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PERSPECTIVE
PERSPECTIVE

Par sa situation au carrefour de la science, de la culture humaniste et de la pratique artistique, la perspective, comme tout autre thème interdisciplinaire, échappe à un traitement conceptuel univoque. Dans son acception technique, le terme moderne de perspective désigne un système particulier de projection sur un plan bidimensionnel des objets à trois dimensions et de leurs divers rapports spatiaux, de telle sorte que la vision de l’image représentée corresponde à la vision des objets dans l’espace. Mais une telle définition privilégie l’aspect géométrique et mathématique de la perspective, elle renvoie à la géométrie descriptive, dont la perspective ne constitue qu’un «cas», caractérisé par une méthode projective particulière (projection centrale). Bien qu’il demeure encore assez problématique, il est tout autant important d’approfondir le mécanisme perceptif qui préside à l’illusion tridimensionnelle produite par l’image perspective: un tel phénomène fait entrer en ligne de compte aussi bien les données de l’optique physiologique et neurologique que les facteurs psychologiques de la vision.

Une approche plus traditionnelle, fondée sur une analyse philologique du terme «perspective», ainsi que sur des considérations sémantiques et historiques, révèle par ailleurs des corrélations encore plus complexes avec les autres domaines de la culture: avec la physique et avec la philosophie principalement, puisque le terme latin de perspectiva (de perspicere , «voir clairement») concerne exclusivement l’optique et les problèmes gnoséologiques qui lui sont associés pendant toute la durée du monde classique et médiéval; ce n’est qu’à la Renaissance que se produit, en Italie, une différenciation entre perspectiva naturalis , ou science de la vision, et perspectiva artificialis ou perspectiva pingendi , qui désigne la méthode graphique moderne de représentation spatiale. Cette dernière, qui est à l’origine du processus de rationalisation de la vision – et par conséquent de la connaissance – engagé au début du Quattrocento, demeure étrangère, pendant le XVe et le XVIe siècle, à la sphère de recherche scientifique et philosophique, pour constituer en revanche le grand domaine d’expérimentation des architectes, des peintres et des sculpteurs, qui en élaborent dans leurs traités les premières formulations théoriques.

Ce n’est qu’au XVIIe siècle que la perspective suscite l’intérêt de mathématiciens comme Guidubaldo Dal Monte, Abraham Bosse, Gérard Desargues, Blaise Pascal, qui en approfondissent les présupposés conceptuels et jettent les bases de la géométrie descriptive et de la géométrie projective, fondées respectivement par G. Monge en 1798 et par J. V. Poncelet en 1822. Parallèlement à ces recherches théoriques, la perspective ne cesse de jouer dans les arts figuratifs un rôle auxiliaire, mais fondamental, qui se manifeste notamment dans la mode de la quadrature, genre décoratif qui du XVIe au XVIIIe siècle exploite avec virtuosité, dans la peinture à fresque, l’illusion perspective.

Placée aujourd’hui encore au centre de l’enseignement académique, constituant par ailleurs la base théorique du dessin d’architecture, la perspective a été, en raison de son naturalisme, mise en question par les avant-gardes artistiques du XXe siècle, en particulier par le cubisme et le futurisme, qui lui ont opposé une figure multidimensionnelle de l’espace – tandis que la pensée esthétique moderne en discutait et en dénonçait, du point de vue scientifique, le relativisme, pour en récupérer historiquement la signification stylistique et symbolique.

Si tel est l’historique de la perspective proprement dite, c’est-à-dire du système de figuration géométrique de l’espace qui, avec des modalités et des succès scientifiques et esthétiques variés, a caractérisé dans le passé la civilisation occidentale, on ne saurait ignorer la signification extensive que le terme a pris dans la critique d’art en devenant synonyme de conception spatiale ou de représentation empirique de la profondeur et du relief. En ce sens, il n’existe pas d’époque ou de province de l’histoire de l’art qui ne possède une «perspective» qui lui soit propre.

Il sera possible, en conséquence, de parler de perspective à registres pour les expressions artistiques qui ont été réalisées du IIIe millénaire au VIe siècle avant J.-C. en Égypte, en Mésopotamie et dans le monde égéen, où la décoration peinte ou en relief et l’ornementation sur céramique donnèrent naissance à une solution bidimensionnelle particulière du rapport entre la figure et le fond: les images sont alignées rythmiquement, le plus souvent de profil, sur des registres superposés à partir de l’unique plan d’appui, qui se présente comme une droite horizontale alignée sur l’axe optique du spectateur.

De la même façon, on sera en droit de parler de perspective rayonnée , c’est-à-dire d’une façon d’organiser les formes sur le plan figuratif qui, du IIe au XIIe siècle, caractérise l’art indien et, du fait de sa diffusion, les arts bouddhique (grottes d’Aja ユレ ), tibétain et indochinois (art khmer), dans lesquels les figures plastiques se groupent dans une sorte de tourbillon, reproduisant ainsi dans leurs rythmes curvilignes la symbolique cosmologique de la pensée hindouiste.

Profondément différente est la perspective à vol d’oiseau des arts chinois et japonais, trait distinctif d’une tradition figurative qui, à partir du Ve siècle, s’est poursuivie sans interruption jusqu’au XIXe siècle, lorsque la découverte des estampes venues d’Extrême-Orient exerce son influence sur la peinture impressionniste en Europe. Dans ce cas aussi, il s’agit d’un procédé empirique, dépourvu de fondement scientifique, qui reflète une conception de l’espace et un choix esthétique particuliers. La prédilection pour une vision lointaine et en plongée des images s’y manifeste, avec prédominance des vides sur les pleins, présupposant presque un point d’observation situé à une distance infinie qui détermine une sorte de parallélisme des lignes de profondeur, avec un effet de spatialité indéfinie et illimitée analogue à celle que l’on peut obtenir par une perspective axonométrique projetée sur un plan oblique. Mais, pour saisir la différence entre toutes ces méthodes et la représentation rigoureuse de l’espace à trois dimensions que permet la perspective géométrique , il faut examiner celle-ci dans ses présupposés et ses principes essentiels.

1. La perspective géométrique

Étant admis que la projection perspective , en tant que «cas» de la projection centrale, constitue une des méthodes projectives que la géométrie descriptive utilise pour représenter sur un plan, avec une exactitude mathématique, la forme, les dimensions et la position des objets dans l’espace, il importe de bien voir que les éléments nécessaires et suffisants pour une projection sont: le centre de projection, l’objet à représenter, le plan qui reçoit la projection, et de rappeler que la position réciproque de ces divers éléments varie selon la méthode projective choisie. Si le centre de projection est rejeté à l’infini, les rayons demeurent parallèles et la projection s’appelle axonométrie (ou perspective parallèle , dont un des procédés les plus simples est la perspective cavalière , introduite en France au XVIe siècle par les ingénieurs militaires et employée en cartographie jusqu’au XIXe siècle).

