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SUMER
SUMER

Le terme de Sumer se rapporte à l’une des plus importantes périodes de l’histoire mésopotamienne, une des plus brillantes aussi, si l’on songe à la civilisation et à l’art qu’elle évoque, dont nous sommes d’ailleurs encore tributaires après plusieurs milliers d’années. Est-il nécessaire de rappeler que c’est à ce monde révolu que l’on doit, entre autres, le système sexagésimal, la division de l’heure en soixante minutes, de la minute en soixante secondes? Ce seul exemple suffit, puisqu’il pèse sur la destinée humaine et nous touche tous directement dans l’existence quotidienne. Le nom akkadien Shumeru , dont nous avons tiré Sumer, s’appliquait à la région à laquelle ses habitants avaient donné le nom de Kengi , ou plus simplement de Kalam , le pays. Dans son acception étroite, celui-ci s’étendait de Nippur au nord, aux rives du golfe Persique au sud, avec de part et d’autre les deux grands fleuves, Euphrate à l’ouest, Tigre à l’est.

1. Structure politique

La date de l’établissement des Sumériens en Mésopotamie n’est pas encore fixée de toute certitude. Le seul point qui ne prête pas à contestation c’est qu’ils ne sont pas des autochtones. Ils venaient d’ailleurs, de l’Est très vraisemblablement, probablement de l’Iran. Certains ont pourtant supposé que l’origine était à chercher dans l’une ou l’autre des contrées du golfe Persique, en l’espèce l’île de Bahrein. L’arrivée au pays du Tigre et de l’Euphrate aurait alors eu lieu par mer. De toute façon, on la situe au IVe millénaire, soit au début (Henry Frankfort), soit à la fin (la plupart des spécialistes). Nous pensons que la Genèse (XI, 1) a conservé une précieuse tradition quand elle écrit: «Partis de l’Orient, les hommes trouvèrent une plaine dans le pays de Shinear (la Babylonie) et ils s’y installèrent.» La migration est donc très explicitement consignée. Elle peut être fixée dans l’une ou l’autre des périodes archéologiques, qui ont reçu l’appellation d’Uruk ou de Djemdet-Nasr et que les travaux ont définies avec la plus grande précision, grâce à leurs caractéristiques. À notre avis, il s’agirait plutôt de la phase de DjemdetNasr qui vit aussi l’invention de l’écriture. Découverte primordiale qui allait permettre la fixation par écrit de noms: villes, hommes, dieux, par conséquent la naissance de l’histoire. Fondations fermes qui assurent une chronologie, relative d’abord, absolue ensuite.

Il ne fait pas de doute qu’en Mésopotamie les Sumériens se trouvèrent devant une civilisation déjà très élaborée et solidement installée. Leur dynamisme leur permit de s’imposer sans discussion et de transformer en vassaux les premiers propriétaires du pays: Subaréens et Sémites, qui n’eurent qu’à s’incliner devant ces nouveaux venus dont on sait mieux ce qu’ils ne sont pas – en aucun cas des Sémites – que ce qu’ils sont: leur langue est du type dit agglutinant, trait distinctif qui interdit malheureusement d’aller bien avant dans la connaissance d’une population dont les créations attestent en tous les domaines la marque du génie. Ces colonisateurs avant la lettre commencèrent à s’implanter solidement en des cités que l’on a appelées parfois des cités-États, parce qu’elles étaient bien plus que des agglomérations disparates. Elles avaient déjà vocation pour un commandement élargi: Ur, Lagash, Uruk, Eridu. Les fouilles ont révélé là des installations qui avaient tous les traits d’une civilisation urbaine, en pleine possession des structures de la vie collective. Celle-ci n’avait été possible que par la présence de fortes personnalités dont l’ascendant s’était imposé à leurs compatriotes, qui avaient reconnu en eux des chefs possédant un pouvoir quasi absolu, avec le titre de roi (lugal , homme grand) ou de prince (ensi , lu autrefois patesi ). Cette fonction politique s’accompagnait de prérogatives religieuses spirituelles. Le chef politique était en effet un prêtre, tant qu’il fut admis que le même homme pouvait cumuler la double charge de maître de la cité et de représentant sur terre de la divinité. Naturellement ce régime de cités-États était dominé par des rivalités, funestes en fin de compte et sources perpétuelles de conflits. Tout normalement, on devait en arriver à une organisation différente et au système dynastique: un roi possédant le pouvoir sur toute la région et le conservant plus ou moins longtemps.

