PURITANISME
Le terme de puritain est parfois employé pour désigner ceux qui, dans diverses confessions et à différentes époques, ont recherché un culte sans apparat et une morale très stricte, en conformité avec ce qu’ils pensaient être le christianisme originel et en opposition avec les Églises de leur temps, avec le cléricalisme, le ritualisme, les compromissions de celles-ci. Au sens historique, le puritanisme désigne le mouvement qui, aux XVIe et XVIIe siècles, tenta en Angleterre de poursuivre la réforme doctrinale établie par les règlements d’Élisabeth au travers d’une réforme du système ecclésiastique et du rituel. On donne également le nom de puritains aux adeptes de ce mouvement qui émigrèrent en Amérique entre 1620 et 1640 et tentèrent d’y réaliser une communauté religieuse et politique conforme à leur idéal. Avec des méthodes et selon des problématiques diverses, plusieurs sociologues ont souligné le lien entre la mentalité puritaine et l’esprit du capitalisme.
Le puritanisme anglais
Dans l’Angleterre du XVIe siècle, le glissement vers le protestantisme avait préservé les structures ecclésiastiques médiévales. Les cours épiscopales, le cumul des bénéfices, la vénalité des charges subsistaient, le rituel avait été fort peu modifié. Dans ces structures inchangées, les Trente-Neuf Articles, promulgués en 1571, insufflèrent une doctrine nettement protestante et plus précisément calviniste, sans définir aucune organisation ecclésiastique normative. Mais le pouvoir royal nommait les évêques, qu’il utilisait comme instrument d’administration.
Une mentalité plus réformatrice existait cependant dans certaines couches sociales, notamment dans celles qui formeront au XVIIe siècle la petite classe moyenne urbaine. La prédication de Wyclif et des Lollards au XIVe siècle avait laissé des traces. D’autre part, lors de la tentative de restauration du catholicisme par Marie Tudor, s’était constituée à Genève une communauté d’exilés dirigée par l’Écossais John Knox. Rentrés en Angleterre après l’avènement d’Élisabeth, certains d’entre eux tentèrent d’implanter sur le sol anglais les idées et la pratique des réformateurs suisses en matière de rituel et d’organisation ecclésiastique. L’Écosse, sous l’influence de Knox, venait précisément d’édifier son Église nationale sur le modèle presbytérien. Vers 1565, le vocable de puritain servit à désigner ces réformistes qui recherchaient une religio purissima. Menaçant l’épiscopat et par conséquent, aux yeux du pouvoir, la couronne elle-même, ils se virent frappés par diverses mesures dont l’application fut néanmoins longtemps freinée par le «danger espagnol». La coupure n’était d’ailleurs pas toujours nette entre les épiscopaliens et les non-conformistes. Certains de ces derniers admettaient, au sein d’un système presbytérien synodal, la présence d’évêques ayant un pouvoir essentiellement administratif. En outre, quelques évêques étaient eux-mêmes de tendance presbytérienne.
Malgré les dispositions prises contre lui, le puritanisme restait vivace, notamment à l’université de Cambridge où l’on était hostile aux divertissements dominicaux, et où l’on voulait supprimer les ornements d’église et l’usage du surplis, et placer la table de communion au milieu de la congrégation (et non à l’extémité est de l’église comme un autel de sacrifice). Les idées puritaines se répandirent par la diffusion de brochures et surtout grâce à la prédication. Les prêtres anglicans se montraient en général peu qualifiés pour celle-ci; des évêques endettés vendirent à des prédicateurs – personnes pourvues de titres universitaires et, la plupart du temps, de tendance puritaine – le droit de prêcher. Le prêtre de la paroisse devait alors se contenter de l’office liturgique. Une grande partie des paroissiens se montraient avides d’apprendre et aimaient passionnément les sermons, qui leur apportaient, en même temps que l’enseignement religieux, toute une série de nouvelles et constituaient en quelque sorte des cours d’université populaire. Grâce à des collectes, à des dons et à des legs, les prédicateurs puritains purent faire face à leurs divers frais, notamment lors des procès qui leur furent intentés, quand la hiérarchie s’aperçut des dangers de ces prédications.
