JEUNESSE
LES DÉBORDEMENTS des jeunes n’ont cessé de troubler la quiétude des adultes: à Athènes, la jeunesse dorée menée par Alcibiade a causé de célèbres scandales; à Rome, au temps de Catulle, les «nouveaux» s’opposaient bruyamment aux goûts et aux traditions des vieux; au Moyen Âge, des troupes d’étudiants ont littéralement saccagé des villes universitaires (particulièrement en Allemagne) et n’ont pu être maîtrisées que par des corps de police spécialisés. Il faut rattacher ce phénomène à ce que Maurice Debesse appelle la «crise d’originalité juvénile». Celle-ci n’est autre qu’une révolte contre le «père», révolte normale, saine et même nécessaire pour que le jeune réussisse à prendre possession de soi et à affirmer sa personnalité. Cependant, l’actuelle crise de l’autorité paternelle a complètement modifié la structure de ces rébellions. Le «surmoi» a changé de nature: il ne comporte plus le mixte de respect et de haine que suscitait l’autorité répressive mais vénérée du symbole paternel; par-delà le père, c’est collectivement toute la société qui est désormais ressentie comme répressive et en même temps protectrice.
Ainsi s’expliquent les contradictions de jeunes qui sont tour à tour en radicale rupture contre les structures existantes – ce qui va parfois jusqu’au terrorisme pur, voire au suicide (26 p. 100 des suicidés ont moins de vingt ans) – mais qui en même temps sont en posture d’assistés demandant à la société de les prendre en charge. Deux aspirations contraires semblent donc motiver les jeunes. D’abord, un désir d’autonomie et de libération (politique, sociale, morale, sexuelle...) avec un éclatement des rôles préfabriqués qui sont transmis par les aînés: refus de l’engagement politique (on se désintéresse des partis) et, chez les filles, refus du rôle dit féminin; refus de la famille traditionnelle, refus du langage, des toilettes, des comportements adultes, etc. Les contraintes sociales sont vivement ressenties, détectées, rejetées par une réaction instinctive de défense.
À l’opposé, les jeunes font preuve d’un désir d’enracinement, de participation et de protection. On veut se fondre dans la nature, réveiller les cultures, les langues, les fêtes locales; on cherche à participer intensément à la vie de groupes restreints d’amis, ce qui a finalement pour effet de réduire et d’aliéner la liberté. On consent ainsi au groupe les sacrifices que l’on ne consent pas à la collectivité. Ce besoin d’une communauté fermée est lié à la massification de la vie citadine, à l’isolement qui en résulte, à la sécheresse de la civilisation technologique, à l’ennui d’une existence fonctionnelle et monotone et à l’angoisse du nihilisme: entre copains, on reprend goût à la vie.
Les centres d’intérêt se transportent en dehors du métier, devenu en général peu gratifiant. Cela entraîne une intensification des formes spontanées de culture: la musique (qui est en développement rapide), les artisanats, la haute technologie au service du bricolage, etc. Moins de sens civique, moins de sens de ses responsabilités vis-à-vis de la nation, moins d’attachement à l’ordre, une regrettable ignorance des rouages de la société industrielle et des mécanismes de l’économie, un pacifisme un peu élémentaire: malgré l’élévation du niveau de l’instruction et le pourcentage des diplômés, la jeunesse demeure souvent naïve, peu au courant des menaces, des impasses, des complications qu’entraîne le «progrès».
Il reste que les réactions des jeunes, malgré certaines formes parfois négatives, voire aberrantes, correspondent à une exigence globale de vie plus intense, plus authentique, exigence que ni la culture générale, ni les relations sociales, ni même les sports ne sont capables de satisfaire et qui les situe en marge d’une société matérialiste, laborieuse, centrée sur le profit et la consommation. Aussi a-t-on pu parler d’une jeunesse post-matérialiste , moins préoccupée de réussir matériellement que d’entretenir des échanges gratifiants, moins intéressée par l’argent que par la participation créatrice à des entreprises sans rentabilité: «Les nouvelles aspirations naissent dans des milieux de jeunes de la classe moyenne, des jeunes qui se sentent représentatifs d’une société future d’échange, d’information et de connaissance, des jeunes dont de nombreuses motivations sont satisfaites mais qui perçoivent aussi l’impossibilité de s’affirmer dans les mêmes voies que leurs aînés. La recherche de la libération, de l’enracinement, de la symbiose avec la nature constitue alors une réponse qui se substitue à l’accumulation des biens, à l’acquisition du prestige, à la quête de l’affirmation de soi dans la rivalité avec les autres» (J. Lesourne, Les Mille Sentiers de l’avenir ). Il s’agit là d’un changement capital qui préfigure une société différente, une société où le travail n’occupera que la moitié de la semaine, le reste étant librement consacré à la participation aux activités créatrices et aux échanges interpersonnels. C’est ce qu’on a appelé la «révolution silencieuse», actuellement en cours dans les sociétés avancées. D’après une étude sur l’Avenir du travail (Documentation française, 1980), «la majeure partie des jeunes qui s’inscrivent à l’A.N.P.E. ne semblent guère manifester d’ambition, n’effectuent pas de choix élaborés, quel que soit leur niveau de formation, portent peu d’intérêt aux perspectives de promotion...».
Il faut évidemment nuancer ces allégations. Tous les jeunes ne sont pas arrivés au stade «post-matérialiste », loin de là. Mais on comprend leur effroi, souvent leur dégoût au moment de forcer leur entrée dans une société sans cœur, sans chaleur, dure pour les faibles, bâtie sur l’argent, avec la sévère compétition qu’il suscite. Si bon nombre d’adolescents décident de jouer le jeu et sont assez vite intégrés dans les cadres du travail et du profit, beaucoup hésitent et, fait significatif, cette hésitation se produit surtout chez les étudiants. Les jeunes ouvriers dont les familles se sont embourgeoisées en sont encore au stade de la désaliénation économique et des jouissances matérielles qu’elle procure; s’ils sont réformistes, ils ne sont pas fondamentalement révolutionnaires. Il en est de même des étudiants engagés dans les disciplines que la société rétribue largement: business, management, haute spécialisation technique, architecture, etc. Le malaise règne au contraire chez les jeunes intellectuels dont l’esprit critique a été aiguisé par les frustrations qu’ils subissent. Ces frustrations ne sont pas économiques mais morales. Elles mènent à des revendications sociales et politiques qui mettent radicalement en question la base de la société capitaliste: le profit. Le profit paraît injuste, inhumain et absurde. Les campagnes contre telle injustice sociale ou raciale ne sont souvent que des prétextes à l’éruption d’une haine viscérale, très obscure et presque inanalysable contre ce que Herbert Marcuse appelle la «sur-répression»: cet invisible réseau, partout présent, qui encage les instincts, des plus primitifs aux plus sublimes, dans une prose sans espoir.
Pour la première fois dans l’histoire, la jeunesse du monde s’est créé une culture relativement homogène, en marge de celle des adultes et dont les valeurs sont une inversion ou une dérision provocante de celle-ci. Elle permet aux jeunes de se regrouper dans un univers qui leur convient, fait par eux, pour eux, à la mesure de leurs besoins et de leurs désirs.
La jeunesse sait, parce qu’elle est plus près des sources de la vie, que l’homme ne peut habiter la terre que «poétiquement»; aussi la culture qu’elle cherche à promouvoir met-elle l’accent dans tous les domaines sur la créativité, l’imagination, la spontanéité. Ce besoin se manifeste dans les vêtements, les décors, le type de musique et de théâtre, spontané et viscéral, le besoin de créer sans cesse, le refus de la vie organisée, rationalisée et fonctionnalisée. Cette exigence de création, spécifiquement humaine, est contredite par les conditions modernes du travail et par la tendance à robotiser les esprits en vue d’accroître leur rendement dans des domaines de plus en plus étroits. C’est pourquoi la jeunesse supporte mal l’enseignement universitaire actuel. Cette même exigence l’oriente vers des manifestations de masse et des formes d’existence communautaires où chacun trouve l’occasion d’une expansion de soi dans la participation ardente, fût-ce dans le délire collectif. Dans tous les cas on cherche à faire éclater des cadres qui ont pris l’allure de prisons. Cette libération suppose une société entièrement différente où la production, enfin débrayée de ce moteur emballé qu’est devenu le profit, n’empêcherait plus la «fête», c’est-à-dire un développement de tout le gratuit qui est aussi le poétique sans lequel l’existence s’assimile à la machine.
