1. espace [ ɛspas ] n. m.
• spaze v. 1190; v. 1160 « moment »; surtout « espace de temps » jusqu'au XVIe, et souvent fém.; lat. spatium
I ♦ (Spatial) Cour. Lieu, plus ou moins bien délimité (où peut se situer qqch.).
1 ♦ (1314) (Considéré dans une seule dimension) Mesure de ce qui sépare deux points, deux lignes, deux objets; cet écart lui-même. ⇒ distance, 1. écart, écartement, intervalle. Laisser, ménager un espace, de l'espace (entre qqch. et qqch.) (⇒ espacer) . Espace entre deux objets rapprochés. ⇒ interstice, vide. « Entre les deux grilles se trouvait un espace de huit à dix mètres qui séparait les visiteurs des prisonniers » (Camus). Espace qui sépare les lignes (⇒ interligne) , les mots (⇒ 2. blanc) , le texte du bord des pages (⇒ marge) . Espace parcouru. ⇒ chemin, course, distance, route, trajet. — Espace (publicitaire) : portion de surface ou de temps destinée à recevoir de la publicité dans les différents médias. Notre métier « n'est pas de bien acheter de l'espace mais de bien le remplir » (Le Nouvel Observateur, 1987).
2 ♦ (v. 1200) (Considéré dans deux dimensions) Surface déterminée. ⇒ étendue, 1. lieu, place, superficie, surface. Espace découvert dans un bois (⇒ clairière) . « L'espace, le grand espace vide des steppes et des pampas » (Sartre). Appartement qui occupe un grand espace (⇒ spacieux) . Avoir besoin d'espace. Manquer d'espace (dans un logement) :être à l'étroit. Peur du manque d'espace. ⇒ claustrophobie. Phobie des espaces libres. ⇒ agoraphobie. — (v. 1960) ESPACE VERT : surface réservée aux jardins (arbres, gazons...) ménagée entre les constructions, dans l'urbanisme moderne. — (empr. à l'all.) ESPACE VITAL : espace revendiqué par un pays pour des raisons démographiques, économiques; espace nécessaire au bien-être physique et psychique d'un individu. Empiéter sur l'espace vital d'autrui. — ESPACE AÉRIEN : zone de circulation aérienne contrôlée par un pays.
3 ♦ (Considéré dans trois dimensions) Volume déterminé, et spécialt Volume libre, non occupé. L'espace tenu, occupé, pris par un meuble. ⇒ encombrement. Espace vide dans un corps. ⇒ interstice, lacune, vide. Qui occupe un grand espace. ⇒ encombrant, volumineux.
4 ♦ (mil. XVIe) Étendue des airs de l'atmosphère. L'espace qui nous environne. ⇒ atmosphère, ciel, 1. éther. Regarder dans l'espace, dans le vague, sans rien fixer de précis. « Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace » (Baudelaire).
♢ (1662) L'espace céleste. ⇒ univers. La Terre est un grain dans l'espace. Espace infini. ⇒ immensité. Espace cosmique (⇒ cosmos) ; espaces interstellaires. — Vx LES ESPACES : le ciel. « Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie » (Pascal).
♢ Spécialt Le milieu extraterrestre (⇒ spatial). Exploration, conquête de l'espace. Voyageurs de l'espace. ⇒ cosmonaute; astronaute, spationaute.
♢ Didact. Espace extra-atmosphérique.
II ♦ (Spatial) Philos., sc.
1 ♦ (XVIIe) « Milieu idéal, caractérisé par l'extériorité de ses parties, dans lequel sont localisées nos perceptions, et qui contient par conséquent toutes les étendues finies » (Lalande). Nous situons les corps et les déplacements dans l'espace. « par l'espace, l'univers me comprend et m'engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends » (Pascal). — Chez Kant, Système de lois réglant la juxtaposition des choses relativement aux figures, grandeurs et distances, et permettant la perception. L'espace, forme a priori de la sensibilité extérieure. — Psychol. L'espace visuel, relatif à la vue, l'espace tactile, relatif au toucher, et l'espace musculaire ou moteur, relatif aux sensations qui accompagnent les mouvements constituent l'espace physiologique ou représentatif. S'orienter dans l'espace. — L'espace graphique. L'organisation de l'espace par les arts plastiques.
2 ♦ Géom. Milieu conçu par abstraction de l'espace perceptif (à trois dimensions) ou d'une de ses parties (espace à une, deux dimensions :droite, plan).
♢ L'espace à trois dimensions de la géométrie euclidienne. Géométrie de l'espace, dans l'espace, qui étudie les droites et plans dans des positions relatives quelconques, les figures limitées par des plans ou des surfaces courbes. Relatif à l'espace. ⇒ spatial . « Quelles sont d'abord les propriétés de l'espace proprement dit ? Je veux dire de celui qui fait l'objet de la géométrie et que j'appellerai l'espace géométrique [...] 1° Il est continu; — 2° Il est infini; — 3° Il a trois dimensions; — 4° Il est homogène, c'est-à-dire que tous ses points sont identiques entre eux; — 5° Il est isotrope, c'est-à-dire que toutes les droites qui passent par un même point sont identiques entre elles » (Poincaré).
♢ Milieu analogue à l'espace euclidien, mais doté d'une métrique différente. Espace à quatre, à n dimensions des géométries non euclidiennes. Espace courbe de la géométrie riemannienne ou espace sphérique (sans parallèles). La topologie, science qui étudie les propriétés qualitatives de l'espace. — Math. Espace affine. Espace vectoriel : ensemble muni de deux opérations, l'une interne, telle que la somme de deux vecteurs, l'autre externe, telle que la multiplication d'un vecteur par un nombre appartenant à un autre ensemble ayant une structure de corps (⇒ sous-espace; 2. scalaire) . Espace vectoriel normé.
3 ♦ Phys. Espace physique. — ESPACE-TEMPS :dans la relativité, milieu où quatre dimensions à quatre variables sont considérées comme nécessaires pour déterminer totalement un phénomène. ⇒ continuum.
4 ♦ Fig. et littér. Milieu abstrait comparé à l'espace. « L'Espace littéraire », recueil de M. Blanchot. « L'Espace du dedans » (Michaux).
III ♦ (Temporel) Étendue de temps. « Las ! voyez comme en peu d'espace [...] » (Ronsard). « Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, L'espace d'un matin » (Malherbe). Pendant le même espace de temps. ⇒ 1. laps. Deux fois en l'espace d'un an.
espace 2. espace [ ɛspas ] n. f.
• 1680; de 1. espace, qui a conservé sa forme fém.
1 ♦ Typogr. Petite tige métallique, moins épaisse que les caractères, qui sert à espacer les mots, les lettres à l'intérieur d'une ligne. Mettre une espace fine entre deux mots.
2 ♦ Blanc placé entre les mots ou les lettres. En photocomposition, l'ordinateur calcule la valeur des espaces.
● Espace portion de surface ou de temps destinée à recevoir de la publicité dans les différents médias.
espace
n. f. TYPO Lamelle de métal servant à séparer deux mots, deux caractères. Une espace fine.
