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HASARD
HASARD

Le hasard, que le calcul des probabilités a permis de maîtriser partiellement, apparaît d’abord comme un caractère fondamental de l’existence. Dans la mesure où l’incertitude enveloppe l’idée de risque, on a tenté de la réduire, dans le domaine philosophique, en cherchant à lui assigner une origine, et, sur le plan pratique et affectif, en inventant des rites et des mythes qui tempèrent l’inquiétude engendrée par les aléas.

Le hasard désigne d’abord l’imprévisibilité de la vie, ce que les philosophes ont appelé la contingence du futur. Celle-ci a été imputée à trois sources: la nature, les hommes, les dieux (ou Dieu). On peut d’abord imaginer que les hasards de la vie résultent de la variabilité des phénomènes de la nature. On a aussi soutenu que les hommes engendrent eux-mêmes les hasards dont témoigne leur histoire, soit qu’ils agissent en étant poussés par des passions qu’ils ignorent ou ne contrôlent pas, soit qu’ils restent libres et par là partiellement indéterminés à l’égard des conditions qui leur sont faites. Ces deux interprétations du hasard qui placent sa source en l’homme sont tout à fait différentes; la première est psychologique, la seconde morale.

Enfin, mythes et religions associent les incertitudes de la destinée humaine à des interventions surnaturelles. Il est impossible d’énumérer les formes que prend cette imputation du hasard à un ou à plusieurs êtres transcendants, mais elle est présente dans bien des croyances humaines.

Les méditations religieuses, morales, juridiques et philosophiques sur la contingence ont constitué un immense effort spéculatif qui a précédé et, dans une certaine mesure, préparé la conceptualisation moderne du hasard.

1. La fonction réductrice des rites et des maximes

L’expérience révèle que, si le danger exalte parfois, l’incertitude peut produire un sentiment d’insécurité, et même d’inquiétude ou d’angoisse. Cette peur suscite le désir de connaître la nature des risques qu’il faut affronter; elle engendre également des rites et des mythes qui réduisent, sinon les aléas objectifs, du moins l’impression désagréable qu’ils provoquent. Bien plus, comme Descartes l’a montré dans le Discours de la méthode , une attitude résolue n’a pas seulement une utilité subjective, mais une portée objective: «Ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais... Imitant en ceci les voyageurs qui, se trouvant égarés en quelque forêt, ne doivent pas errer en tournoyant tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, ni encore moins s’arrêter en une place, mais marcher toujours le plus droit qu’ils peuvent vers un même côté... encore que ce n’était au commencement que le hasard qui les ait déterminés à le choisir.» Ce texte de 1637 introduit deux notions, appelées à jouer un rôle capital dans la mathématisation du hasard: il faut éliminer le hasard lié à l’irrésolution; choisir «au hasard» est dans certains cas une conduite raisonnable (ce que Nicolas Bernoulli et Waldegrave établirent par le calcul en 1712).

Quant au hasard, entendu comme intervention surnaturelle dans les affaires humaines, sa «réduction» s’est opérée en plusieurs temps, par l’élimination de la fatalité antique dans le christianisme, par l’idée d’une Nature soumise aux lois de la Raison divine qui a créé toutes choses avec ordre – omnia creavit in pondere, et numero et mensura –, par la critique de la notion de miracle, etc.

Parallèlement à l’analyse philosophique de la contingence et à l’action réductrice des mythes, les rites, et plus encore les maximes pratiques, tendent donc, sinon à supprimer, du moins à contenir les hasards. En schématisant à l’extrême, on peut dire que ces tentatives si diverses ont eu pour effet d’éliminer le hasard surnaturel, de limiter le hasard subjectif lié aux passions, et de situer le hasard «positif» soit dans les états du monde (naturel ou social), soit dans la relation entre l’homme et le monde. Elles ont ainsi ouvert la voie à une conceptualisation mathématique du problème.

2. Les sens du mot hasard

Le terme de hasard s’emploie pour désigner soit des relations logiques entre des éventualités abstraites, soit des relations observables entre des phénomènes concrets. Dans le premier cas, on parle plus volontiers de probabilité mathématique, dans le second de hasard. Comme certains dispositifs (jeux de dés, de pile ou face, tirage d’une loterie, etc.) produisent des événements aléatoires qui se conforment au calcul a priori des probabilités, on confond parfois les jugements mathématiques de probabilité, qui portent sur des éventualités abstraites, et les jugements empiriques, où l’on recourt au calcul des probabilités pour spécifier certaines relations entre des classes d’événements concrets. Toutefois, en matière de hasard, on ne peut pas plus passer, par une inférence logique, d’un jugement mathématique à un jugement d’expérience, qu’on ne peut passer d’un certain nombre d’axiomes abstraits à la mécanique ou à l’optique géométrique.

Imprévisibilité et mathématisation

La distinction précédente entre concept mathématique et notion empirique d’aléa fournit un premier sens du mot hasard: on dira que des événements se produisent par hasard, quand le calcul a priori des probabilités permet de spécifier leurs chances respectives d’apparition. Pour que cette application des probabilités à des événements réels soit possible, il faut que l’on puisse adapter à des cas concrets des notions comme «indépendance des événements», «égalité des chances», etc. C’est ce qui se produit dans les jeux de hasard, comme ceux de pile ou face, des dés ou de la roulette. Ainsi, on posera que «pile» et «face» sont deux éventualités équiprobables ou égales, et que deux coups successifs sont indépendants, si le résultat de l’un n’a pas d’influence sur celui de l’autre. Cette affirmation n’est pas toujours évidente du point de vue subjectif, comme le montre l’attitude des joueurs qui, après une série de «pile», croient plus probable la venue d’un «face»; leur illusion provient de ce qu’ils assimilent ce jeu, sans s’en rendre compte, aux tirages de boules rouges ou noires, dans une urne qui en contiendrait initialement un nombre égal pour chaque catégorie et où l’on ne remettrait pas au fur et à mesure les boules tirées.

Le hasard ainsi entendu est en général produit par des dispositifs artificiels, dont la construction et le fonctionnement obéissent à des lois mécaniques ou causales rigoureuses: ainsi, personne ne met en doute que si le croupier, à la roulette, pouvait répéter identiquement son geste, les mêmes causes produisant les mêmes effets, on pourrait prévoir le résultat. Mais cette identité des conditions initiales de l’action n’étant pas réalisée, la cause, c’est-à-dire le geste de la main, varie d’un coup à un autre, rendant imprévisible le résultat.

Cet exemple simple illustre deux caractères fondamentaux du hasard: il possède certaines propriétés mathématisables, il a un côté imprévisible. Ce second trait est à l’origine des difficultés considérables que soulève l’imitation du hasard par des procédures mathématiques: si, en effet, on pouvait, par un procédé arithmétique, construire une suite de nombres aléatoires, celle-ci satisferait à un certain nombre de tests statistiques et mériterait à cet égard d’être appelée suite aléatoire; toutefois, elle ne posséderait pas la seconde propriété essentielle du hasard, son imprévisibilité, puisque celui qui connaîtrait la règle de production des éléments de cette suite pourrait la reconstituer.

Dans la pratique, les statisticiens utilisent souvent des tables de nombres aléatoires qui représentent un hasard artificiel, mais ils n’ignorent pas qu’il y a entre le hasard imité et le hasard à l’état sauvage la même différence qu’entre un automate et un être vivant.

Disproportion de la cause et de l’effet

En un autre sens, on parle de hasard à propos d’«événements soudains qui s’écartent d’une fréquence habituelle» (A. J. Ayer): mutations, dans le règne végétal et animal, enchaînements en boule de neige d’événements historiques, où les suites paraissent disproportionnées ou même sans rapport avec les commencements. Pascal en donne l’exemple suivant: «Cromwell allait ravager toute la chrétienté; la famille royale était perdue et la sienne à jamais puissante, sans un petit grain de sable qui se mit dans son uretère. Rome même allait trembler sous lui; mais ce petit gravier s’étant mis là, il est mort, sa famille abaissée, et le roi rétabli» (Pensées 194). De la même manière, dans les organismes, une légère perturbation dans la composition ou dans la transmission d’un message chimique risquera de provoquer une altération durable.

Le hasard, dans ces deux exemples historique et biologique, n’est pas l’absence de cause, mais le contraste entre une cause qui paraît minime et ses effets qui semblent considérables. Or, on croit, ce qui est relativement clair en mécanique, à «l’égalité de la cause pleine et de l’effet entier» (Leibniz) et, quand on parle de hasard ou de malchance à propos de certaines maladies ou de certains accidents, c’est que la disproportion entre des événements et leurs conséquences heurte une certaine idée de l’égalité ou de la justice. Le hasard est alors l’injustice ou la violation d’une égalité, tantôt heureuse, tantôt malheureuse. En fait, le hasard ainsi entendu provient de ce que l’univers n’a pas la simplicité d’un mécanisme où l’on peut proportionner les effets aux causes, mais la complexité d’un ensemble de petits mondes, en partie fermés, en partie agissant les uns sur les autres. Ainsi, dans l’ordre biologique, une altération chimique très faible d’une suite de bases formant un message génétique pourra avoir des conséquences organiques importantes, justement parce qu’en passant de l’ordre physique à l’ordre biologique, cet événement chimique change de sens et de portée, sans qu’on puisse toujours prévoir ce changement d’orere, ce débordement du chimique dans l’organique, de même que dans le cas de Cromwell, il y a empiétement de l’organique sur l’historique. Le hasard signifie donc ici une interaction imprévisible, parce qu’inhabituelle, entre des ordres de phénomènes qualitativement distincts et généralement autonomes.

Suites imprévues d’une action

De ce sens, on passe sans difficulté à celui du hasard comme désignant les suites imprévisibles d’une action. Certaines classes d’actions de ce genre ont été décrites par Jean-Paul Sartre (Critique de la raison dialectique ) sous le nom de contre-finalités: c’est ainsi que des défrichements inconsidérés de forêts en vue d’augmenter les ressources agricoles provoquent une érosion rapide et désastreuse du sol, une détérioration du climat, une altération du régime des pluies. Le hasard désigne alors l’effet non prévu et non voulu d’une action, le décalage entre le but poursuivi et le résultat effectif, qui reflète la complexité des lois de la nature et des enchaînements de causes et d’effets. Le hasard découle de ce que le cadre de nos actions n’est pas un système clos. Il pourrait s’éliminer si la science nous permettait de prévoir toutes leurs conséquences, ou si nous n’étions pas affrontés et liés aux projets imprévisibles des autres. Ces deux conditions ne peuvent évidemment pas être satisfaites et donc le hasard est irréductible.

