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PHYTOCHROME
PHYTOCHROME

La lumière n’est pas seulement pour les plantes la source énergétique de la photosynthèse. Elle contrôle leur développement, de la germination à la mise à fleur; elle intervient dans les mouvements de leurs organes et de leurs cellules; elle est, avec l’humidité et la température, l’un des paramètres les plus déterminants de leur transpiration et de leur équilibre hydrique.

L’énergie nécessaire est très faible et sans commune mesure avec celle qui, recueillie par les chlorophylles et autres pigments assimilateurs, est convertie en énergie chimique. Les photorécepteurs qui captent ces signaux lumineux sont mal connus, à l’exception de l’un d’eux: le phytochrome.

Découvert en 1952 à partir de recherches sur l’influence des diverses longueurs d’onde sur la germination de certaines graines d’une part, sur la mise à fleur de certaines plantes d’autre part, ce pigment a pu être isolé et sa structure chimique établie. Sa sensibilité spécifique à deux gammes de longueurs d’onde, l’une dans le rouge clair (vers 660 nm), l’autre dans le rouge plus lointain (vers 730 nm), a permis de faire la preuve de son intervention dans des phénomènes très divers, et son étude a ouvert des perspectives originales sur les mécanismes par lesquels les plantes réagissent à la lumière.

La découverte du phytochrome

Ce pigment fut découvert et nommé en 1952 par deux chercheurs du département de l’Agriculture de Bolstville (Maryland), l’un biologiste, H. A. Borthwick, l’autre physicien, S. B. Hendricks, qui eurent l’idée de rapprocher les effets de la lumière sur deux processus apparemment sans rapport: la germination des semences de laitue et la mise à fleur de la lampourde.

Les graines de nombreuses espèces ne peuvent germer que si elles ont été exposées plus ou moins longtemps à la lumière; elles sont dites à photosensibilité positive (d’autres, plus rares, sont à photosensibilité négative). En 1935, Flint et McAlister avaient observé que la germination des semences de laitue (Lactuca sativa ) était stimulée par le rouge clair (bien dans le spectre visible) mais inhibée par le rouge lointain (proche de l’infrarouge).

Quelque dix ans plus tard, en 1946, Borthwick et Hendricks relevèrent une pareille opposition d’effet entre les deux gammes de rouge sur la mise à fleur de la lampourde, Xanthium pennsylvanicum (une Ambrosiacée, proche des Composées). Cette espèce manifeste pour sa floraison un photopériodisme (sensibilité à la photopériode: longueur relative des jours et des nuits) particulièrement net. Plante de «jours courts», elle ne peut fleurir que si la nuit est assez longue (elle fleurit à l’automne): un seul jour trop long (plus de 15 h) inhibe sa floraison. Mieux encore, si la nuit est interrompue par un éclair nocturne de quelques instants, la floraison est également inhibée.

Cette dernière propriété fut mise à profit par Borthwick et Hendricks pour rechercher avec précision quelles devaient être les caractéristiques de cet éclair (longueur d’onde et énergie appliquée) pour qu’il inhibe la floraison de lampourdes par ailleurs aptes à fleurir. Ils constatèrent que l’efficacité maximale de l’éclair se produit pour une longueur d’onde de 630 nm (rouge clair), où il suffit d’une énergie de 50 J . m–2 (fig. 1). En revanche, une application ultérieure d’un éclair de longueur d’onde un peu plus élevée (720 nm) lève l’inhibition et rétablit l’aptitude à fleurir.

Ils reprirent alors les expériences de Flint et McAlister sur la germination de la laitue et obtinrent des courbes de réactions tout à fait analogues à celles du photopériodisme floral. Il devait s’agir du même photorécepteur, qu’ils nommèrent phytochrome.

Propriétés du phytochrome

Le fait que les processus induits par le phytochrome soient de sens opposés selon la longueur d’onde utilisée suggère que le pigment existe sous deux formes, l’une nommée Pr (r: red en anglais), sensible au rouge clair, l’autre Pfr (far red ), sensible au rouge lointain. La réversion de l’effet du rouge par le rouge lointain prouve que Pr se transforme en Pfr sous l’action du rouge et que Pfr retourne ensuite à la forme Pr sous l’action du rouge lointain. Un tissu contenant du phytochrome doit donc présenter un spectre d’absorption qui varie lorsque l’on passe du rouge au rouge lointain. C’est cette propriété qui fut utilisée pour détecter le phytochrome au cours de fractionnements chimiques et pour, finalement, l’isoler à partir de plantules étiolées (afin d’éviter d’être gêné par la chlorophylle) de maïs et autres Graminées. Il fut décelé dans de nombreux tissus: graines, bulbes, tubercules, feuilles, bourgeons, etc. Sa concentration est très faible, environ 1 p. 1 000 des protéines cellulaires.

