SOIF
La soif est un état d’éveil spécifique du système nerveux central, associé à une perception subjectivement discriminée chez l’homme. Induite par un déficit hydrominéral de l’organisme, elle conduit l’animal à boire un volume de liquide approprié à la correction du déséquilibre. Ce déséquilibre, rapidement fatal s’il n’est corrigé par un apport oral de boisson, tend constamment à s’établir en raison des pertes de l’eau corporelle. Ces pertes sont dues à l’excrétion rénale et au rôle qu’y joue l’eau dans l’excrétion de solutés tels que l’urée, à l’évaporation pulmonaire, à la perspiration insensible cutanée et surtout à la sudation dans laquelle l’eau, en ambiance chaude et durant le travail musculaire, est nécessaire au refroidissement du moteur corporel et à l’homéothermie. Cette eau corporelle, qui constitue, à l’équilibre, environ 70 p. 100 du poids, est répartie en deux compartiments semi-communicants: les compartiments extracellulaire et intracellulaire. L’hémiperméabilité des membranes cellulaires aux ions K+ et Na+ est responsable, par suite d’un équilibre des pressions osmotiques, d’une répartition fixe de l’eau dans les deux compartiments. Une baisse ou une élévation relatives de la pression osmotique dans l’un ou l’autre des deux compartiments entraîne, par un déséquilibre de distribution, un déficit limité à l’un des compartiments. Ce déficit, associé ou non à un déficit total de l’eau corporelle, requiert, pour sa correction rapide, la consommation orale d’eau ou de chlorure de sodium (NaCl). L’alimentation solide, par la surcharge osmotique importante qu’elle introduit, est l’une des causes de ce déséquilibre de distribution exigeant la boisson.
La régulation neuroendocrinienne de l’excrétion rénale de l’eau et des électrolytes contribue passagèrement à la correction de ces déficits totaux ou partiels de l’eau corporelle. Elle influence la régulation principale assurée par la soif et le comportement d’ingestion de liquides, et elle est influencée par elle. Des travaux expérimentaux relativement récents ont permis de montrer que la soif est éveillée par l’action sur le système nerveux central de stimuli humoraux de deux natures différentes: la déshydratation cellulaire , due à l’élévation de pression osmotique relative du plasma, et l’hypovolémie , constituée par une diminution du contenu en eau, quelle qu’en soit la cause, du compartiment extracellulaire. Le premier de ces stimuli internes est à l’origine d’une soif osmotique , le second, de la soif hypovolémique ou extracellulaire. La nature exacte de ces stimuli humoraux, leurs seuils d’action, mécanismes et sites de détection dans le système nerveux central sont actuellement élucidés ou soupçonnés. Ils dirigent des réponses comportementales d’acceptation et de consommation relatives d’eau et de solutions de NaCl, adaptées à la correction des déficits dont ils sont le reflet. Les mécanismes de cette «conduite» adaptée du comportement, et en particulier de la désaltération ou satiété hydrique, font intervenir au niveau de la bouche et de l’estomac l’activité sensorielle des liquides bus.
La soif et la réponse dipsique: description
Une série de symptômes manifestent la soif. Bien que très influencé, comme on le verra, par la prise d’aliments, cet état est néanmoins spécifique et distinct de la faim. Il est éveillé pas des stimuli internes différents. Pour déclencher, soutenir et rassasier le comportement d’ingestion, il rend actifs ou «récompensants» des stimuli externes spécifiques différents de ceux qui sont promus par la faim. Privé d’eau, l’animal d’expérience apprend en effet à s’en procurer, par exemple par pression sur un levier; en revanche, il n’apprend pas, lorsqu’il est assoiffé, la réponse instrumentale que récompense la délivrance d’un aliment solide. Chez l’homme adulte, les composantes du complexe perceptif de la soif sont clairement distinctes de celles de la faim. Les éléments gastriques et abdominaux sont absents. La composante principale est buccale: sensation de sécheresse et de constriction perçue au niveau du pharynx, de la glotte et de la langue.
Le stimulus, dit naturel, éveillant la sensation de soif et conduisant à la recherche et à la consommation d’eau est constitué, en première approximation, par la privation hydrique et par le déficit qu’elle introduit dans le bilan des entrées et des pertes d’eau de l’organisme. La quantité d’eau bue en un temps bref (5 mn, par exemple) varie chez le rat (fig. 1) en fonction du temps de privation préalable (P. S. Siegel, 1947). Chez le chien privé d’eau, la réponse dipsique, mesurée par le volume d’eau bue, est proportionnelle au déficit (la perte de poids étant utilisée comme mesure du déficit hydrique). Le chien, en quelques minutes et d’un seul trait, ingère une quantité d’eau rétablissant son poids.
La perte d’eau obligatoire, en l’absence d’un apport concomitant de boisson, crée donc, et de façon cumulative avec le temps, les conditions dites naturelles de la soif et d’une réponse quantitative adaptée de consommation. Toute perte supplémentaire – qui, pour les besoins de la régulation thermique, peut être massive – sera suivie d’une stimulation additionnelle se traduisant par une soif plus intense chez l’homme et une prise d’eau accrue. Jusqu’à l’achèvement de cette réhydratation, l’eau, même bue en grande quantité et dans un temps bref, ne provoque pas la diurèse aqueuse. Au-delà, l’ingestion forcée chez l’homme, ou par tubage chez l’animal, entraîne la décharge rénale de surhydratation. La satiété intervient donc à la limite exacte de l’excès que signale la décharge urinaire qui en assure la correction.