La révolution de 1789 a été juridique, celle de 1917 a été économique. On peut se demander si une troisième révolution n’est pas en cours, une révolution «culturelle», celle-ci n’étant plus le fait d’une classe aliénée sur le plan matériel mais sur le plan spirituel, brimée au plus profond d’elle-même par une civilisation qui, soucieuse de procurer aux hommes des biens, s’est progressivement emprisonnée dans la simple production en négligeant les besoins vitaux de l’esprit. C’est l’esprit encagé et enragé qui pousse à la drogue; c’est l’esprit laminé par le positivisme logique qui se précipite dans les orgies de la déraison; c’est l’esprit saturé et encombré d’informations et de chiffres, exténué de doutes et de problèmes, qui s’ébroue et se rajeunit dans les festivals de rock. L’autre dimension de la conscience, celle qu’on a tenté de réduire en fabriquant l’«homme unidimensionnel» (Marcuse), rappelle ainsi son existence. Sans la jeunesse, la civilisation actuelle risquerait de se refermer sur elle-même. C’est à la jeunesse qu’elle devra de rester ouverte et créatrice.
jeunesse [ ʒɶnɛs ] n. f. I ♦
1 ♦ Temps de la vie entre l'enfance et la maturité. L'adolescence, première partie de la jeunesse. Première, prime, tendre jeunesse. Par euphém. N'être plus de la première jeunesse : n'être plus jeune. — Péché, folie, erreur de jeunesse. « Au temps de ma jeunesse folle » (Villon). Une œuvre de jeunesse. Jeunesse heureuse, malheureuse, studieuse. Il a eu une jeunesse difficile. Dans ma jeunesse. Il est mort en pleine jeunesse (cf. À la fleur de l'âge). « Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, De ta jeunesse ? » (Verlaine). — PROV. Il faut que jeunesse se passe : il faut être indulgent pour les écarts des jeunes gens. — Seconde jeunesse : sorte de nouvelle jeunesse des personnes d'âge mûr (notamment dans la vie amoureuse, sentimentale).
2 ♦ (Animaux) Période qui va de la naissance au développement complet. Les chats sont joueurs dans leur jeunesse.
3 ♦ (Choses) Littér. Le premier temps qui suit la naissance, l'apparition. La jeunesse du monde. La jeunesse de l'informatique.
4 ♦ Le fait d'être jeune. La jeunesse de qqn. Tant de jeunesse désarme. « Rodrigue a du courage. — Il a trop de jeunesse » (P. Corneille).
♢ Par anal. Le fait d'exister depuis peu de temps. ⇒ nouveauté. « La force des peuples barbares tient à leur jeunesse » (Hugo). La jeunesse d'un arbre. Spécialt Jeunesse d'un vin, d'une eau-de-vie.
5 ♦ État (physique ou moral) d'une personne jeune. La fraîcheur, l'éclat de la jeunesse. L'idéalisme, l'illusion, l'inexpérience, l'intransigeance de la jeunesse. Avoir beauté, santé et jeunesse. ⇒aussi jeunisme. Elle n'a que sa jeunesse à offrir.
6 ♦ Ensemble de caractères propres à la jeunesse, mais qui peuvent se conserver jusque dans la vieillesse. Il a encore beaucoup de jeunesse pour son âge. ⇒ fraîcheur, verdeur, vigueur. Air de jeunesse. Source de jeunesse. ⇒ jouvence. Une éternelle jeunesse. La jeunesse de son sourire. — Jeunesse de corps, de visage, de cœur, d'esprit. « La plus belle des jeunesses : la jeunesse de l'esprit quand on n'est plus jeune » (Léautaud ). — Crème préservant la jeunesse de la peau.
II ♦
1 ♦ (XIIIe) Les personnes jeunes des deux sexes; les jeunes. Aimer fréquenter la jeunesse. — PROV. Les voyages forment la jeunesse. — Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait : si les jeunes avaient l'expérience des vieux et les vieux la vigueur des jeunes. — La jeunesse d'un pays, d'une époque. La ville « déversait sa jeunesse sur les plages » (Camus). Jeunesse dorée. — Chantier de jeunesse, auberge de (la) jeunesse.
♢ Les enfants et les adolescents. Instruire la jeunesse. Lectures, émissions, films, spectacles pour la jeunesse. C'est un mauvais exemple pour la jeunesse. — Fam. (en interpellant un groupe de jeunes) Ça va, la jeunesse ? Roulez, jeunesse !
2 ♦ Fam.; vieilli ou région. Fille ou femme très jeune. « de ces jeunesses vert tendre, de ces petites demoiselles » (Barbey ). Vieillard qui épouse une jeunesse. ⇒ tendron.
3 ♦ (v. 1935) Au plur. Mouvement de jeunes gens. Les jeunesses hitlériennes. Les jeunesses communistes. ⇒ komsomol. Les jeunesses musicales.
⊗ CONTR. Vieillesse. Sénilité.
● jeunesse nom féminin (de jeune) Période de la vie humaine comprise entre l'enfance et l'âge mûr : Les œuvres de jeunesse d'un écrivain. Fait d'être jeune ou d'être formé de personnes jeunes pour un groupe : Jeunesse d'une équipe dirigeante. Ensemble des traits physiques et moraux propres aux personnes jeunes, mais dont certains peuvent subsister chez celles qui ne le sont plus : Déborder de jeunesse. Garder sa jeunesse d'esprit. Période précédant l'âge adulte d'un animal, la production des premiers fruits d'un végétal. Littéraire. Période de croissance, de développement de quelque chose ; état, caractère des choses nouvellement créées ou établies et qui n'ont pas encore atteint la plénitude de leurs qualités : Science qui est dans sa jeunesse. Ensemble des jeunes, ou des enfants et des adolescents : Émissions pour la jeunesse. Géographie Premier stade de la topographie d'une vallée dans la théorie davisienne du cycle d'érosion et caractérisé par la vigueur du relief. ● jeunesse (citations) nom féminin (de jeune) Émile Chartier, dit Alain Mortagne-au-Perche 1868-Le Vésinet 1951 On dit que les nouvelles générations seront difficiles à gouverner. Je l'espère bien. Propos sur l'éducation P.U.F. Guillaume Apollinaire de Kostrowitzky, dit Guillaume Apollinaire Rome 1880-Paris 1918 Ô ma jeunesse abandonnée Comme une guirlande fanée Voici que s'en vient la saison Des regrets et de la raison. Vitam impendere amori Jean Antoine de Baïf Venise 1532-Paris 1589 Cessez, amis, cessez de plus me remontrer, Vous perdez votre peine. On ne peut par sagesse, La jeunesse et l'amour joints ensemble, donter. Les Amours de Francine dompter Honoré de Balzac Tours 1799-Paris 1850 La jeunesse a d'étonnants privilèges ; elle n'effraye pas. Le Cousin Pons Charles Baudelaire Paris 1821-Paris 1867 Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage. Les Fleurs du Mal, l'Ennemi Simone de Beauvoir Paris 1908-Paris 1986 La jeunesse n'aime pas les vaincus. Les Mandarins Gallimard Simone de Beauvoir Paris 1908-Paris 1986 Un seul printemps dans l'année…, et dans la vie une seule jeunesse. Mémoires d'une jeune fille rangée Gallimard René Tardiveau, dit René Boylesve La Haye-Descartes 1867-Paris 1926 Académie française, 1918 Nous sommes toujours préoccupés de perdre notre jeunesse. Mais le bien le plus précieux que nous ayons possédé, c'est l'enfance ; et elle est toujours perdue. Feuilles tombées Schiffrin Robert Brasillach Perpignan 1909-Montrouge 1945 La jeunesse attend toujours d'un nouveau dieu, d'un nouveau chef ce qu'elle n'obtiendra qu'à force de vieillir. La Reine de Césarée Plon Louis Ferdinand Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline Courbevoie 1894-Meudon 1961 On perd la plus grande partie de sa jeunesse à coups de maladresses. Voyage au bout de la nuit Gallimard Jean Cocteau Maisons-Laffitte 1889-Milly-la-Forêt 1963 Académie française, 1955 Car la jeunesse sait ce qu'elle ne veut pas avant de savoir ce qu'elle veut. La Difficulté d'être Éditions du Rocher Jean Cocteau Maisons-Laffitte 1889-Milly-la-Forêt 1963 Académie française, 1955 Que la jeunesse avance par injustice, c'est justice. Car promptement arrive l'âge du recul. La Difficulté d'être Éditions du Rocher Jean Cocteau Maisons-Laffitte 1889-Milly-la-Forêt 1963 Académie française, 1955 Une trop grande liberté, un fais ce que tu veux commode, met la jeunesse dans l'impossibilité de désobéir, alors que rien d'audacieux n'existe sans la désobéissance à des règles. Poésie critique Gallimard Georges Moinaux, dit Georges Courteline Tours 1858-Paris 1929 Il vaut mieux gâcher sa jeunesse que de n'en rien faire du tout. La Philosophie de G. Courteline Flammarion Pierre Drieu La Rochelle Paris 1893-Paris 1945 […] Sans dieux ni maîtres, ceux-là étant morts, ceux-ci n'étant pas encore nés, nous n'avons que notre jeunesse. Mesure de la France Grasset Jean Dutourd Paris 1920 Académie française, 1978 On ne comprend guère le mot jeunesse avant trente ans. L'Âme sensible Gallimard Eugène Grindel, dit Paul Eluard Saint-Denis 1895-Charenton-le-Pont 1952 Jeunesse ne vient pas au monde elle est constamment de ce monde. Le Phénix, la Petite Enfance de Dominique, VI Seghers Henri Estienne Paris 1528-Lyon 1598 Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait. Les Prémices François de Salignac de La Mothe-Fénelon château de Fénelon, Périgord, 1651-Cambrai 1715 La jeunesse ressent un plaisir incroyable lorsqu'on commence à se fier à elle. De l'éducation des filles Anatole François Thibault, dit Anatole France Paris 1844-La Béchellerie, Saint-Cyr-sur-Loire, 1924 Académie française, 1896 La jeunesse a cela de beau qu'elle peut admirer sans comprendre. La Vie littéraire Calmann-Lévy Robert Garnier La Ferté-Bernard 1545 ?