ANGOISSE
Lorsque l’homme s’interroge sur son surgissement dans le monde, il peut certes localiser et dater son apparition parmi les vivants et en préciser les cadres économico-sociaux; mais, lorsqu’il cherche à justifier le lieu et le temps qui sont les siens, il se trouve acculé à une impasse. L’angoisse est précisément l’expérience naissant de l’inadéquation entre les questions que chaque individu pose au monde, quant à sa propre origine et à sa destinée, et les réponses que ce même monde peut donner: à travers elle, tous les repères définis par le savoir n’apparaissent que comme de dérisoires conceptions résiduelles de la dimension et de l’habitation. Si bien que, dans l’angoisse, ce n’est pas tellement nous qui questionnons le monde que nous-mêmes qui nous trouvons mis en question.
1. Psychologie et métaphysique
L’angoisse et l’être-dans-le-monde
L’expérience de l’angoisse commence par cette stupor qui saisit saint Augustin lorsqu’il prend conscience qu’il est pour lui-même une grande question et non un ensemble de solutions qu’il n’aurait qu’à assumer en les faisant siennes. C’est pourquoi il écrit: «Je ne puis concevoir intégralement ce que je suis. L’esprit est donc trop étroit pour se contenir lui-même? [...] C’est sur moi-même que je m’épuise. Je suis devenu pour moi-même une terre de difficulté et de sueurs accablantes.» Dans l’angoisse, l’homme éprouve qu’il est à lui-même ce qu’il y a de plus proche et de plus lointain, puisqu’il se reconnaît incapable de répondre aux questions qui le tourmentent: d’où viens-je? qui suis-je? où vais-je? Par là, l’homme se sent étranger en cette Terre, dépaysé, abandonné sans pouvoir dire, de façon précise, en fonction de quoi son abandon et son dépaysement sont vécus comme tels. D’où cet effroi que Pascal met dans la bouche du libertin: «Quand je considère la petite durée de ma vie absorbée par l’éternité précédant et suivant, le petit espace que je remplis et même que je vois, abîmé dans l’immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent, je m’effraie et m’étonne de me voir ici plutôt que là, car il n’y a pas de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m’y a mis? Par l’ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il été destiné à moi?» Toutes ces interrogations se ramènent finalement à cette question: qu’est-ce qui fait l’être de cet être-là que je suis? L’angoisse n’est donc pas la peur, car celle-ci est toujours motivée par un être, un objet ou un événement dont nous redoutons l’hostilité et qui sont situés dans le monde; c’est pourquoi, en tant que telle, l’angoisse est le douloureux privilège de l’homme.
L’angoisse de l’être
Ce qui nous angoisse, c’est donc l’environnement du monde dans son ensemble et, en même temps, l’absolue inconsistance de celui-ci. Telle est l’idée essentielle sur laquelle a insisté Heidegger en précisant que «ce qui angoisse l’angoisse est l’être-au-monde comme tel». Il est bien remarquable, note-t-il, que, lorsque l’angoisse est passée, nous disons volontiers: Ce n’était rien du tout, car c’est précisément ce rien qui nous angoissait. L’être angoissé éprouve qu’il ne peut se comprendre à partir du monde et qu’il demeure isolé en lui-même: nous sommes angoissés devant notre être-dans-le-monde. Née de notre condition, l’angoisse nous la révèle et se situe au cœur de la relation de l’étant à l’Être. Pour Heidegger, l’existant est, en effet, la négation d’une totalité qu’il constituerait. Cette négation, Heidegger l’appelle Néant, Néant qui est antérieur au «non» de la négation qu’il fonde et par laquelle il n’est nullement constitué; c’est lui que nous rencontrons dans l’angoisse qui nous le révèle. Qu’en est-il du Néant? Qu’en est-il de toutes ces négations qui nous constituent et qui nous coupent la parole? Telles sont les questions que pose la philosophie de Heidegger, philosophie de l’Être et non de l’existence: l’angoisse y est tenue pour cette relation de la réalité humaine au Néant qui en fonde les négations à partir de l’Être et qui fait d’elle la «sentinelle du Néant».
Expérience psychométaphysique, l’angoisse naît donc d’une remontée au primordial ne permettant pas de redescendre le long de coordonnées chronologiques au centre desquelles nous nous retrouverions. Elle peut devenir un piège si nous la cultivons dans ces dolorismes ontologiques qui hypostasient souvent en dogmes métaphysiques des données biographiques et qui se complaisent dans les descriptions lyriques de symptômes. Il n’en est pas moins vrai que, comme le souligne Kierkegaard, l’angoisse peut être aussi la plus haute école de l’homme, à la condition qu’elle le conduise vers les hauteurs et non dans les extases vers le bas. Pour le christianisme de Kierkegaard, l’angoisse est secourable dans la mesure où elle met à nu les illusions de toutes les choses finies qu’elle corrode, nous faisant ainsi accéder à l’idée d’un repos par la Rédemption. S’il y a une école de l’angoisse, c’est celle qui nous enseigne à ne voir, dans les dimensions du monde et dans les repères qu’il nous propose ou nous impose, que des solutions partielles impuissantes à nous satisfaire. Telle est la raison pour laquelle Karl Jaspers a pu dire de l’angoisse qu’elle naissait de l’échec qui nous guette au bout de notre quête pour saisir l’Être; mais cet échec n’est pas une invitation au pessimisme, il est l’expérience fondamentale par laquelle vient à nous ce devant quoi nous échouons. Ce n’est qu’à travers les échecs que nous connaissons, lorsque nous voulons penser l’Absolu, que celui-ci nous est révélé. Ainsi, l’étroitesse de l’existence est la condition même de l’ouverture vers la Transcendance; notre angoisse tient à notre finitude qui se confronte avec ce qui l’englobe.