Sous l’effet du stimulus de privation, l’exécution de cette réponse dipsique a été étudiée en détail sur l’animal grâce à divers instruments d’enregistrement de la consommation (potomètres). Quelle que soit la durée de la privation préalable, le rat boit suivant une fréquence constante de lampées, six à sept par seconde (E. Stellar et J. H. Hill, 1952). Disposant d’eau ad libitum et nourri, il boit ainsi à traits continus, séparés d’intervalles plus ou moins longs. 85 p. 100 de ces traits, ou prises unitaires, sont compris entre 0,5 et 2,5 ml (H. R. Kissileff, 1968). Sous l’effet d’un stimulus intense de privation, la configuration des traits et de leurs intervalles est modifiée de façon caractéristique: la durée et le volume de chaque trait, ainsi que la fréquence de la répétition des lampées, sont augmentés. Chez le chien, également nourri et abreuvé ad libitum , la durée et le volume des traits ou des lampées sont très constants pour chaque animal. La variation interindividuelle et intra-individuelle est due essentiellement aux différences du nombre, et non du volume, de ces «repas» d’eau. Ce seul fait suggère (ce que confirmera l’étude des mécanismes humoraux) que le comportement est déclenché à un seuil constant du déséquilibre et qu’il est arrêté par la restauration de ce déséquilibre due à l’ingestion d’un volume constant (E. J. Towbin, 1955).
Chez le rat comme chez le chien, l’enregistrement continu des quantités d’eau et d’aliments consommés durant vingt-quatre heures a permis de constater l’étroite relation temporelle et quantitative entre la prise d’eau et celle d’aliments (M. I. Gregersen, 1932; J. T. Fitzsimons, 1957; Fitzsimons et J. Le Magnen, 1969; Kissileff, 1969). Chez le chien, 90 p. 100 de l’eau bue dans la journée sont pris immédiatement après la consommation des aliments. La suppression de ces derniers réduit de 70 p. 100, ou plus, la prise de boisson. Lorsque la disponibilité de l’eau est supprimée durant les repas, puis rendue une heure ou deux après chacun d’entre eux, le chien réduit également de façon considérable sa prise d’eau sur vingt-quatre heures. La même concomitance de la prise d’eau et d’aliments est observée chez le rat. 20 p. 100 de l’eau des vingt-quatre heures sont bus avant, 8 p. 100 pendant et 57 p. 100 après les repas solides (Kissileff, 1968). Cette relation n’est pas seulement temporelle. La quantité d’eau absorbée au cours de chaque repas est proportionnelle à la quantité d’aliments solides ingérés (Fitzsimons et Le Magnen, 1969; fig. 2). Ce rapport constant réalisé durant chaque repas entraîne un rapport également constant de la prise d’eau et d’aliments sur vingt-quatre heures (J. L. Strominger, 1946-1947). Ce rapport varie avec la nature des aliments offerts; il augmente en particulier avec la contenance du régime en NaCl. Chaque gramme de NaCl provoque une prise additionnelle d’environ 70 ml d’eau.
Comme la prise alimentaire, la prise d’eau révèle un cycle nycthéméral très accentué; ainsi, chez le rat (animal nocturne), 90 p. 100 de l’eau sont bus la nuit. Ce cycle nuit-jour de la prise d’eau n’est pas seulement l’effet du cycle nycthéméral de la consommation des aliments. Lorsque les aliments sont supprimés, la prise d’eau résiduelle est encore maximale la nuit chez le rat (Fitzsimons, 1957).
Chez l’homme, des phénomènes parallèles sont communément observés, mais ils n’ont fait l’objet d’aucune étude systématique. Le sujet humain, suivant le cas ou l’individu, paraît boire soit à grands traits continus jusqu’à désaltération ou satiété complète, soit par petits traits, ou lampées, successifs. Suivant une habitude alimentaire quasi universelle, suggérant son mécanisme physiologique, la prise de boisson est concomitante du repas d’aliments et varie grossièrement avec la dimension de celui-ci.
Les stimuli humoraux de la soif
Les situations hydro-osmotiques, ou stimuli humoraux, responsables de l’éveil central de soif et de la réponse comportementale sont actuellement, contrairement à celle de la faim, bien identifiées. Deux situations distinctes déclenchent deux types de soif. La première est la déshydratation cellulaire due à une augmentation de la pression osmotique dans le compartiment extracellulaire (liquides circulants). Ce «déséquilibre de la répartition» induit la soif osmotique . Sous l’effet de cette dernière, la réponse aux stimuli externes manifestée par les préférences entre eau et solutions salées de NaCl est différente de celle qu’entraîne la seconde situation métabolique: celle-ci est constituée par la diminution du volume du compartiment extracellulaire indépendamment d’une élévation ou d’une baisse de sa pression osmotique normale (isotonicité); la soif ainsi engendrée est dite hypovolémique ou extracellulaire. Durant la privation, ces deux stimuli internes de la soif s’additionnent (fig. 3).
Déshydratation cellulaire et soif osmotique
En 1901, A. Mayer, puis H. Wettendorf suggéraient les premiers que la soif et la réponse dipsique sont provoquées par l’élévation de la pression osmotique du milieu extracellulaire. Inspiré par les travaux initiaux de J. L. Gamble et son équipe (1929), A. Gilman (1937) apporte la démonstration complète qu’une hyperosmolarité du plasma, à condition qu’elle soit suffisante pour entraîner une déshydratation intracellulaire, est un stimulus de soif. Gilman compare, sur le chien, l’effet de l’injection de deux solutions isosmotiques de NaCl et d’urée. Il constate que, dans le premier cas, l’hyperosmolarité plasmatique, due au fait que le NaCl ne pénètre pas dans les cellules, est associée à une déshydratation cellulaire provoquant une extension du compartiment vasculaire et interstitiel. En revanche, dans le second cas, l’urée pénètre librement dans les cellules; l’élévation de pression osmotique n’est pas limitée au compartiment extracellulaire et, par suite, le déséquilibre de la répartition de l’eau entre les deux compartiments n’est pas réalisé. Or, après administration de la solution de NaCl, le chien boit, en quinze minutes, près de trois fois le volume d’eau ingérée après injection d’urée.
