Akademik

MISSIONS
MISSIONS

Dans le vocabulaire religieux qui était courant au XIXe-XXe siècle, le terme «mission» désigne essentiellement l’envoi, par une communauté, de représentants ou de délégués, qui sont mandatés pour propager sa foi et implanter ses institutions. Dans ce sens, il n’y a mission que vers l’extérieur, auprès de gens qui ignorent le message qu’on désire leur transmettre. C’est là le sens le plus courant et aussi le plus ancien, car l’apôtre de la première génération chrétienne est, selon l’étymologie grecque du mot «apôtre», un envoyé. Il est accrédité pour aller à ceux auxquels il est envoyé, juifs ou païens, pour leur porter la Bonne Nouvelle du messianisme réalisé et du salut accompli.

Par extension, ou plutôt par restriction, affaiblissement du sens, on parle de mission auprès des fidèles eux-mêmes (et pas seulement des infidèles), dans le cadre des paroisses constituées (et non hors des limites de la chrétienté): la mission n’est alors qu’un temps de prédication plus intense; et le missionnaire de passage ressemble à un propagandiste spécialisé dont on attend qu’il applique un traitement de choc, qu’il provoque un réveil, des conversions, des «retours».

Toujours par extension, mais cette fois avec l’intention de réinsuffler quelque chose du sens originel dans des contextes sociaux qui rappellent pour une part ceux de l’origine, on parle de mission à propos des pays de vieille tradition religieuse; le titre célèbre France, pays de mission? illustre cette acception. Il peut y avoir mission, même en terre de Chrétienté, s’il est vrai que l’étiquette chrétienne fut souvent une référence globale, confuse et trompeuse; s’il est vrai que la religion sociologique a souvent masqué l’absence d’engagement personnel; s’il est vrai, principalement à l’ère industrielle, que de larges couches de population évoluent en milieu néo-païen. On conçoit ainsi qu’il y ait des missions intérieures au même titre (ou peu s’en faut) que des missions étrangères.

Cependant le fait majeur, le fait de civilisation, c’est l’activité missionnaire de la plupart des grandes religions au cours de l’histoire, à travers le monde. Non de toutes les grandes religions: de celles qui ont vocation à l’universel (les religions ethniques ou nationales ne s’exportent pas; si elles s’expatrient, c’est avec leurs membres et pour leurs membres). Non forcément à travers tous les continents (les styles de vie et de pensée, les modes de comportement n’ont pas tous la même efficacité comme modèles: certains d’entre eux peuvent investir d’immenses territoires et rester néanmoins régionaux). Bien que le bouddhisme, dès le IIIe siècle de notre calendrier, ait réuni un concile pour lancer un programme missionnaire (dans les provinces indiennes et dans les pays limitrophes de l’Inde), on peut affirmer sans conteste que certaines religions dites du Livre (le judaïsme, car il a su, dans la période hellénistique n’être pas qu’ethnique; le christianisme ; l’islamisme) ont été les plus ardentes à rayonner, parfois à conquérir; on doit même accorder que pour des raisons diverses, dont certaines n’ont rien de spécifiquement religieux, c’est le christianisme qui a le plus diversifié ses points de diffusion et donc le mieux justifié ses prétentions à l’universalité. Cela explique que les développements qui vont suivre soient consacrés aux missions des confessions chrétiennes. La préférence donnée à celles-ci n’implique aucun jugement de valeur; il y faut voir la reconnaissance d’un événement de culture. Au surplus, l’histoire des missions chrétiennes ayant été fort mélangée et le concept de mission faisant l’objet désormais d’un réexamen, on ne manquera pas d’être intéressé par l’autocritique à laquelle se livrent les missiologues contemporains. Leur lucidité est l’un des signes non négligeables de cette crise des objectifs et des motivations qui affecte en ce moment la conscience occidentale.

1. Introduction critique

Pour le dire brièvement (car les articles ci-après sont surtout faits de considérations théologiques et de notations historiques), deux problèmes au moins se posent touchant le concept de mission.

Le problème de l’apostolat

Le premier problème est très général et ressortit plutôt à une discussion sur l’essence de l’apostolat.

Plusieurs se demandent si un zèle de conversion, un zèle convertisseur, ne reste pas lié à un sentiment de supériorité (notion du «peuple élu») en même temps qu’à un attachement particulariste (le dieu d’Israël devient le dieu de tous, si tous se rallient au point de vue qu’Israël a sur Dieu). La prédication apostolique affiche cependant une volonté d’assouplissement, d’élargissement: elle déborde assez vite la clientèle des synagogues et, dès lors, n’exige plus que les païens, pour devenir chrétiens, se soumettent aux observances de la Loi. Malgré cela, le dicton se maintient: l’Église est une église (une assemblée) de païens, mais le salut vient des Juifs. Autrement dit, l’ouverture aux nations est totale et délibérée; néanmoins, c’est aux nations de s’ouvrir au dieu d’Israël, au messie d’Israël, même si un Israël spirituel évince ou supplante peu à peu l’Israël charnel. Autrement dit encore, l’expansion universelle d’une doctrine particulière n’est autre chose que le triomphe de sa particularité.

On ne voit d’ailleurs pas comment une religion s’imposerait si elle renonçait à sa structure propre, à ses caractéristiques essentielles, à ce qui la rend originale et singulière par rapport aux autres; il est normal qu’elle garde ses contours, qu’elle préserve sa positivité; les syncrétismes trop poussés ne sont pas un facteur de durée.

On aperçoit, en revanche, pourquoi et en quoi la communication d’une vérité religieuse, lestée de la double particularité du message et du messager, ne peut être soustraite à l’ambiguïté: cette vérité n’a pas l’universalité des évidences rationnelles, de celles que chaque esprit peut engendrer ou réengendrer en lui, de son propre fonds, sans que l’aide d’autrui soit plus, pour lui, qu’une incitation pédagogique, qu’un support facultatif et provisoire; l’accueil de la foi par une conscience passe, au contraire, par une attestation venue du dehors et qui réclame elle-même d’être reçue, d’être crue, telle qu’elle est proférée et entendue: d’où la nécessité, pour le fidèle, de manifester son accord avec la communauté croyante en récitant, en reprenant à son compte le formulaire qu’on lui tend (cela, plus spécialement, pour les religions dogmatiques).

Dans ces conditions, la profession de foi est aussi un contrôle, et l’appel à la foi devient prélude à recrutement, prétexte à enrôlement. Comment faire pour que la liberté des personnes, l’autonomie du jugement, demeure entière, dans une circonstance où c’est le messager qui garantit le message et qui décide qu’on l’a compris ou non, qu’on y souscrit ou pas? Bref, comment obtenir qu’une religion d’autorité fasse autorité sans contraindre? On se doute bien que les théologiens ont eu l’occasion d’aborder cette difficulté. Ils sont arrivés à dire, non certes du premier coup, que l’annonce religieuse doit rester de l’ordre du témoignage, à l’écart de toute pression, de toute sommation.

Cette conduite idéale est à louer sans réserve. On aimerait seulement qu’elle eût joué à toutes les époques, qu’elle ne fût pas le fruit tardif de nos sociétés pluralistes. Les Églises ne seraient plus des institutions si elles ne travaillaient à s’établir. Mais elles courent le risque de ne plus être des institutions religieuses lorsqu’elles entendent régner, étendre leur règne, par établissement, à la manière des pouvoirs, en collusion avec les pouvoirs. La contestation porte, aujourd’hui, sur ce point précis, et l’on sait qu’elle est menée de l’intérieur, par les croyants eux-mêmes. Il convient d’en prendre acte. On ne rencontre pas ailleurs, au même degré, une telle mise en procès des propagandes d’appareil, des prosélytismes d’influence. Curieusement, le militantisme renaît dans d’autres zones, avec ses générosités, ses impuretés, sans tenir compte de ce qui, dans les religions elles-mêmes, a surmonté la part du fanatisme, du choix polémique, de l’instinct de combat. Le spectacle de la jeunesse actuelle surprend et inquiète l’observateur; ces adolescents n’innovent guère, quand ils se montrent obsédés de millénarisme; mais, à l’exception des marginaux du rêve et de la douceur, on peut leur reprocher d’avoir le messianisme âpre et dur, de négliger quelque peu ce qui, en Occident, fut si long à germer: cette vertu fragile, la tolérance. Il est vrai, comme l’explique un sociologue américain, qu’une ferveur de néophytes mûrit en eux. Ils n’attendent pas la révolution; ils attendent une révélation.

Pénétration religieuse et respect de l’étranger

Le second problème, plus restreint, mais voisin du premier et même étroitement connexe, est celui du respect de l’étranger.

La mission chrétienne, elle aussi, a colonisé; pis encore: elle aussi a conquis et exterminé; elle aussi a confisqué, spolié et occupé; ou, pour atténuer, pour être plus équitable, elle aussi a participé à des expéditions de prestige, à des entreprises de gloriole et de profit. Les bonnes intentions n’y changent rien, et les bienfaits répandus, même à profusion, n’y changent rien non plus. Il faut dire davantage, car finalement l’alliance de fait, l’entente du missionnaire avec le soldat, le gouverneur, l’exploitant, le commerçant (pour des questions de transport, la mission n’a jamais suivi que des routes commerciales), pourrait être seulement d’un temps et paraître aussi explicable, sinon excusable, que les mœurs de ce temps. Le plus grave est la frustration type, celle qui concerne la personnalité de l’étranger, son identité culturelle et jusqu’à son identité socio-religieuse. En regard de cette dépossession, les autres larcins sont mineurs.

Pourtant le problème est loin d’être simple. Lorsqu’un féticheur accède au monothéisme, on tient généralement qu’il progresse; à plus forte raison y a-t-il progrès lorsqu’un primitif découvre que l’humain l’emporte sur le tribal ou lorsqu’un paria apprend que la dignité ne relève d’aucune hiérarchie (pourtant, dans ces trois cas, le déséquilibre trop brusque est une épreuve autant qu’une aventure). On peut donc concevoir une véritable émancipation ou une véritable promotion par voie religieuse. Et, tout compte fait, il est probable que le bilan civilisateur de l’intervention missionnaire est largement positif.

Néanmoins plusieurs constatations donnent à réfléchir. Il semble que, sur certains terrains, en raison de certaines mentalités, le christianisme lui-même ait rencontré des rivaux peu ébranlables, voire inébranlables, ce qui prouve que l’affrontement des cultures ne joue pas automatiquement en sa faveur: quelques spécialistes ont même prétendu, à la fin des années 1960, que la carte des religions pourrait bien ne pas modifier ses traits majeurs avant longtemps.

Ensuite, on a souvent remarqué qu’une pénétration chrétienne qui tire parti de situations régressives (peuplades à religion archaïque, populations sous-développées, économiquement assujetties, politiquement sous tutelle) ou de situations négatives (prolétariats des centres urbains, des ports, des comptoirs côtiers, et aussi xénophilie intéressée de ceux qui bénéficient du contact avec les étrangers) ressemble plus à une technique d’assistance matérielle, de colonisation intellectuelle et spirituelle qu’à une évangélisation proprement dite: même la tâche d’éducation, de philanthropie, d’élévation humaine devrait être mieux distinguée, sinon disjointe, des tâches d’apostolat.

Enfin et surtout, la création des clergés indigènes ne suffit pas à rendre une religion autochtone. Contrairement à ce qu’on croit, ce peut être une ruse supplémentaire, une habileté paternaliste, le plus subtil des alibis. Le clergé indigène continue en effet à être formé à l’occidentale. Si d’ailleurs il reçoit cette formation, ce n’est pas simplement par l’effet d’une volonté de centraliser et d’uniformiser; c’est par suite d’une incapacité à concevoir qu’une religion reste plaquée et importée, allogène et aliénante, si elle répugne à se laisser réinventer dans le style de chaque culture. Or, sur ce point, on connaît surtout les occasions manquées (par exemple, la fameuse querelle des rites chinois), et l’on ne peut assurer que les essais récents, trop lents et trop timides, aient des chances d’aboutir. En Asie comme en Afrique, certains missionnaires se préoccupent de savoir si le christianisme a encore la plasticité voulue, si ses formes conceptuelles et rituelles ne sont pas définitivement liées à une géographie et à une histoire, si les adaptations qu’on pourrait tenter ne seront pas que de surface ou de détail. Ils craignent qu’il n’y ait des choix irréversibles, des plis, en apparence accidentels, mais devenus structurels.