2. Péché et liberté
Si l’angoisse naît d’une interrogation sur le primordial , elle peut se déployer vers le terminal où l’action se trouve impliquée. Nul mieux que Kierkegaard, à qui de nombreux philosophes contemporains doivent beaucoup, n’a analysé les présupposés de cette implication. La perspective chrétienne du philosophe danois ne se contente pas d’un dogmatisme étroit s’appuyant sur des récits. Au premier degré, l’angoisse naît de la possibilité offerte à la possibilité elle-même, et se trouve au cœur de la liberté. L’état d’innocence est fait d’une paix reposant sur l’ignorance: toutefois, cet état implique quelque chose qui n’est ni la discorde ni la lutte, puisqu’il n’y a encore rien contre quoi lutter: «Qu’est-ce donc? Rien. Mais quel effet produit ce rien? Il engendre l’angoisse. Le profond mystère de l’innocence, c’est qu’elle est en même temps angoisse.» Lorsque Adam s’entend défendre de manger des fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, il ne peut comprendre cette interdiction, car il ne sait pas ce que sont le bien et le mal: il ne peut pas non plus comprendre le châtiment qui l’attend en cas de désobéissance, car il ne sait ce qu’est la mort. Toutefois, cette interdiction et cette menace font naître en lui le sentiment d’une immense possibilité de pouvoir, et c’est là que réside l’angoisse en tant que «vertige de la liberté». De ce vertige naît la chute; l’innocence se trouve portée au point où elle s’évanouit; la chute constitue un saut qualitatif que la psychologie ne peut expliquer et où la liberté tombe en syncope. Mais le péché ne supprime pas pour autant l’angoisse, car celle-ci entre désormais en relation avec ce qui a été posé et avec l’avenir puisque, avec le saut qualitatif, le péché est entré dans le monde, le bien et le mal se trouvant ainsi donnés. Kierkegaard n’a donc jamais fait sienne la «misérable doctrine» selon laquelle il faut que l’homme pèche; il proteste contre tout savoir de pure expérience et insiste sur cette idée que le péché se présuppose lui-même, comme la liberté, et ne s’explique pas plus qu’elle par un antécédent. L’angoisse du «que faire?» prolonge celle du «que suis-je?»; dans l’un et l’autre cas, l’homme se trouve confronté avec ce en quoi il plonge par-delà ce au sein de quoi il se trouve. C’est pourquoi un Jules Lequier pouvait être pris de vertige devant l’action: «Faire ou ne pas faire ! Tous les deux si également en mon pouvoir! Une même cause; moi, capable au même instant, comme si j’étais double, de deux effets tout à fait opposés! et, par l’un ou par l’autre, auteur de quelque chose d’éternel, car, quel que fût mon choix, il serait désormais éternellement vrai qu’en ce point de la durée aurait eu lieu ce qu’il m’aurait plu de décider.» Il y a donc tout un aspect de l’angoisse qui concerne, comme Sartre l’a redit, l’engagement que je prends pour l’humanité tout entière au moment même où j’accomplis mon acte.
3. Angoisse et névrose
Le problème qui reste posé est celui de savoir si le primordial que nous avons invoqué ne cacherait pas un archaïque plongeant dans l’enfance, si l’angoisse ne se ramènerait pas à des séquelles d’un traumatisme psychique déterminant une anxiété, voire des phobies, d’où toute expérience métaphysique devrait être exclue. C’est ainsi que les psychanalystes ont fait de l’angoisse la traduction d’une névrose; mais, sur ce problème, les idées de Freud ont évolué. Après avoir vu dans l’angoisse la manifestation de la libido refoulée par le moi, Freud a pensé que l’angoisse manifestait surtout la présence du surmoi et qu’elle provoquait le refoulement, bien loin que ce soit le refoulement qui fasse surgir l’angoisse. Freud ne s’arrête guère aux explications par le traumatisme de la naissance, proposées par Rank, ni à celles d’Adler, par le complexe d’infériorité. Dans la dernière partie de sa vie, Freud a fait de l’angoisse l’expression d’un conflit inconscient opposant le moi à des tendances érotiques et à des tendances agressives. Quoi qu’il en soit de l’évolution de la pensée de Freud à ce sujet, nous retrouvons au cœur même de ses théories de la névrose l’idée que le moi est malade du monde et de lui-même. L’angoisse n’est peut-être pas une maladie, mais c’est la conscience qui en est une, dans la mesure où elle est le vécu d’une déroute dramatique.
4. Angoisse et société
Toutefois cette «maladie» ne serait-elle pas la traduction subjective d’un déséquilibre d’essence sociale? Y a-t-il une angoisse de la conscience, ou seulement des conditions extérieures angoissantes qui, comme telles, doivent être supprimées par une révolution économico-sociale? Faut-il parler, de façon plus ou moins implicite, d’un «malheur de la conscience» ou y a-t-il simplement des consciences malheureuses parce qu’insuffisamment intellectualisées ou socialement aliénées? Si l’on fait de l’angoisse le produit de conditions sociales névrosantes, tout écrivain ou philosophe parlant de l’angoisse apparaîtra comme un témoin d’une société pourrie, qu’il convient de refaire afin d’extirper l’angoisse du cœur de l’homme et préparer «les lendemains qui chantent». Telle est la raison pour laquelle le Sartre de L’Être et le Néant fut tenu par beaucoup de penseurs marxistes pour le parfait témoin d’une bourgeoisie en décomposition. L’angoisse n’est-elle pas, pour lui, le vertige qui saisit l’homme lorsqu’il s’apparaît comme restant là «sans message» et «injustifiable», comme privé de toute référence capable de supprimer le caractère gratuit de son surgissement dans le monde? Beaucoup ont voulu voir, dans de telles affirmations, la conséquence d’une conscience aliénée ne possédant pas le sens de l’histoire. Il semble bien d’ailleurs que le Sartre de la Critique de la raison dialectique ait évolué vers un marxisme lui permettant de récupérer les critiques qui lui avaient été adressées puisque, dans ce dernier ouvrage, tout ce qui, dans L’Être et le Néant , relevait de la déréliction, du conflit, de l’absence de sens, se trouve expliqué à partir du «joug de la rareté», qui rend autrui infernal parce qu’il est «celui avec qui il faut que je partage». Selon Sartre, la suppression de ce joug doit amener l’apparition d’une philosophie de la liberté dont nous ne pouvons avoir encore aucune idée.
L’avènement des progrès sociaux les plus souhaitables et les plus nécessaires délivrera-t-il l’homme de l’angoisse, ou celle-ci n’irat-elle qu’en s’accentuant, à partir du moment où l’existence ne sera plus dévorée par le problème de la subsistance et se trouvera vraiment face à face avec elle-même? Kafka, cet incomparable témoin de notre temps, pourrait nous aider à cerner ce problème de plus près. L’angoisse, qui est au centre de son œuvre, naît de cette prolifération de dimensions et de présences qui, dans la famille, à l’école et dans la cité, provoquent l’asphyxie sans engendrer la communion; l’union y sépare et le faire y détruit, parce que nous sommes devenus les artisans d’un «puits de Babel» dans lequel nous nous enfonçons et où personne n’est l’ami de personne. Ce monde kafkaïen est le nôtre: un univers dans lequel l’homme est prisonnier de réseaux de communication, où l’on côtoie de plus en plus de monde sans rencontrer véritablement quelqu’un. Le «désenchantement des sociétés techniciennes», dont parle Max Weber, vient de ce que notre angoisse s’accroît d’autant plus que nous devenons les maîtres et les possesseurs de la nature en domestiquant l’énergie et en conquérant l’espace. À mesure que reculent les maladies et la pauvreté, se précise une misère qui ne dépend pas d’elles. Plus nous sommes pourvus, plus nous nous sentons démunis et découvrons finalement que les sauvetages ne sont pas des saluts.
Ainsi l’étude de l’angoisse nous conduit au seuil d’un problème essentiel: l’homme est-il à lui-même sa propre solution? Que nous soyons les héros du savoir et du faire nous empêche-t-il de demeurer les dépossédés de l’Être? S’il y a assez en l’homme pour désirer aller à Dieu ou être son propre Dieu, y a-t-il assez en lui pour parcourir la route? L’homme est-il le créateur du sens, ou se situe-t-il à l’intérieur d’un Sens qu’il a toujours à reprendre, sans jamais pouvoir le saisir dans sa totalité, tout en restant à son écoute?
