BASQUES
La spécificité des Basques, à travers les siècles et encore de nos jours, se fonde sur leur culture. Cette dernière s’appuie, au premier chef, sur la langue basque, ou euskara, qui actuellement est parlée au plus par le quart de la population, mais on en retrouve les traces dans la topographie, la toponymie, les patronymes, voire les noms de maisons. D’autres traits de cette culture se retrouvent dans les chants et les danses.
L’origine de la langue basque est mal connue et les hypothèses sur les racines des Basques innombrables. Ce qui est certain, c’est que cette langue n’est pas issue du tronc commun latin qui est à l’origine des langues environnantes et que la survie d’une ethnie basque est due au premier chef à la faible romanisation du Pays basque. Rome parvient à établir sa domination politique mais non à imposer sa culture. Les invasions «barbares» qui détruisent l’Empire romain contribuent à leur façon à maintenir la spécificité basque en éliminant une emprise politico-culturelle qui, à la longue, aurait été un facteur d’assimilation.
On peut parler d’un «miracle basque», du fait du maintien d’une langue ancestrale et d’une conscience basque, malgré la position géographique du Pays basque, lieu de passage de multiples invasions et aussi de migrations plus pacifiques comme le pèlerinage médiéval qui draine des foules de toute l’Europe vers Saint-Jacques-de-Compostelle.
Cet isolat culturel basque n’a pas été davantage affecté par le fait que, de nos jours, le Pays basque est à cheval sur deux États, la France et l’Espagne, et que, au Moyen Âge, ce même Pays basque se partageait entre le royaume indépendant de Navarre, la couronne de Castille et même le royaume d’Angleterre, à la suite du mariage en 1152 d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri Plantagenêt. Bien plus, jamais dans l’histoire une même unité politique n’a rassemblé les trois provinces basques françaises: Labourd, Basse-Navarre et Soule, avec les quatre provinces basques espagnoles: Alava, Biscaye, Guipuzcoa et Navarre. De même, les provinces basques espagnoles n’ont pas été, dans le passé, réunies par un pouvoir commun, pas plus que celles du nord des Pyrénées. Autour de l’an 1000, le royaume de Navarre regroupe l’ensemble du Pays basque espagnol, mais ses frontières dépassent de beaucoup les quatre provinces basques péninsulaires.
La singularité basque s’est donc maintenue sans cadre politique propre au sein des États français et espagnol constitués définitivement à partir de la fin du XVe siècle. Mieux encore, l’intégration des Basques en leur sein est totale et aucun problème politique ne se pose entre les Basques et les États nations dont ils font partie. Cela dit, il faut distinguer le Pays basque français, qui ne regroupe que 15 p. 100 de la superficie basque et guère plus de sa population, du Pays basque espagnol, qui en forme donc l’immense majorité. L’incidence de ce dernier, au sein du système politique espagnol, est donc très supérieure.
Le problème basque apparaît comme politique au XIXe siècle en Espagne avec les guerres carlistes. Les défaites carlistes vont créer un sentiment anti-Madrid et anticentralisateur qui servira de base au nationalisme basque. Ce dernier apparaît en 1895 à une époque où le problème des nationalités se manifeste aussi en Catalogne et secoue toute l’Europe, de l’Irlande aux empires russe et austro-hongrois.
Au XXe siècle, l’industrialisation et l’immigration provoquent un accroissement de la population basque. C’est contre cette immigration synonyme de débasquisation que se crée le premier nationalisme basque. Ce nationalisme se développera au cours des années alors que la culture basque, elle, décline. La frontière de la langue basque recule constamment dans les provinces espagnoles. Elle se maintient par contre sans changement en France, principalement à cause de l’absence d’industrialisation au nord des Pyrénées.
Avec le rétablissement de la démocratie en Espagne après le décès du général Franco, les Basques espagnols ont obtenu la création d’une «Communauté autonome», l’une des dix-sept que compte l’Espagne. C’est la Communauté autonome d’Euskadi, largement dominée par les partis nationalistes basques. La Navarre ne s’est pas jointe aux trois autres provinces basques espagnoles et forme une communauté autonome, à elle seule, gouvernée par les partis nationaux espagnols. Par ailleurs, le problème de la violence dû à l’organisation clandestine et indépendantiste E.T.A.: Euskadi ta askatasuna en basque (Pays basque et liberté), n’est pas réglé.
Le Pays basque français est, lui, solidement intégré dans l’ensemble français. La revendication culturelle y est forte, mais les partis nationalistes apparus en 1980 ne dépassent pas 6 p. 100 des suffrages exprimés.
De nos jours, le Pays basque est donc partagé en trois sous-ensembles politiques: Navarre, Communauté autonome basque, Pays basque français, et deux États nations. Peut-être l’Europe unie qui s’annonce parviendra-t-elle à briser la frontière entre les Basques sans pour autant en créer de nouvelles autour d’eux.
1. Géographie et population
Le Pays basque couvre 20 551 km2 où habitent environ 2 900 000 personnes. Mais les six septièmes de la superficie, les onze douzièmes de la population et les huit neuvièmes du revenu global se trouvent dans les provinces basques espagnoles (tabl. 1).
Le statut politique et juridique de chacune des provinces varie en France et en Espagne. Les provinces espagnoles sont quatre des cinquante provinces que compte le pays. Chacune d’entre elles possède une Assemblée législative élue au suffrage universel et un exécutif provincial élu par le Parlement et responsable devant lui.
Les compétences provinciales sont étendues et les ressources abondantes. Par contre, les provinces basques françaises n’ont pas d’existence juridique, bien que certaines institutions ancestrales survivent: ainsi, la réunion ou biltzar (assemblée) des maires du Labourd réactivée dans les années cinquante ou le syndicat de Soule qui réunit les communes de cette province et dispose de biens fonciers indivis. Le Pays basque français correspond à une partie du département des Pyrénées-Atlantiques et n’a pas d’existence juridique.
Si, par convention, on peut faire correspondre les sept provinces traditionnelles au Pays basque, d’où la devise Zazpiak bat («les sept font un»), il est difficile d’en délimiter avec précision les contours. Les frontières administratives ne coïncident pas toujours avec les frontières ethniques et culturelles.
Si le Guipuzcoa est entièrement basque, l’ouest de la Biscaye l’est fort peu. Le sud de la Navarre est complètement débasquisé depuis de nombreux siècles. Quant à l’Alava, il n’y a au plus que 6 p. 100 de la population à parler le basque, et la débasquisation est fort ancienne.
Les mêmes doutes subsistent quant au Pays basque français. On y inclut le district urbain formé par les villes de Bayonne, Anglet et Biarritz, qui comprend environ 100 000 habitants. Or, historiquement, ces communes sont plutôt de tradition et de culture gasconnes, et ce n’est qu’à partir des années 1900 qu’une présence basque importante peut être constatée. L’arrivée de Basques espagnols exilés à la suite des guerres carlistes au siècle dernier et de la guerre civile en 1936-1939 a joué un rôle important et s’ajoute aux migrations de Basques français quittant les fermes surpeuplées et venant en ville pour y trouver un emploi.
Ce n’est que par convention et par construction sociale et politique qu’on peut identifier le Pays basque et les sept provinces historiques traditionnelles. Ces dernières ont incontestablement un enracinement historique et politique. Mais celui-ci n’est pas fondé exclusivement ou même principalement sur un substrat culturel basque.
Le Pays basque espagnol est une région industrialisée qui a un des niveaux de vie les plus élevés de la Péninsule (tabl. 2).
Pour ce qui a trait au revenu par tête d’habitant en 1983, l’Alava arrivait en troisième position sur les cinquante provinces espagnoles, le Guipuzcoa en sixième, la Navarre en dixième et la Biscaye en onzième position.
Le Pays basque français est beaucoup plus agricole et les industries sont peu nombreuses. Par contre, les villes de la côte sont aussi des centres administratifs et regroupent de nombreux services. Ces derniers sont alimentés par le tourisme qui occupe 15 p. 100 des emplois. Les retraités sont nombreux, surtout à Biarritz et à SaintJean-de-Luz. En 1975, 12,5 p. 100 de la population avait un emploi dans le secteur primaire, 32,9 p. 100 dans le secondaire et 54,6 p. 100 dans le tertiaire alors que, pour l’ensemble de la France, les chiffres étaient de 9,5 p. 100, 39,5 p. 100 et 51,3 p. 100.