-Le Mans 1590 Mais la jeunesse ardente et prompte aux changements Toujours mit sous le pied nos admonestements. Les Juives Robert Garnier La Ferté-Bernard 1545 ?-Le Mans 1590 La jeunesse ne peut commander à soi-même ; Cet âge toujours porte une fureur extrême. La Troade Jean Giono Manosque 1895-Manosque 1970 La jeunesse, c'est la passion pour l'inutile. Triomphe de la vie Grasset Julien Green Paris 1900-Paris 1998 Académie française, 1971 Intempérance affreuse de la jeunesse qui n'a de chagrin qu'elle ne s'en soûle. Minuit Plon Jean Grenier Paris 1898-Dreux 1971 La jeunesse a pour privilège d'être à elle-même sa propre justification. Elle croit parce qu'elle existe et n'a nul besoin de démontrer ce qu'elle croit. Inspirations méditerranéennes Gallimard Jean de Meung Meung-sur-Loire vers 1240-Paris 1305 La Jeunesse entraîne l'homme à toutes les dissipations ; il suit les mauvaises compagnies, les façons de vivre déréglées et change souvent de résolution. Par Jonece s'en va li hons En toutes dissolucions Et suit les males conpaignies Et les desordenées vies Et mue son propos souvent. Roman de la Rose Jean de La Fontaine Château-Thierry 1621-Paris 1695 La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir ; La vieillesse est impitoyable. Fables, le Vieux Chat et la Jeune Souris François, duc de La Rochefoucauld Paris 1613-Paris 1680 La jeunesse est une ivresse continuelle : c'est la fièvre de la santé ; c'est la folie de la raison. Maximes Paul Léautaud Paris 1872-Robinson 1956 Être grave dans sa jeunesse, cela se paie, souvent, par une nouvelle jeunesse dans l'âge mûr. Passe-temps Mercure de France André Malraux Paris 1901-Créteil 1976 La jeunesse est une religion dont il faut toujours finir par se convertir. La Voie royale Grasset Marguerite d'Angoulême, reine de Navarre Angoulême 1492-Odos, Bigorre, 1549 C'est la gloire des vieilles gens qui cuydent toujours avoir été plus sages que ceux qui viennent après eux. L'Heptaméron pensent Clément Marot Cahors 1496-Turin 1544 Ne blâmez point doncques notre jeunesse Car noble cœur ne cherche que soulas. Ballade des enfants sans souci donc joie Clément Marot Cahors 1496-Turin 1544 Sur le printemps de ma jeunesse folle, Je ressemblais l'arondelle qui vole Puis çà, puis là : l'âge me conduisait, Sans peur ni soin, où le cœur me disait. Églogue au roi sous les noms de Pan et Robin hirondelle souci Maurice Martin du Gard 1896-1970 La jeunesse, en France, on ne l'admire que chez les vieillards. Petite Suite de maximes et de caractères Flammarion Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz, dit O. V. de L. Milosz Tchereïa, Lituanie, 1877-Fontainebleau 1939 Ma cruelle jeunesse, la seule femme aimée […]. Poèmes, Nihumin Fourcade Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière Paris 1622-Paris 1673 Il nous faut en riant instruire la jeunesse, Reprendre ses défauts avec grande douceur, Et du nom de vertu ne lui point faire peur. L'École des maris, I, 2, Ariste Henry Millon de Montherlant Paris 1895-Paris 1972 Académie française, 1960 La jeunesse retarde toujours un peu. Le Maître de Santiago, I, 4, Alvaro Gallimard Alfred de Musset Paris 1810-Paris 1857 Alors s'assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse. La Confession d'un enfant du siècle Marcel Proust Paris 1871-Paris 1922 La jeunesse est cet heureux temps où l'on devrait plutôt dire qu'on ne doute de rien plutôt que de dire qu'on n'y doute pas de soi. Jean Santeuil Gallimard Arthur Rimbaud Charleville 1854-Marseille 1891 Oisive jeunesse À tout asservie, Par délicatesse J'ai perdu ma vie. Derniers Vers, Chanson de la plus haute tour Pierre de Ronsard château de la Possonnière, Couture-sur-Loir, 1524-prieuré de Saint-Cosme-en-l'Isle, près de Tours, 1585 Le vrai trésor de l'homme est la verte jeunesse, Le reste de nos ans ne sont que des hivers. Derniers Vers, Stances Pierre de Ronsard château de la Possonnière, Couture-sur-Loir, 1524-prieuré de Saint-Cosme-en-l'Isle, près de Tours, 1585 Cueillez, cueillez votre jeunesse : Comme à cette fleur, la vieillesse Fera ternir votre beauté. Odes, À Cassandre, I, 17 Jean-Jacques Rousseau Genève 1712-Ermenonville, 1778 Les peuples ainsi que les hommes ne sont dociles que dans leur jeunesse, ils deviennent incorrigibles en vieillissant. Du contrat social Paul Valéry Sète 1871-Paris 1945 La jeunesse est une manière de se tromper qui se change assez vite en une manière de ne plus même pouvoir se tromper. Mauvaises Pensées et autres Gallimard Paul Valéry Sète 1871-Paris 1945 La jeunesse est un temps pendant lequel les convictions sont, et doivent être, mal comprises : ou aveuglément combattues, ou aveuglément obéies. Monsieur Teste, Préface Gallimard Paul Verlaine Metz 1844-Paris 1896 — Qu'as-tu fait, ô toi que voilà Pleurant sans cesse, Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà De ta jeunesse ? Sagesse, III, 6 Messein Alfred, comte de Vigny Loches 1797-Paris 1863 […] Qu'est-ce qu'une grande vie sinon une pensée de la jeunesse exécutée par l'âge mûr ? Cinq-Mars François Villon Paris 1431-après 1463 Hé Dieu ! si j'eusse étudié Au temps de ma jeunesse folle […] À peu que le cœur ne me fend. Testament, XXVI Sophocle Colone, près d'Athènes, entre 496 et 494 avant J.-C.-Athènes 406 avant J.-C. La jeunesse grandit dans un domaine qui n'est qu'à elle, où ni l'ardeur du ciel, ni la pluie, ni les vents ne viennent l'émouvoir. Les Trachiniennes, 144-146 (traduction Mazon) Franz Kafka Prague 1883-sanatorium de Kierling, près de Vienne, 1924 Tout sied à la jeunesse ; elle noie le vilain détail dans le flot ininterrompu de ses forces vives. Die Jugend kleidet alles gut ; unschöne Einzelheiten verlieren sich in der unaufhörlichen Kraftquelle der Jugend. La Colonie pénitentiaire William Shakespeare Stratford on Avon, Warwickshire, 1564-Stratford on Avon, Warwickshire, 1616 La jeunesse est une étoffe qui ne fait point d'usage. Youth's a stuff will not endure. La Nuit des rois, II, 3, chanson du bouffon Feste ● jeunesse (expressions) nom féminin (de jeune) Familier. Une jeunesse, une jeune fille ou une très jeune femme. La première, la prime jeunesse, les années qui suivent immédiatement l'enfance. Ne pas avoir eu de jeunesse, ne pas avoir vécu les joies, l'insouciance, la liberté, etc., qui caractérisent habituellement la période de la jeunesse. N'être plus de la première jeunesse, avoir atteint ou dépassé l'âge mûr. Seconde jeunesse, renouvellement de vigueur et d'intérêt pour la vie amoureuse ou sentimentale, qui intervient dans l'âge mûr. Chantiers de la Jeunesse, organisation créée en zone libre (juillet 1940) en vue de regrouper les jeunes recrues de la classe 1940. (Ils furent dissous en 1944.) ● jeunesse (synonymes) nom féminin (de jeune) Période de la vie humaine comprise entre l'enfance et l'âge...
Synonymes :
Contraires :
Ensemble des traits physiques et moraux propres aux personnes jeunes...