Dans la perspective centrale , au contraire, le centre de projection est à une distance finie du plan de projection, qui coupe la pyramide des rayons rectilignes joignant le centre de projection aux points saillants de l’objet. On a donc le système de référence suivant (fig. 1): le centre de projection (V), appelé point de vue parce que c’est là qu’est situé l’œil de l’observateur, projette les objets sur un plan vertical appelé tableau (q ), que l’on suppose élevé sur un plan horizontal auquel on donne le nom de géométral (ou plan de terre ). Le tableau et le géométral se coupent selon une droite appelée ligne de terre (f ). Pour déterminer la position du plan de terre, on indique la hauteur du point de vue sur ce dernier. L’intersection du tableau avec le plan horizontal passant par le point de vue est une droite appelée horizon (o ), qui est la projection sur le tableau de ce plan; à cette dernière droite appartient le point de fuite principal (Vo), c’est-à-dire le pied de la perpendiculaire joignant le point de vue au tableau, et qui est la projection de ce point sur le tableau. En rabattant cette perpendiculaire – qui représente évidemment la distance (d ) ou l’éloignement supposé du point de vue au tableau – sur ce dernier, d’une infinité de façons, on dessine un cercle qui est appelé cercle de distance et qui a comme rayon la distance d . On appelle points de distance (D1 et D2) les deux points d’intersection du cercle de distance avec l’horizon; ces points coïncident avec les points de fuite des deux systèmes de droites parallèles horizontales orientées à 450 du plan du tableau; le point de fuite principal représente au contraire le point de rencontre à l’infini des droites orthogonales au tableau. Pour bien saisir le concept de point de fuite, il convient de souligner les règles en vigueur dans la construction perspective: la perspective d’un point est un point; la perspective d’une ligne contient les perspectives de tous les points appartenant à cette ligne; la perspective d’une droite est une droite, sauf dans le cas de la perpendiculaire menée du point de vue au plan du tableau, qui a comme perspective un point coïncidant avec le point de fuite principal; les droites parallèles ont des perspectives convergentes, à l’exception des droites parallèles au tableau, dont les perspectives – que ces droites soient verticales, obliques ou horizontales – demeurent aussi parallèles dans la projection graphique. Mis à part ce dernier cas, tout système de droites parallèles, quelle que soit leur orientation et pourvu qu’elles soient incidentes au tableau, a pour image perspective un système de droites passant par un même point, lequel, intersection du tableau et de la parallèle au système menée par le point de vue, constitue le point de fuite du système, ainsi que la représentation perspective du point de convergence à l’infini des droites parallèles infinies du système. Naturellement, infinies sont les orientations que peut prendre un système de droites parallèles par rapport au tableau, et infinis, par conséquent, les points de fuite qui peuvent être contenus dans le tableau. Tous les points de fuite des systèmes de droites parallèles horizontales incidentes au tableau sont situés sur l’horizon; sur celui-ci convergent au point de fuite principal, comme on l’a vu, les perspectives des droites perpendiculaires au tableau. Il importe aussi de préciser quels sont, dans le système de référence décrit, les éléments variables: il s’agit de la hauteur et de la distance du point de vue, ainsi que de la dimension en largeur du tableau. Le choix de la hauteur détermine la façon d’organiser la perspective: normale , de bas en haut (ou plafonnante ), de haut en bas ou plongeante ; la mesure de la distance conditionne le raccourci de l’image perspective (laquelle est d’autant plus raccourcie que la distance est petite); le rapport entre la distance et la largeur du tableau définit l’angle de vue sous-tendu par le tableau perspectif, angle qui, pour une vision nette, doit être de peu supérieur à 300.

Ces données fondamentales étant établies, on peut procéder à la construction perspective proprement dite, en recourant, selon la présentation de l’image – orthogonale ou oblique – et selon les effets qu’on désire obtenir, à l’une des nombreuses méthodes dont on dispose. On emploie beaucoup aujourd’hui la méthode bifocale (fig. 2), qui se prête à la réduction perspective des figures par angle. On peut simplifier cette méthode en choisissant les deux systèmes de lignes de fuite d’une façon particulière: l’un constitué par les droites perpendiculaires au tableau, l’autre par les droites horizontales inclinées de 450 par rapport au tableau. Les deux points de fuite coïncident ainsi respectivement avec le point de fuite principal et avec l’un, au choix, des deux points de distance, qu’on peut immédiatement déterminer (procédé par point de distance , fig. 3). On peut, à partir de là, construire facilement la perspective d’un quadrilatère (correspondant à ce qu’on appelle le carré-base ou échiquier dans les traités de la Renaissance) situé sur le plan de terre, dont le quadrillage permet la construction de figures compliquées parce que, par projection, il fournit deux échelles de mesure: l’échelle fuyante (ou échelle de la profondeur) et l’échelle des largeurs. Pour construire la perspective d’une figure tridimensionnelle, il convient, puisque les éléments verticaux viennent s’ajouter dans ce cas aux autres éléments du plan, de déterminer aussi l’échelle des hauteurs, de mesures progressivement décroissantes en fonction de la distance.

Si la perspective géométrique permet de représenter graphiquement la structure linéaire des objets dans l’espace, il est indispensable, pour en compléter l’image sur un plan, de recourir aussi à la perspective aérienne , qui rend le dégradé progressif des couleurs et de la netteté des contours en fonction de la distance, du degré d’humidité de l’atmosphère, de l’intensité de la lumière. La complexité phénoménologique de ces facteurs exclut toute codification systématique et laisse à la sensibilité de l’artiste le soin d’en effectuer la traduction. Une partie seulement de la perspective aérienne entre dans le cadre de la géométrie descriptive, c’est la perspective dite perspective des ombres , qui résout le problème de la représentation du clair-obscur en déterminant de façon géométrique, en termes de quantité, les ombres propres et les ombres portées des figures en fonction de la situation de la source lumineuse. Un cas particulier de perspective géométrique est l’anamorphose , qui construit une image projetée sur un plan oblique de telle sorte qu’elle demeure inintelligible ou bien simule une image différente, en raison des fortes aberrations marginales, si on ne la regarde pas du point de vue excentrique adopté pour la projection (le crâne dans Les Ambassadeurs de Hans Holbein, National Gallery, Londres: cf. FANTASTIQUE, pl. II).

Il faut signaler enfin la perspective en relief , qui applique à la troisième dimension de la sculpture ou de la scène théâtrale (praticables du théâtre Olympique à Vicence, de Vincenzo Scamozzi) ou des volumes architecturaux (faux chœur de l’église de San Satiro à Milan, de Bramante) les hypothèses et les lois de la perspective plane.

2. La perception de la tridimensionnalité perspective

Si les projections de la géométrie descriptive permettent de passer sans ambiguïté de la figure objective à sa représentation sur un plan et vice versa (restitution perspective ), dans le cas de la perspective on néglige le problème inverse pour introduire quelques hypothèses concernant la position du centre de projection et du tableau qui permettent d’organiser la construction géométrique en fonction d’un observateur hypothétique. La tâche que l’on attribue à la perspective est en effet de construire de tout objet réel une image qui corresponde exactement à celle que donne la vision directe; et pour que se réalise cette concordance, qui constitue la clef du naturalisme présumé de la perspective, on sait qu’une condition est requise: que le point de vue choisi par celui qui regarde le tableau perspectif coïncide avec celui qu’on a adopté pour le construire, dans une vision stationnaire et monoculaire, à la distance et à la hauteur prescrites. Mais il faut se demander si l’illusion de la tridimensionnalité spatiale produite par l’image perspective est absolue ou relative et comment, en tout état de cause, expliquer un tel phénomène. Pour répondre à la question, il est indispensable de commencer par rappeler brièvement quels sont la structure anatomique et le fonctionnement psychophysiologique de l’organe de la vue (fig. 4).

Dans la partie interne de l’œil, un rôle essentiel est assumé par la rétine: en effet, la couche de cellules réceptrices (cônes et bâtonnets) dont elle est formée transforme, à la suite de toute une série de processus chimiques et électroniques, les incitations lumineuses (projection optique ) provenant du monde extérieur en impulsions nerveuses et les transmet, par l’intermédiaire des fibres du nerf optique, jusqu’à l’aire de projection visuelle du cortex cérébral. Là, le processus passe du domaine physiologique – et plus précisément neurologique – au domaine psychologique, et les informations transmises par la rétine sont traduites en représentation perceptive des formes (et des couleurs et valeurs lumineuses) du monde apparent, disposées dans la profondeur spatiale. C’est ce dernier processus – la localisation des phénomènes dans l’espace – qui intéresse tout particulièrement la perspective. La psychologie de la vision a défini une série d’indices de profondeur – c’est-à-dire de structures de stimulation à proximité qui fournissent des indications sur la disposition dans l’espace des objets à distance –, précisément sur la base de l’identité présumée entre représentation sur la surface graphique ou picturale et représentation sur la surface rétinienne. Mais tous ces indices monoculaires et statiques de profondeur – convergence linéaire, superposition des contours, grandeur relative, grandeur familière, distribution et orientation de l’éclairage –, bidimensionnels par définition, peuvent reproduire aussi bien des modèles bidimensionnels que des agencements tridimensionnels situés à des distances variées (fig. 5) et ne permettent, en conséquence, qu’une perception spatiale ambiguë.

