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PLANTES
PLANTES

L’acte de planter consiste à ficher en terre un germe végétal dont on veut assurer le développement. On a donc coutume de désigner sous le nom de plantes les végétaux qui se prêtent à un tel usage, soit qu’on les propage par graine, soit que l’on utilise plutôt des organes végétatifs tels que bulbes, rhizomes ou tubercules, voire des fragments de tige, des feuilles ou encore des morceaux du système radiculaire.

C’est la présence dans les tissus végétaux de foyers embryonnaires permanents, les méristèmes, qui explique cette aptitude des plantes au repiquage, donc au renouvellement individuel. Les progrès de la biologie ont démontré qu’il ne s’agissait point là d’un privilège particulier; en milieu nutritif approprié, les tissus des animaux manifestent des propriétés semblables pour autant qu’ils soient peu différenciés. Leur culture in vitro a même précédé d’un quart de siècle (Alexis Carrel, 1910) celle des tissus végétaux (Jean Nobécourt, Pierre Gautheret, 1935).

Le biologiste hésite donc aujourd’hui à définir les plantes selon des critères seulement culturaux puisqu’il peut cloner, c’est-à-dire multiplier in vitro toute espèce de matériel embryonnaire quelle que soit son origine, animale ou végétale.

C’est ainsi leur végétalité qui, en dernière analyse, donne aux plantes leur caractère propre, à savoir leur alimentation minérale osmotrophe, destinée à la fabrication de matière organique par photosynthèse . Dans les organes chlorophylliens, la fixation et l’utilisation d’énergie lumineuse sera en définitive un acte de nutrition (autotrophie). Cette remarquable propriété bénéficie à l’ensemble de la biosphère où plantes et animaux sont fonctionnellement intégrés en réseaux trophiques comportant productrices et consommateurs. La plante apparaît ainsi comme la condition absolue de la vie sur Terre, dans le contexte planétaire où celle-ci se trouve placée. Puisque ces aspects essentiels de la vie végétale sont traités ailleurs, le présent article se bornera à recenser les types d’organisation des plantes, les formes de leur comportement et les modalités de leur relation avec l’homme.

1. Organisation des plantes

Les plantes auxquelles nous consacrerons notre attention sont celles qui sont constituées par l’assemblage de trois organes fondamentaux: la tige, les feuilles et les racines, formant ensemble un organisme que l’on a appelé un cormus : ces plantes sont des Cormophytes. Nous n’envisagerons donc pas ici le cas des végétaux ne disposant que d’un corps plus rudimentaire, connu sous le nom de thalle , c’est-à-dire des Thallophytes, dont la morphologie souvent filamenteuse ou laminaire n’est pas strictement définissable sans une analyse – laborieuse – des modalités de l’ontogenèse.

Dans le cas des Cormophytes, au contraire, la morphologie de l’individu adulte permet de faire sans hésitation la diagnose de l’espèce à laquelle il appartient, car le type d’organisation de la plante reflète avec rigueur les potentialités génétiques de l’espèce. Les botanistes ont pu en préciser les règles: modalités de la ramification racinaire (pivotante, fasciculée), caulinaire (pousses hiérarchisées selon les lois de dominance et de corrélation entre bourgeons et selon la vigueur et les virtualités ontogéniques – végétatives ou florales – de ceux-ci) et enfin modalités plastochroniques de l’initiation foliaire (définition phyllotaxique de l’arrangement des feuilles au long des pousses).

Mais l’organisation des plantes n’est pas seulement une mise en œuvre d’une sorte de thème architectural (pattern des Anglo-Saxons). Il faut encore tenir compte, d’une part, de la durée, qui s’inscrit comme nécessité, en particulier sur le plan de la reproduction, et, d’autre part, des taux de croissance, sur lesquels joue l’événementiel, c’est-à-dire le hasard.

On distingue par conséquent des espèces polycarpiques, fournissant à plusieurs reprises des semences, et des plantes monocarpiques qui n’en produiront qu’une fois au cours de leur existence.