La théorie de Cournot

Antoine Augustin Cournot (1801-1877) a synthétisé les deux sens précédents du mot hasard en remarquant que le caractère fortuit de certains événements découle de ce que leurs causes antécédentes étaient indépendantes, alors que leurs effets brusquement se mêlent. «Une infinité de séries partielles, écrit-il, peuvent coexister dans le temps: elles peuvent se croiser, de manière qu’un même événement, à la production duquel plusieurs événements ont concouru, tienne en qualité d’effet à plusieurs séries distinctes de causes génératrices.» On pourrait dire, en recourant à une image que Cournot utilise lui-même, que l’événement fortuit est issu du mélange de deux lignées héréditaires distinctes. Le postulat sur lequel repose cette définition du hasard est qu’il existe des séries causales indépendantes, qui, à un moment donné, s’associent pour produire un événement dont les caractères sont nouveaux et non dérivables de l’observation séparée de chaque lignée: «Le bon sens dit qu’il y a des séries solidaires, ou qui s’influencent les unes les autres, et des séries indépendantes.» Pour Cournot, si la nature comporte du fortuit, c’est que «les phénomènes naturels, enchaînés les uns aux autres, forment un réseau dont toutes les parties adhèrent entre elles, mais non de la même manière, ni au même degré». La réalité ne constitue «ni [...] un système doué d’une rigidité absolue et qui, pour ainsi dire, ne serait capable de se mouvoir que tout d’une pièce [...], ni un tout dont chaque partie serait capable de se mouvoir en tous sens avec une indépendance absolue». Le hasard pour Cournot vient de ce que les «petits mondes» dont est fait l’univers peuvent rester longtemps sans contact puis, à un moment donné, interférer.

Dans toutes les définitions précédentes du hasard, on postule que les événements aléatoires ont une certaine individualité. Or en physique, en biologie ou dans les sciences sociales, on s’intéresse aux propriétés que manifeste une proportion donnée d’une population ou d’un ensemble, en sachant qu’on ne peut pas dire pourquoi tel «individu» possède la propriété en question plutôt que tel autre. Le hasard désigne alors le fait qu’un pourcentage d’éléments d’un ensemble a telle propriété et que le «hasard» fait qu’un tel la possède et non tel autre.

3. Le hasard est-il objectif ou subjectif?

Si l’accord est réalisé entre les mathématiciens au sujet du calcul des probabilités, il n’en va pas de même de l’interprétation du hasard: est-il une propriété des relations entre les choses ou de notre relation avec les choses? Mesure-t-il des aléas et des fréquences observables dans la nature ou l’état de notre savoir et de nos croyances à l’égard des événements ou des phénomènes? Bref, est-il «dans» les choses ou «dans» les jugements humains sur les choses? Ces questions ont fait l’objet de nombreuses controverses. Pour les démêler, il faut distinguer deux notions, tout à fait indépendantes, mais que leur dénomination conduit à confondre: le hasard, au sens de la probabilité mathématique a priori, qui relève des mathématiques abstraites et constitue un chapitre de la théorie de la mesure; et le hasard, entendu au sens empirique, qui désigne des aléas de la nature ou la vraisemblance d’hypothèses ou d’arguments. Le hasard, dans le premier cas, n’est sûrement pas «dans» les choses, il est même par définition indépendant d’elles. Dans le second cas, l’usage de la notion devient à la fois empirique et équivoque. Dans les jeux de hasard, les aléas sont déterminés, on peut leur appliquer les notions abstraites d’équivalence et d’indépendance des coups successifs, etc. En jugeant qu’il est «certain» que telle roue de loterie est loyale, ou que tel dé n’est pas pipé, on affirme qu’il reflète, sur une longue série, la loi a priori des grands nombres et ainsi, on en vient à égaler la probabilité à une fréquence relative. En effet, l’interprétation objective ou fréquentielle du hasard mathématisé consiste ici à déclarer que tel dispositif matériel (loterie, dés, pièce de monnaie) est un bon modèle concret, quand on l’utilise dans certaines conditions, de la loi a priori des grands nombres. De cette façon on infère, inductivement, que P 力 fréquence relative. Cette manière de faire est tout à fait légitime, à condition de ne pas chercher ensuite à vouloir fonder l’interprétation fréquentielle du hasard sur des exemples empiriques, car on tomberait dans un cercle logique, que les partisans de l’interprétation subjective des probabilités n’ont pas manqué de signaler. En effet, on ne peut pas dire: je crois que telle roue de loterie illustre la loi des grands nombres, puis fonder l’usage empirique de cette loi sur l’observation de la même roue. Ce serait confondre la confirmation d’une hypothèse par des exemples et le fondement d’une théorie sur des axiomes.

Calcul des fréquences et vraisemblance d’une éventualité

Cet état de choses a conduit certains logiciens à affirmer que l’interprétation objective ou fréquentielle du hasard reposait sur un jugement subjectif de probabilité, qu’on pourrait, dans l’exemple de la loterie, formuler ainsi: je suis sûr que telle roue de loterie n’est pas truquée et que, sur une longue série, la probabilité de ses tirages se ramène à une fréquence relative.

Mais le hasard, dont on illustre les propriétés mathématiques par des jeux comme les dés, pile ou face, la loterie, ne s’applique qu’à des situations assez limitées, comportant des éventualités bien définies, des coups indépendants et de longues séries. Or les aléas affectent autant les événements singuliers que les phénomènes répétables, surtout quand il faut prendre une décision en face de l’incertain.

Ainsi naît l’idée d’une mathématisation du hasard qui ne consisterait pas à associer une mesure à la fréquence relative de tel événement dans une longue série, mais à la vraisemblance d’une hypothèse ou d’un jugement unique. Aristote a très clairement exposé cet aspect du hasard dans un exemple célèbre de son De interpretatione . À propos de la contingence du futur, il écrit: «Nécessairement il y aura une bataille navale demain ou il n’y en aura pas: mais il n’est pas nécessaire qu’il y ait une bataille navale, pas plus qu’il n’est nécessaire qu’il n’y en ait pas.» Le premier membre de la phrase énonce que, si l’on a énuméré complètement les événements futurs concevables qui nous importent, il est logiquement nécessaire qu’une des éventualités ait lieu. La seconde partie de la phrase introduit la notion de vraisemblance des éventualités. Aristote laisse entendre que les deux termes de l’alternative considérée étant mutuellement exclusifs, la vraisemblance de l’un est complémentaire de celle de l’autre, ce qui constitue une formulation de l’axiome d’addition des probabilités subjectives: Prob (bataille navale) + Prob (non-bataille navale) = 1. Si l’on choisit un certain nombre d’exigences assez simples, qui généralisent l’axiome d’addition d’Aristote, on montre que les vraisemblances se prêtent à un calcul dont les règles sont les mêmes que celles du calcul a priori des probabilités.

L’interprétation subjective de la probabilité

Considérant ces aspects du hasard, certains logiciens (Rudolf Carnap, Nagel, Hans Reichenbach...) ont conclu que le calcul a priori des probabilités avait deux applications empiriques distinctes: les événements répétables, dont on peut définir la fréquence relative; et les jugements de probabilité, qui consistent à évaluer la vraisemblance d’un événement singulier, ou plutôt d’une hypothèse que l’on forme sur sa production. C’est ce dédoublement des usages empiriques du mot hasard que refusent les partisans de l’interprétation subjective des probabilités (F. P. Ramsey, B. de Finetti, J. L. Savage, notamment). Ils ne contestent pas l’existence de dispositifs dont le fonctionnement, à long terme, se conforme à la loi des grands nombres, ce qui permet d’égaler une probabilité à une fréquence relative, mais ils donnent à la mathématisation du hasard ou de l’incertitude une extension plus grande, en remarquant que, dans les décisions, nous sommes confrontés à des événements singuliers dont la production est incertaine, et dont cependant nous souhaitons évaluer numériquement les chances d’apparition. Mathématiser le hasard consiste alors à mesurer le degré de vraisemblance d’un événement ou plutôt de l’hypothèse suivant laquelle cet événement se produirait (ou serait vrai). Cette conception très générale s’applique bien entendu aux problèmes dont traite l’interprétation fréquentielle du hasard, puisqu’elle se présente alors, dans les cas les plus simples, sous la forme suivante: j’attribue la vraisemblance 1 (certitude) à l’hypothèse suivant laquelle, dans tel jeu, la fréquence relative de telle éventualité deviendra égale, sur une longue série, à sa probabilité mathématique.

Cette situation simple est assez rare et plus généralement je n’ai pas la certitude que telle hypothèse soit vraie, si bien que l’incertitude que j’éprouve est le mélange complexe d’une probabilité au sens de fréquence et d’une probabilité au sens de vraisemblance. Un exemple très simple le fera comprendre. Imaginons qu’un automobiliste reçoive successivement dix contraventions pour stationnement illégal, uniquement le lundi ou le jeudi. Il se demande si cette cascade de procès-verbaux est due au hasard ou à l’existence de rondes de police plus nombreuses ces jours-là. Pour évaluer la vraisemblance de ces deux hypothèses (H0 = les procès-verbaux sont donnés par hasard le lundi ou le jeudi et H1 = la police est plus active ces deux jours-là), l’automobiliste va imaginer une fiction mathématique, selon laquelle probabilité et fréquence sont égales (les contraventions ont une chance égale d’être données n’importe quel jour, les contraventions successives sont indépendantes, etc.). On peut alors écrire que la probabilité d’avoir dix contraventions un lundi ou un jeudi est de (2/7)10. Il s’agit là d’une mesure a priori, qui traduit simplement une fiction mathématique utilisée comme hypothèse auxiliaire. Le nombre ainsi trouvé étant très faible, on convient de dire que la vraisemblance pour que ces contraventions soient données par hasard le lundi et le jeudi est très faible, en décidant de prendre pour mesure de cette vraisemblance la probabilité mathématique. On voit par là que les degrés de vraisemblance ne deviennent mesurables que par l’appel à une fiction fondée sur le calcul a priori des probabilités. Il n’y a donc aucun mystère dans l’idée d’une probabilité subjective mesurant le degré d’incertitude ou le hasard d’événements singuliers, puisque la probabilité subjective est liée par des règles sémantiques claires, dont on vient de donner un aperçu, au calcul a priori des probabilités.

Ainsi, le mot de hasard prend une acception plus générale quand on l’associe à des jugements sur les faits que lorsqu’il se rapporte aux faits eux-mêmes; cette dualité de sens ne pose pas trop de problèmes, si du moins on établit quelles classes de faits se prêtent au calcul a priori des probabilités dans son sens fréquentiel.