À une telle ambiguïté n’échappent pas non plus les indices binoculaires de profondeur – hors du champ de la vision perspective monoculaire – dont le plus important est la disparité rétinienne, que l’on a cessé aujourd’hui de considérer comme ayant un rôle déterminant dans la vision stéréoscopique. D’où l’hypothèse empiriste de nombreux psychologues de la vision qui, pour expliquer les perceptions de la profondeur et de la distance, font appel au souvenir laissé par certaines expériences non visuelles antérieures et interprètent l’acte perceptif comme une combinaison des sensations visuelles immédiates et des images mnésiques des expériences tactiles et kinesthésiques passées – les expériences kinesthésiques provenant autant des mouvements de déplacement du corps que des mouvements du système musculaire de l’œil (accommodation du cristallin et convergence des axes visuels). À cette conception classique (Berkeley) s’oppose l’orientation innéiste d’autres tendances psychologiques, pour lesquelles la perception de l’espace ne peut être entièrement apprise parce qu’elle est en partie innée. La psychologie de la forme, par exemple, semble considérer précisément comme innés les indices monoculaires de profondeur, qui produiraient une perception tridimensionnelle explicable tant au niveau visuel qu’au niveau perspectif comme fonction de la simplicité maximale d’organisation de la forme perçue. Mais cette interprétation est réfutée par les travaux de psychologie génétique (J. Piaget), qui ont distingué dans la perception spatiale de l’enfant trois étapes successives correspondant à un espace topologique, à un espace projectif et enfin à un espace perspectif de type euclidien. C’est seulement pour la dernière de ces étapes qu’il serait évidemment permis de parler d’analogie entre projection optique et projection perspective, si une telle analogie n’était pas, en tout état de cause, invalidée par la conformation curviligne (concave) de la rétine, absolument non congruente avec l’écran plan de la perspective, et par les mouvements de rotation du globe oculaire dont dépendent l’étendue et la sphéricité du champ visuel. Cette curvilinéarité rend compte des aberrations marginales (fig. 6), c’est-à-dire des distorsions en largeur présentes dans toute construction perspective, auxquelles correspond dans la vision directe le phénomène contraire de contraction des grandeurs latérales, en raison de leur éloignement progressif; d’autre part, le rapport inversement proportionnel existant entre les grandeurs et les distances dans la représentation perspective ne se retrouve pas dans la vision directe, où les grandeurs apparentes tont proportionnelles aux angles visuels. C’est surtout à partir d’une telle discordance que l’on peut mettre en doute la qualité de science naturelle de la perspective; à moins qu’on ne veuille reconnaître la non-équivalence de l’image perspective et de l’image rétinienne, mais en affirmant en même temps la coïncidence – et la compensation qui s’ensuit pour l’œil placé dans le point de vue – de l’image rétinienne correspondant tant au tableau perspectif qu’à la réalité objective qui y est représentée (fig. 6). Puisque des stimulations rétiniennes égales devraient déterminer des perceptions égales, l’illusion tridimensionnelle produite par la perspective trouverait ainsi une pleine justification théorique (D. Gioseffi, G. Ten Doesschate). On ne peut oublier, cependant, qu’une telle argumentation reflète une interprétation atomistique et physicaliste du processus de la vision, aujourd’hui complètement abandonnée à la lumière des résultats de la psychologie transactionnelle, et qu’elle se fonde, comme du reste la perspective géométrique elle-même, sur un modèle sévèrement réducteur du processus de la vision, ramené à la fonction d’un œil unique, ponctiforme et immobile, qui aurait lieu dans un espace homogène, constant et infini, c’est-à-dire un espace mathématique, radicalement différent de l’espace psychophysiologique. Même l’hypothèse de rayons rectilignes qui joindraient l’œil aux points saillants des objets à représenter, déterminant ce qu’on appelle la pyramide visuelle sectionnée par le tableau perspectif, est une abstraction réfutée depuis longtemps par les théories physiques et acceptable uniquement dans la mesure où elle permet de traduire en termes géométriques les problèmes de la vision et de la représentation tridimensionnelle.

3. La perspective dans les arts figuratifs

Une histoire de la perspective limitée aux exemples d’une expression rigoureusement géométrique de l’espace risque de faire violence à la vérité figurative, en superposant le modèle abstrait de la perspective centrale moderne sur les expériences spatiales différemment structurées des diverses époques et provinces des histoires de l’art. Sans doute est-il préférable de renoncer d’emblée à la construction d’une ligne évolutive trop cohérente, afin de dégager quelques moments caractéristiques, dans une confrontation dialectique des systèmes d’interprétations les plus stimulants proposés par la critique moderne.

La connaissance de la perspective dans l’Antiquité classique

La connaissance de la perspective dans le monde classique constitue un des sujets les plus controversés de l’histoire de l’art antique, qui dispose de deux types de témoignages. D’un côté, il existe une série discontinue de sources documentaires, fournies par les notices techniques et historiques de Vitruve, précieuses mais énigmatiques, sur la skenographia grecque et ses méthodes, inaugurées par le scénographe d’Eschyle, Agatharcos, vers le milieu du Ve siècle avant J.-C. et théorisées ensuite dans les traités perdus d’Anaxagore et de Démocrite (De architectura , I, 2,2: Scaenographia est frontis et laterum abscendentium adumbratio ad circinique centrum omnium linearum responsus ; et VII, préf. 11); par quelques notations littéraires indirectes, comme la condamnation de la sculpture illusionniste prononcée par Platon dans Le Sophiste ou, au contraire, l’admiration exprimée par Pline l’Ancien pour les trompe-l’œil de la peinture de Zeuxis, Parrhasios et Apollodore; par les références théoriques présentes dans certains vers du De natura rerum de Lucrèce, mais surtout dans les traités d’Optique d’Euclide (IIIe s. av. J.-C.) et de Ptolémée (IIe s. apr. J.-C.). C’est seulement chez Vitruve qu’il est fait explicitement mention d’une méthode de représentation perspective , qui est associée cependant non à la peinture mais à la scène de théâtre.

D’un autre côté, il existe un corpus limité de documents figuratifs, constitué par les peintures pariétales de l’époque romaine des styles II, III et IV (Ier s. apr. J.-C.) et, pour les époques antérieures, en raison de la disparition totale de la peinture grecque à fresque et de chevalet, par la peinture sur vase qui ne fournit que des indices. L’analyse du matériel archéologique qui subsiste, en quantité réduite et de qualité généralement médiocre puisqu’il provient en très grande partie de la cité provinciale de Pompéi, révèle une nette répugnance des artistes de l’Antiquité à organiser rationnellement sur un plan les volumes de l’espace à trois dimensions, et là où une tentative plus systématique se fait jour, elle met en évidence un curieux schéma de profondeur: au lieu de converger vers un unique point de fuite comme cela se produit dans l’espace unitaire de la perspective moderne, les prolongements des orthogonales convergent deux par deux, avec une inclinaison parallèle ou variable, dans une succession de points alignés sur l’axe de la peinture, créant un modèle symétrique en arête de poisson (fig. 7).

La présence répétée de cette structure à axe de fuite , qui caractérise surtout les parties supérieures des fresques – dans la peinture antique comme dans la peinture médiévale, c’est en effet le plan en raccourci du plafond à caissons qui fournit le schème modulaire de profondeur de toute la composition, schème qu’on retrouvera dans l’échiquier du carrelage des peintures de la Renaissance –, a suggéré une hypothèse hardie à certains spécialistes (E. Panofsky, J. White), qui l’ont interprétée comme le résultat d’une construction perspective particulière, inspirée par des principes en tous points différents des principes modernes (fig. 8). Liée à l’intuition de l’espace propre à la pensée philosophique de l’Antiquité – un espace discontinu, auquel était étranger le concept d’infini –, la construction à axe de fuite aurait utilisé les données de la théorie optique d’Euclide pour projeter sur une surface courbe (le circinus de Vitruve), analogue à celle de la rétine, l’image, mesurée par les angles plutôt qu’en fonction de la distance. L’équivalence de l’espace esthétique ainsi réalisé, tant avec l’espace théorique contemporain qu’avec l’espace de la perception visuelle, constituerait la caractéristique même de cette perspective curviligne ou synthétique attribuée aux Anciens (on en signale de nombreux exemples dans les peintures pariétales des IIIe et IVe styles, parmi lesquels la décoration de la maison de Lucrezio Frontone à Pompéi).