Ces dernières vivent parfois de nombreuses années (Aloès), mais ce sont plus souvent des bisannuelles ou des annuelles. Chez les bisannuelles (la Betterave, par exemple), la première année sert à édifier un organisme robuste qui résistera pendant la mauvaise saison et dont les réserves serviront l’année suivante au développement vigoureux et précoce des tiges florifères. Quant aux annuelles , elles meurent en principe après leur première fructification, laissant ainsi aux graines le soin de les perpétuer.

Dans le cas des plantes vivaces , l’organisation dépend essentiellement des modalités des croissances différentielles et de leur combinatoire. L’axe principal d’une plante rhizomateuse, l’Iris par exemple, oriente horizontalement sa croissance (diagéotropie) contrairement à la norme de verticalité qui érige habituellement les tiges (géotropie négative). Néanmoins, la pousse annuelle de l’Iris dresse au-dessus du sol son bouquet de feuilles entourant la hampe florale. La tige permanente d’une bulbeuse, comme le Lis, croît surtout en largeur, s’allongeant moins que les feuilles transformées en écailles qui l’entourent; sur le «plateau» caulinaire, un bourgeon, d’où naîtra l’éphémère tige aérienne, se forme chaque année. Ces deux plantes sont des Monocotylédones, chez lesquelles le programme génétique ne prévoit pas la réalisation de «formations secondaires», c’est-à-dire de tissus subéreux externes (liège des «écorces») et ligneux internes (bois des troncs). Un autre type de Monocotylédone vivace construit néanmoins un axe principal vertical très robuste avec des bases de feuilles en faisceau tout autour, ce qui donne le «stipe» des palmiers ou encore un groupe d’axes comme dans la «souche» de certaines hydrophytes, Typha par exemple, ou dans les «touffes cespiteuses» de diverses grandes Graminées.

Lorsque les plantes construisent des formations secondaires, ce qui caractérise les Gymnospermes et les Angiospermes Dicotylédones, ces tissus vont assurer une croissance en épaisseur répétitive, par cercles annuels, pendant toute la vie de la plante. Mais cela n’empêche pas certaines espèces de conserver une consistance «herbacée» faute d’activité suffisante des «assises génératrices» des tissus secondaires. Souvent, le défaut de rigidité qui s’ensuit est compensé par l’acquisition d’une consistance «charnue» qui traduit en réalité une hyper-hydratation, comme chez les Joubarbes et surtout les Cactus entre autres plantes «succulentes».

Selon les modalités de leur croissance relative en longueur et en épaisseur, les tiges des plantes ligneuses seront des lianes ou des troncs. Ces derniers sont intensément ramifiés dès la base chez les arbrisseaux, et, plus généralement, chez toutes les espèces à port buissonnant, tandis qu’ils portent une ramure plus ou moins enveloppante dans le cas des formes arbustives ou arborescentes.

L’influence du contexte écologique est ici importante: la silhouette du Chêne pédonculé est différente selon qu’il pousse sur sol profond, soit groupé en peuplement forestier, soit isolé dans un pré, ou selon qu’il végète sur terrain calcaire et rocailleux; le Genévrier commun, au lieu d’être érigé, devient prostré sous l’action de la neige ou du vent; c’est encore le vent qui modèle en coupole les Chênes verts du littoral atlantique aquitain où il parvient aussi à coucher les pins maritimes pour les tordre en candélabre.

C’est sur la base d’une telle analyse morpho-structurale des végétaux terrestres d’Europe que Raunkiaer a pu distinguer ses fameux «types biologiques» en rapportant à des modalités adaptatives à la saison froide les diverses catégories de plantes qu’il avait reconnues.

En réalité, le problème d’une adéquation des formes végétales aux conditions du milieu – dont les exemples classiques sont les hygrophytes, flottantes ou submergées; les xérophytes luttant contre la sécheresse par la succulence (et son métabolisme très original) ou la scléromorphie; les parasites enfin – reste posé dans les même termes qu’au XIXe siècle.