————————
espace
n. m.
rI./r
d1./d étendue indéfinie contenant, englobant tous les objets, toutes les étendues finies. Le temps et l'espace.
d2./d étendue dans laquelle se meuvent les astres.
|| Spécial. Milieu extra-terrestre. Les cosmonautes sont restés plusieurs semaines dans l'espace. Science de l'espace, techniques de l'espace. Conquête de l'espace.
— Espace lointain, au-delà de la distance de la Terre à la Lune.
d3./d MATH Géométrie dans l'espace, qui étudie les figures dans un espace à trois dimensions.
|| Espace à n dimensions, dans lequel les coordonnées d'un point sont définies par n valeurs.
|| Espace vectoriel: V. vectoriel.
|| Espace topologique: V. topologie.
rII./r Surface, étendue limitée.
d1./d Surface, volume, place déterminée. Manquer d'espace. Occuper trop d'espace.
|| Espace vital (trad. de l'all. Lebensraum): territoire dont un état veut faire la conquête parce qu'il le juge nécessaire au développement économique et démographique de son peuple.
|| Espace aérien: partie de l'atmosphère située au-dessus d'un territoire, dans laquelle la circulation des avions est réglementée.
|| Espace vert: surface réservée aux parcs, aux jardins, dans une agglomération.
d2./d Fig. Milieu abstrait comparable à un espace concret en fonction des relations particulières qui le constituent. Espace littéraire, monétaire. L'Espace du dedans (H. Michaux).
|| Espace francophone, associant les pays et les gouvernements qui ont le français en partage. (V. francophonie.)
d3./d Intervalle, distance entre deux points.
d4./d TECH Distance parcourue par un point mobile.
rIII/r Intervalle de temps. En l'espace d'une journée.
Encycl. La conquête de l'espace a débuté par le lancement et la mise en orbite terrestre de satellites artificiels (Spoutnik 1 le 4 octobre 1957) puis par l'envoi d'hommes dans des satellites capables de revenir sur terre (Youri Gagarine le 12 avril 1961, John Glenn le 20 fév. 1962). La conquête de la Lune a commencé en 1968 par l'envoi de l'engin soviétique Zond 5, qui réalisa la première boucle Terre-Lune-Terre, et s'est poursuivie par le programme américain Apollo (le 21 juillet 1969, Neil Armstrong, suivi d'Edwin Aldrin, posait le pied sur la Lune). Les programmes Saliout (soviétique) et Skylab (américain) permirent à partir de 1971 et de 1973 de mettre au point les techniques de travail dans l'espace et d'accouplement de vaisseaux spatiaux. La conquête de l'espace s'orienta alors dans deux directions: la poursuite de l'exploration du système solaire par des sondes de plus en plus perfectionnées (programme Voyager vers les planètes extérieures à partir de 1977), capables de pratiquer des analyses in situ (missions Viking sur Mars en 1975-1976, Venera sur Vénus à partir de 1970, Giotto vers la comète de Halley en 1986); l'exploitation de l'espace à des fins scientifiques (astronomie, expériences en apesanteur) et pratiques (télécommunications, météorologie, recensement des ressources terrestres). Si la conquête de l'espace s'appuie toujours sur les lanceurs traditionnels, depuis 1981 on utilise aussi des engins d'une nouvelle génération, les navettes spatiales, destinées en particulier à la mise en oeuvre des grandes stations spatiales.
I.
⇒ESPACE1, subst. masc.
A.— PHILOS., SC. Milieu idéal indéfini, dans lequel se situe l'ensemble de nos perceptions et qui contient tous les objets existants ou concevables (concept philosophique dont l'origine et le contenu varient suivant les doctrines et les auteurs). La théorie de l'espace; espace axiologique; l'espace et le temps, l'espace et la durée. Il y a deux formes pures de l'intuition sensible, à savoir, l'espace et le temps (COUSIN, Philos. Kant, 1857, p. 70). En ce sens, la conception kantienne de l'espace diffère moins qu'on ne se l'imagine de la croyance populaire (BERGSON, Essai donn. imm., 1889, p. 79). L'espace ne saurait être une forme (SARTRE, Être et Néant, 1943, p. 233) :
• 1. L'espace est un corps imaginaire comme le temps un mouvement fictif.
Dire : « dans l'espace », « l'espace est empli de », — c'est définir un corps.
VALÉRY, Tel quel II, 1943, p. 293.
— [En tant qu'objet de la géom., des math.] Ensemble mathématique formel comprenant des objets satisfaisant à des lois spécifiques. Géométrie dans l'espace (Ac. 1932). Dans un espace courbe, on ne peut pas tirer de ligne droite (BEAUVOIR, Mandarins, 1954, p. 489). C'est Riemann qui (...) le premier, chercha à dégager la notion d'espace topologique (BOURBAKI, Hist. math., 1960, p. 146) :
• 2. ... peut-on imaginer l'espace non-euclidien? Cela veut dire : pouvons-nous imaginer un monde où il y aurait des objets naturels remarquables affectant à peu près la forme des droites non-euclidiennes, (...) à cette question il faut répondre oui.
POINCARÉ, Valeur sc., 1905, p. 63.
SYNT. Les dimensions de l'espace; espace à trois, à n dimensions; espace physique; espace cubique, métrique, vectoriel; espaces homogènes, isotropes, normés; espace euclidien, riemannien.
— [Dans le cadre de la théorie de la relativité] Le temps est la quatrième dimension de l'espace (ALAIN, Propos, 1927, p. 736). La théorie de la relativité nous a appris que le temps était inséparable de l'espace (CARTAN, Parallélisme abs., 1932, p. 14).
• 3. ... le déterminisme (...) implique simplement que les choses sont liées dans le temps aussi bien que dans l'espace, que le temps est indissolublement lié à l'espace.
RUYER, Esq. philos. struct., 1930, p. 285.
— Dans le domaine de la psychol. Espace tactile, visuel. Portion de l'étendue couverte par le toucher, par la vue. En général, il faut voir de haut en bas, embrasser un grand espace pour sentir le beau, le grand, l'infini (MAINE DE BIRAN, Journal, 1816, p. 175) :
• 4. J'ai cherché (...) à former avec nos sensations visuelles un continu physique équivalent à l'espace; (...) il est permis de dire que « l'espace visuel » a trois dimensions. (...) ce n'est pas sur l'espace visuel, mais sur l'espace moteur qu'il faut faire porter notre effort.
POINCARÉ, Valeur sc., 1905 p. 99.
Rem. On rencontre ds la docum. l'expr., au fig., perdu dans l'espace et dans le temps « complètement abandonné, complètement perdu ». Lorsque l'heure de la fermeture arrive, je me retrouve sur le trottoir, perdu dans l'espace et dans le temps (MORAND, New-York, 1930, p. 256).
B.— Distance déterminée; surface.
1. [L'espace considéré princ. dans une seule dimension] (Quasi-)synon. écart, intervalle.
a) Distance comprise entre un point et un autre, entre un lieu, un objet et un autre.