D’autres historiens (G. Beyen, D. Gioseffi) ont cependant refusé d’admettre qu’il puisse exister une incompatibilité conceptuelle entre la pensée classique et la perspective géométrique moderne, et ils ont cherché la trace de cette dernière dans les témoignages figuratifs qui ont survécu. Les rares exemples signalés, qui appartiennent aux ensembles décoratifs du IIe style, tels que la villa de Fannio Sinistore à Boscoreale, la maison du Labyrinthe et la villa des Mystères à Pompéi, la salle des Masques dans une maison de l’époque d’Auguste découverte sur le Palatin, offrent toutefois de nombreuses dérogations au canon de l’unité spatiale représenté par le point de fuite unique des orthogonales, tandis que dans aucun des cas on n’a pu démontrer la diminution proportionnelle des intervalles de profondeur (caissons des plafonds, entrecolonnements) en fonction de la distance. Mais le caractère le plus singulier de ces perspectives prétendument rigoureuses est l’indépendance – et même l’absence de coordination – que manifestent les parties inférieures de la composition, constituées par les bases des colonnades qui rythment au premier plan la décoration, ouvrant sur des vues architecturales plus lointaines; et les explications proposées, qui invoquent une dérivation à partir des scénographies théâtrales placées sur des podiums élevés ou la pluralité des points de vue imposée par les exigences d’habitabilité des pièces décorées, ne parviennent pas à dissiper les doutes quant à une carence conceptuelle effective des exécutants (P. Sampaolesi).

Dans l’attente de documents plus probants, l’espace de la peinture antique conserve ainsi son inquiétante ambiguïté structurale, qu’on peut rapporter avec une égale approximation aussi bien à un modèle géométrique curviligne qu’à un modèle plan; et ses nombreuses incohérences dans la représentation des divers volumes tridimensionnels semblent attester de son essentielle extranéité par rapport à la logique mathématique de la perspective moderne. Mais cet espace même peut toutefois apparaître d’une surprenante modernité lorsque la figuration architecturale cède la place à de libres paysages, évoqués à l’aide des plus subtils procédés de la perspective aérienne: exemplaires sont, en ce sens, les vues du cycle des Errationes Ulixis (50 av. J.-C. env.), provenant de l’Esquilin et actuellement au musée du Vatican (cf. PAYSAGE, pl. I).

Théorie et pratique de la perspective pendant la Renaissance en Europe

On reconnaît communément à la Renaissance italienne le mérite de la découverte des lois de la perspective: découverte révolutionnaire, qui non seulement transforme le cours des arts figuratifs, qu’elle soustrait aux méthodes artisanales et à la spatialité contradictoire du Moyen Âge – bidimensionnalité et perspective inversée byzantine (cf. GRÈCE, pl. couleurs VII à X), multiples variantes des schémas à axe de fuite, présentations obliques des volumes (cf. DESSIN, pl. couleurs, Taddeo Gaddi, Présentation au Temple ) –, mais ouvre aussi la voie à la pensée moderne. Pour la première fois, en effet, dans l’histoire de la connaissance, la perspective institue une correspondance métrique rigoureuse entre les objets dans l’espace et leur représentation; elle fournit un système logique de symboles visuels de la réalité, permettant ainsi de la décrire et de la reproduire sous des formes d’une intelligibilité universelle; elle crée, ce faisant, les conditions d’un développement de la recherche scientifique, soutenue en cela par les nouvelles techniques de reproduction mécanique des images, et elle rend possible, entre autres, la publication des premiers traités illustrés de botanique et d’anatomie (Vesale).

Responsable de l’utilisation du nouveau procédé graphique pour l’investigation de la nature, Léonard de Vinci, vers la fin du Quattrocento, reporte sur l’«espace des phénomènes naturels» l’intérêt qu’avaient accordé jusqu’à présent les artistes, pendant tout le siècle, à «l’espace de l’homme». Mais, à partir de ce dernier espace et dans la nécessité où l’on était d’en faire le décor rationnel du héros humaniste, les recherches pour l’élaboration de la perspective avaient commencé à se développer; il n’y a donc pas à s’étonner de voir que l’inventeur en fut un architecte sculpteur comme Filippo Brunelleschi et le premier théoricien un architecte lettré comme Leon Battista Alberti, avec son traité De pictura (1435, livre I), tandis qu’il devait revenir aux peintres d’en assurer ensuite l’emploi sur une large échelle, transformant ainsi progressivement les habitudes visuelles de leurs contemporains. Tout en reconnaissant le rôle fondamental joué par Brunelleschi – rôle attesté aussi bien par l’organisation spatiale de ses œuvres architecturales (la coupole de Sainte-Marie-de-la-Fleur à Florence) que par les sources (pseudo-Manetti, Giorgio Vasari), qui mentionnent comme premiers exemples de perspective peinte ses deux petits panneaux représentant les vues du Baptistère de Florence et de la place de la Seigneurie (1410-1424 env.) – la critique moderne a tendance à inscrire la découverte de Brunelleschi dans un processus historique complexe qui, à travers le Moyen Âge et la Renaissance, s’identifie avec le travail théorique des auteurs de traités d’optique qui cherchaient à approfondir en termes physicophysiologiques (Witelo, Peckham, Bacon, XIIIe s.), puis de plus en plus géométriques (Biagio Pelacani, fin du XIVe s.), la phénoménologie de la vision; processus qui, d’autre part, se concrétise dans les recherches spatiales menées avec succès par les peintres dans le cadre des ateliers et aboutissant dès le XIVe siècle, avec Giotto et les Lorenzetti, à des solutions extrêmement avancées, encore qu’intuitives et non mathématiques.

Au début du Quattrocento, Masolino perfectionne les systèmes artisanaux antérieurs, tandis que Masaccio, saisissant toute la signification du nouvel instrument scientifique mis au point par Brunelleschi, réalise en 1427 la première perspective architecturale rigoureuse (fresque de la Trinité à Sainte-Marie-Nouvelle, Florence); il est suivi dans cette voie par Donatello pour les bas-reliefs, par Fra Angelico, Fra Filippo Lippi et d’autres peintres toscans comme Piero della Francesca, à qui l’on doit la première codification systématique de la perspective (De prospectiva pingendi , vers 1480). Chercheur solitaire, Paolo Uccello restera plutôt fidèle, dans ses expérimentations singulières, à la réalité optique étudiée par Lorenzo Ghiberti (Commentarii , livre III, vers 1445); en Italie du Nord, par ailleurs, Mantegna parvient à une interprétation illusionniste de la perspective, en cherchant à faire coïncider le point de vue de la construction perspective et la position réelle du spectateur, et en impliquant ce dernier dans un espace peint en continuité avec l’espace physique (Histoires de saint Jacques , dans l’église des Eremitani, Padoue, vers 1450; Chambre des époux, au palais ducal, Mantoue, 1474). Illusionniste, de même, est la présentation perspective des motifs qui forment le répertoire des marqueteries en bois, lesquelles attestent la virtuosité perspective atteinte dans la pratique figurative italienne au Quattrocento [cf. MARQUETERIE].

À l’aube du XVIe siècle, Léonard de Vinci ressent la nécessité d’un nouvel examen critique des fondements théoriques de la perspective et il dénonce l’écart existant entre cette dernière et l’expérience psychophysiologique de l’espace, pour s’engager directement dans l’étude d’un système de projection sur une surface curviligne en conformité avec la courbure rétinienne; c’est lui, en outre, qui formule pour la première fois les règles de la perspective des ombres, comme en témoigne un traité lombard du XVIe siècle dérivé des manuscrits perdus de Léonard et conservé dans le Codex Huygens (œuvre de Carlo Urbino). En Allemagne, c’est Albrecht Dürer qui introduit l’emploi de la perspective scientifique, après l’avoir apprise en Italie au cours d’un voyage effectué dans ce but (Underweysung der Messung , livre IV, 1525 et 1538). En France, en revanche, Jean Fouquet se livre à des recherches personnelles et aboutit, sur une base intuitive, à des solutions spatiales curvilignes (Livre d’heures d’Étienne Chevalier , vers 1460); mais le système perspectif le plus répandu est la méthode bifocale (fig. 9) avec points de distance aux bords du tableau, dont la théorie est assurée par Jean Pélerin Viator dans son traité De artificiali perspectiva (Toul, 1505). La construction perspective qui domine dans la peinture flamande relève aussi de la méthode bifocale; cette peinture donne la préférence à une présentation oblique de l’image aux dépens de la présentation frontale préférée en Italie, et obtient de subtils effets de profondeur plutôt par le recours savant aux dégradés de couleurs et aux glacis que par une organisation linéaire rigoureuse (Vierge d’Autun de Jan Van Eyck, 1436, musée du Louvre, Paris).