Les quelques communautés congrégationalistes, dont les membres furent pourchassés et souvent acculés à l’exil, formèrent jusqu’à la révolution une tendance très minoritaire au sein du mouvement puritain dont la majorité presbytérienne recherchait une via media et craignait le séparatisme. Les adeptes de cette tendance, politiquement favorables au Parlement, appartenaient à la classe moyenne urbaine ou même à la gentry (hostile à la nobility anglicane). Face au danger que représentaient pour l’ordre établi les émeutes populaires, Charles Ier tenta de miser – lors de ses démêlés avec le Parlement et au début de la guerre civile – sur la solidarité des possédants. Mais les notables du clan parlementaire, notamment dans l’est de l’Angleterre et à Londres, rompirent cette solidarité et s’appuyèrent sur le peuple pour mener à bien la révolution anglaise. Selon C. Hill, les progrès du puritanisme avaient rendu possible cette rupture. Quatre-vingts pour cent des prédicateurs puritains se trouvaient dans l’Est. Cela diminuait considérablement la peur du peuple, puisque ce dernier était «convenablement encadré». À Londres, les petits patrons puritains ne craignaient pas leurs apprentis auxquels ils apprenaient à lire le soir après dîner, tout en leur inculquant leurs idées religieuses et politiques. Ces apprentis, tisserands, salariés réguliers, constituaient une rassurante classe moyenne, pauvre mais rigoureusement réformiste.
La mise à mort de Charles Ier, l’importance des congrégations indépendantes (dont les membres se recrutèrent parmi les soldats de Cromwell, dans l’aile gauche des intellectuels et dans certaines couches des classes populaires), l’établissement d’une large tolérance et l’existence de sectes politiquement radicales comme les Levellers et les Ranters effrayèrent la majorité des puritains presbytériens. À la mort de Richard Cromwell, ils prirent peur et favorisèrent la restauration de la monarchie. Le Parlement cavalier, très épiscopalien, poussa Charles II à ne pas respecter les promesses faites aux puritains modérés. Après l’Acte d’uniformité de 1662, les puritains furent persécutés jusqu’à la révolution de 1688.
Le puritanisme américain
On peut distinguer deux vagues dans l’émigration puritaine durant la première moitié du XVIIe siècle.
La première est celle des célèbres «Pères Pèlerins» (Pilgrim Fathers ), puritains séparatistes des comtés du nord de l’Angleterre. Après un exil de douze ans à Leyde, ils craignirent que leur postérité ne devînt hollandaise et ne fût corrompue par un milieu qu’ils estimaient moralement peu élevé et parfois enclin à l’hérésie. Leur émigration sur le Mayflower fut en partie financée par des marchands de Londres. Débarquant en novembre 1620 sur la côte du cap Cod, ils fondèrent New Plymouth, et subirent les épidémies et la famine; l’hospitalité des Indiens, qui leur apprirent à cultiver le maïs et à utiliser le poisson comme engrais, permit à quelques dizaines d’entre eux de subsister. Une seconde vague d’émigration, numériquement plus importante, commença en 1630, un an après la dissolution du Parlement par Charles Ier. Ces nouveaux puritains, qui étaient des non-conformistes de condition sociale plus aisée que les Pères Pèlerins, apportèrent avec eux des capitaux qui leur permirent de remédier aux insuffisances du sol. Ils s’établirent dans la baie du Massachusetts.
Les puritains de la Nouvelle-Angleterre se considéraient comme le peuple élu de Dieu, reprenant pour leur bénéfice exclusif la tradition chrétienne selon laquelle l’Église serait le «Nouvel Israël», la continuatrice du peuple hébreu de l’Ancien Testament. Pour eux, l’Amérique était la «Nouvelle Jérusalem», le refuge choisi par Dieu pour ceux qu’il voulait préserver de la corruption ou de la destruction générale, tandis que les Indiens représentaient les restes d’une «race maudite» que le «Démon» avait conduite lui-même dans ce continent afin de la gouverner tranquillement. Ces idées permirent parfois de justifier théologiquement les spoliations que les colons firent subir aux indigènes.
Bien qu’ils eussent déclaré, dans leur grande majorité, être des membres fidèles de l’Église d’Angleterre, les puritains organisèrent leurs communautés sur un modèle congrégationaliste. L’église était considérée comme le centre de la vie religieuse, politique et sociale. Pour être membre de la congrégation, il fallait raconter publiquement sa «conversion» et être élu par les autres membres. La plupart des habitants de la cité fréquentaient l’église sans en être membres et donc (jusqu’à la fin du XVIIe siècle) sans jouir des droits de citoyen. Enfin, les «réprouvés» étaient pourchassés par le pouvoir civil. Les ministres du culte, choisis par la communauté en son sein, n’avaient pas de supérieur écclésiastique. En 1648, le Synode de Cambridge ratifia la «Confession de Foi» de Westminster.