Les Basques, bien que certainement christianisés assez tard, ont été très marqués par le catholicisme. La pratique religieuse y est encore relativement forte. Au XIXe et au XXe siècle, de nombreux indicateurs (nombre de prêtres par habitant, vocations, recensements et sondages de pratique religieuse) confirment ce fait. Cette situation vaut aussi bien pour le Pays basque français que pour le Pays basque espagnol et, dans les années soixante, il semble que le diocèse de Pampelune avait le chiffre de fréquentation de la messe dominicale le plus élevé d’Europe occidentale.
En Pays basque français, la langue a été fortement défendue par le clergé qui l’utilisait pour le catéchisme et la liturgie, d’où l’expression eskualdun fededun , «basque et croyant».
Si la langue basque est parlée au mieux par 25 p. 100 de la population de l’ensemble des sept provinces, il est difficile de cerner avec certitude des chiffres exacts (tabl. 3). Comme on peut le voir, globalement, le pourcentage de bascophones est plus important en France qu’en Espagne. Mais, du fait des écarts de population, 85 p. 100 des bascophones se trouvent en Espagne.
Si la langue basque connaît un déclin en Pays basque français, il en va différemment au sud des Pyrénées grâce au soutien apporté par le gouvernement autonome basque et jusqu’à un certain point navarrais au développement de l’euskara et surtout à son adoption comme langue officielle au même niveau que l’espagnol en Navarre et en Euskadi.
2. Société et politique
Les nationalismes basques
En 1988, le nationalisme basque domine la Communauté autonome d’Euskadi avec 69 p. 100 des suffrages exprimés aux élections locales et 65 p. 100 aux élections législatives espagnoles. Il obtient autour de 24 p. 100 en Navarre et n’a jamais dépassé 6 p. 100 des suffrages exprimés en Pays basque français. Ces proportions montrent bien que le vote nationaliste ne correspond pas à la distribution des bascophones et que le critère fondamental semble être le niveau d’intégration de chacun des sous-ensembles basques au sein de l’État nation auquel il appartient. Ce niveau d’intégration, conditionné par l’histoire, est très élevé pour le Pays basque français, élevé en Navarre, faible en Euskadi. Ces différences apparaissent dans les résultats des partis nationaux français et espagnols par rapport aux formations basques.
C’est en Espagne que naît en 1895 le nationalisme basque. Il a été précédé par un processus de différenciation politique entre le système politique basque et le système politique espagnol dû aux guerres carlistes. Ces dernières n’ont pas été un phénomène proprement basque, mais leur issue a eu une grande influence sur les relations entre l’État espagnol et les quatre provinces basques péninsulaires.
Carlisme et nationalisme en Pays basque
Les guerres carlistes opposent, dans toute l’Espagne, les partisans d’une monarchie traditionnelle, les carlistes, à la branche régnante des Bourbons qui acceptait la monarchie constitutionnelle. Le conflit débute en 1833 à la mort du roi Ferdinand VII qui ne laisse comme descendance qu’une fille mineure, ce qui amène la régence de sa mère Marie-Christine. Cette succession est contestée par don Carlos, frère de Ferdinand VII, qui soutient que la loi salique doit s’imposer en Espagne. Sa thèse n’ayant pas été acceptée par Ferdinand VII qui prévoit la succession au profit de sa fille, don Carlos essaya de prendre le pouvoir par les armes. Deux guerres carlistes eurent lieu en Espagne de 1833 à 1839 et de 1872 à 1876. Dans les deux cas, les carlistes furent battus par les libéraux, et le conflit purement dynastique fut éclipsé par la lutte entre libéralisme et traditionalisme.
Le Pays basque fut, durant les deux guerres, majoritairement favorable aux carlistes, qui y trouvèrent leurs meilleurs soutiens et leurs troupes les plus nombreuses et les plus combatives. Lors des premières élections espagnoles au suffrage universel, en 1869, les carlistes obtinrent 15 des 17 sièges dévolus aux quatre provinces basques.
Quelle est la raison de cet attrait des Basques pour le carlisme qui fit de cette région, jusqu’en 1936 et même au-delà, son premier bastion dans la Péninsule? Il nous semble que la première raison est l’attachement des Basques au catholicisme et la mobilisation du clergé basque nombreux et populaire. Les libéraux étaient présentés comme des athées, et la devise des carlistes «Dieu, patrie et roi» mettait au premier plan la fidélité à l’Église et au Saint-Siège. Défenseurs d’une monarchie traditionnelle, les carlistes promettent aussi de maintenir les fueros , ou libertés locales traditionnelles: absence de service militaire, privilèges fiscaux, régime douanier particulier. Cependant, ces fueros ne sont pas menacés au début des guerres carlistes et leur défense n’est pas une des causes du soulèvement. Ce sera par contre une des raisons de la seconde guerre carliste. Enfin, la géographie doit avoir joué un rôle non négligeable. La frontière française permet l’approvisionnement en armes et la sympathie de beaucoup de Basques français pour le carlisme facilite les mouvements des deux côtés des Pyrénées.
À la suite de chaque conflit, le Pays basque sera puni et verra ses fueros réduits puis définitivement supprimés. La loi du 25 octobre 1839 supprime une partie des libertés traditionnelles et, au lendemain de la seconde guerre carliste, la loi du 26 juillet 1876 abolit définitivement les fueros.
Carlistes et libéraux basques font campagne pour le rétablissement des fueros dont certaines dispositions sont d’ailleurs maintenues par les «accords économiques» (conciertos economicos ) qui octroient des privilèges fiscaux au Pays basque à partir de 1878. Un parti libéral «fuériste» se développera en Pays basque où les carlistes garderont toujours de solides bases électorales. En 1888, le carlisme subit la sécession du parti «intégriste» ou «catholique national» qui reproche au carlisme d’être trop libéral... Les intégristes, dont la devise est «Dieu, patrie et fueros», auront de nombreux partisans en Pays basque, surtout parmi le clergé. De 1891 à 1936, années où, à l’exception de la période 1923-1931 (dictature de Primo de Rivera), les élections ont lieu au suffrage universel, la moitié des députés carlistes et intégristes de l’Espagne seront élus par les quatre provinces basques.
Les carlistes ne furent pas directement les précurseurs du nationalisme basque. Leur but était de changer le régime espagnol et non la condition des provinces basques. Mais leur identification aux revendications forales et à la religion, leurs défaites successives amèneront à mettre en place un système de partis basque distinct du système espagnol. Alors que les libéraux et les conservateurs dominent la vie politique espagnole, le carlisme et le libéralisme «fuériste» contrôlent la vie politique basque et entretiennent sinon un sentiment anti-espagnol, du moins un esprit anti-Madrid, antipouvoir central sur lequel se greffera le nationalisme basque.
Genèse et développement du nationalisme
Le Parti nationaliste basque est créé en 1895 par Sabino Arana Goiri (1865-1903), fils d’un armateur carliste, journaliste, historien et spécialiste de la langue basque sur laquelle il énonce des thèses contestées. Son œuvre historique demeure la création de la première organisation nationaliste, toujours vivante d’ailleurs, du néologisme Euzkadi (ou Euskadi) pour nommer le Pays basque (jusque-là Eskual Herria), du drapeau basque et même de l’hymne basque, aujourd’hui hymne officiel de la Communauté autonome basque.
Le premier P.N.V. (en espagnol, Partido nacionalista vasco, en basque Eusko Alderdi Jeltzalea) ou «Parti basque de Dieu et des vieilles lois» est un parti qui accepte la démocratie pluraliste et qui se bat pour la pureté des mœurs électorales, mais qui est confessionnel, raciste et indépendantiste. Quoique refusant toute subordination au clergé qui d’ailleurs n’a pas le droit d’y adhérer, le Parti a pour devise «Dieu et les vieilles lois» (les fueros), et Sabino Arana dira: «Nous pour le Pays basque et le Pays basque pour Dieu.» Une des raisons de l’aspiration à l’indépendance basque, c’est que les Espagnols sont de mauvais catholiques.