4. Le hasard et la stratégie

La théorie des jeux

Jusqu’ici, le hasard est apparu comme étroitement lié aux aléas extérieurs, qu’on peut ranger, schématiquement, en deux classes: l’incertitude relative aux événements naturels ou non intentionnels et l’incertitude qui résulte de l’impossibilité de prévoir la conduite d’autrui. Les jeux fournissent une illustration très simple de ces deux cas: dans une loterie, le résultat dépend du mouvement d’une roue, dont on ne peut prévoir quand elle s’arrêtera; dans un jeu de société, le résultat dépend de ce que font les joueurs. Prenons les jeux de stratégie les plus simples, où il n’y a que deux joueurs, où les gains de l’un égalent en valeur absolue les pertes de l’autre et où chaque joueur dispose d’un nombre fini de tactiques élémentaires. On peut symboliser les résultats de tels jeux, qu’on appelle jeux à deux personnes et à somme nulle, ou encore duels, au moyen d’une matrice de paiements. Si chacun des joueurs n’a le choix qu’entre deux tactiques, on écrira dans les cases du carré les gains du premier, les pertes du second étant égales et de sens contraire. Au début du XVIIIe siècle, des mathématiciens comme Montmort, Waldegrave et Bernoulli commencèrent à s’intéresser à la logique de ces jeux, c’est-à-dire aux calculs auxquels chacun des joueurs devait se livrer pour optimiser son gain ou réduire ses pertes. Ils remarquèrent, ce que tous les joueurs savent, qu’il fallait observer simultanément deux règles: deviner l’adversaire et rester imprévisible à ses yeux. Or, pour ne pas être deviné par l’adversaire, le plus sûr moyen est de jouer au hasard, c’est-à-dire en tirant au sort le choix de ses tactiques élémentaires. L’analyse des jeux de société ou de stratégie conduisait donc à ne plus considérer le hasard comme un ennemi de la rationalité, dont il convient de réduire l’importance, mais comme l’allié de la raison, quand il faut décider en face d’un adversaire intelligent. Ce problème fut clairement formulé au début du XVIIIe siècle, il fut même traité mathématiquement sur un cas particulier par Waldegrave en 1712, mais il fallut attendre les années 1920-1930 (travaux d’Émile Borel et surtout de Johann von Neumann) pour que le théorème général de l’équilibre dans le duel fût démontré. Ce théorème aboutit à un résultat remarquable: il montre que, dans les jeux à deux personnes et à somme nulle, il est possible en droit de substituer à la ruse, c’est-à-dire à la tentative pour deviner psychologiquement ce que va faire l’adversaire tout en le trompant sur ses propres intentions, un calcul mathématique qui indique selon quelles proportions mélanger au hasard ses tactiques élémentaires. Le hasard mathématisé devient alors un élément fondamental du calcul stratégique. Bien plus, le théorème du minimax montre que le joueur qui a calculé sa stratégie mixte optimale (le meilleur mélange de ses tactiques élémentaires tirées au hasard) s’affranchit du même coup des aléas extérieurs, en ce sens qu’il détermine cette stratégie optimale de telle façon qu’il n’a plus besoin de se régler sur les choix de son adversaire et de varier ses tactiques en l’observant.

Le théorème du minimax

Un exemple fera comprendre ces affirmations qui peuvent sembler obscures ou paradoxales. Soient deux joueurs, Pierre et Paul, qui disposent de deux tactiques élémentaires. Comme il s’agit d’un duel, que les gains de Pierre sont égaux aux pertes de Paul et de sens contraire, on peut représenter les résultats du jeu, pour chaque combinaison de tactiques, par la matrice des gains de Pierre (cf. figure).
Le tableau carré signifie que si Pierre, par exemple, choisit la tactique 1 et Paul la tactique 2, les gains du premier seront de 6 et les pertes du second 漣 6.

On voit bien que, dans l’exemple choisi, ni Pierre ni Paul ne peuvent se tenir fermement à une tactique. En effet, si Pierre utilise 2, Paul va choisir 2 pour réduire les gains de Pierre. Celui-ci va riposter au choix de Paul en adoptant 1, pour gagner 6. Voyant cela, Paul retourne à la tactique 1, qui ne donnera à Pierre qu’un gain de 1, et ainsi de suite. On exprime cet état de choses en disant que le jeu n’a pas de point d’équilibre.

On va chercher alors si un mélange judicieux des deux tactiques élémentaires n’améliorerait pas les espérances de gain de chacun des joueurs. Autrement dit, on substitue au jeu primitif, qu’on était censé jouer en un coup, un jeu nouveau qui comporte en droit un nombre infini de parties. Cette fiction permet, en le transformant, de résoudre le problème: quelle est la stratégie optimale de chacun des joueurs? L’idée directrice qui mène à la solution est la suivante: chaque joueur, voulant éviter d’être deviné par son adversaire, va tirer au sort le choix de ses tactiques, dont l’adoption produit, dans le jeu ainsi transformé, un équilibre. Le théorème de von Neumann montre qu’un tel équilibre existe et indique comment le calculer. Quand il est réalisé, chacun des adversaires a trouvé la meilleure façon pour lui de maximiser son espérance de gain ou de minimiser ses risques de perte. Une stratégie mixte se présente alors comme le choix des probabilités ou des fréquences selon lesquelles chacun des joueurs adopte ses tactiques élémentaires. La stratégie apparaît alors non plus seulement comme l’art de varier ses tactiques, mais comme le calcul de leurs variations.

Mais, objectera-t-on, vous ne résolvez pas le problème initial, vous avez transformé le jeu primitif en un nouveau jeu qui comporte une infinité de parties. C’est vrai. Toutefois on peut interpréter la probabilité qui apparaît dans la stratégie mixte, non comme une fréquence relative, qui n’a de sens que sur un grand nombre de parties, mais comme une probabilité subjective, qui peut caractériser des événements uniques. Dans ce cas, dire que la stratégie la meilleure pour Paul est de mélanger à égalité ses deux tactiques signifiera qu’il a raison de croire que choisir 1 est aussi bon que de choisir 2.

Revenons à notre exemple et imaginons, en adoptant la fiction d’une longue suite de parties, que Pierre choisisse la 1re tactique avec une fréquence relative Y et la 2e tactique avec une fréquence relative 1 漣 Y, tandis que Paul choisit la 1re tactique avec une fréquence relative X et la 2e avec une fréquence 1 漣 X. Découvrir la stratégie optimale de Pierre et de Paul revient à trouver les valeurs de X et de Y qui constituent un point d’équilibre pour le jeu, en ce qu’elles maximisent l’espérance de gain ou minimisent le risque de perte de chaque joueur.

L’espérance de gain de Paul, si Pierre n’utilisait que sa première tactique serait de: 1X + 6(1 漣 X), et si Pierre n’utilisait que sa 2e tactique, elle serait de: 4X + 3(1 漣 X), puisque, par définition, Paul choisit X fois sa première tactique et (1 漣 X) fois la 2e.

Puisque Paul cherche à optimiser ses espérances de gain quoi que fasse Pierre, on écrit que les deux valeurs de ses espérances sont égales:

De la même manière, l’espérance de gain de Pierre, si Paul jouait toujours sa tactique 1 et si lui-même variait ses tactiques, serait de:

et, si Paul jouait toujours sa tactique 2, l’espérance de Pierre serait de:

Écrivons, pour les mêmes raisons, que ces deux quantités sont égales:

Ainsi, par l’introduction du hasard mathématique dans le calcul stratégique, on change la nature même du problème qui est soumis à l’intelligence des joueurs: la stratégie, au lieu d’être l’art d’inventer une parade à la conduite empiriquement observée de l’adversaire, devient l’art de mêler au hasard, dans des proportions mathématiquement calculables, les tactiques élémentaires dont on dispose.

Quelques années après la démonstration par J. von Neumann du théorème du minimax dans les duels, on démontrait l’existence d’une dualité entre les jeux à deux personnes et à somme nulle et les programmes linéaires. Cet isomorphisme mathématique est intriguant, car les stratégies mixtes, dans les duels, reposent sur le hasard, alors que les programmes linéaires concernent les décisions en face du certain. Comment deux problèmes aussi différents que le choix d’une stratégie en face d’un adversaire intelligent et dont on ignore les projets et la définition d’un programme en face du certain peuvent-ils avoir la même structure mathématique? La réponse est, intuitivement, assez simple: le principe sur lequel repose le théorème du minimax revient à calculer un plan optimal qui soit indépendant de la conduite qu’adoptera en fait l’adversaire, donc indépendant des aléas extérieurs (en ce sens qu’une stratégie est un plan qui prévoit, avant que la partie ne s’engage, une riposte pour toute action possible de l’adversaire).

5. Le hasard et l’explication dans les sciences

On associe généralement explication et prévision. Il semble donc à première vue étrange de relier l’explication scientifique au hasard. Et pourtant le hasard est quelquefois invoqué, non seulement comme aléa extérieur, mais comme principe d’explication. C’est en ce sens que certains biologistes expliquent les mutations par le hasard, lui imputant même l’évolution des espèces.

Une explication scientifique comporte deux classes d’énoncés: d’un côté, une analyse expérimentale ou une description des phénomènes; de l’autre, des hypothèses ou des lois, grâce auxquelles on espère comprendre ce que l’on a observé. On appelle parfois explanandum (ce qu’il faut expliquer), les énoncés descriptifs et on nomme explanans (c’est-à-dire ce qui sert à expliquer) l’ensemble des lois et des conditions empiriques précises de leur application. Les lois qui figurent dans l’explanans peuvent être, sommairement, de deux types: ou bien, dans telles conditions, tel événement se produira nécessairement; ou bien, si tel ensemble de conditions est réuni, il est plus ou moins probable que telle éventualité se réalise. Dans le second cas, l’explanans ne permet pas d’inférer avec certitude un résultat empirique, mais autorise à évaluer sa vraisemblance ou la fréquence de sa production. Quand la mécanique rationnelle, surtout depuis Newton, apparut aux physiciens comme le modèle de toute explication scientifique, on eut tendance à penser que le hasard était seulement lié à l’ignorance humaine et que, si l’esprit pouvait embrasser toutes les conditions d’application des lois de la mécanique, il ferait disparaître la contingence du futur.

Mais, au cours du XIXe siècle, il apparut de plus en plus clairement que les formes déductives d’explication perdaient leur suprématie au profit des lois probabilistes, d’abord en physique, puis dans les sciences biologiques, enfin dans les sciences sociales où triomphent les statistiques. De l’importance croissante des lois probabilistes dans les sciences, on a conclu parfois que le hasard constituait un principe d’explication du réel et le rendait intelligible. C’est ainsi qu’il est invoqué, non seulement pour rendre compte de la distribution des caractères héréditaires (lois de Mendel), mais pour expliquer par des «erreurs de lecture» les mutations et l’apparition de caractères nouveaux dans les espèces.

