ANTHROPOLOGIE PHYSIQUE
Le terme «anthropologie» a un sens général très vague: littéralement, «science (礼塚礼﨟) de l’Homme ( 見’ 益福諸神礼﨟)». En pratique, elle se distingue de certaines «sciences humaines», telles l’archéologie, la psychologie, la linguistique, pour se limiter à la définition de Broca, «histoire naturelle du genre humain».
De même que la zoologie étudie les animaux du point de vue de leur morphologie et de leur mode de vie, de même l’anthropologie porte aussi bien sur les traits physiques et la biologie – c’est alors l’anthropologie physique – que sur les mœurs et coutumes qui intéressent l’anthropologie culturelle (ou ethnologie). De plus, les connaissances acquises sur les hommes fossiles ont conduit à développer deux autres disciplines, qui prolongent les précédentes dans le passé: la paléontologie humaine (ou paléoanthropologie) et la préhistoire .
Par convention, l’anthropologie sous-entend l’anthropologie physique (ou biologique), tandis que l’anthropologie culturelle est désignée par son autre nom, l’ethnologie . Cependant, cette acception des mots n’est pas universelle: dans les pays anglophones, l’anthropologie désigne l’ensemble des quatre disciplines, tandis qu’en Europe continentale elle a le sens restreint indiqué plus haut, lequel tend d’ailleurs a être supplanté par les termes de biologie humaine .
Il convient de souligner enfin que le mot a changé souvent de sens au cours des temps: mais il appartient maintenant au langage scientifique.
L’anthropologie physique ne recouvre pas toutes les branches de la biologie humaine, elle n’en retient qu’une partie. Ainsi, l’anatomie, la physiologie, la génétique traitent de l’Homme moyen, identique partout. L’anthropologie procède d’un esprit différent: elle considère moins l’individu que le groupe, et tantôt il s’agit du groupe humain par rapport aux Primates, tantôt il s’agit des groupes humains entre eux. L’accent est donc mis sur les caractères différentiels plutôt que sur ce qui est commun, sur ce qui sépare plutôt que sur ce qui unit. C’est pourquoi l’anatomie utilisée sera une anatomie comparée, la génétique anthropologique une génétique des populations, etc.
Comme il s’agit d’étudier des groupes, des collections d’individus, la notion de «moyenne» s’impose: les anthropologistes cherchent à chiffrer ce qu’en d’autres disciplines on observe seulement, même si ce chiffre est un pourcentage.
En un sens, cette «histoire naturelle du genre humain» peut se définir aussi comme la «science des variations humaines». Le but final est de décrire les groupes humains et surtout d’expliquer leurs différences. Ce dernier point découle d’ailleurs de l’évolution de la science anthropologique.
1. Histoire
L’anthropologie, au sens biologique du terme, est née il y a un siècle. Les récits des explorateurs ont incité les savants à réunir des observations scientifiques sur les différents peuples de la Terre, souvent en opposant les «sauvages» aux «civilisés». C’est également au XIXe siècle que furent recueillies les premières preuves de l’existence d’hommes fossiles, différents des hommes actuels. Le grand mérite des précurseurs (Broca en France, Blumenbach en Allemagne) fut de décrire des techniques d’observation valables aussi bien pour les hommes vivants que pour leur squelette et d’établir des parallèles anatomiques entre l’homme et les singes.
Paradoxalement, l’anthropologie n’a d’abord guère été influencée par la notion d’évolution et les idées darwiniennes sur l’origine des espèces. Il a fallu l’apparition de la génétique, au début du XXe siècle, puis le remaniement nécessaire du darwinisme, pour que les «conceptions synthétiques» de l’évolution atteignent l’anthropologie.
Certes les sérologistes ont remué le monde anthropologique en montrant que les groupes sanguins fournissaient non seulement de nouveaux critères de classification des groupes humains, mais aussi des moyens d’analyser leurs transformations; il s’agit en effet de caractères purement génétiques.