De leur côté, les historiens notent que la mission bouddhiste a su récupérer l’infrastructure culturelle, et même cultuelle, qu’elle trouvait en place, et qu’à l’inverse la mission chrétienne l’a résolument bousculée, quelquefois méprisée; ils ne pensent pas que ce soit un hasard; il y décèlent une attitude de principe. Ils observent que le christianisme a été longtemps intégrateur (sans l’avouer, il a pratiqué l’interpretatio , la transposition des acquis extrinsèques, des apports, même païens, pendant des siècles), mais que depuis longtemps, en matière de religion, il a cessé de l’être.

La question sera vraisemblablement rouverte, puisque le catholicisme lui-même retourne à un état fluide, en tout cas moins rigide; mais il y retourne à l’instant où une crise de civilisation discrédite non pas les religions, mais la religion. Autant dire que le problème des missions va changer de portée, qu’il entrera, à son tour, dans une sphère de radicalité. Jusqu’ici on prêchait une religion meilleure, celle qu’on estimait vraie, à des hommes qui, déjà, en possédaient une. À présent, il faudra d’abord convaincre que l’élément religieux de toute religion est indispensable à l’homme, quels que soient sa race ou son milieu. En somme, la période qui s’achève est celle de la concurrence entre religions. Le temps qui vient est celui où toutes les religions, s’employant à faire masse, auront à relever le même défi, la même baisse de demande religieuse.

2. Exposé théologique

Ce qu’on ne peut voir, écouter, dire ou ordonner par soi-même, on l’envoie dire, voir, ordonner, entendre par quelqu’un. Cet envoyé (en hébreu shalia ム , en grec apostolos , en latin missus ) s’appelle, selon les cas, émissaire, missus dominicus , légat, délégué, ambassadeur, héraut, mandataire, représentant.

L’apostolat dans la primitive Église

Le judaïsme rabbinique connaît l’institution d’envoyés officiels, les shelî ムîm (Actes, XXVIII, 21). Paul aurait été l’un d’eux lorsqu’il demanda des lettres de créance pour les synagogues de Damas en vue de persécuter les disciples de Jésus (Actes, IX, 2). L’Église chrétienne hérite de cette coutume: de Jérusalem elle envoie Paul, Barnabé et quelques autres à Antioche, munis de leur lettre officielle (Actes, XV, 23). Le shalia ム s’appellerait aujourd’hui plénipotentiaire. Selon les rabbins, il doit être considéré comme le mandant lui-même.

Jésus, pour que l’Évangile soit annoncé, choisit douze apôtres qu’il envoie, à qui il donne «autorité sur tous les démons, pouvoir de guérir les maladies» (Luc, IX, 1) et mission de prêcher la pénitence en vue de la conversion. Il les revêt de son autorité: «Qui vous accueille m’accueille et accueille celui qui m’a envoyé» (Matth., X, 40). L’un d’eux, Pierre (Matth., XIX, 19), puis les Douze (Matth., XVIII, 18) reçoivent les clefs du royaume pour «lier et délier» en son nom. Peu importe ici que le mandat fût ou non temporaire: c’est le progrès de l’institution qu’il faut retenir. Pour le shalia ム juif, la représentation était une clause juridique; pour l’apôtre, elle devient réalité: le maître agit en lui et par lui, dans ses paroles et dans ses actes. Après la Pentecôte, Jésus s’étant révélé comme «le Seigneur» de l’univers, c’est au monde entier que sont envoyés les Apôtres, avec pleins pouvoirs: «Tout pouvoir m’a été donné [...]; allez donc: de toutes les nations faites des disciples [...]. Et moi je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles» (Matth., XXVIII, 18-20).

La mission que donne le Christ, les Apôtres la tiennent de son Esprit, par un don particulier (I Cor., XII; Rom., XII, 6-8; Éph., IV, 11). De là vient que certains, qui ne sont pas des Douze, reçoivent aussi, bien que de façon originale, la grâce et la charge d’apôtre: Paul, Matthias, Barnabé. Tels sont aussi, bien qu’à un moindre titre, leurs successeurs. Il y a cependant une différence essentielle entre les Apôtres – les Douze et Paul – et ceux qui viennent ensuite. C’est en effet sur la foi des Apôtres que l’Église est bâtie: ils en sont les pierres d’angle, les colonnes. Eux seuls ont été «inspirés» pour entendre et diffuser le message de Dieu dans le Christ. La révélation est close avec leur témoignage.

Aux successeurs est confiée la même charge – hormis cette «révélation première» – qu’aux Apôtres, comme on le voit par les lettres de Paul (I Tim., III; II Tim., I et II; Tit., I, 5). Les chefs des Églises reçoivent toute la réalité du don de l’Esprit communiqué aux Apôtres. Aussi est-ce le même programme apostolique qui se retrouve dans les paroles de Jésus aux Douze et dans les récentes instructions conciliaires aux évêques et aux prêtres (cf. Vatican II, Const. Lumen gentium , 22).

Appliquée aux Apôtres, puis à l’Église, la mission qui leur est confiée se répartit, selon la tradition, en trois fonctions essentielles: la charge prophétique, qui est d’annoncer au monde l’Évangile (c’est le ministère de la prédication); le ministère de la sanctification, qui est d’abord de «sanctifier le nom de Dieu», c’est-à-dire de reconnaître Dieu pour ce qu’il est, et aussi de consacrer les hommes à Dieu dans le Christ; le service pastoral, consistant à éduquer dans la foi les baptisés et à les rassembler dans l’unité.

La mission au sens moderne

Pour la théologie ancienne, et jusqu’au XVIe siècle, le terme de mission reçoit un sens déterminé: il évoque l’envoi du Fils par le Père et celui de l’Esprit par le Père (et par le Fils chez les Latins). On distingue, d’une part, les missions divines visibles (telle est l’Incarnation, en laquelle est révélée la filiation: Dieu ne change pas, certes, en envoyant son Fils, mais le Père, le Fils et l’Esprit font que la nature humaine soit unie au Fils; telle est encore la Pentecôte, mission visible de l’Esprit) et, d’autre part, les missions invisibles: telle est, par exemple, la mission invisible de la grâce, qui rend l’homme capable de connaître et d’aimer Dieu pour lui-même, ou la mission donnée à l’Église d’instruire, de sanctifier, de faire paître le troupeau de Dieu.

Aux XVIe et XVIIe siècles, le terme de mission se spécialise. Il ne recouvre plus l’ensemble des fonctions définies plus haut, mais se met à désigner de façon particulière un certain secteur d’entre elles. La théologie de la mission en fait autant. Ce changement de perspective a des causes historiques. En voici deux.

Les nouveaux apôtres

En 1492, Christophe Colomb débarque dans une île de l’archipel aujourd’hui appelé les Bahamas, croyant toucher enfin aux rivages de l’Inde. Les navigateurs ont découvert ce que l’ingratitude des hommes appellera l’Amérique: un continent nouveau, en un temps où l’on pensait naïvement que l’Évangile avait été porté sur toute la terre. On revient donc au temps des Apôtres , et le terme, réservé jusqu’alors aux Douze et à ce qui avait rapport à eux, inaugure une nouvelle carrière, s’appliquant maintenant aux hérauts de l’Évangile dans ces contrées.

Les différences étaient pourtant notables, mais on ne s’y arrête pas. Les premiers Apôtres furent ordinairement persécutés par les empereurs. Les nouveaux sont choisis et envoyés par Leurs Majestés Très Chrétiennes d’Espagne et de Portugal.

Protégés, portés même par le pouvoir, compagnons des armées qui combattent les «Indiens», les nouveaux apôtres sont aussi soutenus par des Églises puissantes, fortement hiérarchisées, solidement organisées en doctrine et en discipline. On est à l’époque de la Contre-Réforme, de l’art baroque, d’une Église «triomphant de l’hérésie». Pour se donner aux Indiens, la parole de Dieu ne s’anéantit pas, ne prend pas la condition d’esclave, ne devient pas semblable aux hommes qu’elle évangélise, comme l’a fait le Verbe selon l’Épître aux Philippiens (II, 7). Hormis quelques contestataires qui, tout au long de cette période, sauveront l’honneur de l’Évangile en dénonçant les abus du pouvoir, les prédicateurs profitent plutôt de l’esclavage qui se pratique et utilisent le pouvoir qui les soutient pour presser les populations de se faire baptiser. Sommaire évangélisation ! Pendant longtemps, les Indiens n’auront pas accès à la prêtrise et à l’épiscopat. Le résultat est, aujourd’hui encore, l’absence d’une Église «indienne», même en certains pays de la cordillère des Andes où la population indienne atteint parfois 85 p. 100 de l’ensemble. L’Église étend partout sa latinité, hiérarchique, disciplinaire, doctrinale et mentale. Cette extension s’entend également des doctrines en cours: les nouveaux apôtres sont imprégnés des «dogmes» et de la mentalité de la Contre-Réforme, et ils diffuseront plus volontiers les nouveaux catéchismes que l’Écritvre. On insistera sur les «pouvoirs» qui seuls habilitent à porter la parole de Dieu, sur les fonctions sacramentelles qui relèvent de la prêtrise, alors que les réformateurs mettront l’accent sur la charge de la Parole et ne feront bientôt aucune différence de «pouvoir» entre pasteurs et laïcs.

Autorité et mission

Aux XVIe et XVIIe siècles, les monarchies européennes renforcent leurs caractères centralisateurs et absolutistes. L’obéissance devient une vertu clé: Ignace de Loyola en particulier et d’autres avec lui insistent sur la totale disponibilité des sujets au bon plaisir des supérieurs qui les envoient; le fondateur des Jésuites met l’accent sur la soumission au pape: «Quelle que soit la province où ils voudraient nous envoyer, nous serons tenus d’accomplir notre mission [...] soit qu’ils nous envoient chez les Turcs [...], soit chez n’importe quels hérétiques, schismatiques ou fidèles» (projet soumis à Paul III, 1540). Le terme «envoyer» (latin mittere ; missi , envoyés), fréquemment employé pour désigner une obédience, un mandat impliquant l’autorité de l’envoyeur et la disponibilité de l’envoyé, n’a au XVIe siècle aucune connotation spéciale, dès lors qu’on peut aussi bien être envoyé vers telle communauté de «fidèles» en Chrétienté. Peu à peu, cependant, au cours du XVIIe siècle, le mot se spécialise. La mission en vient à désigner l’envoi le plus dur, le plus caractéristique aussi (on a moins besoin d’être «envoyé» au milieu des fidèles): vers ceux qui sont le plus loin de la Chrétienté. On envoie en mission chez les Turcs, dans l’empire du Cuzco... Mais, dans le contexte de l’époque, le mot «mission» prend un sens plus juridique que théologique. Ce sont moins des envois de Dieu au monde que des envois d’une partie de la terre – la Chrétienté – aux autres contrées. On ne soupçonne même pas qu’en Chrétienté aussi l’Église «apostolique» soit envoyée au monde, à un monde qui cohabite avec l’Église.

Il faudra longtemps pour qu’on rapproche «missions» et «missions divines». Aux siècles derniers, aucun manuel de théologie traitant de ce dernier point n’évoquera les missions lointaines. Inversement, les missiologues ne songeront guère à l’habitation de l’Esprit dans l’Église et dans les cœurs.