2. Comportement des plantes

Il n’est paradoxal qu’en apparence de parler de comportement à propos des plantes, car les modalités comportementales propres aux Cormophytes découlent précisément de leur inaptitude à se déplacer.

En réalité, la mobilité fait partie de la vie végétale, aussi bien au niveau des organes végétatifs qu’au niveau des organes qui concourent à la reproduction.

Chez ces derniers, la présence de dispositifs de sustentation ou de propulsion permettra la dissémination d’unités porteuses de fructifications (diaspores) ou plus simplement de fruits renfermant des graines ou de ces graines elles-mêmes. C’est donc un moyen de propagation de l’espèce . Ailes (Tilleul, Orme, Frêne, Érable), aigrettes (Pissenlit), long duvet (Peuplier) favorisent la dissémination par le vent ou anémochorie. Aiguillons, crochets, matériaux gluants assurent la fixation au corps des animaux, donc la zoochorie, avec des modalités particulières au cas des insectes, caractérisant l’entomochorie. L’hydrochorie implique l’existence de dispositifs de flottaison (utricules de Carex, diaspores des Nymphéacées, fruits du Cocotier). La rupture brutale de fruits secs déhiscents (gousses du Genêt, etc.) et de certains fruits charnus (Ecbalium , Balsamine) constitue un mécanisme d’autochorie.

Du fait de l’absence de tissu musculaire chez les plantes, le déterminisme des mouvements de leurs organes végétatifs repose soit sur des mécanismes hydrodynamiques, soit sur des réactions d’élongation qui intéressent certains groupes de cellules localisés dans les parties nouvellement formées des plantes (zones d’auxésis placées en amont des points végétatifs méristématiques).

Les mouvements dits révolutifs ont une ampleur remarquable chez les plantes grimpantes. Une plante est dite volubile quand elle peut, comme le fait le Liseron, enlacer un support grâce au déplacement circulaire que le sommet de la tige accomplit. Ce phénomène de nutation est dû à une variation du taux de croissance de la tige, qui intéresse successivement ses différentes faces selon un rythme dit autonome, car relativement indépendant des facteurs externes, mais inscrit dans le patrimoine génétique. D’autres plantes grimpent en s’accrochant par des vrilles (feuilles ou rameaux modifiés) dont le déplacement révolutif tâtonnant s’achève par une fixation vrille-support. La vrille, toujours enroulée, ne peut être confondue avec d’autres dispositifs en crampon (racines adventives du Lierre) ou en ventouse (axes filamenteux latéraux de Vigne vierge), qui se fixent par simple contact.

On appelle tropismes les réactions d’orientation de la croissance que l’on observe en plaçant une plante en conditions anisotropes. L’action de la pesanteur cause le géotropisme, dont il a été question plus haut, la lumière détermine le phototropisme, positif pour les feuilles et les tiges qui se dirigent de ce fait vers une source lumineuse, négatif pour les racines qui recherchent donc l’obscurité. Chimiotropisme, hydrotropisme et thigmotropisme (contact) existent aussi.

Tous ces effets d’incurvation sont dus à un même mécanisme: la différence de vitesse de croissance de part et d’autre de l’organe soumis au stimulus; elle a lieu sous l’action d’une inégale répartition de l’auxine – hormone de croissance – dont dépend l’élongation cellulaire.

Des phénomènes comparables sont observés à l’éclosion des bourgeons ou à l’épanouissement des fleurs, mais comme ils ne sont plus dirigés par un facteur externe on les qualifie de nasties . Il est incommode que ce terme désigne aussi les changements de position des pièces du limbe foliaire sous l’action de chocs (séismonasties) connus chez la Sensitive ou la Dionée.

Des variations semblables sont produites par la lumière chez diverses fleurs (la Belle-de-nuit et d’autres espèces utilisées par Linné pour composer son «horloge de Flore») ou encore par la chaleur comme on l’observe chez la Tulipe. Ce sont des photo- et des thermonasties, dues à des variations de turgescence cellulaire locale se produisant selon un rythme diurne, d’où leur nom de nyctinasties.

