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SIBÉRIE
SIBÉRIE

La Sibérie est un prolongement de la grande plaine européenne couverte par la taïga. Jusqu’au XVIIIe siècle, on a appelé Sibérie les territoires qui s’étendaient au-delà de la Volga. La colonisation des pays entre Volga et Oural en a fait reculer la limite au-delà de cette montagne. Celle-ci, sans constituer une vraie barrière puisqu’elle est aisément franchissable, marque cependant une frontière climatique: à l’est, les hivers sont plus rudes et plus longs. La Sibérie tout entière fait partie des «pays de l’avenir», pour reprendre l’expression de l’explorateur F. Nansen. La Russie tsariste, le pouvoir soviétique et l’État russe depuis la désagrégation de l’Union en ont fait une gigantesque frange pionnière. Dans quelle mesure les aménageurs parviendront-ils à faire passer cette Sibérie, d’ici à la fin du XXe siècle, du stade de pays neuf, inégalement mis en valeur et colonisé, au stade de vaste région productrice de biens d’équipements et de consommation, apportant à la république de Russie la part que son étendue et le potentiel de ses richesses naturelles semblent devoir lui réserver? La géographie et l’économie, mais aussi la politique peuvent contribuer à apporter une réponse.

L’histoire de la Sibérie est un sujet d’études relativement nouveau. Certes, dès le XVIIe siècle, des marchands et des savants russes rapportaient les premières observations géographiques et ethnographiques. Certes, de nombreux textes chinois ou arabes, persans ou turcs et des récits de voyageurs du Moyen Âge mentionnent des noms de tribus, des personnages et des faits. Mais cette mosaïque d’informations ne concernait que la frange méridionale d’un immense territoire qui paraissait avoir été désert jusqu’aux Temps modernes, ou pour le moins tellement attardé que les cultures néolithiques du Grand Nord semblaient le produit de quelque culture de tradition ancienne, mais de formation récente. À la fin du XIXe siècle, des savants russes pressentirent le lointain passé de tous les territoires sibériens. Depuis le milieu du XXe siècle, des archéologues soviétiques ont éclairé par de remarquables travaux l’histoire millénaire de la Sibérie. Les aspects ethnographiques relevés précédemment ne peuvent plus être considérés comme des survivances d’une tradition inerte, mais bien plutôt comme les dernières étapes d’une longue évolution dont les jalons ne le cèdent pas en mérite à ceux des empires organisés: persistance d’éléments archaïques, mais, à chaque millénaire, remaniés, recombinés en des formules de plus en plus originales et propres à chaque groupe.

Il reste encore de grandes lacunes, mais les bases préhistoriques et protohistoriques sont désormais plus claires et la Sibérie fait partie intégrante des mondes paléolithique et néolithique.

C’est la raison pour laquelle la majeure partie de ce texte est consacrée à ces nouvelles informations.

1. Géologie

La Sibérie s’organise autour de la plate-forme sibérienne, flanquée au sud et au nord par des zones de plissements calédoniens et hercyniens et à l’est par des plis mésozoïques et cénozoïques. Cette disposition résulte d’une longue évolution, amorcée dès la fin du Précambrien, à partir d’un continent que l’on a appelé le bouclier de l’Angara (du nom d’un affluent de l’Ienisseï), un des principaux noyaux du continent eurasiatique (cf. ASIE - Géologie).

Plate-forme sibérienne

Le tréfonds de la plate-forme sibérienne est constitué par de l’Antécambrien plissé. Les Archéides affleurent au centre, dans le bouclier de l’Anabar, avec une direction nord-ouest - sud-est, ainsi que sur la bordure méridionale, près du Baïkal, où elles dessinent un V dont les branches sont nord-ouest - sud-est et nord-est - sud-ouest, et dans le bouclier de l’Aldan, dont les plis sont ouest-nord-ouest - est-sud-est. Les plissements protérozoïques ont les mêmes directions. Ceux des Baïkalides, mis en place à la limite entre Riphéen (Infracambrien inférieur) et Cambrien, sont situés plus au sud et se moulent sur les précédents. Au point de vue pétrographique, l’Archéen comporte des roches ultramétamorphiques non magmatiques granitisées; au Protérozoïque, l’activité volcanique a été grande: émission de spilites-kératophyres, suivie d’intrusions d’anorthosites, de labradorites, puis de granitoïdes. Au Riphéen, il faut citer les porphyres du Baïkal, puis des intrusions de gabbros-diorites précédant un magmatisme ultrabasique.

La plate-forme présente une série d’ondulations. Au centre se trouve la synéclise de la Toungouska, remplie par un ensemble terrigéno-carbonaté (Riphéen, 3 à 4 km; Cambrien, 2 à 3; Ordovicien-Silurien, 0,5) recouvert par 600 m de Dévonien argileux rouge ou calcaire et par une série volcanogène triasique épaisse de 2 200 m. Elle est flanquée des soulèvements de Touroukhansk à l’ouest, de l’Ienisseï au sud-ouest, où les sédiments ne dépassent pas 2 km, et du bouclier de l’Anabar au nord-est. Au sud-ouest de celui-ci, la synéclise du Viloui, formée au Crétacé, comporte 3 km de Cambro-Silurien terrigène, évaporitique ou carbonaté, une série rouge volcanogène dévono-carbonifère, des molasses à charbon du Jurassique et du Crétacé, marines ou continentales, atteignant 4 km. Des dépressions plus étroites d’âge jurassique se situent au nord du Saïan oriental et près du bouclier de l’Aldan, remplies de Jurassique à charbon. D’autres, plus profondes (Baïkal, Angara supérieur...), ont vu de grandes émissions basaltiques. La Sibérie occidentale est recouverte par une épaisse couverture de sédiments terrigènes, continentaux ou marins, du Mésozoïque et du Cénozoïque reposant sur un socle plissé, paléozoïque ou plus ancien, s’enfonçant parfois à 3 ou 4 km. Les dépressions en sont les suivantes: fosse de Khatanga au sud du Taymir, synéclise de l’Ob-Tazov, fosse de Tourgaï, puis dalle de Touran en Asie centrale, subdivisée en fosse d’Oustiourt-nord, dépression de Tchouik et synéclise de Kyzilkoun-nord.

Plissements calédoniens du sud de la Sibérie

Les plissements calédoniens du sud de la Sibérie s’étendent sur les régions suivantes: partie sud-ouest du Saïan oriental, Sangilen, Touva, Saïan occidental, Alatau (ou Ala-Taou) de Kouznetsk et Salaïr. Les Calédonides sont séparées du bord sud-ouest de la plate-forme par l’anticlinal du Saïan oriental et par une faille qui court du Baïkal à Krasnoïark. Un grand nombre de failles profondes existe entre le Saïan occidental et le Touva, au nord du Saïan occidental, le long de l’Alatau de Kouznetsk, ainsi qu’entre le Tannou-Ola oriental et le Sangilen. Ces failles ont joué depuis très longtemps.

Les Calédonides du Saïan oriental, du Touva et de l’Alatau de Kouznetsk sont les plus anciennes. Le stade géosynclinal a duré du Protérozoïque au Cambrien inférieur. Le Riphéen, encadré de discordances, est quartzitique; le Cambrien, schisto-calcaire, est volcanogène. Le plissement s’est produit après le Cambrien. Dans les Calédonides du Saïan occidental-Salaïr, le stade géosynclinal s’est étendu du Précambrien métamorphique à l’Ordovicien. Le Cambrien inférieur comporte des spilites-kératophyres et des calcaires, le Cambrien moyen est schisteux et effusif, le Cambro-Ordovicien inférieur est flyschoïde et l’Ordovicien moyen gréseux. L’ensemble est traversé par des granites calédoniens. Des dépressions situées plus au nord se sont formées au début du Dévonien et sont remplies par des roches volcanogènes du Dévonien inférieur, une molasse du Dévonien moyen, un Carbonifère terrigène et du Permien inférieur à charbon. Au Touva, la série comporte en outre un Silurien marin épicontinental argilo-carbonaté, partiellement de type flysch, des molasses salifères dévoniennes, ainsi que des roches effusives et quelques intrusions (gabbros-diabases, diorites, granites).

Plissements hercyniens du sud de la Sibérie

Les plissements hercyniens du sud de la Sibérie forment un arc bifide vers l’ouest (Altaï-Kazakhstan et Tian-Chan) et un arc simple vers l’est (Transbaïkalie-Amour). La branche occidentale est comprise entre les Calédonides et le massif précambrien du Tarim. Dans le Tian-Chan septentrional et l’ouest du Kazakhstan, on trouve une succession qui débute par de l’Archéen et du Protérozoïque métamorphisés. Elle se continue par du Riphéen, du Cambrien et de l’Ordovicien de type «flysch», le Silurien et le Dévonien étant absents dans le Tian-Chan. En revanche, dans le Kazakhstan central, le Dévonien moyen comporte une molasse transgressive, puis des calcaires supportant en discordance des molasses du Paléozoïque supérieur bien développées dans les dépressions. Les plis se sont produits au Viséen et se sont couchés vers le sud-ouest au Permien inférieur avant d’être disloqués par des failles nord-sud. L’Alatau de Dzoungarie et le Kazakhstan oriental possèdent des roches volcanogènes et sédimentaires, allant du Dévonien supérieur au Permien, très épaisses. Des granitoïdes sont montés au Dévonien basal et des granites au Dévonien moyen.

En Transbaïkalie, on retrouve le prolongement des Hercynides de Mongolie avec une grande épaisseur de Siluro-Dévonien argilo-gréseux et de Carbo-Permien terrigène. Les plis sont orientés nord-est - sud-ouest et granitisés. Dans l’Amour se rencontrent des formations allant du Silurien au Carbonifère inférieur, suivies par des molasses permo-mésozoïques. Les plis y entourent des noyaux anciens, sont très fracturés et traversés par des intrusions mésozoïques. Aux fractures sont liées des dépressions remplies par des séries houillères du Crétacé supérieur et du Tertiaire couvertes par des basaltes quaternaires. À l’extrémité nord-est de l’ensemble, entre les monts Jablonovoï-Stanovoï et le massif paléozoïque de la Boureïa, existent de nombreux fossés avec des molasses à charbon du Crétacé supérieur et du Tertiaire.

Plissements calédoniens et hercyniens du nord de la Sibérie

Les deux orogenèses sont difficiles à séparer dans les plissements calédoniens et hercyniens du nord de la Sibérie. On notera l’existence de formations dévoniennes dans le Taymir et la Severnaïa-Zemlia.

