LIBERTINAGE
Pour un Européen cultivé, « libertin » évoque soit le libertinage sexuel d’un Casanova, souvent lié (comme chez celui-ci) au conformisme religieux, soit la réflexion critique sur la religion dominante, et, parfois lié à l’austérité morale, l’effort de libre pensée (sens courant au XVIIe siècle français). Érudit ou non, le libertinage se rattacherait donc à un bref moment de notre histoire. C’est abusivement le borner dans l’espace et le temps; c’est en réduire l’importance, la valeur.
Les libertins musulmans
La théocratie musulmane suscita ses libertins, aux deux sens de notre mot. Dès la mort du Prophète, certains de ses héritiers immédiats se demandèrent s’il ne fallait pas répudier l’œuvre religieuse de Mahomet, et se borner à continuer son entreprise politique. Puis on découvrit la pensée grecque; les philosophes arabes (fal sifa), qui empruntèrent ce mot grec, s’opposaient aux oulémas , aux théologiens orthodoxes. « La plupart des philosophes arabes étaient hétérodoxes ou incroyants », écrivait déjà Renan: « Averroès peut être considéré comme un rationaliste pur. » De fait, seul des grands philosophes, al-Ghaz l 稜 respecte l’esprit, la lettre du Coran. Dès le Xe siècle, à Bassorah, les Ikhw n al- ルaf ’, Frères de la pureté ou encore Amis fidèles, aristocratie discrète – sinon secrète – qui compose une cinquantaine de traités encyclopédiques (déjà l’esprit de Diderot!), se réclament d’Aristote et de Platon plus fermement que du Prophète, et pensent que nulle religion ne possède la vérité. Al-Ashar 稜 et al-B qill n 稜 son disciple osent prétendre que, s’il avait plu à All h, le Coran eût pu devenir encore meilleur. Pour eux, il n’est de religion que fondée sur l’esprit critique. Dès le IXe siècle, la théologie d’al-Kind 稜 est strictement apophatique. Platon et Aristote lui sont maîtres de vérité. C’est à concilier ces deux penseurs que s’applique un peu plus tard al-F r b 稜, esprit encyclopédique: il élimine du monde l’idée de providence, et tient que la seule raison permet de réaliser la plénitude de l’humain. Non moins encyclopédiste que les Ikhw n al- ルaf ’ ou qu’al-F r b 稜, et aussi peu orthodoxe, Avicenne. Ce qui lui valut de connaître plusieurs fois la prison. Averroès fut persécuté lui aussi, à cause de son agnosticisme, de sa dévotion à la science: le philosophe, pour lui, l’emporte sur le théologien, et la pensée sur la révélation. Renan avait donc ses raisons, et raison, de le célébrer.
Libertins également trois des plus grands poètes de langue arabe: al-Mutanabb 稜, marqué d’ismaélisme, et comparé à Nietzsche par Taha Hussein: Ab -l-‘Al ’ al-Ma‘arr 稜 le défendit contre ses détracteurs; c’est que lui-même était suspect. Sceptique, rationaliste, hostile aux oulémas, persuadé (cf. la Ris la ul-Ghufran , L’Épître du pardon ) qu’on peut faire son salut dans toutes les religions, on le prétendit zindiq : audacieux au point de nier la mission des prophètes et la révélation des livres saints. De fait, on décèle dans ses Luzumiyat plus d’un trait qui le rapproche des qarmates. Il se défendit d’être un zindiq, et pour cause; mais Massignon parle à son propos de « doute méthodique », et Henri Laoust voit en lui un précurseur des « Lumières », un partisan du « despotisme éclairé ». Bref, le « libertin » par excellence. Ab Nuw s ne brillait pas non plus par son orthodoxie.
L’intégrisme des Frères musulmans gagne régulièrement du terrain en pays de Sunna et pourrait bien, quelque jour prochain, faire cause commune contre les « libertins » avec les intégristes shi‘ítes, désormais rassemblés par l’Iran de l’ayatollah Khomeyni. Eût-il été le plus proche collaborateur de cet ayatollah, quiconque connaît une langue étrangère est suspect: politiciens, écrivains, universitaires, tous à la même enseigne; les tribunaux islamiques, et la mort. Ainsi, des bahais qui, bien qu’ils fassent profession de ne se mêler jamais de politique, furent éliminés. Pour ceux qu’on traite en « libertins »: la mort; pour les chanceux, l’exil.