5. Anxiété et angoisse
Les états anxieux
C’est seulement au cours de la seconde moitié du XIXe siècle que le concept d’anxiété apparaît dans le domaine de la pathologie. Jusqu’alors, les peurs irraisonnées étaient considérées comme une expression, parmi d’autres, des passions tristes ou d’une erreur de jugement proche du délire. Morel, psychiatre parisien, décrit en 1866 le «délire émotif», qu’il attribue à un désordre du système nerveux végétatif et qui s’applique à l’ensemble des troubles anxieux et dépressifs. Peu après se développe le concept de «neurasthénie» qui, à partir d’une explication par un état d’épuisement du système nerveux, inclut un ensemble de manifestations d’inquiétude psychique et de sensations corporelles diverses.
C’est à Freud que l’on doit la description princeps de la névrose d’angoisse . En 1895, il écrit un article au titre éloquent: «Qu’il est justifié de séparer de la neurasthénie un certain complexe symptomatique sous le nom de “névrose d’angoisse”.» Il donne une description succincte mais précise des différentes manifestations de l’anxiété: l’inquiétude chronique, l’attaque d’angoisse, les équivalents physiques, les peurs illégitimes et sélectives que l’on appelle phobies, et les obsessions.
Tant pour la description des symptômes que pour la classification des troubles, la contribution de Freud demeure, jusqu’à ce jour, indiscutée. Une des plus récentes des classifications psychiatriques, celle de l’Association américaine de psychiatrie (D.S.M. III), range l’anxiété généralisée, le trouble panique (l’attaque d’angoisse), les troubles phobiques et obsessionnels dans le cadre des troubles anxieux.
À côté de cette entité spécifique dans laquelle le symptôme anxiété est au cœur des troubles, on notera la présence d’une anxiété, au titre de symptôme accessoire, dans un très grand nombre d’autres altérations de l’état mental (états dépressifs, psychoses aiguës, états schizophréniques, etc.).
L’anxiété, qu’elle soit primaire ou secondaire, isolée ou associée à des dispositifs de fuite (phobie) ou de lutte (obsessions), présente des caractères identiques. On la définit comme une peur sans objet. Il est vrai que rien ne ressemble plus à l’attente anxieuse ou à l’accès d’angoisse aigu que l’appréhension d’un danger à venir. On distingue habituellement anxiété psychique et anxiété physique («boule» dans la gorge, palpitations, accélération de la respiration, mictions urinaires fréquentes, diarrhée, pâleur, dérobement des jambes).
Causes de l’anxiété
Freud, dès ses premiers travaux, a invoqué une absence de satisfactions sexuelles (continence, incomplétude de l’acte sexuel, inhibition par interdit «moral», etc.). Les exigences pulsionnelles libidinales ne pouvant être satisfaites et ne trouvant pas accès à des représentations mentales conscientes se transformeraient en un état d’excitation diffus qui serait à l’origine de la sensation d’angoisse. Cette théorie qui expliquerait, du moins en partie, l’origine de la névrose d’angoisse ne peut rendre compte du phénomène anxieux en général. Freud, un peu plus tard, rapprochera ce dernier de l’état physiologique du nouveau-né à la naissance et des premières expériences de séparation de l’enfant et de la mère.
Mais la théorie d’une peur non motivée par un danger réel a été très rapidement proposée comme une explication alternative. Freud lui-même reconnaissait que certaines phobies n’étaient pas secondaires à l’état d’angoisse mais, au contraire, qu’elles en constituaient la source chaque fois que l’individu se trouvait exposé, malgré lui, à la situation «phobogène». Ces phobies seraient l’expression symbolique d’un conflit intrapsychique et apparentées à l’hystérie (d’où le terme d’hystérie d’angoisse, en opposition à celui de névrose d’angoisse). Avec Watson, le courant comportementaliste a mis l’accent sur le rôle du conditionnement. À la suite d’une situation réelle de peur (traumatisme) ou par connexion associative avec des situations réelles de danger, se développeraient des peurs immotivées. L’anxiété serait ainsi secondaire à des stimuli qui annoncent une punition ou une absence de récompense, et à des stimuli nouveaux.
Par un cheminement parallèle, Freud en vint à proposer une deuxième théorie de l’angoisse pathologique. Celle-ci, contrairement à la peur devant un danger réel (real angst ), serait une réponse à un signal de danger inconscient (peur d’être séparé de la mère ou de son substitut protecteur, angoisse de castration, peur d’une condamnation morale) qui trouverait, chez le jeune enfant, ses sources dans la vie réelle avant de s’inscrire dans les fantasmes inconscients à partir de la seconde enfance. Freud, toutefois, ne renonça jamais à la première théorie, et ce balancement entre le rôle d’une «stase» de la vie libidinale et celui de signaux inconscients de danger explique les divergences ultérieures observées chez ses élèves. Pour Melanie Klein, le signal de danger tiendrait essentiellement aux tendances autodestructrices à l’œuvre dès la première enfance.
Il semble que, chez l’animal, le danger ne constitue pas la seule source de peur. Une exposition brutale à une situation nouvelle, l’éloignement du milieu habituel (ou de la mère protectrice chez le petit) jouent également un rôle. Sous l’influence de l’éthologie animale, le psychanalyste J. Bowlby a mis l’accent sur l’angoisse de séparation . La peur d’être enfermé (claustrophobie, phobie des transports) ou de se perdre dans un espace indéfini (agoraphobie) tiendrait à la trop grande distance entre le sujet et son environnement familier.
Les troubles physiologiques qui s’expriment par les symptômes physiques sont dus à un état d’hyperactivité du système nerveux sympathique et à son médiateur chimique, l’adrénaline. La plupart des symptômes physiques observés sont en effet sous la dépendance d’une hyperactivité de ce système. Une sensation d’angoisse peut être provoquée par une simple injection d’adrénaline. Toutefois, cet effet subjectif dépend également de la qualité affective de la situation dans laquelle se trouve le sujet au moment de l’expérience.
L’état anxieux normal résulte à la fois (G. Mandler, 1984) d’une situation de détresse et d’un état d’hyperactivité sympathique. La première condition expliquerait la qualité de l’expérience subjective, la seconde sa puissance.
L’expérience cognitive de la situation crée un état d’éveil du système nerveux central. L’incapacité à développer une réponse adaptée à la situation de détresse maintient de manière excessive en intensité et en durée cet état d’éveil, qui constitue un état anormal d’attention et de mobilisation improductive de l’activité mentale et du comportement. Ce mécanisme s’observe dans tous les états émotionnels et résulte d’une interruption brutale des programmes d’action dans lesquels le sujet se trouve précédemment engagé. Ce qui différencie l’anxiété de toute autre émotion, c’est l’impossibilité que se développent rapidement de nouveaux plans d’action appropriés à la situation (G. Miller, E. Galanter et K. H. Pribram, 1960). Pour définir cette incapacité, on a parlé d’une dette cognitive (cognitive backlog ) caractérisée par le rapport entre les percepts non assimilés et la somme des percepts assimilés et non assimilés (P. Mc Reynolds, 1976).
Le cycle de l’anxiété
L’ensemble de ces données, qui peut sembler à première vue d’une grande dispersion d’explication et de théories, offre en réalité une grande complémentarité. Celle-ci peut être mieux saisie si l’on renonce à considérer l’anxiété comme un processus simple et qu’on l’envisage comme un processus cyclique (D. Widlöcher, 1987).