On a pu confirmer de multiples façons cet effet du NaCl sur la réponse dipsique comme étant facteur d’une élévation effective de pression osmotique plasmatique et de déshydratation cellulaire. Le volume d’eau bue ne dépend que de la quantité «de sel ingéré ou injecté» et non de la concentration de la solution (fig. 4). L’eau bue représente en moyenne 60 à 70 p. 100 de l’eau nécessaire pour réduire l’hypertonie plasmatique au niveau de l’isotonicité. On a déterminé le seuil d’hyperosmolarité efficace pour déclencher le comportement de soif. On le calcule en terme de réduction du volume cellulaire sous l’effet de la déshydratation de ce compartiment. Ce seuil est de 1,2 p. 100 chez l’homme (A. V. Wolf, 1950).
Complétant les recherches de Gilman, on démontre que la déshydratation cellulaire, indépendamment d’une perte rénale d’eau, constitue le vrai stimulus. En effet, les rats néphrectomisés boivent autant, sinon plus, que les rats normaux après administration de solutions de NaCl et de divers solutés (Fitzsimons, 1961; fig. 5). Chez le rat normal, la diurèse est, pour l’essentiel, postérieure à la prise de boisson. Celle-ci réalise donc une surhydratation temporaire régulant le déséquilibre de distribution. Cet excès d’eau corporelle est ultérieurement évacué par le rein avec l’excès de NaCl (diurèse osmotique).
Hypovolémie et soif hypovolémique
La suggestion que la réduction du volume extracellulaire constitue un second stimulus du comportement dipsique est ancienne. On constatait que, durant la privation d’eau, la seule hyperosmolarité plasmatique ne rendait pas compte des réponse dipsiques. Chez le rat, pour une même élévation de pression osmotique, obtenue soit par soixante heures de privation, soit par administration de NaCl, la quantité d’eau bue en deux heures est deux fois plus élevée dans le premier cas. Un autre stimulus ajoute donc son action à celle de l’hyperosmolarité pour induire la soif sous l’effet de la privation. Des expériences symétriques de celles de Gilman ont démontré que ce stimulus était l’hypovolémie. La diminution de la pression osmotique de plasma par dialyse du NaCl entraîne, par déplacement de l’eau vers le compartiment intracellulaire, une expansion de ce compartiment aux dépens du volume vasculaire. Fitzsimons démontre, en 1961, que c’est cette réduction du volume vasculaire et non l’hypo-osmolarité qui constitue le stimulus de la soif. Une diminution du volume vasculaire sans réduction de la pression osmotique (obtenue par injection intrapéritonéale de polyéthylène glycol; fig. 6) déclenche la prise d’eau du rat. Le même auteur a apporté, en 1971, de forts arguments en faveur du rôle de la rénine, sécrétée par le rein en hypotension, et de l’angiotensine qui en dérive comme stimulus des détecteurs centraux de l’hypovolémie. L’angiotensine agirait comme une sorte d’hormone de la soif extracellulaire.
Les récepteurs internes et les centres dipsiques
L’existence du stimulus osmotique de la soif implique qu’il existe, quelque part dans l’organisme, des cellules spécialisées, les «osmocepteurs», qui répondent soit à la réduction de leur propre volume, soit à l’élévation de la pression osmotique effective de leur environnement, et transmettent cette information au système nerveux central. La présence de récepteurs internes répondant à l’élévation de pression osmotique plasmatique était également postulée pour rendre compte des décharges posthypophysaires d’hormone antidiurétique et du contrôle de la réabsorption rénale d’eau. L’administration intracarotidienne ou intrahypothalamique de solutions hypertoniques de NaCl a permis de démontrer, par les réponses de prises d’eau déclenchées, que les osmocepteurs de la soif sont localisés dans l’hypothalamus (B. Andersson, E. M. Blass et A. N. Epstein, 1970; fig. 3). Ainsi, après injection dans l’hypothalamus médian de 0,01 ml d’une solution de NaCl à 2 p. 100, une chèvre, préalablement rassasiée, boit jusqu’à 6 litres d’eau en une heure (Andersson, 1953, 1955). Le recueil des décharges de neurones hypothalamiques en réponse à de telles injections a confirmé cette localisation (B. A. Cross et J. D. Green, 1959; D. Novin, 1962; C. McBrooks, S. Nicolaïdis, 1969).
Les variations du volume sanguin (volémie) sont enregistrées par des récepteurs qui permettent la régulation de la pression artérielle. Les agents humoraux impliqués dans le contrôle de celle-ci (facteur atrial natriurétique, angiotensine, aldostérone) interviennent également dans l’induction de l’éveil central de soif. L’angiotensine, à très faible dose dans l’hypothalamus, déclenche le comportement de soif (Epstein et Fitzsimons, 1970).
Des expériences de lésions localisées et de stimulations électriques ou chimiques dans le système nerveux central ont permis d’identifier les circuits neuronaux mis en action par les systèmes détecteurs. Il a été confirmé, après une étude initiale de D. G. Montemurro et J. A. F. Stevenson (1955-1956), qu’une lésion de la région latérale de l’hypothalamus induit une adipsie irréversible. Le stimulus osmotique et le stimulus hypovolémique deviennent inefficaces à provoquer la soif et la prise d’eau. L’animal meurt de déshydratation, malgré la disponibilité de l’eau à laquelle il ne touche pas. En revanche, la stimulation électrique de cette région, ou son autostimulation par le rat lui-même, entraîne une polydipsie considérable (G. J. Mogenson, 1966). Des lésions dans la région latérale préoptique produisent, contrairement à la lésion latérale hypothalamique, une adipsie limitée à l’action du stimulus osmotique. Ce fait confirme, au niveau des centres, la distinction de deux soifs (Blass et Epstein, 1971). D’autres lésions hypothalamiques provoquent des polydipsies. Celles-ci sont, dans le cas du diabète insipide expérimental, de simples conséquences secondaires de la polyurie. D’autres polydipsies, dans lesquelles ce mécanisme est exclu, ne permettent pas d’identifier un centre de la satiété hydrique. Les stimulations chimiques intrahypothalamiques ont montré l’existence d’un système interconnecté de neurones limbiques et diencéphaliques (N. E. Miller, 1962; S. P. Grossman, 1964, S. Nicolaïdis, 1989).