L’évolution sémantique s’achève dans le premier tiers du XVIIe siècle. C’est alors que «mission» désigne exclusivement l’apostolat catholique auprès des païens qui sont loin de la Chrétienté.

Pourquoi ce nouveau vocable? De fait, depuis les origines, l’Évangile n’a cessé de se répandre chez les Gentils, et l’on usait d’autres termes pour le dire. On parlait de «promulgation de l’Évangile», ou d’«Évangile» tout court (au sens paulinien: Gal., II, 7; Rom., XV, 19; Philipp., IV, 15). On disait encore: «annonce de la Bonne Nouvelle», «ministère de la Parole», «prédication» ou «prophétie», «illumination des Gentils», «procuration du salut aux nations», «diffusion ou propagation de la foi». Le dicastère fondé par Grégoire XV en 1622 s’appelle encore Congregatio de propaganda fide . Un bon siècle plus tard, l’usage du mot étant plus ferme, on l’eût appelé de missionibus .

L’usage privilégié (et spécialisé) de ce terme a sans doute deux raisons. D’abord, la foi ne se diffuse plus comme aux origines, de proche en proche. Pour évangéliser les païens, il ne suffit plus de rayonner autour de soi; il faut partir, courir une aventure individuelle et sociale, et en avoir les moyens. Ne part pas qui veut: sauf exceptions (concernant les responsables), il faut être envoyé. Ce départ appelle un mot pour le désigner. Or ce mot, seconde raison, est tout prêt: c’est celui de mission, qui connaît au XVIIe siècle une si grande valeur. Il évoque non d’abord l’Évangile, mais le mandat. Il met en relief l’autorité de l’envoyeur, la soumission de l’envoyé. Toute la mission moderne se ressent de l’accent mis ainsi sur l’envoi hiérarchique. La mission part d’en-haut, elle «va vers», elle «descend» vers les infidèles; elle agit avec autorité; elle parle, enseigne, elle n’a cure d’écouter. Elle exporte ses propres structures de Chrétienté, les imposant de l’extérieur aux pays conquis, puis colonisés. La mission en vient à signifier l’évangélisation des pays lointains telle qu’on la conçoit au XVIe siècle, dans le climat de la Contre-Réforme, des nouveaux ordres et des conquistadores . Elle est l’œuvre de ceux qu’on appelle non des évangélisateurs, mais des missionnaires.

Dans le même temps, le mot de prédication – qui traduit le kerugma du Nouveau Testament, l’annonce de la Bonne Nouvelle aux nations – connaît un affadissement. Au XIIIe siècle, l’ordre des Prêcheurs évoque encore, au moins en grande partie, ce sens. Au XIXe siècle, le prédicateur n’est plus que l’orateur sacré des assemblées chrétiennes. Le sens s’est retourné: il ne regarde plus les infidèles mais les fidèles.

Pour ces deux raisons sans doute: nouveauté de l’aventure du départ, complaisance en une spiritualité du mandat, le terme «mission» acquiert au XVIIe siècle ses titres à signifier «l’envoi spécial de certains hommes pour évangéliser les nations non chrétiennes hors d’Europe».

Dans le protestantisme, cependant, il en va d’une manière sensiblement différente. Pour des raisons complexes, les réformateurs n’ont pas insisté sur la charge des Églises concernant l’évangélisation des nations lointaines. Ceux qui s’en vont, au XVIIIe et surtout au XIXe siècle, ne sont pas «envoyés» par d’autres, mais simplement poussés par l’Esprit. Ils constituent d’eux-mêmes, bien qu’ils soient issus de confessions différentes, telle ou telle société de mission tout à fait autonome. Toutes ces sociétés engendrent des «missions» qui, au milieu du XXe siècle, seront appelées souvent «jeunes Églises». Par la suite, en 1961, le Conseil international des missions (créé en 1921) sera intégré au Conseil œcuménique des Églises.

Signification actuelle du terme «mission»

Les mots ont leur destin: par un curieux retournement, le terme de mission (et de missionnaire) est de plus en plus abandonné dans ces pays que, depuis le XVIIe siècle, on disait «de mission». On parle de la nécessité de «démissionaliser», comme on dit «décoloniser». En terre d’Islam, le mot est d’ailleurs traduit par un vocable signifiant «action de convertir, de recruter pour soi, de faire des prosélytes». En revanche, c’est dans l’ancienne Chrétienté qu’il est de bon ton de devenir missionnaire. Dès lors, où est la mission? Et que signifie être missionnaire?

La question se pose d’autant plus que le renouveau théologique de ce siècle a fait redécouvrir l’importance de la note «apostolique» de l’Église et l’extension de la «mission» – à partir de l’envoi du Père – qui lui est impartie: annoncer l’Évangile, enseigner, sanctifier, éduquer, conduire dans la voie évangélique de la justice et de la charité. On se préoccupe donc de rattacher cette partie de la mission de l’Évangile – évangéliser les païens – à tout l’ensemble de ses responsabilités d’une part, et d’autre part à l’envoi originel par le Père et le Fils, autrement dit aux «missions divines». On ne parle donc plus de Chrétienté envoyant à des pays dits de mission, mais du Père envoyant son Église tout entière en tout lieu du monde (y compris en Chrétienté).

Les déterminations nécessaires

Appliqué aux différentes charges qui sont celles de toute l’Église: enseignement, sanctification, salut, le mot de mission comporte alors une multitude de sens à préciser dans chaque cas.

On parlera de mission de première évangélisation pour l’annonce de la Bonne Nouvelle aux non-chrétiens ou non-croyants, de mission catéchétique (ou catéchèse) pour le développement et l’approfondissement de ce premier enseignement, de mission de sanctification, de mission pastorale interne, etc. On réserve toutefois le titre de missionnaires à ceux qui inaugurent la proclamation de l’Évangile.

C’est ainsi également qu’on multiplie les distinctions pour spécifier les «missions d’évangélisation» dont on parle: missions selon les âges de croissance de la foi dans un peuple, mission «première» ou «commerçante», mission progressante auprès de quelque «jeune Église»; mission externe auprès des groupements de non-chrétiens, mission interne auprès de groupes de chrétiens «mal croyants»; mission extérieure dans les nations globalement regardées comme non chrétiennes, intérieure dans les autres. «Pays de mission», terme juridique ou canonique, désigne les territoires relevant de la Congregatio de propaganda fide . On parle encore de missions «auprès des Juifs», «en terres d’Islam», «près des religions africaines» (détermination spécifique de la mission par la religion à laquelle elle est confrontée); de missions «auprès des athées occidentaux», en «civilisation bouddhique», «indienne» (détermination spécifique par la culture rencontrée); de mission «auprès des prostituées, des proxénètes, des divorcés remariés, des homosexuels, des membres d’une mafia criminelle», que tous ces gens soient ou non chrétiens (détermination spécifique par les mœurs auxquelles l’Évangile s’oppose). Dans la complexité actuelle des rapports de l’Église et du monde, le mot de mission ne comporte de sens précis que par le qualificatif qui le spécifie.

Esquisse d’une théologie missionnaire

Une nouvelle théologie, née avec les premiers travaux du P. Streit (1907), s’est peu à peu mise en place, développée et approfondie.

Les catholiques et les protestants, dont l’histoire est toute différente, s’accordent aujourd’hui sur cette définition: la mission (de première évangélisation) est l’activité fondamentale de l’Église lorsque, envoyée par le Père au monde pour le sauver, elle rencontre celui-ci. C’est en ce sens qu’on en parlera dorénavant. Le monde s’entend ici naturellement, non point de l’humanité aimée de Dieu dont parle l’Évangile – «Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique» (Jean, III, 16) –, mais de celle qui est devenue hostile à Dieu ou qui n’est pas encore pleinement réconciliée avec lui. Le monde, en ce sens, se retrouve aussi bien en terre païenne, dans les zones non chrétiennes ou non croyantes des pays chrétiens, et dans cette part du fidèle non encore convertie et qui milite contre l’Esprit, ou à tout le moins n’agit pas en lui. On parle d’activité «fondamentale» pour la désigner comme l’action source dont dépendent toutes les autres. On entend par «missiologie» la discipline qui étudie cette activité, par «missiographie» la description concrète des missions auprès des non-chrétiens.

Parmi les expériences, les recherches, les études d’aujourd’hui, on peut indiquer les lignes d’évolution suivantes.

Fins et moyens

Du point de vue des fins de la mission, la conception des missionnaires est passée par différentes étapes. Au XVIe siècle encore, on partait pour «délivrer les âmes de l’enfer» auquel tous les païens étaient censés être destinés. Dans la suite, on partit pour «sauver les âmes» et leur enseigner l’Évangile pour «les convertir» et les intégrer à l’Église. Au début de ce siècle, on dénonça (notamment le P. Charles, S.J.) cette visée individualiste. Les encycliques missionnaires insistent sur la «plantation de l’Église» comme fin de la mission.

Seule l’Église, en effet, peut assurer la transmission de l’Évangile et de la foi. Pour éviter cependant que la plantation de l’Église ne soit comprise comme une multiplication «d’agences», à la manière d’une firme internationale, on préfère dire parfois que le but est d’annoncer l’Évangile, ou la Parole, étant entendu que la Parole de Dieu «convoque» (ecclesia veut dire convocation) une assemblée de croyants. L’Église, disait-on au temps des cathédrales, c’est «la foi et les sacrements de la foi», autrement dit: la foi et toutes ses expressions sociales et visibles.

La réflexion missionnaire comme la pratique deviennent très sourcilleuses quant aux moyens. On est loin de la capitulatio de partibus Saxoniae , au temps de Charlemagne; loin du requerimiento tel que le pratiquaient les Espagnols pour mettre les Indiens en demeure d’embrasser le christianisme; loin des croisades, loin même de ce «commerce» subtil, soit de biens, soit de bons services grâce auxquels on mettait de son côté les meilleurs atouts pour «avoir» des «conversions». À vrai dire, la gratuité du témoignage serait impossible si le seul témoignage à rechercher n’était pas celui de la charité gratuite.

Agents de l’évangélisation

Il est dangereux de faire de l’évangélisation le monopole de quelques spécialistes: les missionnaires. Pourtant, s’il n’y a pas de missionnaires, qui partira? Or, c’est toute l’Église qui doit, selon l’expression du P. M.-D. Chenu, «être en état de mission». Les missionnaires ne seront pas des «monopolisateurs», mais des hommes qui rappellent aux chrétiens leur mission, et les y guident.

Contenu de l’Évangile à transmettre

Tant qu’on apportait l’Évangile d’en-haut, sans écouter les autres, en leur imposant une parole apprise ailleurs, on assimilait purement et simplement Écriture et Parole de Dieu. Or, Jésus n’a pas demandé à des «livres» – ou à des éditeurs – de faire connaître son dessein aux nations; c’est à des apôtres qu’il a enjoint d’être ses témoins. La parole de Dieu est toujours à «réinventer» par le cœur et par l’esprit de celui qui la propage, tandis qu’il cherche à rejoindre les aspirations que Dieu a placées dans le cœur des auditeurs-interlocuteurs. La Parole, qui ne saurait se passer d’hommes vivants, serait morte, et «inaudible», si elle n’était également révélatrice de la vie qu’ils entendent mener. Précédant ou accompagnant l’annonce explicite de l’Évangile, la vie de foi du missionnaire demeure fondamentale. En dépit de leur utilité, publicité, propagande, mass media ne la peuvent remplacer.