Il est heureux qu’au XVIIIe siècle avant J.-C. des scribes aient songé à consigner les traditions qui se rapportaient aux premiers temps de l’histoire. Le prisme W.B. 444 (initiales du mécène anglais Weld-Blundell qui le possédait) énumère les rois qui se succédèrent en Babylonie, des origines à la fin de la dynastie d’Isin (XVIIIe s., Mésopotamie). Ce prisme est complété par une tablette du même collectionneur (W.B. 62), qui donne les noms des rois antédiluviens, car le Déluge, cataclysme historique (aux environs de l’an 3000), marque une coupure dans la civilisation mésopotamienne. Cinq cités antédiluviennes sont mentionnées: Eridu, Bad-tibira, Larak, Sippar, Shuruppak. Après un certain Ubar-Tutu, roi de Shuruppak, on lit: «Le déluge arriva. Après que le déluge fut arrivé, la royauté descendit du ciel. La royauté fut à Kish.»

Si avant l’inondation cinq cités sont répertoriées, leurs huit rois totalisent 241 200 années, ce qui est évidemment légendaire. Il n’en est pas moins certain que tout n’est pas fantaisiste dans les renseignements rapportés, puisque deux des rois sumériens de Shuruppak, Ubar-Tutu et Ziusudra, sont cités par ailleurs. Fixés après le Déluge par le prisme W.B. 444, voici quatre-vingts rois appartenant à quatorze dynasties mésopotamiennes, ce qui serait relativement satisfaisant, mais avec une totalisation de 22 045 années de règne, ce qui ne l’est plus du tout. Il faut pourtant observer que ces chiffres astronomiques diminuent ou disparaissent au fur et à mesure que l’on descend le cours de l’histoire. Il n’en reste pas moins qu’il est impossible d’accepter sans plus certaines des données consignées par les scribes, mais pas davantage de les récuser systématiquement. Les fouilles ont définitivement confirmé l’existence de plusieurs souverains considérés longtemps comme légendaires: Mesannipadda d’Ur, Ansir, probablement le Ansud de Mari, Lugalzaggisi d’Uruk, par exemple. On s’aperçoit en outre que le siège de certaines dynasties se trouve plus ou moins au-delà de la région géographique strictement sumérienne, avec Kish (I, II, III), Awan qui est en Elam, Hamasi, à l’est de Kerkuk, Mari, sur le moyen Euphrate, Akshak, l’Opis des Grecs, non loin de Séleucie. Cette indication est précieuse car elle permet de comprendre pourquoi la civilisation sumérienne a pu s’imposer hors du foyer par excellence qui rayonnait autour d’Ur (deux dynasties) ou d’Uruk (trois dynasties), dès l’instant où elle avait l’appui politique. Ce dernier se manifesta sans solution de continuité pendant quelque trois siècles et demi. C’est ce que nous appelons l’époque présargonique (2800-2450), parce qu’elle précède Sargon, fondateur de la dynastie sémitique d’Agadé (2450-2200).