Le système périphérique directeur du comportement dipsique
Lorsque la soif est éveillée, les stimuli externes représentés par l’eau deviennent capables de déclencher et de soutenir le comportement de prise orale de liquide. Grâce aux récepteurs gustatifs linguaux, l’eau peut être distinguée des solutions salines de NaCl (jusqu’à une dilution de ces solutions à 0,002 M chez le rat). Cette différenciation gustative de l’eau et des solutions salines est à l’origine de réponses de préférence qui varient selon que la soif est engendrée par le stimulus osmotique ou le stimulus hypovolémique. Dans le premier cas, l’eau pure, à la pression osmotique nulle, est préférée aux solutions salines hypertoniques. Dans le second cas, la préférence pour les solutions salines est au contraire augmentée; l’ingestion de NaCl est en effet nécessaire à la réparation de la baisse du volume extracellulaire qui, sans apport de sel, s’accompagnerait d’une baisse de la pression osmotique sanguine. Lorsque la déshydratation est accompagnée d’une perte de NaCl, comme c’est le cas à la chaleur, la soif n’est restauratrice que par l’apport simultané d’eau et d’électrolytes.
L’existence d’un mécanisme orosensoriel responsable de la satiété hydrique est controversée. Rien ne permet de démontrer qu’il y a un stimulus interne actif d’inhibition. Les hyperhydratations intracellulaire et extracellulaire ne sont pas des stimuli humoraux de satiété. Dans ces conditions, on doit concevoir qu’après ingestion des liquides aptes à corriger le déséquilibre la prise d’eau est arrêtée soit par la levée du déficit initiateur après absorption intestinale de l’eau, soit de façon anticipée par le jeu d’un contrôle volumétrique oral et gastrique (fig. 3). Ce dernier mécanisme est bien démontré chez le chien, buveur rapide. Quelle que soit l’importance du déficit, le chien boit en quelques minutes un volume d’eau strictement égal à sa perte de poids; compte tenu du délai de transit gastro-intestinal, ce temps exclut une absorption substantielle du liquide bu. Ce mécanisme de satiété orogastrique, ajusté au besoin de la régulation et fonctionnant comme un compteur d’eau périphérique, a été minutieusement étudié, notamment par E. F. Adolph et R. T. Bellows (1939). Le chien porteur d’une fistule œsophagienne, interdisant l’entrée de l’eau déglutie dans l’estomac, ingurgite, en une quinzaine de minutes, deux fois et demie la quantité d’eau correspondant à son déficit par privation, puis cesse de boire. Si un volume d’eau égal à son déficit est introduit dans l’estomac par une fistule gastrique, ce même chien «pseudoconsommera» par la bouche une quantité d’eau réduite à la valeur de son déficit, c’est-à-dire à un volume égal à celui qu’il a reçu dans l’estomac. En revanche, lorsque l’eau est offerte quinze minutes après la charge gastrique, il refuse de boire par la bouche. De nombreuses variantes d’expériences de ce type ont confirmé que le passage de l’eau dans la bouche, son volume ou son poids dans l’estomac, par l’intervention des afférences gustatives et mécaniques, établissent la satiété et constituent, chez le chien au moins, un mécanisme de contrôle volumétrique périphérique. Chez le rat, buveur plus lent, comme chez d’autres espèces dont l’homme, ce type de mécanisme est vraisemblablement associé à l’action directe de l’eau au niveau intestinal ou systémique, supprimant par correction du déséquilibre métabolique le stimulus initiateur de soif.
Mais, chez l’homme comme chez l’animal, d’autres données expérimentales plaident en faveur du rôle important que joue le contrôle sensoriel périphérique dans la direction du comportement de consommation d’eau. La théorie de Cannon, suivant laquelle la sensation de soif est liée à la sécheresse de la cavité buccale et à la réduction de la sécrétion salivaire, a été complètement démentie et abandonnée. Cependant, les relations, mises en évidence et décrites plus haut, entre prise d’eau et prise d’aliments solides imposent la notion d’une «soif alimentaire ». Les aliments constituent, on l’a dit, une surcharge osmotique et sont tardivement la cause d’une perte de l’eau rénale nécessaire à l’excrétion des produits de dégradation. Cette surcharge osmotique, provoquée par tubage dans l’estomac ou par administration intraveineuse de solutions hypertoniques de NaCl, inhibe la prise d’aliments. Pour réaliser, par son alimentation solide spontanée, sa régulation calorique sans être précocement rassasié, l’animal doit boire pour «diluer» ses aliments. Ce faisant, il anticipe la correction du déséquilibre hydrominéral que va introduire cette alimentation. Un turnover d’eau élevé sera ainsi établi. Sa disparition se manifeste dans la chute considérable de la prise d’eau chez l’animal à jeun. Pour rendre compte de ces faits, on a proposé de considérer l’activité sensorielle buccale de l’aliment solide comme un stimulus conditionné de la soif (Fitzsimons et Le Magnen, 1969).
soif [ swaf ] n. f.
