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GUERRE DE CENT ANS
GUERRE DE CENT ANS

La guerre de Cent Ans, outre l’intérêt qu’elle a suscité chez les spécialistes de l’histoire militaire et politique, propose aux historiens un ensemble de problèmes importants.

Le problème de ses origines dépasse la vaine question des responsabilités et, par-delà les explications dynastiques, politiques et géo-politiques qui ont été soutenues, requiert une explication en profondeur mettant en cause les intérêts et les mentalités des milieux (cours et gouvernements royaux) et des classes dominantes (noblesse et, à un moindre degré, bourgeoisie marchande). Le problème de son bilan démographique, économique, moral s’insère dans la problématique plus vaste de ce qu’on a appelé la «crise du XIVe siècle». Dans quelle mesure la guerre est-elle responsable, à côté des autres calamités (famines, pestes) et au sein d’une mutation des structures économiques, sociales et administratives, de la saignée et du reclassement démographique, du bouleversement de la carte de la production et de la consommation, de l’exacerbation des sensibilités?

Dans quelle mesure, enfin, a-t-elle accéléré ou retardé la transformation de la France et de l’Angleterre en États et en nations modernes: consolidation monarchique, établissement d’armées et d’impôts réguliers, sentiment national?

1. Un héritage contesté: le royaume de France

Pendant longtemps, les historiens ont vu dans la guerre de Cent Ans la conséquence d’une querelle dynastique compliquée par un conflit féodal. Ce dernier remontait au mariage d’Henri Plantagenêt avec Aliénor d’Aquitaine, répudiée par le roi de France Louis VII (1152). Devenu en 1153 roi d’Angleterre, Henri II était plus puissant que le roi de France, dont il était le vassal pour divers fiefs, dont la Normandie, le Maine, l’Anjou, l’Aunis, la Saintonge, la Guyenne.

Après de nombreuses luttes, Philippe Auguste reprit au roi d’Angleterre, av début du XIIIe siècle, la majeure partie de ses possessions françaises. Par le traité de Paris (1259), Saint Louis avait rendu certains territoires et lui avait reconnu la jouissance de la Guyenne en fief, pour lequel le roi d’Angleterre devait prêter au roi de France l’hommage du vassal au suzerain. Mais, tandis que les souverains d’Angleterre supportaient mal cette vassalité et n’oubliaient pas leurs anciennes possessions en France, les rois de France, à partir de 1294, cherchèrent, souvent par des moyens déloyaux, à reprendre la Guyenne aux Anglais.

Des rois sans fils

En 1316, le roi de France, Louis X, fut le premier des Capétiens à mourir sans héritier mâle. Des assemblées de grands et de notables assurèrent, en 1316 et en 1322, la couronne aux deux autres fils de Philippe le Bel, Philippe V et Charles IV. Mais, à la mort de celui-ci, en 1328, le roi d’Angleterre, Edouard III, petit-fils par sa mère de Philippe le Bel, brigua la couronne de France contre Philippe de Valois, petit-fils de Philippe III. Edouard d’Angleterre avait quinze ans: une nouvelle assemblée lui préféra Philippe, âgé de trente-cinq ans (son père avait déjà joué un grand rôle politique en France), surtout «parce qu’il était né du royaume». Cela donne dès le début le ton du sentiment national qui s’affirmera pendant la guerre de Cent Ans (la prétendue loi salique, écartant de la succession au trône de France les femmes et leurs descendants, ne fut invoquée que beaucoup plus tard). Après des hésitations, et après avoir réaffirmé son droit au trône de France, Edouard III prêta, en 1329, l’hommage pour la Guyenne. Mais, des différends ayant reparu entre les deux rois, en 1337 Philippe VI prononça, comme l’avaient fait Philippe le Bel et Charles IV, la confiscation de la Guyenne. Pour certains historiens, lors de la guerre qui se déclencha à partir de 1338, Edouard III aurait pris la question de Guyenne pour prétexte couvrant ses aspirations au trône de France; pour d’autres, au contraire, la revendication de la couronne française n’aurait été qu’un moyen énergique pour mieux s’assurer la possession pleine et entière de la Guyenne. Quoi qu’il en soit, il est clair que les prétentions anglaises en France ont varié suivant les monarques et suivant la période.