Il s’agit d’une chromoprotéine, de type biliprotéine (comme les pigments biliaires), avec un groupement prosthétique (chromophore) formé de quatre noyaux pyrroliques en ligne (fig. 2). Ce chromophore est lié à une protéine support (apoprotéine) par des liaisons covalentes. Alors que, naguère, on pensait que la conversion réversible Pr en Pfr portait sur la structure chimique du chromophore, on estime aujourd’hui que c’est la configuration globale de la molécule qui est en jeu, avec des modes d’attache différents du chromophore. De plus, l’étude des gènes impliqués dans la biosynthèse du pigment a montré qu’il y aurait (au moins) deux apoprotéines, notées PHYA et PHYB, et donc deux phytochromes, PHYA et PHYB , ayant le même chromophore; ils réagiraient de la même façon aux diverses longueurs d’onde, mais non aux autres conditions de l’environnement, à l’intensité lumineuse notamment. Les spectres d’absorption (fig. 3) sont conformes à ceux que l’on pouvait attendre des réactions de photosensibilité in vivo, avec maximum d’absorption in vitro à 660 nm pour Pr et à 730 nm pour Pfr. Le phytochrome capte aussi, mais plus faiblement, les radiations bleues, efficaces sur certaines réactions en longues applications.

Dans un processus photosensible, comme la germination de la laitue, le phytochrome reçoit la lumière sous la forme Pr (puisque c’est le rouge qui agit); il se transforme aussitôt en Pfr, qui déclenche la réaction. Le passage PrPfr nécessite une énergie insignifiante: il suffit en général de 1 à 100 J . m–2, soit de 2 minutes à 2 heures de clair de lune (0,5 W . m–2, dont 5 p. 100 de rouge efficace), pour entraîner la photoréaction. La réversion est un peu plus exigeante (de quatre à dix fois plus), ce qui explique qu’en lumière naturelle, où il y a à la fois du rouge clair et du rouge lointain, ce soit l’action du rouge clair qui prédomine. En revanche, il se produit à l’obscurité un lent retour enzymatique de la forme Pfr en Pr, ce qui fait qu’il y a souvent dans les tissus un certain équilibre entre les deux formes.

Critères de l’intervention du phytochrome

Trois caractères d’une photoréaction permettent, s’ils sont réunis, de conclure que le signal qui la commande est reçu par le phytochrome:

1. Les longueurs d’onde efficaces se situent dans le rouge, et le spectre d’action rappelle celui qui est obtenu sur le photopériodisme (fig. 1) ou la germination, avec un maximum d’efficacité au voisinage de 660 nm.

2. L’efficacité du rouge est annulée par une application de rouge lointain (730 nm), si elle est pratiquée dans un délai assez court (pour que le processus n’ait pas eu le temps d’être induit irréversiblement), c’est-à-dire de quelques minutes à quelques heures.

3. L’énergie nécessaire est très faible, normalement de 1 à 100 J . m–2.

Il est apparu que l’on pouvait ranger également sous la rubrique «phytochrome» des réactions qui n’obéissent pas exactement aux conditions 2 et 3. Il s’agit de réactions dites HIR (high irradiation responses ) pour lesquelles l’éclairement nécessaire reste faible (quelques dizaines de watts par mètre carré), mais la lumière doit être appliquée pendant longtemps (plusieurs jours) ou même en permanence. Le type en est la levée de l’étiolement: des tubercules de pomme de terre germant à l’obscurité émettent de longues pousses, pâles et sans feuilles; il suffit, pour qu’elles forment des pousses normales, d’une lumière faible, mais donnée en permanence. On attribuait naguère les HIR à un pigment autre que le phytochrome, absorbant comme lui dans le rouge; on sait maintenant que ce sont des réactions requérant un certain équilibre Pfr/Pr, dont nous avons vu plus haut l’origine.

Phénomènes contrôlés par le phytochrome

La germination des semences à photosensibilité positive en est le type. Il s’agit le plus souvent d’une levée de dormance, c’est-à-dire que, tant qu’elle n’a pas été éclairée, la semence (akène = fruit sec, ou graine proprement dite) est incapable de germer, même dans des conditions par ailleurs favorables (humidité, aération, etc.); alors que, après une exposition suffisante à la lumière (5 min pour la laitue, 1 min pour le tabac, 24 h pour l’épilobe), la germination peut se poursuivre même à l’obscurité. Ce temps minimal d’exposition correspond à une synthèse suffisante de Pfr à partir du phytochrome Pr situé dans l’embryon. Certaines graines (lierre) sont à photosensibilité négative: elles ont à la maturité un excès de Pfr, qui se résorbe lors du vieillissement de la graine.

Autre exemple type d’intervention du phytochrome: le photopériodisme floral. Chez les plantes de «jours courts» (qui fleurissent à l’automne), la forme Pfr est inhibitrice de la floraison alors qu’elle est au contraire inductrice chez les plantes de «jours longs», qui, telles les plantes à bulbes, fleurissent au printemps ou en été, quand les jours allongent. Pourquoi une telle opposition entre les deux types de plantes? On ne pense pas qu’elle soit de nature fondamentale. Les recherches effectuées avec des alternances de lumière et d’obscurité selon des périodes autres que 24 heures ont pu établir que les espèces des deux types présentaient un rythme interne analogue de sensibilité au phytochrome, avec des phases où Pfr induisait la floraison alternant avec des phases où il l’inhibait, mais il y aurait un décalage selon les espèces, avec pour conséquence des possibilités de coïncidences ou d’oppositions plus ou moins marquées avec le rythme des jours et des nuits (rythme nycthéméral). Ainsi, un allongement du jour entraînerait une perception de lumière dans une phase à sensibilité positive pour les plantes de jours longs et à sensibilité négative pour celles de jours courts.