• XIIe; var. sei, soiXIIe; soif, p.-ê. d'apr. des mots du type noif, cas régime de nois « neige »; lat. sitis
1 ♦ Sensation correspondant à un besoin de l'organisme en eau. La soif résulte de la dessiccation de la muqueuse de la bouche et du pharynx, et de la déshydratation. Soif pathologique. ⇒ dipsomanie, potomanie. Donner soif. ⇒ altérer. Avoir soif, grand'soif (vx)(ou grand-soif), très soif. ⇒ assoiffé; pépie. Pop. Il fait soif. Souffrir de la soif. Haleter de soif. ⇒ tirer (la langue). Mourir de soif. Par hyperb. « Harassé de fatigue, mourant de soif, brûlé par un soleil de plomb » (Mérimée). — « La soif s'en va en buvant » (Rabelais). Étancher sa soif. Loc. Boire jusqu'à plus soif, beaucoup, outre mesure. Fig. Jusqu'à plus soif : à satiété. — Boire sans soif. Subst. Fam. Un boit-sans-soif : un soiffard. — Rester sur sa soif : n'avoir pas assez bu pour étancher sa soif; fig. éprouver encore le besoin d'une chose, n'être pas satisfait (cf. Rester sur sa faim). « Un concert sans Wagner ou Beethoven et nous demeurions sur notre soif » (Duhamel). — Garder une poire pour la soif.
♢ Fig. Besoin d'eau (d'une terre, d'un végétal). Les rosiers ont soif, il faut les arroser.
2 ♦ Désir passionné et impatient. Soif de l'or. ⇒ avidité. Avoir soif de vengeance, de liberté, de tendresse. « On sait assez que l'inquiétude de cet âge est une soif d'aimer » (Stendhal). « J'ai soif d'indépendance pour mes dernières années » (Chateaubriand).
● soif nom féminin (ancien français seit, du latin sitis, peut-être d'après des mots du type noif, cas régime de nois, neige) Besoin de boire et sensation que produit ce besoinsensation que produit ce besoin. Désir ardent, impatient, passionné de quelque chose : La soif de l'absolu. La soif de connaître. ● soif (citations) nom féminin (ancien français seit, du latin sitis, peut-être d'après des mots du type noif, cas régime de nois, neige) Alphonse Allais Honfleur 1854-Paris 1905 La soif de l'or — auri sacra fames — est devenue tellement impérieuse au jour d'aujourd'hui, que beaucoup de gens n'hésitent pas, pour se procurer des sommes, à employer le meurtre, la félonie, parfois même l'indélicatesse. Rose et vert pomme Ollendorf Robert Mallet 1915 Il peut tout de même arriver que le plaisir de donner soif à l'autre soit moins grand que celui de lui donner à boire. Apostilles Gallimard Charles d'Orléans Paris 1394-Amboise 1465 Je meurs de soif en cousté la fontaine ; Tremblant de froid au feu des amoureux. Ballades à côté de François Rabelais La Devinière, près de Chinon, vers 1494-Paris 1553 L'appétit vient en mangeant, […] la soif s'en va en buvant. Gargantua, 5 François Villon Paris 1431-après 1463 Je meurs de soif auprès de la fontaine […] Rien ne m'est sûr que la chose incertaine. Ballade du concours de Blois ● soif (expressions) nom féminin (ancien français seit, du latin sitis, peut-être d'après des mots du type noif, cas régime de nois, neige) Avoir soif, ressentir le besoin de boire ; avoir besoin d'eau. Boire à sa soif, boire autant qu'on veut. Donner soif, faire ressentir la soif, altérer. Familier. Jusqu'à plus soif, sans fin, à satiété. Rester sur sa soif, ne pas l'avoir étanchée ; ne pas avoir satisfait sa curiosité. ● soif (synonymes) nom féminin (ancien français seit, du latin sitis, peut-être d'après des mots du type noif, cas régime de nois, neige) Désir ardent, impatient, passionné de quelque chose
Synonymes :
- appétit
- besoin
- envie
- faim
soif
n. f.
d1./d Désir de boire, sensation de sécheresse de la bouche et des muqueuses liée à un besoin de l'organisme en eau. étancher sa soif.
|| Loc. fig., Fam. Garder une poire pour la soif: avoir qqch en réserve, en cas de besoin.
d2./d Fig. Désir avide. La soif des honneurs.
⇒SOIF, subst. fém.
A. — 1. Sensation plus ou moins vive de sécheresse de la bouche et des muqueuses du pharynx, liée à un besoin de l'organisme en eau; besoin ou envie de boire. On essayait de prendre le troupeau par la soif en le privant d'eau pendant plusieurs jours, le troupeau se passait de boire et ne s'aventurait pas davantage (VERNE, Enf. cap. Grant, t. 2, 1868, p. 106). V. adurant ex., étanchement dér. s.v. étancher1 ex. de Gide:
• La soif latente ou habituelle est cet équilibre insensible qui s'établit entre la vaporisation transpiratoire et la nécessité d'y fournir; c'est elle qui, sans que nous éprouvions quelque douleur, nous invite à boire pendant le repas, et fait que nous pouvons boire presque à tous les moments de la journée.
BRILLAT-SAV., Physiol. goût, 1825, p. 127.
SYNT. Soif abominable, affreuse, ardente, aride, atroce, brûlante, dévorante, excessive, extrême, horrible, importante, inextinguible, insatiable, intarissable, intense, intolérable; la soif brûle, dévore, tourmente; apaiser, assouvir, calmer, désaltérer, étancher, éteindre, guérir la/sa soif; avoir grand, très soif; souffrir de la soif; haleter, tirer la langue de soif; boire sans soif.
— Expr. et loc.
♦ Boire à sa soif. Boire autant qu'on en éprouve le besoin ou l'envie. Morin me versa d'une bière légère, et m'avertit que j'en pouvais boire à ma soif, qu'elle ne contenait pas d'alcool (FRANCE, Pierre bl., 1905, p. 269). On mangea à sa faim, et on but à sa soif, — on but au delà de sa soif, parce que boire est un plaisir (RAMUZ, A. Pache, 1911, p. 30).