Quelques libertins chinois
Des conditions politiques et sociales bien différentes produisirent en Chine, au IIIe siècle de notre ère, un grand mouvement qu’Étienne Balazs, qui l’étudia, qualifie de « libertinage ». C’était à la fin des Han postérieurs: plus d’administration impériale; partout, le meurtre et le pillage. Les réfractaires en profitent pour se manifester, et même s’organiser. On connaît une de leurs sociétés, à certains égards comparable aux Ikhw n al- ルaf ’: les Sept Sages de la forêt de bambous . « D’un esprit vaste et libre, Yuan Ji (210-263) était farouchement indépendant et faisait ce qui lui plaisait, sans contrainte [...]. Tantôt il étudiait les livres, la porte fermée, sans sortir plusieurs mois de suite, tantôt il montait sur la montagne ou allait au bord de l’eau, oubliant pendant des jours de rentrer chez lui. » Quant à Liu Ling (225?-280?), il n’écrivit dans sa vie qu’un poème et c’était un Éloge du vin ; ses visiteurs, il les recevait nu: « Ma maison, c’est le ciel et la terre; cette chambre, c’est ma culotte. Qui vous a dit, Messieurs, d’entrer dans ma culotte? » Xi Kang, son contemporain (env. 220-260), instruisait le procès des bienséances, du deuil rituel, du mandarinat, de l’orthodoxie confucéenne. Moyennant quoi, il fut très bien mis à mort, à trente-neuf ans, malgré l’anarchie régnante.
Si l’on s’aventure parfois jusqu’à l’« anarchisme libertaire », comme Bao Jingyan, on en reste le plus souvent au libertinage distingué, qui prend alors la forme des conversations pures , le qingtan. Wang Yan et tous ses amis nudistes raffinent sur le langage, se moquent des fonctions publiques, ne s’occupent que du Vide mystérieux. D’un plumeau à manche de jade, Wang Yan essuyait sur ses vêtements la poussière du monde, ce qui devint une façon de signe de reconnaissance dans cette secte de grands seigneurs libertins. Deux fois il avait dû feindre la folie: pour éluder un mariage riche, et pour éviter la vengeance d’un puissant. Il n’échappa pourtant point à celle d’un chef de Huns. Son cadet Wang Cheng périt de mort violente. Bien d’autres comme lui, parmi les adeptes.
Durant les saturnales de la « révolution culturelle » qui instaura en Chine la barbarie, et fit du pays des « lettrés » une nation d’illettrés, quiconque pensait, quiconque avait une connaissance des littératures, des philosophies de l’Europe, était bon pour l’exécution ou les Écoles du 7 mai, aimable euphémisme pour « camps de concentration ». On avait encore pour issue le suicide, ainsi Lao Che (Lao She), Fou Lai (Fu Lai) et son épouse. Depuis la disparition de la « bande des quatre » (ce que disant, on montre les cinq doigts d’une main), divers survivants furent enfin réhabilités: Ting Ling (Ding Ling), Pa Kin (Bajin), Ts’ao Yu (Caoyu). Hou Fong (Hu Feng) lui-même aurait vu s’achever son calvaire. Mais d’autres « libertins » les remplacent dans les prisons ou les camps: ainsi Liu Qing, dont nous pouvons lire en français J’accuse devant le tribunal de la société ; dissident condamné à trois ans de « rééducation par le travail » en 1981. Et combien d’autres « libertins » pour lesquels on nous demande chaque mois de signer une pétition-répétition. Depuis 1975, même traitement infligé aux libertins vietnamiens: Le Goulag vietnamien de Doan Van Toai en témoigne. Tout cela au nom, bien entendu, de Lou Siun (Lu Xun), ce Lou Siun qui écrivait: « S’il y a encore des hommes qui veulent vraiment vivre en ce monde, il faudrait d’abord qu’ils osent parler, qu’ils osent pleurer, qu’ils osent se mettre en colère, qu’ils osent accuser, qu’ils osent se battre – qu’ils purgent enfin ces lieux maudits de son atmosphère maudite! » ou encore: « Il doit être « coupable » puisque les autorités le « punissent » [...] » (traduction de Simon Leys).