En une époque où la religion et la politique étaient inextricablement liées, le puritanisme se servit du magistrat pour condamner ceux qu’il estimait hérétiques. G. L. Hasking et d’autres auteurs ont, cependant, montré que, contrairement à la légende, les législateurs puritains n’ont pas suivi aveuglément la loi mosaïque. Ils ont créé une république religieuse, non une république biblique. Et le puritanisme, d’autre part, inculquait l’esprit de résistance à ses membres en rupture de ban; certains de ses adeptes même préférèrent un second exil à la soumission. Roger William, auteur de deux «hérésies» (l’une affirmait qus les droits des Indiens sur le sol de la Nouvelle-Angleterre étaient les seuls authentiques, l’autre déniait aux magistrats civils les pouvoirs ecclésiastiques), alla fonder le Rhode Island, berceau du baptisme et asile de la liberté religieuse. Persécutés, les quakers se réfugièrent en Pennsylvanie, où ils se montrèrent tolérants. Lors des procès de sorcellerie de Salem en 1692, une sorte d’inquisition fut temporairement établie et dix-neuf personnes furent mises à mort.
Les difficultés matérielles, les guerres, l’arrivée de nouveaux immigrants atténuèrent à la fin du XVIIe siècle l’aspect religieux et moral du puritanisme américain. Le système théocratique fut abandonné et tout homme qui était propriétaire ou possédait un petit revenu fut admis à voter. Peu à peu, la tolérance religieuse s’instaura.
Puritanisme et capitalisme
Dans son célèbre ouvrage L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme , M. Weber analyse l’influence du protestantisme – et spécialement du puritanisme – sur le développement de l’esprit capitaliste. Selon lui, la doctrine calviniste de la prédestination créant une certaine angoisse, l’activité et le succès professionnels sont interprétés par le fidèle comme des signes de l’élection divine. Contrairement à ce qu’ont cru les historiens, les puritains condamnaient seulement la jouissance de la richesse, le repos dans la possession, non la recherche de biens terrestres par le travail ni la possession elle-même. Ainsi la dénonciation ascétique des dangers de la richesse aboutissait à une obligation religieuse de l’enrichissement.
Pour R. H. Tawney, les grandes découvertes et leurs conséquences économiques furent les causes essentielles du développement capitaliste. La Réforme, notamment sous sa forme puritaine, s’effectua dans le cadre de la montée des classes moyennes, de la mentalité marchande. Façonné par les structures économico-sociales, le puritanisme contribua cependant à renforcer celles-ci en les justifiant au nom de Dieu. L’esprit capitaliste «trouva dans certains aspects du puritanisme un élément qui vivifia son énergie et fortifia son tempérament». Perry Miller, bien qu’agnostique, insiste sur l’importance de la théologie de la grâce, condition du dynamisme socio-économique des puritains. Au contraire, Larzer Ziff estime qu’en tant que classe ascendante industrieuse les puritains ont exprimé leurs aspirations égalitaires dans cette théologie. D’autres auteurs, par contre, ne pensent pas que le puritanisme ait présenté une aussi grande originalité. Selon W. Sombart, ce mouvement a eu une influence positive sur l’essor du capitalisme dans la mesure où il a repris des idées qui se trouvent exprimées avec «plus de force dans la religion juive qui, naturellement, en a aussi la priorité». K. Samuelsson va plus loin et rejette l’idée que l’esprit du capitalisme puisse procéder, même partiellement, d’une influence religieuse quelconque. Pour lui, la mentalité capitaliste va de pair avec une sécularisation progressive de toutes les activités humaines.
Si pertinentes que soient ces différentes remarques, la thèse wébérienne ne semble pas pour autant réellement réfutée. Celle-ci insiste, en effet, sur les aspects spécifiques du capitalisme occidental moderne. C’est au niveau de l’organisation rationnelle et bureaucratique du travail formellement libre que le puritanisme a joué un rôle. Cette action se combina avec d’autres facteurs historiques. Or Weber prône précisément avec insistance une conception pluraliste de la causalité; il montre, d’autre part, qu’il existe une différence entre le «capitalisme juif» orienté vers la spéculation – capitalisme de parias – et le «capitalisme puritain», qui fut une organisation bourgeoise du travail; enfin, il ne nie pas l’importance du processus de sécularisation, mais il semble bien que l’«ascétisme séculier» des puritains ait favorisé ce processus alors que le catholicisme l’a, d’une manière générale, plutôt freiné. Le puritanisme fut, certes, une attitude caractéristique de la classe moyenne ascendante, mais, en théorisant des aspirations latentes, il a permis à la bourgeoisie protestante de jouer un rôle capital dans une organisation nouvelle de la production et dans la mise en place de nouveaux rapports de production.
puritanisme [ pyritanism ] n. m.