L’hégémonie sumérienne va prendre fin, mais la civilisation qui l’a accompagnée ne disparaîtra en aucune façon. Elle sera seulement nuancée, du fait des caractéristiques d’une race nouvelle, plus sensible, plus exubérante dans ses manifestations. Ce style de vie, dont nous verrons qu’il a marqué profondément l’art, suscitera l’adversité. Des nomades et des barbares, les Guti, vont renverser la dynastie et provoquer la réaction des anciens maîtres. Les gens d’Uruk (V) et d’Ur (III) sont à nouveau au pouvoir. Voici revenue pour le monde sumérien l’ère des grandes réalisations, des grands desseins, en tout point dignes des ancêtres. À côté des métropoles, des cités qui ne peuvent revendiquer aucune dynastie sont tout aussi brillantes. Qu’on songe à Lagash, où des princes, tels Gudéa, Ur-Ningirsu, sont les égaux des plus grands. Pourtant, c’est Ur qui, de la mer supérieure (Méditerranée) à la mer inférieure (golfe Persique), plante les étendards sumériens. Shulgi (Dungi), pendant un règne de quarante-huit ans, n’a pas rencontré un seul adversaire à sa taille. Avec lui, la IIIe dynastie d’Ur laisse dans l’histoire le souvenir d’une race indomptable et indomptée. Pourtant la fin n’est pas éloignée. Ibi-Sin, dernier de la lignée, devait succomber (2016 av. J.-C.) après des soubresauts assez compliqués. C’était la rentrée en force des Sémites, avec les gens d’Isin, de Larsa et surtout ceux de Babylone, siège de la dynastie amorrite dont Hammurabi (1792-1750) devait être le plus illustre représentant. C’en était fait des Sumériens, éliminés de la scène politique, dont seule la langue allait se perpétuer, et uniquement dans le domaine religieux.

2. Civilisation et art

Même si le foyer sumérien était cantonné en un secteur assez restreint, son influence avait débordé bien au-delà des frontières d’une région. Des scuptures découvertes à Assur auraient pu sortir tout aussi bien d’Ur; un gros vase en stéatite recueilli à Mari, orné de l’aigle léontocéphale, ferait songer irrésistiblement aux produits d’Obeid, tellement l’inspiration est identique, mais tout autant la technique d’exécution. L’art sumérien est un des plus grands du monde. Il est le témoignage le plus impressionnant laissé à l’humanité par le génie créateur d’un peuple fixé au berceau de la civilisation. Sans difficulté il peut rivaliser avec les productions de l’ancien Empire égyptien: même densité, même simplification de lignes. L’essentiel est l’élimination du superflu. Voilà ce qui prime pour ces artistes demeurés anonymes et qui n’auront pas hésité à demeurer des mois sinon peut-être des années devant un bloc de pierre pour y fixer le masque féminin de Warka ou en extraire la silhouette d’un des dynastes de Mari. Dans ce pays où la pierre était rare sinon inexistante, il fallait faire venir les matériaux de contrées lointaines. On utilisa abondamment le gypse, plus courant mais moins noble. Les sculpteurs ont triomphé de tous les obstacles. C’est finalement par centaines que l’on recense les statuettes déposées en ex-voto dans les chapelles des sanctuaires. À travers tout le IIIe millénaire, elles furent exécutées à la demande de donateurs plus ou moins fortunés, partant plus ou moins exigeants. Elles représentent les fidèles dans l’attitude de l’adoration, la plupart du temps debout, mains jointes, très rarement les divinités, tout au moins en ronde bosse. Des inscriptions permettent souvent les identifications: Lamgi-Mari, Iku-Shamagan (rois de Mari), Ebih-il, Idi-nârum, Nani, Salim, Gumbad, Meshigurru, Su-wada (hauts fonctionnaires de Mari), Lugal-kisalsi d’Uruk, Kurlil d’Obeid. Du côté des femmes, Ur-Nanshe, la «grande chanteuse» de Mari, au temps d’Iblul-Il. Toutes ces statues sont de l’époque sumérienne présargonique: des rois, des fonctionnaires. Les dieux n’apparaissent que très rarement en ronde bosse. Seule exception à Tell Asmar (Ashnunnak), où peut-être l’on reconnaîtra parmi le groupe des adorants sortis d’une favissa le dieu Abu et la déesse parèdre. Toutes ces productions reflètent une indéniable parenté, mais il y a pourtant des marques locales, reflet de la race. À Mari, la statuaire est toujours, sinon presque toujours, caractérisée par le sourire qui chasse des visages toute sévérité. Constatation identique avec les gens de la Diyala (Asmar, Khafadje, Agrab, Ishchali), où la bonhomie éclate partout, proscrivant la dureté qui est l’apanage du caractère sumérien.