La quadrature

S’ils refusent l’ordre et la mesure du code spatial de la Renaissance, le maniérisme et le baroque suscitent un regain d’intérêt pour la perspective avec la mode de la quadrature, genre décoratif qui connut un grand succès en Europe entre le XVIe et le XVIIIe siècle, et qui consiste dans la peinture à fresque de structures architecturales qui élargissent et compliquent de façon illusionniste la spatialité des intérieurs décorés. Les origines de la quadrature sont italiennes et remontent à l’école de Raphaël (salle des Perspectives de Baldassarre Peruzzi, à la Farnesine, Rome); mais de Rome, par l’intermédiaire de Jules Romain, le goût des architectures peintes en trompe-l’œil passe en Italie du Nord, à Mantoue (salle des Géants au palais du Te, vers 1530) et en Vénétie, où se constitue une école qui parvient aux réalisations les plus remarquables avec Véronèse (décoration des édifices d’Andrea Palladio, en particulier la villa Barbaro, à Maser, vers 1560), avec les frères Rosa à Brescia dans la seconde partie du XVIe siècle, avec Tiepolo et son quadratoriste Mengozzi Colonna au XVIIIe siècle.

L’école émilienne se caractérise par une approche plus scientifique: partant des perspectives avec figures sur fond de ciel ouvert remontant à Corrège, elle en vient à adopter, sous l’influence des traités de Serlio et de Vignole, des solutions géométriques plus rigoureuses, avec Dentone (1570-1632), A. Michele Colonna et A. Mitelli, qui travaillèrent ensemble en Espagne pour Philippe IV, T. Aldovrandini, qui œuvra à Dresde, enfin les frères Bibbiena, scénographes et théoriciens du premier quart du XVIIIe siècle, qui introduisirent la quadrature à Vienne, tandis que D. Francia (1702-1758) en assurait la diffusion à Prague, Stockholm et Lisbonne. À Rome, à côté du perspectivisme aérien de G. Lanfranco et de Baciccia, une œuvre fondamentale est accomplie par Andrea Pozzo, auteur de traité et peintre (Triomphe de saint Ignace , dans l’église du même nom), qui exercera, par son activité à Vienne après 1702, une forte influence sur l’art de J.-M. Rottmayr (fresques à Saint-Pierre et Saint-Charles, à Vienne), de M. et B. Hohenberg, de A.-F. Maulpertsh. Les grandes scénographies des quadratoristes ont laissé leur marque dans le perspectivisme de chevalet (G.-P. Pannini), qui a donné naissance au XVIIIe siècle à la mode vénitienne des vedute , ou «vues» (Canaletto, B. Bellotto).

4. Le débat sur la perspective au XXe siècle

La crise de la perspective dans la culture moderne est à mettre en relation avec la conception nouvelle de l’espace, introduite par les géométries non euclidiennes et dans le domaine scientifique par la théorie de la relativité; elle coïncide, par ailleurs, avec la crise de la fonction traditionnelle de l’art comme mimesis , à laquelle l’esthétique idéaliste oppose une vision nouvelle de l’art conçu comme connaissance et langage. Cézanne, à la fin du XIXe siècle, libère la peinture des contraintes de l’imitation et l’élève au rang d’instrument d’analyse des formes naturelles envisagées sous l’aspect de solides géométriques. C’est le cubisme qui rompit radicalement avec les structures de l’espace perspectif: il ramène l’objet à la bidimensionnalité du support pictural et le représente simultanément sous des angles multiples, instaurant une tension cognitive qui repousse le subjectivisme de la vision perspective au nom de l’objectivité pluridimensionnelle de l’image. Une telle approche a eu des répercussions déterminantes sur l’évolution artistique, mais il serait erroné de croire qu’elle mette un terme aux recherches sur les potentialités expressives de la perspective: que l’on pense aux projections exaspérées qui sous-tendent les énigmes de la peinture métaphysique (Giorgio De Chirico) ou aux subtils sortilèges perspectifs créés par Paul Klee au cours de ses années de travail au Bauhaus.

Parallèlement aux expérimentations des artistes, la pensée esthétique à la fin du XIXe siècle s’engage dans un examen critique de la perspective, dont les auteurs liés au «visibilisme» (Sichtbarkeit ) mettent en question pour la première fois le réalisme, qu’ils ramènent en même temps à la catégorie stylistique et formelle d’«espace». S’appuyant sur la méthode iconologique, E. Panofsky, dans une étude fondamentale parue en 1927 (mais élaborée en 1924-1925), a infléchi en quelque mesure tout le développement ultérieur de l’histoire de l’art; de simple instrument technique, la perspective passe avec lui au rang de phénomène stylistique et culturel majeur, dont la fonction naturaliste est relativisée et qui subit un procès radical d’historicisation. Dénonçant, à la lumière des principes théoriques d’Ernst Cassirer, l’altérité essentielle de l’espace mathématique – continu, homogène, infini – par rapport à l’espace de l’expérience perceptive, et reconnaissant dans le premier l’idée moderne d’espace symbolisée dans la construction perspective de la Renaissance avec unique point de fuite, Panofsky conteste la conception académique traditionnelle qui avait vu dans la perspective l’instrument d’une tridimensionnalité jouissant du privilège d’être la seule à être tenue pour scientifiquement légitime; et, de la perspective, Panofsky refuse, par ailleurs, le caractère d’unicité en tant que «forme symbolique», à chaque époque et dans chaque culture, des conceptions scientifiques et philosophiques de l’espace. L’hypothèse découlant de cette analyse et attribuant à la peinture antique une méthode spécifique de représentation perspective (avec projection sur une surface courbe) était sans nul doute susceptible de vérifications ultérieures: c’est sur cette voie que s’engage J. White (1957) lorsqu’il propose une histoire de l’espace figuratif occidental conçue comme l’histoire de la constitution progressive de deux systèmes perspectifs opposés, un système linéaire et un système curviligne plus proche de la réalité optique.

Tout autre est la position de D. Gioseffi (1957), qui récuse la féconde relativisation historique opérée par Panofsky et tente, sur la base d’un contrôle philologique rigoureux, de réaffirmer le réalisme scientifique et la validité atemporelle d’un système unique de construction perspective, le système de projection centrale de la Renaissance, dont il cherche à démontrer la présence jusque dans la peinture de l’Antiquité. En revanche, P. Francastel (1951), renouvelant les thèses de Panofsky à la lumière des travaux de psychologie génétique et d’anthropologie, propose une interprétation psychosociologique de l’espace figuratif et distingue, dans les représentations de l’espace propres aux diverses époques, des contenus mythiques particuliers structurés dans des schèmes perceptifs et géométriques spécifiques.

Au cours des années soixante, le débat sur la perspective a abandonné l’approche théorique et systématique des travaux que l’on vient de rappeler pour se concentrer sur des problèmes historiques plus circonscrits: en particulier le problème de l’«invention» de la perspective, de ses premières formulations théoriques et des premières expériences entreprises par les artistes de la Renaissance. La nécessité de replacer dans un cadre historique précis le moment créateur du nouveau système géométrique a conduit A. Parronchi à reconstituer le contexte culturel dans lequel les artistes furent amenés à œuvrer au début du Quattrocento; il a pu ainsi mettre en lumière les liens subtils existant entre la pensée scientifique du Moyen Âge – et avant tout le corpus d’optique des XIIIe et XIVe siècles – et les premières recherches de la perspectiva artificialis . R. Klein en revanche, travaillant avec un groupe d’études dirigé par A. Chastel à l’édition critique du traité De sculptura de Pomponius Gauricus (Venise, 1504), qui contient la description d’un procédé singulier de réduction perspective (fig. 10), a recherché dans les documents picturaux du XIVe siècle les preuves de la continuité d’une tradition artisanale de représentation de l’espace, repérable dans le système bifocal formulé par Gauricus et dont la présence se manifesterait pendant tout le XVe siècle, non seulement dans la pratique d’atelier, mais aussi dans l’œuvre d’artistes tels que Paolo Uccello, Brunelleschi dans le panneau de la place de la Seigneurie (en présentation oblique) et Léonard de Vinci, qui s’en seraient servi comme d’un système antagoniste de la méthode de projection centrale, plus intellectuelle, codifiée par Alberti et Piero della Francesca. Enfin, en relation précisément avec la costruzione legittima d’Alberti (fig. 11 et 12), il convient de signaler la précieuse intégration du texte du traité De pictura effectuée par C. Grayson, qui a ouvert la voie à de nouvelles hypothèses de reconstruction du premier procédé géométrique de représentation tridimensionnelle qui nous soit parvenu sous forme écrite.

