insinuer [ ɛ̃sinɥe ] v. tr. <conjug. : 1>
• 1336; lat. insinuare
I ♦
1 ♦ Anc. dr. Inscrire (un acte) dans un registre qui lui donne authenticité. Insinuer une donation.
2 ♦ Vx Faire adroitement entrer, pénétrer dans l'esprit. ⇒ 1. conseiller, instiller, suggérer.
♢ Mod. Donner à entendre (qqch.) sans dire expressément (surtout avec un mauvais dessein). ⇒ souffler, suggérer. Insinuer qqch. à qqn. Que voulez-vous insinuer par là ? « qu'ils viennent donc me le dire en face, ce qu'ils vous ont insinué en traîtres » (Sand). « Je n'insinue pas [qu'il] soit un pêcheur en eau trouble ! » (Romains).
II ♦ S'INSINUER v. pron.
1 ♦ Vx Se glisser, s'infiltrer. L'eau s'insinue dans le sable.
2 ♦ Par métaph. Pénétrer. Des idées « qui s'insinuent dans mon esprit comme des parasites venimeux » (Duhamel). Le doute s'est insinué en lui.
3 ♦ S'introduire habilement, se faire admettre (quelque part, auprès de qqn). Intrigant qui s'insinue partout. ⇒ se faufiler, se glisser; se fourrer. Fig. S'insinuer dans les bonnes grâces, la confiance d'autrui, réussir à capter ses bonnes grâces, sa confiance.
● insinuer verbe transitif (latin insinuare, introduire en pliant, de sinus, pli) Introduire doucement, progressivement : Insinuer son ongle dans une fente. Faire entendre quelque chose adroitement, par allusions, sans le dire expressément (surtout en mauvaise part) : Il insinue que la mésentente règne au sein du ménage. ● insinuer (synonymes) verbe transitif (latin insinuare, introduire en pliant, de sinus, pli) Faire entendre quelque chose adroitement, par allusions, sans le dire expressément...
Synonymes :
- glisser
- prétendre
- souffler
- suggérer
insinuer
v.
d1./d v. tr. Laisser entendre, suggérer (le plus souvent en mauvaise part). Elle insinue que tu as tort.
d2./d v. Pron. Litt. S'infiltrer, se glisser. S'insinuer dans un groupe.
— Fig. S'insinuer dans les bonnes grâces de qqn, les gagner adroitement.
⇒INSINUER, verbe trans.
I. — Emploi trans.
A. — DR. ANC. Consigner (un acte privé) dans un registre public pour lui donner l'authenticité. Insinuer, faire insinuer une donation, un testament (Ac. 1798-1878).
B. — Littéraire
1. Qqn insinue qqc. dans qqc. Introduire doucement et adroitement dans. L'étranger ouvroit son porte-feuille, et, par une présence d'esprit étonnante, défaisoit sa cravatte [sic] et y insinuoit un gros paquet de billets de banque (BALZAC, Annette, t. 1, 1824, p. 112). J'aurais réussi peut-être, à mettre le doigt sur la fissure, à y insinuer la main, à l'élargir (GENEVOIX, Assassin, 1948, p. 179).
— P. anal. Quant aux petits vers qu'on trouve dans les fruits ou dans les galles, Swammerdam pense qu'ils doivent venir d'insectes ayant insinué leur semence dans le tissu végétal (J. ROSTAND, Genèse vie, 1943, p. 25).
2. Au fig.
a) Qqn/qqc. insinue qqc. dans qqc. Faire pénétrer adroitement. Insinuer de bons sentiments dans le cœur d'un enfant; insinuer dans l'âme, l'esprit. Insinuer une doctrine (Ac. 1935) :
• 1. Le mensonge vital, que l'entraînement sincère des mots et du cœur insinue jusque dans nos conduites morales, est le principal responsable du discrédit que tant de vertus étroites ou troubles jettent sur la vertu.
MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 377.
b) En partic., souvent péj. Laisser entendre quelque chose sans l'exprimer ouvertement. Synon. glisser, suggérer.
— Qqn insinue qqc. à qqn :
• 2. La véritable hypocrisie dans cette signature était manifestée par la suppression bien moins des autres lettres du nom de Swann que de celles du nom de Gilberte. En effet, en réduisant le prénom innocent à un simple G, Mlle de Forcheville semblait insinuer à ses amis que la même amputation appliquée au nom de Swann n'était due aussi qu'à des motifs d'abréviation.
PROUST, Fugit., 1922, p. 587.