Activité missionnaire

Il s’agit, en un premier temps, de vivre avec le peuple à qui l’Évangile doit être annoncé: le missionnaire ne doit pas parler du dehors, à la façon d’un professeur. Il doit s’enfouir dans les profondeurs du tissu social, aller vers les pauvres afin de suivre le Christ qui nous a montré ce chemin. Il sera aussi présent aux carrefours de la vie, là où se nouent les relations sociales qui modèlent une société. Il doit enfin partager non seulement la langue des gens, mais encore leurs joies et leurs épreuves collectives. En un deuxième temps, il s’agira surtout de dialoguer . La mission moderne n’est pas enseignement unilatéral, mais effort pour une «conversion» mutuelle, tant des chrétiens que de leurs interlocuteurs: les uns et les autres sont en quête d’une saisie plus totale de la vérité. Le missionnaire s’avise ainsi que la vérité, à laquelle il adhère cependant de toutes ses forces, demeure obscure jusqu’à ce qu’il la rencontre face à face au dernier jour. Jusque-là, il interroge et s’interroge. En troisième lieu, il s’agira d’éveiller l’humain . C’est le problème actuel du développement et de la prise de conscience. Le «développement» est l’avancée vers l’optimum de l’«être» par la médiation de tous les «avoirs» – nourriture, habillement, connaissances, éducation – nécessaires pour chaque peuple et pour chaque personne, en un temps donné, en vue de cette avancée. En un sens, la mission s’identifie à ce développement, car la foi, pour le croyant, constitue la qualification ultime de l’être humain (encyclique Populorum progressio , 21). Mais le problème n’est pas simple: l’accumulation des avoirs peut, aussi bien que la pénurie, entraîner le sous-développement de l’être. Nous connaissons mal la juste proportion et la détermination précise des avoirs qui conviennent à un peuple ou à une personne pour son développement harmonieux, à une époque donnée. La proportion est toujours à trouver, et cette recherche constitue un des problèmes clés de l’évangélisation aujourd’hui, tant pour fixer ce rapport harmonieux que pour dénoncer les faux programmes qui entravent le développement authentique de l’homme. Une «monoproduction» peut enrichir un pays et aliéner les masses; un système scolaire peut multiplier les bacheliers... et les chômeurs. De là procède ce que les Brésiliens appellent la «conscientisation»: l’action par laquelle on fait prendre conscience à un peuple de ses besoins, de la justice qui le concerne, de sa dignité. En quatrième lieu, il s’agit de promouvoir l’amour . Cela pourrait aussi résumer le programme de la mission. Dans le Nouveau Testament, en effet, les dix préceptes se ramènent à deux, amour de Dieu, amour du prochain, et les deux se ramènent au second. Tout est donc récapitulé dans cet amour du prochain, du moins s’il ne fait acception de personne, s’il tend à englober même l’«ennemi», et cela jusqu’à en mourir, comme le Christ. La mission n’a rien d’autre à «dire», rien d’autre à montrer. Mais elle doit – cinquième temps – montrer comment cela s’inscrit dans la Croix glorieuse du Christ, révélatrice de ce que Dieu est pour les hommes, et de ce que les hommes doivent être pour Dieu et entre eux.

3. Histoire des missions

Les missions catholiques

De la Pentecôte au baptême de Clovis (496)

Dans les débuts, le christianisme (où les distinctions confessionnelles introduites ici pour la clarté de l’exposé n’existent évidemment pas encore) se présente comme un mouvement qui s’étend rapidement d’une «cellule» chrétienne à une autre, d’une cité à une autre, et qui se trouve favorisé, d’ailleurs, par l’unité de culture, l’organisation romaine et le système des routes impériales.

La foi atteint d’abord les grands carrefours – les villes – et ne pénétrera que plus tard, à partir de saint Martin (fin du IVe siècle), dans les campagnes. Les premiers centres touchés sont ceux de l’Orient. Au Ier siècle, le christianisme se répand en Transjordanie, en Anatolie (à partir d’Antioche de Syrie), en Égypte, en Grèce, à Rome. Au IIe siècle, il déborde le limes romain à l’est, vers le golfe Persique, et s’étend autour de la Méditerranée. Les populations des provinces d’Asia, de Phrygia, de Pisidia, de Bithynia, d’Armenia et d’Africa (la Tunisie actuelle) sont en majorité chrétiennes; l’Osrhoène aussi. Aux IIIe et IVe siècles, le christianisme s’étend vers l’ouest et le nord jusqu’aux frontières du Danube et du Rhin et jusqu’en Britannia (Grande-Bretagne). On trouve même quelques communautés au-dessus de cette limite, en particulier en Chersonèse (Crimée actuelle). Après la conversion de Constantin en 337, mis à part la nouvelle flambée de persécutions sous Julien l’Apostat, l’Église est en paix; elle s’installe dans toutes les villes de l’Empire et, peu à peu, dans les campagnes. Mais bientôt, sous la pression des Huns, les Wisigoths et les Ostrogoths bousculent les légions qui gardent le front de l’Empire. Tandis que le basileus d’Orient rétablit tant bien que mal son autorité, la partie occidentale de l’Empire succombe sous les coups des Barbares. La Chrétienté se replie sur elle-même. Cependant, l’Hibernia (l’Irlande) devient chrétienne grâce à saint Patrick (389-461) et constituera un réservoir de forces missionnaires pour les siècles suivants.

Cette première période, qu’on appelle parfois «charismatique» (chacun agit selon sa grâce, sans qu’il y ait de plan d’ensemble), porte partout la marque de la culture grecque. Cela est vrai du christianisme qui se répand le long des routes romaines, mais aussi de celui qui est colporté par les Barbares. Ulfilas, l’apôtre des Goths dont il fut d’abord le prisonnier, était cappadocien. Arrivé à Constantinople en 341, il y reçut la consécration épiscopale; mais, comme l’empereur Constance y favorisait alors l’arianisme, Ulfilas embrassa l’hérésie de ses maîtres. C’est ainsi que, par lui, toutes les tribus des Goths qui allaient déferler sur l’Europe, la Mauretania, l’Africa seront ariennes et qu’il s’en faudra de peu que l’Europe ne le devienne. La patrie d’Augustin, ébranlée par les rivalités entre ariens et «romains», sera toute prête à être absorbée par l’Islam au VIIe siècle.

À l’est de l’Empire romain, la foi chrétienne a pénétré très tôt (IIe siècle) dans l’empire iranien des Parthes. Édesse, capitale de l’Osrhoène, fut la première ville du monde à devenir entièrement chrétienne. Le pays voisin, l’Adiabène, connut l’Évangile soit par les chrétiens d’Édesse, soit plutôt par les judéo-chrétiens de Palestine; sa capitale, Nisibe, fit au Concile de Nicée figure de métropole (325). Ce furent encore des missionnaires d’Édesse qui évangélisèrent l’Arménie, région qui, en butte aux rivalités de ses voisins, fournira de nombreux missionnaires au continent asiatique. Au XIIIe siècle, on retrouva des établissements arméniens jusqu’à Khanbaliq (Pékin). La foi chrétienne pénétra aussi en Géorgie dès le début du IVe siècle ; elle s’établit enfin chez les peuples nomades et sémites de la presqu’île arabique, puis en Nubie et en Éthiopie. Elle rencontra dans l’empire des Sassanides (à partir de 226) beaucoup de difficultés qui tenaient surtout à l’attachement de la dynastie aux traditions zoroastriennes et, d’autre part, au fait que l’on y redoutait, après la conversion de Constantin, une influence romaine.

Du Ve au XIIIe siècle

Bien que l’évangélisation «cellulaire» ne se fût pas arrêtée au Ve siècle, la conversion de Clovis constitua un événement qui inaugura de nouvelles méthodes pour la propagation de la foi. Parmi les peuples germaniques qui avaient été repoussés vers l’ouest par les Huns et qui pour la plupart étaient ariens, le royaume franc, au nord de la Seine, était resté païen. Les évêques de Gaule mirent leurs espoirs dans son chef pour s’opposer au raz de marée arien. Rémi de Reims écrivit à Clovis qui, ayant épousé une princesse catholique, Clotilde, se fit baptiser en 496 à Reims avec trois mille guerriers de son comitatus . Après sa victoire sur Syagrius et sur Alaric II, le roi wisigoth et arien, toute la Gaule tomba peu à peu entre ses mains et échappa ainsi à l’arianisme. Les Suèves, au nord de la péninsule ibérique, firent de même à la fin du VIe siècle, ainsi que les Lombards, grâce à la princesse bavaroise Théodelinde. L’action des rois devint alors souveraine et conféra un nouvel aspect à la «mission». Christianiser relevait désormais d’une double entreprise: celle des chefs qui voulaient soumettre leurs voisins et celle des évangélisateurs réduits aux seuls moyens de l’exemple et de la parole.

La politique des rois se trouva étroitement associée aux efforts d’évangélisation dans la conversion des Saxons, des Scandinaves, des Finlandais, des Magyars, des Polonais, des Kiéviens. Pour assimiler la Saxe, dernier bastion germain entre l’Occident et les Slaves, Charlemagne engagea de dures campagnes militaires et édicta des lois plus terribles encore, prix auquel s’effectua la première mission, ou plutôt la soumission de ce pays. En 826, le roi Harald de Danemark, venu chercher la protection des Francs, se fait baptiser, mais la conversion de son peuple prendra encore du temps. À la fin du Xe siècle, le Viking Olaf, roi de Norvège, reçut le baptême en Angleterre et, revenu plein de zèle en son pays, fit mettre à mort quelques païens; son fils, plus clément, acheva la christianisation de la Norvège au XIe siècle. En Finlande, ce sont les croisades successives des Suédois (1157, 1191, 1202) qui font d’abord «connaître» le christianisme aux autochtones. En 1050, le basileus de Constantinople anéantit plusieurs hordes de Magyars, peuple nomade qui venait des régions de l’Oural et dont deux des chefs demandèrent le baptême. En 965, Miesco Ier duc de Pologne, épousa la chrétienne Dobrovka, fille du roi de Bohême Boleslav Ier, et se fit baptiser; tout son peuple adopta le christianisme. En 957, la princesse de Kiev, Olga, reçut le baptême à Constantinople et envoya des évangélisateurs à son pays; mais c’est surtout sous le règne de son petit-fils Vladimir que le christianisme s’y répandit: peu après le prince, qui s’était fait baptiser en 989 à Cherson (Crimée), le peuple participa en masse au même rite dans les eaux du Dniepr.

Cependant, là même où la pression des rois fut la plus forte, les résistances, soit immédiates, soit décalées dans le temps, furent opiniâtres. Finalement, c’est sous d’autres influences que le christianisme s’est implanté durablement: notamment celle des moines irlandais, romains ou anglo-saxons qui furent chargés d’annoncer l’Évangile. En 596, le pape Grégoire Ier envoya en Angleterre quarante moines ayant à leur tête Augustin, le prieur du monastère du Coelius à Rome. Cette entreprise fort risquée aboutit à la conversion de la reine Berthe et de son mari Ethelbert qui se firent baptiser en juillet 597, suivis, en novembre, par dix mille de leurs sujets. Aussi, en 695, le pape Sergius put-il renouveler l’initiative de Grégoire en envoyant, d’Angleterre cette fois, Willibrord († 739) vers le continent pour évangéliser la Frise. En 722, Grégoire II sacre évêque l’Anglais Winfrid, change son nom en celui de Boniface pour mieux souligner le caractère romain de sa mission, et le mande en Hesse, Thuringe et Bavière. Son apostolat tournant autour de l’abbaye de Fulda, Winfrid devient le grand apôtre de la Germanie et meurt martyr à Dokkum (Hollande) en 754. En 830, l’Évangile commence humblement sa carrière en Suède, auprès des esclaves des Vikings venus de différents points d’Europe et cantonnés à Birka, près de Stockholm. Mais la plus belle action missionnaire de cette époque est sans doute celle de Cyrille et de Méthode auprès des Slaves. Cyrille avait déjà révélé son intelligence et son ouverture au cours d’une ambassade, en 860, auprès des Khazars, tribu turque convertie au judaïsme; il avait appris leur langue, déchiffré leur psautier syriaque, parlé avec les rabbins. La mission en Grande Moravie que Photius lui confia ainsi qu’à Méthode était soigneusement préparée; mais l’hostilité des Germains contre la Moravie, la jalousie des Latins (moins cultivés que les Byzantins), l’incompréhension de Rome en diminuèrent la portée. Cyrille mort, Méthode et quelques compagnons se réfugièrent en Bulgarie où ils apportèrent le fruit de leurs travaux: une liturgie en langue slavonne et une écriture qui se répandront chez tous les Slaves.