Plus récemment, des historiens ont mis au premier plan la rivalité anglo-française en Écosse, en Bretagne, et surtout en Flandre. En Écosse, la lutte menée depuis la fin du XIIIe siècle par les Écossais contre les Anglais trouvait un appui diplomatique et, à un moindre degré, militaire auprès des Français. Soumettre la France aurait alors été pour Edouard III le moyen d’avoir les mains libres en Écosse.

En Bretagne, une lutte d’influence opposait les Anglais, soucieux de s’assurer une position dominante dans une principauté qui contrôlait des routes essentielles à leur commerce et à leurs relations avec la Guyenne et l’ouest de la France, aux Français, désireux de rendre effective une suzeraineté assez théorique. Mais l’antagonisme ne se développa qu’après la mort du duc Jean III (1341) et avec la rivalité entre Jean de Montfort, soutenu par Edouard III, et Charles de Blois, appuyé par Philippe VI. La rupture entre les deux rois était consommée depuis 1337 et les hostilités ouvertes depuis 1338.

En Flandre, la rivalité était surtout économique. La laine anglaise était la matière première essentielle de la draperie flamande, richesse principale du pays. Les antagonismes sociaux et politiques envenimaient par ailleurs les relations entre les Flamands et les rois de France, leurs suzerains pour la plus importante partie du pays.

En 1302, les artisans des villes flamandes avaient infligé à Courtrai, à la bataille des Éperons d’or, une cuisante défaite aux chevaliers français alliés des nobles flamands (les Leliaerts, ou «partisans des fleurs de lys»), mais les Français avaient pris leur revanche à Mons-en-Pévèle (1304), puis à Cassel (1328).

Toutefois, si ces diverses questions ont envenimé la querelle franco-anglaise, elles n’en ont pas été la cause. Philippe Wolff a désigné comme «cause essentielle de la guerre de Cent Ans» l’évolution qui, au début du XIVe siècle, conduisait à l’unité française. Mais cette explication, qui n’est pas entièrement convaincante pour la France qui n’est pas encore rassemblée en 1328, laisse en dehors l’Angleterre, dont les raisons ne peuvent se réduire à une réaction de défense face au processus d’unification français.

La féodalité en mutation

Les causes profondes de la guerre de Cent Ans doivent sans doute être cherchées moins du côté du monde féodal finissant que de la réaction de ce monde aux mutations que les historiens ont baptisées «crise» ou «crises» du XIVe siècle.

En France comme en Angleterre, les noblesses, à la recherche d’un nouvel équilibre face aux progrès de l’économie monétaire, aux transformations de la rente féodale, à la montée des villes et du pouvoir monarchique, ont cherché dans la guerre une solution à leurs difficultés. Qu’il s’agisse des profits de pillages et de rançons, du freinage des évolutions naturelles, d’occasions de saisir ou de retrouver le pouvoir politique ou d’un «divertissement» apporté aux inquiétudes par les aventures militaires, tout cela, plus ou moins consciemment, a incité à des combats renouvelés pendant plus de cent ans. Des deux côtés de la Manche, les nobles furent épaulés par les troupes, régulières ou irrégulières, de gens du peuple, ruinés ou désaxés par les mutations monétaires, les épidémies et les famines, la réaction féodale des nobles et le capitalisme naissant des bourgeois.

Ce climat de calamités, de luttes sociales, de nationalisme montant a conféré à la guerre de Cent Ans un caractère acharné et une dimension jusqu’alors inconnue à l’intérieur de la chrétienté.

Cependant, si cette hypothèse est juste, elle doit être étayée par l’élargissement de la problématique à toute la chrétienté. Luttes entre pays et dynasties doublées de guerres civiles et de conflits sociaux se retrouvent aux XIVe et XVe siècles en péninsule Ibérique, en Italie, en Bohême, en Pologne (contre l’ordre Teutonique), en Scandinavie, et jusque dans l’Église (Grand Schisme).