♦ Fam. Boire jusqu'à plus soif. Boire à satiété, d'une façon excessive. P. anal. Le bébé essaya de prendre un air fin et même matois, comme si téter jusqu'à plus soif était une bonne farce qu'il avait faite, mais qu'il ne pût la soutenir, faute de forces, parce qu'il était trop petit (MALÈGUE, Augustin, t. 2, 1933, p. 43).
Au fig. (Faire qqc.) jusqu'à plus soif. À satiété, outre mesure. J'ai beau savoir que la rousse se carapatte à mon endroit, je continue de rigoler: je rigolerais jusqu'à plus soif (ESTAUNIÉ, Vie secrète, 1908, p. 210).
♦ Fam. [Par croisement entre il fait chaud et on a soif] Il fait soif. On a soif. Dites, vous ne trouvez pas qu'il fait soif? (...) [Fefeu] se lève et disparaît dans le salon. Quand il en revient, il tient une bouteille de whisky (R. BORNICHE, Le Gang, 1975, p. 57 ds REY-CHANTR. Expr. 1979).
♦ Fam. [Par croisement de avoir soif et prendre froid] Prendre soif. Avoir soif, être altéré. Le temps qu'on l'attende, qu'on revienne, on prenait soif (CÉLINE, Voyage, 1932, p. 385).
♦ Rester sur sa soif. Ne pas avoir assez bu. Au fig. Éprouver encore le besoin d'une chose, ne pas être satisfait. Synon. rester sur sa faim. Je suis toujours pressée, pour mon compte aussi, de retrouver mon marmot, et je reste toujours sur ma soif devant les merveilles de la nature (SAND, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 19).
♦ Avoir soif à mettre la mer à sec. Avoir très soif. Chœur des satyres: En Bourgogne! En Bourgogne! Vive le vin Bourguignon! (...) Un satyre: Je ne m'arrête pas avant Châlons! Un autre: J'ai soif à mettre la mer à sec! (CLAUDEL, Protée, 1927, II, 8, p. 404).
♦ (Garder une) poire pour la soif. V. poire I A. Quand j'ai quitté ma famille, j'emportais comme réserve, comme poire pour la soif, une paire de boucles d'oreilles en diamants (DUHAMEL, Désert Bièvres, 1937, p. 82). Être une poire pour la soif. Être une réserve en cas de nécessité. Le général (...) lui donna un jour (à Berthier) un diamant magnifique de plus de cent mille francs. « Tenez, lui dit-il, gardez cela; nous jouons souvent gros jeu; que cela vous soit au besoin une poire pour la soif » (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 893).
♦ Proverbe. On ne saurait faire boire un âne s'il n'a pas soif. V. boire1 I A 2 d.
— En partic.
♦ Besoin, désir de boire de l'alcool. Le public de Londres est depuis longtemps dans le cas des gens qui font abus des liqueurs fortes, et dont la soif est devenue une fièvre ardente (DELÉCLUZE, Journal, 1828, p. 493).
Soif de + compl. précisant le genre de boisson alcoolisée. Désir de boire un alcool. Les courtisanes racoleuses du client capable d'étancher leur soif de grand cru (HAMP, Champagne, 1909, p. 182).
♦ Au fig., littér. Soif de sang. Désir de meurtre. Et cette soif de sang qui s'irrite en son sein, Ô fureur! contre l'homme arme l'homme assassin! (FONTANES, Œuvres, t. 2, Ode sur l'enlèvement du pape, 1821, p. 89). Je te montre deux épées, et tu me demandes pourquoi faire ces deux épées? (...) parce que tu dois avoir soif de mon sang comme j'ai soif du tien (DUMAS père, Don Juan, 1836, IV, 7e tabl., 4, p. 88).
Les dieux ont soif. Les dieux ont soif de sang, veulent faire verser le sang des hommes. Le grand-prêtre Hébert, Momoro et leurs pareils (...) disent sans cesse aux Jacobins, à la commune, aux Cordeliers, ce que disaient les prêtres espagnols à Montézume:Les dieux ont soif (DESMOULINS ds Vx Cordelier, 1793-94, p. 248).
2. P. ext. Besoin de boire non satisfait; privation d'eau nécessaire à la santé, à la vie. Une horrible mort, la mort par la faim et par la soif, les attendait sur ce roc! (VERNE, Île myst., 1874, p. 610). Aux limites de la steppe, (...) certaines années, les cadavres des troupeaux décimés par la famine et la soif jonchent le sol (WOLKOWITSCH, Élev., 1966, p. 35).
— Expr. et loc.
♦ Mourir de soif. Mourir par manque d'eau. P. hyperb. Mourir de soif, crever de soif (pop.). Ressentir une soif très vive. Entrons au Napolitain, je commence à crever de soif (MAUPASS., Bel-Ami, 1885, p. 12). Une autre femme, mourante de soif, demandait à Pélagie un verre d'eau (GONCOURT, Journal, 1896, p. 1004).
♦ Fam., vieilli. La faim a épousé la soif, c'est la faim et la soif. (Ds HAUTEL 1808). C'est la faim qui épouse la soif. (Ds Ac.). Marier la faim et la soif. V. faim B.
3. P. anal. [À propos de la terre, de la végétation] Manque d'eau. Les petits pois se couchent de soif au pied des rames (RENARD, Journal, 1901, p. 671). L'eau, sagement et parcimonieusement répartie, satisfait à la soif des plantes, puis leur est aussitôt retirée (GIDE, Immor., 1902, p. 392).
— Loc. verb. [Le suj. désigne la terre, un végétal] Avoir soif. Avoir besoin d'eau. Une terre a soif après les longs mois d'été (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1952, p. 69).