Le XIIIe siècle, grand siècle missionnaire

En 1095, Urbain II lance l’appel à la croisade, qui pendant plus d’un siècle mobilisera la Chrétienté contre l’Islam, lui-même repris par l’idéal de la guerre sainte (djih d ). Autour des fondations de Cîteaux naissent de très nombreux ordres militaires, hospitaliers, pontifes (fabricants de ponts). Le début du XIIIe siècle est marqué par un sursaut évangélique avec saint François, saint Dominique et les deux ordres qu’ils fondent. Jamais on ne vit moins d’esprit de conquête, de domination ou de possession qu’en certaines aventures d’alors, franciscaines, par exemple. L’évangélisation est soigneusement préparée dans l’attention à la spécificité des cultures. En certains couvents d’Espagne, on fait venir des rabbins et des oulémas pour enseigner le Talmud et le Coran aux frères. Le dominicain Raymond Martin fonde en 1250 une célèbre école de langues, tandis que le génial Ramón Lull (1234-1315) organise la préparation à l’évangélisation et l’enseignement de la langue arabe à l’intérieur de la Chrétienté.

En dehors de l’envoi de franciscains au sud de la Méditerranée (où les frères mineurs auront leurs premiers martyrs), le champ de la mission s’ouvre, pour la première fois, au continent asiatique tout entier. À l’est, en effet, la marée mongole s’avance dangereusement dans ses quatre khanats. L’Occident s’inquiète, multiplie les ambassades et les missions évangéliques dans les diverses parties de cet immense empire. Dans le khanat de la Horde d’or (la Russie actuelle étendue jusqu’à l’Obi), les Mongols écrasent, en 1223, les Russes et les Comans au nord de la mer Noire. Ceux-ci demandent l’aide de leurs voisins les Hongrois, qui leur envoient des frères prêcheurs – dont plusieurs sont réduits en esclavage ou massacrés –, mais le duc Bort demande le baptême, et de nombreux sujets avec lui. Apès le Concile de Lyon de 1245, de nouveaux envoyés (les dominicains André de Longjumeau et Ascelin de Crémone, les franciscains Dominique d’Aragon et Jean de Plancarpin) s’avancent beaucoup plus loin et rencontrent quantité de chrétiens déportés: Géorgiens, Hongrois, Comans, Alains, etc. De nombreuses missions atteignent le Caucase et la Crimée, où se convertit le prince alain (à Vospro), ainsi que les khanats du Djagataï et du Kataï (Aral, Baïkal, Xinjiang). En 1289, Jean de Montecorvin est envoyé au Kataï (Chine), où il découvre le royaume chrétien des Ongüt, évangélisé jadis par les Assyriens nestoriens. À Khanbaliq (Pékin), dont il devient archevêque, il fait de nombreuses conversions, surtout parmi les Mongols, les Chinois, les Alains déportés.

Dans le khanat de Perse, région déjà islamisée, après la victoire du kh n H l g sur Bagdad en 1258, les Mongols déferlent. Ils commencent néanmoins par protéger les dominicains et libèrent les esclaves francs. Des Mongols chrétiens deviennent même métropolite et évêque. En 1318, le pape Jean XXII crée la province ecclésiastique de Sultanieh (sud de la mer Noire) qui aura juridiction sur les khanats de Perse et du Djagataï, sur l’Inde et jusqu’en Éthiopie. Les chrétientés de Quilon et de Ceylan furent florissantes. Mais le fanatisme musulman des Mongols convertis, la réaction des Ming à partir de 1368, la peste noire, les distances eurent peu à peu raison de ces immenses efforts dans un espace réputé inaccessible. Au XVe siècle, il ne restait presque plus rien.

La période des patronats (XVIe-XVIIe siècle)

En 1492, les Espagnols s’emparent de Grenade, dernier point d’appui musulman dans la Péninsule. Le Portugal et l’Espagne, dont les caravelles se sont aventurées plus loin qu’on ne l’avait jamais fait, deviennent des puissances. Cependant, la Chrétienté, serrée depuis des siècles dans l’étau musulman et incapable de triompher des pirates turcs en Méditerranée, aspire à se libérer. L’idée naît de prendre l’Islam à revers en allant vers l’ouest. C’est ainsi que Christophe Colomb, en 1492 également, découvre ce qui sera l’Amérique. Les Rois Catholiques ont le monopole de l’évangélisation dans les pays qu’ils explorent et conquièrent. En 1494, au traité de Tordesillas, les zones d’influence réparties par Alexandre VI sont rectifiées par les deux puissances elles-mêmes: les Portugais évangéliseront les pays de l’est, les Espagnols ceux de l’ouest. Le débarquement de Pedro Cabral au Brésil en 1500 amène cependant les Portugais à occuper dans ce pays plus qu’il n’était prévu.

Toutes ces découvertes bouleversèrent la Chrétienté. On croyait que l’Évangile avait été partout annoncé et il n’en était rien. Tout recommençait comme si l’on en était revenu à l’époque de la Pentecôte. Les missionnaires se considérèrent alors comme les nouveaux «apôtres», à l’instar de Pierre, de Jean, d’André, sans voir que ceux-ci étaient persécutés tandis qu’ils sont soutenus, eux, par un pouvoir qui domine et «colonise» les peuples à évangéliser; les premiers étaient pauvres, les seconds sont les représentants de puissances riches et manifestent généralement leur supériorité de patrimoine et de culture; les premiers étaient entièrement libres, les seconds sont les ambassadeurs d’une culture et d’une politique latines, en même temps que ceux du Christ. Cette situation pèsera beaucoup sur les siècles à venir. Au surplus, la traite des Noirs compromet les missionnaires. Au cours du XVIe et du XVIIe siècle, «le trafic triangulaire» (des ports européens aux comptoirs de la côte des Esclaves, dans le golfe de Guinée, et de là aux marchés américains puis en Europe) prend un essor considérable. Enfin, les rivalités entre Espagnols et Portugais dans le Sud-Est asiatique, entre partisans et adversaires des «rites chinois», entre catholiques et réformés (Hollandais et Britanniques), constituent un handicap supplémentaire pour l’évangélisation. Malgré cela, la mission fait son chemin. Elle est surtout l’œuvre des religieux: franciscains, dominicains, augustins, mercédaires et spécialement jésuites qui, à partir de 1545, fournissent le gros des troupes apostoliques: François Xavier et ses successeurs en Asie, José de Acosta (Lima) et Pierre Claver (Colombie), notamment. Les missions d’Amérique espagnole ont deux grandes juridictions: celle de la Nouvelle-Espagne (Mexique) et celle de la Nouvelle-Grenade, dont la métropole est Lima. En Amérique portugaise (Brésil), la capitale coloniale est Bahia, où les Jésuites arrivent en 1549.

Les deux puissances n’ont cependant pas le même poids. Les Espagnols, plus nombreux, obtiennent des succès plus importants et durables: aux Canaries, les populations berbères deviennent chrétiennes en moins de cent ans; aux Philippines, le catholicisme s’étend rapidement et freine l’avancée musulmane vers l’est. Les Portugais, au contraire, ne sont au total qu’un million et demi et leur empire s’étend, au XVIe siècle, du Brésil à Macao en passant par tout le tour de l’Afrique et le sud de l’Asie; ils rayonnent en Asie, à partir de Goa, Malacca, Macao. Mais les peuples qu’ils rencontrent sont nombreux et ont une culture vieille de plusieurs millénaires, avec laquelle les contacts sont difficiles. Leur action est cependant remarquable, grâce à des missionnaires dont beaucoup ne sont d’ailleurs pas Portugais: François Xavier (1506-1552), déclaré ensuite «patron des missions», M. Ruggieri, M. Ricci (XVIe s.), J. de Britto, R. de Nobili, M. de Castro, J. Vaz (XVIIe s.). Mais il faut mettre aussi à l’actif de la mission l’admirable «contestation» de ceux qui, en Espagne (tel F. de Vitoria, défenseur du droit des peuples et créateur du droit international moderne) ou en Amérique (tels Montesinos et Las Casas), se firent les hérauts de l’Évangile et de la liberté des peuples contre le pouvoir et ses exactions.

Les missions pontificales (1622-1965)

Alors que, depuis plus d’un siècle, les missions étaient entre les mains des Rois Catholiques d’Espagne et de Portugal – à l’exception toutefois des missions de la France qui avait pris pied dans la région du Saint-Laurent et au Proche-Orient –, Rome prit conscience des inconvénients du privilège concédé aux patronats. En 1622, Grégoire XV fonda la congrégation De propaganda fide , afin de reprendre en main, au moins en partie, l’œuvre d’évangélisation et d’en centraliser l’action. Le personnel formé au Collège de la Propagande devait être indépendant de l’Espagne et du Portugal, et, au début, des ordres religieux. La propagande n’entendait pas cependant rivaliser avec les patronats mais surtout former des évêques autochtones et recouvrer la direction effective des missions. En 1658, F. Pallu, F. de Montmorency-Laval et P. Lambert de la Motte fondèrent la Société des missions étrangères de Paris, première société de prêtres diocésains, qui devait constituer un sérieux appoint pour la Congrégation. Mais, entre les deux instances de la mission – les patronats et Rome –, les conflits étaient inévitables et allaient affaiblir l’action des missionnaires. Celle-ci fut également retardée par les crises internes (jansénisme, gallicanisme, suppression de la Compagnie de Jésus, décrets de sécularisation au moment de la Révolution, etc.), de sorte qu’au début du XIXe siècle, il ne restait plus dans le monde, de cette étonnante épopée, qu’une poignée de missionnaires. Le renouveau commença peu après.

À l’actif de cette période, il faut noter d’abord l’œuvre gigantesque des Jésuites: leur esprit d’adaptation, tant en Nouvelle-Grenade et au Brésil qu’en Chine et en Inde, leurs connaissances linguistiques et scientifiques, leur courage donnèrent un élan considérable à la mission, qu’illustrèrent leurs Relations (rapports publiés en France entre 1632 et 1672) et leurs Lettres édifiantes . D’autre part, les femmes commencèrent alors à prendre une part considérable dans les missions, notamment avec l’arrivée, en 1653, à Montréal, de Marguerite Bourgeoys qui institua l’école des filles de la congrégation Notre-Dame; avec la fondation en 1665 des Amantes de la Croix au Tonkin; avec celle des sœurs de Saint-Joseph de Cluny en 1807. Durant cette période, la préparation des missionnaires (Collège romain, séminaire des Missions étrangères de Paris, séminaire des colonies, etc.) se trouve mieux assurée. Le renouveau du XIXe siècle, après la révolution de 1789, se caractérisa par la prolifération des sociétés et instituts missionnaires (dépendant directement de la Propaganda fide ): pères du Saint-Esprit, Missions africaines de Lyon, pères blancs, Verbistes, Scheutistes, pères de Mill Hill, et par l’envoi de plus en plus important de religieux et religieuses dans les pays d’outre-mer. De plus, à partir de 1957, beaucoup de prêtres diocésains partirent avec un contrat de cinq, six, neuf ans. Plus récemment, les laïcs eux-mêmes ont pris le relais et gagné les «pays de mission», soit pour des tâches de catéchèse, d’enseignement, ou pour des œuvres d’assistance médicale, soit au service de la foi à l’intérieur de leur propre métier.

Enfin, au début du XXe siècle, l’étude sur la mission constitue une science spéciale: J. Schmidlin fonde à Münster, en 1911, la première chaire de «missiologie»; les revues missionnaires d’information et de réflexion théologique se multiplient ainsi que les grandes encycliques missionnaires (1919, 1926, 1951, 1957, 1959, 1967, 1974).