En fait, il a fallu attendre le milieu du XXe siècle pour qu’un tournant se produise. Comme l’ont bien montré Washburn puis Comas, la phase descriptive de cette science a fait place à une phase analytique. Jusqu’alors l’anthropologie s’était contentée de décrire et de classer; elle disposait pour cela de techniques éprouvées mais limitées à un nombre restreint de problèmes. Depuis cette date, l’anthropologie s’efforce d’analyser les variations observées, dans le but de les interpréter à la lueur des données admises sur l’évolution des êtres vivants: il ne s’agit plus seulement d’observer, mais de comprendre.
Pour atteindre ces buts ambitieux, l’anthropologie s’appuie sur des techniques très diverses, parmi lesquelles l’observation morphologique a toujours une place d’honneur, mais non exclusive.
2. Les bases de l’anthropologie
Le fondement actuel de l’anthropologie consiste soit à comparer les données recueillies sur un groupe humain avec celles qui concernent un autre groupe, soit à les confronter avec le milieu qui les entoure. Le terme de milieu doit être pris dans deux acceptions: à la fois le milieu naturel (mésologie au sens propre, écologique) et le milieu humain. Le milieu naturel comprend les conditions géographiques: climat, altitude, faune, flore, nature du sol, endémies habituelles, etc. Le milieu humain est plus complexe, car il inclut tous les facteurs sociaux, culturels, démographiques, historiques, techniques même, par lesquels l’homme agit, sans s’en rendre compte, sur sa propre biologie. Par exemple, l’homme est le seul être qui ait domestiqué le feu; or des aliments cuits ont une influence indirecte sur la morphologie faciale: mâchoires et dents n’ont plus besoin d’être aussi puissantes. De même, les conditions de la vie moderne et les progrès techniques jouent un rôle qui commence seulement à être étudié: il y a «domestication» de l’homme par lui-même.
Lorsqu’on a confronté l’homme et son milieu, on peut isoler la part des caractères humains qui ne sont pas influencés par le monde extérieur et sont donc innés et non adaptatifs. On arrive ainsi aux conceptions présentes de l’évolution (à tout le moins de la «micro-évolution», de l’évolution à une toute petite échelle): certains caractères apparaissent par hasard: ils sont éliminés s’ils sont néfastes, conservés s’ils ne gênent pas, mais ils se développent et se propagent s’ils ont une influence bénéfique, parfois en présence de tel milieu particulier. Alors que Darwin avait supposé la survivance du plus apte, la «survivance préférentielle des plus féconds» est l’interprétation actuelle du rôle de la sélection naturelle sur les petites mutations qui se produisent constamment de façon imperceptible. On devine l’importance prise alors par la démographie comme support des études anthropologiques.
La recherche anthropologique comporte donc une unité de base – le groupe humain étudié, puis des techniques d’examen de ce groupe, enfin l’inventaire du milieu et des groupes humains voisins ou de référence.
Populations humaines
Par rapport aux autres Primates, tous les Hommes forment un même groupe, pour une raison zoologique fondamentale: ils peuvent se marier entre eux et sont interféconds, ils appartiennent donc à la même espèce. Dans une perspective paléontologique, les groupes fossiles ne sont parfois représentés que par un sujet, souvent par un fragment, qui constitue un «échantillon» plus ou moins représentatif. Les hommes fossiles se succèdent dans le temps par évolution, et l’on ne sait pas encore si tous les groupes évoluent aussi vite et en même temps. Étant donné la pauvreté de leurs restes osseux, on identifie d’ordinaire ces groupes à l’aide des traces de leur activité technique (pierres taillées, etc.). Mais un groupe peut avoir adopté la culture d’un autre, et c’est pourquoi le critère principal reste la similitude morphologique, compte tenu de la variabilité normale.