L’objectif du P.N.V., première manière, est l’avènement d’un État confédéral basque indépendant groupant les sept provinces traditionnelles. Le fondement de cet État serait la race et la religion catholique. La race et non la langue. Pour Arana, celui qui parle le basque mais n’a pas de patronyme basque est étranger alors qu’est considéré comme basque celui qui, sans parler le basque, a un nom de famille basque. Pour adhérer au P.N.V., il faut que les noms de famille de ses quatre grands-parents soient basques.
Fondé en 1895, le P.N.V. recrute des adhérents parmi les éléments catholiques issus du carlisme et de l’intégrisme. Il naît à Bilbao, capitale de la très industrielle province de Biscaye où un fort mouvement socialiste fondé sur les travailleurs immigrés s’est déjà implanté. Le nationalisme est la réaction d’une société qui se sent doublement menacée dans ses fondements traditionnels par le socialisme «étranger», car espagnol, et athée, et par le pouvoir central espagnol de droite, négateur de la spécificité basque.
Les bases sociales très étroites du premier P.N.V. s’élargissent en 1899 quand un fort contingent de libéraux fuéristes adhère au P.N.V., ce qui donne au parti un visage plus moderne et une assise sociale certaine dans la bourgeoisie et la classe moyenne de Bilbao. Le P.N.V. se présente régulièrement aux élections en combattant la gauche socialiste et républicaine autant que les représentants locaux des partis libéral et conservateur au pouvoir à Madrid. Mais son message est polymorphe, hésitant entre indépendantisme radical et autonomisme modéré.
Le nationalisme se développe lentement, en Biscaye d’abord, puis dans les trois autres provinces péninsulaires. Son bastion est la ville de Bilbao (100 000 habitants en 1900), le centre urbain le plus important du Pays basque dont il occupe la mairie à plusieurs reprises.
C’est en 1918 que le nationalisme remporte ses premiers grands succès électoraux. Il bénéficie du courant de sympathie pour les nationalités européennes, qui naît des prises de position du président Wilson et de l’effondrement des empires russe, austro-hongrois et ottoman. Sept des vingt et un députés basques élus cette année-là sont nationalistes.
Autour du Parti nationaliste basque, qui en 1916 devient la Communion nationaliste basque, tout un ensemble d’organisations sociales et culturelles se met en place de façon à constituer une contre-société basque. L’élément le plus important est le syndicat Solidarité des travailleurs basques (S.T.V.), créé en 1911. La S.T.V. est, à la veille de la guerre civile, le premier syndicat basque. Il contribue puissamment à élargir les bases sociales du P.N.V., qui devient un vrai parti démocrate-chrétien interclassiste et disposant d’une solide organisation dans tous les milieux. Au syndicat s’ajoutent la Jeunesse basque, une Fédération de femmes, un réseau de quotidiens dont le plus important, Euzkadi de Bilbao (1913-1937), tire à 25 000 exemplaires. Des revues culturelles, des groupes de danseurs et de sportifs, des écoles en langue basque complètent ce réseau politique social et culturel qui s’étend dans les quartiers et villages. L’ensemble bénéficie du soutien d’une grande partie du clergé basque, alors que les évêques demeurent hostiles au nationalisme.
L’essor du nationalisme est freiné de 1921 à 1923 par la division du parti entre la Communion nationaliste, autonomiste, et le P.N.V. fondé à nouveau par les éléments indépendantistes. Le coup d’État du général Primo de Rivera en 1923 sonne le glas de la vie politique démocratique, et les deux partis nationalistes doivent cesser leur activité. À la fin de la dictature, ils se réunifient en 1930, reformant le Parti nationaliste basque. Sous la IIe République espagnole (1931-1936), le P.N.V. devient la première force politique en Pays basque, mais ne dépasse pas 35 à 40 p. 100 des voix. Un tiers des électeurs votant pour la gauche espagnole, surtout socialiste, un autre tiers pour la droite, à dominante carliste, surtout en Navarre.
La Constitution républicaine de 1931 permet aux régions qui le désirent de devenir autonomes avec un parlement et un gouvernement régional. Cette autonomie sera accordée à la Catalogne en 1932, car c’est une province qui vote à gauche, mais elle est refusée au Pays basque, car la République ne veut pas de «Gibraltar vaticaniste». À l’intérieur du Pays basque, l’unanimité n’existe pas et, à la suite de la conjonction des carlistes et de la gauche, la Navarre refuse le 19 juin 1932, par le vote de 123 municipalités contre 109 et 35 abstentions, un statut d’autonomie commun aux quatre provinces. Les trois autres approuvent celui-ci aussi bien par le vote des municipalités que par référendum populaire, mais la droite espagnole, revenue au pouvoir en 1933, se méfie d’un processus d’autonomie dans lequel elle voit germer le séparatisme. Ces atermoiements rapprocheront le P.N.V. du Front populaire vainqueur en 1936. Le soulèvement franquiste a lieu le 18 juillet 1936 et les nationalistes basques, à la fois par légalisme et pour obtenir l’autonomie, soutiennent le camp républicain. Le statut d’autonomie pour les trois provinces basques (Navarre exceptée) est voté par le Parlement espagnol le 11 octobre 1936, et un gouvernement basque présidé par le député P.N.V. José Antonion de Aguirre et formé de nationalistes, de républicains, de socialistes et de communistes est mis en place. Il devra se retirer en Catalogne en 1937 à la suite de la conquête du Pays basque par les franquistes, puis passera en France à la fin de la guerre civile. Un gouvernement basque en exil sera maintenu jusqu’en 1979.
Le Pays basque ne se montra pas unanime en faveur de la République. Les carlistes basques, surtout navarrais, se soulevèrent aux côtés du général Franco, surtout à cause du caractère anticlérical de la République. Le seul franquisme populaire de la République fut celui des provinces basques hispanophones de Navarre et d’Alava.
Croissance et dispersion du nationalisme
La répression franquiste est très dure dans les provinces bascophones de Guipuzcoa et de Biscaye, alors que la Navarre et l’Alava maintiennent le régime fiscal très favorable du concierto economico . La résistance autour de la gauche et du P.N.V. se réorganise après 1945, et de grandes grèves ont lieu en 1947 et 1951. Mais l’intégration de l’Espagne franquiste dans l’Occident et la consolidation du régime affaiblissent l’action du P.N.V.; une nouvelle organisation issue de ses mouvements de jeunes, l’E.T.A. ou Euskadi ta askatasuna, apparaît en 1959, se voulant aconfessionnelle et socialisante. Progressivement, elle deviendra marxiste, puis marxiste-léniniste. Influencée par les guerres coloniales et le castrisme, l’E.T.A. adoptera la lutte armée. L’action la plus spectaculaire de l’E.T.A. a lieu en décembre 1973 lorsqu’elle tue le Premier ministre espagnol, l’amiral Carrero Blanco. Cet événement est très important pour l’histoire de l’Espagne, car l’amiral refusait toute évolution démocratique du régime espagnol.
Le général Franco meurt le 20 novembre 1975 et le cadre politique est totalement modifié. L’E.T.A. se divise en 1974. Une branche, l’E.T.A. politico-militaire, abandonne la lutte armée; l’autre, dite E.T.A. militaire, la continue. Profitant de la libéralisation du régime, le P.N.V. se réorganise et cherche à enlever à l’E.T.A. son image de seul mouvement nationaliste actif.
Le Pays basque avait largement profité de l’essor de l’économie espagnole entre 1959 et 1976. Les deux provinces rurales Navarre et Alava s’étaient industrialisées et, en 1976, 30 p. 100 de la population des quatre provinces basques était née dans les autres régions espagnoles. L’urbanisation s’était fortement accrue, et 81 p. 100 de la population active était formée de salariés. La langue basque, malmenée par les autorités, avait reculé, et l’influence du nationalisme basque, quarante ans après son passage dans la clandestinité, était difficile à mesurer au sein d’une population débasquisée et marquée par l’immigration.
Les premières élections démocratiques pour désigner une Assemblée constituante le 15 juin 1977 sont boycottées par l’E.T.A. militaire, mais le P.N.V. et des groupes issus de l’E.T.A. politico-militaire y participent. Les résultats sont comparables à ceux de 1936, malgré l’évolution politique et sociale. Le nationalisme, à dominante P.N.V., obtient un tiers des voix, la gauche socialiste un tiers et le centre droit espagnol le dernier tiers. À gauche, les républicains ont disparu au profit des socialistes. À droite, le carlisme est moribond et ses anciens électeurs ou leurs descendants votent pour les deux partis espagnols de droite et de centre droit: l’Alliance populaire et l’Union du centre démocratique (U.C.D.).