Synonymes :
- ardeur
- fraîcheur
- juvénilité
- verdeur
- vigueur
- vitalité
Contraires :
- caducité
- décrépitude
- gâtisme
- sénilité
Ensemble des jeunes , ou des enfants et des adolescents
Synonymes :
- jeunes
Contraires :
- anciens
- vieux
jeunesse
n. f.
d1./d Partie de la vie comprise entre l'enfance et l'âge adulte. La première jeunesse: l'adolescence.
— Prov. Il faut que jeunesse se passe: il faut être indulgent pour les fautes dues à la vivacité, à l'inexpérience des jeunes gens.
d3./d Ensemble des personnes jeunes.
— Prov. Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait: si la jeunesse avait l'expérience, et la vieillesse la force.
— Loc. La jeunesse dorée.
d4./d Fraîcheur, vigueur. Une oeuvre pleine de jeunesse.
⇒JEUNESSE, subst. fém.
I. — [Désigne une période de la vie]
A. — 1. Période de la vie entre l'enfance et l'âge mûr chez l'homme. Anton. vieillesse. C'est vers trente-cinq ans qu'il faut placer le passage de la jeunesse à l'âge mûr (CABANIS, Rapp. phys. et mor., t. 1, 1808, p. 239). Sa jeunesse s'écoula, studieuse et fervente, non loin de l'usine paternelle, au collège de Rouen (MARTIN DU G., Thib., Mort père, 1929, p. 1356) :
• 1. La jeunesse est l'aspect social de l'adolescence, elle se définit par opposition à la génération parvenue à la pleine maturité, elle est le moment du développement où l'être, mis en possession de tous ses moyens, presse ses devanciers de son élan enthousiaste et impatient pour se faire une place au soleil.
M. DEBESSE, Adolescence, 1942, p. 7.
♦ Loc. subst.
Première jeunesse; prime, tendre, verte jeunesse (vieilli); extrême jeunesse (rare). Période qui va de la fin de l'enfance à l'adolescence ou qui suit l'adolescence. Dès sa plus tendre jeunesse, ses parents avaient fondé sur lui toutes leurs espérances (LAS CASES, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 82). Dès ma prime jeunesse, j'ai recherché avec passion ce morose plaisir (MILOSZ, Amour. initiation, 1910, p. 225). En mon adolescence, à Paris; en ma verte jeunesse, au régiment (PESQUIDOUX, Livre raison, 1932, p. 119).
Seconde jeunesse. Période allant de l'adolescence à l'âge mûr. Le baron d'Estrigaud?... Un homme usé! un homme de la seconde jeunesse! dont la première a été si peu exemplaire! (AUGIER, Lions, 1870, p. 199). Ce choc l'atteignait après de longues attentes, vers la fin de sa seconde jeunesse et tout près de l'âge mûr (MALÈGUE, Augustin, t. 2, 1933, p. 72).
♦ Ne plus être de (la) première jeunesse. Être assez avancé dans l'âge mûr. Qu'elle ne fût plus de la première jeunesse était de peu d'importance aux yeux d'un gendre qui n'aimait pas les femmes (PROUST, Fugit., 1922, p. 684).
♦ La jeunesse n'a qu'un temps, la jeunesse a fait son temps. Aimons et chantons encore : La jeunesse n'a qu'un temps (MURGER, Nuits hiver, 1861, p. 47) :
• 2. À trente ans, c'est déjà fini, on s'arrange (...). La jeunesse a fait son temps, on va rendre de petites visites à cette morte [la jeunesse], on la trouve touchante, heureuse, auréolée du pathétique halo des illusions perdues...
NIZAN, Conspir., 1938, p. 21.
— En partic.
♦ [En fonction de déterm.] Amitié, amour, maladie, souvenir de jeunesse. Une œuvre de jeunesse (un peu entachée de romantisme) (VILLIERS DE L'I.-A., Contes cruels, 1883, p. 182). Je le vois, mon joli oncle, — car il avait gardé sa beauté de jeunesse, — je le vois assis dans la ruelle (GONCOURT, Journal, 1888, p. 848).
♦ [Avec un compl. prép. de ou un adj. spécifiant l'activité qui a marqué cette période] Jeunesse d'étudiant. L'auteur, (...) lui-même dans son premier âge chasseur (...) paraît modifié par son livre même. Il oscille (...) entre ses premières habitudes de jeunesse meurtrière, et son sentiment nouveau (MICHELET, Oiseau, 1856, p. XLIV). Bourneville qu'un ancien ressentiment, en sa jeunesse de carabin, à l'endroit d'une sœur de Saint-Vincent-de-Paul anime contre les sœurs de tous les ordres (GONCOURT, Journal, 1886, p. 527).
— P. méton. Période de temps correspondant à la jeunesse de quelqu'un. Les plus modernes [des meubles] remontent à la jeunesse de Louis XV (JOUY, Hermite, t. 5, 1814, p. 56). Elle redoutait les rues populeuses, si changées depuis sa jeunesse (CHARDONNE, Épithal., 1921, p. 29).
♦ [En fonction de déterm.] Par suite des démolitions et des reconstructions, le Paris de sa jeunesse, ce Paris qu'il a religieusement emporté dans sa mémoire, est à cette heure un Paris d'autrefois (HUGO, Misér., t. 1, 1862, p. 535).
SYNT. Dans ma, sa jeunesse; au temps, du temps de ma, sa jeunesse; en pleine jeunesse; avoir une jeunesse déréglée, difficile, dorée, heureuse, malheureuse, modèle, oisive, sérieuse, studieuse, turbulente; pleurer sur sa jeunesse; regretter sa jeunesse; les belles années de la jeunesse.
2. [Correspond à jeune I A 1 a ] Fait d'être jeune, d'être peu avancé en âge. Le vieillard (...) monta chez ce célèbre légiste, qui, malgré sa jeunesse, passait pour être une des plus fortes têtes du Palais (BALZAC, Chabert, 1832, p. 27). Simonin (...) était grand, serein et élevé; en dépit de sa jeunesse, le front déjà chauve (JOUVE, Scène capit., 1935, p. 90).
B. — P. anal.
1. a) Période pendant laquelle un animal, une plante n'a pas atteint son complet développement. Leurs dents [des Solipèdes] sont plus oblongues dans la jeunesse lorsqu'il y en a moins; avec l'âge elles se rapprochent de la figure carrée (CUVIER, Anat. comp., t. 3, 1805, p. 168). Dans la jeunesse de la graine, lorsqu'elle était encore à l'état d'ovule, cette cavité du nucelle ne constituait qu'une dépression (Al. BRONGNIART, Graines foss., 1876, p. 18).
b) Période pendant laquelle quelque chose apparaît et commence à se développer. Synon. début; aube, matin. Le monde est devenu trop grand pour les conciles généraux, qui ne semblent faits que pour la jeunesse du christianisme (J. DE MAISTRE, Pape, 1819, p. 41). La confiance que les poètes placent dans leur génie particulier, les promesses d'éternité, qu'ils ont reçues dès la jeunesse du monde et du langage (VALÉRY, Variété [1], 1924, p. 104).
♦ Être dans sa (première) jeunesse. Être à ses débuts. Comment pourrions-nous craindre que la mélopée grégorienne ait pu se perdre (...) alors surtout qu'elle était dans sa première jeunesse (BÉNÉDICTINS, Paléogr. mus., t. 2, 1889, p. 16).
2. [Correspond à jeune I A 2] Caractère jeune de quelque chose, de ce qui n'existe que depuis peu de temps. Une mise en bouteilles précoce lui conserve [au vin de Sancerre] toute sa jeunesse et, quelques mois plus tard, les diverses qualités se sont fondues (Encyclop. pratique des vins du monde, Paris, Éd. Atlas, 1979, p. 202).
II. — [Désigne l'ensemble des traits traditionnellement ou socialement attribués aux jeunes gens]
A. — 1. Qualité d'une personnalité jeune, de la personnalité caractéristique de jeunes gens.
a) [Cette qualité correspond à une image soc. valorisée de la personnalité : vitalité et fraîcheur physique, dynamisme, enthousiasme et spontanéité dans l'action, vivacité intellectuelle] Ardeur, gaieté, vigueur et jeunesse; un air de jeunesse. Elle redevint fraîche; elle pétilla de santé, de joie et de jeunesse; je retrouvai mon cher lys embelli, mieux épanoui (BALZAC, Lys, 1836, p. 174). Je me cramponne à ma jeunesse qui s'en va, et cela ne laisse pas d'être convenablement ridicule (FARRÈRE, Homme qui assass., 1907, p. 17). Paracelse (...) avait mis au point certain élixir à base d'or potable capable d'apporter une jeunesse éternelle (CARON, HUTIN, Alchimistes, 1959, p. 37). V. amoureux ex. 112 :
• 3. ... j'appartenais à cette race d'êtres dont on dit qu'ils n'ont pas de jeunesse : un adolescent morne, sans fraîcheur. Je glaçais les gens, par mon seul aspect. Plus j'en prenais conscience, plus je me raidissais.