Victoires anglaises (1337-1360)

À la confiscation de la Guyenne par Philippe VI, le 24 mai 1337, Edouard III réplique le 7 octobre en revendiquant le royaume de France, en reniant l’hommage prêté pour la Guyenne et le Ponthieu, puis en faisant porter un défi au roi de France. Le conflit mit aux prises les deux premières monarchies d’Occident – depuis l’éclipse du Saint Empire romain germanique –, «deux puissances relativement prospères et peuplées, participant à une civilisation identique, partageant les mêmes idéaux et les mêmes préjugés, ayant atteint un niveau technique comparable, connaissant une organisation sociale, des formes de gouvernement et d’administration apparentées» (P. Contamine).

Peuplée de 4 millions d’habitants environ, l’Angleterre était peu urbanisée, dominée commercialement par des étrangers (Italiens, Gascons, Flamands, Allemands), mais dotée d’une excellente administration locale et d’un système de gouvernement équilibré entre roi et parlement. Le roi disposait d’importantes ressources, provenant d’un vaste domaine royal et de taxes telles que les droits frappant la laine exportée vers le continent, et, d’autre part, d’une très bonne armée à solde, composée soit de volontaires recrutés selon des engagements stricts, soit d’hommes levés dans les comtés: à l’aristocratie à cheval se joignaient des archers à pied ou à cheval, d’origine populaire, aguerris par les luttes contre les Gallois.

La France, avec au moins 15 millions d’habitants, une économie équilibrée, des ressources royales plus importantes, la possibilité de lever des armées plus nombreuses, semblait plus forte. Mais son unité était inachevée (France du Nord et France du Midi), la participation des classes urbaines et populaires à l’administration et à l’armée limitée, la puissance royale entravée par l’absence d’impôt régulier et par le rôle des grands détenteurs de fiefs (Flandre, Bretagne, Bourgogne, etc.).

En 1340, Edouard III, soutenu par les Flamands, détruisit la flotte française dans l’avant-port de Bruges, l’Écluse. Après d’infructueuses campagnes en Flandre et l’implantation de garnisons en Bretagne, Edouard III conduisit, dans l’été 1346, une première grande chevauchée du Cotentin à la Picardie, faisant un énorme butin, écrasant les Français à Crécy (26 août 1346) et prenant, après un siège de onze mois, Calais (1347), où il installera en 1363 l’étape de la laine.

La Grande Peste de 1348 prolongea l’arrêt des opérations jusqu’en 1355, année durant laquelle le prince de Galles (appelé, à partir d’une chronique du XVIe siècle, le Prince Noir) effectua une chevauchée de Bordeaux à Narbonne. Il en effectua une autre en 1356, de Bordeaux vers le nord; il fut attaqué le 19 septembre à Maupertuis, près de Poitiers, par le roi de France, Jean II le Bon, qui y subit un désastre plus complet que celui de Crécy, et fut fait prisonnier.

Tandis que le dauphin Charles, nommé régent, triomphait de la révolution parisienne conduite par Étienne Marcel, de la Jacquerie des paysans de Picardie et d’Ile-de-France et des intrigues du roi de Navarre, Charles le Mauvais (1358), Edouard III, changeant à plusieurs reprises les conditions de paix, fit traîner les négociations. Après avoir échoué dans une chevauchée qui avait sans doute pour but de se faire sacrer à Reims (1359), il signa avec les Français le traité de Brétigny, ratifié à Calais (1360).

Edouard III recevait environ le tiers de la France: une grande Aquitaine à l’ouest, Calais, le Ponthieu et le comté de Guines. Une énorme rançon (3 millions d’écus d’or, c’est-à-dire environ les recettes totales du roi de France pendant deux ans) devait racheter Jean le Bon.

La renonciation du roi de France à toute souveraineté sur les territoires cédés et celle du roi d’Angleterre à la couronne de France étaient prévues après le transfert des territoires. Les affaires de Flandre, de Bretagne et de Navarre étaient réglées par des réconciliations. Un nouvel équilibre semblait fondé en extrême Occident.

2. Le redressement français (1360-1404)

Le transfert des territoires se fit plus lentement que prévu, et les renonciations ne furent ratifiées ni par Edouard III ni par Jean II. La possibilité juridique de nouveaux conflits demeurait. Le paiement de la rançon du roi, libéré au premier versement en octobre 1360, traîna également et, un otage français, le duc d’Anjou, s’étant évadé, Jean le Bon revint en janvier 1364 à Londres, où il mourut le 8 avril.