Malgré le rétablissement de la démocratie, l’E.T.A. militaire continue la lutte armée et refuse les statuts d’autonomie accordés en vertu de la nouvelle Constitution espagnole de 1978 au Pays basque et à la Navarre.
De 1975 à 1992, plus de sept cents personnes meurent à la suite de la lutte armée, alors que, sous le général Franco, le nombre de victimes a été de quarante-trois.
En 1992, les partis nationalistes basques regroupent environ 60 p. 100 des voix dans les quatre provinces basques, mais ce nationalisme se présente fragmenté en quatre partis. Le P.N.V. a subi en 1986 la sécession des partisans du premier président du gouvernement basque postfranquiste, Carlos Garaicoechea, qui a formé le parti Eusko alkartasuna (E.A.), ou Solidarité basque. Deux formations sont issues de l’E.T.A.: Euskadiko eskerra (E.E., gauche basque), hostile à la lutte armée et proche des socialistes, et Herri batasuna (H.B., coalition populaire), marxiste-léniniste et nationaliste intransigeante en qui beaucoup voient une émanation de l’E.T.A. militaire.
Le poids respectif des quatre partis nationalistes dans la Communauté autonome basque est reflété par les résultats des élections au Parlement basque du 28 octobre 1990 (tabl. 4).
La faiblesse du P.N.V. par rapport à E.A. en Navarre vient du fait que le leader de ce dernier parti, Garaicoechea, est navarrais (tabl. 5).
Le poids du nationalisme basque est renforcé par la présence d’une contre-société qui se structure au moyen du syndicalisme nationaliste, des écoles basques et de la presse locale. Lors des élections syndicales de 1990, le vieux syndicat E.L.A., proche du P.N.V. et de E.A., obtient près de 40 p. 100 des délégués syndicaux de la Communauté autonome, alors qu’un syndicat proche de l’E.T.A., L.A.B., atteint 13 p. 100.
Cette croissance du nationalisme basque par rapport à 1936 se fait au détriment de toutes les formations nationales espagnoles. Il est dû, au premier chef, à la faible légitimité des partis politiques espagnols en Pays basque, assimilés peu ou prou au régime franquiste pour les forces de centre et de droite et au pouvoir central, démocratique, mais non basque, pour le Parti socialiste.
Dans les régions bascophones, les électeurs socialistes sont majoritairement des immigrés venus des autres provinces espagnoles ou des fils d’immigrés. Ce fait oppose, à l’intérieur du Pays basque, deux communautés dont l’intégration est insuffisante.
Le Pays basque est assez différencié pour qu’il soit possible d’y distinguer trois sous-ensembles qui, par ordre d’importance démographique, sont la Communauté d’Euskadi, la Navarre et le Pays basque français.
Les trois Pays basques
La Constitution espagnole de 1978 permettait la structuration de l’Espagne en communautés autonomes. Un régime spécial était prévu pour les régions existant en 1936, et la quatrième disposition transitoire de la Constitution accordait à la Navarre la possibilité, si elle le désirait, d’adhérer à la Communauté basque. Cette possibilité ne fut pas utilisée. Aux élections de 1977, la Navarre élit trois députés centristes, deux socialistes et aucun nationaliste. Les nationalistes ne dépassent pas 15 p. 100 des voix, et la Navarre cherchera à devenir une communauté autonome par elle-même, comme sa voisine Euskadi.
La Communauté autonome d’Euskadi
Avec environ deux millions deux cent mille habitants, la Communauté autonome d’Euskadi regroupe les provinces d’Alava, de Biscaye et de Guipuzcoa et 75 p. 100 de la population totale du Pays basque. Elle est régie par le statut d’autonomie du 18 décembre 1979 qui avait été voté par référendum populaire le 25 octobre 1979. Ce statut résulte d’un compromis entre le P.N.V. et E.E. avec les forces politiques espagnoles dominantes, U.C.D. et P.S.O.E. (Parti socialiste ouvrier espagnol).
Le statut accorde au Pays basque une organisation politique comprenant un Parlement de soixante-quinze membres élus au suffrage universel, un gouvernement ayant à sa tête un président investi par le Parlement. Il reconnaît la langue et le drapeau basques. Les compétences accordées à la Communauté autonome sont importantes: transports, recherche, agriculture, industrie, urbanisme, logement, enseignement à tous les niveaux, création d’une télévision basque, avec deux chaînes, l’une en langue basque, l’autre en espagnol; mise en place d’une police autonome basque. Le statut reconnaît aussi les institutions des «territoires historiques», c’est-à-dire les provinces formant le Pays basque. Ces dernières disposent d’assemblées élues au suffrage universel et d’exécutifs provinciaux. À côté du statut d’autonomie, le Pays basque bénéficie d’un régime financier spécial, «l’accord économique». Ce dispositif, qui joue aussi en Navarre mais n’existe pas dans le reste de l’Espagne, permet à chacune des trois provinces de lever la totalité de l’impôt puis de le répartir ensuite entre l’État espagnol, le gouvernement basque, la province et les municipalités. En 1990, la répartition était la suivante: 11 p. 100 pour l’État espagnol, 48 p. 100 pour le gouvernement basque, 32 p. 100 pour les provinces, 9 p. 100 pour les municipalités.
Un premier Parlement basque a été élu au suffrage universel et à la représentation proportionnelle en 1980. Le P.N.V. y détient à lui seul la majorité absolue, H.B. refusant de siéger dans des institutions basques incomplètes, car elles n’incluent pas la Navarre. Le P.N.V. l’emporte à nouveau en 1984, mais le parti se divise en 1986, essentiellement pour des questions de personnes. La division entre P.N.V. et E.A. amène de nouvelles élections en 1986 au lendemain desquelles s’installe un gouvernement P.N.V.-P.S.O.E. avec un président de gouvernement P.N.V., J.A. Ardanza. Le renouvellement du Parlement basque en octobre 1990 est suivi de la constitution d’un gouvernement purement nationaliste conduit par le P.N.V. avec la participation de E.A. et E.E. Cette combinaison prend fin en septembre 1991, car E.A. s’associe à des motions indépendantistes que fait voter H.B., parti proche de l’E.T.A., dans de nombreux conseils municipaux. Un nouveau gouvernement conduit toujours par le P.N.V., parti le plus fort et gardant à sa tête J.A. Ardanza, est formé avec le P.S.O.E. et E.E.
La Communauté autonome basque est une collectivité puissante et exerçant de multiples compétences. Mais un taux de chômage de 15 p. 100 en 1991, le même que dans le reste de la Péninsule, et surtout la violence de l’E.T.A. assombrissent le bilan des nouvelles institutions.
La Navarre
La deuxième communauté autonome issue du territoire basque couvre le territoire du vieux royaume de Navarre dont les institutions ont toujours maintenu le particularisme. Ce particularisme a été accru par la position de la Navarre pendant la guerre civile et la faible influence du mouvement nationaliste dans les consultations électorales à l’époque postfranquiste. Contrairement aux trois autres provinces basques, la Navarre avait gardé une grande autonomie à la suite d’une loi de 1841 qui avait été maintenue sous le franquisme. Le statut d’autonomie, qui date d’août 1982, se présente juridiquement comme une «amélioration» du texte de 1841. Les institutions: Parlement, gouvernement, président du gouvernement, sont assez proches de celles du Pays basque. Il existe aussi un «accord économique» qui octroie une forte autonomie financière.
La spécificité navarraise par rapport au reste du Pays basque se retrouve davantage dans le système de partis que dans ses institutions. Pour des raisons historiques (enracinement du carlisme, population à 90 p. 100 hispanophone, choix franquiste lors de la guerre civile), le nationalisme basque est faible. L’ensemble des partis nationalistes basques obtient, selon la nature des consultations électorales, entre 20 et 25 p. 100 des voix. Les élections de 1987 avaient placé le P.S.O.E. à la tête du gouvernement navarrais. Celles de 1991 (tabl. 5) ont permis l’accession au pouvoir du parti autonomiste de centre droit, l’Union du peuple navarrais (U.P.N.), qui gouverne en solitaire avec Juan Cruz Alli pour président de l’exécutif. L’U.P.N. a passé un accord avec le Parti populaire, parti espagnol de centre droit, qui a conduit à la fusion sur place des deux organisations. Le sigle U.P.N. est le seul à être utilisé en Navarre, mais les élus U.P.N. à Madrid adhèrent aux groupes parlementaires du Parti populaire. C’est la fusion U.P.N.-Parti populaire qui a permis au centre droit de devancer de justesse le P.S.O.E. aux élections régionales de 1991.