Dans le monde actuel, les groupes humains naturels sont ceux où les sujets se marient entre eux ou peuvent le faire normalement; il s’agit donc d’isolats . Le plus souvent, on emploie le terme plus général de population. Les limites en sont vn peu conventionnelles, car il y a toujours des mariages accidentels hors du groupe (celui-ci peut même être caractérisé par la fréquence de ces mariages extérieurs). Une population anthropologique diffère donc d’une population en général (population scolaire, population européenne) par la nature des mariages, le plus souvent par la fréquence des mariages à l’intérieur du groupe. Or les sujets qui se marient entre eux parlent habituellement la même langue et ont les mêmes coutumes. Une population diffère donc d’une nation mais se rapproche beaucoup de l’ethnie ou groupe socio-culturel. Certes, il existe des populations de métis; mais à l’intérieur d’un grand groupe (population française par exemple), on peut distinguer des subdivisions: populations provinciales, départementales, populations des villes et des campagnes, des plaines ou des montagnes, correspondant à des cercles de mariages plus ou moins restreints.
Les populations étudiées en anthropologie sont donc définies par des critères ethnologiques, sociologiques et linguistiques: l’anthropologie dépend étroitement des autres sciences de l’homme . Une part importante est également faite à la démographie (fréquence ou non de la consanguinité, fécondité et mortalité différentielles), bref à tout ce qui touche à l’hérédité des caractères anthropologiques, dont la constance ou les fluctuations font l’objet de l’étude. On verra plus loin comment l’examen des groupes ou des populations conduit ou non aux notions de «races» et de «types».
Caractères anthropologiques
Parfois on observe des caractères descriptifs, le plus souvent on effectue des mesures. Dans les deux cas les relevés sont faits sur le sujet vivant (morphologie externe, physiologie, sérologie) ou sur le squelette (éventuellement même sur les «parties molles», à la dissection).
Les caractères descriptifs
Les plus usités d’entre eux se rencontrent sur le vivant: il s’agit principalement de la forme des cheveux, de la couleur de la peau, de la bride mongolique, ainsi que des empreintes digito-palmaires ou dermatoglyphes.
Les cheveux peuvent être droits et raides (chez les Jaunes), souples et ondulés, ou frisés, ou enfin crépus (chez les Noirs). On n’a pas trouvé d’influence du milieu extérieur ni de rôle sélectif de la forme des cheveux: il s’agit donc d’un caractère non adaptatif, qui ne procure aucun avantage à la population dans l’état actuel de nos connaissances. L’hérédité de la forme des cheveux est due à plusieurs facteurs; on admet que les facteurs «cheveux droits» ou «cheveux crépus» sont dominants vis-à-vis du facteur «cheveux ondulés». Mais la transmission héréditaire varie suivant la population considérée.
La couleur de la peau est trop souvent considérée comme un caractère majeur des «races» et a donné lieu au classement traditionnel en Noirs, Blancs et Jaunes. Tout comme la couleur des cheveux et celle des yeux, la teinte du tégument est due à la présence d’un pigment, la mélanine. Quand celle-ci est abondante, la peau est sombre, parfois noire; à un degré moindre, la mélanine donne une teinte jaunâtre; lorsqu’elle est rare, la peau est claire ou «blanche». Il existe donc de la mélanine, en quantité variable, dans la peau des hommes de toutes races. Il en est de même pour les cheveux qui passent du blanc au noir par l’intermédiaire du blond et du châtain. D’autres pigments, responsables des nuances qui font différer les individus, interviennent probablement.
La transmission héréditaire de la couleur de la peau est mal connue; on pensait autrefois qu’il existait un facteur sombre, dominant sur le facteur clair; actuellement on estime que plusieurs facteurs (gènes) interviennent et additionnent leurs effets. Il existe de plus un facteur pigmentaire général, portant sur la peau, les yeux et les cheveux. Quand celui-ci fait défaut, par suite d’une mutation, le sujet est dit «albinos»: sa peau et ses cheveux sont blancs, ses pupilles paraissent roses parce qu’on y voit les vaisseaux sanguins rétiniens.