À un pôle, comme pour tout état émotionnel, se situe l’interruption des plans d’action dans lesquels le sujet se trouve habituellement engagé. Si une situation provoque cette interruption, un double mécanisme se met en place. Sur le plan cognitif, une réaction d’hyperéveil attentionnel tente de donner sens à la situation et de développer des réponses spécifiques appropriées à celle-ci. Dans le cas de l’anxiété, de telles réponses ne peuvent être trouvées et la réaction d’hyperéveil attentionnel demeure improductive.
Parallèlement se met en place le système d’activation périphérique sympathique. Il constitue, au niveau général de l’organisme, un mode de réponse parallèle au système d’hyperéveil. Sa finalité demeure discutée dans la mesure où son temps de réponse est beaucoup plus lent que celui du précédent. Il peut agir comme un indicateur sensoriel, ou un système de complément ou encore un élément accompagnateur de la réponse spécifique attendue.
En raison de l’absence de réponse spécifique adoptée, deux possibilités s’offrent. La première est la permanence de l’état improductif qui s’exprime par un état aigu d’angoisse. La seconde est le recours à des formations de substitut: recherche continue d’un signal objectif de danger dans l’attente anxieuse, création de dispositifs phobiques ou de mécanismes obsessionnels. L’échec de ces réactions de substitut renforce l’incertitude de la situation initiale et, par conséquent, le cycle de l’anxiété. L’entrée (causale) dans ce cycle peut s’effectuer à toutes les étapes. Si l’on reprend en sens inverse les maillons du cycle, on peut concevoir que des phobies puissent se développer pour des raisons indépendantes de l’angoisse (conditionnement traumatique ou conflit névrotique). L’état d’activation du système autonome peut être provoqué par des produits excitants (hyperventilation respiratoire par inhalation de gaz carbonique, injection de lactate de sodium); celui de l’hyperéveil du mécanisme attentionnel et de traitement de l’information par des produits également excitants (caféine, amphétamines). Enfin, l’interruption de plans peut elle-même constituer le déterminant primaire dans les états de stress, les états de surcharge d’information et de surmenage, et les inhibitions de la vie sexuelle. Mais, quelle que soit la porte d’entrée dans le cycle, on conçoit aisément que celui-ci tend à se développer pour son propre compte.
Thérapeutique
La complexité des mécanismes impliqués dans le cycle de l’anxiété explique la diversité des modalités thérapeutiques. Les thérapies comportementales ont surtout pour effet de réduire la peur phobique, particulièrement si elle est secondaire à la survenue d’événements traumatiques (J. Cottraux et E. Mollard). Les thérapies d’inspiration psychanalytique portent sur les mécanismes d’inhibition des plans et sur ceux qui contribuent à la formation des phobies et des obsessions. Les techniques de relaxation visent à diminuer l’hyperéveil cognitif et les réactions périphériques d’origine neurovégétative.
Certains médicaments bloquent l’état d’hyperéveil (barbituriques, neuroleptiques) ou celui d’hyperactivité sympathique (antagonistes de l’action adrénergique). L’action des tranquillisants, en particulier des benzodiazépines, demeure plus controversée. Ces produits se définissent moins par leurs caractéristiques chimiques que par leurs effets pharmacologiques. Ils ont des propriétés sédatives (hypnotiques), anticonvulsivantes, relaxantes musculaires et anxiolytiques. Toutes les molécules utilisées ont ces quatre propriétés à des degrés divers et, jusqu’à présent, aucune n’en possède une de manière tout à fait sélective.
Ces molécules se fixent sur des neurones qui sont mis en activité par un médiateur chimique, l’acide gamma amino-butyrique (GABA). Il existe des sites récepteurs spécifiques pour le GABA. La présence de benzodiazépine augmente la sensibilité des récepteurs au GABA. La transmission entre les neurones se trouverait ainsi facilitée.
Malheureusement, ce mode de communication par le GABA intéresse de très nombreuses régions du cerveau. C’est sans doute pour cette raison que ces produits ont des effets multiples sur l’activité cérébrale. On pense actuellement que l’action anxiolytique serait en rapport avec certaines structures du lobe temporal, en particulier l’hippocampe, qui interviennent comme des «comparateurs» entre stimuli nouveaux et éléments conservés en mémoire. Par cette action, les benzodiazépines lèveraient l’inhibition qui accompagne normalement toute situation de danger ou de nouveauté (J. A. Gray, 1982).
Ces données sont à rapprocher du fait que cette action anxiolytique s’observe quelle que soit l’origine et l’intensité de l’anxiété. Une des conséquences est le large usage qui est fait de ces produits, en particulier en France, situation d’autant plus préoccupante que ces médicaments, efficaces et bien supportés, ne sont pas sans inconvénients (dépendance et accoutumance, réactions indésirables au sevrage après des cures trop prolongées). On doit donc réserver leur usage aux cas où l’intensité de l’anxiété constitue une réelle entrave aux activités habituelles du sujet.
Anxiété normale et pathologique
Il n’y a pas de différence de nature mais un continuum entre anxiété normale et anxiété pathologique. On considère une anxiété comme pathologique soit parce qu’elle s’exprime dans un trouble plus large de l’activité mentale (anxiété dépressive ou psychotique par exemple), soit en raison de son intensité.
L’anxiété normale est une réponse émotionnelle d’arrêt et d’éveil devant une situation incongrue. Sa fonction adaptative est évidente. L’anxiété pathologique tient à l’excès de situations anxiogènes (facteurs externes de nature psychologique et sociale) ou à une trop grande facilitation de la réponse (facteurs internes de nature neurobiologique). Il faut également tenir compte de la tolérance à l’expérience anxieuse. Un grand nombre de consommateurs réguliers de benzodiazépines sont moins des sujets exposés exagérément à l’angoisse que des sujets qui ne la tolèrent pas, même sous une forme mineure.
Les rapports entre l’anxiété «naturelle» de nature biologique et l’angoisse métaphysique posent un tout autre problème, au demeurant fort difficile. Deux tendances contradictoires s’observent. La première consiste à contester l’explication purement biologique de l’anxiété naturelle. Il n’y aurait d’anxiété chez l’homme que dans sa position de sujet. La question ontologique de l’angoisse ne saurait alors être exclue de la problématique de l’anxiété humaine. Pour la tendance opposée, résolument réductionniste, c’est de manière métaphorique que le questionnement métaphysique utilise le langage de l’angoisse, sans exclure pour autant que cette expression métaphorique s’inscrive authentiquement dans l’expérience subjective de l’angoisse.
angoisse [ ɑ̃gwas ] n. f.
• XIIe; du lat. angustia, surtout plur. « étroitesse, lieu resserré » (encore en a. fr.), « gêne, angoisse » en lat. ecclés.
1 ♦ Malaise psychique et physique, né du sentiment de l'imminence d'un danger, caractérisé par une crainte diffuse pouvant aller de l'inquiétude à la panique et par des sensations pénibles de constriction épigastrique ou laryngée (gorge serrée). ⇒ anxiété, peur. Crise d'angoisse. Médicament contre l'angoisse. ⇒ anxiolytique. « Étrange sensation que l'angoisse : on sent au rythme de son cœur qu'on respire mal » (Malraux). « Cette angoisse de la mort tortura [...] son enfance » (R. Rolland).