perspective [ pɛrspɛktiv ] n. f.
• 1547; « réfraction » 1369; bas lat. perspectiva (ars), de perspectus, p. p. de perspicere « apercevoir »; cf. it. prospettiva
A(Concret)
1Art de représenter les objets sur une surface plane, de telle sorte que leur représentation coïncide avec la perception visuelle qu'on peut en avoir, compte tenu de leur position dans l'espace par rapport à l'œil de l'observateur. Dessiner une maison en perspective (opposé à en plan). Il y a une erreur de perspective dans ce croquis, le point de fuite est mal placé. Artifices de perspective. trompe-l'œil. Perspective cavalière : perspective de convention (l'œil de l'observateur étant supposé situé à l'infini) permettant de montrer l'agencement des diverses parties de l'objet. — Perspective aérienne (peint.),qui indique les éloignements au moyen de différences de valeurs, de dégradés de couleurs. — Loc. fig. Mettre qqch. en perspective, en exposer toutes les dimensions et présenter l'arrière-plan, le contexte.
2Aspect (surtout esthétique) que présente un ensemble architectural, un paysage vu d'une certaine distance. « l'une des plus tristes perspectives qu'on puisse avoir devant les yeux : l'étroite cour d'une longue maison » (Musset). vue. Spécialt (du russe prospekt) La perspective Nevski, à Saint-Pétersbourg : grande avenue rectiligne.
B(XVIIe) (Abstrait)
1Événement ou succession d'événements qui se présente comme probable ou possible. expectative; éventualité, hypothèse. Dans cette perspective, il nous faudrait intervenir. Dans la perspective où... « rien que la perspective d'y passer une nuit me serre le cœur » (Loti). « Je tremblais à la perspective d'en franchir le seuil » (Radiguet). idée.
Domaine qui s'ouvre à la pensée, à l'activité de qqn. horizon. Des perspectives d'avenir. « vous avez ouvert dans ma vie des perspectives toutes nouvelles. Je vous dois de connaître l'amour » (Gautier).
♢ EN PERSPECTIVE : dans l'avenir; en projet, en vue. Il a un bel avenir en perspective.
2Aspect sous lequel une chose se présente; manière de considérer qqch. angle, côté, éclairage, optique, point de vue. Cette femme « connue sous des perspectives différentes, à la fois odieuse, innocente, fautive et noble » (Chardonne).

perspective nom féminin (latin médiéval perspectiva) Ensemble des règles qui permettent de représenter le volume sur un plan. Vue qu'on a, d'un endroit déterminé, d'un paysage, d'un ensemble architectural : Avoir la perspective sur les Alpes. Aspect sous lequel on envisage quelque chose : Une perspective sociologique. Ensemble d'événements, de projets ou évolution, devenir de quelque chose qui se présente comme probable ou possible ; éventualité, horizon : La perspective d'une brillante carrière se présentait à lui. Démographie Évolution future d'une population, sous des hypothèses de mortalité, de fécondité ou de migrations. Mathématiques Projection centrale (ou conique) de l'espace ponctuel projectif E3 de pôle (ou sommet) S qui, à tout point M de E3, distinct de S, associe le point M′ d'un plan P, qui est l'intersection de SM et de P. Urbanisme Grande voie ou promenade en ligne droite. ● perspective (expressions) nom féminin (latin médiéval perspectiva) En perspective, qui est traité selon les règles de la perspective ; qui est dans les prévisions de quelqu'un, en projet. Ouvrage en perspective ou en perspective accélérée, partie de bâtiment traitée, à l'aide de tracés obliques, de manière à produire l'effet d'un espace en profondeur plus vaste qu'il n'est en réalité. Perspective aérienne, dans une peinture, effet de profondeur obtenu par la simple dégradation des valeurs et des teintes des premiers plans aux parties éloignées de la représentation. Perspective cavalière ou parallèle, système de représentation où le point de vue est situé à l'infini (les lignes parallèles qui fuient restent non convergentes). Perspective centrale ou classique, projection sur un plan vertical, à partir d'un point de vue unique et fixe, des objets à représenter (les lignes parallèles convergent vers un point de fuite). Perspective cavalière, synonyme de projection oblique. ● perspective (synonymes) nom féminin (latin médiéval perspectiva) Vue qu'on a, d'un endroit déterminé, d'un paysage, d'un ensemble...
Synonymes :
- coup d'oeil
- échappée
- paysage
- site
- vue
Aspect sous lequel on envisage quelque chose
Synonymes :
- angle
- attente
- côté
- espérance
- optique
- pensée
- point de vue
- prévision
- vision
Ensemble d'événements, de projets ou évolution, devenir de quelque chose qui...
Synonymes :
- conjecture
- éventualité
- expectative
- horizon
- idée
Mathématiques. Projection centrale (ou conique) de l'espace ponctuel projectif E 3...
Synonymes :
- projection centrale
Mathématiques. Perspective cavalière
Synonymes :
- projection oblique
perspectif, perspective adjectif (latin médiéval perspectivus, du latin classique perspicere) Qui se rapporte aux lois de la perspective, se fonde sur elles.

perspective
n. f.
d1./d Art de représenter les objets en trois dimensions sur une surface plane, en tenant compte des effets de l'éloignement et de leur position dans l'espace par rapport à l'observateur.
d2./d Aspect que présentent un paysage, des constructions, etc., vus de loin. Une agréable perspective.
d3./d Fig. Idée que l'on se fait d'un événement à venir. La perspective de cette rencontre m'est désagréable.
|| Loc. adv. En perspective: en vue; dans l'avenir. Avoir une belle situation en perspective.
d4./d Point de vue. Se placer dans une perspective historique.