La couleur de la peau est évidemment un caractère adaptatif (loi de Gloger), car les populations les plus pigmentées sont concentrées dans les régions du globe les plus ensoleillées. La couleur de la peau ne permet pas à elle seule de caractériser une race, pas plus qu’aucun autre caractère anthropologique isolé; les habitants du sud de l’Inde et les autochtones de l’Australie ne sont pas des nègres, bien qu’étant aussi pigmentés que les Noirs d’Afrique.
La bride mongolique est un prolongement interne du repli orbito-palpébral supérieur; elle s’associe à l’adiposité de la paupière supérieure et à l’obliquité de la fente palpébrale. Ici encore il ne s’agit pas d’un caractère racial strict car il n’est pas constant chez les Jaunes. Sa transmission se fait par l’intermédiaire d’un petit nombre de facteurs associés, sans dominance.
La bride mongolique est une particularité actuellement sans valeur sélective pour les individus, mais on a invoqué son utilité passée en la rattachant à une adaptation au vent froid des steppes asiatiques. Elle varie d’intensité avec l’âge, s’atténue chez les adultes, et ne doit être confondue ni avec le pli externe des vieillards (pli sénile), ni avec l’épicanthus qui est interne, mais vertical.
Les caractères mesurables
Très nombreux, ils s’étudient soit en valeur absolue, soit en valeur relative; dans ce dernier cas, on confectionne un indice, égal à cent fois le rapport d’une dimension à une autre; cette autre est une mesure de référence, supposée fixe (mais elle ne l’est pas). Un indice exprime les proportions d’un sujet ou de telle partie de son corps ; ainsi un sujet sera dit gros ou maigre, quand le rapport de son poids à sa taille déborde les limites normales: il s’agit d’une valeur relative, destinée à comparer les sujets de petite et de grande taille.
Les dimensions les plus usuelles sont la taille, ou stature (fig. 1), le poids, les longueurs des membres et les six dimensions céphalo-faciales: longueurs et largeurs de la tête, de la face et du nez (fig. 2). Les deuxième et troisième mesures sont souvent rapportées à la taille, les suivantes groupées deux à deux fournissent les classiques indices: céphalique, facial et nasal.
Alors que les caractères descriptifs s’étudient au moyen de leurs pourcentages, les valeurs individuelles des mesures et indices permettent des calculs de moyennes et d’écarts types; à l’aide de ceux-ci, on apprécie dans quelle mesure deux populations diffèrent l’une de l’autre pour tel ou tel caractère. On cherche également les corrélations des mesures entre elles, ou avec les caractères descriptifs, ou avec les éléments du milieu (profession, climat, consanguinité).
La stature est une dimension composite, car c’est la somme des hauteurs de la tête, du cou, du tronc et des membres inférieurs. Elle présente de grandes variations raciales, sexuelles et socioprofessionnelles; sa sensibilité aux influences extérieures et la facilité de sa mesure en font un caractère anthropologique de choix.
La stature varie avec l’âge: elle atteint son maximum vers 25 ans, puis décroît avec la sénescence, surtout par diminution de hauteur du tronc. Elle ne varie pas seulement d’une population à l’autre, mais aussi suivant le groupe social à l’intérieur d’une même population: toujours en moyenne, les citadins sont plus grands que les ruraux, les étudiants sont plus grands que les ouvriers. La stature de la femme est inférieure à celle de l’homme, de 10 cm en moyenne.
La consanguinité réduit la stature; au contraire, la taille augmente parfois en cas de croisements entre populations différentes (phénomène d’hétérosis); elle est également plus élevée chez les sujets qui émigrent et même dans la population mobile d’un pays (par opposition aux sédentaires).
Enfin la stature peut varier de génération en génération: c’est l’accroissement séculaire, ou évolution diachronique, surtout manifeste depuis un siècle en Europe. On l’explique par les modifications du genre de vie et l’extension des cercles de mariage: disparition de la consanguinité et unions entre sujets de provinces différentes (métissage interne). Bref, l’accroissement de stature accompagnerait le développement des moyens de communication et l’urbanisation.