B. — Au fig., littér. Désir passionné, impatient d'une chose d'ordre matériel ou moral. Synon. appétit, besoin, envie, faim. Soif exagérée, excessive, immense, impérieuse, insatiable de qqc./qqn; soif d'absolu, d'affection, d'amour, de bien-être, de bonheur, de conquête, d'honneur(s), d'inconnu, d'infini, de richesse(s), de vengeance. Dévoré de la soif d'une autre vie et de l'impatience de m'y élever (...), j'ai longtemps, souvent, partout cherché ce dieu que mon désespoir implore (NODIER, J. Sbogar, 1818, p. 149). Notre époque est dévorée d'une soif de recherches et de découvertes d'autant plus vive que notre monde s'est rétréci davantage et que nous croyons n'avoir plus rien à explorer (DUMESNIL, Hist. théâtre lyr., 1953, p. 218). V. apaiser I A 1 b ex. 7 et rem.
— Soif de + inf. complétif. Soif d'aimer, d'apprendre. J'ai faim de vous lire et soif de vous embrasser (HUGO, Corresp., 1852, p. 73). Les chefs ont des sentiments actifs, et la jalousie se transforme chez eux en une soif d'arriver, coûte que coûte, aux positions les plus enviées (SOREL, Réflex. violence, 1908, p. 244). Ayant faim et soif de connaître, il [le grand siècle florentin] eut de grands éclairs de joie sur un fond de désespoir (FAURE, Hist. art, 1914, p. 367). V. faim ex. 5.
— Loc. verb. Avoir (grand) soif. Désirer ardemment, vivement (quelque chose/quelqu'un). J'ai soif de toi. J'ai soif d'un chez-soi! J'ai soif de boire à longs traits la vie en commun, la vie à deux (BALZAC, Lettres Étr., t. 3, 1846, p. 184). Laurent avait grand'soif d'ombre, grand désir de fraîcheur (DUHAMEL, Combat ombres, 1939, p. 246).
REM. 1. Boit-sans-soif, subst. masc. inv., pop., fam. Personne qui boit outre mesure, soiffard. Guiccioli se mit à rire: — Il dit qu'il n'a pas soif! Tu ne sais donc pas, malheureux, qu'on est la bande des boit-sans-soif? (SARTRE, Mort ds âme, 1949, p. 111). 2. Soifier, subst. masc., hapax. Homme du Nord, ardent navigateur perdu dans les brouillards (...), infatigable soifier d'idéal, aimez les femmes froides (BAUDEL., Max. consol., 1867, p. 620).
Prononc. et Orth.:[swaf]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Déb. XIIe s. sei (BENOÎT DE STE-MAURE, Voyage de St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 332); ca 1230 morir de fain et de soif (Eustache le Moine, 1612 ds T.-L.); 1690 boire à sa soif (FUR.); 1854 être soif (GONCOURT, Journal, p. 152); 1855 en soif (ID., ibid., p. 194); 1867 jusqu'à plus soif (DELVAU, p. 268); 1870 faire soif (POULOT, Sublime, p. 131); b) 1550 p. anal. en parlant de la terre (RONSARD, Odes, III, 10, éd. P. Laumonier, t. 2, p. 23); 2. fig. a) 1263 « désir passionné » de mal fere soi (RUTEBEUF, Renart le Bestourné, éd. E. Faral et J. Bastin, t. 1, p. 543); b) 1693, 3 juin avoir grand'soif « avoir besoin d'argent » (Mme DE SÉVIGNÉ, Lettres, éd. R. Duchêne, t. 3, p. 1003). Du lat. sitim, acc. de sitis « soif ». Le f final semble dû à l'infl. anal. de mots du type de l'a. fr. noif (v. neige), et pour éviter l'homon. avec soi et soit. Fréq. abs. littér.:2 697. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 3 159, b) 3 842; XXe s.: a) 4 170, b) 4 207.
DÉR. Soiffer, verbe, pop. a) Empl. intrans. Avoir toujours soif, boire outre mesure du vin, de l'alcool. [Gervaise] soiffait à tirelarigot (ZOLA, Assommoir, 1877, p. 707). Les pochards arrivent (...) Le broc se vide en écumant. On ne boit plus; on soiffe (RICHEPIN, Pavé, 1883, p. 280). b) Empl. trans. ) [Le compl. désigne une boisson] Boire avec excès, rapidement. Soiffer un litre (CELLARD-REY 1980). ) [Le compl. désigne une somme] Dépenser son argent à boire. Elle m'a en plus fait cadeau de quatre pièces de cinquante centimes (...). Je l'ai vite soiffé ce petit pèze en bocks à deux sous... Il a fait une chaleur infâme pendant l'été 1910 (CÉLINE, Mort à crédit, 1936, p. 371). — [swafe], (il) soiffe [swaf]. — 1res attest. 1802 (pop. d'apr. ESN. 1966), 1808 (HAUTEL); de soif, dés. -er.
BBG. — JABERG (K.). Soif und die sprachliche Expansion in Nordfrankreich. Z. fr. Spr. Lit. 1912, t. 38, pp. 231-273. — MÉNARD (Ph.). « Je meurs de soif auprès de la fontaine ». Romania. 1966, t. 87, pp. 394-400. — THOMASSON (de). Semantica francese: faim et soif. Le Lingue del Mondo. 1961, t. 26, pp. 179-192.
soif [swaf] n. f.
ÉTYM. Fin XIIe; var. sei, soi, XIIe; le f semble dû à une fausse analogie avec des mots du type nois « neige » au cas sujet, noif au cas régime; du lat. sitim, accus. de sitis.