La tactique de Charles V le Sage

De 1360 à 1369, les Français furent occupés à contenir le roi de Navarre, à régler la succession de Bretagne, à éviter le mariage de l’héritière du comté de Flandre avec un prince anglais, et surtout à débarrasser le royaume des troupes d’anciens soldats pillards, les compagnies. Une partie d’entre elles fut envoyée, sous la conduite de Du Guesclin, qui s’était illustré dans ces luttes, en Espagne où se déroulait une guerre dynastique. Le prince de Galles, devenu chef de la vaste principauté d’Aquitaine, y participa aussi et s’y ruina.

Il accabla d’impôts ses vassaux et sujets français, et l’un d’eux, le comte d’Armagnac, fit appel à Charles V qui, après avoir pris l’avis de juristes français et italiens, prononça, le 30 novembre 1368, la confiscation de l’Aquitaine. Le 3 juin, Edouard III avait repris le titre de roi de France. Les hostilités recommencèrent au début de 1369.

Charles V, qui avait mieux organisé les ressources financières de la royauté et recruté de petites armées de volontaires aguerris placés sous le commandement de chefs dociles, fit adopter une nouvelle tactique: une guerre de sièges et d’escarmouches, évitant les batailles rangées et grignotant l’ennemi, laissé libre de mener des chevauchées. Le mot d’ordre était: «Mieux vaut pays pillé que terre perdue.» Cette tactique, qui eut de bons résultats politiques, livra une grande partie de la France à des ravages et massacres qui imposèrent de grandes souffrances aux sujets de Charles V. Ce fut la période matériellement et humainement la plus ruineuse pour la France.

Entre 1369 et 1375, les Français, aidés par les Castillans, vainqueurs sur mer, reprirent aux Anglais et à leur allié le roi de Navarre, Charles le Mauvais, la plus grande partie de leurs possessions, à l’exception de Calais, Cherbourg, Brest, Bordeaux et Bayonne et de quelques forteresses dans le sud du Massif central. Des trêves et des négociations, de 1375 à 1377, ne donnèrent aucun résultat.

Deux minorités

La minorité des deux nouveaux rois, Richard II (à partir de 1377) en Angleterre, Charles VI (à partir de 1380) en France, fut marquée de graves difficultés dans les deux pays. Ici et là, la cause en fut un redoublement d’impôts levés, au nom d’une monarchie encore fragile, par des princes surtout soucieux de satisfaire leurs ambitions personnelles.

Une grande révolte paysanne éclata en Angleterre en 1380, et des émeutes urbaines (la Hérelle à Rouen, les maillotins à Paris), en même temps que des vagues de banditisme (tuchins du Languedoc) et un soulèvement populaire en Flandre (Gand), ébranlèrent la France. Les oncles de Charles VI rétablirent mieux la situation que Richard II, soumis à la pression des barons anglais désireux de mettre la monarchie en tutelle.

Les difficultés, jointes à l’échec de plusieurs chevauchées anglaises, amenèrent Anglais et Français à conclure des trêves, annuelles de 1388 à 1395, puis générales en 1396. En principe destinées à durer jusqu’en 1426, donc à instaurer une paix déguisée, elles durèrent, malgré de sérieux «attentats aux trêves», jusqu’en 1404. Richard II, qui évacua Cherbourg en 1394 et Brest en 1397, était désireux de se réconcilier avec le roi de France qui, malgré son incapacité (la première crise de folie de Charles VI est de 1392), lui paraissait disposer d’un pouvoir dont il rêvait pour l’Angleterre. En 1396, il épousa Isabelle, fille du roi de France.

En France, aussi bien Charles VI, appuyé par son frère Louis et les anciens conseillers de son père, les Marmousets, que les oncles du roi et les barons revenus au pouvoir après la folie du souverain regardaient vers d’autres horizons que les possessions anglaises: l’Italie, l’Empire, l’Europe orientale attaquée par les Turcs (désastre de Nicopolis, 1396).

Cependant, le goût des nobles pour la guerre, les sentiments populaires antifrançais en Angleterre et antianglais en France, l’impossibilité de s’entendre sur les conditions d’une paix signée constituaient autant de menaces durables. L’équilibre sembla basculer vers la guerre quand Richard II fut renversé par son cousin Henri de Lancastre, chef du parti belliqueux (1399), mais celui-ci se montra prudent.