Après le déclin du XVIIIe siècle, la mission a donc pris un essor considérable, transmettant la foi à des dizaines de millions de chrétiens en Afrique et en Asie. Des populations comme celles du Rwanda et du Burundi sont devenues, en forte majorité, catholiques.

En 1494, la «mission» est soumise aux rois; en 1622, elle tend à revenir entre les mains du pape; en 1965, avec le IIe Concile du Vatican, elle est remise à tous les évêques. Ce n’est plus la seule Propaganda fide qui est responsable, par exemple, de l’évangélisation au Cameroun, mais les évêques locaux, qui, unis collégialement à tous les autres, peuvent demander de l’aide, soit à Rome soit à l’épiscopat de leur choix. Cela entraîne un changement de méthode et d’esprit. Les jeunes Églises, prenant en main leur destin, évangélisent elles-mêmes ceux qui chez elles, sont encore loin de la foi. Elles cherchent leur personnalité originale dans le concert des Églises, et souhaitent que, si différente qu’elle apparaisse, celle-ci soit vraiment accueillie. La mission ne se surimpose plus aux «autres»; elle est leur hôte et désire surtout le dialogue et l’échange.

À la suite du IIe concile du Vatican, les choses ont encore évolué. Depuis les années 1970, les jeunes Églises ne se contentent plus de «prendre en main leur propre destin». Marchant sur la lancée du concile, elles envoient, au-dehors, des ouvriers de l’Évangile. Elles ont fondé des sociétés missionnaires: telles celles du Mexique ou de la Colombie, qui ont déjà plusieurs décennies d’existence; la Société missionnaire vietnamienne, fondée en 1973 et qui eut des débuts prometteurs... la Korean Missionary Society, fondée en 1975 et qui a envoyé ses premiers missionnaires en Nouvelle-Guinée en 1981. Mais, même sans société missionnaire, rares deviennent les Églises d’Asie ou d’Afrique qui n’envoient pas de missionnaires hors de leur territoire. Les Philippines ont, en 1982, 800 missionnaires à l’étranger; le Japon, malgré son petit pourcentage de catholiques (0,35 p. 100), en envoie aussi beaucoup; de même, Sri Lanka, et surtout l’Inde, dont le contingent de missionnaires à l’étranger est le plus fort. En Afrique, le Zaïre, le Nigeria et bien d’autres, telle l’île Maurice, envoient beaucoup de missionnaires au-dehors. En Amérique latine, il était naturel qu’en raison des affinités de race et de langue le Brésil envoyât des missionnaires en Angola – ce qu’il fit, sans se contenter de ce pays.

Au total, on a calculé que dans les années 1990, il y a, dans le monde, davantage de missionnaires non occidentaux que de missionnaires occidentaux. Ces derniers prennent de l’âge et ne sont pas remplacés. Les nouveaux missionnaires, jeunes et nombreux, venant de pays pauvres, peuvent partager plus facilement le sort des pauvres vers lesquels ils vont et favorisent le développement d’un christianisme populaire.

Les missions des Églises d’Orient

Le monde occidental pense généralement que l’Église orthodoxe est, sinon opposée, du moins indifférente à l’idée de mission. Toutefois, l’histoire de l’orthodoxie révèle que, tout en insistant sur la vie liturgique, celle-ci ne renonce pas pour autant à l’activité évangélique et même que sa contribution missionnaire fut fort importante. Des conditions historiques toutes spéciales, les variations culturelles et surtout le voisinage, la coexistence même, avec le monde non chrétien l’ont conduite à concevoir d’une manière particulière son rôle dans l’histoire.

L’activité missionnaire des Byzantins

L’Empire de Byzance a contribué lui-même, de façon directe ou indirecte, à la propagation de l’Évangile. Son action peut se diviser en deux périodes principales; la première du IVe au VIe siècle, avec un apogée au temps de Justinien, la seconde du IXe au XIe siècle, pendant le règne de la dynastie macédonienne.

Pendant la première période, l’Église byzantine rayonnait dans toutes les directions, tant sur les peuples païens appartenant à l’Empire que sur ceux qui vivaient au dehors. Auprès de ceux-là, plusieurs évêques orthodoxes se distinguèrent, comme Jean Chrysostome, le Syrien Abraham de Charan (Ve s.), le monophysite Jean d’Éphèse (VIe s.) qui attira à la foi quatre-vingt mille païens de l’Asie Mineure, mais surtout beaucoup de moines. L’influence de ces derniers présente une grande variété, depuis l’œuvre de saint Ilarion († 371), en Palestine, qui fonda un monastère missionnaire, et celle de l’archimandrite Alexandre qui, vers la fin du IVe siècle, institua un ordre de cénobites errants et prêchait l’Évangile le long des frontières de Mésopotamie, jusqu’à celle des anachorètes et des stylètes. En même temps, l’Église byzantine s’intéressa spécialement à la propagation de la foi parmi les peuples barbares qui se trouvaient, au nord-est, en contact avec l’Empire: les Goths, les Huns, les Ibères, ainsi que d’autres tribus de Colchide. L’évangélisation du Caucase fut probablement liée au désir de Justinien de s’assurer une voie de terre vers la Chine. Cependant, ces raisons politiques n’excluent pas la présence d’un intérêt religieux. De nombreux marchands byzantins contribuèrent aussi à l’infiltration de l’Évangile le long des routes commerciales qui reliaient Byzance à la Perse et à l’Extrême-Orient. Au Ve et au VIe siècle, un grand nombre d’Arabes habitant le sud de l’Empire embrassèrent le christianisme. Saint Euthymius († 473) christianisa toute une tribu avec son chef; par son ascèse, saint Siméon le Stylite († 460) attira les nomades à la foi; saint Sabbas († 532) fit de même. Les nestoriens et les monophysites travaillèrent activement eux aussi parmi ces tribus. Mais l’antagonisme entre les chrétiens empêcha le christianisme de prendre racine, ce qui eut de grandes conséquences pour l’avenir de Byzance et du monde. En Afrique, après la christianisation des Éthiopiens – où les frères Frumentius et Aidesios de Tyr ont joué un rôle très important –, un effort systématique auprès des tribus païennes de Nubie (Nobates, Maqurrites, Alodiens, Blemmyes...) marqua le règne de Justinien. Une mission orthodoxe fut envoyée en l’an 540 par l’empereur, mais le groupe monophysite, soutenu par Theodora, arriva le premier et y connut un grand succès. Les ruines de soixante églises au Soudan illustrent la profonde influence des Byzantins dans ce pays. Pendant une longue période, le grec a été la langue liturgique officielle de l’Église de Nubie, et le christianisme, malgré la pression de l’islam, y demeura vivant dans certaines régions jusqu’au XVIIIe siècle. Après la dissolution de l’État des Vandales, Justinien s’intéressa à l’évangélisation des Maures, qui se poursuivit en Afrique du Nord après sa mort. Bien souvent, les tribus qui faisaient la paix avec l’Empire byzantin scellaient leur traité par l’acceptation du baptême. Des émigrés grecs d’Égypte ont porté le christianisme sur l’île de Socotora, à la hauteur du cap le plus à l’est de l’Afrique.

Le VIIe et le VIIIe siècle enregistrèrent un déclin des missions du fait des pressions que subissait l’Empire à l’intérieur comme à l’extérieur. Toutefois, ils furent marqués par l’œuvre de certaines personnalités importantes comme Théodore le Grec († 690) en Angleterre et l’empereur Héraclius qui s’intéressa vivement à la christianisation des Slaves établis entre l’Adriatique et la mer Noire. D’autre part, les Slaves qui pénétrèrent en Macédoine connurent l’Évangile sous l’influence des autochtones.

Les grands bouleversements des siècles suivants et surtout l’expansion de l’islam à l’est et au sud causèrent la ruine de nombreuses réalisations missionnaires de la période précédente. En revanche, les fruits des efforts entrepris pendant les IXe et Xe siècles ont été d’une signification importante pour le christianisme, pour l’avenir de l’Europe et pour la civilisation universelle. Les protagonistes en furent les frères Cyrille et Méthode de Salonique, qui, accompagnés d’un groupe de prêtres et d’artistes byzantins, ont propagé au IXe siècle le christianisme en Moravie. Leur but était avant tout d’assurer des fondements solides à leur action en donnant son expression écrite à la langue slave, en traduisant l’Évangile et la liturgie, et ensuite de former un clergé indigène. L’activité des deux frères et surtout l’emploi de la langue locale provoquèrent de vives réactions de la part du clergé latin qui insistait sur le fait que seuls l’hébreu, le latin et le grec étaient autorisés pour le culte chrétien. Après la mort de Cyrille et de Méthode, leurs disciples furent persécutés. Un certain nombre d’entre eux se réfugièrent en Bohême où ils enseignèrent l’alphabet slave, posant ainsi les bases de la civilisation tchèque; un autre groupe, ayant à sa tête saint Clément, s’installa en Bulgarie. La première semence du christianisme dans ce pays remontait au moment où Krume y avait emmené quarante mille Grecs qu’il avait capturés à Andrinople. Au Xe siècle, les Byzantins ont aussi contribué à l’évangélisation des Hongrois; le patriarche Nicolas le Mystique s’intéressa aux Khazars et aux Alains, établis au nord du Caucase. Le fait le plus important pour le christianisme fut l’influence que les Byzantins ont eue sur la Russie. Les relations commerciales entre les Russes et les colonies grecques de la mer Noire, puis l’action des moines invités par Olga permirent l’établissement de relations diplomatiques, en particulier avec le traité que Vladimir conclut avec les Byzantins et selon lequel il devait prendre comme épouse la princesse Anne, sœur de l’empereur, recevoir le baptême et travailler à la conversion de son peuple. Anne fut accompagnée dans son voyage d’un grand nombre de prêtres et d’artisans qui édifièrent des églises et des monastères; ceux-ci devinrent des centres de charité et de civilisation, les moines contribuant à l’amélioration de l’agriculture, au développement de la sériciculture, de l’élevage, etc.

La mission byzantine repose sur quelques principes fondamentaux, et d’abord le désir de créer une communauté locale authentique apportant tout son soin à la traduction de la Sainte Écriture, des textes liturgiques, de la littérature patristique, à la construction de belles églises qui doivent proclamer que Dieu «a habité» au milieu de son peuple. Mais l’importance que la théologie byzantine donne à la vie liturgique, à la theosis de l’homme, n’a nullement empêché l’orthodoxie de s’intéresser à la dimension sociale et culturelle de la vie. D’autre part, en dépit de motivations parfois politiques des efforts officiels, les Byzantins visaient à s’assurer de bons voisinages plutôt qu’à absorber les peuples qui entouraient l’Empire et auxquels ils fournirent les bases nécessaires pour leur prise de conscience nationale et pour le développement de leur culture propre. Enfin, la mission en Orient ne fut pas l’œuvre d’un groupe spécialisé. On y trouve des représentants de toutes les classes: évêques, prêtres, moines, empereurs – grands ou médiocres –, princesses, diplomates, fonctionnaires, soldats, marchands, marins, simples voyageurs, immigrants, prisonniers de guerre. Au modeste héroïsme de ces missionnaires durant la vie millénaire de l’Empire s’applique ce que C. Diehl a dit à propos de la christianisation des Slaves: «L’œuvre des missions fut une des gloires de Byzance.»