À cet égard, le hasard joue dans les explications un rôle semblable à celui de la causalité, puisqu’il sert à rendre compte de l’apparition de phénomènes nouveaux, d’espèces nouvelles, par exemple. En effet, l’énigme la plus redoutable à laquelle se heurte l’homme dans l’ordre de la connaissance est la compréhension du devenir, des processus qui entraînent un accroissement de complexité ou un enrichissement des formes avec le temps, comme c’est le cas dans la vie. L’idée de la causalité étant souvent associée à celle d’une justice qui proportionnerait les effets aux causes, on incline à imputer une disproportion entre les effets et leurs causes à un principe différent, qu’on appelle hasard. Si cette façon de voir incite à rechercher les lois probabilistes qui régissent un ordre donné de phénomènes, elle est fructueuse du point de vue méthodologique. Il ne s’ensuit pas pour autant que l’appel au hasard dissipe comme par miracle les énigmes que propose à la science l’apparition de la vie, l’évolution des espèces ou les débuts de l’humanité; il évite une référence trop facile et trop systématique à la finalité, mais il ne constitue pas pour l’instant un principe d’explication pleinement satisfaisant de la succession historique des espèces vivantes. De toute manière, il s’agit là d’un problème où la théorie ne recouvre pas encore tout le matériel qui demande à être interprété; on peut donc constater ce problème, sans pouvoir le résoudre.

La physique du XXe siècle a été marquée par l’invention de deux théories majeures: la relativité générale et la mécanique quantique, qui ne reposent pas sur les mêmes bases et qui ne proposent pas une même image du monde. La première ne fait aucune place au hasard; la seconde lui confère, dans ses hypothèses et dans ses équations, une fonction importante.

Dans cette même physique, on peut aussi, comme le suggère Einstein, opérer une autre distinction, entre les théories «constructives» et les théories «de principe». Les premières cherchent avant tout à unifier dans une même représentation les lois et les observations empiriques; les secondes, bien que soucieuses, elles aussi, de «validation externe», mettent l’accent sur la «perfection interne» de «principes généraux formels» ou «axiomes» sur lesquels elles se fondent. Ces dernières, pour Einstein, constituent l’idéal auquel doit répondre la connaissance scientifique. Pour parler en termes de métaphysique, le but serait de mettre au jour les structures de l’univers et de faire voir que «Dieu ne joue pas aux dés». De fait, la relativité générale, comme théorie de principe, élimine le hasard, sinon de toutes ses constructions, en tout cas de ses principes, et ne propose d’explication de la réalité que selon la nécessité.

Dans les théories constructives, en revanche, rien n’empêche que la modélisation ou la représentation des processus ou des phénomènes fasse intervenir des «incertitudes», des «probabilités», des «indéterminations». Toute la question est de savoir si ce sont là des caractères de la construction scientifique seule, ou de la réalité. Einstein, par exemple, pensait que la mécanique quantique était une «théorie constructive» ingénieuse et puissante, mais qui ne dépeignait pas les structures ultimes du réel, tel qu’il existe indépendamment de nous.

Pour savoir quelle place faire au hasard dans les sciences et quel statut exact lui donner, il faudrait trancher deux questions:

– déterminer si la distinction entre théories constructives et théories de principe est bien fondée et si donc nous pouvons faire la part, dans la science, de ce qui revient aux constructions humaines et à la réalité physique;

– et, à supposer que le premier problème ait été résolu, découvrir si les théories de principe excluent nécessairement le hasard, comme le fait la relativité générale.

Pour le moment, aucune réponse parfaitement claire ne paraît avoir été donnée à ces deux interrogations, qui font l’objet de débats actuels, comme si surgissait ici un indécidable théorique.

hasard [ 'azar ] n. m.
hasart XIIe; ar. az-zahr « le dé », par l'esp. azar
I
1Vx Jeu de dés en usage au Moyen Âge; coup heureux à ce jeu (le six).
2Jeu de hasard, où le calcul, l'habileté n'ont aucune part (dés, roulette, baccara, loterie).
II
1Vx Risque, circonstance périlleuse. danger. Être, mettre au hasard, en hasard : s'exposer, exposer à un risque, un péril. ⇒ hasarder.
Mod. Les hasards de la guerre. aléa, incertitude.
2Cas, événement fortuit; concours de circonstances inattendu et inexplicable. Quel hasard ! coïncidence. C'est un vrai, un pur hasard, rien n'était calculé, prémédité. Un curieux hasard. Heureux hasard. aubaine, chance, veine; occasion. Hasard malheureux. accident, déveine, malchance. Coup de hasard : événement fortuit. Des vues « que les hasards de la discussion avaient fait naître » (Romains).
IIIAbsolt, cour.
1 ♦ LE HASARD : cause fictive de ce qui arrive sans raison apparente ou explicable, souvent personnifiée au même titre que le sort, la fortune, etc. « Tout ce qui existe est le fruit du hasard et de la nécessité » (Monod). « Un coup de dés jamais n'abolira le hasard » (Mallarmé ). Le hasard fait bien les choses, se dit à l'occasion d'un heureux concours de circonstances. « Le hasard sait toujours trouver ceux qui savent s'en servir » (R. Rolland). Les caprices du hasard. destin, fatalité, fortune, sort. « Le souci de ne rien laisser au hasard » (F. Mauriac). Faire la part du hasard dans une prévision. Faire confiance, s'en remettre au hasard.
Spécialt Dr. Cas fortuit.
Philos. Caractère de ce qui arrive en dehors de normes objectives ou subjectives, de ce qui est moralement non délibéré.
2Loc. adv. AU HASARD : à l'aventure, n'importe où. Coups tirés au hasard. « il est absurde de chercher un puits, au hasard, dans l'immensité du désert » (Saint-Exupéry). Sans réflexion, sans choix ni règle. Répondre au hasard. inconsidérément. « Les abus et les décorations tombent au hasard, sur le juste et l'injuste » (Maurois)(cf. Au petit bonheur, à l'aveuglette). sc. Échantillonnage au hasard. hasardisation, randomisation. Nombres au hasard, obtenus par un processus aléatoire. ⇒ probabilité, statistique; aléatoire.
Loc. prép. AU HASARD DE... : selon les hasards de. Au hasard des rencontres. « Disant mes idées au hasard de l'improvisation » (Léautaud). Au hasard de la fourchette : sans choisir ce qu'il y a à manger; sans apprêt (cf. À la fortune du pot).
Loc. adv. À TOUT HASARD. Vx Quoi qu'il puisse arriver. Mod. En prévision ou dans l'attente de toute espèce d'événements possibles (cf. Au cas où). Prendre son parapluie à tout hasard.
3Loc. adv. PAR HASARD. accidentellement, fortuitement. Rencontrer qqn par hasard (cf. Tomber sur). « Des figures formées au hasard ne sont que par hasard des figures harmoniques » (Valéry). Une fois par hasard. (Pour atténuer une question) Est-ce que par hasard, vous ne seriez pas complice ? Par le plus grand des hasards (souvent iron.).Comme par hasard : comme si c'était un hasard (cf. Comme un fait exprès). — Si par hasard : au cas où, éventuellement. Si par hasard tu le vois, préviens-le.
⊗ CONTR. Déterminisme, finalité, nécessité.

hasard
n. m.
rI./r
d1./d Jeu de hasard, où l'intelligence, le calcul n'ont aucune part.
d2./d Vx Risque, péril.
|| Mod. Les hasards de la guerre.
d3./d Concours de circonstances imprévu et inexplicable; événement fortuit. Quel heureux hasard! Un hasard malheureux. Syn. (Acadie) adonnance.
Coup de hasard: événement inattendu.
d4./d Ce qui échappe à l'homme et qu'il ne peut ni prévoir ni expliquer rationnellement. Le hasard et le déterminisme. (V. probabilité et statistique.)
|| Cause personnifiée d'événements apparemment fortuits. Le hasard a voulu qu'une noix de coco tombe au moment où elle passait.
rII./r Loc. adv.
d1./d Par hasard: fortuitement. Si, par hasard, tu le rencontres...
Comme par hasard: comme si c'était par hasard.
d2./d Au hasard: à l'aventure, sans but; sans certitude. Marcher au hasard. Répondre au hasard. (V. au vogelpik.)
|| Parler, agir au hasard, inconsidérément, sans méthode.
|| à tout hasard: en prévision de tout ce qui pourrait arriver.
rIII/r Loc. Prép. Au hasard de: selon les hasards, les aléas de. Au hasard des jours.