La période néo-sumérienne qui suit accentue l’adoucissement qu’avait entraîné l’intermède agadéen. Pourtant le vieux fonds sumérien se trouve à nouveau affirmé. On n’en doutera pas en contemplant l’un ou l’autre des Gudéa de Lagash: maître d’une cité, exerçant les prérogatives du pouvoir avec un sérieux qui exclut toute fantaisie. Les sculpteurs, qui disposent maintenant de roches dures (diorite, dolérite), moins dures (stéatite, calcite), mais pourtant moins aisées à travailler que le gypse ou la brèche des temps présargoniques, doivent faire preuve d’une virtuosité sans égale et dompter, avec les instruments de l’époque, une matière qui n’admet pas la facilité. Les sculpteurs d’aujourd’hui se demandent d’ailleurs quels furent les procédés mis en œuvre pour obtenir des résultats aussi parfaits. Aucun défaut à la statue A de Gudéa, pas davantage à celle d’Ur-Ningirsu son fils. «Densité, simplicité, majesté», voilà les qualités qu’un critique contemporain, Frank Elgar, leur reconnaissait un jour, et qui font que ces silhouettes hiératiques, quoique figées, sont cependant frémissantes de vie. C’est bien cet héritage que l’on retrouve sur les grandes statues de Mari: le gouverneur Ishtup-ilum inspiré de la stature des Gudéa de Lagash, même aussi avec la déesse au vase jaillissant – dont le visage adouci et prêt au sourire anime un corps qui, ruisselant de l’eau de la fertilité, demeure pourtant immobile dans sa verticalité.

La sculpture en ronde bosse reste fidèle au sérieux ancestral. On le retrouve encore plus nettement affirmé dans les bas-reliefs, où tout proclame l’ordre sumérien. Ordre fait de clarté et de rigueur sans défaillance. Deux stèles en sont l’illustration frappante: la stèle des Vautours à Lagash, la stèle d’Ur-Nammu à Ur. Dans les deux cas, l’histoire est racontée sans complaisance, découpée en registres, lointains prototypes de nos bandes dessinées. Il n’y a qu’à suivre les images et en observer l’ordonnance logique. La victoire de Lagash sur Umma sa voisine, où les dieux participent aux combats des humains; le zèle du roi d’Ur, officiant devant le couple divin (Nannar et Ningal) et travaillant humblement à la construction de la ziggurat. Les dieux protecteurs des rois, la royauté mandataire des puissances célestes; Église et État étroitement unis, tel était le spectacle qui s’offrait à tous et dont l’art portait témoignage.

Civilisation étonnamment «engagée» et qui en tous les domaines affirmait sa puissance et son excellence. Les Sumériens étaient partout les premiers, grâce à des chefs, en l’espèce des rois, qui avaient fait du mécénat un des ressorts de leur gouvernement. Seul un appui sans réserve du pouvoir a permis ces étonnantes réalisations. Faut-il rappeler le ruissellement de métal jaune que révéla la découverte des tombes d’Ur? Non seulement en quantité mais aussi en qualité. Une civilisation qui a, à son actif, le casque de Meskalamdug, les têtes de taureau, figures de proue des harpes d’or, occupe la première place au milieu des conquêtes de l’humanité. Surtout si l’on replace ces créations dans le monde du IIIe millénaire où il semble que la perfection ait été atteinte du premier coup, sans vraiment d’apprentissage.