Quelques libertins russes
De nos jours, la théologie et l’inquisition matérialistes ont produit leurs sociétés de libertinage, dont le Samizdat (éditions privées, clandestines) qui s’oppose au Gosizdat (éditions d’État, conformistes) est la forme littéraire. Comme au Moyen Âge chrétien, les goliards ou les « désespérés » appliquaient à la morale et à la théologie chrétiennes tout ce qu’ils pouvaient mobiliser de révolte et d’esprit critique, certains de ceux qu’on appelle en Russie des « houligans » (sur l’américain hooligan , voyou) ne sont que gens qui refusent de porter la camisole de force du conformisme stalino-jdanovien. Libertins, ces physiciens qui osèrent imposer la théorie quantique lorsque le génial Père des peuples y condamnait un cheval de Troie de l’individualisme bourgeois. Libertin, le physicien A. Sakharov lorsque, non content d’employer dans les calculs destinés à la bombe atomique les résultats obtenus par les physiciens « bourgeois », il propose, en 1968, de réformer radicalement la politique, et se hasarde (1970) à réclamer les droits de l’homme pour les citoyens soviétiques, déviant ainsi gravement de l’orthodoxie « léniniste ». Ce qu’on doit tolérer de physiciens dont les travaux concernent directement la défense nationale ou l’ambition impériale, on ne l’admet pas des poètes, des écrivains, des citoyens. Siniavski, Daniel, Brodski, Alexandre Ginsbourg, A. Amalrik, l’historien, et l’ex-général devenu simple soldat, P. G. Grigorenko, sont aujourd’hui des libertins au sens où le furent Giordano Bruno, Théophile de Viau, Ab -l-Al ’ al-Ma‘arr 稜, Avicenne, ou Yuan Ji. La preuve? On les persécute, comme furent persécutés les libertins du monde chrétien, de l’Islam et de la Chine. Naguère, toute déviation intellectuelle se payait à Moscou de la vie. Aujourd’hui, on meurt, mais plus lentement, au camp de concentration et dans ces « hôpitaux psychiatriques spéciaux » où le pouvoir confine, comme en Italie mussolinienne, les hommes assez fous pour demander la liberté de penser. À quel point fidèle à soi la « Sainte Russie » du stalinisme! Au XIXe siècle, déjà, Ivan Kirêevski scandalisait Moscou en instruisant le procès de la société tsariste. Au cercle de Philosophes (Lioubomoudry ) dont il faisait partie, on se proclamait amis des Lumières. Ce ne fut rien au prix de l’horreur que suscita, quand elle parut dans Télescope en 1836, la « Lettre philosophique » de Pëtr Tchaadaev « adressée à une dame ». On y soutient que la religion orthodoxe est coupable de la barbarie des Russes, et que la seule solution est de se convertir au catholicisme romain! Pouchkine lui-même jugea que Tchaadaev exagérait. Le pouvoir expédia en Sibérie le directeur de Télescope , et déclara fou Tchaadaev. Un an plus tôt, on avait condamné à la déportation, pour chansons séditieuses après boire, le jeune Alexandre Herzen, qui s’exilera en 1847, et pour toujours, afin de garder le droit de penser que l’homme véritablement libre « se crée lui-même sa morale » et que l’« acceptation intellectuelle du libre arbitre est la reconnaissance la plus haute de la dignité morale de l’homme ». Il n’est décidément rien de neuf sous le soleil.