L’étude de jumeaux a montré que la stature est un caractère foncièrement héréditaire, bien que les longueurs du tronc et des membres inférieurs soient génétiquement indépendantes.
La longueur des membres inférieurs s’étudie soit directement, soit indirectement par mesure de la «taille assis». Elle permet de savoir si un sujet a le tronc relativement court ou long. Les longueurs des os des membres permettent d’estimer la stature d’un individu, car elles présentent des corrélations importantes et bien connues: ainsi peut-on estimer la taille d’un sujet dont on ne possède pas le squelette entier, et connaître approximativement la taille moyenne d’une population préhistorique.
Enfin les peuples qui vivent dans des pays chauds et secs ont, par adaptation, des membres relativement plus allongés (loi d’Allen) et, inversement, dans les régions froides, une forme plus ramassée permet une moindre déperdition de chaleur corporelle.
L’indice céphalique est le rapport entre la largeur et la longueur de la tête; il traduit donc la forme de la boîte crânienne, vue par-dessus; la hauteur de la tête est plus difficile à mesurer sur le vivant. Les sujets à tête allongée sont dits dolichocéphales, ceux à tête arrondie brachycéphales (avec des intermédiaires mésocéphales). Mais les valeurs absolues ne sont pas prises en considération et des dolichocéphales peuvent différer considérablement, selon qu’ils ont une tête petite ou grosse, avec un même indice céphalique. Il faut donc bien distinguer la forme du format (shape and size ).
L’expérience a montré l’importance de l’indice céphalique en anthropologie; tout d’abord on peut l’étudier aussi bien sur le vivant que sur le squelette; ensuite, il est un des principaux caractères dont on dispose chez les hommes fossiles ou protohistoriques; enfin et surtout, il varie largement à l’intérieur de chaque grande race et permet ainsi d’en distinguer les diverses populations: chez les Blancs, les Noirs et les Jaunes, il existe des groupes dolichocéphales et des groupes brachycéphales.
Comme la stature, l’indice céphalique présente un accroissement séculaire, mais remontant à l’époque préhistorique: c’est le phénomène de la brachycéphalisation progressive, qui a débuté au Mésolithique. On l’explique par transformation de certains dolichocéphales, sous des influences mystérieuses, qui pourraient être une mortalité très légèrement moindre des sujets brachycéphales, car la forme de la tête peut être associée, par hasard, à une plus grande résistance envers les maladies. Il s’agirait là d’un mécanisme de sélection naturelle analogue à la fécondité différentielle. Mais depuis quelques décennies on assiste à une diminution de l’indice, à une «débrachycéphalisation», qui est l’objet d’études actuelles.
L’indice nasal traduit la largeur relative du nez par rapport à sa hauteur. C’est un des caractères distinctifs des grandes «races»: les Noirs ont le nez large, les Jaunes l’ont intermédiaire, les Blancs l’ont plus étroit. La saillie du nez varie dans le même sens, mais sa mesure est moins facile, tout comme celle de l’avancée du massif facial (prognathisme). L’élargissement du nez est un caractère adaptatif en corrélation avec le climat chaud et humide; on considère qu’une pression de sélection a peu à peu ajusté la forme du nez à l’habitat des populations (fig. 3).
D’autres caractères squelettiques sont également très importants: la capacité crânienne, le torus sus-orbitaire, le développement du menton, le volume et les proportions des dents; ils seront envisagés à propos de la paléontologie humaine.
3. Problèmes
Les techniques et méthodes énumérées ci-dessus visent à étudier les groupes humains et à en analyser la variation. Suivant l’optique du chercheur, on envisagera des problèmes de «races», de «types», de croissance et d’adaptation, les questions relatives à la phylogenèse humaine se rattachant plutôt à la paléontologie et à la préhistoire.