) Usuel. Au fond, à droite, dans l'espace compris entre la porte du vestibule et celle du salon, un petit bureau (MARTIN DU G., Taciturne, 1932, III, p. 1314). La plus grande beauté d'une ville n'est pas dans les édifices, elle est dans l'espace libre entre les édifices (DUHAMEL, Combat ombres, 1939, p. 77). Se retenant au mur, (...) elle parvint à franchir ce grand espace entre sa chambre et la cuisine (ROY, Bonheur occas., 1945, p. 444) :
• 5. ... il est facile de se diriger à New-York par latitude et longitude, comme en mer (...). L'espace, toujours identique, compris entre deux rues, se nomme un bloc.
MORAND, New-York,1930, p. 112.
Rem. On rencontre ds la docum. l'emploi un espace de suivi d'un compl. désignant la nature de l'étendue. Le jeune homme (...) jeta la boucle de diamants (...) au pêcheur (...) celui-ci (...) se hâta de mettre un large espace de mer entre le bienfaiteur et le bienfait (HUGO, Han d'Isl., 1823, p. 37).
— Abs. La distance, l'éloignement :
• 6. Qu'un critique étranger nous juge, il y a beaucoup de chances pour qu'il tombe juste. Il nous connaît mieux que nos compatriotes qui s'écrasent le nez sur nous. L'espace joue là le rôle du temps.
COCTEAU, Diff. d'être, 1947, p. 23.
— Parcourir des espaces. Parcourir des distances. J'employais les heures d'après-midi à parcourir à pied de grands espaces (SAINTE-BEUVE, Volupté, t. 2, 1834, p. 172). L'accroissement infiniment petit de l'espace parcouru est proportionnel en chaque instant à la vitesse acquise (COURNOT, Fond. connaiss., 1851, p. 308).
— Locutions
♦ D'espace en espace. De distance en distance, de place en place. Le flanc de la montagne miroitait imperceptiblement. On apercevait d'espace en espace quelques cavités où l'eau avait séjourné (ABOUT, Roi mont., 1857, p. 213). Larges bandes qui, d'espace en espace, cerclaient le corps (GAUTIER, Rom. momie, 1858, p. 185).
♦ L'espace de. Sur la distance de. L'espace d'un kilomètre. Pierre racontait (...) qu'après avoir passé la première et la deuxième garde (...) l'ange l'accompagna encore l'espace d'une rue (RENAN, Apôtres, 1866, p. 249).
) Spécialement
— Domaine du journ. Espace d'annonces. Emplacement réservé au passage des annonces. V. annonceur ex. 2.
— IMPR., TYPOGR. Intervalle séparant des mots, discontinuité qui coupe une ligne. Les caractères [des Contes de Perrault] sont ceux du XVIIe siècle (...) il y a de l'espace et un espace égal entre les mots, l'air y circule à travers avec une sorte d'aisance (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 1, 1863-69, p. 297).
Rem. V. espace2.
— Domaine artistique
♦ PEINTURE :
• 7. [Puvis de Chavannes crée] délibérément, sur un dessin exact, simplifié, uniquement soucieux des silhouettes et des espaces entre les figures, une coloration conventionnelle, calculée d'après le lieu auquel l'œuvre est destinée.
MAUCLAIR, De Watteau à Whistler, 1905, p. 207.
♦ MUS. Ces espaces insignifiants que le musicien est forcé de placer entre les parties intéressantes de son ouvrage, pour conduire d'un motif à l'autre ou les faire valoir! (DELACROIX, Journal, 1853, p. 17). Entre le ténor et le soprano, voix non-contiguës, on peut mettre, quelquefois, des espaces plus grands que l'octave; la dixième, par exemple (E. DURAND, Traité harm., s.d., p. 31).
b) P. anal. Laps de temps.
) Absolument
— Vx. À ce discours, la tourterelle En se moquant s'éloigna d'elle. Sans se revoir elles furent dix ans. Après ce long espace, un beau jour de printemps, Dans la même forêt elles se rencontrèrent (FLORIAN, Fables, 1792, p. 185).
— Littér. Moments d'une vie :
• 8. ... une méticuleuse collection d'instants privilégiés que le romancier choisira au plus secret de son passé. D'immenses espaces morts sont ainsi rejetés de la vie parce qu'ils n'ont rien laissé dans le souvenir.
CAMUS, Homme rév., 1951, p. 329.
) (Dans, en l') espace de + compl. Un court, un long espace de temps. Car il ne pensait pas que ces demeures eussent été construites, en un si petit espace de temps, par des moyens naturels (FRANCE, Clio, 1900, p. 78).
— [Le compl. désigne une mesure de temps] L'espace d'une seconde, de quelques jours, d'un an, d'un demi-siècle; dans le court espace d'une nuit. Ils se regardèrent l'espace d'une minute, silencieux et immobiles tous deux (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 1, 1859, p. 53). Le combat pour le Matterhorn avait pourtant duré près de trois quarts de siècle, l'espace de trois générations (PEYRÉ, Matterhorn, 1939, p. 36) :
• 9. ... on pourrait tirer une formule qui fonderait la réalité du « siècle » et qui s'exprimerait à peu près ainsi : le siècle, unité de durée vivante, se définit comme l'espace de temps couvert par la réalité sociale de l'homme normal.
THIBAUDET, Réflex. littér., 1936, p. 123.
— P. anal. [Le compl. désigne un fait, une action envisagée dans sa durée] :
• 10. ... [Paul et Cécilie] traversèrent de grands espaces en l'espace d'un baiser... Paul appuya sa paume sur le visage de Cécilie dont la tête et les pensées reposaient sur son épaule.
L. DE VILMORIN, Lettre ds taxi, 1958, p. 170.
♦ L'espace d'un éclair. La durée d'un éclair, un très bref moment. J'eus, l'espace d'un éclair, le sentiment confus que je devais me tromper (DUHAMEL, Terre promise, 1934, p. 61).
c) Au fig., littér. Écart, distance existant entre des notions, des sentiments, des personnes. L'espace mis entre elle et la bourgeoisie (BALZAC, Illus. perdues, 1843, p. 53). Il y a beaucoup d'espace entre le désir, les plaisirs de vanité que donne la familiarité avec une femme, et l'amour (NIZAN, Conspir., 1938, p. 129).
2. [L'espace considéré princ. dans deux dimensions]
a) Étendue, surface déterminée. Dans un espace de trois mètres carrés. (Quasi-)synon. endroit, place; superficie, surface. L'espace occupé par les ruines de la ville moderne est immense (LAMART., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 192). Un espace libre a pu être aménagé au bas du perron (MARTIN DU G., J. Barois, 1913, p. 400) :
• 11. Pour ce qui est de la petitesse des gènes, Muller a fait pertinemment remarquer que, si l'on pouvait rassembler tous les gènes appelés à déterminer les caractères héréditaires de la prochaine génération humaine, ils occuperaient l'espace d'un comprimé d'aspirine.