— Usuel. Qqn insinue qqc. Il se croyait en possession d'une certitude, (...) il en insinuait tout doucement l'esprit et n'en révélait pas la lettre (SAND, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 327). Il y a des choses que l'on ne doit jamais dire — semble-t-il toujours insinuer — précisément parce qu'elles vont de soi (DU BOS, Journal, 1923, p. 265). Je n'ai point songé à prendre la défense de certains gros intérêts lésés, comme l'insinue mon contradicteur (MAURIAC, Bâillon dén., 1945, p. 425).
♦ Emploi abs. J'ai employé tout mon art d'insinuer et de plaire (FRANCE, Bonnard, 1881, p. 439). Il chicane, pirouette, insinue, cligne de l'œil vers les « dames » avec lesquelles il ne veut surtout pas se brouiller (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1948, p. 164).
II. — Emploi pronom.
A. — Vx ou littér.
1. Qqn/qqc s'insinue dans qqc. Pénétrer doucement et progressivement dans quelque chose. Synon. s'infiltrer. Les couches de tissu cellulaire, qui s'insinuent dans les divisions du cerveau, qui se glissent entre les stries médullaires (CABANIS, Rapp. phys. et mor., t. 1, 1808, p. 215). Un flot neuf d'arrivants s'insinue dans les moindres interstices du public massé; des étudiants à bérets, des avocats en robe (...) se juchent en grappes, sur la crête des portants (MARTIN DU G., J. Barois, 1913, p. 380).
2. Qqn s'insinue entre. Se glisser entre. Le mécanicien a mis la voiture en marche. Il s'insinue entre les leviers et le volant pour regagner son siège frémissant (T. BERNARD, Sur les grands chemins, Paris, Ollendorff, 1911, p. 134).
3. [Sans compl. prép.] Les plantes (...) profitant des moindres ouvertures (...) s'insinuent, puis, une fois entrées, elles grimpent, s'enroulent aux fenêtres, courent le long des balcons (MICHELET, Chemins Europe, 1874, p. 170).
B. — Au fig., littér.
1. Qqc. s'insinue dans qqc. S'introduire dans (l'esprit, les pensées de quelqu'un). Synon. envahir, se glisser, pénétrer. Si quelque pensée orgueilleuse s'insinue dans notre imagination, nous la rejetons aussitôt avec la salive du dédain (LAUTRÉAM., Chants Maldoror, 1869, p. 149). Des préoccupations d'une précision trop humaine se mêlèrent à la ferveur de ses prières, (...) même des doutes terribles et lancinants s'insinuèrent en son âme (MIRBEAU, Journal femme ch., 1900, p. 225). Un danger se dissimule dans ces phrases douceâtres, des impulsions meurtrières s'insinuent dans l'inquiétude affectueuse, une expression de tendresse distille tout à coup un subtil venin (SARRAUTE, Ère soupçon, 1956, p. 122).
— [Sans compl. prép.] :
• 3. ... la pauvreté cessait d'être seulement privative, comme la croient trop souvent les riches; on la sentait réelle, agressive, attentionnée, elle régnait affreusement sur les esprits et sur les cœurs, s'insinuait partout, touchait aux endroits les plus secrets et les plus tendres, et faussait les ressorts délicats de la vie.
GIDE, Si le grain, 1924, p. 473.
2. Péj. Qqn s'insinue dans qqc., auprès de qqn.
a) S'introduire avec habileté ou ruse dans, auprès de. Ambitieux, intrigant qui s'insinue; s'insinuer par la brigue, la flatterie :
• 4. Elle [l'Église] avait beaucoup d'influence, elle n'avait pas le pouvoir. Elle s'était insinuée dans les magistratures municipales; elle agissait puissamment sur les empereurs, sur tous leurs agens; mais l'administration positive des affaires publiques, le gouvernement proprement dit, l'Église ne l'avait pas.
GUIZOT, Hist. civilisation, Leçon n° 10, 1828, p. 10.
b) Gagner adroitement (les bonnes grâces, la confiance, l'esprit de qqn). Les princes, n'ayant jamais affaire qu'à des serviteurs de bon goût, qui s'insinuent plus facilement dans leur faveur que nos gens dans la nôtre, vivent et meurent sans avoir jamais l'idée des choses telles qu'elles sont (STAËL, Consid. Révol. fr., t. 2, 1817, p. 428). Sir Williams s'insinuait dans l'esprit et la confiance de la vieille baronne (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 1, 1859, p. 450).