MAURIAC, Nœud vip., 1932, p. 32.
♦ [Personnification] Peltier n'est plus là pour nous donner à dîner avec l'argent du Roi Christophe, et surtout la magicienne n'est plus là, la Jeunesse qui, par un sourire, change l'indigence en trésor, qui vous amène pour maîtresse sa sœur cadette, l'Espérance (CHATEAUBR., Mém., t. 4, 1848, p. 32).
♦ [Dans une expr. évoquant une quantité] Avoir beaucoup de jeunesse, être plein de jeunesse, déborder de jeunesse; trésor(s) de jeunesse. Cette femme a de l'âme et elle a l'air d'avoir une surabondance de jeunesse et de vie qu'elle prodigue avec un laisser-aller qui n'est pas sans charmes (DELÉCLUZE, Journal, 1828, p. 489). Que dite-vous, femme? reprit Trenmor avec épouvante, avez-vous déjà épuisé tant de jeunesse et de sève (SAND, Lélia, 1833, p. 243) :
• 4. Emportée pour la première fois par une vague de jeunesse trop longtemps refrénée, l'amirauté prenait le mors aux dents.
GRACQ, Syrtes, 1951, p. 140.
♦ [Constr. avec un compl. de ou un adj. spécifiant un aspect de la personnalité] Jeunesse d'âme, de corps. Je vous aime pour votre candeur, (...) pour cette grande jeunesse morale dont vous êtes si impatient de vous dépouiller (SAND, Lélia, 1833, p. 28). Ce sur quoi je compte, c'est sur une jeunesse de cœur qui me permettra d'aimer pendant vingt ans une femme qui en aurait trente-six (BALZAC, Lettres Étr., t. 1, 1837, p. 440). Je parle de son rayonnement, de sa générosité d'esprit, de sa jeunesse d'esprit (BARRÈS, Cahiers, t. 11, 1914, p. 87).
Rare. [Le compl. est au plur.] Ce n'est pas naïf, ces idées, ces explosions, cette jeunesse d'illusions (GONCOURT, Journal, 1864, p. 102). Il me faut toute ma jeunesse d'enthousiasmes et toute ma naïveté à l'égard des méchants hommes, pour descendre ainsi vers eux (GIDE, Corresp. [avec Valéry], 1891, p. 61).
♦ [Cette qualité en tant qu'elle marque un trait physique, un comportement, une œuvre intellectuelle ou artistique] Mettre de la jeunesse, un accent de jeunesse dans qqc. Un souffle de jeunesse circule [dans les Poèmes de Sully-Prudhomme] sous la précoce maturité d'une science précise et d'une forme souvent parfaite (LEMAITRE, Contemp., 1885, p. 33). Il avait les yeux brillants, de la jeunesse dans la voix et dans les gestes (BOURGET, Disciple, 1889, p. 228) :
• 5. Et devant ce visage où d'habitude, un air de douceur et d'ironie mettait une perpétuelle jeunesse et qui soudain abandonné, un filet de salive rejoignant les lèvres entrouvertes, laissait voir son usure et sa vieillesse, Rieux sentit sa gorge se serrer.
CAMUS, Peste, 1947, p. 1373.
— Locutions
♦ Seconde, nouvelle jeunesse. État psychologique d'une personne d'âge mûr qui retrouve le comportement, les qualités d'une personne jeune. Une seconde jeunesse, plus rigoureuse et plus fébrile que la première, faisait palpiter mon sein avec une violence inconnue (SAND, Lélia, 1833, p. 184). Paris l'avait repris aux moelles, violemment; (...) c'était une seconde jeunesse, un enthousiasme et une ambition à désirer tout voir, tout faire, tout conquérir (ZOLA, Œuvre, 1886, p. 222).
♦ N'avoir pas eu de jeunesse. N'avoir pas connu les plaisirs ou l'insouciance qui sont censés être le propre de la jeunesse. Je me méfie de ces hommes qui n'ont jamais eu de jeunesse et qui ne risquent pas une enjambée dans l'existence, sans y réfléchir quelques années (ZOLA, Pot-Bouille, 1882, p. 120). On était (...) devenu homme sans avoir eu de jeunesse, (...) pour la cinquième fois, on ne serait point à la maison, au coin du feu, à Noël... (VERCEL, Cap. Conan, 1934, p. 13).
♦ Retrouver, rendre à qqn la, sa jeunesse. Je retrouvai ma jeunesse. Je la retrouvai si bien, que je devins éperdument amoureux d'une jeune dame des environs (JOUY, Hermite, t. 4, 1813, p. 177). Je vous rendrai la jeunesse, le rayon doré de vingt ans, l'espoir et la gaieté, le rire (MICHELET, Journal, 1857, p. 363).
SYNT. a) Le charme, l'éclat, la fleur de la jeunesse; l'effervescence, l'exaltation, la ferveur, le feu, les feux, la fièvre, la force, la fougue de la jeunesse. b) Être brillant, rayonnant, resplendissant de jeunesse; être enivré de jeunesse. c) Jeunesse brillante, éclatante, fraîche; jeunesse bouillante, enthousiaste, fougueuse, forte, irrépressible, impétueuse; belle jeunesse. d) Consumer, dépenser, gâcher, gaspiller, perdre, sacrifier sa jeunesse; la jeunesse s'enfuit, s'envole, se fane, est anéantie, engloutie, enterrée, morte, passée.
b) [Cette qualité correspond à une image morale défavorable : inexpérience et manque de maturité dans l'action, légèreté morale et intellectuelle] Naïveté, inexpérience et jeunesse; jeunesse crédule, folle, irréfléchie, imprudente; faire preuve de jeunesse. Au milieu du plus noir chagrin, le désespoir, la jeunesse et le hasard me firent commettre une action qui décida de mon sort (MUSSET, Confess. enf. s., 1836, p. 77). Louis-Xavier de Ricard, fondateur et rédacteur en chef d'une revue positiviste, morte de la jeunesse des rédacteurs et de la police impériale (VERLAINE, Œuvres compl., t. 4, Mém. veuf, 1886, p. 262). La jeunesse est une manière de se tromper qui se change assez vite en une manière de ne plus même pouvoir se tromper (VALÉRY, Mauv. pens., 1942, p. 106) :
• 6. Dans toute la longueur du Télémaque, Joanny n'aimait bien que deux passages : la description des sages Crétois au livre V, et ce passage-là, où Télémaque, avec l'emportement même et l'exagération de la jeunesse, maudit la jeunesse. (...) il y voyait une peinture de ce qu'était la jeunesse des autres. Ces fureurs, « ce temps de folie et de fièvre ardente »...
LARBAUD, F. Marquez, 1911, p. 182.
♦ Il faut que jeunesse se passe. [S'emploie pour excuser de façon ironique ou condescendante les écarts de conduite d'une pers. jeune] — Faut bien que jeunesse se passe. Et je devine qu'elle excuse, qu'elle admire, mon anémie dont les causes folâtres ne lui échappent pas (FRAPIÉ, Maternelle, 1904, p. 29).
— P. méton., vieilli, le plus souvent au plur. Acte manifestant l'irréflexion, la légèreté d'une personne jeune. Synon. frasque, fredaine. Faire des jeunesses. C'était la maman Muffat qui lui avait donné cette belle éducation : tous les jours à confesse, pas d'escapades, pas de jeunesse d'aucune sorte (ZOLA, Nana, 1880, p. 1149) :
• 7. Le comte de Saxe (...) a bien voulu (...) essayer un traité sur l'Art de la guerre par manière d'amusement, et ce sont ses jeunesses à lui, (...) c'est un pêle-mêle d'ébauches, de boutades et de réflexions, tantôt hasardées, tantôt judicieuses...
SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t. 11, 1867, p. 46.
SYNT. Écart, égarement, erreur, étourderie, excès, faute, folie, frasque, illusion, péché de jeunesse.
2. [Correspond à jeune I B 1] Caractère jeune de qqc. (trait physique, psychol., œuvre intellectuelle ou artistique).
a) [Le caractère renvoie à l'image revalorisée de la jeunesse] La vie serait donc l'objet premier du peintre. Et l'on oserait même dire (...) que c'est le bonheur qui anime toutes les célèbres peintures, ou bien la jeunesse des passions, même chez le tyran, l'avare ou le mélancolique (ALAIN, Beaux-arts, 1920, p. 259). Une telle jeunesse des traits, une expression — excusez-moi — presque enfantine (BERNANOS, Crime, 1935, p. 790) :
• 8. Ils [les grands artistes anglais] ont des tableaux magnifiques, mais qui ne présenteront pas cette éternelle jeunesse des vrais chefs-d'œuvre, exempts (...) d'enflure et d'efforts.