♢ Fam., cour. C'est l'angoisse : c'est pénible. J'ai l'angoisse.
2 ♦ (Depuis Kierkegaard et l'existentialisme) Inquiétude métaphysique née de la réflexion sur l'existence. « vivre est le malaise, puisque vivre c'est vivre dans l'angoisse » (Ionesco).
3 ♦ (sens étym.) Poire d'angoisse.
⊗ CONTR. Placidité, sérénité, tranquillité.
● angoisse nom féminin (latin angustia, resserrement) Grande inquiétude, anxiété profonde née du sentiment d'une menace imminente mais vague : Passer une nuit d'angoisse. Pour certains philosophes existentialistes, comme Heidegger, expérience fondamentale de l'homme, qui lui permet de saisir la réalité du monde, ainsi que la sienne propre. Sentiment pénible d'alerte psychique et de mobilisation somatique devant une menace ou un danger indéterminés et se manifestant par des symptômes neurovégétatifs caractéristiques (spasmes, sudation, dyspnée, accélération du rythme cardiaque, vertiges, etc.). ● angoisse (citations) nom féminin (latin angustia, resserrement) Jean-Louis Barrault Le Vésinet 1910-Paris 1994 Le théâtre est le premier sérum que l'homme ait inventé pour se protéger de la maladie de l'Angoisse. Nouvelles Réflexions sur le théâtre Flammarion Charles Baudelaire Paris 1821-Paris 1867 […] l'Angoisse, atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. Les Fleurs du Mal, Spleen Ioánnis Papadhiamandopoúlos, dit Jean Moréas Athènes 1856-Paris 1910 Un bonheur passionné ressemble à de l'angoisse. Le Voyage de Grèce La Plume Raymond Queneau Le Havre 1903-Paris 1976 L'homme dissipe son angoisse en inventant ou en adaptant des malheurs imaginaires. Le Chiendent Gallimard Søren Aabye Kierkegaard Copenhague 1813-Copenhague 1855 L'individu, dans son angoisse non pas d'être coupable mais de passer pour l'être, devient coupable. Le Concept de l'angoisse, II, 2 ● angoisse (synonymes) nom féminin (latin angustia, resserrement) Grande inquiétude, anxiété profonde née du sentiment d'une menace imminente...
Synonymes :
- affres
- anxiété
- épouvante
- inquiétude
- transes
Contraires :
- paix
- quiétude
- sérénité
angoisse
n. f. Cour. Sentiment d'appréhension, de profonde inquiétude qui s'accompagne de symptômes physiques (tachycardie, gêne respiratoire, transpiration, etc.). Syn. anxiété.
|| PHILO Inquiétude métaphysique, pour les philosophes existentialistes.
⇒ANGOISSE, subst. fém.
A.— 1. Vieilli. Sensation de resserrement, douleur physique localisée :
• 1. La diète n'a pas une moindre influence sur le sommeil et sur les rêves. Celui qui a besoin de manger ne peut pas dormir; les angoisses de son estomac le tiennent dans un réveil douloureux, et si la faiblesse et l'épuisement le forcent à s'assoupir, ce sommeil est léger, inquiet et interrompu.
BRILLAT-SAVARIN, Physiol. du goût, 1825, p. 214.
• 2. — Qu'as-tu? Qu'as-tu? lui disais-je, où souffres-tu?
— Là, me répondit-elle d'une voix étranglée par la douleur, en portant la main à la région précordiale, j'éprouve là une angoisse inexprimable! Son pouls battait avec violence; des convulsions la secouaient tout entière.
DU CAMP, Mémoires d'un suicidé, 1853, p. 193.
2. Loc. [P. réf. à la sensation de resserrement] Poire d'angoisse.
a) Poire d'un goût très âpre, qu'on a peine à avaler.
— Au fig., vx et littér. Mauvais traitements, mortifications, vifs déplaisirs, grands chagrins :
• 3. Les ennuis commencent : moires de sueur, siphons glacés, bâillements, morves, larmes, poire d'angoisse, nœud au plexus solaire.
COCTEAU, Poésie crit. 2, Monologues, 1960, p. 38.
♦ Fam. Avaler des poires d'angoisse.
b) Vx. ,,La poire d'angoisse était une sorte de bâillon dont le centre était composé d'une poche de cuir remplie de son, qu'on pouvait mâcher à loisir sans pouvoir rendre au dehors aucune articulation sensible.`` (NERVAL, Les Illuminés, 1852, p. 51).
Rem. Une déf. plus cour. présente la poire d'angoisse comme un instrument en fer dont se servaient autrefois les voleurs pour bâillonner quelqu'un, et qui, introduit dans la bouche, s'ouvrait au moyen d'un ressort, se développait en forme de poire, et étouffait complètement les cris du supplicié.
— Au fig. :
• 4. Si la progression des soviets et l'action de leurs agents faisaient subir à certains gouvernements réfugiés le supplice de la poire d'angoisse, par contre le président Benès et ses ministres affectaient de s'en inquiéter peu pour la Tchécoslovaquie.
DE GAULLE, Mémoires de guerre, L'Unité, 1956, p. 203.
3. P. ext., littér., gén. au plur. Toute souffrance physique très violente :
• 5. Elle ressemblait ainsi à un criminel dans les angoisses de la question.
BALZAC, La Muse du département, 1844, p. 129.
• 6. Nuit exécrable, malgré le soporifique nouveau que j'avais pris (recommandé par Berthelot). J'y ai même ajouté du gardénal, voyant que le « sédormid » n'obtenait rien. Gênes et angoisses respiratoires. Me suis relevé peut-être douze fois, ivre, chancelant, excédé...
GIDE, Carnets d'Égypte, 1939, p. 1064.
♦ Les dernières angoisses. L'agonie :
• 7. Après tant de souffrances aiguës, il [mon mari] mourut presque doucement (...) M. d'Eblis (...) était venu l'assister dans ses angoisses suprêmes...
O. FEUILLET, Le Journal d'une femme, 1878, p. 239.
B.— Lang. cour. Inquiétude intense, liée à une situation d'attente, de doute, de solitude et qui fait pressentir des malheurs ou des souffrances graves devant lesquels on se sent impuissant. Anton. sérénité, quiétude :
• 8. Ce n'était plus l'apaisement du baiser de ma mère à Combray que j'éprouvais auprès d'Albertine, ces soirs-là, mais, au contraire, l'angoisse de ceux où ma mère me disait à peine bonsoir, ou même ne montait pas dans ma chambre, soit qu'elle fût fâchée contre moi ou retenue par des invités.
PROUST, La Prisonnière, 1922, p. 111.
• 9. Il [Amiel] est souvent un peu ridicule, et quelquefois touchant à force de sincérité. C'est sa lourdeur qu'il est difficile d'accepter, mais de temps à autre, on a l'impression qu'il a ressenti l'angoisse de vivre, l'inquiétude de se sentir seul dans un univers incompréhensible; et c'est ce qui réhabilite ce sentencieux personnage.
GREEN, Journal, 1941, p. 147.