Comme en Islam, comme dans le monde chinois, la Sainte Russie des invisibles Soviets aggrave aujourd’hui la répression contre quiconque pense et surtout entend écrire à sa guise dans un Samizdat . Sakharov lui-même est désormais exilé, prisonnier à Gorki. Pour les autres, pour ceux que ne protège pas encore un peu quelque Prix Nobel, c’est la Sibérie ou l’asile psychiatrique. Dans la Sainte Russie, c’est Bossuet qui règne par Brejnev interposé: « Quiconque pense est hérétique. » Grigori Svirski nous l’a révélé dans Écrivains de la liberté . La résistance littéraire en Union soviétique depuis la guerre : 500 pages denses, et que de noms propres! Propres aux deux sens du terme, et pour cette raison persécutés. Efim Etkind, coupable d’être intelligent, savant et juif, est devenu Dissident malgré lui ; autre destin exemplaire du « libertin de Russie », celui d’André-la-Poisse , par Abram Tertz (André Siniavski).
Que conclure?
Que les libertins de l’islam et du christianisme inclinassent au rationalisme, à l’incroyance, alors que certains de ceux qui souffrent en Union soviétique sont tentés par le spiritualisme (Pasternak, Siniavski, Daniel, Soljenitsyne, la fille de Joseph Staline), il faut, pour s’en étonner, ne rien connaître à la nature humaine. Dans un bagne matérialiste, le Christ, qui fonda l’homme sur l’amour et la liberté, comment ne redeviendrait-il pas ce qu’en son temps il fut, s’il fut: un élément subversif, révolutionnaire, un libertin; et, pour cette raison, crucifié.
L’Europe occidentale ne saurait donc revendiquer le privilège d’avoir produit, contre les religions dominantes, des penseurs libres. Confucianisme, islam, tsarisme, stalinisme ont produit les leurs, honneur de notre espèce. À défaut d’un respect dont ils se moqueraient, marquons-leur l’amitié qu’ils méritent. C’étaient d’ailleurs parfois des collègues: férus d’encyclopédisme.
Voilà qui semble inquiétant pour les collaborateurs de l’Encyclopædia Universalis . Peau de chagrin, en vérité, cette portion déjà fort exiguë de la petite planète où il soit encore permis de penser tout seul, et donc d’être ce qu’on appelait jadis un « libertin »; ce qu’aujourd’hui on appelle plutôt un « traître », « un comploteur », un « espion », un « parasite »; revoici venir, partout, hélas, le temps des manichéismes, celui des « vipères lubriques ». Mais le libertin sera toujours l’honneur des hommes. S’il ne s’en levait plus, toujours et partout, c’en serait fait de ce que l’anthropologie peut encore appeler l’espèce humaine.
libertinage [ libɛrtinaʒ ] n. m.
• 1603; de libertin
1 ♦ Vieilli Licence de l'esprit en matière de foi, de discipline, de morale religieuse. ⇒ incrédulité.
2 ♦ (1674) Mod. Inconduite du libertin; licence plus ou moins raffinée dans les mœurs. ⇒ débauche, dérèglement, dévergondage, dissolution. « Cet amour sans libertinage était pour lui quelque chose de nouveau » (Flaubert). — « un conte galant, poétique et d'un libertinage accompli » (Henriot) .
⊗ CONTR. Chasteté, pureté, vertu.
● libertinage nom masculin Manière de vivre dissolue du libertin. Au XVIIe s., doctrine des libertins. ● libertinage (citations) nom masculin Donatien Alphonse François, comte de Sade, dit le marquis de Sade Paris 1740-Charenton 1814 Rien n'est affreux en libertinage, parce que tout ce que le libertinage inspire, l'est également par la nature. La Philosophie dans le boudoir ● libertinage (synonymes) nom masculin Manière de vivre dissolue du libertin.
Synonymes :
- débauche
- déportement
- dévergondage
- licence
Contraires :
- ascétisme
libertinage
n. m. Dérèglement des moeurs; licence, inconduite.
⇒LIBERTINAGE, subst. masc.
A. — [Correspond à libertin A]
1. Cour. Conduite de celui qui a des mœurs très libres, qui s'adonne sans retenue aux plaisirs de la chair. Un libertinage effréné; camarades de libertinage. Parmi les emportements sensuels de son amour, il y avait tout à la fois des tendresses de jeune fille et du libertinage de courtisane (E. DE GONCOURT, Faustin, 1882, p. 216). Le peintre s'est amusé à cette transposition d'une société élégante et frivole, qui pare encore son libertinage des voiles légers du sentiment (NOLHAC, Boucher, 1907, p. 57). La république de Sade n'a pas la liberté pour principe, mais le libertinage (CAMUS, Homme rév., 1951, p. 57) :
• 1. Ah! monsieur, vous commencez bien plus tôt que mon père cette carrière de libertinage, de prodigalité qui déshonore un père de famille, qui diminue le respect des enfants, et au bout de laquelle se trouvent la honte et le désespoir.