DELACROIX, Journal, 1860, p. 263.
b) [Le caractère renvoie à l'image défavorable de la jeunesse] Un livre écrit au début de notre carrière et qui, en dépit de sa jeunesse, de ses inexpériences, de ses défauts, a fait parmi les bouquins de l'heure présente quelques petits (GONCOURT, Journal, 1888, p. 849).
B. — P. anal., littér. [Jeunesse connote l'image valorisée de la jeunesse : nouveauté, fraîcheur, plaisir] Il y avait dans l'air je ne sais quel épanouissement plus actif de sève nouvelle et de jeunesse (FROMENTIN, Dominique, 1863, p. 50). La vie montait avec des lueurs d'aube, magnifique de jeunesse et de foi en elle-même, prodigue de promesses fécondes sur la fleur épanouie (VOGÜÉ, Morts, 1899, p. 436) :
• 9. Parce qu'une rose a un suave parfum, faut-il mépriser son feuillage dentelé et épais d'un si beau vert, ses pétales d'une couleur si fraîche et si tendre, humide de rosée, de fraîcheur et de jeunesse?
KARR, Sous tilleuls, 1832, p. 260.
— [Correspond à jeune I B 2] On l'enduisait [le phare de Calais], chaque année, au beau temps, de couleur fraîche. La jeunesse de sa teinte accusait la noirceur des autres édifices dominant la ville (HAMP, Champagne, 1909, p. 204). V. jeune ex. 16. Caractère nouveau, récent de quelque chose. La jeunesse de la journée persistait sous le soleil de dix heures, grâce à une brise active qui venait du golfe (COLETTE, Naiss. jour, 1928, p. 39) :
• 10. Seul l'adjectif immaculé peut rendre la fraîcheur de l'air, la limpidité de l'eau, la jeunesse de ces verdures où il n'y a pas une poussière et la mollesse de ces paysages un peu sobres. Mollesse? Grâce, douceur, virilité pourtant et ce mot humilitas.
BARRÈS, Cahiers, t. 6, 1907, p. 87.
♦ Perdre, retrouver, rendre à qqc. sa jeunesse. Les costumes luxueux (...) semblaient avoir perdu toute leur jeunesse (...). Les rubans flottaient mous, sans éclat, les traînes sur les trottoirs ondulaient avec un froufrou mélancolique et fatigué (H. CÉARD, Soir. Médan, Saignée, 1880, p. 196). Il rendait leur jeunesse aux vieilles formules. Il dépatinait les poncifs. Il décapait les lieux communs (COCTEAU, Diff. d'être, 1947, p. 26).
Rem. Rare. Une jeunesse + (subst. plur.). [Avec un sens quantitatif] Toute une jeunesse de frêles tiges et de feuilles délicates s'épanouissait, montait, retombait en pluie (ZOLA, Doc. littér., Cap. Burle, 1883, p. 227).
III. — [Désigne une ou des personne(s)]
A. — Au sing., coll. Synon. les jeunes. Les écrivains (...), au moyen de ces plats ouvrages, cherchent à corrompre une jeunesse qui n'est, hélas! que trop disposée aux erreurs des sens (STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 411). La jeunesse est généreuse, sensible, brave... et les vieillards la disent prodigue, inconsidérée, téméraire (TOEPFFER, Nouv. genev., 1839, p. 178).
♦ [Avec un compl. prép. de ou un adj. spécifiant une activité, un groupe socio-culturel] La jeunesse actuelle, d'aujourd'hui, de maintenant. Il faut aujourd'hui chercher, avant tout, à donner à la jeunesse médicale l'esprit expérimental (Cl. BERNARD, Princ. méd. exp., 1878, p. 187). Une partie de la jeunesse de gauche le relègue au rang des vieilles lunes (J.-R. BLOCH, Dest. du S., 1931, p. 25). La rue, envahie par une jeunesse bruyante (CAMUS, Peste, 1947, p. 1263).
Jeunesse dorée.
— En partic.
♦ Les jeunes gens de sexe masculin. Notre armée c'est notre jeunesse en armes (BERNANOS, Enf. humil., 1948, p. 67).
♦ Les enfants et les adolescents. La jeunesse des écoles; livres pour la jeunesse; éduquer, former, instruire la jeunesse. La naissance des mouvements de jeunesse et de grand air traduit une réaction (...) contre l'individualisme urbain (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 128). P. méton. Services administratifs consacrés aux sports, aux problèmes de la jeunesse. Haut Commissariat à la Jeunesse et aux Sports. Les sports, les loisirs, la jeunesse ont tour à tour été rattachés à ce département [du Ministère de l'Éducation Nationale] (Encyclop. éduc. 1960, p. 27).
— Expr. proverbiales
♦ Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait... Si les jeunes avaient l'expérience des vieux et si les vieux avaient la force des jeunes... La vieillesse sait et ne peut pas; la jeunesse peut et ne sait pas (CHÉNEDOLLÉ, Journal, 1833, p. 161).
B. — Au sing. ou au plur., pop. Jeune fille, jeune femme. J'aimais ce gros homme en sabots qui se hâtait pour vendre aux phtysiques [sic] jeunesses la consolation du tiède lait d'ânesses (CROS, Coffret santal, 1873, p. 118). Le soir, dîne le jeune ménage Gautier. La petite femme, une jeunesse ratatinée et vieillotte (GONCOURT, Journal, 1874, p. 1005). L'héritière des Pandolfini, la plus belle jeunesse de Milan (JOUVE, Paulina, 1925, p. 89) :
• 11. Une paire de nichons splendides cette négresse, bien élevée par les sœurs du Gabon. Non seulement cette jeunesse parlait le français en zézayant, mais elle savait encore présenter la quinine dans la confiture et vous traquer les puces « chiques »...
CÉLINE, Voyage, 1932, p. 196.
— En partic., pop.
♦ Garçon, jeune homme. Ce morveux m'a glacé jusqu'aux os. Une jeunesse pareille, qui a perdu à ce point le respect, cela fait frémir (FRANCE, Pt Pierre, 1918, p. 85).
♦ Au plur. Jeunes gens des deux sexes. La place (...) de jeunesses qui cherchaient à « se louer ». Les jeunes gens en quête d'une place de charretier avaient leur fouet pendu au cou; (...) les filles tenaient une rose à la main (R. BAZIN, Blé, 1907, p. 44).
C. — En partic. [Sert à former le nom de divers mouvements de jeunesse] Chantiers de jeunesse.
— Au sing. Il est membre de la Jeunesse antisémite de Rouen, membre de la vieillesse antijuive de Louviers, membre encore d'une infinité de groupes et de sous-groupes (MIRBEAU, Journal femme ch., 1900, p. 120). La jeunesse ouvrière catholique. Cette organisation est connue abréviativement sous le nom de JOC (BECQUET, Organ. loisirs travaill., 1939, p. 211).
— Au plur. Les Jeunesses Musicales; les Jeunesses Communistes, Hitlériennes. Il s'était contenté des Jeunesses Patriotes, bien qu'elles lui eussent paru infiniment moins relevées que l'Action française (NIZAN, Conspir., 1938, p. 113).
Prononc. et Orth. : [] et [-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Temps de la vie 1. 1155 juenvlesce « période de la vie humaine s'étendant de l'enfance à l'âge mûr » (WACE, Brut, 5685 ds T.-L.); 1578 p. anal. en parlant de végétaux (RONSARD, 2e Livre des Amours, II, Mort de Marie, Sonnet, 2, éd. P. Laumonier, t. 17, p. 125); 2. 1155 « état d'une personne jeune; qualité, caractère propres à une telle personne » (WACE, op. cit., 1696, ibid.); 1588 « cette qualité conservée jusqu'à la vieillesse » (MONTAIGNE, Essais, II, III, éd. A. Thibaudet et M. Rat, p. 327); 3. ca 1250 « action accomplie par un jeune homme » (Doon de Mayence, 181 ds T.-L.); 2e moitié XIVe s. péj. (Chevalier de Latour Landry, 75, ibid. : ses pechiez et ses jeunesses); 4. 3e tiers XIIIe s. joneche « inexpérience » (ADAM DE LA HALLE, Jeu-parti, éd. A. , t. 2, CXIV, 36). B. Personnes jeunes 1. 1377 jonesce empl. coll. « les jeunes » (Miracles de N.-D., éd. G. Paris et U. Robert, XXXIV, 48, t. 6, p. 82); 2. av. 1605 fam. « jeune fille, jeune femme » (VAUQUELIN DE LA FRESNAYE ds FEW t. 5, p. 93 b); 1668 (RACINE, Les Plaideurs, III, 4). Dér. de jeune; suff. -esse (-itia); d'apr. FEW t. 5, p. 95, note 9, le mot, à l'emploi B 2 serait à l'origin. un fém. en -esse (< -issa) de jeune, considéré par la suite comme une individualisation de l'emploi coll. B 1. Fréq. abs. littér. : 8 371. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 13 171, b) 11 987; XXe s. : a) 11 535, b) 11 001. Bbg. GOHIN 1903, p. 320. - MAULNIER (Th.). Le Sens des mots. Paris, 1976, pp. 130-132. - QUEM. DDL t. 2. - STAAF (E.). Qq. rem. sur le passage d'eu atone à u en fr. In : [Mél. Wahlund (C.)]. Mâcon, 1896, p. 249.
jeunesse [ʒœnɛs] n. f.