• 10. L'angoisse est due à la perte d'une identité véritable. Si j'attends un message dont dépend mon bonheur ou mon désespoir, je suis comme rejeté dans le néant. Tant que l'incertitude me tient en suspens, mes sentiments et mes attitudes ne sont plus qu'un déguisement provisoire. Le temps cesse de fonder, seconde par seconde, comme il bâtit l'arbre, le personnage véritable qui m'habitera dans une heure. Ce moi inconnu marche à ma rencontre, de l'extérieur, comme un fantôme. Alors j'éprouve une sensation d'angoisse.
SAINT-EXUPÉRY, Pilote de guerre, 1942, p. 281.
• 11. Une personne que j'aime m'a dit qu'elle avait grand-peine à s'endormir, à cause de l'angoisse qui l'étreint lorsqu'elle a éteint la lumière. C'est l'angoisse de la solitude, la peur de s'en aller dans la nuit.
GREEN, Journal, Le Bel aujourd'hui, 1955-1958, p. 272.
SYNT. Une angoisse mortelle; une grande angoisse; une angoisse profonde, horrible, affreuse; une angoisse inexprimable, indicible; une angoisse sourde; une vague angoisse; une légère angoisse; un moment, des jours, des heures, des minutes d'angoisse; un sentiment, une sensation d'angoisse; un regard d'angoisse; être en proie à l'angoisse; attendre, vivre dans l'angoisse; éprouver de l'angoisse; connaître l'angoisse; augmenter, calmer l'angoisse (de qqn); emplir (qqn) d'angoisse; (demander) avec angoisse.
— Loc. vieillie. Être à l'eau d'angoisse et au pain de tribulation. ,,Se dit des moines que leurs supérieurs enferment, par punition, dans les cachots, et mettent au pain et à l'eau.`` (LITTRÉ) :
• 12. L'Église reconnut Simone hérétique et la mit, pour salutaire pénitence, au pain de douleur et à l'eau d'angoisse.
A. FRANCE, Les Contes de Jacques Tournebroche, 1908, p. 85.
Rem. Attesté également ds GUÉRIN 1892, Nouv. Lar. ill., DG.
— Spéc., PHILOS. (notamment existentialiste). Inquiétude spirituelle et morale en face de l'inconnu de l'existence personnelle et collective :
• 13. ... qu'entend-on par angoisse? L'existentialiste déclare volontiers que l'homme est angoisse. Cela signifie ceci : l'homme qui s'engage et qui se rend compte qu'il est non seulement celui qu'il choisit d'être, mais encore un législateur choisissant en même temps que soi l'humanité entière, ne saurait échapper au sentiment de sa totale et profonde responsabilité. Certes, beaucoup de gens ne sont pas anxieux; mais nous prétendons qu'ils se masquent leur angoisse, qu'ils la fuient; ...
SARTRE, L'Existentialisme est un humanisme, 1946, pp. 27-28.
C.— MÉD. Malaise caractérisé par une peur intense accompagnée de sensations de resserrement à la région épigastrique, d'oppression respiratoire et cardiaque, de sueurs, de frissons, ou au contraire d'une sensation de chaleur. Une angoisse nerveuse; un cri d'angoisse :
• 14. Lorsque sept heures du soir s'approchèrent, les angoisses de Dantès commencèrent véritablement. Sa main, appuyée sur son cœur, essayait d'en comprimer les battements, tandis que de l'autre il essuyait la sueur de son front qui ruisselait le long de ses tempes. De temps en temps des frissons lui couraient par tout le corps et lui serraient le cœur comme dans un étau glacé. Alors il croyait qu'il allait mourir.
A. DUMAS Père, Le Comte de Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 249.
• 15. ... huit heures sonnèrent à l'horloge. J'entendis la Sorbonne et le Val-de-Grâce qui répétaient lentement ces huit coups qui m'avaient semblé ne devoir jamais venir. Une angoisse profonde me serrait la gorge, mes artères battaient violemment à mes tempes, mes paupières étaient chaudes, une insupportable chaleur brûlait mes mains desséchées, une émotion puissante me contractait le diaphragme, et, comme disent les malades, je ne pouvais rattraper ma respiration; enfin, pour parler le langage scientifique, le grand nerf pneumogastrique communiquait à tout mon être les inquiétudes qu'il puisait dans mon cerveau.
DU CAMP, Mémoires d'un suicidé, 1853, p. 63.
• 16. Il reparle de son « taedium vitae », qui devient par instants une souffrance physique, une angoisse nerveuse et musculaire insupportable.
GIDE, Journal, 1923, p. 751.
• 17. Les troubles physiologiques et psychologiques de l'angoisse constitutionnelle sont à prédominance matinale. Les premiers sont si obsédants qu'on a longtemps voulu expliquer l'angoisse par ses seuls symptômes organiques. Mais chacun d'eux peut se présenter indépendamment de l'angoisse : c'est elle qui les groupe en un tableau psychique significatif.
MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 233.
SYNT. Une sueur d'angoisse; un frisson d'—; une expression d'—; crier, suer, frissonner d'—; être saisi d'—; être étreint, serré par l'angoisse.
— PSYCHOL. Névrose d'angoisse :
• 18. Cette névrose [la névrose d'angoisse] procède soit par crises, souvent soudaines et raptus, laissant le malade brisé et redoutant la mort subite, la folie, l'abolition de ses moyens d'existence ou de sa vie sociale, soit par périodes prolongées d'hyperémotivité, sans cause extérieure, évoluant souvent vers un état habituel d'inquiétude, sinon d'affolement, avec besoin de protection et d'assistance...
POROT 1960.
PRONONC. ET ORTH. :[]. Demi-longueur pour [] ds PASSY 1914. Enq. ://. De FÉR. 1768 à GATTEL 1841, on indique à la syllabe finale un a d'arrière. KAMM. 1964 relève l'évolution vers [a] ant. (p. 93). Ac. Compl. 1842 mentionne une var. orth. angoesse.
ÉTYMOL. ET HIST. — 1130-1140 anguisse « oppression, anxiété physique et morale » (WACE, Vie de Ste Marg., 99 ds GDF. Compl. : Oy parler de Jhesuchrist Et des anguisses qu'il souffrit); 1172-1175 angoisse (CHRÉTIEN DE TROYES, Chevalier au lion, éd. Förster, 2196 ds T.-L.); Poire d'angoisse : 1. 1184 « variété de poires de qualité » (GEOFFROY DE VIGEOIS, Chronique, année 1094, BOUQUET, Hist. Gaules, XII, 427 d'apr. Faral ds Mél. Thomas, 1927, p. 149 : His diebus repertum est genus pyri a rustico in agro, cujus fructus vulgo cognominantur Poires d'angoisse. Vicus ejus sic vocitatur et est in Lemovicino); 2. 1461 par calembour « bâillon de fer en forme de poire dont on bloquait les mâchoires des prisonniers » ici par image (VILLON, Grand Testament, 740 ds GDF. Compl. : Dieu mercy et Tacque Thibault Qui tant d'eaue froide m'a fait boire [question par l'eau], Mis en bas lieu, non pas en hault Mengier d'angoisse mainte poire); 1616-1620 (D'AUBIGNÉ, Hist. univ., IV, 385 ds Mél. Thomas, p. 153 : Pour ce que ce galand se trouvoit parfois surchargé de prisonniers... il inventa une sorte de cadenas en forme de poires, aussi les appeloit-il poires d'angoisses...; leur aiant fait retirer sous le palais cette machine, avant retirer une clef qui estoit dedans, il en faisoit un tour qui grossissoit le morceau d'un travers de doigt, et par ainsi ne pouvait plus sortir de la bouche que par l'aide de la mesme clef); d'où le goût âpre et détestable prêté à la poire et son emploi fig. manger des poires d'angoisse « souffrir mille maux » : 1536-1540 au propre (CHARLES ESTIENNE, Seminarium, p. 70, ibid., p. 154 : angustiana sive angustiae pyra, nominantur, vulgo Poires d'angoisse, quod dum eduntur, acerbo et austero quodam sapore ita molesta sunt ut angustiores fauces reddant et plurimum noceant); av. 1544 au fig. (MAROT, Chants divers, VII, ibid., p. 153 : De cent couleurs en une heure elle change, En ses repas poires d'angoisse mange Et en son vin de larmes faict meslange).