Anthropologie raciale
Le concept de «race» est discuté. Les classifications raciales sont nombreuses et contradictoires, leur seul point commun étant la reconnaissance de trois races, correspondant aux Noirs, aux Jaunes et aux Blancs. La question est de savoir si les nombreux groupes intermédiaires (non métis) permettent une taxonomie humaine, et de déterminer laquelle est la plus fondée. La mise en ordre préalable des faits avec les coupures conventionnelles qu’elle implique est certes une nécessité de l’esprit, mais certains estiment que la rigidité des cadres établis de cette manière entrave la recherche et cantonne trop souvent l’anthropologie à une détermination des races, ce qui masque les vrais problèmes.
Une population étudiée par un anthropologiste est presque toujours étiquetée comme appartenant à telle race, suivant telle classification. Pour ce faire, on n’utilise jamais une seule particularité (par exemple la couleur de la peau), mais un ensemble de caractères anthropologiques (morphologiques ou sérologiques). Si l’étude porte, non plus sur une seule, mais sur plusieurs populations, on recherche quelles sont les plus proches (par des calculs de «distance globale»). Si l’une de ces populations diverge nettement des autres, ou bien au contraire si elle est intermédiaire entre deux, on recherchera sous quelles influences: le milieu extérieur, le genre de vie, le métissage ou inversement l’émigration.
L’étude des groupes sanguins prend une importance majeure, bien que non exclusive. Les sérologistes ont été les premiers à faire remarquer que des populations primitives peuvent avoir les mêmes proportions de groupes sanguins ABO que des Européens. La même observation peut être faite d’ailleurs pour la stature, l’indice céphalique, parfois même pour la couleur de la peau. À l’inverse, lorsqu’on a trouvé un caractère discriminant entre deux populations, il est fréquent qu’on en mette d’autres en évidence: ce seront d’autres systèmes de groupes sanguins, ou encore, si la pigmentation cutanée diffère, d’autres particularités morphologiques. Encore une fois, on retient ce qui sépare plutôt que ce qui est commun, et l’on utilise la moyenne de ces différences pour exprimer la «distance» entre deux populations.
Un cas plus difficile est fourni par des restes osseux (par exemple à la suite de l’exhumation d’un cimetière ancien). On cherche alors l’appartenance à une race connue de l’époque donnée (Néolithique ou Moyen Âge, etc.). Il arrive même que ces restes soient fragmentaires et si peu nombreux qu’on ne puisse conclure: le travail de l’anthropologiste consiste à déterminer le sexe et l’âge, à faire une description des pièces trouvées, qui sera jointe ensuite à d’autres effectuées dans les mêmes conditions.
Certains auteurs, surtout en anthropologie préhistorique, utilisent le «concept typologique des races». Les fondements en sont les suivants: on décrit les types extrêmes, parfois de façon très conventionnelle, voire irréelle, en exagérant leurs caractéristiques pour qu’ils soient plus «typiques»; ensuite on admet un lien entre ces caractères (par exemple: nez large, peau noire et cheveux crépus chez les Noirs). Cette conception se pratique soit à l’échelon individuel, soit à celui des groupes et vise à déterminer les «composantes raciales». La typologie individuelle la plus connue est celle du Suisse Schlaginhauffen.
L’autre méthode, due aux Polonais Czekanowski et Wanke, permet d’établir les composantes d’un groupe en appliquant des formules simples.
Anthropologie constitutionnelle
Il s’agit encore de types, mais considérés à l’intérieur d’un même groupe. Le plus souvent ils se basent sur les proportions du corps et non de la tête (celle-ci rassemble surtout les caractères de race). Chez les animaux domestiques au contraire, les types structuraux ou morphologiques correspondent à des races (par exemple: lévriers et bouledogues).