Chez ces cellules «à géométrie variable», les changements de perméabilité sont cause de gonflement ou d’affaissement, mais avec pour corollaire une modification de l’état membranaire. Les techniques de l’électrophysiologie permettent d’enregistrer à ce sujet des modifications de polarisation membranaire qui, au moins chez la Sensitive, ne sont pas sans analogies avec celles que l’on détecte dans les tissus animaux excitables, tel le tissu nerveux: un potentiel d’action prend naissance au point excité et se propage localement à une vitesse de l’ordre de 10 millimètres par seconde sous forme d’un courant de dépolarisation; il est relayé par un message chimique pour la conduction à plus grande distance, intéressant ainsi les organes contigus à celui qui a été stimulé.

De tels faits dénotent la sensibilité des plantes , explorée minutieusement, mais avec un appareillage peu fiable, en 1925, par sir Jacadis Chandra Bose; ses recherches ont eu le mérite de montrer qu’il ne nous était pas possible de formaliser de cette manière la sensorialité des végétaux. Alors que celle des animaux nous est évidente, celle des plantes nous échappe presque complètement. Notre activité perceptive se borne, d’ordinaire, à en enregistrer les formes, les coloris, les arômes, les bruissements des ramures et du feuillage, ainsi que leurs ombres frémissantes, comme une source de connivence entre l’homme et la plante. Les poètes ont souvent réussi à décrypter cette relation et à en élucider la symbolique. Peut-être faut-il même évoquer à ce propos une éventuelle «aura» végétale à laquelle certains sujets se montrent réceptifs. On rapporte que Barbara McClintoch (prix Nobel de médecine 1983) comprenait intuitivement les avatars génétiques des Maïs qu’elle étudiait, mais qu’il lui était impossible de traduire ce feeling en termes de stricte rationalité scientifique. Bien différente, certes, est la quête de ceux qui s’acharnent encore à expérimenter, avec les plantes, l’asservissement toxicologique ou magique, vestige des mentalités archaïques.

Il a fallu attendre la réalisation des phytotrons, qui permettent de conditionner rigoureusement le développement des végétaux, pour en analyser les rythmes biologiques et démasquer de la sorte une forme assez inattendue de la sensibilité des plantes.

Elle concerne l’identification de récepteurs qui captent à l’intérieur des cellules les stimuli de l’environnement et modulent ainsi une information permettant aux plantes de modifier en conséquence leur comportement.

Le plus universel de ces récepteurs est le phytochrome , pigment photosensible activable par de très faibles quantités d’énergie lumineuse de longueur d’onde bien définie (rouge clair, bleu). Il intervient notamment dans la mise à fleur (d’où la sensibilité des plantes à la photopériode, de jour «court» ou de jour «long» suivant les espèces), mais aussi dans la levée de dormance de certaines graines, et enfin dans la croissance (avec des conséquences morphogénétiques) ainsi que dans les photonasties.

Il n’est donc pas surprenant de voir apparaître dans les traités de physiologie végétale modernes des chapitres consacrés à la vie de relation des plantes. L’un des aspects les plus nouveaux en ce domaine concerne les relations interindividuelles comportant une identification du «soi» et de l’«autre». Dans ce processus, sous des formes très discrètes, les lectines sont peut-être en cause.

Le mieux connu des systèmes de reconnaissance de la compatibilité biologique s’exerce chez les plantes à fleur lors de la fécondation avec la tolérance ou le rejet par le carpelle (structure femelle) du tube pollinique (structure mâle) selon un mécanisme à caractère immunogénétique.

D’autres particularités relationnelles propres à certaines plantes sont connues de beaucoup plus longue date.

La fonction prédatrice est exercée par des plantes dites carnivores parce qu’elles disposent de véritables organes de capture avec lesquels elles piègent des proies, insectes surtout [cf. DIGESTION]. Parfois, d’ailleurs, le dispositif est d’une efficacité controversée: cas des «nasses» de l’Utriculaire ou de la «spathe» des Arums. À la limite, quelques plantes hébergeant des symbiotes , comme le font les Légumineuses ou les Orchidées, pourraient être considérées comme prédatrices vis-à-vis des micro-organismes qui habitent certains de leurs tissus.