⇒HASARD, subst. masc.
I. A. — Cause, jugée objectivement non nécessaire et imprévisible, d'événements qui peuvent cependant être subjectivement ressentis comme intentionnels. Le hasard fait bien, mal les choses; la part qui revient au hasard; c'est le hasard; les fantaisies, l'intervention du hasard. Trois fois le hasard s'interposa fatalement entre l'enfer du Palais-Royal et le paradis de ma jeunesse (BALZAC, Lys, 1836, p. 18). Mais le hasard voulut que Georges, qui lisait rarement les journaux et qui les lisait mal, à part les articles de sport, tombât cette fois sur les attaques les plus violentes contre Christophe (ROLLAND, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1543) :
1. ... il ne voyait qu'une ombre à sa joie de vivre, mais c'était le souvenir d'une humiliation toujours cuisante que le temps n'apaisait pas. Honoré, d'abord empêché d'en tirer vengeance, avait fini par se résigner à cette plaie d'orgueil, lorsque, par un caprice du hasard, l'activité politique du vétérinaire remit toute l'affaire en question et lui donna un développement nouveau.
AYMÉ, Jument, 1933, p. 41.
1. Dans le domaine philosophique. Il n'y en aurait pas moins, dans l'évolution des phénomènes, une part faite à des lois permanentes et régulières, susceptibles par conséquent de coordination systématique, et une part laissée à l'influence des faits antérieurs, produits du hasard ou des combinaisons accidentelles entre diverses séries de causes indépendantes les unes des autres (COURNOT, Fond. connaiss., 1851, p. 460). Il est incontestable qu'il faut faire dans l'histoire une large part à la force, au caprice, et même à ce qu'on peut appeler le hasard, c'est-à-dire à ce qui n'a pas de cause morale proportionnée à l'effet (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 24). Je ne vois que deux sens possibles du mot hasard : 1o l'absence de toute raison déterminante; 2o l'absence de détermination téléologique. Quand on dit que le hasard « n'existe pas », on prend, ordinairement, le mot dans le premier sens; on veut dire que tout est déterminé, au moins mécaniquement (à moins qu'avec Bossuet, on ne superpose à l'ordre naturel une sorte de téléologie divine; il n'y aurait pas alors de hasard, même au second sens) [Extrait de la discussion à la séance du 4 juillet 1907] (J. LACHELIER ds LAL. 1968) :
2. Et d'un monde anarchique, où les phénomènes se succéderaient au gré de leur caprice, je dirai encore que c'est le règne du hasard, entendant par là que je trouve devant moi des volontés, ou plutôt des décrets, quand c'est du mécanisme que j'attendais. Ainsi s'explique le singulier ballottement de l'esprit quand il tente de définir le hasard.
BERGSON, Évol. créatr., 1907, p. 235.
En partic. Hasard objectif. L'un des principes du surréalisme :
3. Il publie la même année l'Amour fou où se systématise une valeur surréaliste qui n'est pas neuve : le hasard [it. ds le texte] objectif. Déjà dans Nadja et les Vases communicants, il s'était plu à relever quantité d'incidents extérieurs : rencontres, hasards, événements inattendus, coïncidences, rebelles à un continuum logique, mais qui résolvent des débats intérieurs, matérialisent des désirs inconscients ou avoués.
M. NADEAU, Hist. du surréalisme, Paris, éd. du Seuil, 1964, p. 168.
2. Dans le domaine religieux Le hasard reste donc ici l'intersection accidentelle de deux séries de causes dont aucune fin ne détermine la rencontre. Aucune fin humaine; mais que dire des fins divines? (GILSON, Espr. philos. médiév., 1932, p. 166) :
4. — J'ai été haï de mon père depuis le berceau; c'était un de mes grands malheurs; mais je ne me plaindrai plus du hasard, j'ai retrouvé un père en vous, monsieur. — C'est bon, c'est bon, dit l'abbé embarrassé; puis rencontrant fort à propos un mot de directeur de séminaire : il ne faut jamais dire le hasard, mon enfant, dites toujours la providence.
STENDHAL, Rouge et Noir, 1830, p. 236.
3. Dans le domaine scientifique. Science, loi du hasard. Étude des probabilités mathématiques ayant pour but de déterminer l'apparition d'un événement ou la coïncidence de plusieurs facteurs dans une série donnée. C'est parce que les molécules sont très nombreuses qu'elles tendent à se mélanger et à ne plus obéir qu'aux lois du hasard (H. POINCARÉ, Hyp. cosmogon., 1911, p. LXVI). Choix, prélèvement au hasard. Méthode d'échantillonnage qui sélectionne sans critères préconçus, les éléments d'une série à des fins expérimentales, en sciences exactes ou humaines. « Échantillon extrait au hasard » signifie que chaque élément de l'ensemble à la même probabilité de se trouver dans l'échantillon (PIÉRON 1973).
En partic., BIOL. GÉNÉT. :
5. Beaucoup d'esprits distingués, aujourd'hui encore, paraissent ne pas pouvoir accepter ni même comprendre que d'une source de bruit la sélection ait pu, à elle seule, tirer toutes les musiques de la biosphère. La sélection opère en effet sur les produits du hasard, et ne peut s'alimenter ailleurs; mais elle opère dans un domaine d'exigences rigoureuses dont le hasard est banni.
J. MONOD, Le Hasard et la nécessité, Paris, éd. du Seuil, 1970, p. 135.
4. Locutions
Au hasard, loc. adv.
a) À l'aventure, sans but précis. Nous étions bien portans, d'assez bonne humeur : lui, avide de voir et tout prêt à admirer; moi, assez content de prendre de l'exercice et surtout d'aller au hasard (SENANCOUR, Obermann, t. 2, 1840, p. 47). Cela semblait devoir finir en une simple promenade à cheval, devant une foule silencieuse et morose, qui flânait au hasard, lorsque les sonneries de trompettes annoncent l'arrivée des Russes (ADAM, Enf. Aust., 1902, p. 164). L'historien, qui ne va pas rôdant au hasard à travers le passé, comme un chiffonnier en quête de trouvailles, mais part avec, en tête, un dessein précis, un problème à résoudre, une hypothèse de travail à vérifier (L. FEBVRE, Combats pour l'hist., 1933, p. 8) :
6. ... eh bien je repartirai pour Paris, je battrai les chemins comme je l'ai déjà fait une fois, je deviendrai certainement une fille perdue, moi qui n'ai plus de métier... Et elle s'en alla chercher ses paquets pour prendre le train, tandis que Meaulnes, sans même la regarder partir, continuait à marcher au hasard.
ALAIN-FOURNIER, Meaulnes, 1913, p. 349.
b) N'importe comment. Je vous écris tout ceci un peu au hasard, à travers le chagrin que j'ai s'il est vrai que je vous aie, bien involontairement, attristé (HUGO, Corresp., 1866, p. 539). Dans ce parc, les rosiers, les lilas poussent maintenant au hasard, comme dans un bois (LOTI, Mon frère Yves, 1883, p. 61) :
7. Ces accidents ne furent jamais le fait des escadrilles organisées, qui allaient vers un but précis en masses compactes, mais de ces avions dits « de perturbation », qui, à force de foncer sur n'importe quoi, une fillette sur la route, un paysan à sa charrue, un troupeau de vaches dans un pré, finissaient par ne plus prendre garde à l'objectif et semaient la mort au hasard.
AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p. 344.
c) Sans ordre, ni méthode. Des commissions composées d'officiers pris au hasard étaient chargées de les recevoir [les fournitures] pour toute l'armée (L. DAVOUT, Réorg. milit., 1871, p. 39). Nous nous sommes fait une loi de renoncer à la méthode trop souvent suivie par les sociologues qui, pour prouver leur thèse, se contentent de citer sans ordre et au hasard un nombre plus ou moins imposant de faits favorables, sans se soucier des faits contraires (DURKHEIM, Divis. trav., 1893, p. XLII).
Au hasard de, loc. prép. Selon ce qui se présente accidentellement par l'effet de l'imprévu. On loue et on blâme au hasard de l'humeur car, ici, ce qui est publié ne compte plus, ce qui est dit ne compte pas (VALÉRY, Corresp. [avec Gide], 1899, p. 357). Nyctalette, pour se dédommager des longues privations de l'hiver, dévorait tout ce qu'elle rencontrait au hasard de ses promenades (PERGAUD, De Goupil, 1910, p. 80).
En partic. Au hasard de la fourchette (vx). À la fortune du pot, en plongeant sa fourchette ou ses doigts dans une marmite et en en retirant un morceau au hasard. Autrefois chez Paul Niquet Fumait un vaste baquet (...) Pour un ou deux sous, je crois, On y plongeait les deux doigts, Deux, à l'aventure. (...) À l'hasard de la fourchette (RICHEPIN, Chans. gueux, 1876, p. 167). Au fig. On prend, on vole, on boit, on s'accouple et on fusille beaucoup, au hasard de la fourchette (ARNOUX, Juif Errant, 1931, p. 199).
Ne rien laisser au hasard. Tout prévoir. Ce qui demeurait puissant, chez ce calicot, c'était l'instinct paysan de prévoyance, de défiance, l'horreur du risque, le souci de ne rien laisser au hasard (MAURIAC, Nœud vip., 1932, p. 206).
Laisser faire le hasard. S'en remettre aux événements. G. ne m'a rien répondu. Je n'insiste pas, car j'ai réfléchi qu'après tout ce préceptorat me rendrait le travail impossible, en me prenant 4 heures par jour. Donc de ce côté je laisse faire le hasard (RIVIÈRE, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1907, p. 293).
B. — P. méton. Concours de circonstances, événement inattendu ou inexplicable (produit par le hasard). Synon. coïncidence. Un heureux, un pur hasard; un enchaînement de hasards; les hasards de la conversation. Il y a de tels hasards dans la vie que la raison de l'homme ne saurait s'expliquer (MUSSET, Confess. enf. s., 1836, p. 297). Et si quelque chose peu à peu se construit ou se rassemble, peut-être approuvera-t-il que ce soit avec les incertitudes, les retours, les hasards que prodigue la vie (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1932, p. XVII). Le héros mettait pied à terre, éteignait la mèche, le traître se jetait sur lui, un duel au couteau commençait : mais les hasards de ce duel participaient eux-mêmes à la rigueur du développement musical : c'était de faux hasards qui dissimulaient mal l'ordre universel (SARTRE, Mots, 1964, p. 102) :
8. Mais, que vois-je? Ninon accouche de la petite fille annoncée : les événements les plus graves ont souvent leur source dans de méchants petits hasards de rien du tout, et je ne sais quoi me dit que cette rencontre fortuite du jardinier Cornebille et de la marquise va avoir sur la suite de notre histoire des conséquences infiniment ramifiées.
BOYLESVE, Leçon d'amour, 1902, p. 27.
Subst. (désignant une pers.) + de hasard. Personne se trouvant dans telle situation par l'effet du hasard. Convive de hasard. Grands seigneurs obligés de passer par un lieu indigne d'eux, ils jugeaient inutile d'entrer en relations avec des voisins de hasard (LACRETELLE, Silbermann, 1922, p. 57). Nul ne saurait dire combien de ces couples de hasard se sont formés durant les cinquante-six mois de la captivité, ni faire le départ entre les contacts éphémères d'épiderme et les liaisons quasi bourgeoises (AMBRIÈRE, Gdes vac., 1946, p. 204).
Vieilli. Subst. + de hasard; p. ell. un hasard. Objet d'occasion ou bon marché. Je verrai (...) à vous acheter des vêtements d'ouvrier au Temple (...) le hasard vaut souvent du neuf (VIDOCQ, Mém., t. 2, 1828-29, p. 380) :
9. Les curiosités de son ancien boudoir furent suffisantes pour donner aux trois pièces un air coquet. On eut des stores chinois, une tente sur la terrasse, dans le salon un tapis de hasard encore tout neuf, avec des poufs de soie rose.
FLAUB., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 142.
Locutions