Plissements mésozoïques de Sibérie orientale

L’arc de Verkhoïansk tourne sa convexité vers l’ouest. Il comporte des massifs anciens entourés par les plis secondaires: Kolyma, Omolon et Taïgonos, plissés lors de la phase calédonienne. Ces massifs sont recouverts par des terrains terrigènes d’âge carbonifère à jurassique moyen, atteignant 8 km. Dans la Kolyma affleurent des calcaires du Cambrien inférieur, recouverts par 1 000 m de calcaires montant du Carbonifère au Mésozoïque. Le Secondaire est volcanisé dans le nord-ouest. Dans le sud-ouest existe une épaisse série à charbon du Jurassique supérieur au Tertiaire. La couverture du massif est à peine plissée. Dans celui de l’Omolon, simplement gauchi, on rencontre un socle métamorphique archéen, 2 000 m de Dévonien supérieur volcanogène et du Carbonifère inférieur terrigène coiffé par du Trias-Jurassique détritique. Le Taïgonos ressemble aux massifs précédents, mais est influencé par les plissements cénozoïques du Kamtchatka.

L’arc de Verkhoïansk est bordé par l’avant-fosse du Pré-Verkhoïansk, qui passe à la synéclise du Viloui. Elle est remplie par 3 500 m de molasses à charbon allant du Jurassique supérieur au Crétacé et parcourue de plis linéaires ou de brachyanticlinaux. La partie centrale de l’arc est constituée par l’anticlinorium de Poounsi avec une série de type «flysch», surtout permo-triasique, épaisse de 8 à 10 km, reposant sur un Paléozoïque inférieur et moyen carbonaté, et plissée au Carbonifère. Ces terrains sont traversés par des intrusions de gabbros et de diabases de la fin du Trias et charriés vers l’extérieur. L’aile méridionale comprend la zone synclinale de Jansk, remplie par 5 000 m de Trias et de Jurassique traversés par des granodiorites du Jurassique moyen. Elle se subdivise en: anticlinorium de Tashkhaïakhtakh, zone de Jansk, dépression d’Indiguka-Kolyma et synclinorium méridional de Verkhoïansk. L’aile septentrionale est subdivisée en dépression d’Oloï, occupée par des masses jurassiques volcanogènes et terrigènes, et en anticlinaux des Tchoukotsk et d’Aniuoï au nord. Ces dernières structures se prolongent en Alaska par la presqu’île de Seward. Les phases de plissement sont les suivantes: phase importante à la fin du Permien, suivie par une régression triasique; phase légère à la fin du Trias, puis transgression jurassique; phase majeure névadienne au Jurassique et grande régression ne laissant subsister que des bassins paraliques à l’est.

Des plissements mésozoïques se rencontrent aussi en Transbaïkalie orientale, où ils affectent une puissante série géosynclinale paléozoïque surmontée par une série terrigène, marine ou continentale, allant du Paléozoïque supérieur au Jurassique moyen, séries traversées par des granites et des diorites.

Dans la région de Boureïa-Sikhote-Aline, on retrouve des plissements mésozoïques de même âge repris dans les plissements tertiaires.

Plissements cénozoïques de la côte pacifique

Les plissements cénozoïques de la côte pacifique couvrent la zone de Sikhote-Aline et celle du Kamtchatka. La première s’étend entre le massif de Boureïa, la mer du Japon et la mer de Tartarie, et se relie à la Transbaïkalie et à la Corée. Elle comprend les anticlinoriums de Sikhote-Aline et du Khinghan-Boureïa: socle de roches métamorphiques et de Paléozoïque moyen énergiquement plissé et disloqué; Trias et Jurassique inférieur de faciès flysch; Jurassique supérieur et Crétacé volcanogène traversés par des granitoïdes; 500 m de flysch paléogène à laves basiques. Avec la fin du plissement se forme la fosse marginale de Boureïa, remplie de Tertiaire à charbon reposant sur du Crétacé.

La zone plissée de Koriak-Kamtchatka est composée d’anticlinoriums comprenant une série discordante de Sénonien et de Tertiaire volcanogène reposant sur du Crétacé inférieur, du Jurassique, du Trias, du Paléozoïque moyen et supérieur et même de l’Antécambrien. Les principales unités tectoniques sont l’anticlinorium du Kamtchatka oriental, la zone des Koriak plus au nord-ouest et enfin l’anticlinorium de la Maïna. Les dépressions de Penjina, du Kamtchatka occidental et l’avant-fosse du Kamtchatka occidental comportent une grosse épaisseur de Néogène. Le plissement majeur est tertiaire supérieur et encore actif. Des intrusions de granitoïdes se sont produites au Pliocène.

2. Les origines

Premier peuplement

Au moment où la calotte glaciaire maximale couvrait la moitié de l’Europe, une deuxième calotte couvrait la Sibérie occidentale et centrale et une troisième la Sibérie orientale. Sur les franges méridionales de ces blocs stériles s’étendaient des terres plus clémentes où la vie pouvait éclore. Là, quelque peu en dessous du 60e parallèle, évoluaient déjà mammouths, rhinocéros laineux et lions des cavernes, auxquels se mêlèrent bien vite des rennes, des chevaux et des bœufs sauvages, et, plus au sud, des antilopes, des moutons et des cerfs marals. Une telle faune laisserait supposer la présence de l’homme, mais, actuellement, aucun vestige ne l’indique, à cette époque lointaine où, en Europe et en Extrême-Orient, des hommes avaient élaboré les cultures du Paléolithique inférieur. Quelques sites moustériens flanquent le territoire, à l’ouest ceux d’Asie centrale près du lac Issyk-Koul (Issyk-Kul’), à l’est ceux du monde chinois sur le plateau des Ordos.

Quatre trouvailles, deux dans l’Altaï (Altaj), une près du Baïkal (Bajkal) et la dernière dans le bassin de l’Amour (Amur), restent une énigme. Il s’agit d’industries lithiques fort anciennes où se mêlent des galets et hachereaux typiques des cultures asiatiques du Paléolithique inférieur: témoins ou survivants? Tout se présente comme si des chasseurs du Pléistocène ancien et moyen avaient attendu des conditions climatiques plus favorables pour s’avancer en Sibérie. Au Pléistocène supérieur s’ouvrent trois voies qui vont donner cet immense espace aux hommes, couvrir tout un ensemble et, par leur localisation, expliquer le contenu original du Paléolithique supérieur. L’une part d’Asie centrale et longe le Pamir et le Tianshan, apportant l’expérience des descendants de néanderthaliens installés dans les bassins de l’Amu Darya et du Syr Darya. L’autre entraîne les fils du sinanthrope de Pékin par-delà les steppes mongoles jalonnées par Ulan Bator et Tchita (face="EU Caron" アita). La troisième, plus tardive, permet aux chasseurs de l’Europe orientale de traverser l’Oural et de porter plus à l’est le rayonnement des cultures européennes. Le point de rencontre se situe dans le bassin de l’Ienissei (Enisej), à la limite de la Sibérie des plaines et de celle des plateaux. Une zone mixte allait de l’Ienissei au Baïkal, illustrant la fusion de deux courants. Ce sont les remarquables sites de Malta (Mal’ta) et Bouret (Buret’), dont les gisements correspondent à l’Aurignaco-Solutréen d’Europe. Rien n’y manque: outillage primitif, galets et hachereaux en pointes moustériennes, nucleus de type levalloisien mêlés à des éclats et à des lames de facture plus évoluée; enfin, de magnifiques statuettes en os qui témoignent de la communauté eurasiatique des cultes de la fécondité.

L’étape suivante, d’âge solutro-magdalénien, est présente à Krasnoïarsk (Krasnojarsk) et à Afontova gora sur l’Ienissei, plus à l’ouest à Strostki dans l’Altaï, plus à l’est à Chichkino (Šiškino) sur la Lena et à Ochourkovo (Ošurkovo) sur la Selenga.

Sur la même étendue, une troisième étape, illustrée par Verkholenskaja gora au Baïkal, couvre l’Épipaléolithique et le Mésolithique. De l’Oural à l’Amour, une grande nappe de culture homogène, avec les mêmes outils, les mêmes cabanes, se différencie des cultures de l’Europe ou de l’Extrême-Orient par le mélange plus ou moins accentué d’influences occidentales ou orientales. En cette même époque du Pléistocène supérieur se constitue un autre mélange, celui qui donne naissance au type humain mongoloïde dont les représentants joueront désormais un rôle majeur dans le développement de la Sibérie et du monde. En effet, l’hypothèse formulée en 1937 par N. C. Nelson est peu à peu confirmée par toutes les découvertes récentes faites tant en Sibérie orientale et au Japon qu’en Alaska. Les cultures sibériennes, dès le début du Mésolithique, ont essaimé jusqu’au détroit de Béring et sont à l’origine des cultures les plus anciennes des rives américaines du Pacifique.

Le Néolithique

Formation des premiers foyers de sédentaires

Au Néolithique se dessine une série de différenciations de cultures et d’ethnies qui, suivant les aspects économiques et géographiques, entraînent la constitution de groupes tribaux de plus en plus nombreux et variés. Vers les Ve et IVe millénaires, le paysage est déjà changé. C’est l’époque de l’Holocène ; toundras et forêts, taïgas et steppes sont plus accueillantes. Les Sibériens se déplacent vers le nord, poursuivant leur gibier, continuant leurs cueillettes et développant leurs pêches. Ils améliorent leurs techniques: premier arc enforcé et hameçons complexes, un peu partout des barques, des traîneaux, des skis. Des cultes s’organisent; de grandes parois rocheuses se couvrent de pétroglyphes dont les sujets et les scènes de chasse constituent les fondements d’un grand art animalier. Enfin, dans les zones privilégiées, naissent l’agriculture et l’élevage. Aux IVe et IIIe millénaires, des cultures néolithiques apparaissent autour de l’Oural, celle de Chigir (Šigir) et celle de l’Ob (Ob’) contemporaine de la culture de Kelteminar (Kel’teminar) sur les rives de la mer d’Aral; autour du lac Baïkal, celles de l’Angara et de l’Onon; plus au nord, celles de la Lena et de la Sibérie nord-orientale; enfin, sur les bords du Pacifique, celle des bassins moyen et inférieur de l’Amour et de la Sibérie maritime, celles aussi de Sakhaline, du Kamtchatka (Kam face="EU Caron" カatka) et des Kouriles. Partout l’homme, maître de son arc et de son harpon, sait polir ses outils de pierre et monter des poteries. De meilleures conditions écologiques lui permettent de rester plus longtemps sur place; chasseurs ou pêcheurs ne pratiquent plus guère les longues courses, mais plutôt un nomadisme saisonnier. Cette semi-sédentarité spécialise davantage les activités et par voie de conséquence différencie plus encore, suivant chaque groupe, les aspects de l’outillage et du mobilier. Les quelque dix centres que l’on vient d’énumérer sont les principaux foyers de toutes les tribus sibériennes dont on reconnaît déjà certains traits spécifiques.