Cela nous amène à un autre type de comportement, ou de relation interspécifique, pratiqué aussi bien par les plantes que par les animaux: il s’agit du parasitisme .

Beaucoup plus que chez l’animal, qui est hétérotrophe par nécessité, le passage à la vie parasitaire est, chez des êtres autotrophes comme les plantes, une anomalie biologique. Peut-être faut-il en rechercher l’origine dans les opportunités de la vie épiphyte ou dans la relative facilité du greffage dans le monde végétal.

Pourtant, et c’est encore un thème cher à la biologie végétale traditionnelle, les plantes ont su créer un vaste arsenal de systèmes défensifs (surfaces coriaces, épineuses, urticantes, vénéneuses) ou dissuasifs (odeurs, camouflages) s’adressant il est vrai en principe aux animaux ennemis, mais parfois aux végétaux voisins (cas des racines produisant des substances télétoxiques).

3. Les productions végétales

Nous ne pouvons examiner ici l’aspect global de la production végétale, qui est traité dans l’article BIOSPHÈRE, ni son rôle dans les échanges trophiques, qui fait l’objet de l’article ÉCOSYSTÈMES. Il faut néanmoins répéter que les plantes sont seules responsables de la production primaire de matière organique, ce qui les place en amont de tous les réseaux trophiques, autrement dit à la source des matériaux alimentaires utilisables par les autres êtres vivants de façon directe ou indirecte selon qu’ils sont herbivores ou carnivores [cf. ÉCOLOGIE].

Les questions techniques étant exposées dans l’article ALIMENTATION (économie), il suffira de retenir ici l’ordre de grandeur de ces ressources à travers quelques chiffres: en 1993, on a récolté dans le monde 1 937 millions de tonnes de céréales, 113 millions de tonnes de soja, 116 millions de tonnes de sucre.

Dans le même temps, la population humaine, qui gère finalement la totalité de la biosphère, approche des six milliards d’individus. De tels chiffres confrontés posent éloquemment le problème de la coexistence des plantes et de l’humanité.

Par surcroît, les plantes fournissent à celle-ci un nombre considérable des matériaux utiles à son industrie tels que bois, fibres, huiles et cires; latex, résines, parfums et, bien sûr, médicaments. La pharmacopée utilise depuis toujours les «vertus» des plantes médicinales. Si elle en a négligé quelques-unes pour privilégier les cardiotoniques, les antimitotiques, les neuromodificateurs d’origine végétale, la médecine «officielle» n’a pour autant jamais renoncé à utiliser les «simples». Ce sont les prescripteurs – et les malades – qui n’en attendaient plus guère de grands bienfaits. La phytothérapie connaît un meilleur accueil aujourd’hui, et c’est un retour au bon usage des produits de la biosphère.

Il est impossible, dans le même esprit, de ne pas souligner qu’il nous faut vivre avec les plantes en tant que composantes des paysages. Le XXe siècle, qui croit aux loisirs, a redécouvert la majesté de la nature, son harmonie, à laquelle il s’efforce de communier, non sans maladresse. Faut-il protéger, faut-il aménager, c’est un débat d’aujourd’hui, et il a pris une connotation politique capitale.

Comment oublier en effet, comme l’a fait parfois, semble-t-il, le XIXe siècle industriel, que l’homme a toujours recherché dans la «paix» des champs ou dans l’agrément des jardins une source de bien-être et d’équilibre?

C’est par là sans doute que nous pouvons reconnaître dans les œuvres de l’humanité un constant effort en vue d’intégrer le monde des plantes au développement historique des civilisations. On se bornera ici à titre d’exemple à quelques indications relatives à la vie artistique, mais bien d’autres thèmes devraient être abordés.

4. Les plantes dans l’art

Le monde végétal ne prend place que tardivement dans l’expression artistique: il faut attendre l’instauration des grands empires agraires pour voir les images des plantes décorer les objets usuels, comme le fait celle de l’orge sur un cachet-cylindre mésopotamien (Sumer, période Ourouk, 3000 av. J.-C.).