Une victoire remportée dans un autre domaine fut celle dont l’architecture fut l’occasion. La Mésopotamie manquait de pierre, il fallut donc utiliser au maximum un matériau abondant, la terre. La quasi-totalité des constructions est en briques «crues», c’est-à-dire séchées au soleil, les dalles cuites au feu étant réservées pour les sols ou certains parements. La plus spectaculaire réussite était la ziggurat, cette tour à étages, à volumes dégressifs. Création sumérienne par excellence, dont la Bible (Genèse, XI, 1-9) a gardé le souvenir avec le récit de la tour de Babel. Ces monuments gigantesques, obtenus par l’accumulation d’éléments «préfabriqués», pouvaient, pour les plus importants, s’élever à plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Il semble que chaque ville dut avoir sa ziggurat, mais l’érosion en a fait disparaître plusieurs. Lagash revendiquait son «epa aux sept zones», mais, malgré tous les efforts, son emplacement exact n’a pu être retrouvé. Par contre, sont encore visibles aujourd’hui les ziggurats d’Ur (20 m de hauteur), d’Uruk, de Nippur, d’Eridu, qui remontent à la grande époque sumérienne. Elles étaient des édifices religieux, un temple étant régulièrement construit à leur sommet, un autre (ou d’autres) à la base. Ici des sanctuaires de «manifestation», là des sanctuaires d’«accueil». Dès l’époque d’Ur III, Mari était doté d’une construction identique et d’une fonction semblable. Orgueil des rois, dont les résidences terrestres ne laissaient rien à désirer, par l’ampleur, on peut le dire, par le confort qu’on y trouvait. Actuellement, le palais présargonique de Mari (IIIe millénaire) est en cours de dégagement, resté invisible parce que recouvert par l’habitation spectaculaire, plus récente (XVIIIe s. av. J.-C.) des derniers rois de Mari (300 chambres et cours, 2,5 ha d’un seul tenant), mais dont la construction fut entreprise certainement dès la IIIe dynastie d’Ur, dont les gouverneurs contrôlaient Mari. À côté des ziggurats et des palais, l’architecture sumérienne était riche aussi de ses temples, habitations des dieux, peuplés de statues et statuettes, ex-voto des fidèles, mais encore ornés d’épaisses colonnes que des mosaïques de cônes, aux extrémités peintes de couleurs différentes, drapaient comme l’auraient fait des tapis. Ici encore l’homme avait triomphé des difficultés et demandé à la terre le service que la pierre inexistante lui refusait. Les colonnes bigarrées d’Uruk demeurent toujours l’exemple le plus saisissant de l’ingéniosité et de la patience de l’homme.

3. Religion

Le monde sumérien est entièrement dominé par la religion. Une séparation entre l’Église et l’État serait proprement impensable. Le roi est le mandataire de la divinité dont il fait respecter les lois. À notre sens, le roi chef d’État est en même temps prêtre et même grand prêtre. C’est la raison pour laquelle, au cœur du palais, résidence royale, il y a un temple, maison du dieu. Les deux fonctions sont réunies dans la même personne, tout au moins dans les premiers temps. Le vase d’Uruk avec son défilé de tributaires montre, en tête du cortège, un personnage qui ne saurait être que le roi sur le point de pénétrer dans le domaine d’Inanna, pour y officier religieusement. Ce n’est que plus tard, à la suite d’une évolution et sans doute aussi d’une lutte entre les deux pouvoirs, qu’on verra apparaître, explicitement désignés, le roi et le prêtre. À plusieurs reprises, on trouve, par exemple à Tello, nommés «Entéména, prince de Lagash, Enétarzi, prêtre de Ningirsu». Cette dualité ne dut pas s’effectuer sans douleur, car chacun tenait à ses prérogatives, et il dut y avoir des hauts et des bas. Toujours à Tello, sur les plaques «généalogiques», Ur-Nanshe est seul à officier, mais un de ses successeurs, Entéména, a dû, sur le vase d’argent, indiquer qu’«en ce jour-là, Dudu était prêtre de Ningirsu»; le personnage faisait d’ailleurs montre d’indépendance puisqu’il avait, sans aucune référence à son souverain, voué en son nom un relief à Ningirsu. Par contre, on constatera que Hammurabi, roi de Babylone, au sommet de son code, apparaît seul devant Shamash: roi et dieu, face à face.

Le monde mésopotamien et plus spécialement sumérien est abondamment pourvu de divinités chargées de présider à la bonne marche du cosmos. Polythéisme avec une hiérarchie soigneusement établie et généralement respectée, tant que des bouleversements politiques n’entraînaient pas des modifications dans les préséances. Il ne fait pas de doute que Marduk avait bénéficié d’une remarquable promotion, en raison de la fortune qui favorisa Babylone. Pourtant la dogmatique commandait, et il était difficile d’aller contre la volonté des prêtres et des théologiens.