3. Une monarchie anglo-française dirigée par les Anglais (1404-1422)

En 1404, voulant profiter d’une révolte des Gallois contre les Anglais, les Français reprirent les hostilités. Ils échouèrent en Guyenne, tout comme le duc de Bourgogne, à leurs côtés, devant Calais.

La politique française fut bientôt dominée par la rivalité entre le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, et le duc d’Orléans, Louis d’Orléans. Jean sans Peur fit assassiner son rival (1407) et, appuyé sur la bourgeoisie parisienne, dirigea la politique royale. Mais ses ennemis s’organisaient sous la conduite du comte Bernard d’Armagnac, beau-père de Charles d’Orléans, fils du duc assassiné, et contrôlaient la moitié du royaume.

Armagnacs et Bourguignons

En 1411, Jean sans Peur fit appel à Henri IV contre les Armagnacs, qui rispostèrent en promettant de plus larges parts du territoire français au roi d’Angleterre. En 1412, les Anglais menèrent de Cherbourg à Bordeaux une chevauchée qui ne rencontra pas de résistance.

Jean sans Peur fit massacrer les Armagnacs à Paris, et, toujours soutenu par les Parisiens, fit promulguer une timide mais raisonnable réforme du royaume, l’ordonnance dite «cabochienne» (arrachée par des émeutiers menés par le boucher Caboche). Les riches Parisiens, effrayés, firent alors appel aux Armagnacs, qui abolirent l’ordonnance et firent régner la terreur à Paris au milieu d’une impopularité croissante.

À la mort d’Henri IV (1413), son fils Henri V envoya un ultimatum aux Français, réclamant les territoires perdus à Brétigny, la Normandie, l’hommage de la Bretagne, la main de Catherine, fille de Charles VI, et 3 600 000 francs pour le reste de la rançon de Jean le Bon et la dot de Catherine.

Devant les atermoiements français, il reprit la guerre, écrasa une forte armée française à Azincourt (25 oct. 1415), reçut l’appui de l’empereur et du duc de Bourgogne, prétendant à la couronne de France, et conquit la Normandie (1417-1419).

Cependant, la rivalité entre les Bourguignons, soutenus par la reine Isabeau, et les Armagnacs, dont le jeune dauphin Charles était devenu le chef, aboutit au meurtre de Jean sans Peur (10 sept. 1419). Désormais, sûr de l’impossibilité d’une réconciliation entre Armagnacs et Bourguignons, Henri V imposa au nouveau duc de Bourgogne, Philippe le Bon, et à la reine Isabeau, soutenus par une partie des conseillers royaux et les Parisiens, le traité de Troyes (21 mai 1420), qui déshéritait le dauphin au profit d’Henri V. Celui-ci devenait régent du royaume avant de succéder à Charles VI, mais en maintenant la séparation des royaumes de France et d’Angleterre qui auraient toutefois le même souverain.

Après la mort d’Henri V (31 août 1422) et celle de Charles VI (21 oct. 1422), Henri VI, un bébé de quelques mois, fut proclamé roi d’Angleterre et roi de France. Son oncle, le duc de Bedford, prit sans difficulté la régence de France.

La partie était pourtant loin d’être gagnée par les Anglais. Au lendemain même du traité de Troyes, le dauphin avait déclaré nul le traité et s’était assuré le soutien de toute la France du Centre et du Sud, à l’exception de la Guyenne. À la mort de son père, il se proclama roi sous le nom de Charles VII.

Les Français vainqueurs (1423-1453)

De 1423 à 1428, les Anglais n’obtinrent que des succès militaires mineurs ou sans lendemain (Verneuil, 1424), tandis que Charles VII neutralisait le duc de Bourgogne. En 1428, les Anglais décidèrent d’entamer des opérations décisives contre Charles VII. Au lieu d’attaquer l’Anjou comme le désirait Bedford, les chefs militaires anglais mirent, le 12 octobre, le siège devant Orléans, clé du passage de la Loire vers le Berry. Les Anglais se heurtaient à des difficultés: la jouissance des seules ressources fiscales levées en France, la mauvaise volonté des princes français, la résistance d’une partie de la population (notamment en Normandie). Mais, autour de Charles VII, intrigues, pagaille et gaspillage régnaient, et Charles, sans prestige, doutait de lui-même et de son droit.