La Navarre bénéficie d’une agriculture prospère, d’une industrie récente (datant des années 1950) et donc moins sujette à la crise que la vieille industrie de la Communauté basque. Mais son système de partis est instable. La minorité nationaliste est dominée par H. B. et sombre dans le radicalisme. Le socialisme est puissant mais vient de perdre le pouvoir, et le centre droit qui l’a repris demeure minoritaire au sein du Parlement navarrais. Son accession au gouvernement l’obligera à des alliances législatives pour faire adopter ses textes.
Le Pays basque français
La forte intégration des provinces basques françaises dans la République, grâce à l’appareil scolaire et administratif, ne s’est jamais démentie. Les conflits avec l’Allemagne ont encore renforcé cette adhésion des populations à la France. Néanmoins, le caractère rural de la population et l’action de l’Église ont beaucoup contribué au maintien de la langue basque.
Un déséquilibre s’est créé entre une zone rurale en régression (diminution de 40 p. 100 de la population en vingt ans pour certains cantons de montagne) et une expansion démographique certaine sur la côte. Il faut cependant signaler que cette expansion est due en grande partie à l’installation de nombreux retraités venus de l’extérieur plutôt qu’à un dynamisme propre.
Un courant nationaliste est né en 1960 autour de l’hebdomadaire Embata . Ce courant s’exprime en présentant des candidats avec la même étiquette aux élections législatives de 1967, où il obtient un peu moins de 5 p. 100 des voix. L’influence de l’E.T.A. amène une radicalisation du mouvement nationaliste. Si Embata (devenu Enbata ) est dissous en 1974, d’autres formations prennent le relais. Un groupement clandestin, proche de l’E.T.A., Iparretarak (Ceux du Nord), est créé en 1973. Il pratique la lutte armée; ses buts sont l’indépendance des sept provinces et le socialisme.
Quatre mouvements légaux se partagent les sympathies nationalistes. Eskerriko mugimundu abertzaleak (E.M.A.), mouvement de la gauche basque et proche d’Iparretarak; Eskual batasuna (E.B.) défend les thèses de l’E.T.A. et estime que l’emploi de la violence ne se justifie qu’en Pays basque espagnol, Eusko alkartasuna, le parti de Garaicoechea, et plus récemment le Parti nationaliste basque (P.N.B.) ont mis en place des sections en Pays basque français. Aux élections législatives de juin 1988, E.A., E.B. et E.M.A. ont présenté des candidatures communes qui y ont obtenu 5,7 p. 100 des suffrages exprimés. Ces suffrages proviennent surtout des zones rurales et bascophones. Les élections municipales de mars 1989 ont vu un certain progrès des nationalistes, ces derniers faisant leur entrée dans les conseils municipaux de Biarritz, de Bayonne et de nombreuses petites communes. Si elle est faible sur un plan politique, l’influence des nationalistes se fait davantage sentir dans les domaines économique, social et culturel.
3. La langue
La situation du basque
Le basque, appelé euskara ou eskuara par ses usagers, représente un parler pyrénéique qui, avant l’occupation romaine, s’étendit du golfe de Gascogne à la Méditerranée à travers la Catalogne septentrionale, occupant au nord l’Aquitaine, au sud une bonne partie de l’Aragon et de la Vieille-Castille, sans que l’on sache si, le long du littoral atlantique, il allait loin à l’est de la Biscaye.
Depuis, ses frontières se sont fort rétrécies. Actuellement, le basque n’est plus parlé que par 80 000 habitants dans les arrondissements de Bayonne et de Mauléon, en France; environ 600 000 personnes en usent en Guipuzcoa, Navarre et Biscaye, quelques villages en Álava et quelques milliers d’émigrés à travers le monde.
On distingue en général huit dialectes: le biscayen, le guipuzcoan, le haut-navarrais méridional et septentrional, le bas-navarrais occidental et oriental, le labourdin et le souletin; chacun d’eux comprend des sous-dialectes.
Uhlenbeck pensait que les antiques tribus des Pyrénées atlantiques parlaient des langues diverses qui se seraient rapprochées et apparentées par osmose au cours des siècles. Luis Michelena, au contraire, constatant que depuis le XVIe siècle les dialectes ont plutôt divergé, en conclut à l’existence d’une langue primitive plus unifiée.
Structure du basque
Malgré des variantes, on constate que les dialectes basques ont la même structure. En voici les principaux traits.
Phonétique
Le vocalisme est des plus simples, avec les cinq voyelles latines a, e, i, o, u en ouverture moyenne, sans brèves ni longues. Les consonnes sont aussi celles du latin, moins qu, v, x et z , mais avec en plus des dentales mouillées, un s gras et des affriquées (t plus sifflants); il faut y ajouter beaucoup d’aspirées qui se sont maintenues chez les continentaux, mais perdues chez les péninsulaires.
Vocabulaire
Le basque a peu de mots monosyllabiques; aucun ne se termine par une sonore ou une aspirée, aucun par -m ou -p ; les finales en -t ou -k sont généralement des désinences casuelles ou verbales. Le lexique n’est pas fixé comme en français: chacun fabrique nombre de mots composés, parfois à l’aide de préfixes, souvent à l’aide de suffixes, comme en turc; on a dit avec raison que la composition en basque relève de la grammaire plus que du dictionnaire. D’où pléthore de synonymes: on a calculé que 120 000 mots basques servaient à traduire 21 000 mots français.
Grammaire
Pas de genre grammatical, sauf dans les formes verbales de tutoiement; trois nombres, à savoir: l’indéfini, le singulier et le pluriel; une déclinaison à douze cas; un verbe à quatre auxiliaires et plusieurs semi-auxiliaires, présentant des formes unipersonnelles, bipersonnelles, tripersonnelles, etc.
La syntaxe est très souple, s’accommodant de la surdéclinaison, de la surconjugaison, du remplacement des relatives et conjonctions indo-européennes par la déclinaison des formes verbales; de plus, l’emploi des phrases nominales et elliptiques est fréquent.
Problème des affinités
Le problème des origines et des affinités de la langue basque a intéressé beaucoup de linguistes. L’état actuel de la documentation ne permet pas de découvrir un apparentement génétique ou généalogique de l’eskuara . En revanche, on a relevé des coïncidences du basque avec beaucoup de langues, sans que l’on puisse déterminer chaque fois s’il s’agit de hasard, d’emprunts, de sources communes préhistoriques ou autres.
On a cru longtemps, avec la tradition, que l’ibère était la forme ancienne du basque. Une bonne douzaine de sommités ont milité en faveur de cette thèse. Ainsi Schuchardt, le plus illustre, qui, pensant que les Ibères venaient d’Afrique septentrionale, rattachait basque et ibère au groupe chamito-sémitique. Mais L. Michelena fait remarquer que ni ibère ni basque ne connaissaient la «flexion interne» commune à l’arabe et au berbère. Et l’on sait qu’un célèbre article de Zyhlarz fit justice des comparaisons avancées par le maître de Gratz.
D’autre part, selon A. Tovar, sur un millier et quelques centaines de mots ibères qu’on a pu lire, 51 seulement ont pu être rapprochés du basque: or 5 coïncidences paraissent certaines, 12 probables, les 34 autres douteuses, alors que, sur environ 160 mots aquitains, une bonne trentaine coïncident vraiment avec des mots basques.
Néanmoins, selon Tovar, il n’est pas absurde de se pencher sur les affinités possibles du basque avec le berbère, et des savants comme Mukarovsky poursuivent leurs recherches dans la direction des langues nord-africaines.