Foyer de la Sibérie occidentale

En Sibérie occidentale, les cultures de l’Oural et de l’Obi attestent une communauté ethno-culturelle qui a des rapports étroits à l’ouest avec les cultures de la Russie centrale et septentrionale, et au sud avec les cultures de l’Asie centrale (Kelteminar, IVe-IIIe millénaire av. J.-C.). Ce groupe a servi de liaison entre les deux continents. On y rencontre, par exemple, la hache à tenons latéraux, typique du Baïkal (Kitoï [Kitoj], 2500-1700 av. J.-C.) et dont des exemplaires ont été trouvés dans les îles Britanniques. Au nord, la poterie est à fond rond et son décor est un jeu de trous en lignes ondulées ou en zigzags; elle rappelle les types caréliens et ceux de la Volga et de l’Oka. Au sud, les pots sont à fond plat et le décor en zones de lignes pointillées évoque des types de la mer d’Aral. Les caractères traditionnels de ces ethnies se dessinent déjà. Dans les sites installés près des lacs (bassin de la Sosva [Sos’va]) ont été découvertes de grandes maisons semi-souterraines que l’on retrouve sous le nom de mys-khat chez les Samoyèdes (Samojedy) du XIXe siècle. La vie de ces pêcheurs les entraînait à se vêtir de peaux de poissons tout comme les Khantes (Khanty) de l’Ob au siècle dernier. Les images familières du folklore finno-ougrien de l’ours assis ou de l’oiseau volant ont pour prototypes les gravures rupestres des rives de la Tom’. Une épopée animalière s’y déroule, où des renards, des loups, des chouettes, des hiboux, des grues et des canards entourent des scènes de danse avec un dynamisme propre à tout art de chasseurs.

Foyer du Baïkal

Un autre ensemble homogène groupe autour du lac Baïkal les cultures de l’Angara, de la Selenga et de l’Onon. La première a fait l’objet de nombreux travaux et sa chronologie sert de référence à beaucoup de sites sibériens. La plus ancienne culture, celle d’Isakovo (3500-3000 av. J.-C.), est caractérisée par une industrie lithique qui continue celle des chasseurs solutro-magdaléniens. À l’étape suivante, les chasseurs-pêcheurs de Serovo (3000-2500) élargissent l’aire de peuplement. Les poteries connues précédemment sont toujours à fond rond, mais les motifs incisés en zigzags ou en lignes parallèles sont plus riches. Le niveau artistique s’élève. De magnifiques gravures rupestres d’élans grandeur nature succèdent à celles du Paléolithique sur les riches parois de Chichkino. Parmi les statuettes, l’élan figure encore à Bazaïkha (Krasnoïarsk) et l’ours sur un pilon a été trouvé à Bratsk. Dans la plupart des légendes sibériennes, l’ours et l’élan symbolisent encore le ciel et le soleil; dans de nombreux mythes, ils évoquent aussi l’homme et la femme. On les retrouve chez les Finno-Ougriens et les Toungouses (Tungusy). La culture suivante de Kitoï (2500-1700 av. J.-C.) est surtout célèbre par l’exploitation du jade, qui existait sur place. L’invention de l’hameçon pour la pêche à la ligne a pour conséquence une plus grande rareté des poissons-leurres utilisés pour la pêche au harpon. Enfin, l’emploi massif de l’ocre dans le rituel funéraire laisse présager de profonds bouleversements économiques et sociaux. C’est l’aube du métal et de la culture chalcolithique de Glaskovo (1700-1200 av. J.-C.); les squelettes ont révélé de grandes affinités anthropologiques entre ces vieux Baïkaliens et les Toungouses de l’époque moderne. L’extension de ces cultures était déjà importante puisqu’on les retrouve avec les mêmes caractéristiques dans le bassin de la Selenga et dans le haut Amour chez les ancêtres des Daours (Daury).

La Yakoutie

Le troisième ensemble, celui de la Yakoutie (Jakutskaya A.S.S.R.) occupe une place à part. De récents travaux ont jeté une nouvelle lumière sur ce territoire jadis négligé. Certes, le Néolithique yakoute (site de Munku) est en filiation directe avec le Baïkal, et on y distingue les mêmes étapes, la même industrie lithique et la même poterie. Mais celle-ci, toutefois, s’en distingue par une activité plus orientée vers la pêche (site de Kullaty), par l’apport d’un décor à cordonnet vertical et au tampon cylindrique, ainsi que par des applications de rubans qui n’existent pas au Baïkal. Certaines haches à épaules, en calcédoine ou en néphrite, des grattoirs minuscules sont aussi inconnus dans la culture mère. Près de Chichkino, sous la falaise de Suruktakh Khaya (Khaja), on a découvert un lieu d’offrandes. C’était un ensemble d’os, de pierres et d’éclats variés, des pointes de lances, de flèches, des grattoirs divers, des harpons et des briquets à feu. Il y a des ensembles comparables en surface auprès de certaines crevasses où Tchouktches (face="EU Caron" アulk face="EU Caron" カi) et Koryaks (Korjaki) plaçaient encore, hier seulement, des poils d’animaux, de la poudre, des balles et des allumettes. Le rite est quatre fois millénaire. Sur les falaises de Suruktakh Khaya, un monde d’élans occupe les parois disponibles. Cette multiplication magique de l’animal est conforme au rite de l’élan qui existe chez les Evenki actuels. Au début de la cérémonie, le chaman marche sous l’arbre au pied du rocher, cherchant la tente où se trouve la femme-ancêtre; il l’attrape au lasso. Ensuite, tous les mâles, en costume rituel et portant des masques d’animaux, chantent et dansent une pantomime; des figurines de bois représentent le gibier qu’ils cherchent; on fait la course et on tire sur les statuettes. Enfin, on sacrifie une bête, on l’offre au dieu suprême et tous les assistants partagent la viande. Le cannibalisme, connu des Youkaghirs (Jukagiry), des Toungouses et des Samoyèdes, et souvent repris dans les épopées des Yakoutes septentrionaux, apparaît au lac Ymyyakhtaakh, dans un site daté de 1500 avant J.-C. Dans une décharge étaient entassés pêle-mêle des tessons, des arêtes de poissons, des os d’élans et des parties de squelettes humains. Toutes les indications de fouille concordent pour étayer ce cas d’anthropophagie. D’autres recherches dans le bassin de la Viliouï (Viljuj) aboutirent à des résultats moins inquiétants, telle celle qui révéla la tombe d’un chien enterré suivant le même rituel que son maître: le corps incinéré et la tête seule inhumée et chargée d’ocre. À l’image des autres ensembles, le groupe des cultures yakoutes traduit maintes liaisons avec ses voisins; outre sa filiation avec le Baïkal se révèlent de nombreux éléments d’échanges et d’interférences avec les céramiques à décor d’échiquier de l’Asie orientale, avec les herminettes à épaule du Sud-Est asiatique et avec les flèches en lames de la Scandinavie.

L’Extrême-Orient sibérien

Dans l’Extrême-Orient sibérien se sont développées les cultures de la province maritime, des bassins inférieur et moyen de l’Amour. Le bassin moyen de ce fleuve, où se mêlent la pêche et l’agriculture, relie les cultures de la Mongolie, de la Mandchourie et de la Transbaïkalie à celles de la province maritime et du bassin inférieur. Cette dernière culture est sans doute la plus originale. Son territoire est le siège de grandes remontées de poissons. Au mois d’août, le bras de mer qui le sépare de l’île de Sakhaline et l’embouchure du fleuve bouillonnent de poissons. Mythes et techniques sont caractéristiques d’un pays d’ichtyophages. À Kondon comme à Soutchou (Su face="EU Caron" カu), les maisons semi-souterraines sont à plan rond ou ovale, ayant jusqu’à 30 m de diamètre et 4 m de profondeur; leur toit, pyramidal, est couvert de terre; on y entre par le haut. Telle est encore la maison récente des tribus actuelles et des Ghiliaks (Giljaki). C’est ici aussi un type de maison propre aux Koryaks et aux Kamtchadales (Kam face="EU Caron" カadaly) du XIXe siècle; chez les Ghilyaks, on n’entre pas dans la maison, on y plonge. Les jarres sont d’un type nouveau pour la Sibérie. Elles sont à fond plat et leur décor, tout en spirales et en lignes entrecroisées, s’inspire de la vannerie faite en ortie sauvage, comme il était d’usage de les fabriquer tout récemment encore chez les Ghilyaks et les Nanaïs (Nanajcy), qui utilisaient aussi ce végétal pour les vêtements et les nattes. Sur les gravures rupestres de l’Oussouri (Ussuri) apparaissent des poissons, des coqs et des dragons, des scènes de danse magique de personnages masqués, mêlés de serpents et d’oiseaux, autant de témoins d’une culture qui brasse des influences diverses tant du Nord que du Sud. De là viennent aussi la taille des silex prismatiques et la forme des flèches et des grattoirs. D’ici le goût des motifs rubanés et les mythes solaires, dont celui du chaman qui tue deux soleils sur trois pour abaisser la température et permettre une vie meilleure à la collectivité.

Au début du IIe millénaire, la culture afanasiévienne est remplacée dans le bassin de Minoussinsk (Minusinsk) par celle d’Okunevo, récemment découverte au sud de la Khakassie (Khakasskaja A.O.). Les données anthropologiques montrent qu’à la population généralement europoïde se substitue une population à traits mongoloïdes. La structure des tombes, leur rituel et leur inventaire sont nouveaux dans cette région. Le décor des tombes à figures de bovidés révèle l’importance de l’élevage de gros bétail. L’outillage utilise largement le cuivre et le bronze en frappe ou en fonte. L’art rupestre, aux formes animalières et fantastiques à la fois, semble indiquer que ces tribus sont venues des forêts du bassin moyen de l’Ienisseï. Sur l’Ob, près de Tomsk, les tribus continuent à s’adonner à la chasse et à la pêche, et la culture de Samus y témoigne d’une certaine continuité.

Au milieu du IIe millénaire, alors qu’au Baïkal la culture de Glaskovo (1700-1200) succède à celle de Kitoï (cf. supra ), toute la Sibérie occidentale se couvre de cultures apparentées, dites d’Andronovo, dont les foyers originels se trouvent au pied des monts ouraliens et au Kazakhstan, plus particulièrement dans la zone des steppes boisées. Les Andronoviens étaient avant tout des éleveurs de gros et de petit bétail, s’assurant ainsi des produits de boucherie et de laiterie et subvenant à leurs besoins en vêtements. Le cheval est alors largement employé comme animal de trait et l’agriculture à la houe connaît un assez grand développement, contribuant à la sédentarisation des tribus. Les liens sont aussi nombreux avec le monde chinois qu’avec celui des mers du Sud.

En outre, les contacts avec l’Est sont patents: mêmes pendeloques magiques, symbole phallique que connaît le Néolithique japonais (sekibo ), mêmes croyances matriarcales avec des statuettes féminines qui ne sont pas sans évoquer celles du J 拏mon nippon. Dans la culture voisine de la Province maritime, les liens avec l’Est sont encore plus nets. Toute une communauté de traits englobe les riverains de la mer du Japon dans un seul ensemble. Du matériel lithique en obsidienne, des faucilles et des pilons à grains issus des cultures mongoles, des pots à panse tronconique ou cylindrique (ent 拏doki japonais) au même décor de motifs incisés et une vie semblable faite de chasse, d’agriculture et surtout de pêche donnent un air de parenté à toutes ces cultures.