Du lat. angustia, très rarement au sing. av. la Vulgate (6 ex. dep. Salluste ds TLL s.v.), le plus souvent au plur., au sens de « défilé, passage resserré » dep. CÉSAR, Gall., 1, 11, 1, ibid., 59, 76; au fig. « difficulté, situation critique » (sens plus faible qu'en fr.) ds CICÉRON, Quint., 19, ibid., 60, 50. — Poire d'angoisse : 1 (poire de qualité), de Angoisse, canton de La Nouaïlle, Dordogne, Faral, loc. cit.; voir aussi Roques ds Romania t. 53, p. 409; 2 par jeu de mot sur le mot angoisse, d'où poire d'angoisse devenu au propre la dénomination d'une poire âpre, et au fig. synon. de difficulté, malheur.
STAT. — Fréq. abs. littér. :5 057. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 3 019, b) 6 207; XXe s. : a) 8 573, b) 10 448.
BBG. — BACH.-DEZ. 1882. — BASTIN 1970. — BERTR.-LAPIE 1970. — BOUILLET 1859. — Canada 1930 (s.v. angoêsse). — CHESN. 1857. — DAUZAT Ling. fr. 1946, p. 6. — FOULQ.-ST-JEAN 1962. — GARNIER-DEL. 1961 [1958]. — GUIZOT 1864. — JULIA 1964. — LACR. 1963. — LAF. 1878. — LAFON 1969. — LAL. 1968. — LAPL.-PONT. 1967. — Lar. méd. 1970. — LE ROUX 1752. — LITTRÉ-ROBIN 1865. — MARCH. 1970. — Méd. 1966. — Méd. Biol. t. 1 1970. — MOOR 1966. — MUCCH. Psychol. 1969. — NOTER-LÉC. 1912. — NYSTEN 1824. — PIÉRON 1963. — PIERREH. 1926. — POMM. 1969. — POPE 1961 [1952] § 184, 315, 1083 N, 1161 N, 1188 N, 1226 N. — POROT 1960. — Psychol. 1969. — Sexol. 1970. — SILL. 1965. — Théol. bibl. 1970.
angoisse [ɑ̃gwas] n. f.
ÉTYM. V. 1130, anguisse; du lat. angustia, usité surtout au plur., « gêne » et en lat. ecclés. « angoisses », d'abord « étroitesse, lieu resserré, défilé », de angustus « étroit, serré », de angere « étreindre, oppresser, serrer ». → Angine, angor, anxieux.
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1 Cour. et méd. Malaise général, physique et psychique, consistant en manifestations neuro-végétatives pénibles, associées à un sentiment d'anxiété. ⇒ Anxiété, appréhension, détresse, peur. || Qui suscite l'angoisse. ⇒ Anxiogène. || Qui combat l'angoisse. ⇒ Anxiolytique. || Angoisse associée à une douleur. ⇒ Angor. || L'angoisse du cauchemar, de l'agonie. || Les frissons, l'oppression, les palpitations, les sueurs, les suffocations de l'angoisse. || Frissons d'angoisse (→ Peur, cit. 3). || Angoisse et obsessions, et phobies. — Crise d'angoisse. ⇒ Raptus (anxieux). || Paroxysme d'angoisse. || Angoisse paroxystique. — || « L'angoisse chronique est un sentiment caractéristique des états mélancoliques » (Pierre Janet; → Mélancolie, psychose).
1 Il attend, tout frissonnant de la sueur froide et de l'angoisse du cauchemar.
Alphonse Daudet, Contes du Lundi, Vision.
2 (…) son âme faible à le faire crier d'angoisse, son cœur palpitant à le laisser choir d'émotion dès qu'il croyait entendre un bruit quelconque.
Maupassant, l'Auberge, Pl., t. II, p. 791.
3 Quelque chose se formait dans sa gorge, qui l'étouffait à demi; elle aurait voulu éclater en sanglots, se rouler à terre, vomir ce caillot d'angoisse qui la paralysait.
Edmond Jaloux, les Visiteurs, XXX.
4 L'angoisse lui tordait l'estomac.
Malraux, la Condition humaine, in Romans, Pl., p. 182.
5 Étrange sensation que l'angoisse : on sent au rythme de son cœur qu'on respire mal, comme si l'on respirait avec le cœur (…)
Malraux, la Condition humaine, in Romans, Pl., p. 277.
6 (…) son fils aîné souffrait d'une telle angoisse nerveuse que toute punition déclenchait en lui une crise dangereuse.
A. Maurois, À la recherche de Marcel Proust, I.
6.1 Vous irez ainsi de plus en plus secrètement séparé des autres et de vous-même, l'âme et le corps désunis par un divorce essentiel, dans cette demi-torpeur que dissipera soudain le coup de tonnerre de l'angoisse, l'angoisse, forme hideuse et corporelle du remords (…)
Bernanos, l'Imposture, in Œ. roman., Pl., p. 329.
♦ Psychan., psychiatrie. || Névrose d'angoisse. ⇒ Névrose. — Signal d'angoisse. ⇒ Signal.
6.2 L'angoisse peut, par l'importance qu'elle revêt parfois au premier plan du tableau clinique, caractériser à elle seule une névrose, dite névrose anxieuse.
Son type clinique parfait est la « névrose d'angoisse », décrite par Pitres et Régis, isolée par Freud, précisée cliniquement par Devaux et Logre, Hartenberg, etc. La symptomatologie (…) est centrée sur l'angoisse, émotion caractérisée par l'idée d'un danger à venir, par l'attente d'une catastrophe imaginaire, physique et morale tout à la fois. C'est selon le degré : le simple malaise moral avec « idées noires », l'inquiétude, l'anxiété, la grande angoisse terrifiante.
6.3 « Je sors d'une cave pour entrer dans un four », écrivait alors M. de Clergerie à son médecin La Pérouse qui soigne depuis vingt ans ses phobies, et qu'il a d'ailleurs fini par convaincre de venir le rejoindre, dès juillet, à Laigneville, pour y essayer un nouveau traitement de la névrose d'angoisse, dont l'illustre psychiatre entend bientôt entretenir ses confrères.
Bernanos, la Joie, in Œ. roman., Pl., p. 630.