⇒PERSPECTIVE, subst. fém.
A. 1. Phénomène affectant la vision de loin des objets ou des différentes apparences (ou représentations) des objets suivant les changements de position de l'oeil qui les regarde. La notion de perspective a été assez rapidement acquise par les hommes dès qu'ils ont analysé les apparences variables de la vision d'un même objet (E. BOREL, Paradoxes de l'infini, 1946, p.45).
2. GÉOM. ARCHITECTURALE, DESSIN
a) Projection d'un objet sur un plan telle que sa représentation sur ce plan coïncide avec la perception visuelle qu'en aurait un observateur en un point donné:
1. ... il ne faut pas dire seulement que j'ai réduit la perspective perçue à la perspective géométrique, que j'ai changé les proportions du spectacle, que j'ai rapetissé l'objet s'il est éloigné, que je l'ai grossi s'il est proche...
MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p.301.
) Perspective linéaire. ,,Ces trois perspectives naturelle, parallèle et curviligne sont toutes linéaires`` (BÉG. Dessin 1978).
Perspective naturelle, centrale, conique. ,,On appelle encore cette perspective réelle ou d'aspect ou d'observation bien que ce dernier terme spécifie plus particulièrement une perspective réalisée d'après nature, par opposition à perspective d'imagination ou rationnelle exécutée sans modèle`` (BÉG. Dessin 1978).
Perspective parallèle, cylindrique. Perspective conventionnelle qui ne cherche pas à reproduire exactement l'objet tel qu'il est, à partir d'un point fixe, mais en donne une projection simplifiée, aisée et rapide à tracer (d'apr. BÉG. Dessin 1978).
Perspective cavalière. V. cavalier2. Perspective isométrique.
Perspective curviligne. Perspective qui ,,agrandit artificiellement mais considérablement le champ oculaire de l'observateur et la représentation, dont la plupart des droites s'incurvent`` (BÉG. Dessin 1978).
) Perspective aérienne. Perspective ,,qui situe dans l'espace les différents plans de la représentation, à l'aide de valeurs, de couleurs, de nuances`` (BÉG. Dessin 1978). Quelquefois, on croit voir des édifices gothiques, des colonnades placées d'après les principes d'une perspective aérienne (CRÈVECOEUR, Voyage, t.2, 1801, p.160).
) Perspective de sentiment, sentimentale. Perspective des objets qui ne présentent ni ligne droite, ni courbe définie. La perspective de sentiments ne découle pas d'un raisonnement constructif; c'est elle qui permet de dessiner ce qui ne peut s'intégrer dans l'appareil perspectif qu'au prix de difficiles artifices (BÉG. Dessin 1978).
) Perspective spéculative. ,,Optique des différentes apparences des objets suivant les positions de l'oeil qui les regarde`` (JOSSIER 1881).
) Loc. adv. ou adj. En perspective. Selon les règles de la perspective. Mettre un cube en perspective. V. fuyant II A 2 a ex. de Ch. Blanc. En perspective + adj. Selon les règles d'une perspective donnée. Ils pourrissaient à l'alignement, les défenseurs d'Orsenna. (...) j'avais là sous les yeux en perspective cavalière trois siècles des fondements de la patrie (GRACQ, Syrtes, 1951, p.70).
b) P. méton. Partie de la géométrie, du dessin qui consiste à représenter un objet sur un plan placé entre l'objet et l'oeil de l'observateur. Traité de perspective. Il enseigne, il apprend la perspective. Un cours de perspective (Ac. 1935). L'objet apparaît alors en profondeur: il doit être représenté selon les lois de la perspective: ce sera la vue perspective (P. LAVEDAN, Urban., 1926, p.107). V. fuite A 3 b ex. de Huyghe.
3. PEINT., ARCHIT. Tableau de peinture en trompe-l'oeil disposé au fond d'un couloir, portique disposé au fond d'une galerie ou d'une allée de jardin pour masquer le mur et donner une impression de profondeur. La décoration est complétée par une belle perspective (Ac. 1935).
4. Aspect (surtout du point de vue esthétique) qu'offre à l'oeil un objet plus ou moins éloigné. [Le lac Majeur] a des montagnes raides, mais, en outre, des coteaux adoucis, des draperies de forêts, des perspectives de plaines (TAINE, Voy. Ital., t.2, 1866, p.430). En arrivant sur cette petite place sinistre avec, au fond, la perspective de ce parc dépouillé bruissant sous la rafale, (...) je ne pus me défendre d'un sentiment de malaise (LORRAIN, Sens. et souv., 1895, p.98).
En partic.
♦Grande voie ou avenue en ligne droite, considérée dans sa profondeur. Les profondes perspectives du boulevard Sébastopol et du boulevard du Palais (ZOLA, L'OEuvre, 1886, p.110).
♦Paysage, site architectural ou urbain considéré dans l'aspect qu'il offre vu de loin ou sous un certain angle. Je regrettai d'être arrivé trop tard pour jouir d'une belle perspective du Danube (CHATEAUBR., Mém., t.4, 1848, p.188). Cette esplanade, ouverte de partout sous le ciel, bornée seulement au sud par la perspective lointaine des Invalides, les enchantait (ZOLA, L'OEuvre, 1886, p.76).
Loc. adv. En perspective. Avec un certain recul mais dans la limite du regard d'un observateur. Je viens d'arriver à Bayonne, et j'ai déjà vu toute la chaîne des Pyrénées, en perspective il est vrai, et à moitié couverte par le brouillard (FLAUB., Corresp., 1840, p.3).
B.Au fig.
1. Manière particulière d'envisager les choses ou d'en interpréter le déroulement; aspect sous lequel les choses se présentent. Synon. angle, optique, point de vue. Aucune existence dans la perspective biblique n'est monadique (Philos., Relig., 1957, p.40-1):
2. C'est ce journal-là, ou un autre, peu importe, que je lirai là-bas. En tout cas, une édition de Paris. Ce sont des nouvelles arrangées de cette façon-là, dosées comme ça, qui m'arriveront. La perspective du monde qui sera, chaque matin, que je le veuille ou non, la mienne.
ROMAINS, Hommes bonne vol., 1932, p.157.
Loc. adv. En perspective. Avec du recul. Il nous faut voir la vie en perspective. Mais il n'est point de perspective ni d'espace, le jour où l'on enterre (SAINT-EXUP., Pilote guerre, 1942, p.276).
2. a) Événement ou succession d'événements que l'on considère comme probable ou possible. Synon. conjecture, éventualité. Nous vendrons nos petites-filles à la vanité de quelques manants enrichis. Cette perspective n'a rien d'alarmant (SANDEAU, Mlle de La Seiglière, 1848, p.118). Se lever le matin constituait pour lui un effort disproportionné à l'intérêt de la chose, il n'y avait aucune attraction, aucun sujet d'excitation dans la morne perspective de la journée (TRIOLET, Prem. accroc, 1945, p.113). Demander au gouvernement de définir une politique de l'énergie replaçant le problème dans une perspective économique d'ensemble (REYNAUD, Syndic. en Fr., 1963, p.153).
En partic. Domaine qui s'ouvre à la pensée ou à l'activité. Perspective nouvelle; perspective de développement, d'évolution, d'expansion; avoir une perspective d'avancement, de promotion; avoir des perspectives d'avenir. L'évêque, fort ébranlé, ne devait pas résister aux perspectives éblouissantes que j'allais dérouler devant lui, et aux pompes du culte promises à son diocèse (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p.322). Nous ne voulons pas dire que les travaux américains soient dénués d'intérêt; nous avons au contraire tenté de dégager leurs perspectives originales et singulièrement fécondes (Hist. sc., 1957, p.1537).
DÉMOGR. Perspective de population, perspective démographique. ,,Approche par le calcul des probabilités d'évolution numérique d'une population`` (GEORGE 1970).
b) Espérance d'un événément agréable, crainte d'un événement désagréable. Synon. expectative, idée. Un Allemand qui se fixerait en France serait bientôt français, par la puissance de la langue, des moeurs, des lieux. Mais la perspective d'une guerre l'arrête et le trouble (ALAIN, Propos, 1921, p.276). Bien plus que la perspective de la fête, c'était la pensée de ce voyage (...) qui m'avait décidé (GRACQ, Syrtes, 1951, p.88).
La perspective de + inf. Il est de retour à Paris depuis trois ans, et c'est la nécessité d'essuyer une injustice et la perspective d'y être pendu, qui l'y a ramené (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1948, p.258).
À la perspective de + inf. À l'idée de. La veille, à la perspective de rencontrer le mari, il eût reculé d'effroi: en ce moment, il ne tremblait plus que d'une crainte, ne pas le joindre! (ESTAUNIÉ, Ascension M. Baslèvre, 1919, p.223).
c) Loc. adj. En perspective. Possible ou probable; à prévoir; en espérance, dans l'avenir. Encore des embêtements en perspective (ARAGON, Beaux quart., 1936, p.367).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. Fin XIIIes. «théories sur la réfraction» (MAHIEU LE VILAIN, Les Méthéores d'Aristote, éd. R. Edgren, p.128, ligne 14: Car nous savons par perspective que la cause pour quoy telles clartés sont apparans...), en m. fr. seulement; 2. 1547 «art de représenter les objets selon les différences que l'éloignement et la position y apportent» (J. MARTIN, Architecture ... de Vitruve, 1er livre, chap.4, f° 6 r°); 1560 (J. COUSIN, Livre de Perspective [Paris chez J. Le Royer] ds BÉG. Dessin 1978); a) 1651 perspective aérée (R. FR[EAR] DE CHAMBRAY, trad. du Traité de peint. de L. de Vinci, p.165 ds BRUNOT t.6, p.695); 1669 perspective aérienne (SEB. BOURD[ON], Conf. ds JOUIN, Conférences de l'Acad. royale de peinture..., Paris, 1883, p.135, ibid., p.735, note 7); b) 1691 perspective cavalière (OZANAM, p.472, ligne 45); c) 1842 perspective sentimentale (Ac. Compl.); 3. 1551 «tableau, tissu, portique... en trompe-l'oeil» une perspective peinte (Entrée solennelle de Henri II et de Catherine de Médicis à Rouen ds HAVARD t.4); 4. ca 1584 «ensemble considéré quant à l'aspect esthétique qu'il offre sous un certain angle» (BRANTÔME, Des Dames, 2e part. ds OEuvres compl., éd. L. Lalanne, t.9, p.49); 5. 1635 «aspect que divers objets vus de loin ont, par rapport au lieu d'où on les regarde» (MONET); en partic. 1787 «voie considérée dans la dimension de sa profondeur» les perspectives de Saint Petersbourg (ABEL BURJA ds BRUNOT, loc. cit., 1240). II. 1. 1676 «manière dont on projette dans l'avenir le développement d'une situation actuelle» (Mme DE SÉVIGNÉ, Lettres, éd. R. Duchêne, t.II, p.379); 2. a) 1688 «attente d'un proche événement» avoir en perspective qqc. «avoir en vue» (ID., ibid., t.III, p.382); b) 1689 «l'avenir prévisible» une perspective agréable (ID., ibid., p.531); 3. a) 1797 «manière propre à un individu, une idéologie, une discipline de concevoir ou d'interpréter le déroulement des événements» (CHATEAUBR., Essai Révol., t.2, p.65: l'histoire n'offre-t-elle pas sous une perspective nouvelle); b) 1836 «manière dont on se représente un événement ou une série d'événements dans leur déroulement» (QUINET, All. et Ital., p.106). Empr. au lat. médiév. perspectiva fém. subst. de perspectivus (v. perspectif) désignant la perspective en géom. et l'optique chez St Thomas (cf. BLAISE Latin. Med. Aev.); l'empl. de perspective comme terme de peint. a été suggéré par l'ital. prospettiva (FEW, t.8, p.275b). Fréq. abs. littér.:2161. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 2162, b) 2357; XXes.: a) 2000, b) 4879. Bbg. QUEM. DDL t.23. — Sculpt. 1978, p.680, 686.