J. ROSTAND, La Vie et ses probl., 1939, p. 30.
b) En partic.
) Surface déterminée, à l'intérieur d'une habitation, ou surface découverte, élément du paysage.
— [À l'intérieur d'une habitation] Tout le long de l'un des côtés étroits de la salle, un espace libre, de trois mètres de large, était réservé (MALRAUX, Cond. hum., 1933, p. 401). De hauts paravents de laque divisaient les deux salons d'attente en petits espaces où l'on isolait les clients (MARTIN DU G., Thib., Été 14, 1936, p. 122).
— [Élément du paysage] Espaces découverts, plantés. Nous sommes arrivés sur le premier grand plateau de la Brie. Ce sont d'immenses espaces de blés verts (ALAIN-FOURNIER, Corresp. [avec Rivière], 1908, p. 350). Il reste un espace marécageux que nous traversons à dos d'homme (GIDE, Voy. Congo, 1927, p. 839).
♦ Espaces verts. Surfaces réservées aux arbres, à la verdure, dans l'urbanisme moderne. Les axes préférentiels (...) ont été tracés en fonction des larges espaces verts à maintenir (BELORGEY, Gouvern. et admin. Fr., 1967, p. 420).
) [Avec l'idée dominante de place dont on dispose] Place. On commence à vouloir de petits tableaux, faute d'espace pour en placer de grands (BALZAC, Illus. perdues, 1843, p. 119). Cette ville féodale (...) Bâtie dans une plaine, (...) disposait d'un grand espace (T'SERSTEVENS, Itinér. esp., 1963, p. 320).
♦ Au fig. Je ne veux rien poursuivre sous le couvercle d'un cercueil; quand la mort a appliqué sa main sur le visage d'un homme, il ne reste plus d'espace à l'insulte (CHATEAUBR., Ét. ou Disc. hist., t. 1, 1831, p. XC).
— Espace vital. Surface dont ont besoin en moyenne les individus d'une espèce pour leur développement. Six pièces (...) Y avait de l'espace vital (LE BRETON, Rififi, 1953, p. 71). L'urbanisme se propose de créer un compromis acceptable entre l'espace vital de l'individu et celui de la collectivité (Gds ensembles habit., 1963, p. 6). Étendue de territoire qu'un pays revendique pour des raisons démographiques ou économiques. Notre espace vital reste très vaste, puisque nous sommes, de tous nos voisins européens, le pays du plus faible coefficient d'occupation au kilomètre carré (FONTENEAU, Conseil munic., 1965, p. 7).
♦ P. ext. Ensemble constitué par la personne et par son environnement à un moment donné (d'apr. PIÉRON 1963).
c) Spéc., ANAT. [En parlant de certaines régions, de certains éléments du corps] Espaces intercostaux, interdigitaux, interosseux; espace intervertébral; espace lymphatique. L'espace membraneux est (...) très-large dans quelques espèces (CUVIER, Anat. comp., t. 2, 1805, p. 83).
C.— [L'espace considéré dans ses trois dimensions] Volume déterminé.
1. L'atmosphère, l'air environnant.
a) [En tant que le lieu de phénomènes sonores] La nuit était silencieuse et l'on entendait les moindres bruits qui résonnaient dans l'espace (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 2, 1859, p. 130). Une voix d'homme retentit enfin, à travers l'épaisseur de l'espace nocturne (DUHAMEL, Passion J. Pasquier, 1945, p. 74) :
• 12. Mais Antoine avait relevé la tête : un nouveau bruit venait de se faire entendre. Un bruit d'une tout autre espèce, un bruit cette fois très violent et tout à fait inattendu, un bruit qui venait du fond de l'espace.
RAMUZ, Derborence, 1934, p. 18.
♦ Emplir l'espace de. Maman, penchée sur le balcon, emplissait l'espace d'appels dramatiques (DUHAMEL, Le Notaire Havre, 1933, p. 80).
— [En tant que le lieu de phénomènes météorologiques] La tempête était déchaînée dans l'espace et battait l'air de son vol éclatant (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 255).
b) Milieu libre, naturel, où l'individu peut se développer, s'épanouir. Espace infini. Au dehors, par les fenêtres, l'air va, le ciel rit. Il y a des arbres, de la liberté, de l'espace (GONCOURT, Journal, 1862, p. 1148). On entendait derrière la porte cette impatience piétinante des écoliers qui vont sortir, avides d'espace et d'air (A. DAUDET, Nabab, 1877, p. 154). Ici, que d'espace, que d'air (SAINT-EXUP., Courr. Sud, 1928, p. 65) :
• 13. Le soleil, l'espace me donnaient le vertige. Je me laissais rouler sur la pente de la clairière en criant; je riais sans cause. Ces transports me libéraient d'un excès de bonheur.
GREEN, Autre sommeil, 1931, p. 37.
— P. anal. Ensemble de relations déterminant un domaine donné en matière sociale, économique. Espace social, monétaire. Le même temps connut l'entrée retentissante, dans l'espace politique, de la finance et de la publicité combinées (VALÉRY, Variété II, 1929, p. 111). La nation est un espace économique où les facteurs de la production sont mobiles (PERROUX, Écon. XXe s., 1964, p. 277).
Rem. On rencontre ds la docum. l'emploi de espace avec le sens d'« atmosphère favorable à l'exubérance, à la volubilité ». Cet excès même de parole (...) [de Duclos] qui détonnait dans la société et dans les salons, eût trouvé son milieu assez naturel et tout son espace dans la vie des Assemblées (SAINTE-BEUVE, Caus. lundi, t. 9, 1851-62, p. 259).
— Loc. Avoir de l'espace. De la place. Vous me rejoignez... disons place de l'Hôtel-de-Ville, sur le terre-plein central. (...) C'est beaucoup moins suspect que l'angle d'une rue. Et on a de l'espace (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1932, p. 252).
— Au fig. Champ ouvert à l'imagination. Échapper ainsi à l'écrasante pression de la matière pour se jouer dans les fluides espaces de la pensée (PROUST, Prisonn., 1922, p. 56) :
• 14. [Ma mère] m'entretenait souvent de mon avenir, m'expliquait diverses professions, leurs avantages, leurs « aléas », découvrant à mon esprit des espaces un peu obscurs, d'aspect un peu rude...
LACRETELLE, Silbermann, 1922, p. 17.
♦ Espaces imaginaires. Rêves, utopies. Sa raison, ballottée dans les espaces imaginaires, ne tenait plus qu'à ce fil (HUGO, N.-D. Paris, 1832, p. 113). Bientôt son âme fut dans les espaces imaginaires (STENDHAL, L. Leuwen, t. 1, 1836, p. 36).
2. Le ciel. L'immensité de l'espace. Le soleil passe dans l'espace, éclatant et froid... jetant sur la création gelée des rayons qui n'échauffent rien (MAUPASS., Bel-Ami, 1885, p. 164).