À tout hasard, loc. adv. À toutes fins utiles, en prévision de, pour faire face à ce qui peut se présenter. Mais il y aura les répétitions, les réunions intimes, ce sera charmant! ... heureusement j'avais emporté, à tout hasard, ta robe habillée (GYP, Souv. pte fille, 1928, p. 223). Je n'ai pas pris la peine de consulter la carte. J'ai demandé à tout hasard une côtelette, pensant que peut-être il y en avait, ou que sinon on en trouverait aisément dans le voisinage (MICHAUX, Plume, 1930, p. 139). En quittant Vadelaincourt par la route de Rampont, sa voiture dut freiner brusquement, pour ne pas renverser un prêtre qui traversait sans précaution. Geoffroy, qui avait l'impression de l'avoir déjà vu dans ces parages, lui fit à tout hasard un petit signe de tête amical (ROMAINS, Hommes bonne vol., 1938, p. 162).
Par hasard, loc. adv. De manière fortuite, accidentelle. J'étais debout, tenant à la main la lettre de Madeleine, comme un homme qui se noie tient un fil brisé, quand par hasard Olivier rentra (FROMENTIN, Dominique, 1863, p. 141). Ce n'est pas par hasard que la démocratie triomphe à cause du besoin croissant d'égalité politique dont le citoyen émancipé réclame l'assouvissement (FAURE, Espr. formes, 1927, p. 26) :
10. Je me souviendrai toujours de mon passage dans le parti comme d'un de mes rares moments de détente et de paix. J'étais par hasard tombé dans la cellule d'une usine du XXe, une entreprise de petit outillage mécanique du côté de la place des Fêtes : nous y étions peu nombreux, onze ou douze, c'était une organisation où on pouvait faire connaissance.
NIZAN, Conspir., 1938, p. 230.
[Pour atténuer une question] Et votre femme, monsieur, vous voulez donc l'enterrer vivante! on ne l'aperçoit nulle part, et elle serait si bien partout! tant d'esprit et de grâce!... seriez-vous jaloux, par hasard, monsieur? (REYBAUD, J. Paturot, 1842, p. 191). Vous arrivez à dix heures moins cinq minutes, lorsque le rendez-vous définitif n'est qu'à dix heures et demie! c'est miraculeux! le ministère serait-il renversé, par hasard? (DUMAS père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 567). Non, mais si j'avais soif ou faim, me proposeriez-vous, par hasard, d'aller au wagon-restaurant? (DUHAMEL, Suzanne, 1941, p. 95).
Comme par hasard, loc. adv., fréq. avec une nuance iron. En feignant l'imprévu, comme si c'était l'effet du hasard. Nos témoins sont Stidmann, Steinbock, Vignon et Massol, tous gens d'esprit qui se trouveront à la mairie comme par hasard, et qui nous feront le sacrifice d'entendre une messe (BALZAC, Cous. Bette, 1846, p. 364). Il était trop orgueilleux pour paraître le regretter, en se mettant à sa recherche. Mais il réussit à le rencontrer, comme par hasard, et il se fit faire les premières avances (ROLLAND, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1546). Pradelle fut désolé. « Faites de grandes amitiés à Mademoiselle Mabille, m'écrivit-il. Nous pourrons bien, je pense, sans qu'elle manque à sa promesse, nous rencontrer en plein jour et comme par hasard? » (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p. 333).
Si par hasard, loc. adv. Si éventuellement, par occasion. Je ne sais pas si vous aimez les femmes pâles, et je ne voudrais point heurter vos idées, si par hasard vous aviez du goût pour ce genre d'élégance moribonde qui a été à la mode pendant un certain temps (ABOUT, Roi mont., 1857, p. 56). Si par hasard vous deviez vous en aller « vers la capitale » lundi, j'attendrais jusqu'à lundi pour faire la route en votre compagnie (FLAUB., Corresp., 1872, p. 73). Je n'ose pas descendre encore : si par hasard, je suis moins rapide que je ne le crois, je survole encore des terres élevées (SAINT-EXUP., Terre hommes, 1939, p. 215).
Ce n'est pas un hasard si (mod.) [S'emploie gén. pour appuyer un raisonnement, une démonstration triviale, en partic. dans le lang. journalistique pour démontrer l'évidence de quelque chose] Ce n'est pas un hasard si l'évidence même peut être révoquée en doute, c'est que la certitude est doute, étant la reprise d'une tradition de pensée qui ne peut se condenser en « vérité » évidente sans que je renonce à l'expliciter (MERLEAU-PONTY, Phénoménol. perception, 1945, p. 454). Ce n'est pas un hasard si le mot « caractère » est si étroitement associé chez nous à l'évocation de La Bruyère (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 13). Ce n'est pas un hasard si le terme de « structure », de « structure économique » ne figure pas dans de grands dictionnaires de la fin du XIXe siècle, et s'il est encore l'objet d'un accueil fort réservé de la part d'économistes qui se sont formés au cours de la même époque (PERROUX, Écon. XXe s., 1964).
Par le plus grand des hasards, loc. superl. C'est par le plus grand des hasards que j'ai découvert la mosquée de Mehmed Sokoli. Hier, je passais devant, et la porte de la cour était ouverte (FARRÈRE, Homme qui assass., 1907, p. 258).
Quel hasard! loc. exclam. — Quel hasard! je passais. J'aurais pu ne pas vous voir. Mais vous veniez sans doute à mon bureau (DUHAMEL, Suzanne, 1941, p. 88).
Jeu de hasard. Jeu où l'habileté et l'adresse du joueur n'ont en principe aucun effet sur le résultat. Le calcul des probabilités suppose formellement des futurs contraires également possibles, et cela surtout dans les jeux de hasard, qui sont la matière en quelque sorte typique de son analyse (RENOUVIER, Essais crit. gén. 2e essai, 1864, p. XXXV). Si la notion de pari est celle qui nous semble le plus précisément coïncider avec les conditions que nous avons énumérées, il ne faut pas hésiter à voir dans les jeux du hasard des diversifications fantaisistes d'une essence originaire, celle du pari (Jeux et sports, 1967, p. 456).
Rem. La plupart des dict. consultés donnent pour origine du mot hasard, le nom d'un jeu de dé en usage au Moy. Âge, le hasard étant la sortie d'un nombre de points favorable au joueur.
P. anal. Entreprise, phénomène soumis à des aléas. Enfin je sentis ma conscience, je résolus de m'appuyer uniquement sur elle, de considérer les jugements publics, les récompenses éclatantes, les fortunes rapides, les réputations de bulletin, comme de ridicules forfanteries et un jeu de hasard qui ne valait pas la peine qu'on s'en occupât (VIGNY, Serv. et grand. milit., 1835, p. 194). Je laissai à ma fantaisie toute liberté de faire et de défaire, de créer sans difficulté et de critiquer sans mesure, ce qui est un jeu dangereux, un de ces jeux de hasard où l'on se ruine (VALÉRY, Variété III, 1936, p. 82).
Au fig.
Corriger le hasard. Tromper au jeu (Ac. 1935).
Le jeu de l'amour et du hasard. Titre d'une pièce de Marivaux. P. ext. et p. plaisant. L'amour est un jeu du hasard. Qui s'y frotte s'y pique. Il n'est pas bon que l'homme soit seul (MURGER, Scènes vie boh., 1851, p. 172). Chaque personne étant un « jeu de la nature », jeu de l'amour et du hasard, la plus belle intention, et même la plus savante pensée de cette créature toujours improvisée, se sentent inévitablement de leur origine (VALÉRY, Variété [I], 1924, p. 213) :
11. Au contraire, les mutations qui déterminent des caractères favorables sont retenues, elles se multiplient toujours davantage, elles envahissent l'espèce, qui, par le jeu aveugle du hasard et de la mort, progresse immanquablement en s'adaptant de mieux en mieux aux circonstances.
J. ROSTAND, La Vie et ses probl., 1939, p. 174.
II. — Vieilli, fréq. au plur. Risque, péril. Synon. aléa. Maintenant je me suis mis au-dessus de toutes craintes que donnent les maladies contagieuses; et s'il plaît à Dieu, je ne mourrai pas de ce mal, après les hasards que je viens de courir... (CHATEAUBR., Génie, t. 2, 1803, p. 416). Le portefeuille du bailli de l'île de Man que j'avais défendu de si grands hasards, et qui faillit me coûter si cher (NODIER, Fée Miettes, 1831, p. 152). Parmi les hasards qui vous guettent, il [le sanglier] connaissait le péril des carrefours, des vieux troncs creux où un tireur s'embusque, et les risques des clairs de lune trop vifs projetant votre ombre (PESQUIDOUX, Chez nous, 1923, p. 10) :
12. Le malheur qui lui est propre est l'espoir trompé, on dirait presque l'ambition trompée. Il [le paysan] est dans les hasards; mais l'idée d'un destin régulièrement mauvais ne naît point de son expérience; c'est plutôt la malédiction qu'il imagine, terminée à certains objets et à un certain temps.
ALAIN, Propos, 1921, p. 208.
Les hasards de la guerre. Les dangers, les périls de la guerre. Tous deux enfourchèrent leurs selles comme si le malheur n'étonnait pas surabondamment leurs vies accoutumées aux hasards de la guerre (ADAM, Enf. Aust., 1902, p. 275). Vingt fois, le long de la voie détruite où il était revenu, attiré par ces rails qui s'en allaient vers le sud, étape par étape, il refit le compte des heures qui le séparaient de la côte — calcul stupide, puisqu'il était à la merci de tous les hasards de la guerre (THARAUD, Dingley, 1906, p. 78). Les hasards et les malheurs de la guerre ont eu le privilège de rassembler des hommes de milieu et de culture différents (CACÉRÈS, Hist. éduc. pop., 1964, p. 143).
P. anal. GOLF. Hasard, hazard. Obstacle, accident de terrain dans un parcours de golf. Entre le départ et le green, il peut aussi y avoir quelques obstacles (hazards), c'est-à-dire bunker, fossé, cours d'eau, lac ou étang placés là pour éprouver le bon golfeur et punir le mauvais (A. BERNARD, Le Golf, Paris, P.U.F., 1970, p. 28).
Prononc. et Orth. : [] init. asp. Par hasard, cependant, se dit [], sans attaque dure de l'initiale de hasard. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 1150 hasart « jeu de dés » (EVERARD DE KIRKHAM, Distiques de Caton, éd. E. Stengel, p. 115, n° 23); 2. a) 1200 hasart « un certain coup au jeu de hasard » (J. BODEL, Jeu de Saint Nicolas, éd. A. Henry, 1110 et v. note pp. 241-243); b) 1er quart du XIIIe s. fig. « mauvais coup » (RECLUS DE MOLLIENS, Miserere, CCXXI, 3 ds T.-L. : Mors au pekeour hasart fait). B. 1. XVe s. hazard « risque, danger » (Songe doré de la pucelle ds Anc. poésies fr., t. 3, p. 213); 2. début XVIe s. hazart « cas, événement fortuit » (J. D'AUTON, Chronique, éd. R. de Maulde de La Clavière, Soc. Hist. de Fr. II, 286 ds GDF. Compl.); 1532 hasart adv. « fortuitement, par hasard » (Dialogue de Mallepaye et Baillevant ds F. VILLON, Œuvres complètes, éd. P. L. Jacob, p. 331). C. Av. 1573 hasard « cause attribuée aux faits dont on ignore la cause réelle » (E. JODELLE, Didon ds Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 1, p. 191 : le butin que le hasard nous donne). Empr. à l'ar. pop. az-zahr « le dé à jouer » (az est la forme assimilée de l'art. al devant z) par l'intermédiaire de l'esp. azar « coup défavorable au jeu de dés; sorte de jeu de dés » (1283 d'apr. COR. et FEW t. 19, p. 205b), avec un h- dû au fait qu'au Moy. Âge, les mots à initiale vocalique, et particulièrement les mots étrangers, étaient souvent écrits avec un h- (FEW). À l'étymon ar. az-zahr, on peut objecter que le sens de « dé à jouer », non attesté en ar. class., est « relativement moderne » (LAMMENS; v. aussi DEVIC, KLEIN Étymol. et LOK. n° 2186), aussi COR. propose-t-il de partir du sens de l'ar. class. zahr « fleur », parce qu'une fleur aurait été représentée sur l'une des faces du dé. On a aussi proposé un autre étymon : l'ar. yasara « jouer aux dés » (KLEIN Étymol.) ou yasar « groupe de joueurs de dés », dér. de ce même verbe attesté en ar. class. (LOK. n° 2186). Fréq. abs. littér. : 9 037. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 13 255, b) 13 924; XXe s. : a) 11 683, b) 12 635. Bbg. BENZECRI (J.P.). Hist. et préhist. de l'analyse des données. Les Cah. de l'analyse des données. 1976, t. 1, p. 11. - KNUDSON (Ch. A.). Hasard et les autres jeux de dés ds le Jeu de St Nicolas. Romania. 1937, t. 63, pp. 248-253. - TIKTIN (H.). Zur Geschichte von hasard. Arch. St. n. Spr. 1911, t. 127, pp. 162-174.