Une thèse entrevue par le P. Fita, étudiée par Marr et Trombetti, reprise et développée notamment par Uhlenbeck, Dumézil, Bouda et Lafon, tend à apparenter le basque au groupe des langues caucasiques et peut-être à d’autres langues antiques de l’Eurasie comme le paléo-sibérien ou le finno-ougrien. Les partisans de cette opinion pensent avoir établi des concordances non seulement lexicales, mais phonétiques et morphologiques entre l’eskuara et les parlers du Caucase. Quant aux circonstances historiques qui auraient mis en contact Asiatiques et Pyrénéens, elles sont inconnues: on suppose que des immigrants d’Asie antérieure auraient introduit dans la zone cantabrique leur langue avec l’usage du cuivre, au second millénaire avant J.-C.
Meillet, Vogt et Michelena ont reproché à l’école caucasiste l’insuffisance de ses méthodes: elle compare, disent-ils, des mots, des morphèmes, des affixes tirés de n’importe quel dialecte, de n’importe quel siècle, selon les besoins de la thèse, au lieu de chercher des correspondances entre reconstructions du basque commun et du caucasique commun; aussi, ajoutent-ils, cette école n’a-t-elle, jusqu’ici, fourni aucune lumière sur la formation du basque.
L’influence latino-romane sur le basque est évidente: elle a duré deux mille ans. En voyant ce que sont devenus les mots latins et romans après emprunt, on peut établir selon quelles lois s’est faite l’évolution de l’eskuara ; on s’aperçoit aussi qu’au long des siècles ses structures essentielles ne se sont pas laissé entamer.
Quant aux quelques mots celtes, germaniques ou arabes égarés dans le vocabulaire basque, ils ne semblent pas être des emprunts directs, mais plutôt venir des langues voisines.
Il serait déplorable que cette langue vénérable, sous les coups d’une civilisation passionnée d’uniformité, fût condamnée à disparaître.
4. La littérature
Premières œuvres (XIVe et XVe s.)
Dans l’histoire des littératures, la poésie précède généralement la prose. Les Basques n’ont pas manqué à cette tradition.
À côté des «prières païennes» (impossibles à dater) au Soleil et à la Lune, et des premières «cantilènes chrétiennes» (également impossibles à dater), voici les Chants de guerre civile des XIVe et XVe siècles, racontant les luttes d’Oñaz contre Gamboa, de Gramont contre Beaumont, avec les batailles, incendies, sacs de villes et assassinats qu’elles comportent. Le plus beau est intitulé la Chanson de Bereterretche .
Voici encore les eresiak , complaintes familiales dialoguées entre femmes de haut rang, à l’occasion des mariages, deuils et autres célébrations: la plus renommée est Alos-torrea (La Tour d’Alos ). C’est un genre sans mièvrerie, chargé plutôt d’ironie féroce.
Vers 1450 a dû apparaître un théâtre populaire qui dure encore en Soule: il se rattache aux «mystères ruraux» qui ont jadis existé un peu partout en Europe. Les pièces tragiques s’appellent «pastorales», mais n’ont rien de commun avec celles du Tasse ou de Montemayor. Sans souci des trois unités, elles sont écrites en versets rimés qui se chantent sur une mélopée archaïque, et jouées selon des conventions originales. Les sujets s’en répartissent en huit cycles: Bible, Antiquité gréco-latine, hagiographie, légendes, récits d’aventures, chevalerie, histoire de France et histoire locale. Les pièces comiques sont des «farces charivariques» qui caricaturent la technique des pastorales.
Pour ce qui est des traditions, légendes et chansons folkloriques, le fonds en est ancien, surtout celui qui se réfère aux croyances et coutumes antérieures à la christianisation des Basques; mais précisément, on ignore quand le paganisme a vraiment disparu de chez eux. Deux opinions sont en présence: Gorostiaga, avec la tradition, admet l’organisation de centres chrétiens dans les villes romaines du Pays dès le IVe siècle, et l’achèvement de la christianisation avant l’an 900; Lacarra, avec bien des modernes, ne nie pas l’introduction ancienne du christianisme dans les milieux citadins, mais pense que les jentilak ou païens basques ont cohabité avec les convertis jusqu’à une date plus récente: d’aucuns voient dans la persécution des sorciers, terminée en 1609, la lutte contre ceux qui voulaient maintenir l’antique religion.
Les auteurs continentaux (XVIe et XVIIe s.)
En 1545 paraissent les Linguae Vasconum primitiae (Les Prémices de la langue basque ), un mince livret de Bernard Dechepare: en dépit de son titre latin, c’est le premier ouvrage imprimé en basque. Il annonce deux traits dominants de la future littérature continentale par son style populaire et sa versification syllabique rimée. Le contenu est surprenant: des poèmes religieux et des poèmes amoureux d’un réalisme parfois incroyable. On a rapproché Dechepare de l’Espagnol Juan Ruiz de Hita: tous deux furent archiprêtres, tous deux emprisonnés on ne sait pourquoi, tous deux pieux et naïvement obscènes. De telles grivoiseries ne paraîtront guère plus en basque que dans quelques farces, contes et chansons vulgaires.
En 1571, un tout autre livre est publié sur ordre de Jeanne d’Albret: une traduction du Nouveau Testament, par Jean Lissarrague, prêtre catholique passé au protestantisme; c’est un essai de langue interdialectale, à la morphologie archaïque et au vocabulaire très latinisé, alourdie par une syntaxe calquée sur ses modèles. Ce texte, capital pour les philologues, est illisible pour nos contemporains. En son temps, il fut résolument boycotté par la résistance anticalviniste.
L’entreprise de Lissarrague ne fut pourtant pas inutile: elle fit comprendre au clergé l’importance des langues vernaculaires pour l’apostolat. Plus tard, quelques laïcs y verront un nouveau mode d’expression.
Le XVIIe siècle fut, en Labourd (et un peu en Soule), une époque brillante, alors qu’ailleurs la bibliographie basque se réduit momentanément à des catéchismes rudimentaires.
Autour des bourgs labourdins de Sare et de Ciboure se multiplieront les livres religieux en vers, écrits par des hommes cultivés, des humanistes, qui constituent une chaîne d’amis très liés: leurs intentions sont didactiques, certes, mais ils sont heureux d’enrober de hautes pensées dans des formes artistiques: le poète le plus fécond de cette école est Joanes Etcheberri de Ciboure († 1638). Ce souci d’esthétique en théologie se retrouvera encore chez Gasteluçar, avec plus d’élégance, vers la fin du siècle, et ce sera fini.
La poésie profane au XVIIe siècle se présente en œuvres éparses, à l’exception du recueil d’Arnaud d’Oyhénart: Oten gastaroa (La Jeunesse d’O t ). L’illustre avocat et historien veut fonder sa versification sur l’accent tonique et la quantité des syllabes, observer partout l’élision et la synérèse: son système ne sera agréé par personne. En revanche, le purisme lexical dont il fait montre en chantant les belles qui hantèrent sa jeunesse est appelé à ressusciter.
En prose basque, Oyhénart a publié des proverbes qui prennent place parmi d’autres répertoires d’aphorismes parus avant et après lui.
La prose au XVIIe siècle traite aussi de navigation, d’art vétérinaire, de grammaire, et surtout de religion: les traductions d’ouvrages spirituels commencent une longue carrière. Mais le grand livre du XVIIe siècle est Guero (Après ) d’Axular (1643): c’est un ouvrage ascétique sur le délai de la conversion, débordant de psychologie pratique; les analyses des vices qui enchaînent l’homme y sont puissantes, et les remèdes proposés à la portée de tous. Il n’est pas étonnant que la «Collection des spirituels espagnols» publiée à Barcelone ait accueilli Axular à côté de Raymond Lulle, Louis de Grenade, Thérèse d’Avila. L’ouvrage, pour le style, est très Renaissance par le goût des citations antiques et des synonymes accumulés, mais également populaire par les expressions du terroir et les allusions locales. Il est considéré comme l’un des chefs-d’œuvre, sinon le chef-d’œuvre de la littérature basque.
Le siècle de Larramendi (XVIIIe s.)