perspective [pɛʀspɛktiv] n. f.
ÉTYM. 1547; « théorie sur la réfraction », v. 1270; bas lat. perspectiva (ars) « art perspectif », de perspectus, p. p. de perspicere « apercevoir ». → Perspectif. L'emploi de ce mot comme terme de peinture est dû à l'ital. prospettiva.
A Concret.
1 Art, science qui a pour but de représenter les objets sur une surface plane de telle sorte que la représentation de ces objets coïncide avec la perception visuelle qu'on peut en avoir, compte tenu de leur position dans l'espace par rapport à l'œil de l'observateur.Chacun des procédés particuliers par lesquels on représente ainsi les objets.Perspective spéculative, pratique.Perspective linéaire ou conique, qui concerne la dimension des lignes, leurs directions, les angles qu'elles font entre elles.Perspective cavalière : perspective de convention (l'œil de l'observateur étant supposé situé à l'infini) qui est employée en stéréotomie, etc.Peint. || Perspective aérienne, qui indique l'éloignement relatif des objets au moyen des différences de valeurs, de la dégradation des couleurs et des tons (→ Maladroit, cit. 3).Vx. || Perspective de sentiment ou sentimentale, qui s'applique aux objets qui ne présentent pas de lignes droites ni de courbes définies.La perspective, branche de la géométrie qui utilise les propriétés projectives des figures. Projection. || Dessin géométral, qui ne tient pas compte de la perspective. || La perspective permet à un dessin de représenter la troisième dimension, de rendre la profondeur, détache les objets sur le fond, distingue les plans (premier, second plan…, arrière-plan). || La perspective fait fuir (cit. 20) les objets par la seule dégradation de leurs grandeurs.La fuite, effet de perspective. Fuyant.
1 (…) l'effort d'Elstir de ne pas exposer les choses telles qu'il savait qu'elles étaient mais selon ces illusions optiques dont notre vision première est faite, l'avait précisément amené à mettre en lumière certaines de ces lois de perspective, plus frappantes alors, car l'art était le premier à les dévoiler.
Proust, À la recherche du temps perdu, t. V, p. 91.
2 La perspective italienne fait place à la perspective sensible qui ne tient aucun compte du point de fuite et qui accorde parfois à l'objet reculé une importance plus grande qu'à celui du premier plan.
A. Lhote, Traité du paysage, p. 151.
3 Claude (Lorrain) sait noter dans leur irradiation et leurs colorations les feux du jour changeant au crépuscule du matin comme à celui du soir. Il sait aussi faire de ces rais lancés à travers l'espace les instruments d'une perspective convergente qui creuse vertigineusement la profondeur vers le soleil et ordonne l'espace tout entier selon la même logique qui commande aux lignes fuyantes des architectures.
René Huyghe, Dialogue avec le visible, p. 148.
En perspective : en respectant les règles de la perspective, en tenant compte de l'éloignement relatif des objets. || Représenter un objet en perspective. || Un dessin en perspective.
(Une, des perspectives). Peinture, figuration qui représente un lointain (jardins, paysages, édifice…) qu'on dispose à l'extrémité d'une allée de jardin ou d'une galerie pour donner une impression de profondeur. Trompe-l'œil.
2 Aspect (considéré surtout du point de vue esthétique) que présente un ensemble architectural, un paysage, etc., quand on le regarde à une certaine distance ou d'un point de vue particulier; cet ensemble, ce paysage lui-même. Échappée. || Perspective solennelle (→ Bas-côté, cit. 2), splendide (→ Brise, cit. 3). « Place, rue ou groupe de voies adjacentes dégageant une impression esthétique d'ensemble que l'Administration a le pouvoir de protéger en interdisant les constructions qui, notamment par leur hauteur ou leur étrangeté architecturale, porteraient atteinte à cet ensemble » (Capitant).
4 (…) elle regardait l'une des plus tristes perspectives qu'on puisse avoir devant les yeux : l'étroite cour d'une longue maison où se trouvait logée une entreprise de diligences.
A. de Musset, Contes, « Pierre et Camille », VIII.
5 La vue que l'on découvre de l'emplacement du château est peut-être la plus grande beauté de Marly. Les arbres géants de la perspective s'écartent comme un rideau de théâtre, et c'est une échappée soudaine sur les méandres de la Seine et les hauteurs de Saint-Germain.
Louis Bertrand, Louis XIV, III, III.
Spécialt. (Pour traduire le russe prospekt). || La perspective de Newski (→ Omnibus, cit. 1), ou, plus cour., la Perspective Newski ou Nevski, à Léningrad (anciennement Saint-Pétersbourg), grande avenue en ligne droite.
B Abstrait. (XVIIe).
1 Fig. Événement ou succession d'événements qui se présente comme probable ou possible; attente, crainte ou espérance d'un tel événement. Expectative; éventualité. || Une lointaine perspective (→ Battre, cit. 73). || Une perspective inquiétante, rassurante. || La perspective d'une guerre. Idée. → Civil, cit. 12. || La perspective de…, suivi d'un infinitif (→ Combat, cit. 7; fureur, cit. 32).Domaine qui s'ouvre à la pensée, à l'activité de quelqu'un. Champ, horizon. || Des perspectives d'avenir. || Vous avez ouvert dans ma vie des perspectives toutes nouvelles (→ Éclair, cit. 5; et aussi entrouvrir, cit. 5; nouveau, cit. 19).À la perspective de… : à l'idée de…
6 Dinah vivait ! elle trouvait l'emploi de ses forces, elle découvrait des perspectives inattendues dans son avenir (…)
Balzac, la Muse du département, Pl., t. IV, p. 149.
7 (…) rien que la perspective d'y passer une nuit me serre le cœur (…)
Loti, Mme Chrysanthème, IV.
8 Il nous fallait donc coucher à l'hôtel. Je n'y étais jamais allé ! Je tremblais à la perspective d'en franchir le seuil.
R. Radiguet, le Diable au corps, p. 169.
9 Ainsi, pendant quelques jours, Jenny allait se trouver seule à Paris ? Cette perspective favorable atténuait un peu sa déception.
Martin du Gard, les Thibault, t. VI, p. 181.
En perspective : dans l'avenir; en projet, en vue. || Il a un bel avenir, de sérieux ennuis en perspective.
9.1 On conçoit dès lors que Lamartine (…) se soit si aisément laissé retenir et peut-être circonvenir par les sollicitudes familiales, un mariage en perspective, dans son provincial Mâconnais.
Émile Henriot, les Romantiques, p. 102.
2 Manière particulière de voir les choses; aspect sous lequel les choses se présentent. Aspect, côté, éclairage, optique, point (de vue). || Dans la perspective de notre situation historique (→ Faire, cit. 224). || Dans une perspective marxiste, freudienne.
10 Et la femme qu'il rejetait, il la voyait comme s'il l'avait créée, tout entière connue sous des perspectives différentes, à la fois odieuse, innocente, fautive et noble, à jamais présente, vivante, insurgée.
J. Chardonne, les Destinées sentimentales, p. 186.
11 Il est fort rare qu'on ne désoblige pas ceux qu'on raconte, et même si nous ne tournons pas leurs actes à notre avantage mais à notre désavantage, l'optique et les perspectives du point fixe où nous sommes contredisent l'angle sous lequel ils les observent.
Cocteau, la Difficulté d'être, p. 166.
DÉR. Perspectiviste.

Encyclopédie Universelle. 2012.