Les missions de l’Église perse

Le christianisme s’est répandu très tôt en Mésopotamie. Au Ve siècle, l’Église y était déjà très bien organisée; le monachisme y florissait et la littérature chrétienne y était remarquable. Des apôtres zélés travaillaient parmi les zoroastriens. Pour affermir leur indépendance vis-à-vis de l’État chrétien romain, les chrétiens de Perse n’hésitèrent pas à s’en détacher après le IIIe Concile œcuménique (431) en adoptant la doctrine de Nestorius, ce qui leur a valu, de la part des Occidentaux, le nom de «nestoriens». L’«Église d’Orient » – c’est ainsi qu’elle se désigna – ne s’est jamais liée à l’État et a développé, du fleuve Tigre à la mer Jaune et du lac Baïkal à Ceylan, une action missionnaire étonnante, dont les premiers ouvriers furent encore une fois les marchands et les moines. La période qui va du VIIe au XIIIe siècle a été exceptionnellement prospère. L’activité de l’Église d’Orient fut très fructueuse dans le Turkestan russe actuel, dans le Khurasan, en Afghanistan et jusque sur la côte de Malabar. On estime que, vers la fin du XIIIe siècle, il y avait en Asie vingt-six métropoles et deux cents évêques. Des témoignages archéologiques et littéraires irréfutables confirment l’infiltration en Chine de missionnaires perses, au milieu du VIIe siècle, sous la dynastie Tang. Les chrétiens, qui avaient gagné la faveur de la cour, s’y développèrent jusqu’en 845; cependant ils ne réussirent pas à créer un clergé indigène et, plus tard, la réaction taoïste provoqua leur décadence. Le christianisme chinois connut un nouvel essor au XIIIe siècle sous la dynastie mongole. Du VIIIe au XIIe siècle, l’Église d’Orient gagna diverses tribus turques, notamment celles des Ouïghours, au nord-est du lac Baïkal, en Mongolie du Nord, et des Ongüt au nord de Pékin, convertis vraisemblablement au commencement du XIIe siècle. Le fameux Mar Yahballaha, qui fut le catholicos des nestoriens de 1317 à 1353, était un Turc, probablement un Ongüt. Des princesses de ces royaumes chrétiens se marièrent à des princes mongols exerçant une influence religieuse sur leurs familles. Au XIIIe siècle, l’unité accomplie en Asie sous le pouvoir mongol favorisa l’évangélisation. Dans plusieurs cours princières mongoles, un grand nombre de chrétiens avaient des fonctions de ministre ou de secrétaire. K b 稜l y kh n (1260-1294), dont la mère était selon toute évidence une princesse kéraïte chrétienne, montra de l’intérêt pour l’expansion du christanisme dans son immense empire. Cependant, les forces dont les nestoriens disposaient ne suffisaient pas pour un champ d’action si vaste; par ailleurs, les chrétiens d’Occident ne comprirent pas l’intérêt de l’occasion qui s’offrait.

Avec l’adhésion des Mongols à l’islam, le christianisme déclina en Asie centrale. À la disparition des communautés chrétiennes en ces régions ont contribué, outre les massacres – notamment ceux qui furent commis par Tamerlan –, des facteurs tels que l’éloignement considérable des différents groupes, les baptêmes hâtifs, la tendance à laisser s’altérer le message chrétien au contact des idées religieuses du milieu. Ainsi, de l’épopée missionnaire des nestoriens en Asie ne sont restés finalement que quelques îlots au milieu de l’immensité du pays, qui furent submergés ensuite par le flux des courants politiques et religieux.

La Russie

La première période d’évangélisation de la Russie s’étend du baptême des habitants de Kiev (981) à la conquête mongole (1240). Au XIe siècle, grâce à des princes vigoureux comme Vladimir, à des évêques inspirés comme saint Léonce († 1077), l’apôtre de Rostov, à des moines comme saint Théodose († 1074), le fondateur de la Lavra Petcherskaya, les tribus slaves de l’est, entre Novgorod et Kiev, se convertirent. Les monastères jouèrent dans cette conversion un rôle déterminant; on en compte, pour l’époque de la Russie de Kiev, cinquante-huit d’hommes et douze de femmes. L’expansion du christianisme se poursuivit pendant le XIIe siècle avec le déplacement des immigrants dans les régions du nord-est occupées par des tribus hongro-finnoises.

La deuxième période, ouverte avec l’invasion des Mongols, s’étend approximativement jusqu’à la fin du XVe siècle, époque où la Russie retrouve son indépendance. Sous la pression des conquérants, un certain nombre d’habitants se réfugièrent dans les monastères, incitant de nombreux moines désireux d’une ascèse plus austère à se retirer dans les forêts. Bientôt ces ermitages devinrent des centres d’action missionnaire et civilisatrice. Chez les Tartares, les premiers apôtres furent des prisonniers de guerre. Outre ces infiltrations anonymes, il faut signaler, comme modèle d’évangélisation directe, la vie de saint Étienne de Perm († 1396). Ce moine de Rostov, qui bénéficiait d’une culture exceptionnelle, s’installa au milieu des Zyrianes, composa pour eux un alphabet et traduisit dans leur langue, à partir du grec, des livres liturgiques. Il construisit une église dont la beauté attirait les païens et s’attacha à former le clergé indigène.

Du XVIe au XVIIIe siècle, l’Église vit sous la tutelle de l’État, liant ses destinées aux siennes. Peu après la victoire des Russes sur le centre tartare de Kazan, Gurij, alors supérieur d’un monastère, est nommé évêque de ce bastion musulman (1555). Les ordres, bien qu’émanant d’Ivan le Terrible, condamnaient la violence. Des centaines de milliers d’indigènes musulmans se convertirent au christianisme. L’Église russe travaillait encore à l’assimilation des populations locales quand se produisit la nouvelle extension de l’Empire avec la très rapide conquête de la Sibérie, vers le milieu du XVIIe siècle. Jusqu’alors, le christianisme était inconnu dans ce pays immense. Dans les colonies russes de Sibérie, des églises et des monastères se fondent, en nombre cependant relativement petit pour répondre aux besoins de l’évangélisation. Le caractère aventureux de la plupart des premiers immigrants, loin d’attirer les indigènes, nuisit plutôt à l’Église. Le schisme des «Vieux Croyants» (1666), les réformes ecclésiastiques de Pierre le Grand et de Catherine, la fermeture de plusieurs monastères qui jusque-là avaient été des phares spirituels, entraînèrent une stagnation de la mission pendant les XVIIe et XVIIIe siècles. L’attitude de l’État fut souvent défavorable à l’action missionnaire. Pourtant cette époque compta nombre de personnalités marquantes, comme saint Thryphon de Novgorod († 1583), missionnaire chez les Lapons, le laïc Cyrille Souchanov chez les Toungous, le moine Martinien au Kamtchatka et l’évêque de Tobolsk Philothée († 1727), qui convertit environ quarante mille indigènes.

La quatrième période, du XIXe siècle à la révolution russe (1917), a un caractère ecclésiastique plus accentué et se distingue par sa fécondité. Nombreux sont les apôtres: évêques, prêtres, moines, laïcs; nombreuses aussi les tribus auxquelles s’adresse l’effort missionnaire. On peut mentionner notamment le moine Macaire Gloucharev († 1847), apôtre des tribus belliqueuses de l’inaccessible chaîne de l’Altaï; Innocent Veniaminov († 1879), qui œuvra parmi les Aléoutes, les Esquimaux et d’autres tribus de l’Alaska et, ordonné évêque, convertit plusieurs peuplades de l’Est sibérien avant de devenir métropolite de Moscou; le saint ermite Herman en Alaska. Parmi les laïcs, on peut citer le marchand de Novgorod Sintenikof, chez les Samoyèdes, et le linguiste et théologien Ilminsky, qui introduisit de nouvelles méthodes de traduction et de travail missionnaire chez les Tartares.

Au développement plus méthodique des missions russes ont contribué la Société missionnaire orthodoxe, créée à Moscou en 1870, qui se chargea d’assistance financière, et l’académie de Kazan, devenue très vite un centre d’études missionnaires: son comité de traduction a publié des ouvrages en des dizaines de langues des régions de la Volga, de Sibérie, du Caucase, etc. Des missionnaires russes ont aussi travaillé hors des limites de l’Empire, en Chine, en Corée, au Japon. Dès le début du XVIIIe siècle, une mission résidait à Pékin, vouée à une œuvre plutôt scientifique et comptant nombre de sinologues remarquables. Au début du XXe siècle, l’évêque Innocent Figourovsky donna une grande impulsion à l’orthodoxie en Chine. En Corée, où le laïc Paul Afanasief avait jadis travaillé, l’évêque Paul Ivanovsky accomplit un effort plus systématique et traduisit les textes liturgiques en coréen. Ce fut pourtant Nicolas Kassatkine (1836-1912) qui exerça une mission orthodoxe «authentique». Arrivé à Hakodate en 1861, alors qu’il était défendu d’y prêcher le christianisme, il apprit parfaitement le japonais, s’adapta au caractère du peuple et créa un clergé actif. Il fonda des écoles et des œuvres sociales et mit à la disposition de la communauté une belle traduction de la Sainte Écriture et de divers ouvrages de la littérature orthodoxe. Il organisa l’administration ecclésiale d’une manière exemplaire, assurant la participation de tous ses membres. Lorsqu’il mourut, l’Église orthodoxe comptait au Japon trente-trois mille membres et constituait une communauté authentiquement japonaise.

Les missionnaires russes se sont inspirés des mêmes principes que l’orthodoxie byzantine, en les développant avec originalité et audace: traduction des livres religieux et célébration de la liturgie dans la langue indigène, mais avec un souci linguistique plus systématique; participation des prêtres et des laïcs, mais avec une mobilisation plus accusée des fidèles. Suivant la tradition orthodoxe, ils donnent une place centrale à la vie liturgique, à l’harmonie artistique de l’église qui rivalise avec la magnificence du culte, symboles de la gloire de Dieu, à la formation aussi rapide que possible d’un clergé indigène. On voit ainsi que certaines règles adoptées depuis peu par des missions protestantes et catholiques ont constitué de tout temps les fondements indiscutables de la mission orthodoxe.

La situation actuelle

Après la Première Guerre mondiale, les missions russes furent suspendues. Mais les jeunes Églises en Alaska et au Japon continuèrent à se développer. À Séoul, un noyau orthodoxe est en voie de réorganisation. Dans les Balkans, les Églises orthodoxes n’ont pas eu de missions à cause de l’occupation turque qui dura de quatre à cinq siècles. Le danger d’être absorbés par l’Islam a obligé les peuples orthodoxes à se replier sur eux-mêmes pour conserver leur foi, attitude qu’ils gardèrent même après leur indépendance. En Afrique orientale, fait curieux, des Églises orthodoxes sont créées sans la présence de missionnaires orthodoxes. Elles proviennent surtout des African Independent Churches , la méfiance contre les missions de l’Occident ayant, en règle générale, contribué à leur formation. Le premier noyau se constitua en Ouganda vers 1930 et connut un essor extraordinaire entre 1958 et 1964; le second s’implanta dans le Kenya central entre 1933 et 1935 parmi les Kikuyu; il se réforma après la répression de l’insurrection des Mau-Mau dont un certain nombre se trouvaient liés avec les orthodoxes; depuis 1960, le mouvement s’est étendu aux tribus du Kenya occidental. Il compte environ trente mille fidèles. La liturgie de saint Jean Chrysostome a été jusqu’à présent traduite en luganda, kikuyu, baluya, nandi. Cependant, le mouvement africain trouva l’Église orthodoxe mal préparée et léthargique. Ce sont les jeunes de l’association «Syndesmos» qui prirent l’initiative d’un renouveau missionnaire en créant, en 1961, un centre inter-orthodoxe, qui a son siège à Athènes, sous le nom de Porefthendes («Allez [et enseignez toutes les nations]», Matth., XXVIII, 19). Par la suite, le Synode de l’Église de Grèce fonda en 1967 une section pour la mission et, en 1970, en collaboration avec la faculté de théologie de l’université d’Athènes, un Institute on mission studies .