Chez l’homme, les types morphologiques sont aussi nombreux que les types raciaux, car ils dépendent aussi des conventions d’auteurs. Ils se ramènent en pratique à deux principaux: le type robuste (bréviligne) et le type grêle (longiligne); il ne s’agit pas d’une simple distinction entre gros et maigres, car c’est la musculature et la charpente osseuse qu’on prend surtout en considération, par des mensurations ou des observations appropriées.
Mais le point intéressant est la corrélation certaine qui existe entre type morphologique, caractère et prédisposition à certaines maladies. Cette typologie concerne bien alors la «constitution globale» du sujet et mérite le nom de biotypologie . Il existe ainsi des types non plus seulement morphologiques, mais somato-psychiques, établis par des psychiatres (écoles de Kretschmer, de Sheldon, etc.).
Anthropologie et croissance; anthropologie appliquée
Les mensurations anthropologiques sont souvent utilisées concurremment aux techniques biométriques pour résoudre certains problèmes. Celui de la croissance en est un exemple banal, encore qu’il faille distinguer la croissance globale de celle des parties du corps et les relations entre les types de croissance: à certains âges, tel segment croît plus rapidement qu’un autre. La différence de taille entre hommes et femmes se rattache à une puberté féminine plus précoce, avec arrêt de la croissance. Les amplitudes normales de variation sont de grande importance pour les pédiatres.
De même l’anthropométrie est utilisée à des fins pratiques dans l’anthropologie appliquée à l’industrie: ces techniques permettent de déterminer quelles dimensions doivent avoir une table ou un lit, quelles sont les tailles des vêtements les plus demandées, quelle est l’amplitude de tel mouvement du corps et à quelle distance de l’ouvrier on doit placer tel instrument, etc.
Origines des populations humaines
Le plus difficile pour l’anthropologie est d’en arriver à l’interprétation et à l’explication des variations humaines. Deux problèmes ont été plus spécialement étudiés: l’accroissement séculaire de stature et la brachycéphalisation. Mais toutes les grandes caractéristiques biologiques de l’homme devraient être envisagées sous un angle explicatif: pourquoi tel groupe sanguin prédomine-t-il dans telle population? pourquoi les Pygmées sont-ils plus petits? pourquoi les Noirs ont-ils la peau plus foncée? pourquoi les hommes du Néolithique ont-ils succédé à ceux du Paléolithique et du Mésolithique?
Il existe deux sortes d’explications: tantôt on fait appel à des phénomènes purement génétiques, tantôt à l’action du milieu. Il pourra s’agir ainsi de mutation fortuite, ou de fécondité différentielle, ou de dérive génétique dans un isolat, d’un croisement de populations, ou bien de l’importance de l’influence du milieu géographique ou humain par adaptation.
C’est ainsi qu’on étudie l’«adaptabilité humaine» aux climats (très chauds ou très froids), à l’altitude, aux déserts, au mode de vie (rural ou urbain en Europe, chasse, agriculture ou élevage ailleurs, système des castes parfois), à la profession, etc. Pour simplifier les problèmes, on n’envisage d’ordinaire qu’un caractère en des circonstances variées, à moins qu’on n’étudie l’effet d’un milieu sur plusieurs caractères. On admet qu’il y a dans la majorité des cas influence directe du milieu sur l’homme; bien entendu, on n’oubliera pas qu’une population peut s’être déplacée mais que c’est le milieu d’origine qui peut seul expliquer les caractéristiques de cette population migrante, voire le fait d’avoir émigré.
Les anthropologistes qui étudient ces problèmes généraux s’efforcent d’étendre l’application de leurs méthodes aux hommes fossiles, pour expliquer l’évolution humaine; ils tendent bien entendu à négliger les classifications raciales, puisque les différences observées entre groupes humains peuvent s’expliquer par des processus de mutationsélection et plus simplement par l’influence du milieu.
Le but final est de savoir pourquoi l’Homme est ce qu’il est. Et ce qui reste actuellement inexplicable sera sans doute un jour expliqué.
Encyclopédie Universelle. 2012.