Il en est de même des cultures qui bordent la mer d’Okhotsk. Celles de Sakhaline, du Kamtchatka ou des Kouriles sont liées à celle du Hokkaid 拏 par la technique encore mésolithique de leur outillage, microlithes en cristal de roche, calcédoines ou jaspe, pointes de flèches miniatures, par la structure semi-souterraine des demeures, ancêtres directs des maisons que construisirent encore aux XVIIIe et XIXe siècles les Itelmens (Itel’meny) et les Aléoutes (Aleuty). La mer d’Okhotsk est la dernière d’un chapelet de petites «méditerranées» qui, tout au long de la côte pacifique de l’Asie, relie les mers du Sud à la mer de Béring, et les affinités qui existent entre la culture sibérienne de Beloï (Beloj) et celle de Denby en Alaska viennent s’ajouter à tous les éléments qui rappellent l’origine asiatique du peuplement de l’Amérique du Nord.

À la fin du Néolithique, la Sibérie groupe ainsi un ensemble de cultures qui se jouxtent et relient entre eux les plus grands espaces des terres arctiques. Cette homogénéité territoriale donne aux cultures de ce pays une continuité exceptionnelle dans les techniques et dans les modes de vie. C’est sur sa frange méridionale que vont se développer dès lors les cultures métalliques et l’histoire des nomades dont elle sera souvent le pivot et conservera parfois le souvenir.

Âge des métaux et nomadisme

Apparition des éleveurs et de la métallurgie

Dans la seconde moitié du IIIe millénaire, de grands changements interviennent en Sibérie méridionale. Là, des tribus du Saïan-Altaï (Sajany-Altaj), fortes de leurs montagnes riches en minerais et de leurs vallées couvertes de bons pâturages, adoptent la métallurgie et passent de la domestication des animaux à l’élevage. Les premières découvertes faites à Afanasieva gora (mont Athanase) montrent que le métal n’est alors employé dans l’outillage que pour des aiguilles, des alènes et des petits couteaux; en revanche, les ornements sont nombreux: boucles d’oreilles, bracelets et pendeloques diverses faits d’or, d’argent, de cuivre ou de fer. L’élevage est attesté par des restes de moutons, de vaches et de chevaux; des os d’animaux sauvages ou de poissons témoignent que la chasse et la pêche étaient encore un élément important de la subsistance.

Une nette amélioration dans la métallurgie contribue à diffuser les formes des haches à douilles ou «celts» qui se répandent de la Cisouralie à Minoussinsk. Leurs tombes à tumulus kourganes sont ici une innovation: leur forme et leur inventaire joints aux données anthropologiques assignent aux Andronoviens une origine occidentale et europoïde.

Semi-nomadisme et nomadisme

À la fin du IIe millénaire, l’expansion de l’élevage conduit la population à pratiquer la transhumance et, partant, un semi-nomadisme; le mode de vie change et ses nouvelles exigences entraînent la formation de la culture de Karasouk (Karasuk, XIIIe-Xe s.), à qui revient la monte du cheval. L’homogénéité de la culture dans son ensemble laisse toutefois, en fait d’art et de métallurgie, une large place aux caractères locaux. Des formes d’armes typiques se répandent partout. On en trouve jusqu’en Chine dans les tombes Shang (XIVe-XIe s.), et ce fait a conduit maints archéologues à attribuer aux fameux couteaux à têtes de cervidés une origine chinoise, conséquence de migrations. Or il se pourrait que l’origine sibérienne de ces couteaux soit confirmée par une datation actuellement plus haute du Karasouk et par le fait que les squelettes découverts sont issus des types andronoviens et pamiro-ferghaniens qui n’ont aucun rapport avec les mongoloïdes de l’Extrême-Orient (cf. art des STEPPES). Aux VIIIe et VIIe siècles avant J.-C. se produit l’avènement du véritable nomadisme et commence le règne des cavaliers dont les charges allaient faire trembler le sol de l’Europe et celui de l’Asie. Alors qu’une partie de la Sibérie passait du Néolithique à l’âge du bronze, l’âge de la pierre polie se poursuivait en son extrémité orientale, dans le bassin de l’Amour et dans la province maritime (Primorié [Primor’e]), mais avec l’introduction de formes nouvelles issues, tant pour les herminettes, couteaux, poignards que pour les pointes de lances et de flèches, des prototypes en métal que créaient leurs fortunés voisins. Au deuxième niveau, par exemple dans des sites de la baie de Pkhousoun, apparaissent des herminettes en pierre à section quadrangulaire, des ciseaux, des poignards à manche imitant des formes métalliques. Dans un autre site du IIe millénaire avant J.-C., à Kharin, près du lac Khanka, des demeures semi-souterraines avec un foyer central, des poteaux et des boutons en pierre témoignent, par leur facture, que le métal était, sinon employé, du moins connu. À en juger par les restes de grains et les grandes jarres trouvées près de Vladivostok, l’agriculture semblait se développer. À la fin du IIe millénaire, un nouveau changement se produit dans ces terres bordant la mer du Japon. Le fer apparaît au cours du Xe siècle avant J.-C. (Semipiatna); la culture sidémienne commence, caractérisée par des amas de coquillages, en tout point comparables aux kaizuka japonais. Mais, dès lors, obsidienne, calcédoine et silex disparaissent pour laisser place à l’emploi massif des schistes. L’os, d’autre part, devient d’un usage courant; de plus, aiguilles, alènes, pointes et hameçons trahissent l’emploi d’un instrument métallique. Les céramiques changent aussi, témoignant, par leurs décors géométriques en noir sur des fonds rouge framboise ou marron clair, d’un contact avec les cultures du monde chinois, contact confirmé par un abondant élevage de porcs (51 p. 100 du total) et de chiens (35 p. 100 du total). Alors que Sakhaline (Sakhalin) suit, avec le Hokkaid 拏 septentrional, le destin des voisins de la mer d’Okhotsk, toute la zone maritime orientale entre dans l’orbite des voisins de la mer du Japon et de la mer de Chine, donnant aux cultures régionales de cette époque un faciès commun qui rattache la Sibérie aux civilisations de l’Extrême-Orient.

Plus au nord, les cultures de la toundra dépendent des chasseurs-pêcheurs de la Yakoutie septentrionale, avec des séries de camps saisonniers qui suivent l’itinéraire des migrations de rennes. Dans la vallée de l’Anadyr, les morts, placés sous des tumulus en pierre, ont les mêmes coiffures à perles que les Eveni (Eveny) modernes et la même lampe à huile que leurs descendants tchouktches et esquimaux, évoquant ainsi la solidarité arctique sibéro-américaine.

3. Les empires nomades

sance des grands empires

Dès le VIIIe siècle avant J.-C., l’accroissement des troupeaux entraîne une extension du nomadisme et, partant, une nouvelle organisation des tribus. Les chefs élus ont de plus en plus de charges militaires et, peu à peu, leur entourage se constitue en aristocratie distincte du reste de la tribu. À l’opposition extérieure des nomades et des sédentaires s’ajoute donc chez les premiers une oppositions interne socio-économique, en tout point comparable à celle qui naîtra chez les seconds avec l’opposition des agriculteurs et de la main-d’œuvre servile.

Il en est ainsi dans l’Altaï où les sédentaires des piémonts, aux cultures agricoles caractérisées se heurtent aux éleveurs du haut Altaï, experts fondeurs de surcroît. Ceux-ci atteignent, avec la culture de Maïemir (VIIIe-IVe s. av. J.-C.), un haut niveau de production artisanale qui a même permis de supposer que les Scythes avaient là leur foyer d’origine (cf. art des STEPPES). Peu à peu, l’Altaï devient le fief des cavaliers; pour la première fois, des chevaux sont immolés sur la tombe des chefs; à la production du bronze vient s’ajouter celle du fer, ainsi que l’extraction de l’or tant vanté par les auteurs classiques de l’Occident. C’est alors la floraison des grandes sépultures à tumulus ou grands kourganes qui caractérisent la culture de Pazyryk (Ve-IIe s. av. J.-C.). Aux riches mobiliers s’entremêlent ornements et harnachements, tissus et fourrures, bois et feutres, bronze et or de l’art animalier (cf. art des STEPPES).

Plus à l’est sur l’Ienisseï, à la culture de Karasouk succédait celle de Tagar (VIIIe-IIe s. av. J.-C.) qui, avec son outillage occidental et ses activités agricoles, se rattache davantage aux traditions andronoviennes. Au Baïkal, la situation inverse se produit; là, couteaux, poignards et pointes de lance sont de type chinois. Il en est de même en Yakoutie où l’influence d’une culture sino-baïkalienne est manifeste. Celle-ci résulte sans doute d’une progression de l’agriculture vers le nord et d’un chevauchement de ses centres avec ceux de l’élevage. Ainsi naquit sans doute la culture des tombes à dalles (VIIe-IIe s.), qui occupait une large partie de la Mongolie et couvrait l’actuelle Transbaïkalie.

La Sibérie méridionale

Depuis la fin du Ier millénaire avant J.-C., l’histoire de la Sibérie concerne surtout la Sibérie méridionale. Deux centres privilégiés se dégagent: celui où se mêlent paléoasiates du Baïkal et mongoloïdes du fleuve Jaune, futur foyer de la confédération hunnique, et celui où se croisent les europoïdes de l’Altaï et les mongoloïdes d’Asie centrale, futur foyer des khanats turks. Mais c’est sur toute la lisière sibérienne que se déroula l’étonnante épopée des empires des steppes, quand, sur les territoires sis entre steppes et forêts, s’affrontèrent tribus turks, mongoles et toungouses. De l’est à l’ouest, les pénétrations ne furent point les mêmes. En Extrême-Orient, Toungouses et Yilou, tournant le dos au nord, dirigent leurs conquêtes vers le sud: ce sont les royaumes du Bohai, des Kitan, des Djurchet ou des Mandchous quand les Toungouses envahissent périodiquement la Chine et deviennent suzerains de sa partie septentrionale ou même de tout son territoire. En Sibérie centrale se trouve le limes du foyer des hordes turco-mongoles qui imposèrent leur loi depuis les premières confédérations hunniques des Xiongnu jusqu’aux derniers Gengiskhanides rivalisant avec le puissant empereur chinois des Ming. À l’ouest, les affrontements en terre des steppes, tant celles de la Russie méridionale que celles du Kazakhstan, se répercutent sur la zone sibérienne et y déclenchent des mouvements de peuples.