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1 Sensation correspondant à un besoin de l'organisme en eau, et résultant d'un double mécanisme : dessiccation locale de la muqueuse de la bouche et du pharynx (→ Fermer, cit. 32), déshydratation ou « augmentation de la concentration moléculaire des liquides dans l'organisme » (Fabre et Rougier) ⇒ Dipsomanie, potomanie (didact.). || La soif, cette sensation, en général. || Une, des soifs, cette sensation éprouvée momentanément par qqn. || Une soif ardente (cit. 15), dévorante (cit. 4), horrible (cit. 15). || La soif de qqn, sa soif. || Notre soif était terrible, semblait inextinguible. — Avoir soif, éprouver cette sensation (→ 1. Boire, cit. 5; dégourdir, cit. 3). || Avoir grand-soif (→ Rafraîchir, cit. 1), soif à avaler la mer et les poissons. || Avoir très soif. || Avoir toujours soif. ⇒ Assoiffé. — Souffrir de la soif (→ Mendiant, cit. 3; oser, cit. 25). || Brûler, haleter de soif (→ Eau, cit. 18). ⇒ Tirer (la langue). — (1788). || Mourir de soif, dans le désert. ☑ Par hyperb. Mourir de soif : éprouver une soif intense (→ Brûler, cit. 54; 1. carpe, cit. 3; fatiguer, cit. 24; marchand cit. 6). — ☑ Crever de soif (même sens). — « La soif s'en va en buvant » (1. Boire, cit. 6, Rabelais). || Apaiser (→ Boisson, cit. 1), étancher sa soif. — ☑ Loc. (1690). Boire, se désaltérer (cit. 5) à sa soif, autant qu'on en éprouve le besoin. — ☑ Fam. Il fait soif : on a soif (de : il fait chaud). — Donner soif. ⇒ Altérer. || Allumer, entretenir la soif (de qqn). → Givrer, cit. 3; 1. irritant, cit. 5. — ☑ Loc. prov. Une poire pour la soif. ☑ Vieilli. C'est la faim (cit. 11) et la soif ensemble, c'est marier (cit. 16) la faim et la soif. ☑ On ne saurait faire boire un âne qui n'a pas soif. ☑ Quand l'un a soif l'autre veut boire : ils s'entendent très bien.
1 La soif qu'on éprouve ne ressemble à rien de ce que tu connais; elle est incessante, toujours égale; tout ce qu'on boit ici l'irrite au lieu de l'apaiser; et l'idée d'un verre d'eau pure et froide devient une épouvantable tentation qui tient du cauchemar.
E. Fromentin, Un été dans le Sahara, XI.
1.1 Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit. Ils étaient apparus, comme dans un rêve, en haut d'une dune, comme s'ils étaient nés du ciel sans nuages, et qu'ils avaient dans leurs membres la dureté de l'espace. Ils portaient avec eux la faim, la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les nuits froides, la lueur de la Voie lactée, la lune (…)
J.-M. G. Le Clézio, Désert, p. 9.
♦ ☑ Rester sur sa soif : n'avoir pas assez bu pour étancher sa soif. Fig. Éprouver encore le besoin d'une chose, n'être pas satisfait. || L'auteur laisse le lecteur sur sa soif, ne lui apprend pas tout ce qu'il voudrait savoir.
2 Un concert sans Wagner ou Beethoven et nous demeurions sur notre soif.
G. Duhamel, Biographie de mes fantômes, XI.
♦ ☑ (1888). Fam. Boire jusqu'à plus soif, beaucoup, outre mesure. — Fig. || Jusqu'à plus soif : à satiété (→ 1. Boire, cit. 30).
2.1 Il reviendrait tous les jours, jusqu'à plus soif.
Michel Déon, la Corrida, p. 135.
♦ Boire sans soif (→ Amour, cit. 19). N. (fam.). || Un boit-sans-soif. ⇒ Soiffard.
2 (1553). Manque d'eau (ressenti comme une souffrance, pour la terre, le sol, la végétation…) → Abreuver, cit. 1; étancher, cit. 5. || Vallée dévorée (cit. 29) de soif. || Une terre qui craque de soif et se fendille (cit. 2). — Les rosiers ont soif, il faut les arroser.
3 (XIVe; soi, XIIIe). Fig., littér. || Soif de… : désir passionné et impatient. || La soif de l'or (→ Avare, cit. 2), de l'argent (→ Excusable, cit. 6), des richesses (→ Insatiable, cit. 3), du gain (→ Ardent, cit. 32), des conquêtes (→ Esclavage, cit. 3)… || Cette soif de bien-être (→ Appétit, cit. 24), de bonheur (→ Désaltérer, cit. 2), d'honneurs (→ Forcer, cit. 32), de vengeance (→ Désarmer, cit. 7)… || Soif de sang. || Notre soif d'infini (→ Cerner, cit. 1), de l'inconnu (→ Horrible, cit. 10), de clarté (→ Lumière, cit. 27). || La soif de connaître (⇒ Curiosité), de commander (→ Amour, cit. 46). — Avoir soif. || Avoir soif d'affection (cit. 13), de simplicité (→ Cerveau, cit. 7), d'espace (→ 2. Carrière, cit. 3)… || Mon âme a soif d'être étonnée (cit. 14). — Littér. || Les dieux ont soif, roman d'A. France (1912) : c.-à-d. les dieux ont soif de sang, le monde est cruel.
3 Criez après l'Enfer, de l'enfer il ne sort
Que l'éternelle soif de l'impossible mort.
d'Aubigné, les Tragiques, VII, « Jugement » (1616).
4 On sait assez que l'inquiétude de cet âge est une soif d'aimer, et le propre de la soif est de n'être pas excessivement difficile sur la nature du breuvage que le hasard lui présente.
Stendhal, De l'amour, IV.
5 (…) je n'aspire plus qu'à rentrer dans ma solitude et à quitter la carrière politique. J'ai soif d'indépendance pour mes dernières années.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. V, p. 45.
6 (La jalousie) est une soif de savoir grâce à laquelle, sur des points isolés les uns des autres, nous finissons par avoir successivement toutes les notions possibles, sauf celle que nous voudrions.
Proust, la Prisonnière, Pl., t. III, p. 86.
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DÉR. et COMP. Assoiffer. — Soiffard ou soiffeur, soiffer.
Encyclopédie Universelle. 2012.