♦ Psychan. || Hystérie d'angoisse (Steckel, Freud) : névrose dans laquelle le sujet développe des symptômes phobiques (et non somatiques comme dans l'hystérie de conversion) pour lier l'angoisse libérée par le refoulement. — Angoisse automatique (Freud) : « réaction du sujet chaque fois qu'il se trouve dans une situation traumatique, c'est-à-dire soumis à un afflux d'excitations, d'origine externe ou interne, qu'il est incapable de maîtriser » (Laplanche et Pontalis). || L'angoisse automatique est à distinguer du signal d'angoisse, qui mobilise les réactions de défense du sujet.
♦ Didact. et rare (méd., psychiatrie). || Angoisse ou angoisse somatique : troubles physiques (abstraction faite des phénomènes psychiques concomitants), de nature neuro-végétative, observables dans un état d'angoisse (ci-dessus, méd.) : constriction épigastrique, constriction laryngée (gorge serrée), modification du rythme cardiaque (bradycardie ou tachycardie), difficulté respiratoire (dyspnée), contraction ou relâchement des muscles de la face, bouche sèche, sueurs, etc.
REM. Angoisse, dans cet emploi, s'oppose à anxiété.
6.4 Cette distinction de l'anxiété et de l'angoisse, l'une d'ordre psychique, l'autre somatique, est communément admise depuis Brissaud (1890) […] Bien qu'il soit difficile de maintenir une limite aussi rigoureuse et artificielle, on peut cependant reconnaître des états anxieux intéressant tout notre être moral, qui sont vécus et pensés comme le plus intime de nous-mêmes, sans possibilité d'en prendre recul comme d'un objet; et d'autre part, des états d'angoisse plus élémentaires, plus périphériques, plutôt vécus que pensés, plus physiques que moraux, et se présentant comme des objets d'angoisse.
2 Cour. Malaise psychique né du sentiment de l'imminence d'un danger, caractérisé par une crainte diffuse pouvant aller de l'inquiétude à la panique. ⇒ Anxiété, appréhension, crainte, inquiétude, peur, transe. || L'angoisse, toujours prête à se manifester car elle est « une donnée fondamentale de la nature humaine » (J. Boutonier, in Porot, 1975, p. 529 a). — L'angoisse, l'angoisse de qqn, son angoisse. || Connaître des jours, des nuits d'angoisse (→ Perplexité, cit. 2). || Vivre constamment dans l'angoisse. || Attendre dans l'angoisse. || Demander qqch. avec angoisse. || Il sentait l'angoisse monter en lui (→ Marée, cit. 8). || Cœur oppressé (cit. 8) d'une inexprimable angoisse. || L'angoisse de… (suivi d'un nom, d'un inf.). — Cri d'angoisse. — (Une, des angoisses). || De profondes, de terribles angoisses. || Une longue angoisse. || Une angoisse l'oppressait (cit. 10).
7 Cet honneur a souvent de mortelles angoisses.
La Fontaine, Fables, XII, 11.
8 L'air résonne des cris qu'au ciel chacun envoie;
Albe en jette d'angoisse et les Romains, de joie (…)
Corneille, Horace, IV, 2.
9 Après de longues angoisses, au lieu du désespoir qui semblait devoir être enfin mon partage, j'ai retrouvé la sérénité, la tranquillité, la paix, le bonheur même (…)
Rousseau, Rêveries…, 8e promenade.
10 Bonaparte, ce joueur si heureux et si hasardeux, eut alors, dit-il lui-même, un moment d'angoisse, et dit à la fortune : « M'abandonneras-tu ? »
Michelet, Extraits de l'hist. de la Révolution franç., éd. Colin, p. 368.
11 Cette pensée ne le quittait pas. C'était une obsession, une angoisse perpétuelle.
Alphonse Daudet, le Petit Chose, p. 337.
12 J'étais triste et las, et tourmenté d'une angoisse indicible. Des images sombres et violentes venaient m'assaillir.
France, le Livre de mon ami, II, 12.
13 Cette angoisse de la mort tortura des années son enfance (…) seulement corrigée par le dégoût de la vie, la tristesse de sa vie.
R. Rolland, Jean-Christophe, p. 112.
14 (…) tout ce que nous tentions, nous autres, les enfants, la jetait dans l'angoisse et même dans l'épouvante.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, V, 5.
14.1 (…) l'angoisse de la mort est un luxe qui touche beaucoup plus l'oisif que le travailleur, asphyxié par sa propre tâche.
Camus, l'Homme révolté, Pl., p. 612.
14.2 Démontez le mécanisme de l'angoisse, il n'y a plus d'angoisse. Élucider ses causes, c'est désarticuler l'angoisse.
Ionesco, Journal en miettes, p. 122.
14.3 Je sens remonter en moi toutes les vieilles angoisses de l'enfance, la peur du froid et de la faim, de l'inconnu, de la détresse physique.
J.-M. G. Le Clézio, l'Extase matérielle, p. 54.
♦ ☑ Loc. Vx. L'eau d'angoisse (et le pain de douleur, de tribulation) : s'est dit de la punition de moines mis à l'eau et au pain.
♦ L'angoisse, humanisée :
14.4 Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore (…)
Mallarmé, Plusieurs sonnets, IV, Pl., p. 68.
14.5 — Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
Baudelaire, les Fleurs du mal, « Spleen ».
♦ ☑ Fam., cour. C'est l'angoisse : c'est pénible, angoissant; cela met mal à l'aise.
3 (Depuis Kierkegaard et l'existentialisme). Inquiétude métaphysique née de la réflexion sur l'existence. || Angoisse existentielle. || L'angoisse, la perplexité (cit. 4) de l'homme devant l'Univers.
14.6 Si je ne connais pas, ou presque pas, « l'angoisse métaphysique » c'est que je vois trop et trop vite son impureté essentielle. Elle est un mélange étrange de questions illégitimes, d'images incohérentes et des effets nerveux qui donnent valeur à ces produits.
Valéry, Cahiers, Pl., t. II, p. 684.
14.7 (…) vivre est le malaise, puisque vivre c'est vivre dans l'angoisse. Je ne peux même pas dire cela car, ne sachant pas quelles sont les sources de l'angoisse, je ne sais pas non plus ce qu'est ce que j'appelle l'angoisse. L'angoisse est ignorance. La non-angoisse est également ignorance. Je ne peux pas dire non plus que je ne sais rien, car je ne sais pas ce que veut dire savoir et je ne sais pas ce que veut dire l'expression « veut dire ».
Ionesco, Journal en miettes, p. 132.
4 ☑ Loc. (où angoisse a le sens étymologique de « constriction, resserrement »). Vx. Poire d'angoisse : bâillon en fer en forme de poire dont les voleurs se servaient pour étouffer les cris. ⇒ Poire (cit. 7 et 8). — Par anal. Poire d'un goût très âpre. — ☑ Fam. Avaler des poires d'angoisse : subir des mortifications, de cruels traitements.
15 (…) des poires d'angoisse que vos cruautés me font avaler tous les jours.
Molière, la Comtesse d'Escarbagnas, 4.
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CONTR. Calme, paix, placidité, quiétude, sang-froid, sérénité, tranquillité.
DÉR. Angoisser, angoisseux.
Encyclopédie Universelle. 2012.