Les Xiongnu

Le paysage a bien changé et la transhumance d’antan s’est muée en nomadisme permanent. C’est alors qu’apparaissent la maison roulante tirée par des bœufs et la yourte circulaire; celle-ci, adoptée par les Xiongnu, subsiste encore aujourd’hui dans la steppe. À la fin du IIIe siècle, sous l’égide des Xiongnu, se noue la première confédération hunnique, qui embrasse toutes les tribus nomadisant du bassin de l’Amour à celui du haut Irtych (Irtyš). En Sibérie, la Baïkalie et le haut Ienisseï passent sous la férule hunnique (cf. MONGOLIE - Histoire). Les fouilles faites en Transbaïkalie en 1949 ont révélé des sites fortifiés (N. Ivolga), avec de grandes demeures semi-souterraines munies de conduites de chauffage qui témoignent de la vie sédentaire de certaines tribus. Parmi l’inventaire funéraire, il faut relever les premières selles de bât et de nombreux objets qui trahissent l’influence chinoise. Une société à caractères mixtes, où des éleveurs semi-nomades pratiquent de plus en plus la culture du froment et du millet, au détriment de la chasse et de la pêche, s’installe ainsi aux frontières septentrionales de l’Empire des Xiongnu. Celui-ci fut bientôt remplacé par celui des Xianbei (IIe-IVe s. apr. J.-C.), qui occupe le même territoire. Nouveau carrousel de fédérations et nouvelles migrations. C’est alors sans doute l’apparition des Jiankun qui envahissent le haut Ienisseï, substituant aux populations europoïdes de Tagar les populations plus mongoloïdes de la culture de Tashtyk (Taštyk, Ier-IVe s.). Les kourganes à inhumation sont alors remplacés par des caveaux et des fosses à incinération. D’autres vagues de tribus renforçant la composition ethnique de ces régions donnent naissance aux Khirghiz (Kirkizy), ancêtres des actuels Khakasses (Khakassy).

Primauté de l’Altaï

Malgré la nouvelle vague des Jouanjouan (Ve-VIe s.) chassant les Xianbei, l’économie progresse. La sidérurgie et l’irrigation favorisent l’exploitation d’autres terres, et c’est la primauté de l’Altaï qui revient avec l’avènement des Tujiue ou Turks, ancêtres lointains des Seldjoukides et des Turcs actuels. L’origine ethnique est mal connue, mais on y rencontre un nouvel apport ouralien, distinct de celui du Baïkal. La culture préturk d’Odintsov (Odincovo, IIe-IVe s.) dans le piémont altaïque est en effet fort proche de celle de Pianobor (Oural). Bien armés, bien outillés, riches de pâturages et de champs irrigués, les Tujiue règnent sur tout le territoire de la steppe. Eux-mêmes éleveurs nomades, ils savent toutefois exploiter les tribus agricoles. Tirant profit de l’Iran et de la Chine, ils se civilisent et inventent l’alphabet runiforme des inscriptions de l’Orkhon ; entre les Sassanides et les Tang, ils deviennent des intermédiaires indispensables. Ailleurs, les progrès sont moins voyants. Au Baïkal vivent les Kurikars, ancêtres des Bouriates (Burjaty) mongols et des Yakoutes (Jakuty) actuels et grands pourvoyeurs de chevaux de la dynastie chinoise des Tang (VIIe-Xe s.).

Dans le bassin de l’Amour, les tribus se rangent sous la bannière des Mohe, descendants des Yilou ancêtres des Toungouses actuels de l’Amour, et dont la cour chinoise vantait tant l’adresse et le courage.

Ouïghours et Kirghiz

Dès le VIIIe siècle, à l’autorité des Tujiue se substitue en Baïkalie la tutelle des Ouïghours (Uigur) dont la civilisation raffinée, aux riches miniatures enluminées, est un des plus beaux moments de l’histoire sibérienne. L’empire ouïghour dura un siècle (744-840), avec pour capitale Ordoubaligh sur l’Orkhon, la future Qarakoroum de Gengis khan. Au IXe siècle les Kirghiz de l’Ienisseï s’emparent de ce florissant empire et poussent les Ouïghours vers le Tarim. Là, ces derniers établissent des centres de civilisation nestorienne et bouddhique où tous les hégémons des steppes viendront dès lors puiser des cadres scientifiques ou intellectuels. Quant aux Khirgiz, ils poursuivent leur vie nomade d’éleveurs (chevaux, bovins, ovins et chameaux), mais l’agriculture joue chez eux un rôle important, comme en témoigne le réseau d’irrigation découvert récemment dans le bassin de Minoussinsk avec des portions de canaux allant de 10 à 30 km. Le khanat des Khirghiz était réputé pour la qualité de son artisanat et l’habileté de ses orfèvres (cf. art des STEPPES).

Avènement des Toungouses

Au Xe siècle, les Kitan battirent les Khirghiz et régnèrent sur leur territoire. Le même sort atteignit les Mohe qui, voisins des Xianbei, avaient, sous l’influence chinoise, fondé le royaume de Bohai dont la puissance engagea la dynastie des Tang à lui donner un statut d’allié. En 719, leur souverain prit même le nom d’empereur avec des noms d’ère à l’image de la cour chinoise; il traitait d’égal à égal avec les souverains de Corée et du Japon, échangeant ambassades sur ambassades; mais sa fortune s’arrêta en 926, du jour où le chef des Kitan, Abaoji, l’eut fait prisonnier et eut annexé tout son royaume. Les Kitan, maîtres d’un grand territoire, l’empire des Liao (947-1125), intervinrent dans la politique chinoise et profitèrent des troubles intérieurs pour occuper Pékin.

Si les rapports des Kitan avec leurs voisins islamisés des Qarakhanides furent relativement calmes, il n’en fut pas de même à l’est avec les Djurtchët du bassin de l’Amour. En 1125, ces vassaux des Kitan, restés forestiers, éleveurs et bons fauconniers, fondèrent l’empire des Jin (1125-1206).

Les Kitan, bousculés, se portèrent à l’ouest et prirent la place des Qarakhanides, en établissant de part et d’autre du lac Balkach l’empire des Qarakhitai. Mais bientôt Kitan Qarakhitai à l’ouest et Djurtchët Jin à l’est furent submergés par les troupes de Gengis khan.

Depuis la confédération hunnique qui englobait toute la Sibérie méridionale jusqu’aux Mongols qui tenaient un empire aux frontières encore plus vastes, les tribus de la lisière sibérienne vécurent ainsi, tantôt indépendantes, khanat kirghiz ou royaume de Bohai, tantôt vassales des grands royaumes qui jouxtaient leur frontière. Le IIe millénaire de notre ère vivra en grande partie des séquelles de la grande occupation mongole, où chacun des trois grands secteurs de la Sibérie, occidental, central et oriental, subira qui le joug, qui le rayonnement des nouveaux royaumes survivants de la steppe, en guerre permanente tant entre eux qu’avec les puissants empires situés aux deux extrémités du continent, l’Iran et la Chine.

La Sibérie gengiskhanide

Alors que la Sibérie centrale et orientale suit la destinée des Gengiskhanides, un sort particulier revient à la Sibérie occidentale; là, le territoire, appelé Sibir, faisait partie de l’oulous de Djûchî, fils de Gengis khan, puis passa à sa mort, en 1227, à son fils Batou; celui-ci porta ce khanat à sa plus grande dimension, vassalisant même des principautés russes.

La frontière septentrionale de cet empire, khanat de Kiptchak ou Horde d’or, atteignait le confluent de l’Ob et de l’Irtych; au sud, il englobait la mer d’Aral, et ses frontières latérales allaient du Balkach à l’embouchure du Danube. Le monde des steppes et de la Sibérie méridionale était donc partagé en deux, à l’ouest le khanat de Batou, à l’est le grand khanat de Mongka. Mais, à la différence des khanats orientaux qui se sinisaient, la Horde d’or gardait les plus vieilles traditions mongoles, malgré l’adoption de l’islam qui ne les rapprocha guère de l’Iran et qui les coupa de l’Europe. Ce fut Dmitri Donskoï, grand prince de Moscou, qui lui porta un coup fatal à la bataille de Koulikovo (Kulikovo, 1380). Mais Toqtamich monta sur le trône de la Horde d’or et vengea la défaite par le sac des villes russes et de Moscou (1382). Bientôt le khan mongol dut céder la place à un nouveau venu turk, Tamerlan. Jusqu’à la fin du XIVe siècle, la partie septentrionale de la Horde d’or fut l’apanage des Cheïbanides, issus d’un frère de Batou. Un de leurs princes, Ibak (mort en 1493), rendit indépendant ce territoire qui devint le khanat de Sibir. Le noyau de la population était alors turcophone et apparenté aux Kazaks et aux Altaïens méridionaux connus sous le nom de Tatars de Sibérie. Ils vivaient d’élevage, de chasse et de pêche, et leur organisation calquait celle, traditionnelle, des districts (oulous ).

À l’est, la maison mongole des Khoubilaï fut renversée par les Ming en 1368. Tandis que les tribus reprenaient leur indépendance, la Chine s’alliait aux Oïrats, tribus de Mongols occidentaux; elle se protégeait ainsi contre un retour éventuel des Khoubilaïdes.

Bientôt les Oïrats, à leur tour, sous la conduite d’Esentaidji (1439-1455), fondèrent un empire oïrat ou kalmouk qui s’étendit du lac Balkach au fleuve Jaune, et dont les chefs s’allièrent avec le khan de Sibir en 1620. Ils furent à leur tour dominés par les Mandchous qui occupèrent toute la Chine, donnant à ce pays ses plus grandes frontières, dès lors en contact direct avec l’empire russe.

Bouleversements ethniques

Tous les mouvements de peuples au cours de ces siècles, par coups et contrecoups, modifièrent la géographie ethnique de la Sibérie. L’un d’eux jeta les Turks sibériens Kimak vers l’ouest où ils devinrent les Polovtsy de la Russie méridionale. Les Petchenègues (Pe face="EU Caron" カenegi) y vinrent aussi, chassés par les Qarlouq, successeurs des Tujiue occidentaux, et poussés par les Oghouz (Oguzy), ancêtres des Turkmènes et dont un clan, sous le règne des Seldjoukides, avait envahi la Perse. Dans les remous qu’entraînèrent l’ascension ou la décadence, la chute et les résurgences de chaque tribu, la Sibérie méridionale connut des fortunes diverses. À l’ouest dominaient les problèmes russes, à l’est les problèmes chinois, au centre se jouait un mouvement de bascule selon que les tribus de l’Est, accentuant leur pression, étendaient leur rayonnement ou bien se terraient.

Les deux grandes transformations se placent au Baïkal et dans l’Altaï. D’une part, les Bouriates mongolisèrent les populations de Tura et celles de Toungous. D’autre part, les Samoyèdes du haut Ienisseï et les Kottes (Kotty) furent turcisés et assimilés par les Tuviniens (Tuvincy) et les Kharasses. Le long du Ienisseï, comme bousculés par l’avance des Russes, les Ostyaks (Ostjaki), Selkoupes (Sel’kupy) et Ketes (Kety) se déplacèrent vers le nord. Les Yakoutes de la Lena s’étendirent au nord, à l’est et surtout à l’ouest, pressant les Toungouses qui poussèrent à leur tour les Tavgi vers l’ouest où s’établirent leurs descendants, les Nganassanes (Nganasany), tandis qu’eux-mêmes, yakoutisés, donnèrent naissance aux Dolganes (Dolgany).