De nombreux phénomènes de croissance sont sous la dépendance du phytochrome. Il peut s’agir soit d’un effet positif du Pfr sur la croissance (feuilles jeunes), plus rarement d’un effet négatif (entre-nœuds de jeunes plantules), mais surtout de la régression des symptômes de l’étiolement, laquelle, nous l’avons vu, est sous le contrôle du rapport Pfr/Pr (réactions de type HIR).

La plupart des mouvements d’organes influencés par la lumière sont régis par le phytochrome, notamment les photonasties: repli des feuilles le soir (robinier, mimosa, trèfle) ou fermeture des fleurs (tulipe). Les mouvements des chloroplastes des Algues, qui ont tendance à se mettre perpendiculairement aux rayons lumineux quand la lumière est faible, parallèlement lorsqu’elle est forte, ce qui leur permet des conditions optimales pour la photosynthèse, sont aussi dus au phytochrome.

Autre grand groupe de fonctions contrôlées par lui: la biosynthèse de certaines enzymes, qui requiert de la lumière: amylase des cotylédons de moutarde, hydrolysant l’amidon; diverses oxydases et peroxydases intervenant dans le catabolisme des glucides; phénylammoniac-lyase (PAL), enzyme clé de la synthèse des antocyanes, qui colorent les fleurs en rouge ou en bleu, et des flavones, qui les colorent en jaune. La synthèse de la protochlorophylle, précurseur obligé de la chlorophylle, est également sous la dépendance de la lumière, via le phytochrome.

Cette liste n’est pas exhaustive. Sa richesse ne doit pourtant pas faire oublier que certaines fonctions sont photosensibles par le jeu d’autres photorécepteurs: le phototropisme, si important pour le port des plantes, le mouvement des chloroplastes des plantes supérieures (contrairement au cas des Algues), l’ouverture des stomates, ces petits orifices à la surface des feuilles qui contrôlent la transpiration, sont régis par des pigments recevant dans le bleu (et non dans le rouge), sans doute des flavoprotéines.

Mécanismes d’action

La diversité même des interventions du phytochrome rend difficile l’élaboration d’hypothèses valables pour tous les cas.

Les seules indications vraiment précises touchent à l’action du phytochrome sur les mouvements des chloroplastes des Algues, par exemple ceux de la chlorophycée Mougeotia étudiée par Haupt (1969): un rayon rouge (R) de faible intensité l’amène à se mettre de face par rapport au rayon (fig. 4 a); un rayon de rouge lointain (fr) le ramène de profil (b). Un microfaisceau de rouge appliqué sur un chloroplaste de profil le déforme de telle façon que la partie éclairée soit comme précédemment de face (c). Un microfaisceau de rouge appliqué sur le plasmalemme (membrane qui limite la cellule) d’une cellule où le chloroplaste est de profil (d) entraîne le recul d’une partie du chloroplaste, qui se rapproche au contraire en rouge lointain (e).

Ces résultats, associés à d’autres, suggèrent que le phytochrome, localisé dans le plasmalemme, exerce lorsqu’il est sous la forme Pfr (après action du rouge) une répulsion sur les régions du chloroplaste proches de sa formation; sous la forme Pr (après action du fr), une attraction. Cela rend bien compte des déformations et des rotations enregistrées (fig. 4). Ainsi la transformation de Pr en Pfr, qui a entraîné un changement de configuration de la molécule, s’est traduite par un changement dans les propriétés physiques du pigment (chromophore + protéine), ce qui est confirmé par des études en lumière polarisée. Il en est résulté des changements sur le sens des forces (attractives ou répulsives) qu’il exerce sur certaines molécules proches. Il est assez probable que, de la même façon, la transformation ait modifié les liens intramoléculaires dans les membranes qui portent le phytochrome et donc ait modifié leur perméabilité, avec toutes les conséquences sur les échanges d’eau qui interviennent dans la germination et les mouvements d’organes (nasties).

Le mécanisme du rôle du phytochrome dans la biosynthèse des enzymes est plus difficile à interpréter (il ne relève d’ailleurs pas forcément d’un modèle unique). Deux hypothèses majeures sont avancées, qui ne s’excluent pas: sous sa forme Pfr, le phytochrome aurait une activité phosphorylante sur certaines protéines (activité protéine kinase), leur conférant ainsi des propriétés enzymatiques; il régulerait l’expression de certains gènes (codant pour des enzymes), en agissant au niveau de la transcription (formation des ARN messagers à partir des ADN).

phytochrome nom masculin Pigment photorécepteur végétal contrôlant de nombreux phénomènes biologiques (germination de certaines semences et de quelques spores, photopériodisme floral, photonasties, déplacement des chloroplastes d'algues, croissance et synthèses d'enzymes ou de divers pigments).

Encyclopédie Universelle. 2012.