hasard ['azaʀ] n. m.
ÉTYM. V. 1155, hasart, au sens I, 1; hazard, XVe, au sens II; arabe (’) ǎz-zǎhr « dé, jeu de dé », par l'intermédiaire de l'esp. azar; l'orig. du mot arabe est controversée, soit de yasara « jouer aux dés », soit de zahr « fleur »; cf. esp. azahar « fleur d'oranger », les dés ayant porté une fleur sur une face.
tableau Mots français d'origine arabe.
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I
1 Vx. Jeu de dés en usage au moyen âge.(XIIIe). Coup heureux à ce jeu (le six).
2 (1538). Mod. || Jeu de hasard : jeu où le vainqueur est désigné à l'issue d'une série de « coups » produisant aléatoirement des résultats, et où le calcul, l'habileté… n'ont aucune part (→ Existence, cit. 12).REM. Aujourd'hui on ne fait plus référence dans cette expression au sens de « dés » mais au sens absolu et philosophique du mot hasard (jeu dont les coups dépendent du hasard. → ci-dessous, 3.). — Le jeu de pile ou face est le plus simple des jeux de hasard. || Principaux jeux de hasard : dés, roulette, baccara, loterie.
1 On appelle jeux de hasard, ceux où le hasard seul décide, où la réflexion, le jugement, etc., ne servent de rien, comme le passe-dix. Ces sortes de jeux sont défendus par les Ordonnances.
Trévoux, Dict., art. Hasard.
2 Qu'il s'agisse des dés, des cartes ou des dominos, les jeux de hasard les plus répandus, qui sont aussi les plus anciens, sont basés sur l'égalité de certaines probabilités. Les diverses faces d'un dé ont des probabilités égales d'apparaître lorsqu'on jette le dé sur une table horizontale; les diverses cartes d'un jeu ont des chances égales d'être distribuées à chacun des joueurs lorsque le jeu a été bien battu (…)
Émile Borel, Probabilités et certitude, p. 18.
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II
1 (XIIIe). Vieilli (emploi critiqué par Voltaire qui admet seult l'expr. mettre au hasard). Risque, circonstance périlleuse. Danger, risque. || Des hasards de gain (→ Démonstratif, cit. 2), de perte (→ Balancer, cit. 15). Chance. || Courir un hasard (→ Enrôler, cit. 1). Vx. || Courir plus, trop de hasard. → ci-dessous, cit. 3. || S'exposer (cit. 25) au plus grand des hasards. || Personne éprouvée (cit. 33) en divers hasards. || Éviter (cit. 15) un hasard (→ Expert, cit. 1; faux, cit. 29). || Mépriser les hasards (→ Endurcir, cit. 2).
(1538). Vieilli. || Être au hasard (vx), en hasard : s'exposer à un risque, un péril. || Mettre qqch., qqn au hasard. Hasarder. || Mettre au hasard de (et inf.).Mod. (dans le même sens). || Les hasards de la guerre. Aléa, péril.
3 Mon honneur, qui m'est cher, y court trop de hasard.
Molière, l'École des maris, III, 2.
4 (…) aussi capable de ménager ses troupes que de les pousser dans les hasards (…)
Bossuet, Oraison funèbre de Louis de Bourbon.
5 Cette ligue le mit (Louis XI) au hasard de perdre sa couronne et sa vie.
Voltaire, Essai sur les mœurs, XCIV.
(1906; angl. hazard, mais le mot est attesté en 1717 comme t. de mail, in Petiot). Mod. Golf. || Les hasards : les obstacles naturels et variés du terrain de golf.
2 (XVe). Mod. Cas, événement fortuit; concours de circonstances inattendu et inexplicable. || Quel hasard ! Coïncidence; aléatoire. || C'est un vrai, un pur hasard (→ Faufiler, cit. 4) : rien n'était calculé, prémédité. || Ce n'est pas un hasard si… : c'est une chose normale, qui était prévisible, devait arriver. || Un curieux hasard. || Heureux hasard. Aubaine, chance, coup (de chance), fortune, veine. || Profiter d'un hasard favorable. Occasion. || Hasard malheureux. Accident, coup, déveine, malchance. || « Par un malheureux hasard » (→ Carabinier, cit. 2). || Les hasards de l'existence (→ Flibustier, cit. 3), d'une destinée (→ Choix, cit. 7), d'une vie agitée (→ Croire, cit. 68), d'une carrière exceptionnelle (→ Caste, cit. 3). || L'histoire n'est pas le résultat de hasards obscurs (→ Automatisme, cit. 9). || Le hasard des circonstances (→ Diplomate, cit. 1). || Les hasards de la conversation (→ Anecdote, cit. 3). || Le hasard d'une bataille a ruiné un État (→ Général, cit. 2). || Les hasards de la rime (→ Exercer, cit. 42). || Coup de hasard : événement fortuit. || Rencontre de hasard.Quel hasard !, se dit pour exprimer l'étonnement d'une rencontre fortuite.
6 (…) ce qui est hasard à l'égard des hommes est dessein à l'égard de Dieu (…)
Bossuet, Politique…, V, III, 1.
7 (…) soit hasard ou projet, c'est toujours une action honnête et louable (…)
Laclos, les Liaisons dangereuses, Lettre XXII.
8 L'action, commencée deux heures plus tôt, eût été finie à quatre heures, et Blü-cher serait tombé sur la bataille gagnée par Napoléon. Tels sont ces immenses hasards, proportionnés à un infini qui nous échappe.
Hugo, les Misérables, II, I, XI.
9 (…) une combinaison malheureuse, un sot hasard, la négligence d'un employé de la poste m'exposent à recevoir un affront (…)
G. Sand, Lettres à Musset, p. 66.
10 Quel heureux hasard vous amène ici ? phrase polie qui se dit à quelqu'un qui vient et qu'on ne s'attendait pas à voir.
Littré, Dict., art. Hasard.
11 Étaient-ils donc moins surprenants les hasards obstinés qui, depuis sa naissance, avaient enchaîné Salavin à cette même masure, dans le refuge de cette même ruelle parisienne ?
G. Duhamel, Salavin, V, XIV.
12 Il s'interrompit pour dire qu'il s'agissait là de vues très aventureuses, que les hasards de la discussion avaient fait naître, et que les événements pouvaient sans cesse modifier.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, p. 182.
(1694, Académie). Vx. || Marchandise, objet de hasard, d'occasion. Occasion.
3 (Mil. XVIe). Absolt, cour. (Le hasard). Cause fictive de ce qui arrive sans raison apparente ou explicable (souvent personnifiée au même titre que le sort, la fortune). || Le hasard décide (cit. 18 et 21) de tout. || Tenter le hasard; livrer qqch. au hasard. Hasarder.Loc. prov. Le hasard fait bien les choses. || Laisser faire le hasard (→ Expérience, cit. 36). || Le hasard et la Providence (→ Aplanir, cit. 6). || Le hasard est un grand railleur (→ Destinée, cit. 11), un grand entremetteur (cit. 5). || Caprices (cit. 13) du hasard. || Le Jeu de l'amour et du hasard, comédie de Marivaux (1730). || Fait du hasard (→ Assemblage, cit. 2). || Un coup du hasard (→ Arrangement, cit. 2). || C'est un pur effet du hasard. || Ce n'est pas le hasard qui fait que… (→ Français, cit. 5). || Le hasard préside au cercle des joueurs (→ Aveugle, cit. 26). || Le hasard créateur de situations comiques, de mots expressifs (cit. 3). || Le hasard me le fit découvrir, rencontrer (→ Cacher, cit. 55; fréquemment, cit.). || Le hasard l'a fait choisir (→ Armement, cit. 3; borner, cit. 24). Destin, fatalité, sort. || Le hasard agit (cit. 9) en sa faveur. || Devoir son bonheur au hasard (→ Enorgueillir, cit. 5). || Hommes, animaux que le hasard a rassemblés (→ Absorber, cit. 9; assembler, cit. 18; boucanier, cit. 1). Circonstance, conjoncture. || Un étranger que le hasard avait jeté dans sa vie comme un accident (cit. 10). || Le hasard n'a pas de place dans sa vie. Imprévu; → Engrener, cit. 2.Ne rien laisser au hasard : tout organiser. || Agir sur le hasard (→ Déterminer, cit. 11). || Faire la part du hasard dans un projet, une prévision. || Abandonner une décision au hasard (→ La jouer à pile ou face).Allus. littér. || « Un coup de dés jamais n'abolira le hasard » (Mallarmé).Dr. Fortuit (cas fortuit). || Condition qui dépend du hasard. Casuel (cit. 1).
13 Ce sont coups du hasard, dont on n'est point garant.
Molière, l'École des femmes, I, 1.
14 Quoique les hommes se flattent de leurs grandes actions, elles ne sont pas souvent les effets d'un grand dessein, mais des effets du hasard.
La Rochefoucauld, Maximes, 57.
15 Un homme sage n'abandonne pas une seule action au hasard, ou à l'emportement de l'humeur.
Saint-Évremond, in Trévoux.
16 (…) où est là le mérite qui soit véritablement à vous ? Une belle figure, pur effet du hasard (…)
Laclos, les Liaisons dangereuses, Lettre LXXXI.
17 Quelqu'un disait que la Providence était le nom de baptême du hasard : quelque dévot dira que le hasard est un sobriquet de la Providence.
Chamfort, Maximes et pensées, LXXIV.
18 La prudence, la conduite, élèvent lentement quelques fortunes; tous les jours le hasard en fait rapidement.
É. de Senancour, Oberman, XLVII.
19 Il ne faut jamais dire le hasard, mon enfant, dites toujours la Providence.
Stendhal, le Rouge et le Noir, II, I.
20 (…) et l'on finit par admirer les caprices d'une divinité sur le compte de laquelle on met bien des choses, le hasard.
Balzac, Code des gens honnêtes, § 68, Œ. diverses, t. I, p. 113.
21 Il faut, dans la vie, faire la part du hasard. Le hasard, en définitive, c'est Dieu.
France, le Jardin d'Épicure, p. 102.
22 (…) le hasard sait toujours trouver ceux qui savent s'en servir.
R. Rolland, Jean-Christophe, t. VII, éd. Ollendorff, p. 190.
23 Ce qui demeurait puissant, chez ce calicot, c'était l'instinct paysan de prévoyance, de défiance, l'horreur du risque, le souci de ne rien laisser au hasard.
F. Mauriac, le Nœud de vipères, XIV.
24 Sa seule tâche, en vérité, était de donner des occasions à ce hasard qui, trop souvent, ne se dérange que provoqué.
Camus, la Peste, p. 306.
Philos., sc. Caractère de ce qui arrive en dehors de normes objectives ou subjectives, de ce qui relève des lois de la probabilité et n'est pas délibéré. || Les lois du hasard. Probabilité; → Coup, cit. 72. || Science du hasard. Statistique; → Appeler, cit. 44. || La dialectique du hasard et de la causalité, de la nécessité.