En Sibérie nord-orientale, les Tchouktches constituaient de grandes communautés d’éleveurs de rennes; il en est de même des Koryaks qui restaient près des rives où jadis, comme tous les paléoasiates de cette région, ils furent durant de longs millénaires des pêcheurs avant d’être des éleveurs. Leurs cousins les Itelmens occupent encore le Kamtchatka et conservent les traditions de leurs origines mixtes koryak-tchouktche. Les Youkagirs étaient aussi, au XVIIe siècle, des éleveurs de rennes et d’élans; pressés à l’est par leurs deux voisins, ils exercèrent une poussée à l’ouest sur les Toungouses qui, toutefois plus puissants, les assimilèrent en partie. Ces Toungouses s’établirent sur une large portion du territoire sibérien; leur succès à l’ouest fut aussi net. Là, ils influèrent sur les Ket-Ostyaks dont les Asan furent entièrement toungousisés.

Plus au nord, ce sont des Toungouses qui furent samoyédisés. Au sud, des Toungouses furent d’abord mongolisés, jusqu’à la taïga seulement; celle-ci, en Yakoutie notamment, resta teintée de turcisation. Ces dernières tribus représentaient le fort noyau sur lequel se fonda la puissance yakoute. Au XVIIe siècle déjà, alors qu’il n’y avait que 5 000 Youkaghirs, on dénombrait 26 000 Yakoutes. Les Turks, mongolisés dans leur ancien territoire occupé par les Bouriates, régnaient dans la zone des steppes des régions sud-occidentales. Leur influence s’étendait au-delà du Tchoulim (face="EU Caron" アulim) où ils assimilèrent encore quelques Ostyaks-Samoyèdes et des Kets. Ceux-ci, Kottes, Arines ou Bouklines, élevaient chevaux et bétail à cornes, s’adonnant aussi à l’agriculture tout en conservant la chasse; les Russes leur donnaient le nom de Tatars (Tatary). Plus au nord, ils ne connaissaient que le chien et se livraient tant à la chasse qu’à la pêche; les Russes les appelaient des Ostiaks. Ces derniers descendaient des vieilles populations de l’Ienisseï à qui l’on doit la culture de Karasouk (Ier millénaire av. J.-C.).

Quant aux Samoyèdes, ils se partagèrent en trois groupes, ceux du Saïan (Sajancy), au sud, éleveurs de chevaux et chasseurs; les Selkoupes, chasseurs et pêcheurs, sans chevaux ni rennes, et, au nord, les peuples de la toundra, éleveurs de rennes, qui sont les ancêtres des Nentsy (Nency), Entsy (Ency) et Nganassanes. La majorité des Samoyèdes glissa du sud au nord, et leur mouvement a dû commencer dès le Karasouk, car de nombreux traits rappellent cette dernière culture.

4. La conquête russe et l’intégration à l’U.R.S.S.

L’avance russe

Dès le XIe siècle, des contacts fréquents avaient lieu entre Russes et Sibériens (cf. RUSSIE - Histoire). Au XIIe siècle, des marchands de Novgorod cherchaient au-delà de l’Oural fourrures, couteaux et haches, et des tribus ougriennes semblent leur avoir été soumises. Durant tout le XIIIe siècle étaient régulièrement lancées des expéditions armées, chargées de ramener marchandises, achats ou butin. Au milieu du XIVe siècle, des Novgorodiens organisèrent une corporation qui régularisait toutes les transactions. En 1478, Moscou prit le pas sur Novgorod et intensifia les échanges. Au XVIe siècle, sur la Petchora (Pe face="EU Caron" カora), s’échelonnaient marchés et relais, tandis que s’ouvraient, au nord, la route maritime et, à l’est, l’accès par la Kama; les Stroganov, riches marchands, obtinrent des droits spéciaux de lever et d’armer des milices. Ce fut la campagne victorieuse de Iermak, qui triompha du khanat de Sibir, l’envoi de troupes moscovites et l’établissement de places fortes: Tioumen (Tjumen’, 1586), Tobolsk (1587), Pelym et Berezov (1593), Sourgout (Surgut, 1594), Verkhotura (1598), Narym (1598), Mangasie (1601) et omsk (1604).

À partir du XVIIe siècle, l’histoire de la Sibérie se confond avec celle de la Russie, puis de l’U.R.S.S. et enfin de la république de Russie. Si la Sibérie occidentale se soumet facilement, il n’en est pas de même du bassin de l’Ienisseï. Là, les Kirghiz tiennent tête longtemps (1640). Entre-temps, les Russes gagnent la vallée de la Lena, fondent Yakoutsk, (Jakutsk, 1629) et atteignent Nertchinsk (Ner face="EU Caron" カinsk) en 1666. À la fin du XVIIe siècle, les Russes dominent presque toute la Sibérie, mais, il faut le souligner, très difficilement, car leveurs d’impôts et évangélisateurs ont fort à faire avec des populations pauvres chamanisées ou islamisées; un peu partout, sporadiquement, éclatent émeutes et insurrections. Khirghiz de l’Ienisseï, Tatars de l’Irtych, Bouriates du Baïkal connaissent de lourdes représailles et des persécutions.

Colonisation et pacification

Du XVIIIe au XIXe siècle, c’est la dernière étape, mais aussi la plus longue, le débouché sur la mer. Les Tchouktches restent pratiquement indépendants jusqu’à la fin du XIXe siècle, les Kamtchadales (Kam face="EU Caron" カadaly) sont en révolte permanente, tandis que le voisinage de la Chine entraîne des difficultés politiques, tranchées par le traité de Nertchinsk (1680) et le tracé des frontières en 1689 sur l’Arghoun (Argun’) et la Gorbitza (Gorbica). Presque deux cents ans plus tard, l’annexion russe des territoires de l’Oussouri ratifiée au traité de Pékin (1860) ouvre enfin l’accès à la mer et permet d’atteindre ce qui sera le terminus du Transsibérien (1904).

Au XXe siècle, les territoires sibériens furent l’enjeu de nombreux conflits. Conflit russo-japonais (1905), qui fit reculer l’influence russe au-delà de l’Amour; révolution de 1905, qui laissa des foyers d’insurrection un peu partout, Tomsk, Krasnoïarsk, Vladivostok. Jusqu’en 1917, l’ordre régna, dur et fragile, tandis que la population se gonflait d’exilés de toutes sortes. En 1918, les troupes tchèques révoltées refluent vers l’est, entraînant la formation de deux gouvernements rebelles, l’un à Omsk, l’autre à Samara. Un gouvernement provisoire d’opposition s’installa à Omsk sous la direction de l’amiral Koltchak (Kol face="EU Caron" カak). Après de rudes combats de guerre civile, le gouvernement de Koltchak s’effondra (1920). Pendant six ans, des campagnes successives de pacification durent être menées pour triompher des mouvements séparatistes qui agitaient cette immense mosaïque de nationalités. La politique adroite de Lénine sut apaiser les amours propres de chacun: création de districts, de régions autonomes ou de fédérations affiliées à l’Union des républiques ou à la grande Fédération russe. Lors de la Seconde Guerre mondiale, la colonisation de la Sibérie reçut une accélération économique. Elle est aujourd’hui le grand réservoir de la puissance russe qui cherche à l’exploiter au mieux de ses intérêts.

5. Le développement de l’espace sibérien

Des conditions naturelles défavorables

La Sibérie, de l’Oural à l’océan Pacifique, contiendrait quinze fois la France (12 765 900 km2). Dans cet espace immense d’une grandiose monotonie, végétation et relief introduisent quelques différenciations. On peut grossièrement distinguer: une Sibérie des eaux , des marécages, des tourbières, où les arbres de la taïga, inextricablement mêlés et pourrissant sur place, forment ce que les Kazakhs nomades des steppes nues appellent urman , le domaine de la peur; une Sibérie chauve , celle du bouclier de roches archéennes de l’Angara, des sommets, massifs et chaînes des régions situées à l’est du Baïkal, celle de la toundra: l’arbre disparaît, lichens et mousses recouvrent le sol perpétuellement gelé, la merzlota ; enfin, la Sibérie sombre , la plus grande; elle appartient à la zone biologique de la forêt, formée de pins, d’épicéas et surtout de mélèzes, dont les variétés s’adaptent aux conditions régionales et locales de climat et de relief; c’est la plus riche réserve forestière de la planète. Mais nulle part ne se délimitent nettement les différences de paysages: pas de frontières entre la terre et les eaux, entre la toundra et la taïga, mais seulement des transitions floues et mouvantes.

En outre, la tyrannie de l’espace s’exprime par la contrainte des distances. La voie ferrée transcontinentale la plus célèbre, le Transsibérien, parcourt 9 000 km de Moscou à Vladivostok. Il faut actuellement neuf jours et neuf nuits pour rejoindre la capitale de la Russie depuis l’Extrême-Orient. Les embranchements sont rares, surtout en Sibérie orientale. Le doublement de la voie ferrée du Baïkal à la mer d’Okhotsk, longtemps envisagé, mais différé, a finalement été réalisé au terme du fonctionnement d’un grand chantier qui fut celui de la jeunesse et des différentes nations de l’Union (B.A.M.). Les routes sont mauvaises ou inexistantes. Seul le réseau aérien bien organisé permet de joindre aisément des points éloignés de plusieurs milliers de kilomètres. Tous les voyageurs s’accordent à décrire l’étrange sensation d’isolement, d’éloignement, non seulement dans l’espace, mais encore dans le temps qu’inspire cette contrée. On comprend que la Sibérie fut la terre idéale de la relégation: les distances y sont trop grandes pour qu’un prisonnier puisse penser à s’évader, la taïga est une ennemie implacable pour le fugitif.

Enfin, le climat accentue la contrainte de l’espace. L’hiver dure de quatre à neuf mois: il n’y a que trois mois sans gel en Yakoutie. On sait qu’avant les relevés opérés dans l’Antarctique c’est Verkhoïansk puis Oïmekon qui, avec une température de 漣 80 0C, détinrent le record mondial absolu du froid. Mais, si la neige est relativement rare et peu épaisse, si un froid de 漣 40 0C n’interdit pas toute activité sur les chantiers, si même, dans des conditions de vie normale, ce froid peut être considéré comme sain et tonique, il ne faut pas oublier les nombreuses conséquences que la longueur des nuits, la durée du gel, l’omniprésence de la merzlota entraînent sur la vie des hommes, les techniques minières et de construction, la durée des transports, les coûts, etc. Les conditions de la vie contribuent à l’instabilité de la main-d’œuvre. Ainsi, dans ce pays qu’ont peu à peu découvert aventuriers, cosaques, explorateurs, tout semble momifié par l’effet de la distance ou du gel, tels ces mammouths conservés dans des loupes de glace depuis l’ère glaciaire. Chaque année apporte la nouvelle d’une découverte géographique: un fleuve, une chaîne de montagne; ou économique: un bassin de charbon ou de minerai. Pendant longtemps, le pouvoir russe n’a eu d’autre souci que d’exploiter l’espace et d’en garder les secrets.