Les missions protestantes

La foi de la Réforme se propagea dans les pays de la vieille Chrétienté et, d’autre part, auprès des peuples non chrétiens d’outre-mer. Dans le premier cas, on parle d’«évangélisation» et, dans le second, de «mission», bien que, dans le langage courant, les deux termes soient interchangeables. Les missions protestantes ne se développèrent qu’au XIXe siècle, et souvent les populations de couleur virent arriver presque en même temps le missionnaire, le soldat, et l’administrateur colonial. Aujourd’hui, les Églises d’outre-mer s’émancipent et une conception moins unilatérale de la mission s’élabore. Cependant, bien des problèmes demeurent, et certains cadres des jeunes Églises demandent avec beaucoup de fermeté la «désoccidentalisation» du protestantisme.

Aperçu historique

Pratiquement inexistantes au XVIe siècle, les missions protestantes ne connurent, à partir du milieu du XVIIe siècle, que quelques tentatives qui restèrent limitées. Dans bien des cas, les missions catholiques les avaient précédées et avaient cherché à résoudre les premières les problèmes posés par la rencontre entre un christianisme lié à l’Occident et des civilisations propres à chaque pays évangélisé. Les missionnaires protestants bénéficièrent donc en partie des expériences déjà faites.

En Europe, ce fut d’abord aux Pays-Bas et dans les milieux «dissidents» anglais qu’apparut la prise de conscience missionnaire. La mission eut pour premier champ d’action l’Inde et l’Indonésie, mais elle s’y trouva bien vite aux prises avec les difficultés que lui créa la Compagnie des Indes. En Amérique du Nord, J. Eliot prêcha l’Évangile aux Indiens à partir de 1641. Deux sociétés anglaises furent créées au début du XVIIIe siècle; elles reçurent l’appui du mouvement piétiste et plus tard des Frères moraves. Aux États-Unis, David Brained et Jonathan Edwards furent les plus célèbres missionnaires du «grand réveil américain».

La période allant de 1800 à 1910 environ a été qualifiée par K. S. Latourette de «grand siècle» de l’expansion protestante. William Carey (qui travailla aux Indes) et Gustave Warneck en furent les théoriciens.

Divers facteurs contribuèrent au «tournant» des années 1800, notamment le second souffle de la colonisation qui, de plus en plus, chercha à exploiter en profondeur les territoires, et la révolution industrielle, qui enrichit de «pieux» mécènes capitalistes. D’autre part, le piétisme intéressa à la «mission» des milieux de plus en plus larges, et les protestants européens, grâce à une vision plus «universaliste» de la doctrine de l’élection, devinrent plus attentifs au salut des peuples non chrétiens.

Sauf exception, les sociétés missionnaires furent créées, en Europe, à l’initiative de groupe chrétiens privés. Au départ, la plupart des fonds provenaient de quelques gros donateurs. Cependant, un nombre de plus en plus important de petites contributions furent rassemblées lors des «dimanches de la mission» ou lors de tournées de conférences faites par les missionnaires eux-mêmes. Chaque société eut, en général, un enracinement national et une orientation théologique assez marquée tout en étant autonome par rapport aux institutions ecclésiastiques.

En Amérique du Nord, au contraire, les principales dénominations protestantes créèrent chacune un Conseil de la mission et se déchargèrent officiellement auprès de lui de leurs responsabilités missionnaires.

Parmi les plus importantes des sociétés créées, on peut citer la Mission baptiste de Londres (1792), la Société des missions de Londres (1795), la Société néerlandaise des missions (1795), la Société des missions de l’Église [anglicane] (1799), le Conseil américain des missions (1810), la Société des missions des méthodistes wesleyiens (1813), la Société missionnaire américaine baptiste (1814), la Société des missions de Bâle (1815), la Société des missions évangéliques de Paris (1822), la Société des missions de Berlin (1824).

En 1900, on comptait plus de trois cents sociétés et conseils missionnaires, ce qui souligne à la fois l’ampleur du travail missionnaire protestant et sa faiblesse: une trop grande dispersion. Dans cet effort, les États-Unis tendaient alors à supplanter déjà les îles Britanniques; en 1914, ils fournissaient près de la moitié des ressources et du personnel; en 1960, ils en procureront environ les deux tiers.

Des tentatives de missions protestantes se sont portées sur toutes les parties du monde. En Asie du Sud-Est, les efforts entrepris ne furent guère couronnés de succès. En Afrique et en Océanie, des Églises d’une certaine importance furent peu à peu constituées, notamment au Lesotho, à Madagascar et à Tahiti par la Mission protestante française. Partout l’œuvre de christianisation fut liée à un travail social éducatif, médical et scientifique comme le rappellent par exemple les noms de David Livingstone et d’Albert Schweitzer.

Les rivalités entre missions catholiques et missions protestantes et plus encore les divergences entre missions protestantes de diverses dénominations nuisirent aux progrès du christianisme d’outre-mer. Aussi est-ce sur ce terrain que se produisirent les premiers efforts de regroupement au sein du protestantisme. Des «Conférences» rassemblèrent, aux Indes, en 1825 et 1830, des missionnaires de tendances diverses; imitant cet exemple, une conférence mondiale se réunit à Édimbourg en 1910; elle fut à l’origine d’un des deux mouvements qui formèrent plus tard le Conseil œcuménique des Églises.

En 1961, le Conseil international des missions s’intégra au Conseil œcuménique des Églises lors de l’Assemblée générale de ce dernier tenu à New Delhi. Les missions avaient engendré de nouvelles Églises qui étaient devenues (ou allaient devenir) autonomes. D’autre part, la laïcisation de la société occidentale avait tendance à mettre les «vieilles» Églises elles-mêmes en état de mission. Un département du Conseil œcuménique des Églises – Mission mondiale et évangélisation – fut créé; il organisa de nouvelles conférences: Mexico (1963), Bangkok (1972-1973), où la majorité des délégués des non-Occidentaux et qui demanda aux Églises de promouvoir «de nouvelles structures d’investissement favorisant la libération politique et sociale des opprimés»; Melbourne (1980), où l’occupation de l’Afghanistan par l’armée soviétique ne fut pas condamnée, afin de ne pas nuire aux chrétiens de l’Est.

Cet œcuménisme et ce progressisme ne plaisent pas à tous les protestants. Le C.O.W.E. (Consultation On World Evangelisation), représentatif du courant fondamentaliste, a organisé des conférences à Lausanne (1974) et à la Haya (Thaïlande, 1980).

Mission et colonisation

Les missionnaires adoptèrent assez souvent une attitude qu’on peut qualifier d’anticolonialiste, mais qui mit surtout en question les formes de la colonisation et non son principe même (à ce niveau, de nombreux faits mettent en lumière les liens objectifs et subjectifs des missions et de l’impérialisme occidental). D’abord, les objectifs, principalement idéologiques, des missions protestantes ne coïncidaient pas forcément avec les intérêts politiques et économiques de la colonisation. Ainsi, la Compagnie des Indes estimait que tout bouleversement des coutumes sociales ou des pratiques religieuses lésait ses intérêts. Jusqu’à l’abolition de son monopole en 1833, elle limita l’activité missionnaire; par la suite, le gouvernement anglais eut parfois une politique quelque peu semblable. De son côté, le gouvernement français dissuada la Société des missions de Paris d’envoyer des missionnaires en Algérie, afin de ne pas heurter les croyances musulmanes. Cette Société elle-même refusa, à la fin du XIXe siècle, de céder à la pression nationaliste qui lui demandait de ne pas consacrer des hommes et des fonds à la christianisation de territoires sous influence britannique.

En Océanie et en Afrique, les missionnaires aidèrent souvent les autochtones à se défendre contre l’exploitation coloniale et luttèrent contre l’esclavage et la traite. En Afrique du Sud, ils dénoncèrent les massacres massifs; quand les Boers envahirent le Lesotho, ils détruisirent les stations missionnaires.

D’autre part, les missions préparèrent, d’une certaine manière, le mouvement de décolonisation. En traduisant la Bible dans les langues vernaculaires, elles contribuèrent à affermir les structures de celles-ci et à enrichir leur vocabulaire. Elles assumèrent une tâche sociale importante en créant de nombreuses écoles et des hôpitaux; parfois les épouses des missionnaires se consacrèrent à l’émancipation et à l’éducation des femmes indigènes. Il n’est pas douteux, enfin, que la plupart des élites africaines et des chefs nationalistes ont été formés par les missions protestantes ou catholiques.

Cependant, le lien entre la colonisation et la mission demeure indéniable. Il prit la forme parfois d’une collusion politique et, presque partout, d’une profonde solidarité de civilisation. Le lien politique est particulièrement frappant dans le cas de la Chine, où les «traités inégaux» permirent aux missionnaires de voyager à l’intérieur du pays, de jouir de l’extraterritorialité et d’en appeler au consul de leur pays pour soutenir les intérêts des convertis chinois, souvent soustraits à la juridiction de leur gouvernement. Selon Latourette, l’Église en Chine «était devenue un associé de l’impérialisme occidental. Et lorsque cet impérialisme fut attaqué et finalement détruit, elle ne put échapper au destin de son patron et allié.» Aux Nouvelles-Hébrides, la rivalité entre la mission presbytérienne et celle des Frères maristes se confondait pour une large part avec la rivalité anglo-française. En Afrique centrale et orientale, les missionnaires britanniques qui évangélisaient des territoires où la domination de leur pays n’était pas établie s’efforcèrent de placer ceux-ci sous l’influence de leur métropole. D’une manière plus générale, d’ailleurs, le missionnaire était un Blanc et son style de vie ressemblait à celui de l’administrateur colonial, avec qui il entretenait des relations multiples.

Mais souvent le christianisme se présenta dans les pays d’outre-mer moins comme une force subordonnée à la politique de colonisation que comme un complément culturel et humain de cette politique, comme une des formes de la «supériorité» de l’homme blanc.

La Réforme protestante chercha à ramener le christianisme à ses sources bibliques et juives, mais c’est une religion culturelle «marquée» par l’armature intellectuelle occidentale que les missionnaires protestants ont, consciemment ou non, propagée. Assez souvent, ils ont implanté le christianisme en détruisant les civilisations existantes au profit d’une imitation de la civilisation européenne. Écoles et collèges protestants d’outre-mer enseignaient l’histoire et la littérature européennes. Parfois même, selon les changements d’influence politique, différentes cultures ou langues nationales furent tour à tour privilégiées. Ainsi, quand des missionnaires français se substituèrent aux missionnaires anglais (Tahiti, Madagascar) ou allemands (Cameroun, Togo), ils remplacèrent l’anglais ou l’allemand par le français.

D’autre part, la multiplicité des dénominations, aspect spécifique du protestantisme, accentua les caractéristiques occidentales des missions protestantes. Pour un même territoire, on demandait aux autochtones de devenir baptistes et non presbytériens, anglicans et non congrégationalistes – ou l’inverse –, c’est-à-dire d’assumer des divisions nées dans une histoire, avec des modes de pensée et selon une culture qui leur étaient étrangers. Aussi des chrétiens non européens ont-ils été de plus en plus nombreux à dénoncer l’«impérialisme culturel» des missions, notamment face à certaines missions américaines accusées de croire à la supériorité de la civilisation anglo-saxonne.

De ces constatations on peut conclure que les missions ont en général «humanisé» la colonisation et contribué à la rationaliser; de ces deux manières, elles l’ont favorisée. D’autre part, par leur travail social, sanitaire, éducatif, linguistique, elles ont, sauf exceptions, aidé à rendre possible la décolonisation; mais, en constituant en fait «une extension des frontières de la chrétienté occidentale» (R. Mehl), elles ont transmis les schèmes mentaux et le style de vie de la civilisation occidentale, ce qui a presque toujours empêché la rupture politique de la décolonisation de s’accompagner d’une rupture idéologique.

La mission protestante d’aujourd’hui cherche à redéfinir ses buts, sa problématique et ses méthodes. Cela ne signifie certes pas que sa tâche spécifique soit achevée, mais plutôt, comme le prouve la décision prise à New Delhi en 1961, que ses problèmes propres coïncident de plus en plus avec ceux qui se posent à l’ensemble du protestantisme et sans doute même à toute la Chrétienté.

Encyclopédie Universelle. 2012.