Le XVIIIe siècle basque-français est pâle en comparaison du XVIIe. Le nombre des auteurs et des livres n’a certes pas diminué, au contraire. Il serait injuste de ne pas estimer la langue claire et solide des Haraneder, Larréguy, Maïster, etc. Mais ils n’ont fait que des traductions. Pas de recueils de poésies: quelques cantiques anonymes, des chansons de Mardo et de quelques autres improvisateurs, et c’est tout. Deux auteurs ont seuls de l’originalité: Martin de Harriet, qui se sert du basque pour enseigner le français, et Joanes Etcheberri de Sare, qui veut de la même façon enseigner le latin. Ce dernier a, d’autre part, écrit un livre important, Eskuararen Hatsapenak (Principes de la langue basque ), œuvre érudite développée en beau labourdin.
À la fin du siècle, à l’occasion de la Révolution française, la politique fera son apparition en littérature continentale: affiches, chansons, tracts, polémiques.
En Pays basque péninsulaire, à une certaine apathie succède une sorte de réveil. Il est dû d’abord à de nombreux panégyristes de la langue qui ont «chauffé» l’opinion, mais surtout à l’élan déclenché par le R.P. Larramendi ; le célèbre jésuite fut, à lui seul, toute une «Pléiade»: dans ses polémiques, il défendit le basque contre ses détracteurs; ensuite il l’illustra en publiant un dictionnaire et une grammaire basques.
Dans son sillage, mais avec originalité, une nouvelle génération va beaucoup écrire. Trois noms dominent: Cardaveraz, Mendiburu, Ubillos, qui ont rédigé environ dix volumes chacun. Les thèmes sont généralement religieux. À signaler cependant une comédie bilingue, El Borracho burlado , et une pièce de Barrutia qui déborde le thème de Noël dont elle porte le nom.
Détail caractéristique: alors qu’en France on vit sous le signe de l’Encyclopédie et qu’en Espagne on parle de La Ilustración, les textes basques ne disent mot sur les «idées nouvelles» du XVIIIe siècle, ni pour les lancer, ni pour les combattre.
Trois nouvelles étapes (XIXe s.)
Le XIXe siècle va marquer un progrès de la littérature basque en trois étapes. Le premier tiers du siècle s’ouvre sous le signe de Guillaume de Humboldt qui a découvert la «civilisation primitive» des Basques: il vient l’étudier sur place et, par ses écrits, la met à la mode dans les milieux romantiques. Cette ambiance favorise les lettres basques: en 33 ans il paraît plus de livres que pendant les 255 ans qui précèdent. Aux œuvres religieuses solides se joignent désormais des poésies originales (Camoussarry, Monho), des fables, des collections folkloriques, des travaux linguistiques, et un chef-d’œuvre biscayen, le Peru Abarka de Moguel; il était temps, car la Biscaye n’avait guère brillé jusque-là.
La deuxième étape va bénéficier du patriotisme surexcité par l’aventure carliste et la perte des fueros , mais surtout de l’action de trois chefs de file: Francisque Michel, initiateur des études littéraires basques; le prince Louis Lucien Bonaparte, père de la dialectologie euskarienne; Antoine d’Abbadie, organisateur des concours de poésie qui révélèrent tant de talents. Du coup, la production imprimée va plus que doubler et des voies nouvelles s’entrouvrir: presse périodique, romans, essais historiques et politiques. Des poètes surtout apparaissent, aussi différents que Etchahun, l’écorché en révolte; Vilinch, l’écorché toujours tendre; J.-B. Elissamburu, le romantique; Iparraguirre, le barde patriote; ou encore des prosateurs comme le capitaine Duvoisin, le P. Uriarte, Gregorio de Arrue.
La troisième partie du XIXe siècle va être orientée par quatre principaux foyers: à Saint-Sébastien rayonne Manterola avec la revue Euskal-erria et ses jeux Floraux; à Larressore (Labourd), J. Hiriart-Urruty avec l’hebdomadaire Eskualduna ; à Bilbao, Azkue avec la revue Euskalzale , et aussi, dans la direction nationaliste et puriste, Sabin Arana. Les ouvrages continuent à paraître à la même cadence; la prose devient plus alerte: elle se débarrasse des calques romans dont l’avaient alourdie les traducteurs; elle est plus personnelle, plus vivante, plus variée. C’est l’heure des Adéma, Lapeyre, Arbelbide, P. Arrese, Joannategui, etc.
L’époque contemporaine (XXe siècle)
Affirmation d’une identité
Le mouvement littéraire amorcé au XIXe siècle par l’influence qu’ont exercée des hommes tels qu’Antoine d’Abbadie et Gabriel Manterola va se doubler, au XXe siècle, d’un mouvement politique – c’est la naissance, en 1895, du Parti nationaliste basque – qui ne va cesser de prendre de l’ampleur jusqu’à nos jours. Déjà, le congrès de la tradition basque, organisé par la Société d’ethnographie française en 1897 à Saint-Jean-de-Luz, marque une avancée de la recherche qui regroupe des savants de l’ensemble du Pays basque. À la suite de ce congrès vont se faire jour des réalisations communes dont il convient de souligner l’importance. La première est la création en 1901 d’Euskaltzaleen Biltzarra (Association des amis de la langue) qui a pour but d’établir une orthographe commune, d’œuvrer pour le développement littéraire des deux côtés de la frontière, de promouvoir la langue ancestrale. Très rapidement, les disciples d’Arana Goiri, le créateur du Parti nationaliste basque, manifesteront leur volonté de prendre des décisions radicales. La deuxième réalisation unitaire sera la création en 1907 de la Revue internationale des études basques destinée à rassembler, par-delà toutes les frontières, tous les chercheurs qui s’intéressent à la culture basque. Il suffit de lire la liste des collaborateurs qui, jusqu’en 1936 – la guerre civile interrompit la publication –, apportèrent leur participation pour se rendre compte que l’un des buts du fondateur de la revue, Julio de Urquijo, était atteint, à savoir, donner à la recherche basque un niveau scientifique auquel elle n’était jamais parvenue. La troisième initiative est la naissance de l’Académie de la langue basque, Euskaltzaindia, créée par les quatre Diputaciones d’Alava, de Biscaye, de Guipuzcoa et de Navarre, à la suite du premier congrès des études basques qui eut lieu à Oñate en 1918. L’Académie regroupe des membres des sept provinces, les dialectes de l’ensemble du Pays basque devant y être représentés, et elle se donne pour but, en particulier, de rechercher et de formuler les lois grammaticales de la langue basque, d’inventorier son lexique, de travailler pour la formulation d’un langage unifié dans son lexique, sa grammaire, sa graphie, enfin de promouvoir la langue. Là encore, la guerre civile de 1936 arrêta ses travaux. Mais, à la suite du congrès d’Aranzazu (1968) et de son officialisation par un décret royal de 1976, l’Académie a travaillé sur un dictionnaire général, sur une grammaire et a mis en chantier l’atlas linguistique du Pays basque. Les efforts vers l’unification ont déjà porté leurs fruits, l’orthographe commune étant entrée dans les mœurs ainsi que la déclinaison et les verbes auxiliaires. Euskaltzaindia est, sans nul doute, un ferment d’unité, et les écrivains basques ont plus que jamais conscience d’appartenir à une communauté linguistique et culturelle.
La coupure de la guerre civile
Le mouvement culturel se développe surtout à partir des années 1920 à travers les différents congrès d’études basques et diverses associations ou revues telles que Gure Herria (Notre Pays) à Bayonne, ou encore la revue Yakintza , dont l’animateur infatigable J. de Ariztimuño (Aitzol est son nom de plume) paiera de sa vie son engagement politique et littéraire: il fut parmi les dix-huit prêtres basques fusillés par les franquistes. Parmi les poètes regroupés autour de cette revue, Lizardi (pseudonyme de José Maria de Aguirre, 1896-1933) compte parmi ceux qui, ouverts aux courants littéraires de l’extérieur, s’engagent résolument dans les voies nouvelles. Dans le droit fil du courant araniste, il a cherché la perfection dans ses écrits. La quête de la beauté a été son souci principal, celle du paysage basque décrit avec amour, celle des sensations raffinées, des notations que sa sensibilité frémissante captait et restituait. Dans le recueil intitulé Biotz begietan (Aux yeux du cœur ), l’intimisme l’entraîne vers un monde dont les quatre saisons s’animent en une mythologie remarquable. Il n’est pas un poète facile car la richesse de sa pensée l’a poussé vers une concision lyrique que son purisme a redoublé. Trop tôt disparu, il marquera néanmoins la poésie basque du XXe siècle.