BALZAC, Cous. Bette, 1846, p. 235.
— P. méton. Acte libertin. Il causait avec elle des amants qu'elle avait, sollicitait le récit de ses libertinages, et même il finissait par y trouver plaisir (ROLLAND, J.-Chr., Foire, 1908, p. 708).
2. Vx. Attitude de celui qui refuse les contraintes, les sujétions. (Dict. XIXe et XXe s.).
3. Vieilli ou littér. Attitude de celui qui refuse le dogmatisme des croyances établies ou officielles et en particulier celui de la religion et la contrainte de sa pratique. [Théodore Jouffroy] aimait de la religion justement ce que les athées par libertinage en détestent : sa règle austère et son enseignement vertueux (BOURGET, Essais psychol., 1883, p. 55) :
• 2. Le libertinage n'est pas, comme on l'a trop longtemps soutenu, l'attitude tapageuse et paradoxale de quelques jeunes fous. C'est un vaste mouvement où confluent les tendances les plus diverses, les courants d'idées les plus puissants de l'Europe intellectuelle (...). Le libertin n'admet qu'une faculté de connaître, la raison, organe de la critique individuelle. Il l'oppose fortement à l'autorité et à la tradition.
A. ADAM, Théophile de Viau et la libre pensée fr. en 1620, Paris, Droz, 1935, p. 432.
B. — [Correspond à libertin B]
1. Caractère de ce qui appartient au libertin, de ce qui est inspiré par le dérèglement des mœurs. Comme ce libertinage invisible de ma pensée ne pouvait choquer l'austérité de mes mœurs, je m'y livrais sans remords (SAND, Lélia, 1833, p. 202). Dès que la luxure de la Renaissance s'annonça (...) ce fut, avec le libertinage de la statuaire et de la peinture, le grand stupre des basiliques (HUYSMANS, Cathédr., 1898, p. 153).
2. Vx. Caractère de ce qui dénote le refus des contraintes, l'absence de gêne, le goût de l'aventure. Libertinage d'une vie; libertinage d'opinion, de sensibilité. Cet écrivain s'abandonne au libertinage de son imagination. Un libertinage d'esprit qui ne laisse approfondir aucun sujet (LITTRÉ). C'est par tout le dessin, un très heureux et très habile libertinage de crayon (GONCOURT, Ét. art, 1893, p. 133). Ça été lui [Michel-Ange] qui a introduit le libertinage dans l'architecture par une ambition de faire des choses nouvelles et de n'imiter aucun de ceux qui l'ont précédé (LEMONNIER, Art fr. Louis XIV, 1911, p. 127) :
• 3. ... on m'apporte des bouts d'étrennes. (...) ces trompettes d'un sou, ces bonbons à corset de dentelle, (...) ces odeurs de colle, ces parfums de vanille, ce libertinage du nez et cette audace du tympan, ce brin de folie, (...) ah! comme c'est bon, une fois l'an!
VALLÈS, J. Vingtras, Enf., 1879, p. 69.
— P. anal. ou au fig. Ici, je laisse à d'autres l'ordre et la mesure. C'est le grand libertinage de la nature et de la mer qui m'accapare tout entier (CAMUS, Noces, 1938, p. 16).
Prononc. et Orth. : []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1603 « attitude de celui qui s'est affranchi des croyances religieuses » (PELEUS, Actions forenses, 139, 161 ds DELB. Notes mss); 2. 1611 « licence de mœurs » (COTGR.); v. aussi W.H. LEMKE ds St. fr., n° 58, p. 58; 3. 1680 « indépendance, refus de toute sujétion » (SÉV., Lettre à Mme de Grignan, éd. M. Monmerqué, t. 6, p. 460). Dér. de libertin aux sens 2 et 3; suff. -age. Fréq. abs. littér. : 151. Bbg. LEMKE (W.H.). Libertin : from Calvin to Cyrano. St. fr. 1976, t. 20, pp. 58-60. - QUEM. DDL t. 12. - RIZZA (C.). Théophile de Viau : libertinage e libertà. St. fr. 1976, t. 20, pp. 430-462.
libertinage [libɛʀtinaʒ] n. m.