Au sommet de la pyramide, An, maître du ciel, qu’accompagnait Antum. Légèrement dessous, Enlil, souverain de la terre, à Nippur, suivi de sa parèdre Ninlil. La troisième personne de cette triade cosmique, Enki (Ea pour les Sémites), dans sa ville sainte d’Eridu, règne sur la masse des eaux douces, réservoir des sources. Nul doute que l’Ancien Testament n’ait gardé la marque de cette distribution tripartite du monde, quand, dans le Décalogue, on trouve l’interdiction de reproduire les choses qui sont en haut dans le ciel, ici-bas sur la terre et dans les eaux plus basses que la terre (Exode , XX, 4). Plus profond encore que ce monde inférieur, il y avait «la terre d’en bas», le monde infernal, domaine de Nergal et d’Ereshkigal. On ne sera pas étonné que les habitants des espaces désertiques aient voué une vénération spéciale aux luminaires: la lune qui guidait les caravanes et marquait les mois, Nannar (Sin) qui résidait à Ur; Utu-Babbar, le soleil (Shamash), patron de Larsa; Inanna (Ishtar), adorée à Uruk sous un double aspect, puisque, étoile du matin, astre du soir, elle présidait à la guerre et à l’amour. À côté de ces divinités majeures, un bataillon de puissances contrôlait la nature et ses manifestations: Ningirsu célébré à Lagash, dans son E-ninnu (maison des cinquante); Ninurta, voué à la guerre et à la chasse; Dumuzi-Tammuz, dieu de la végétation disparaissant puis renaissant; Ningishzida, protecteur de Gudéa; Nisaba, déesse de l’écriture. Outre ces divinités plus ou moins puissantes, s’agitaient des dizaines sinon des centaines de génies, Igigi et Anunnaki, régentant le ciel et la terre et naturellement le destin des humains.

De cette multitude, agitée par des sentiments où la concorde ne régnait pas précisément, la littérature s’est emparée, pour raconter les réactions en face des grands problèmes de l’existence, c’est-à-dire la vie et la mort. Ce sont des épopées, telle celle de la descente d’Ishtar aux Enfers, les lamentations sur les ruines de villes saccagées (Ur, Lagash), le récit du Déluge dans une version sumérienne, plus ancienne par conséquent que la relation akkadienne, plusieurs mythes (Enki et Ninhursag, Dumuzi et Enkidu, Gilgamesh et Agga, Gilgamesh et le pays de la vie, la mort de Gilgamesh), des hymnes (à Enlil, Ninurta, Ishkur, Inanna, Ekur). On sait aussi qu’existèrent, avant le code d’Hammurabi, de premiers essais de législation sumérienne (Ur-Nammu, Lipit-Ishtar) et combien de récits proprement historiques, sortis du sol de Tello ou d’Ur. Un des plus émouvants et pour n’en citer qu’un seul, c’est celui où un inconnu a raconté la ruine de Lagash, des mains de Lugalzaggisi, au temps d’Urukagina. Constat impitoyable de la férocité du roi d’Uruk, maudit à jamais, dans la destruction. Car les dieux sont invoqués et ne sauraient se montrer indifférents dans quelque circonstance que ce soit, dans les bons comme dans les mauvais jours. Dans les sanctuaires les fidèles sont tous en prière. Que la guerre arrive et que ce soit la défaite, le vainqueur mutilera les visages, cassera les mains des implorants, annihilant ainsi la vertu des supplications.

Sumer
anc. région de basse Mésopotamie, en bordure du golfe Persique. Au IVe millénaire av. J.-C., une vague d'immigrants, venue probablement du plateau iranien, occupa le S. de la basse Mésopotamie. La brillante civilisation de Sumer, élaborée entre 3500 et 2000 av. J.-C., servit d'assise aux civilisations antiques de Mésopotamie; les Sémites d'Akkad et d'Assyro-Babylonie transmirent à l'humanité les créations sumériennes: pouvoirs politiques de la cité-état (Eridu, Ur, Ourouk, Lagash, etc.), administration et justice fondées sur des codes de lois, écriture cunéiforme, littérature, pensée religieuse. Les fouilles des anciennes cités (Mâri, notam.) ont révélé un art prodigieux: grandes réalisations architecturales en briques crues (temples, palais royaux, ziggourats), poterie, art du métal, statuaire (Dame d'Ourouk).

Encyclopédie Universelle. 2012.