.
17 La théorie de l'Évolution des êtres vivants, plus connue sous le nom de Transformisme, fut adoptée par les naturalistes, dans la seconde moitié du XIXe siècle, à la suite de la publication par Ch. Darwin de son livre célèbre sur l'Origine des espèces (1859). Cependant, la conception avait déjà été soutenue, plus de cinquante ans auparavant, par le grand biologiste français Lamarck.
Émile Guyénot, l'Origine des espèces, p. 6.
❖
DÉR. Évoluer, évolutif, évolutionnaire, évolutionnisme, évolutionniste.
COMP. Macro-évolution, micro-évolution.
Encyclopédie Universelle. 2012.