De la Sibérie traditionnelle à la Sibérie moderne

Or, cette Sibérie traditionnelle s’éveille au monde moderne et prend place, au même titre que le Canada, le Brésil, l’Australie, parmi les grandes régions du globe candidates à une promotion économique rapide.

La Sibérie s’équipe. Le progrès technique permet de vaincre l’hostilité de l’espace et de la nature. Le Transsibérien est électrifié; il est doublé jusqu’au Kouznetsk par le Youjsib (Sibérien du Sud), et par le B.A.M. du lac Baïkal à la mer d’Okhotsk, tandis que les embranchements se sont multipliés en direction des bassins miniers, houillers en particulier. Les techniques de lutte contre le froid et d’utilisation des ressources locales ont permis, entre autres exemples, de construire des bâtiments dans le sol gelé, de faire reculer de 200 km vers le nord la limite des terres cultivées par le biais de la vernalisation ou germination artificielle préalable des graines, de réaliser le chauffage collectif de villes entières grâce à la vapeur de centrales qu’alimente une tourbe extraite sur place... À partir du Transsibérien, des villes de fleuve, des bassins miniers, de la côte pacifique, la colonisation a gagné rapidement sur les zones désertes, élargissant ce qu’on peut appeler, à l’instar du Canada, la «Sibérie utile». À partir de l’exploitation d’une unique ressource, comme le nickel de Norilsk, des pôles isolés, régulièrement ravitaillés par air, ont étendu progressivement leur rayonnement et ont constitué une véritable petite région de développement en pleine taïga ou toundra.

Mais les techniques nouvelles n’ont été inventées et utilisées que parce que la mise en valeur planifiée de l’espace sibérien devenait nécessaire. Différents facteurs peuvent être mentionnés: volonté d’affirmer la puissance mondiale de l’Union, qui se manifesta tant par l’organisation du Glavsevmorpout (la route maritime du Nord) reliant Mourmansk à Vladivostok pendant les mois d’été que par l’équipement stratégique, et par conséquent le développement des implantations humaines et des techniques nouvelles, le long de l’océan Glacial Arctique et sur la frontière pacifique; obligation, pendant la Seconde Guerre mondiale, de mettre au service de la défense les richesses et les hommes des régions orientales; transferts d’usines et de population en Sibérie occidentale, lesquels ont beaucoup contribué à son essor économique; mais nécessité également, après la guerre, d’accroître le potentiel économique de l’Union par l’apport de richesses nouvelles; volonté de traduire le socialisme dans l’espace. Cette volonté est à l’origine de certains projets mégalomanes qui ne furent jamais exécutés, par exemple celui de la création des «mers sibériennes», dont les eaux auraient été détournées vers l’Asie moyenne; il s’est traduit cependant par le défrichement des «terres vierges», dont un tiers s’étend en Sibérie. Exploiter la Sibérie, ce n’était pas seulement étendre les conquêtes de l’homme c’était, plus facilement que dans la vieille Russie, créer des villes nouvelles, une société nouvelle, un homme nouveau.

La Sibérie, de terre d’aventure qu’elle était, est devenue un ensemble de régions économiques en voie d’intégration les unes aux autres. Elle est d’abord un immense réservoir de richesses. Elle possède la moitié de la capacité de production de bois de résineux dans le monde. Ses bassins houillers, dont le potentiel représente, selon les sources, de 70 à 90 p. 100 du potentiel de toute l’Union soviétique, sont les plus riches du monde, et, quant à l’extraction réalisée annuellement, le Kouznetsk se range d’ores et déjà au deuxième rang, après les Appalaches. Le pétrole, pendant longtemps ignoré, et surtout le gaz naturel sont extraits à grande échelle en Sibérie occidentale: les réserves de ce «troisième Bakou» représentent plus des deux tiers des réserves totales de l’U.R.S.S. La Sibérie prise en bloc produit, aujourd’hui, un peu plus des deux tiers du pétrole et un peu moins des deux tiers du gaz naturel extraits dans le pays. Le potentiel hydraulique, encore à peine exploité, correspond aux deux tiers du potentiel total de l’Union. Les roches anciennes du bouclier recèlent des minerais précieux et rares: l’or, le platine, les diamants de Yakoutie. Les réserves, mal connues et jamais publiées, des minerais d’alliage et des minerais non ferreux sont considérables. La Sibérie occupe la première place de toutes les régions soviétiques, notamment pour les réserves d’étain, de mica, de spath-fluor. La Sibérie est devenue en même temps terre de colonisation systématique. Ainsi, entre les deux recensements de 1939 et de 1959, la population globale de l’U.R.S.S. a progressé de 9,5 p. 100, mais celle de la partie orientale de 34 p. 100 (y compris l’Asie moyenne) et celle de l’Extrême-Orient de 70 p. 100. Entre 1959 et 1986, l’accroissement moyen de la population de l’Union a été de 33,5 p. 100; il s’élevait à 27,6 p. 100 pour la Sibérie occidentale, à 37,1 p. 100 pour la Sibérie orientale, à 58,3 p. 100 pour l’Extrême-Orient. En chiffres absolus, la population totale de la Sibérie est passée de 6,5 millions d’habitants en 1926 à 17 millions en 1959 et à plus de 25 en 1970, chiffre qui, pour la première fois, représente plus de 10 p. 100 de la population soviétique. Elle était, en 1986, égale à 30,9 millions de personnes. Or cette population est extrêmement jeune, et l’excédent naturel y reste plus élevé que dans la moyenne de l’Union. Elle se concentre dans les agglomérations urbaines et se compose essentiellement de Russes qui propagent la langue russe et constituent un facteur d’unité et de dynamisme démographique, une promesse de développement économique. On assiste donc non seulement à une modification rapide de la carte du peuplement et des implantations économiques, mais aussi à une nouvelle répartition des forces productives au sein de l’Union: ainsi, la partie européenne qui fournissait les quatre cinquièmes du charbon de toute l’Union n’assure plus que moins de la moitié de la production totale aujourd’hui.

En Sibérie, terre d’expériences économiques, certaines régions se cristallisent; le bassin du Kouznetsk ou Kouzbass en est le meilleur exemple: peuplé de plus d’un million d’habitants, ayant acquis son autonomie par rapport à l’Oural lors de la dissolution du combinat Oural-Kouzbass (U.K.K.), il sert de base à ce qu’on appelle le troisième centre sidérurgique, nouveau bassin industriel en voie d’expansion autour du charbon de Tcheremkovo, du fer de Minoussinsk et d’autres richesses minières.

D’autre part, autour des villes du Transsibérien comme autour des centres d’exploitation minière et d’extraction du pétrole et du gaz naturel, le développement d’activités complémentaires d’amont et d’aval, la création d’une industrie de biens de consommation, le défrichement des terres vierges de Sibérie fournissant une production agricole d’importance locale ou régionale ont favorisé l’extension des pôles de croissance et de développement. Enfin, les premiers foyers de vie, isolés dans la taïga ou dans la toundra, villes nouvelles, cités «de quart» qui servent de base arrière pour la mise en valeur du grand nord, villes champignons, «agglomérations candidates au rôle de villes» selon la définition statistique soviétique, ou bien simples stanici , stations de bûcherons, de pêcheurs, de mineurs, anciens camps de déportation sont souvent à l’origine d’un développement urbain et régional. Les noyaux ainsi créés s’étoffent et parfois se rejoignent.

Les problèmes du développement

Ces signes tangibles de développement dans un pays neuf et riche, mais où la nature est hostile, ne doivent pas faire oublier les lenteurs et les freins que les hommes aussi bien que la nature opposent à la mise en valeur du territoire. Il s’agit avant tout d’assurer la permanence du peuplement. Or, si la Sibérie a été colonisée par de nombreuses vagues de migrants, si sa population n’a cessé de s’accroître à un rythme soutenu, on enregistre depuis le début des années soixante un bilan migratoire négatif dans plusieurs régions. On cite de nombreux cas où les émigrants retournent en Russie, en Ukraine ou en Asie moyenne. Parfois, ces mouvements ont pris une forme collective: ainsi dans la province de Tioumen, où des milliers de jeunes décidèrent ensemble de repartir. L’instabilité de la main-d’œuvre, la difficulté de former des cadres moyens et supérieurs sur place, l’hétérogénéité des foyers de peuplement constituent des conditions défavorables à la continuité du développement. Un nouveau plan spécial de colonisation a été mis au point, qui prévoit en particulier des avantages financiers, tels que hauts salaires, ces derniers pouvant dépasser de 70 p. 100 la moyenne des salaires de l’Union, et dégrèvements fiscaux. Beaucoup reste à faire dans le domaine de l’habitat, de la vie culturelle, de la formation des jeunes.

Le second problème consiste à réaliser les investissements les plus rentables en des points convenablement choisis. Or, l’espace sibérien n’est pas suffisamment connu pour que soient évitées erreurs d’implantation et de calculs économiques. Si le kilowattheure d’électricité coûte plusieurs fois moins cher en Sibérie occidentale et en Sibérie orientale qu’en Russie d’Europe, il revient deux fois plus cher en Extrême-Orient. Faut-il, alors, installer à grand frais les hommes à proximité des ressources sibériennes ou n’est-il pas moins coûteux de déplacer ces ressources, après une première transformation, vers les hommes qui vivent dans la partie européenne du pays?

Enfin, voisine de la puissance chinoise, la Sibérie devient objet de convoitise. Pour l’équiper, les Soviétiques cherchèrent des alliés. Ils ont fait appel à l’Europe pour la mise en valeur de certaines richesses. Des firmes allemandes et françaises ont été sollicitées pour l’exploitation, jugée difficile et lente, du gisement de cuivre d’Oudokan, en Sibérie orientale, l’un des plus riches de la planète. Mais c’est surtout au Japon proche et rival de la Chine que l’U.R.S.S. a fait appel. Des entreprises japonaises ont coopéré à la modernisation des ports de la mer d’Okhotsk, au développement de la pêche et de la construction navale, au transport par méthaniers du gaz naturel découvert dans l’île Sakhaline. Capitaux et techniciens japonais sont intervenus dans l’exploitation des forêts de l’Amour, dans la mise en place du réseau des oléoducs, dans la construction de nouvelles voies ferrées. Il est possible qu’une coopération américano-nippone permette de surmonter les difficultés.

6. Les Sibéries

Trois régions économiques découpent l’espace sibérien. Régions de programmes et de planification sous le régime soviétique, elles offrent toujours des unités de première grandeur. On distingue ainsi trois grands groupements régionaux.

La Sibérie occidentale

La Sibérie occidentale s’étend sur plus de 2 400 000 km2, et sa population, au 1er janvier 1986, s’élevait à 14 358 000 habitants (6 hab./km2). La population urbaine représente près de 72 p. 100. Il s’agit de la partie la plus peuplée, renfermant les villes les plus importantes. Son développement repose sur quatre facteurs: la production et les réserves de charbon du Kouzbass, le rôle joué par l’agriculture, l’extraction des hydrocarbures et le rôle des villes du Transsibérien.