Prononc. et Orth. : [], (il) insinue []. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1336 dr. anc. « publier, notifier, faire connaître (un acte juridique) » (Arch. JJ 70, fol. 13 r° ds GDF.); 1368 id. « enregistrer (id.) » (Charte ds Livre Roisin, éd. Brun-Lavainne, p. 420). B. 1. 1359 « faire pénétrer adroitement dans l'esprit » (Ch. A. mun. Senlis ds GDF. Compl.); 2. 1541 s'insinuer a (qqn) « se glisser adroitement ds l'entourage de quelqu'un » (CALVIN, Instit., VI, p. 363 ds HUG.); 1662 esprit insinuant [de Mazarin] (LA ROCHEFOUCAULD, Mém., éd. D.L. Gilbert et J. Gourdault, t. 2, p. 63 [1643]); 3. 1588 s'insinuer en « (d'une substance) pénétrer dans » ici, empl. par image (MONTAIGNE, Essais, II, XII, éd. M. Thibaudet et M. Rat, p. 467). Empr. au lat. insinuare « faire pénétrer au sein de, introduire, glisser dans » fig. « pénétrer, faire pénétrer dans les bonnes grâces, la faveur de quelqu'un » à l'époque class.; « déclarer, notifier, faire connaître » à basse époque; spéc. « déclarer, notifier, faire connaître » à basse époque; spéc. « enregistrer » à l'époque médiév. (s.d. ds NIERM.). Fréq. abs. littér. : 721. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 672, b) 713; XXe s. : a) 1 179, b) 1 399.
insinuer [ɛ̃sinɥe] v. tr.
ÉTYM. 1336, en dr.; au sens 3, XVIe; lat. insinuare, de in- locatif, et sinus « courbure, pli ». → Sinueux.
❖
1 Dr. anc. Inscrire (un acte privé) dans un registre public qui lui donne authenticité. || Insinuer une donation.
1 M. Leriche m'écrit (…) qu'il faut faire insinuer mon contrat de deux cent mille livres (…) mais je crois qu'il ne faut pas se presser de faire l'insinuation (…)
Voltaire, Correspondance, 3209, 27 oct. 1767.
2 (1660). Vx ou littér. Faire pénétrer doucement et adroitement (qqch. dans qqch., dans un lieu, un espace). ⇒ Glisser, introduire. || Insinuer une sonde, une mèche dans une plaie (Académie). — Insinuer sa main dans une fente, une fissure. || Insinuer « un gros paquet de billets de banque » dans son portefeuille (Balzac, in T. L. F.). — Le démon insinue son venin dans les cœurs (→ Imperceptible, cit. 1).
♦ Littéraire, par comparaison :
1.1 J'ai vu des sortes d'hommes-serpents autrement appelés auteurs dramatiques, venir m'expliquer la façon d'insinuer une pièce à un directeur, comme ces hommes de l'histoire qui insinuaient des poisons dans l'oreille de leurs rivaux.
A. Artaud, le Théâtre et son double, Œ. compl., t. IV, p. 54.
3 (1359). Vx. Faire adroitement entrer, pénétrer dans l'esprit, dans le psychisme. ⇒ Conseiller, instiller, suggérer. || Insinuer des sentiments dans le cœur de quelqu'un.
1.2 Peu à peu, ce fils dont elle avait voulu former l'intelligence, les mœurs, la vie, avait insinué en elle son intelligence, ses mœurs, sa vie même et avait altéré celles de sa mère.
Proust, Jean Santeuil, Pl., p. 871.
4 (1480). Mod. Littér. Donner à entendre (qqch.) sans dire expressément (surtout avec un mauvais dessein). || Insinuer qqch. à qqn. || Insinuer que… || Insinuer à qqn que son entourage le dessert. ⇒ Avertir, souffler (à l'oreille). — Insinuer qqch. || Que voulez-vous insinuer par là ? ⇒ 1. Dire (vouloir). — Absolt. → ci-dessous, cit. 6.
2 (…) ces Messieurs tâchent d'insinuer que ce n'est point au théâtre à parler de ces matières (…)
Molière, Tartuffe, Préface.
3 (…) on ne dit rien, on insinua tout; les grandes réputations furent toutes attaquées (…)
Montesquieu, Grandeur et décadence des Romains, XVII.
4 Le duc de Rovigo s'est trouvé chargé de l'exécution; il avait probablement un ordre secret : le général Hulin l'insinue.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. II, p. 323.
5 (…) et qu'ils viennent donc me le dire en face, ce qu'ils vous ont insinué en traîtres, et nous en aurons beau jeu.
G. Sand, la Petite Fadette, XXVIII.
6 Il n'affirme plus tant ici, mais insinue; sans discuter jamais, il persuade; il entre de biais dans l'esprit du lecteur; je ne sais comment il s'y prend, il fait sienne notre pensée.