— Au plur., littér., poét. Levez-vous vîte, orages desirés, qui devez emporter René dans les espaces d'une autre vie! (CHATEAUBR., Génie, t. 1, 1803, p. 435). Dans les profondeurs des cieux où tu te voiles, Dans ces espaces bleus, dans ces sentiers d'étoiles (LAMART., Jocelyn, 1836, p. 688). La foudre hurlant à travers les espaces (VERLAINE, Prem. vers, 1858-66, p. 8).
— Spéc., AVIAT. Espace aérien. Partie de l'atmosphère dévolue à une nation qui en contrôle la circulation aérienne.
— P. anal. L'étendue des mers. Pendant quelques minutes, le lord regarda l'immensité des flots, cherchant peut-être d'un dernier regard quelque navire perdu dans l'espace (VERNE, Enf. cap. Grant, t. 3, 1868, p. 13). La mer nous manque, la mer, qui est en somme le grand espace ouvert, le grand champ libre sur lequel nous nous sommes accoutumés à courir (LOTI, Mon frère Yves, 1883, p. 190).
Rem. On rencontre ds la docum. l'emploi d'espace avec le sens de a) Vague. Mêmes regards perdus dans l'espace (FRANCE, Vie fleur, 1922, p. 314); b) Vide. Et soudain Bastien poussa un cri terrible et se trouva lancé dans l'espace (PONSON DU TERR., Rocambole, t. 1, 1859, p. 656).
3. Univers extérieur à l'atmosphère terrestre. Espace cosmique, interstellaire; espaces interplanétaires; la conquête de l'espace; vaisseau de l'espace (v. amplification ex. 4.). Les expériences de Fresnel forçaient tous les savants à admettre que la lumière est due aux vibrations d'un fluide très subtil, remplissant les espaces interplanétaires (POINCARÉ, Théorie Maxwell, 1899, p. 13).
— Au fig. [En parlant de milieux abstr., évoqués par des œuvres littér.] Le poème faustien, celle des œuvres de Goethe qui évoque les plus profonds abîmes intérieurs et qui embrasse les plus vastes espaces cosmiques (BÉGUIN, Âme romant., 1939, p. 160).
4. Spéc., au fig., LITT., PEINT., THÉÂTRE. Univers (abstrait) créé, représenté ou utilisé par une œuvre d'art. Espace pictural, théâtral. Sur le thème du Petit Poucet (...) nous venons d'assister à des transpositions de grandeur qui donnent une double vie aux espaces poétiques (BACHELARD, Poét. espace, 1957, p. 157). Loin d'être un vacuum, l'espace lamartinien semble être occupé par une matière quintessenciée (POULET, Métam. cercle, 1961, p. 190) :
• 15. L'espace scénique est alors restauré dans sa dignité première, rendu à sa liberté, à ses vraies dimensions, à sa fonction. Délivré de sa rigide enveloppe, l'espace n'est plus momie inerte, mais substance vivante, élastique.
SERRIÈRE, T.N.P., 1959, p. 72.
Rem. On rencontre ds la docum. a) un emploi poét. de espace au fém. Et toi, douce espace, Où sont les steppes de tes seins, que j'y rêvasse? (LAFORGUE, Complaintes, 1885, p. 178). b) Espace-temps, subst. masc. Dans la théorie de la relativité, concept résultant de la fusion du concept d'espace géométrique à trois dimensions avec le concept de temps. Il n'en demeure pas moins que l'idée de l'entité binaire matière-énergie, espace-temps, masse-vitesse, etc. est, elle, parfaitement nette (BENDA, Fr. byz., 1945, p. 19).
Prononc. et Orth. :[] ou []. Cette dernière forme ds PASSY 1914, BARBEAU-RODHE 1930, DUB., WARN. 1968 (à titre de var.); v. aussi ROUSS.-LACL. 1927, GRAMMONT Prononc. 1958, FOUCHÉ Prononc. 1959. Remonte à la prononc. scolaire du lat. médiéval (cf. G. Straka in La Classe de fr., 9, 1958, 361). BUBEN 1935 constate l'hésitation. Enq. : /espas, (D)/. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1160-74 « laps de temps, durée » (WACE, Chron. ascendante des ducs de Normandie, éd. A. J. Holden, I, 1). B. 1. Ca 1200 « étendue, dimension (d'un lieu) » (Dialogue Grégoire, 39, 19 ds T.-L. : lo spaze del cortil); 2. 1314 « intervalle, distance entre deux points, largeur » (H. DE MONDEVILLE, Chirurgie, § 722, 734 et 1352); 3. a) mil. XVIe s. « étendue des airs » le grand espace du ciel (DU BELLAY, Œuvres, éd. H. Chamard, III, 18 ds IGLF); b) 1662 au sing. ou au plur. « étendue infinie de l'univers, cosmos » (PASCAL, Pensées, éd. L. Lafuma, § 113 et 201); 4. 1647 sc. « étendue, milieu dans lesquels ont lieu les phénomènes observés ou les abstractions faisant l'objet d'une étude » (DESCARTES, Principes de la Philosophie, II, 10 ds ROB.). Empr. au lat. class. spatium « champ de course, arène, étendue, durée ». Fréq. abs. littér. :8 012. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 10 185, b) 7 081; XXe s. : a) 11 365, b) 14 749. Bbg. COLOMB. 1952/53, pp. 295-296. — EGGS (E.). Möglichkeiten und Grenzen einer wissenschaftlichen Semantik. Bern-Frankfurt, 1971. — MATORÉ (G.). L'Espace hum. L'expr. de l'espace ds la vie, la pensée et l'art contemp., Paris, 1962, passim. — MATORÉ (G.). Le Vocab. contemp. et l'espace. R. des sc. hum. 1960, n° 97, pp. 105-124. — SCHMIDT (H.). Fr. vivant. Rech. lexicol. Praxis. 1970, t. 17, p. 188. — VALETON (D.). Lexicol. L'espace et le temps. Paris, 1973, 61 p.
II.
⇒ESPACE2, subst. fém.
Domaine de la typogr. Petite lame de métal qu'on emploie pour séparer les mots. P. méton. Blanc qui résulte de l'emploi de cette lame. Nous nous exercions à manier les objets et les mots, à connaître les caractères (...) à saisir, selon les besoins, « l'espace fine » ou « l'espace forte » (DUHAMEL, Désert Bièvres, 1937, p. 118).
Prononc. et Orth. Cf. espace1. Étymol. et Hist. 1680 (RICH.). De espace1 au sens de « intervalle, distance entre deux points » qui, en a. fr. et m. fr., était indifféremment subst. masc. ou fém., la spécialisation de l'emploi au fém. pour le terme de typogr. étant notée dep. RICH. 1680.
1. espace [ɛspas] n. m.
ÉTYM. V. 1160, « moment, durée »; spaze, v. 1190; surtout « espace de temps », av. le XVIe, et souvent fém.; du lat. spatium, d'abord « champ de course, arène », puis abstraitement « espace ».
❖
———
A Philos., sc.