De la même génération que Lizardi, Esteban de Urquiaga (Lauaxeta en littérature, 1905-1936) a eu, comme Federico García Lorca qu’il connaissait et comme Aitzol, une même fin tragique. Très fin connaisseur des littératures étrangères, influencé par le poète andalou tout comme par Verlaine, il ouvre à la poésie basque des voies nouvelles. Son purisme en fait un auteur difficile, mais Bide barrijak (Chemins nouveaux ) et Arrats beran (Au crépuscule ) le consacrent comme un grand poète à la vie, hélas, tragiquement écourtée.
En Pays basque de France, la figure la plus importante est celle de Jules Moulier (Oxobi en littérature, 1888-1958). Il est certainement le meilleur fabuliste basque. Si son modèle est La Fontaine, il n’est jamais le traducteur du fabuliste français. Ses animaux vivent dans un cadre basque, et peu d’auteurs auront autant que lui utilisé toutes les ressources de la langue à travers les jeux de mots, les allitérations, les onomatopées, réalisant ainsi une œuvre pleine de fraîcheur.
Si le Basque a la fibre poétique, il n’a pas, jusqu’au XXe siècle, donné jour au genre romanesque tant en vogue en Europe au siècle précédent. Des tentatives honorables sont à signaler cependant: celle de Domingo de Aguirre (1864-1920), auteur de Kresala (Eau de mer ), qui restitue l’ambiance des ports de pêche de la côte cantabrique, ainsi que de Garoa (La Fougère ), où est évoquée la campagne, la vie rurale dans toute la force de la tradition. En Pays basque de France Jean Barbier (1875-1931) publie Piarres (Pierre), essai plus ethnographique que véritable roman. La prose est cependant illustrée par Jean Etchepare, qui cultive l’essai philosophique, en particulier dans l’ouvrage intitulé Buruxkak (Les Glanes ), où les pensées sont affirmées en un style devenu classique que l’on retrouve dans Beribilez (En automobile ), où est décrit un voyage à travers le Pays basque profond.
La guerre civile de 1936-1939 puis la Seconde Guerre mondiale seront un coup d’arrêt tragique porté à l’évolution de la littérature basque. Le Pays basque d’Espagne est plongé dans la nuit de la répression franquiste, les exilés sont dispersés à travers le monde entier. Ce n’est que lentement que se marquera le réveil.
Orixe établit le lien entre la génération d’avant guerre et l’autre. Il a connu aussi bien Lizardi que Lauaxeta, et il a appartenu au même courant. Exilé en 1937, il a publié plus tard son grand poème intitulé Euskaldunak (Les Basques ), vaste tableau intemporel du peuple basque. Très influencé par Virgile, il a voulu en quinze chants et douze mille vers écrire le maître poème de la terre basque. Œuvre ambitieuse sans nul doute dans laquelle on trouve de remarquables réussites.
La littérature de l’après-guerre
La renaissance de la littérature basque sera illustrée par la poésie. Nemesio Etxaniz en Guipuzcoa rallume le flambeau, tandis que le bénédictin Iratzeder (R. P. Xavier Diharce) s’inquiète de l’âme basque, de son devenir, de son lien avec Dieu: quête incessante dans une poésie au style fluide. Dans les années 1950, Jon Mirande, Basque né à Paris, fait entrer dans ses poésies un souffle de sensualité jusqu’alors inconnu. Volontiers provocateur, il apparaîtra rapidement comme le chef de file de la génération des années 1960. Il est relayé en ce sens par Gabriel Aresti, mort aussi prématurément, et toute une pléiade de jeunes auteurs regroupés autour de la revue Olerti : Mikel Lasa, Xavier Lete, José Azurmendi... Très ouverts à la poésie et aux courants européens, ces écrivains évoquent, souvent à mots couverts, les thèmes de la justice et de la liberté. La mort du pasteur Martin Luther King, par exemple, est célébrée et, par transparence, est évoqué le combat d’un peuple pour sa libération. Il est vrai que la censure, pourtant tatillonne, s’exerce moins en poésie que dans les autres genres littéraires plus populaires.
Les timides essais de théâtre avant la tourmente ont ouvert la voie à deux auteurs qui, à partir des années 1950 produiront quelques œuvres de qualité. Telesforo de Monzón, ministre de gouvernement basque en exil, est le poète de Urrundik (De loin ) qui sait accorder sa fibre poétique à son théâtre plein de nuances. À côté de lui, Pierre Larzabal est certainement beaucoup plus fécond. Il plonge dans l’histoire basque avec Matalas et Ibañeta , et utilise la révolte du curé souletin contre les troupes de Louis XIV, ou encore les hauts faits d’armes des Basques à Roncevaux pour exalter le patriotisme basque, cet «abertzalisme» qui court à travers tous ses écrits. Car la littérature de l’après-guerre se veut patriote, c’est-à-dire profondément engagée dans la lutte du peuple basque.
Parallèlement à l’essor du théâtre classique, un autre genre, traditionnel pourtant, retrouvera une nouvelle jeunesse. Il s’agit de la pastorale, théâtre psalmodié, introduit en Soule depuis le XVe siècle apparemment. Longtemps cantonnée dans les thèmes religieux (vies de saints, etc.), la pastorale s’est tournée vers l’histoire profane et vers l’histoire de France au XIXe siècle. La seconde moitié du XXe siècle lui donnera un souffle nouveau. Pierre Bordaçarre, dit Etxahun, l’oriente vers l’histoire du Pays basque en évoquant la vie de poètes basques ou de rois de Navarre. Junes Casenave, lui, délaissera la vie des héros pour une pastorale de type nouveau, où le protagoniste est davantage une entité, comme le village de Sainte-Engrâce dans la pastorale Santa Grazi , ou encore le peuple basque combattant dans Ibañeta . Ce théâtre populaire obtient un grand succès: on accourt de tous les coins du Pays basque pour assister pratiquement tous les deux ans à des créations nouvelles depuis 1953, date de la première nouvelle pastorale.
La veine romanesque reste toujours au second plan. Pierre Narbaitz dans Kattalinen gogoetak (Les Pensées de Catherine ) illustre le changement de civilisation au sein du paysage rural basque à travers les réflexions d’une maîtresse de maison. La nouvelle vague, avec Jon Etxaide et Txillardegi (José Luis Alvarez Enparantza), s’ouvre sur le roman moderne et même sur le nouveau roman avec Ramón Saizarbitoria et Luis Haranburu Altuna. L’essai est, lui, toujours en vogue. On veut, en effet, exprimer tous les concepts en basque. L’essai politique (Ricardo Arregui), philosophique (Zaitegi, Pierre Lafitte, José Azurmendi), linguistique (Luis Michelena), la critique littéraire montrent bien que la langue basque est un authentique instrument de culture.
On ne peut passer sous silence l’essor du «bertsolarisme» (improvisation) en cette fin du XXe siècle. Ce genre littéraire oral a été illustré par de remarquables improvisateurs, tels Basarri, Uztapide, Xalbador, Lopategi, Amuriza. Les joutes poétiques ont la faveur du public. Il existe en effet entre l’improvisateur et son public une complicité, une connivence dans la satire ou encore l’exaltation de l’«être-basque» qui donne à ce genre une originalité incontestable.
En fait, on écrit de plus en plus en basque. L’édition est en plein développement, avec plus de six cents livres publiés par an. Des hebdomadaires et des revues existent des deux côtés de la frontière, et l’existence d’un gouvernement autonome basque à la suite du statut d’autonomie de 1979, et grâce à l’action du ministère de l’Éducation ou de la Culture, n’est pas étrangère à cet essor.
On remarquera que dans tous les genres littéraires, que ce soit la poésie, le roman, le théâtre, la pastorale, le bertsolarisme, la chanson, l’affirmation basque est latente. En ce sens, les écrivains et les poètes ne font qu’exprimer le désir d’un peuple qui veut aller jusqu’au bout de sa création et réclame le droit à la culture dans sa propre langue, l’euskara .
● basques nom féminin pluriel Pans ouverts rapportés au dos de la jaquette masculine, allant de la taille aux genoux. ● basques (expressions) nom féminin pluriel Familier. Se pendre, s'accrocher aux basques de quelqu'un, l'accompagner partout ; ne pas le quitter.
Encyclopédie Universelle. 2012.