Gide, Nouveaux prétextes, Chroniques de l'ermitage, III.
7 (…) un garçon agile trouve l'occasion de rendre des services, et de les faire valoir. Oh ! je n'insinue pas que le nôtre soit un pêcheur en eau trouble !
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. V, XVII, p. 123.
——————
s'insinuer v. pron.
1 (1580). Concret. Vx. Se glisser, s'infiltrer. || L'eau s'insinue dans le sable. || Reptile qui s'insinue agilement. ⇒ Couler (se), glisser (se).
2 (1690). Littér. S'introduire en se faufilant, en se glissant. — Par métaphore. || « Le poison de l'envie (cit. 9) s'insinue dans les veines ». — Fig. || Chemin, sentier qui s'insinue entre des murailles, dans la pénombre (→ Flanc, cit. 11; illuminer, cit. 5). — Par métaphore. → ci-dessous, cit. 10.
8 Quand on veut poursuivre les vertus jusqu'aux extrêmes de part et d'autre, il se présente des vices qui s'y insinuent insensiblement (…)
Pascal, Pensées, VI, 357.
9 Il faut que (le baume) soit chaud, et qu'il pénètre et s'insinue dans le mal (…)
Mme de Sévigné, 945, 15 déc. 1684.
10 L'œil avide et téméraire s'insinue impunément sous les fleurs d'un bouquet; il erre sous la chenille et la gaze, et fait sentir à la main la résistance élastique qu'elle n'oserait éprouver.
Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, Lettre XXIII.
11 Parfois la garnison se relâche, et une poterne est bien vite ouverte, par quoi s'insinue l'ennemi.
Th. Gautier, le Capitaine Fracasse, t. II, XIII, p. 110.
♦ (1541, s'insinuer à qqn). Littér. (Sujet n. de chose abstraite). S'introduire insensiblement. ⇒ Pénétrer. || Idées nouvelles qui s'insinuent dans le monde (→ Filtrer, cit. 9).
♦ Spécialt. S'introduire (dans l'esprit, la conscience… de qqn). || Les grâces (cit. 75) d'une éloquence qui s'insinue dans les cœurs. || Pensée lancinante qui s'insinue en nous (→ Abandonner, cit. 11).
12 Il demeura un long moment dans cet état de confuse béatitude, avant de discerner par quelle partie de son corps, par quel point de sa frontière, s'insinuait cette tiède sensation de bien-être.
Martin du Gard, les Thibault, t. II, p. 155.
13 (…) des mots, des idées qui font explosion en moi, ou qui s'insinuent dans mon esprit comme des parasites venimeux.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, II, IX.
3 (Sujet n. de personne). S'introduire habilement, se faire admettre (quelque part, auprès [cit. 21] de qqn). || C'est un intrigant qui cherche à s'insinuer partout. ⇒ Faufiler (se), fourrer (se). || S'insinuer par la brigue (cit. 2), en flattant (cit. 36) ses ennemis (→ Affliger, cit. 2). || Il est là sans cesse, cherchant à s'insinuer auprès d'elle. ⇒ Tourner (tourner autour). — (1690). Fig. || S'insinuer dans les bonnes grâces, dans la confiance de qqn. — Absolt. || Savoir s'insinuer. ⇒ Insinuant; → ci-dessous, cit. 15 et 18.
14 Il n'y a point de palais où il ne s'insinue (…)
La Bruyère, les Caractères, IX, 15.
15 (…) au contraire, les méchants sont hardis, trompeurs, empressés à s'insinuer et à plaire, adroits à dissimuler, prêts à tout faire contre l'honneur et la conscience pour contenter les passions de celui qui règne.
Fénelon, Télémaque, II.
16 Je m'insinuai si avant dans ses bonnes grâces, que je parvins à partager sa confiance avec le seigneur Carnero, son premier secrétaire.
A. R. Lesage, Gil Blas, XI, VIII.
17 (Il) restait chez moi du matin au soir plusieurs jours de suite, se mettait de mes promenades, m'apportait mille sortes de petits cadeaux, s'insinuait malgré moi dans ma confidence, se mêlait de toutes mes affaires, sans qu'il y eût entre lui et moi aucune communion d'idées, ni d'inclinations, ni de sentiments, ni de connaissances.
Rousseau, les Confessions, XII.
18 (…) il vous aborde : vous causez; il s'insinue, vous offre une prise ou vous ramasse votre chapeau. Puis on se lie davantage.
Flaubert, Mme Bovary, II, VI.
Encyclopédie Universelle. 2012.