Sur le plan militaire et psychologique, le siège d’Orléans était ainsi, des deux côtés, décisif. Décisive aussi fut, au profit de Charles VII, l’intervention de Jeanne d’Arc, de la délivrance d’Orléans (8 mai 1429) au sacre de Charles VII à Reims (17 juill. 1429).

Bedford fut incapable de créer un contrechoc par l’exécution de Jeanne d’Arc (30 mai 1431) et le sacre d’Henri VI à Notre-Dame de Paris (17 déc. 1431), de reprendre les places conquises par Charles VII au nord de la Loire, et surtout de maintenir le duc de Bourgogne dans l’alliance anglaise. La paix d’Arras (21 sept. 1435) réconcilia le duc de Bourgogne et Charles VII. Au prix de concessions, lourdes mais non irrévocables (possibilité de rachat d’une partie des territoires cédés), Charles acquérait un appui décisif qu’Henri VI ne put que neutraliser par les trêves de 1438.

Paris repris par Charles VII le 13 avril 1436, les négociations n’aboutirent pas, et Charles dut, en 1440-1441, réprimer une révolte des grands seigneurs, la Praguerie, à laquelle adhéra le dauphin Louis. Une trêve générale fut conclue à Tours en 1444.

Ayant réorganisé ses armées (ordonnances de 1445 et 1448, mettant sur pied cavalerie, infanterie des francs archers et artillerie), Charles VII rompit la trêve en 1449, reconquit la Normandie d’août 1449 à août 1450 (victoire de Formigny, 14 avril 1450), et la Guyenne de 1450 à 1453 (victoire de Castillon, 17 juillet 1453, et reconquête de Bordeaux le 19 octobre suivant).

Les Français craignirent encore longtemps la reprise des hostilités par les Anglais, mais la folie d’Henri VI et la guerre des Deux-Roses en détournèrent ceux-ci. Une nouvelle Angleterre naquit, qui ne s’intéressait plus à la France. Edouard IV, par le traité de Picquigny, signé en 1475 avec Louis XI, liquidait la double monarchie, la guerre de Cent Ans, et ne gardait en France que Calais.

Il est très difficile de faire la part de la guerre dans les transformations profondes que subirent la France et l’Angleterre entre 1337 et 1453 (ou 1475). Par exemple, la chute démographique – due surtout aux épidémies – fut aussi forte en Angleterre (épargnée par les massacres de la guerre et touchée par les seules pertes militaires) qu’en France. De même, les extravagances de sensibilité, de goût et de comportement qui marquent ce que J. Huizinga a appelé l’«automne du Moyen Âge» ont pu être exacerbées par la guerre, mais elles se retrouvent plus ou moins dans toute la chrétienté. Pour l’Angleterre, le bilan financier de la guerre fut sans doute plutôt positif, tandis qu’en France destructions et dépenses accrurent la crise économique. Des deux côtés, la mobilité sociale (coupes claires dans les rangs de la noblesse, émergence de profiteurs de guerre, déracinement ou promotion de militaires) fut certainement augmentée par le conflit.

Si, dans le domaine politique et administratif, la guerre fit beaucoup évoluer la fiscalité et l’organisation militaire, ce fut surtout la monarchie française – plus en retard à cet égard – qui en fut la bénéficiaire. Mais, des deux côtés, la guerre retarda plus qu’elle ne favorisa les progrès du centralisme monarchique en marche au début du XIVe siècle.

La guerre contribua surtout à exaspérer les nationalismes français et anglais et à les teinter de xénophobie, mais, là encore, les processus étaient largement entamés avant 1337. Si l’Angleterre semblait définitivement guérie d’ambitions territoriales continentales, elle gardait ses problèmes écossais et irlandais. Et la France demeurait un royaume aux vocations territoriales indécises (vers l’Espagne, l’Italie, l’Empire).

Dans tous les domaines, le mot de l’historien anglais M. M. Postan est juste: «La guerre de Cent Ans fut tout au plus l’appoint, mais non le ressort essentiel du changement.»

Encyclopédie Universelle. 2012.