1 (XVIIe). « Milieu idéal, caractérisé par l'extériorité de ses parties, dans lequel sont localisées nos perceptions, et qui contient par conséquent toutes les étendues finies » (Lalande). || De l'espace. ⇒ Spatial. || « Il ne peut y avoir aucun espace entièrement vide… » (→ Matière, cit. 1, Descartes). || Nous situons les corps et les déplacements dans l'espace (→ Durée, cit. 2). || L'espace, mesure et symbole du temps. || La mesure du temps, la mesure du mouvement se ramènent à celle de l'espace. — L'espace visuel, relatif à la vue (→ Dimension, cit. 2), l'espace tactile, relatif au toucher, et l'espace musculaire ou moteur (relatif aux sensations qui accompagnent les mouvements) constituent l'espace physiologique ou représentatif.
1 (…) par l'espace, l'univers me comprend et m'engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends.
Pascal, Pensées, VI, 348.
2 (…) il n'y a point de géomètre qui ne croie l'espace divisible à l'infini.
Pascal, De l'esprit géométrique.
3 L'espace (…) et le corps qui est compris en cet espace, ne sont différents aussi que par notre pensée. Car, en effet, la même étendue en longueur, largeur et profondeur qui constitue l'espace constitue le corps, et la différence qui est entre eux ne consiste qu'en ce que nous attribuons au corps une étendue particulière (…) et que nous en attribuons à l'espace une si générale et si vague qu'après avoir ôté d'un certain espace le corps qui l'occupait, nous ne pensons pas avoir aussi transporté l'étendue de cet espace (…)
Descartes, les Principes de la philosophie, II, 10.
4 M. Clarke s'est donné beaucoup de peine pour soutenir le sentiment de M. Newton et le sien propre sur l'espace absolu (et réel), contre M. Leibnitz qui prétendait que l'espace n'était que l'ordre des choses coexistantes (…) Nous ne prendrons point de parti sur la question de l'espace; on peut voir, par tout ce qui a été dit au mot Éléments des Sciences, combien cette question obscure est inutile à la géométrie et à la physique.
d'Alembert, Encyclopédie, art. Espace.
5 Ainsi l'espace représentatif, sous sa triple forme, visuelle, tactile et motrice, est essentiellement différent de l'espace géométrique. Il n'est ni homogène, ni isotrope; on ne peut même pas dire qu'il ait trois dimensions (…) L'espace représentatif n'est qu'une image de l'espace géométrique, image déformée par une sorte de perspective, et nous ne pouvons nous représenter les objets qu'en les pliant aux lois de cette perspective. Nous ne nous représentons donc pas les corps extérieurs dans l'espace géométrique, mais nous raisonnons sur ces corps, comme s'ils étaient situés dans l'espace géométrique.
H. Poincaré, la Science et l'Hypothèse, p. 74.
6 (…) quand nous disons qu'il y a un espace, c'est-à-dire un milieu homogène et vide, infini et infiniment divisible, se prêtant indifféremment à n'importe quel mode de décomposition. Un milieu de ce genre n'est jamais perçu; il n'est que conçu. Ce qui est perçu, c'est l'étendue colorée, résistante, divisée selon les lignes que dessinent les contours des corps réels ou de leurs parties réelles élémentaires. Mais quand nous nous représentons notre pouvoir sur cette matière, c'est-à-dire notre faculté de la décomposer et de la recomposer comme il nous plaira, nous projetons, en bloc, toutes ces décompositions et recompositions possibles derrière l'étendue réelle, sous forme d'un espace homogène, vide et indifférent, qui la sous-tendrait. Cet espace est donc, avant tout, le schéma de notre action possible sur les choses, encore que les choses aient une tendance naturelle (…) à entrer dans un schéma de ce genre : c'est une vue de l'esprit. L'animal n'en a probablement aucune idée, même quand il perçoit comme nous les choses étendues. C'est une représentation qui symbolise la tendance fabricatrice de l'intelligence humaine.
H. Bergson, l'Évolution créatrice, p. 157.
7 Un espace n'est pas un ensemble de points. Cela est enfantin. Il est une unité comme le point en est une. C'est un point généralisé. C'est la chose réciproque d'un point. L'espace est un corps imaginaire comme le temps un mouvement fictif. Dire : « dans l'espace », « l'espace est empli de », — c'est définir un corps.
Valéry, Analecta, CVIII-CIX.
♦ (Chez Kant). Système de lois réglant la juxtaposition des choses relativement aux figures, grandeurs et distances… et permettant la perception. || L'espace, forme a priori de la sensibilité extérieure. || L'espace, catégorie de la connaissance.
7.1 Encore faut-il bien s'entendre sur ce que signifie ce terme d'espace. La physique contemporaine et les épistémologues tombent d'accord pour reconnaître que Kant ne décrit pas, sous le nom d'espace, l'espace algébrisé de la physique — qui serait un hyper-espace riemannien annexant le temps comme paramètre — mais un espace psychologique qui n'est autre que l'espace euclidien (…) l'épistémologie contemporaine a parfaitement conscience de la coupure qui existe entre l'espace euclidien et celui de l'expérience physique : déjà Leibniz — bien avant Einstein — objectait à Descartes qu'aucune expérience physique ne peut donner objectivement l'homogénéité, la similitude et l'absence d'antitypie. Et Kant était bien obligé de faire de cet espace un a priori formel de l'expérience… L'hyper-espace de la physique, c'est-à-dire l'espace objectivement « psychanalysé », n'est plus du tout euclidien ni kantien. Mais l'espace euclidien n'étant plus fonctionnellement « physique », c'est-à-dire objectif, devient un a priori d'autre chose que l'expérience. Non pas que la perception élémentaire lui échappe, mais la perception est déjà à demi du domaine de la subjectivité. L'espace devient la forme a priori du pouvoir euphémique de la pensée, il est le lieu des figurations puisqu'il est le symbole opératoire du distancement maîtrisé.
Gilbert Durand, les Structures anthropologiques de l'imaginaire, p. 472-473.
2 Géom. Milieu conçu par abstraction de l'espace perceptif (à trois dimensions) ou d'une de ses parties (espace à une, deux dimensions : droite, plan). || L'espace à trois dimensions de la géométrie euclidienne, et, absolt, l'espace. || Géométrie de l'espace, dans l'espace, qui étudie les droites et plans dans des positions relatives quelconques, les figures limitées par des plans ou des surfaces courbes. || Courbe de l'espace. || Relatif à l'espace. ⇒ Spatial. || Espace projectif.
8 Quelles sont d'abord les propriétés de l'espace proprement dit ? Je veux dire de celui qui fait l'objet de la géométrie et que j'appellerai l'espace géométrique. Voici quelques-unes des plus essentielles. 1o Il est continu; — 2o Il est infini; — 3o Il a trois dimensions; — 4o Il est homogène, c'est-à-dire que tous ses points sont identiques entre eux; — 5o Il est isotrope, c'est-à-dire que toutes les droites qui passent par un même point sont identiques entre elles.