En Égypte, le modèle végétal s’inscrit à la fois dans l’ornement architectural (colonnes palmiformes, papyriformes et lotiformes), dans la symbolique hiéroglyphique et enfin dans la composition de scènes de la vie quotidienne (chasse, pêche, travaux agricoles) qui soulignent ainsi l’intérêt porté alors par l’homme aux plantes, pour la première fois vraiment présentes dans sa vie.

Elles n’accéderont toutefois à la dignité de thème décoratif proprement dit que dans l’art crétois, où les simples Roses, les Iris et les Héliotropes ornent de toute leur fraîcheur agreste les féeriques fresques minoennes.

Mais, chez les Grecs, la plante n’est plus qu’un prétexte décoratif qui ponctue les architraves au rythme des palmettes et des lotus, ou qui se déploie en feuilles d’acanthe en haut des colonnes corinthiennes. Plus tard, le matérialisme romain se montrera beaucoup plus friand de grasses et luxuriantes végétations, promesses d’épaisses satisfactions charnelles: lianes, fruits, feuillages couvrent à profusion les monuments, les habitations luxueuses et même les sarcophages, comme si la plante, symbole de la nature, était au cœur même de l’existence humaine.

De cette abondance, hormis le rinceau, hérité des Grecs et repris par Byzance, rien, ou presque, ne devait survivre pendant la nuit des invasions barbares. On verra ensuite la stylisation des plantes réapparaître dans l’art roman et s’exalter dans l’esthétique islamique, probablement en relation avec le goût déjà très vif en Asie Mineure et en Perse pour l’ornement végétal qu’utilise si volontiers l’art sassanide au Ve siècle.

C’est en Chine que l’on voit apparaître, au Xe siècle, la peinture de paysages dans lesquels les plantes sont traitées avec un réalisme saisissant. On sait que l’Extrême-Orient ne devait plus oublier, jusqu’à nos jours, cette source d’inspiration esthétique qu’il traite avec une magistrale originalité.

Indépendamment, le naturalisme artistique naissait en Europe avec l’art gothique, à partir du XIIe siècle. De merveilleuses rosaces s’inspirent de sommités fleuries, les pinacles se couvrent de bourgeons et les colonnes s’épanouissent en palmiers soutenant les voûtes, tandis que sculptures et fresques s’enrichissent de toute une flore merveilleuse. À l’apogée de ce mouvement, au XIVe siècle, le monde médiéval dispose, sur le plan iconographique, d’un vaste échantillonnage végétal qu’il combine avec une infinie variété pour composer les fonds des tapisseries, les entrelacs des enluminures et esquisser les perspectives des tableaux courtois du gothique international.

Un siècle à peine devait suffire à accroître encore ce patrimoine artistique en renouvelant la recherche et l’utilisation des motifs végétaux: la Renaissance italienne, d’une part, la tradition naturaliste particulière aux Écoles des Flandres et du Nord, d’autre part, feront alors de la peinture de fleurs un genre presque autonome qui transpose avec bonheur l’art très ancien des bouquets. Ces nouvelles tendances devaient, comme on le sait, s’étendre aux métiers d’art en général, et, avec des péripéties diverses, en féconder l’inspiration jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, pour refluer finalement devant le néoclassicisme. Mais l’esprit naturaliste allait revenir en force avec le romantisme, puis avec le courant impressionniste, pour aboutir, tout près de nous, aux extravagances végétales du modern style et du mouvement Arts déco.

Par contraste, l’austérité et la désincarnation des recherches contemporaines se ressentent de l’indifférence profonde que le monde industriel a vouée à la plante, même si on la voit aujourd’hui prendre place, comme signe de vie, dans les espaces glacés de l’architecture moderne.

Plantes
(Jardin des) jardin botanique de Paris, à l'origine du Muséum national d'histoire naturelle.

Encyclopédie Universelle. 2012.