ÉTYM. 1603; de libertin.
❖
———
I Vx.
1 Indépendance, refus de toute contrainte, de toute sujétion.
1 J'aime fort la liberté et le libertinage de votre vie et de vos repas, et qu'un coup de marteau ne soit pas votre maître.
Mme de Sévigné, 1200, 25 juil. 1689.
♦ Péj. || Libertinage d'esprit, d'imagination. ⇒ Dérèglement. — REM. Ces expressions archaïques figurent dans Académie, 8e éd. (1935).
2 (…) il n'est aucun travers que Malebranche ait si vivement et opiniâtrement persécuté que le libertinage d'imagination.
Émile Faguet, Études littéraires, XVIIe siècle, Malebranche, p. 115.
2 Vieilli. Licence de l'esprit en matière de foi, de discipline, de morale religieuse. ⇒ Incrédulité (→ Croire, cit. 63; éloigner, cit. 27). || Discours qui sent le libertinage (→ Enticher, cit. 1, Molière).
3 Elle s'élève contre le libertinage à la mode parmi les jeunes gens. Ce mot de libertinage, dans la langue du XVIIe siècle, signifie (…) la licence de l'esprit dans les matières de foi, et c'est encore dans ce sens que le prend Mme de Lambert : « La plupart des jeunes gens croient aujourd'hui se distinguer en prenant un air de libertinage qui les décrie auprès des personnes raisonnables. C'est un air qui ne prouve pas la supériorité de l'esprit, mais le dérèglement du cœur ».
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 9 juin 1851.
———
II (1674). Mod. Inconduite du libertin; licence plus ou moins recherchée dans les mœurs. ⇒ Débauche, dérèglement, dévergondage, dissolution, vice. || Tomber dans le libertinage (→ Escapade, cit. 4). || Femmes effrontées (cit. 3) qui vivent dans le libertinage. ⇒ Galanterie. || Lasciveté qui porte au libertinage. || Mettre un terme à son libertinage. ⇒ Débordement(s), frasque(s).
4 (…) je lui dis (…) que son libertinage avait été supporté par égards pour son âge (…) personne ne pouvait plus souffrir dans un petit-fils de France de trente-cinq ans ce que le Magistrat et la police eût châtié il y a longtemps dans quiconque n'eût pas été (…) hors d'état d'insulter à tout un royaume par le scandale affreux de sa vie (…)
Saint-Simon, Mémoires, III, XXIV.
5 Ce n'était guère que son confesseur (…) qui lui avait parlé de l'amour (…) et il lui en avait fait une image si dégoûtante, que ce mot ne lui représentait que l'idée du libertinage le plus abject.
Stendhal, le Rouge et le Noir, I, VII.
6 Cet amour sans libertinage était pour lui quelque chose de nouveau, et qui, le sortant de ses habitudes faciles, caressait à la fois son orgueil et sa sensualité.
Flaubert, Mme Bovary, II, X.
7 Dans ce suprême état (causé par le haschisch), l'amour (…) prend les formes les plus singulières et se prête aux combinaisons les plus baroques. Un libertinage effréné peut se mêler à un sentiment de paternité ardente et affectueuse.
Baudelaire, Du vin et du haschisch, IV.
♦ Par ext. || Le libertinage de sa vie. — Le libertinage d'un récit, d'un tableau.
8 De leurs honteux plaisirs l'affreux libertinage !
Boileau, Satires, X.
9 Ceci n'est qu'un conte, galant, poétique et d'un libertinage accompli, qui a pu scandaliser nos grand-mères, mais qui n'émouvrait plus beaucoup leurs petites-filles et ne leur apprendrait même rien.
Émile Henriot, les Romantiques, p. 210.
❖
CONTR. Ascétisme, bégueulerie, pureté, vertu.
Encyclopédie Universelle. 2012.