ÉTYM. XIVe; joefnesse, v. 1160, au sens I, 1; de jeune, et -esse.
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I État, temps d'un être vivant jeune.
1 (Personnes). Temps de la vie entre l'enfance et la maturité (⇒ Âge). || L'adolescence, première partie de la jeunesse (⇒ Adolescence). — REM. Dans l'usage, jeunesse a souvent un sens plus large, et peut comprendre les dernières années de l'enfance et les premières de la maturité, la notion variant sensiblement avec l'âge de celui qui en parle. — ☑ Loc. Littér. La jeunesse, première saison, printemps, matin de la vie (→ aussi Les beaux jours de la vie, le bel âge). — La première, la prime jeunesse (→ Attachement, cit. 19; enveloppe, cit. 5; imagination, cit. 17; infidélité, cit. 10). — ☑ Loc. (euphém.). N'être plus de la première jeunesse : n'être plus jeune. — La tendre jeunesse (→ Les jeunes, les vertes années, et aussi athlète, cit. 2). — Vieilli. || Seconde jeunesse : période allant de l'adolescence à l'âge adulte ⇒ Adolescence. — Littér. || La jeunesse en sa fleur (→ Briller, cit. 9; coton, cit. 6; étamine, cit. 2). — En pleine jeunesse, à la fleur (cit. 25) de la jeunesse. — La jeunesse qui s'envole (→ Adieu, cit. 13, Hugo). || Le peu de jeunesse qui lui reste (→ Farceur, cit. 7). || « La jeunesse est une fleur qui tombe » (Bossuet, Oraison funèbre de Marie-Thérèse). || La jeunesse est une attente (cit. 18), le temps où l'on admire (→ Humilier, cit. 14), où l'on comprend mal les conventions (cit. 9). — La jeunesse de qqn, sa jeunesse. || Le temps heureux de ma jeunesse (→ Élégance, cit. 6). || Dans ma jeunesse, ma verte jeunesse (→ Affirmation, cit. 3; animal, cit. 10; étude, cit. 14). || Au temps de ma jeunesse (→ fam. De mon temps). || En sa jeunesse (→ Entreprise, cit. 1). — Employer sa jeunesse aux études (cit. 17). || Gaspiller sa jeunesse. || Les excès, les dérèglements (cit. 5), les fredaines (cit. 3) de sa jeunesse. — … de jeunesse : qui est propre au jeune âge. ☑ Péché de jeunesse. || Étourderie (→ Aviser, cit. 13), folie, écart (cit. 7), erreur (cit. 34) de jeunesse. || Œuvre de jeunesse (→ Essai, cit. 15); toile de jeunesse (→ Influence, cit. 13). — (Qualifié par un adj.). Époque où une personne est, était jeune. || Jeunesse heureuse, malheureuse, orageuse, folle (→ Arondelle, cit.), oisive, studieuse. || « Au temps de ma jeunesse folle » (→ Étudier, cit. 2, Villon). — (Non qualifié). || « Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage » (→ Brillant, cit. 5, Baudelaire). || « Cueillez, cueillez votre jeunesse » (→ Cueillir, cit. 5, Ronsard; et aussi beauté, cit. 18). — ☑ Prov. Il faut que jeunesse se passe : il faut être indulgent aux écarts des jeunes gens (→ Frasque, cit. 2).
1 Le vrai trésor de l'homme est la verte jeunesse,
Le reste de nos ans ne sont que des hivers.
Ronsard, Pièces posthumes, Stances.
2 (…) confions-nous toutes ces étourderies, car il faut que jeunesse se passe.
Mme de Sévigné, 913, 3 mai 1683.
3 La jeunesse est le temps d'étudier la sagesse; la vieillesse est le temps de la pratiquer.
Rousseau, Rêveries…, 3e promenade.
4 Amis, qu'est-ce qu'une grande vie ? sinon une pensée de la jeunesse exécutée par l'âge mûr.
A. de Vigny, Cinq- Mars, XX (→ Exécuter, cit. 26).
5 Elle semblait n'avoir jamais eu de jeunesse, son regard ne parlait jamais du passé.
Balzac, Mme de La Chanterie, Pl., t. VII, p. 270.
6 La marquise avait eu, dans la force du terme, ce qu'on appelle une jeunesse orageuse (…)
A. de Musset, Nouvelles, Emmeline, III.
7 Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Verlaine, Sagesse, III, VI.
♦ ☑ Seconde jeunesse : sorte de nouvelle jeunesse qui semble rendre à certaines personnes d'âge mûr, les ardeurs, les passions de leur jeune temps (notamment dans la vie amoureuse, sentimentale).
8 Plus elle (Mlle Cormon) s'avança vers cette fatale époque si ingénieusement nommée la seconde jeunesse, plus sa défiance augmenta.
Balzac, la Vieille Fille, Pl., t. IV, p. 253.
2 (XVIe). Animaux. Période qui va de la naissance au développement complet des organes. || Les chiens, les chats sont joueurs dans leur jeunesse.
♦ (Plantes) :
9 Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose,
En sa belle jeunesse, en sa première fleur (…)
Ronsard, Amours de Marie, II, IV.
3 (Choses). Littér. Le premier temps qui suit la naissance, l'apparition. || La jeunesse du monde.
4 (V. 1361). || La jeunesse de qqn, de qqch. a Le fait d'être jeune. || La condamnation prononcée contre lui fut légère en raison de sa jeunesse. || Grande, extrême jeunesse (→ Atermoiement, cit. 1). || Tant de jeunesse désarme (→ Blanc-bec, cit. 2). || Vous avez la jeunesse et l'avenir… (→ Heure, cit. 62).
10 — Rodrigue a du courage. — Il a trop de jeunesse.
— Les hommes valeureux le sont du premier coup.
Corneille, le Cid, II, 3.
11 J'admire ton courage, et je plains ta jeunesse.
Ne cherche point à faire un coup d'essai fatal;
Dispense ma valeur d'un combat inégal (…)
Corneille, le Cid, II, 2.
b (1555, Ronsard). Le fait d'exister depuis peu de temps. || « La force des peuples barbares tient à leur jeunesse et disparaît (cit. 19) avec elle » (Hugo, la Jeunesse d'un arbre).
♦ (Choses). État d'une chose qui existe depuis relativement peu de temps. || Jeunesse d'un vin, d'une eau-de-vie.
12 Cent ans, c'est la jeunesse d'une église et la vieillesse d'une maison. Il semble que le logis de l'homme participe de sa brièveté et le logis de Dieu de son éternité.
Hugo, les Misérables, II, IV, I.
13 Il a tort de vouloir des eaux-de-vie pures, qui gardent si longtemps le défaut de la jeunesse, cette rudesse, qui oblige à les laisser dormir.
J. Chardonne, les Destinées sentimentales, p. 119.
c État physique ou moral d'une personne jeune. || La fraîcheur, l'éclat (cit. 30) de la jeunesse (→ Abrutir, cit. 1). || Le charme de la jeunesse. → La beauté du diable. || La chaleur, la vigueur, l'emportement (cit. 3), les élans (→ Arrière-saison, cit. 4), les ardeurs (cit. 23), les passions (→ Catéchisme, cit. 2), la fougue (→ Autorité, cit. 47), les illusions (cit. 20), l'inexpérience (cit. 1), l'idéalisme (cit. 4), l'intransigeance (cit. 3) de la jeunesse. || Comprimer son exubérante (cit. 2) jeunesse. || Avoir beauté, santé et jeunesse.
14 La jeunesse est une ivresse continuelle : c'est la fièvre de la raison.
La Rochefoucauld, Réflexions et Maximes, 271.
15 Je veux te raconter, ô molle enchanteresse !
Les diverses beautés qui parent ta jeunesse (…)
Baudelaire, les Fleurs du mal, Spleen et Idéal, LII.
16 (…) la jeunesse en face de la maturité; l'audace, le goût du risque, en face de la prudence.
Martin du Gard, les Thibault, t. III, p. 128.
17 Le plus grand désir des hommes est la jeunesse éternelle. Depuis Merlin jusqu'à Cagliostro, Brown-Séquard et Voronoff, charlatans et savants ont poursuivi le même rêve et souffert la même défaite. Personne n'a découvert le suprême secret.
Alexis Carrel, l'Homme, cet inconnu, V, V.