H. Poincaré, la Science et l'Hypothèse, p. 69.
♦ Milieu analogue à l'espace euclidien, mais doté d'une métrique différente. || Espace à quatre, à n dimensions des géométries non euclidiennes. || Espace courbe de la géométrie riemannienne ou sphérique (sans parallèle). || La topologie, science qui étudie les propriétés qualitatives de l'espace. || Espace topologique.
9 On sait que la géométrie euclidienne ne tient compte que de trois dimensions, longueur, largeur, hauteur ou épaisseur. Mais dès 1621, grâce aux travaux de Sir H. Saville, des insuffisances de la géométrie proprement dite, notamment au sujet des parallèles, est née une géométrie non-euclidienne où brillent les noms des Saccheri, des Lambert, des Gauss, des Lobatchevsky (…) des Bolay, des Riemann (…) On constate dans cette géométrie nouvelle que notre espace n'est pas strictement euclidien, et que nous sommes capables de concevoir diverses sortes d'espaces où des parallèles peuvent se rencontrer, où la ligne courbe n'est pas plus longue que la ligne droite, où les angles d'un triangle sont plus grands que deux angles droits, où dans un triangle les angles diminuent sans limites quand les côtés sont prolongés, et d'autres anomalies inexplicables.
Maeterlinck, la Vie de l'espace, p. 12.
♦ Math. || Espace affine. || Espace hermitien, espace hilbertien. — Espace vectoriel : ensemble muni de deux opérations, l'une interne, telle que la somme de deux vecteurs, l'autre externe, telle que la multiplication d'un vecteur par un nombre (⇒ 2. Scalaire) appartenant à un autre ensemble ayant une structure de corps. || Dimensions d'un espace vectoriel. || Espace vectoriel de dimension n, engendré par n vecteurs linéairement indépendants (⇒ Base). || Espace vectoriel normé. || Espace affine associé à un espace vectoriel.
9.1 Supposé qu'Euclide et ses prédécesseurs aient considéré le triangle comme une moitié de carré ou, mieux, d'un parallélogramme : ils auraient été immédiatement conduits au vecteur, c'est-à-dire à la structure de l'espace comme espace vectoriel.
Michel Serres, Hermès I, la Communication, p. 91.
3 Phys. || Espace physique. || Mesure de l'espace. — (Dans la relativité). || Espace-temps : milieu à quatre dimensions où quatre variables sont considérées comme nécessaires pour déterminer totalement un phénomène. ⇒ Continuum.
9.2 L'intérêt des symétries locales est d'imposer l'existence de forces et donc d'interactions entre les différentes parties d'un système matériel. Cette propriété est un outil très puissant dans le cas des interactions fondamentales car il est possible d'engendrer chacune d'elles à partir d'un principe de symétrie locale. Tel est le cas de l'interaction électromagnétique. En effet, en mécanique quantique, un électron a un aspect ondulatoire, ce qui implique qu'il possède une extension finie dans l'espace. Il est ainsi décrit par un champ prenant une certaine valeur en tout point de l'espace-temps.
♦ Par analogie :
9.3 La fête est ainsi célébrée dans l'espace-temps du mythe et assume la fonction de régénérer le monde réel.
Roger Caillois, l'Homme et le Sacré, p. 137.
4 Fig., littér. Milieu abstrait comparé à l'espace. || « L'espace littéraire » (M. Blanchot). || « L'espace du dedans » (H. Michaux).
♦ Écon. || Espace social, monétaire, système de relations qui les détermine.
1 (1314). Considéré dans une seule dimension. || Un, des espaces; de l'espace. Mesure de ce qui sépare deux points, deux lignes, deux objets. ⇒ Distance, écart, écartement, intervalle. || Grand, petit espace. || Laisser, ménager, mettre un espace, de l'espace. ⇒ Espacer. || Espace entre deux objets rapprochés. ⇒ Échappée, interstice, joint, vide. || Espaces égaux entre les arbres d'une allée. || Un grand espace nous sépare. || L'espace augmente entre les coureurs. || Augmenter l'espace qui sépare de qqn, de qqch. → Prendre du champ. || Dévorer l'espace (→ Carrière, cit. 3). || Espace parcouru. ⇒ Course, route, trajet; trajectoire. || Le bruit était étouffé par l'espace. ⇒ Éloignement. — ☑ Loc. D'espace en espace : de distance en distance. || L'espace de… : la distance de.
10 Les espaces parcourus sont entre eux comme les produits du temps par la vitesse, c'est ce qu'on exprime encore en disant qu'ils sont en raison composés du temps par la vitesse.
Condillac, l'Art de raisonner, II, 3.
11 (…) j'aperçois mon espion qui me suit. J'entre en chasse, et marche à travers champs (…) sans autre plaisir, dans ma route, que de faire courir le drôle qui me suivait, et qui, n'osant pas quitter les chemins, parcourait souvent, à toute course, un espace triple du mien.
Laclos, les Liaisons dangereuses, Lettre XXI.
12 Entre les deux grilles se trouvait un espace de huit à dix mètres qui séparait les visiteurs des prisonniers.
Camus, l'Étranger, p. 105.
♦ Mus. || Les quatre espaces de la portée. ⇒ Interligne. — Imprim. || L'espace entre deux mots est produit par une espace (⇒ 2. Espace, n. f.). || Espace qui sépare les lignes (⇒ Interligne), les mots (⇒ Blanc, cit. 29), le texte du bord des pages. ⇒ Marge. — Journal. || Espace d'annonces, espace : surface réservée à la publicité, dans un journal, un périodique. || Réserver un espace dans un hebdomadaire pour une annonce pleine page, quart de page. — Les agences de publicité négocient l'achat d'espaces (collectif : d'espace) pour les annonceurs.
♦ Fig. Écart, différence (qui sépare des personnes, des sentiments, des idées, etc.).
13 Il est entre lui et moi des espaces que je ne saurais franchir.
Balzac, Séraphîta, Pl., t. X, p. 562.
2 (V. 1200). Considéré dans deux dimensions. Surface déterminée. ⇒ Étendue, lieu, place, superficie, surface. || Espace vide, libre, rempli, occupé. || Espace délimité sur une surface. ⇒ Région. || Espace intercostal (→ Cœur, cit. 5). || Espace circonscrit par un cadre. ⇒ Champ. || Espace clos de murs. ⇒ Cour (→ Arsenal, cit. 1). || Espace découvert dans un bois (⇒ Clairière, coupe-feu, éclaircie). || Espace déboisé (→ Chêne, cit. 8.1), déblayé, dénudé. || Lac qui couvre un espace d'un hectare. || Espace s'étendant entre la montagne et la mer. || Espace de ciel bleu entre les nuages (→ Bout, cit. 46). — Son pouvoir s'étend sur tout cet espace (⇒ Sphère, zone). || L'espace manquait pour faire manœuvrer l'armée. || Foule massée dans un étroit espace. || Appartement qui occupe un grand espace (⇒ Spacieux). || Il m'a juste laissé l'espace pour m'asseoir. || Il n'y a pas assez d'espace; nous manquons d'espace. || Une famille entière loge, tient, vit dans cet étroit espace. || Être à l'étroit dans un espace resserré.