• 1691; de puritain
1 ♦ Doctrine, esprit, conduite des puritains.
2 ♦ Rigorisme, austérité extrême (et souvent affectée). Le puritanisme anglo-saxon. « certain puritanisme que l'on m'avait enseigné comme étant la morale du Christ » (A. Gide).
● puritanisme nom masculin (anglais puritanism) Parti, doctrine des puritains. Rigorisme moral excessif. ● puritanisme (synonymes) nom masculin (anglais puritanism) Rigorisme moral excessif.
Synonymes :
- ascétisme
- austérité
- rigidité
puritanisme
n. m.
d1./d RELIG Doctrine des puritains.
d2./d Rigorisme dans la morale, dans les moeurs.
⇒PURITANISME, subst. masc.
A. — HIST. RELIG. Doctrine, manière de vivre des puritains (v. ce mot A 1). N'avons-nous pas vu à la cour d'Angleterre, l'incrédulité succéder aux terreurs inspirées par le puritanisme? (BONSTETTEN, Homme Midi, 1824, p. 51). Cet homme [Brummel], accusé d'extravagance, mena une réaction, à tout prendre modérée, contre le puritanisme du dix-septième siècle autant que contre la débauche et le laisser-aller du dix-huitième(MORAND, Londres, 1933, p. 206). Diverses défigurations que le christianisme lui-même allait subir et dont les principales ont été le puritanisme et le jansénisme (MARITAIN, Human. intégr., 1936, p. 13).
B. — P. ext., péj. Rigorisme excessif en morale; fermeté extrême dans le respect de principes généralement liée à une manière de vivre austère et prude. Le puritanisme, la bégueulerie, la bigotterie (sic), le système du renfermé, de l'étroit, a dénaturé et perd dans sa fleur les plus charmantes créations du bon Dieu. J'ai peur du corset moral, voilà tout (FLAUB., Corresp., 1850, p. 257). Le puritanisme anglo-saxon nous dessèche chaque mois davantage, il a déjà réduit à peu près à rien la gaudriole impromptue des arrière-boutiques (CÉLINE, Voyage, 1932, p. 91):
• Vous n'ignorez pas qu'il y a maintenant tout un parti à Nice qui fait du puritanisme. Plus de carnaval, plus de fêtards internationaux! Nice, ville d'art et de pensée. Br!... (...) Soyez tranquille. Dans ma modeste mesure, je travaille à sauver la tradition frivole...
ROMAINS, Hommes bonne vol., 1939, p. 172.
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1798. Étymol. et Hist. 1. 1649 « variété de protestantisme d'Angleterre » (R. MENTET DE SALMONET, Hist. des troubles de la Grand' Bretagne, 602 d'apr R. ARVEILLER ds Fr. mod., t. 52, p. 86); 2. 1829 « rigorisme, austérité » (STENDHAL, Prom. ds Rome, t. 2, p. 44). Empr. à l'angl. puritanism (1573 ds NED), dér. de puritan (v. puritain). Fréq. abs. littér.:63. Bbg. BARB. Loan-words 1921, p. 147. — BOULAN 1934, p. 118.
puritanisme [pyʀitanism] n. m.
ÉTYM. 1691; angl. puritanism, de puritan. → Puritain.
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1 Doctrine, esprit des puritains.
2 (1829). Rigorisme, austérité extrême (et souvent affectée). ⇒ Ascétisme, austérité, rigidité; et péj. affectation. || Cela choquait (cit. 10) son puritanisme. || Le puritanisme anglo-saxon.
1 Le catholicisme n'a rien de prude, de bégueule, de pédant, d'inquiet. Il laisse cela aux vertus fausses, aux puritanismes tondus.
Barbey d'Aurevilly, Une vieille maîtresse, Préface.
2 Jusqu'à présent, j'avais accepté la morale du Christ, ou du moins certain puritanisme que l'on m'avait enseigné comme étant la morale du Christ.
Gide, Si le grain ne meurt, II, I, p. 287.
♦ Spécialt (en matière sexuelle). ⇒ Pudibonderie.
Encyclopédie Universelle. 2012.