17.1 D'ailleurs, la fille de la Berma n'eût-elle pas eu sans cesse des ouvriers chez elle, qu'elle eût tout de même fatigué sa mère, comme les forces attractives, féroces et légères de la jeunesse fatiguent la vieillesse, la maladie, qui se surmènent à vouloir les suivre.
Proust, le Temps retrouvé, Pl., t. III, p. 997.
5 a Caractère, ensemble de caractères propres à la jeunesse, mais qui peuvent se conserver jusque dans la vieillesse. || Être plein de jeunesse, bouillant de jeunesse (→ Avoir le sang qui bout dans les veines). || « Il y a tout dans ce jeune homme, excepté (cit. 8) de la jeunesse » (Stendhal). || Il a encore beaucoup de jeunesse pour son âge. ⇒ Fraîcheur, verdeur, vigueur. || L'action exige de la jeunesse, de l'aveuglement (→ Étourdi, cit. 4). || La fontaine de Jouvence redonnait la jeunesse. || Retrouver sa jeunesse. || Cela lui a rendu sa jeunesse. — Air de jeunesse. || Une figure pleine de jeunesse (→ Impérial, cit. 4), un front (cit. 14) sans jeunesse. — La jeunesse de son sourire. || Cœur encore plein de jeunesse (→ Adieu, cit. 12). — Jeunesse de corps, de visage, de cœur (cit. 77), d'esprit (→ Fraîcheur, cit. 16). || L'âge est venu sans refroidir la jeunesse du cœur (→ Affection, cit. 14).
18 (…) Dionysius, ce bon dieu qui redonne aux hommes la gaieté, et la jeunesse aux vieillards (…)
Montaigne, Essais, II, II.
19 C'est la plus belle des jeunesses : la jeunesse de l'esprit quand on n'est plus jeune (…)
Paul Léautaud, Propos d'un jour, p. 56.
20 (…) chez elle, aucun trait n'a vieilli (…) même dans le visage (…) Une certaine tension de l'esprit entretient une perpétuelle jeunesse.
J. Chardonne, les Destinées sentimentales, p. 302.
♦ ☑ Loc. Une seconde, une nouvelle jeunesse (pour une personne d'âge mûr, ou même âgée). — N'avoir pas eu de jeunesse.
b Caractère jeune (d'une œuvre humaine). || Un art, un texte plein de jeunesse. || Son style manque de jeunesse, d'élan.
6 Caractère (d'une chose) plein de force, de vivacité; état de ce qui donne l'impression d'un développement. ⇒ Fraîcheur, vivacité. || « Je ne sais quel épanouissement plus actif de sève nouvelle et de jeunesse » (Fromentin, in T. L. F.). || La jeunesse éternelle (cit. 34) de la mer, de la forêt (cit. 4), de la nature.
21 La jeunesse et la puissance de la végétation lui parurent si merveilleuses qu'il ne douta pas un instant qu'il ne fût dans le Paradis terrestre.
A. Hermant, l'Aube ardente, III.
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II
1 (1377, jouesce). Les personnes jeunes. ⇒ Jeune (les jeunes); les jeunes gens, garçons ou filles, jeunes hommes ou jeunes femmes (→ Avantageux, cit. 13; conformer, cit. 6; filtrer, cit. 9; hammam, cit.). || La jeunesse et les gens d'âge mûr. || Aimer fréquenter (cit. 11) la jeunesse. || Rimbaud est aimé de la jeunesse (→ Insolence, cit. 5). || Une belle jeunesse. || La jeunesse française. — ☑ Prov. Les voyages forment la jeunesse. — ☑ || Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait… (H. Estienne, les Prémices, Épigr., CXCI) : si les jeunes avaient l'expérience des vieux et si les vieux avaient la vigueur des jeunes. — ☑ Il faut que jeunesse jette sa gourme (→ 2. Farce, cit. 11). — ☑ Loc. prov. (Vx). Jeunesse revient de loin : les jeunes gens résistent aux plus graves maladies, et, fig., sont capables de revenir au bien après de grands écarts. — La jeunesse de la cour (→ 1. Bas, cit. 43), d'une ville (→ Indisciplinable, cit. 3), d'un pays, du monde entier (→ Berner, cit. 4), d'une époque. || La jeunesse agricole, étudiante, ouvrière chrétienne (⇒ Jaciste, jéciste, jociste). || La jeunesse pauvre (→ Fondation, cit. 5). — ☑ Loc. Camp, chantier de jeunesse; auberge de la jeunesse, de jeunesse. || Secrétariat d'État à la Jeunesse et aux Sports.
22 (…) la jeunesse du quartier latin avait subi l'influence de ses étudiants, comme beaucoup de gens s'efforcent de ressembler aux gravures de mode.
Baudelaire, Curiosités esthétiques, VII, II.
23 Comme la jeunesse se jette aisément aux périls, dans les sauvetages, dans la révolte, dans la guerre, on l'a vu, on le voit, on le verra.
Alain, Propos, 1er mai 1933, Deux morts.
24 (…) c'est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents.
Bernanos, les Grands Cimetières sous la lune, p. 228.
25 C'était (le Palais de Glace) le refuge d'une jeunesse errante qui cherchait dans le sport un prétexte à rassemblements.
J. Chardonne, les Destinées sentimentales, p. 456.
26 Tous nos concitoyens accueillaient ordinairement l'été avec allégresse. La ville s'ouvrait alors vers la mer et déversait sa jeunesse sur les plages.
Camus, la Peste, p. 129.
26.1 Depuis quelques années, on (« il » ou « ils ») tenta littéralement d'institutionnaliser la jeunesse. Se préoccupe-t-on d'elle pour lui permettre de mener une vie spécifique, avec des activités appropriées ? Ici ou là, on y pense, des gens de bon vouloir. En vain. Ce qui l'emporte, c'est l'intégration de la jeunesse au marché, à la consommation, en lui procurant une quotidienneté parallèle. On tend à constituer une essence, la juvénilité, dotée d'attributs et de propriétés commercialisables, possédée par une part de la population privilégiée ou censée telle, justifiant ainsi la production et la consommation d'objets marqués (vêtements entre autres que résument et symbolisent les « blue jeans »).
Henri Lefebvre, la Vie quotidienne dans le monde moderne, p. 315.
♦ (XXe). Généralt au plur. Groupes organisés de jeunes gens. || Les Jeunesses hitlériennes. || Les jeunesses communistes. || Les jeunesses musicales.
26.2 Le mouvement des « jeunesses socialistes » de la Drôme, qui ne tarda pas à grouper deux bonnes centaines d'adhérents, tint ses premiers succès de ces nouveautés.
Raymond Abellio, Ma dernière mémoire, t. II, p. 254.
♦ ☑ Loc. La jeunesse dorée. ⇒ Doré (cit. 5).
♦ (Fin XIIIe). Les enfants et les adolescents. || Exercer (cit. 8), instruire (cit. 7) la jeunesse. || Éducation donnée à la jeunesse (→ Humaniste, cit. 4). || Lectures, émissions, spectacles pour la jeunesse. || Édition, livres pour la jeunesse. || C'est un mauvais exemple pour la jeunesse.
27 (…) cette police de la plupart de nos collèges m'a toujours déplu (…) C'est une vraie geôle de jeunesse captive. On la rend débauchée, l'en punissant avant qu'elle le soit.
Montaigne, Essais, I, XXVI.
28 (…) mais je tiens sans cesse
Qu'il nous faut en riant instruire la jeunesse.
Molière, l'École des maris, I, 2.
♦ Fam. (en interpellant un groupe de jeunes gens; avec l'article défini) :
29 Et, redressant la tête, il nous disait, histoire de souffler un peu : — Eh bien ! ça va, la jeunesse ?
Alain-Fournier, le Grand Meaulnes, I, III.
2 (Av. 1605). Fam., vieilli ou régional. (Une, des jeunesses). Fille ou femme très jeune (→ Fraîcheur, cit. 13; éprouver, cit. 36). || S'attacher à une jeunesse (→ Déraison, cit. 2). || Vieillards qui épousent des jeunesses. ⇒ aussi Tendron.
30 Je suis tout réjoui de voir cette jeunesse.
Racine, les Plaideurs, III, 4.
31 Il n'y avait pas là de ces jeunesses vert tendre, de ces petites demoiselles qu'exécrait Byron, qui sentent la tartelette (…)
Barbey d'Aurevilly, les Diaboliques, « Le plus bel amour de Don Juan ».
32 — Hein ? tu as le toupet !… Un vieux de trente-trois ans épouser une jeunesse de dix-huit ! Rien que quinze ans de différence ! Est-ce que ce n'est pas une dégoûtation ?… On t'en donnera, des poulettes, pour ton sale cuir !
Zola, la Terre, III, VI.
33 Tout le monde se regardait, ne sachant trop quelle tête faire; quelques jeunesses mal élevées étouffèrent un fou rire (…)
Proust, le Temps retrouvé, Pl., t. III, p. 999.
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Encyclopédie Universelle. 2012.