14 Ce fut cette fois un espace aride, couvert de digitales, qui me fit oublier le monde : mon regard glissait sur cette mer de tiges empourprées, et n'était arrêté au loin que par la chaîne bleuâtre du Cantal.
Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe, t. II, p. 232.
15 (…) un bâtiment énorme, couvrant, comme toutes les vieilles constructions, beaucoup d'espace pour loger peu de monde.
Renan, Souvenirs d'enfance…, I, II.
16 La plus grande beauté d'une ville n'est pas dans les édifices, elle est dans l'espace libre entre les édifices. Les grands artisans de villes sont des sculpteurs d'espace.
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, VIII, V, p. 326.
17 Ces longues lignes tirées au cordeau m'ont donné soudain la sensation de l'espace. Nos villes d'Europe sont construites pour nous protéger contre lui : les maisons s'y groupent comme des moutons. Mais l'espace traverse New York, l'anime, le dilate. L'espace, le grand espace vide des steppes et des pampas, coule dans ses artères comme un courant d'air froid, séparant les riverains de droite des riverains de gauche.
Sartre, Situations III, p. 117.
♦ Au plur. (avec quelques adj.). ⇒ Étendue. || Les espaces vierges de l'ancien Ouest américain. || Aimer les grands espaces. || Phobie des espaces vides. → Agoraphobie.
♦ Espace vital (trad. all.) : espace revendiqué par un pays pour des raisons démographiques, économiques.
♦ Techn. || Espace mort : zone inaccessible à une arme à feu.
♦ (V. 1960). || Espace vert : espace planté (arbres, gazons) ménagé entre les espaces construits, dans l'urbanisme moderne. || Les espaces verts d'une ville nouvelle.
♦ Aviat. || Espace aérien : zone de circulation aérienne contrôlée par un pays.
3 (Considéré dans trois dimensions). Volume déterminé, et, spécialt, volume libre, non occupé. || L'espace occupé, l'espace tenu, occupé, pris par un meuble. || Objets meublant, remplissant l'espace d'une pièce (→ Cul de sac, cit. 23; 2. desserte, cit.). || L'espace entre le cristallin et la cornée forme la chambre (cit. 15) de l'œil. || Espace vide dans un corps. ⇒ Interstice, lacune, vide. || Donner plus d'espace à un établissement. ⇒ Agrandir, étendre. || Resserrer en un moindre espace. ⇒ Contracter, tasser. || Tableau, paysage qui embrasse un vaste espace. || Avoir de l'espace devant soi. ⇒ Vue.
18 Les renseignements que nous avons sur un objet donné se comporteraient, dans l'esprit, non pas comme une masse liquide, dont le volume à peu près constant laisse voir l'espace libre qu'il reste à remplir — mais bien comme une masse gazeuse, qui, placée dans un récipient, le remplit tout entier.
J. Paulhan, Entretien sur des faits divers, p. 26.
4 (Mil. XVIe). || L'espace. Étendue des airs. || Choc qui projette qqch., qqn dans l'espace (→ Aplatir, cit. 5), à travers l'espace. || Immobile dans l'espace (→ Compas, cit. 4). || L'espace qui nous environne. ⇒ Atmosphère, ciel, éther (→ Dôme, cit. 1). || Fendre l'espace. || Regarder dans l'espace, dans le vague, sans rien fixer de précis. || Cris d'enfants qui emplissent l'espace.
19 (Iris) volant d'une aile légère, fendit les espaces immenses des airs (…)
Fénelon, Télémaque, XIII.
20 Un brouillard sale et jaune inondait tout l'espace (…)
Baudelaire, les Fleurs du mal, « Les sept vieillards ».
21 Aline se sentait enfermée dans un espace aéré, imprécis, borné par un cercle hypnotisant de lumières qui en élargissait la solitude.
J. Chardonne, les Destinées sentimentales, p. 468.
♦ (1662). Absolt. L'espace céleste. ⇒ Univers. || Les corps célestes roulent dans l'espace. || La terre est une goutte, un grain dans l'espace (→ Boue, cit. 5). — Espace infini. ⇒ Immensité. || Espace cosmique; espaces interstellaires. — Les espaces (vx) : le ciel.
22 Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie.
Pascal, Pensées, III, 206.
23 Avant vous, j'étais belle et toujours parfumée (…)
Je suivais dans les cieux ma route accoutumée (…)
Après vous, traversant l'espace où tout s'élance,
J'irai seule et sereine (…)
A. de Vigny, la Maison du berger, III.
24 L'amour qui emplit ainsi que la lumière
Tout le solide espace entre les étoiles et les planètes (…)
Apollinaire, Alcools, p. 69.
♦ Fig. || Espaces imaginaires, conçus au delà de la sphère du monde. — ☑ Loc., fam. Se perdre, voyager dans les espaces imaginaires : se créer des visions, des idées chimériques (→ Ballotter, cit. 6).
25 Quand elle moralisait, elle se perdait un peu dans les espaces.
Rousseau, les Confessions, III.
♦ Spécialt. (Au sing.). Le milieu extra-terrestre (⇒ Spatial). || Exploration, conquête de l'espace. || Science de la navigation dans l'espace ⇒ Astronautique. || Des voyageurs de l'espace. ⇒ Astronaute, cosmonaute. — Guerre de l'espace (thème de science-fiction). || Les envahisseurs de l'espace, venus de l'espace (⇒ Extra-terrestre).
♦ Didact. || Espace extra-atmosphérique. || Espace lointain : domaine spatial comprenant l'orbite lunaire et la zone située au-delà par rapport à la Terre.
———
II (Temporel). Étendue de temps; portion de la durée. || L'espace d'un an (cit. 21). — (Surtout avec dans, en, pendant…). || Dans l'espace de six mois, de cinq minutes. || Pendant un même espace de temps. ⇒ Laps (→ Adultère, cit. 6). || Il est tombé dix centimètres de neige en l'espace d'une heure. || « L'espace d'un matin » (→ Destin, cit. 13, Malherbe). ☑ L'espace d'un éclair : un très bref instant.
26 Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle (la rose) a dessus la place
Las ! las ! ses beautés laissé choir !
Ronsard, Odes, I, 17.
27 (…) et comme il est aisé de le juger par l'ordre naturel des choses, pendant un si long espace d'années, ils ont toujours été conservés néanmoins (et cette conservation a été prédite) […]
Pascal, Pensées, IX, 620.
❖
DÉR. 2. Espace, espacer.
COMP. Demi-espace, monospace, sous-espace.
————————
2. espace [ɛspas] n. f.
ÉTYM. 1680; de 1. espace.
❖
♦ Typogr. Petite tige de plomb moins épaisse que les caractères, qui sert à espacer les mots d'une ligne. || Mettre une espace fine, une forte espace entre deux mots. — Par ext. La place que prend cette tige.
Encyclopédie Universelle. 2012.