Le Kouzbass aurait produit plus de 150 millions de tonnes de charbon en 1986 et a considérablement accru l’extraction de minerais de fer, de plomb et de zinc. Le combinat métallurgique de Kouznetsk, avec une production annuelle de 10 millions de tonnes, et l’usine sidérurgique de Sibérie occidentale, à Antonovski, avec 7 millions, fournissent plus du dixième de l’acier de l’Union. La carbochimie et les industries textiles se sont développées. La région industrielle comprend plusieurs agglomérations de plus de 100 000 habitants. Novo-Kouznetsk, anciennement Stalinsk, accueille près de 600 000 habitants.

La région fournit plus du dixième des céréales du pays et une part appréciable des produits de l’élevage. La mise en valeur des terres neuves à la limite du Kazakhstan, dans l’Altaï, l’assèchement des marais, l’irrigation dans la zone steppique doivent accroître cette production.

La vaste plaine de l’Ob est devenue le premier bassin d’hydrocarbures de la Russie. Les réserves de pétrole et surtout de gaz naturel de ce «troisième Bakou» font l’objet d’une production qui est, aujourd’hui, plus importante que celle qui provient du «second Bakou».

Les principales villes du Transsibérien sont Omsk ou Novosibirsk, la capitale de la région, dont la population est de 1 400 000 habitants en 1986, nœud ferroviaire et port fluvial, au débouché du Kouzbass dont elle subit ou reçoit les effets d’entraînement, siège d’une industrie sidérurgique, mécanique et chimique. La puissante centrale électrique de l’Ob et Akademgorodok, la cité de la filiale sibérienne de l’Académie des sciences, sont situées dans la conurbation que la ville développe autour d’elle.

La Sibérie orientale

La Sibérie orientale, région plus étendue (4 122 000 km2) et moins peuplée (8 875 000 hab. en 1986, soit 2,2 hab./km2), comporte trois pôles d’activité: au-delà du cercle polaire, les ports de l’Iénisseï inférieur, comme Igarka qui exporte des bois durant la belle saison, et l’agglomération minière de Norilsk, qui dépasse 180 000 habitants (cuivre et nickel); la région de Krasnoïarsk, avec ses richesses minières, houille, fer et métaux non ferreux, et les centrales géantes, construites ou en projet, de l’Iénisseï supérieur – au centre, Krasnoïarsk, foyer des industries mécaniques et de l’aluminium, dont la population, en 1986, dépasse 885 000 habitants; enfin, la région du Baïkal, dominée par Irkoutsk (601 000 hab.), dont le développement est assuré par la mise en service de la centrale hydraulique, de l’usine de cellulose et du combinat d’aluminium de Bratsk, le début de l’exploitation de la taïga et des minerais non ferreux.

On dénombre de nombreux autres pôles de croissance, le long du Transsibérien, dans la République autonome de Touva, au bord du Baïkal, dans la région montagneuse de Minoussinsk, le long du chemin de fer qui, du Transsibérien à Taïchet, atteint Bratsk et Oust-Kout. Mais l’énorme potentiel énergétique (plus du quart de l’U.R.S.S. pour le charbon et l’hydro-électricité) et minier (notamment les minerais d’aluminium) est encore loin d’être mis en valeur.

Les industries et centrales ne fonctionnent pas à pleine capacité; les transports restent trop lents; certaines branches, comme l’agriculture et les industries de consommation, sont encore largement déficitaires.

L’Extrême-Orient

L’Extrême-Orient est une «région passive», important plus de 70 p. 100 de ses approvisionnements, reliée au reste de la Sibérie par le cordon du Transsibérien et dont la façade sur le Pacifique, prise par les glaces sauf dans sa partie méridionale, est en majeure partie inutilisable. Cependant, l’intérêt politique et stratégique que représente cette région justifie les investissements qui lui sont consacrés. 7 651 000 habitants se répartissent inégalement sur plus de 6 200 000 kilomètres carrés.

La Yakoutie, autrefois rattachée à la Sibérie orientale, couvre presque la moitié du territoire et n’est peuplée que de 1 009 000 habitants, dont 691 000 vivent dans les agglomérations urbaines: ports sur l’océan Glacial Arctique, centres miniers (diamants de Mirny, plomb, or), centres de forage de pétrole, et la capitale, Yakoutsk, qui a dépassé les 184 000 habitants en 1986, soit le sixième de la république.

La vallée de l’Amour et de ses affluents est en voie de devenir une région agricole grâce à la régularisation des hautes eaux dues à la mousson. Les céréales et les plantes fourragères ne suffisent pas encore à la consommation de l’ensemble de la région. Favorisées par le climat, des cultures de caractère extrême-oriental se localisent dans la vallée de l’Amour inférieur et dans celle de l’Oussouri: le riz, le soja, le kaoliang. Les villes ferroviaires deviennent des centres industriels: ainsi, avec 584 000 habitants en 1986, Khabarovsk possède des industries mécaniques et une raffinerie. Komsomolsk, célèbre par l’épopée de la jeunesse communiste, est également le siège d’une raffinerie de pétrole et le centre d’un combinat de cellulose. On extrait de l’étain dans son voisinage.

La vallée de l’un des affluents de l’Amour, l’Oussouri, que suit le Transsibérien, est mise en valeur par la culture du riz; c’est le point le plus septentrional atteint par cette céréale dans la région.

Le littoral et les îles constituent la zone la plus originale : d’abord parce que le climat de mousson perturbe la zonation régulière de la Sibérie; ensuite parce que les acquisitions territoriales réalisées aux dépens du Japon (le sud de l’île Sakhaline, les îles Kouriles) ont donné à l’Union soviétique le monopole de l’exploitation de la mer d’Okhotsk; enfin parce que les investissements économiques et de prestige favorisent les ports et les activités maritimes.

Le Primorie (littoral) proprement dit s’étend de la frontière de Corée à l’embouchure de l’Amour. Une région suburbaine entoure Vladivostok, «le Dominateur de l’Orient», fondé en 1860, port terminus de la route maritime du Nord, base stratégique, port commercial. Avec les localités minières ou industrielles qui sont implantées le long de sa large baie, et avec son avant-port de Nakhodka, ouvert au trafic international, la conurbation atteint 800 000 habitants. Plus au nord, les monts de Sikhota-Alin renferment le gisement d’étain le plus riche de l’Union. Olga, Sovietskaïa Gavan et Nikolaevsk se développent.

Aussi étendue que la Suisse, allongée, présentant une dépression centrale limitée par deux anticlinaux surmontés de volcans, l’île Sakhaline n’a commencé à se développer qu’en 1945. La forêt et l’élevage, le charbon et le lignite, le gaz naturel et le pétrole exportés vers les raffineries du continent contribuent au peuplement de l’île dont la capitale, Youjno-Sakhalinsk, accueille 163 000 habitants.

Le littoral de la mer d’Okhotsk, les Kouriles et le Kamtchatka se consacrent presque entièrement à la pêche, bien que des îlots de culture et d’élevage se développent sur les côtes. Favorisée par le mélange d’eaux à températures différentes et l’abondance du phytoplancton, la mer d’Okhotsk est l’une des plus poissonneuses du monde, et les prises de la flotte soviétique dans le Pacifique représentaient plus de la moitié des prises de toute l’Union: hareng, morue, poissons de conserverie, crabes (exportés sous le nom de chatka ). Malgré les dévastations causées au XIXe siècle, la chasse au phoque et au morse s’est rénovée. Des bases navales équipent des chalutiers et des navires-usines sillonnent le Pacifique septentrional et tropical, où la pêche au thon s’est développée au cours des dernières années. Aussi, des foyers de vie se sont créés sur le littoral de la mer d’Okhotsk, tels que le port de Magadan, centre administratif d’une vaste région minière et d’élevage du renne, ou les ports des côtes orientale et occidentale du Kamtchatka. En 1986, la capitale, Petropavlovsk, compte à elle seule 248 000 habitants sur les 435 000 qui vivent dans la péninsule.

Par l’acuité de ses problèmes démographiques et économiques comme par l’originalité de son développement, l’Extrême-Orient symbolise l’ensemble des caractères de la Sibérie. L’amélioration des prix de revient, la construction de nouvelles lignes de transport, la stabilisation d’une main-d’œuvre qualifiée, de préférence formée sur place, l’extension de l’espace agricole, la dotation des grandes cités en équipements collectifs, telles sont les mesures qui devraient entrer en application afin d’assurer le développement d’une région dont l’intérêt principal demeure d’ordre stratégique et militaire.

Sibérie
vaste rég. située en Russie, entre l'Oural, l'Arctique, le Pacifique et, au sud, le Kazakhstan, la Mongolie et la Chine; 12 765 000 km² et env. 30 millions d'hab. Les rég. bordières du Pacifique et du fleuve Amour sont parfois exclues de la Sibérie. Géogr. et écon. - La Sibérie occidentale (entre l'Oural et l'Ienisseï) est une vaste plaine, souvent marécageuse, drainée par l'Ob et ses affl. La Sibérie centrale (entre l'Ienisseï et la Lena) est un immense plateau faillé. En Sibérie orientale, des chaînes récentes (alt. max. 4 850 m au Kamtchatka) se développent jusqu'au Pacifique. Des hivers très froids et longs (janv.: -15 à -40 °C) sont coupés de brefs étés (juil.: 10 à 20 °C); dans diverses zones, le sol est gelé en permanence (merzlota). à la toundra, au N., succèdent la taïga (énorme réserve de bois) puis la steppe. L'agriculture (céréales, élevage) n'est pratiquée que dans le S.-O. La pop., d'origine russe, qui a submergé les chasseurs itinérants et les semi-nomades turco-mongols, se concentre au S. Le sous-sol recèle d'immenses richesses: houille (exploitée surtout dans le Kouzbass), fer, métaux non ferreux, or, diamants, gaz naturel exporté par gazoduc jusqu'en Europe de l'O., pétrole (énorme gisement sur l'Ob moyen). Le potentiel hydroél. est colossal. Quelques centres industr. ont été installés (à Novossibirsk, notam.). Le climat rude et les mauvaises communications freinant l'exploitation des richesses, le gouvernement attend beaucoup de l'aide extérieure (È.-U. et Japon, notam.). Hist. - Occupée dès le paléolithique (Sibérie méridionale), habitée vers l'ère chrÉtienne par des peuples nomades turco-mongols, la Sibérie s'ouvrit à la colonisation russe au XVIe s.; le Kamtchatka fut atteint v. 1650. à partir du XVIIIe s., les déportés de toutes catégories formèrent une importante main-d'oeuvre. Le Transsibérien, édifié de 1891 à 1916, favorisa la colonisation. L'ère stalinienne a multiplié les goulags, dont les prisonniers ont été employés sur tous les grands chantiers.

Encyclopédie Universelle. 2012.