25 Ce que nous appelons hasard n'est et ne peut être que la cause ignorée d'un effet connu.
Voltaire, Dict. philosophique, Atomes.
26 L'idée du concours de plusieurs séries de causes indépendantes pour la production d'un événement est ce qu'il y a de caractéristique et d'essentiel dans la notion du hasard (…)
Cournot, Essais, t. II, p. 53.
27 (…) il faut faire dans l'histoire une large part à la force, au caprice, et même à ce qu'on peut appeler le hasard, c'est-à-dire à ce qui n'a pas de cause morale proportionnée à l'effet.
Renan, l'Avenir de la science, Œ. compl., t. III, p. 746.
28 Une énorme tuile, arrachée par le vent, tombe et assomme un passant. Nous disons que c'est un hasard. Le dirions-nous, si la tuile s'était simplement brisée sur le sol ? Peut-être, mais c'est que nous penserions vaguement alors à un homme qui aurait pu se trouver là, ou parce que, pour une raison ou pour une autre, ce point spécial du trottoir nous intéressait particulièrement, de telle sorte que la tuile semble l'avoir choisi pour y tomber. Dans les deux cas, il n'y a de hasard que parce qu'un intérêt humain est en jeu et parce que les choses se sont passées comme si l'homme avait été pris en considération, soit en vue de lui rendre service, soit plutôt avec l'intention de lui nuire (…) Le hasard est donc le mécanisme se comportant comme s'il avait une intention.
H. Bergson, les Deux Sources de la morale et de la religion, p. 154.
29 Tout le reste — tout ce que nous ne pouvons assigner ni à l'homme pensant, ni à cette Puissance génératrice (la nature) — nous l'offrons au « hasard », — ce qui est une invention de mot excellente. Il est très commode de disposer d'un nom qui permette d'exprimer qu'une chose remarquable (par elle-même ou par ses effets immédiats) est amenée tout comme une autre qui ne l'est pas. Mais dire qu'une chose est remarquable, c'est introduire un homme, une personne qui y soit particulièrement sensible, et c'est elle qui fournit tout le remarquable de l'affaire. Que m'importe, si je n'ai point de billet de la loterie, que tel ou tel numéro sorte de l'urne ? (…) Il n'y a point de hasard pour moi dans le tirage (…)
Valéry, Variété V, p. 25.
30 Qui analysera (…) en détail les mouvements de la main qui jette les dés ou bat les cartes ? La caractéristique des phénomènes que nous appelons fortuits ou dus au hasard, c'est de dépendre de causes trop complexes pour que nous puissions les connaître toutes et les étudier.
Émile Borel, le Hasard, p. 5.
30.1 Nous disons que ces altérations (du « texte génétique ») sont accidentelles, qu'elles ont lieu au hasard. Et puisqu'elles constituent la seule source possible de modifications du texte génétique, seul dépositaire à son tour des structures héréditaires de l'organisme, il s'ensuit nécessairement que le hasard seul est à la source de toute nouveauté, de toute création dans la biosphère.
Jacques Monod, le Hasard et la Nécessité, p. 148.
4 Loc. adv. (1580, Montaigne). Au hasard. a Sans direction déterminée; sans décider du lieu, de la situation. → N'importe où (→ Abîme, cit. 34; forum, cit. 1). || Aller au hasard (→ Éblouir, cit. 8; errer, cit. 15). || Voguer au hasard (→ Carène, cit. 1). || S'aventurer (cit. 7), fuir (cit. 4) au hasard. || Promener ses regards au hasard (→ Changeant, cit. 7). || Laisser flotter (cit. 11 et 13) sa pensée, sa rêverie au hasard. || S'éparpiller au hasard (→ Canaliser, cit. 2). || Coups tirés au hasard (→ Fasciné, cit. 2). || Croître, germer (cit. 2) au hasard (→ Fécond, cit. 9).
31 Je ne suivais dans cette étude d'autre plan que mon penchant. J'allais au hasard, où mes pas me portaient.
Lamartine, Graziella, I, V.
32 Les obus et les décorations tombent au hasard, sur le juste et l'injuste (…)
A. Maurois, les Discours du Dr O'Grady, XI.
33 Pour rien au monde elle n'eût demandé qu'on lui indiquât un hôtel, elle préférait chercher au hasard (…)
J. Green, Adrienne Mesurat, II, V.
b (V. 1695, Fénelon). Sans évolution prévue ni prévisible; sans modalité déterminée. → N'importe comment. — (1580, Montaigne). Spécialt. Sans réflexion, sans choix ni règle. Inconsidérément. || Assertion (cit. 6) jetée un peu au hasard. || Quelques mots placés comme au hasard (→ Bouée, cit. 1). || Écrire (cit. 53) au hasard, selon son caprice. || Parler, juger au hasard (→ À tort et à travers). || Principes, conseils donnés au hasard, sans examen (cit. 4). Aveuglément, aveuglette (à l'aveuglette), bonheur (au petit bonheur). || Ce n'est point au hasard que… (→ Filiation, cit. 3). || Vivre au hasard (→ Égarement, cit. 3), gâcher (cit. 7) sa vie au hasard. || Au hasard Balthazar, film de R. Bresson.
34 Louis, le grand Louis, dont l'esprit souverain
Ne dit rien au hasard et voit tout d'un œil sain.
Molière, la Gloire du Val-de-Grâce, 298.
35 (…) tu vis au hasard, pêle-mêle,
Dans ce monde, arrivé sans savoir trop par où (…)
Hugo, les Années funestes, XII.
36 (…) elle était devant la vie intellectuelle comme un enfant devant un piano dont il ne sait pas jouer, et qui s'émerveille lorsque, en frappant des touches au hasard, il réussit à produire un accord.
Valery Larbaud, Amants, heureux amants, p. 25.
c Loc. prép. (1580, Montaigne). Vx. Au hasard de… : au risque de…
37 (…) je ne pus m'empêcher de lui dire tout ce que je pensais, au hasard de lui déplaire.
A. R. Lesage, Gil Blas, II, VII.
(1883, Loti). Mod. Selon les hasards de… || Au hasard des circonstances (→ Contrordre, cit. 1), des rencontres… || Au hasard de l'improvisation. — ☑ Loc. Au hasard de la fourchette ( Fourchette) mod. : au hasard de ce qu'il y a à manger (→ Cantine, cit. 2) et, par ext., sans façon, sans apprêt (→ À la fortune du pot).
38 (…) l'amour naissait (…) puis se traduisait en ivresses brutales ou en rêves naïvement purs au hasard des lieux où le vent le poussait (…)
Loti, Mon frère Yves, I.
39 (…) je me suis trouvé à l'aise avec Gourmont, parlant selon mon idée, disant mes idées, au hasard de l'improvisation (…)
Paul Léautaud, Journal littéraire, 26 août 1905, t. I, p. 189.
40 Ensuite les attentats de crétins, de fous — et pas de fous guidés, utilisés, non, de fous solitaires, qui agissaient sous l'empire de lectures mal digérées ou d'exemples; frappant au hasard de l'inspiration.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, X, p. 103.
d Loc. adv. (Fin XVIe, d'Aubigné). À tout hasard [ɑtuazaʀ]  : (vx) à tout événement, quoi qu'il puisse arriver (→ Malgré tout). || À tout hasard, ton cœur me restera (Millevoix).Mod. En prévision ou dans l'attente de toute espèce d'événements possibles. || Il fait assez beau, mais prenez votre parapluie à tout hasard (au cas où il pleuvrait). || Je lui posai la question à tout hasard, bien que certain de sa réponse. || À tout hasard, elle essaya la clef (→ Carillonner, cit. 2). || Il était venu là à tout hasard (→ Fortune, cit. 16).
5 Loc. adv. (1636). Par hasard. Accidentellement, fortuitement.REM. Les puristes du XVIIe s., rappelle Littré, condamnaient cette locution, alors même qu'elle était employée par les meilleurs écrivains. — Événement qui se produit, qui arrive par hasard ( Accidentel, aléatoire, contingent, fortuit, imprévu, occasionnel). || Canon (cit. 9) qui dévie par hasard. || Entrer (cit. 10) par hasard. || S'échapper par hasard. || Se trouver par hasard dans un endroit (→ Baie, cit. 3). || Rencontrer qqn par hasard. → Tomber sur. || Par hasard il avait gardé l'adresse. || Les jours où par hasard… Exceptionnellement (→ Attention, cit. 44). || Quand par hasard… (→ Éveil, cit. 9; face, cit. 51). || Être fâcheux (cit. 12) par hasard et non par nature. || Une fois par hasard (→ Cœur, cit. 137). || Tout à fait par hasard, nous en sommes venus à parler de… — ☑ Comme par hasard : comme si c'était un hasard (→ Bénéficier, cit. 3).Iron. || Comme par hasard il n'avait jamais de monnaie quand il fallait payer.Si par hasard : au cas où. Éventuellement (→ D'aventure, des fois, on ne sait jamais). || Si par hasard j'étais en retard… || Si par hasard il n'avait pas les qualités requises (→ Cadenas, cit. 3). || S'il faut (cit. 26) par hasard qu'un ami vous trahisse…
41 Le Roi arrive ce soir à Saint-Germain, et par hasard Mme de Montespan s'y trouve aussi le même jour (…)
Mme de Sévigné, 556, 8 juil. 1676.
42 Rien ne s'est fait par hasard, ni par la volonté d'un seul, ni par la fantaisie d'un autre.
André Suarès, Trois hommes, « Ibsen », IV.
43 Ni le rêve ni la rêverie ne sont nécessairement poétiques; ils peuvent l'être : mais des figures formées au hasard ne sont que par hasard des figures harmoniques.
Valéry, Variété V, p. 137.
44 (…) le rôle de l'esprit, comme celui du petit démon de Maxwell, consiste tout simplement à ouvrir ou à fermer la trappe devant les idées qui se présentent par hasard.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, XXII, p. 247.
45 Et l'appartement est rangé. Si par hasard « il » rentre avant elle, il ne pourra se plaindre d'aucun désordre.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. I, VI, p. 63.
(Pour atténuer une question, en présentant l'hypothèse comme un hasard). || Auriez-vous par hasard l'intention de louer votre maison ? || J'ai perdu ma clef; vous ne l'auriez pas vue par hasard ?Iron. || Est-ce que par hasard vous m'auriez oublié (→ Ça, cit. 3). || T'imagines-tu par hasard que je vais tolérer cela ?
Vx (hasard est qualifié par un adj.). || « Par grand hasard » (→ Gage, cit. 5, La Fontaine). Mod. Par le plus grand des hasards.
CONTR. Déterminisme, finalité.
DÉR. Hasarder, hasardeux, hasardisation.

Encyclopédie Universelle. 2012.