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FINLANDE
FINLANDE

La Finlande, ou Suomi (338 000 km2, 5 millions d’habitants en 1992), s’avance comme une presqu’île massive entre le golfe de Finlande et le golfe de Botnie. C’est le pays le plus septentrional d’Europe, puisqu’il est situé presque tout entier entre le 60e et le 70e degré de latitude nord et que le quart de son territoire se trouve au-delà du cercle polaire arctique. Il apparaît donc comme une frange pionnière, à la lisière du Grand Nord, et la vie s’est surtout localisée dans la partie méridionale, le long du golfe de Finlande. D’autre part, se trouvant à l’est du méridien de 20 degrés est, celui de Cracovie, la Finlande appartient à l’Europe orientale et, pendant plus d’un siècle (1809-1917), elle a subi la domination russe. Mais des États orientaux, c’est peut-être le plus occidental; ses portes s’ouvrent sur la Baltique et, par elle, sur la mer du Nord; aussi la pénétration suédoise y est-elle très ancienne, et le pays a appartenu à la Suède pendant six siècles; on parle encore suédois sur la côte occidentale, l’Österbotten. La Finlande oscille ainsi entre l’Est et l’Ouest. La Seconde Guerre mondiale l’a privée, à l’est, d’une partie de la Carélie, autour du lac Ladoga, et, au nord, des territoires qui lui donnaient accès à la mer de Barents, au profit de l’U.R.S.S., qui tint à garder le pays dans sa zone d’influence; mais, en même temps, elle est associée à l’Union européenne de libre-échange et entretient des liens étroits avec ses voisins scandinaves.

Une langue difficile – mais non inabordable –, une histoire mouvementée, souvent tragique, où interviennent la Suède et la Russie, ont favorisé toutes les confusions, rebuté les bonnes volontés et constamment nui à la production littéraire de la Finlande. L’usage veut que l’on distingue la littérature finlandaise de langue suédoise et celle d’expression finnoise. On s’y conformera; mais la discrimination est spécieuse: quelle que soit la langue dans laquelle elle s’exprime, la personnalité finlandaise, si profondément marquée par l’histoire qu’elle est incompréhensible sans elle, obéit, avec une remarquable constance, à quelques invariants.

Au fond de l’âme finlandaise règne une nature fascinante de mélancolie: le ciel, l’arbre et l’eau sont les trois personnages centraux de toute œuvre finlandaise, populaire ou littéraire. «Pays aux mille lacs», avec des paysages d’une indéniable grandeur, une nature au charme mélancolique, la Finlande évoque encore, sinon une terre inconnue, du moins une contrée peuplée de rudes agriculteurs au mode de vie et au passé teintés de mystère. Son originalité ne s’arrête pas là: tout au long de son histoire, ce pays a élaboré une civilisation qui n’a rien d’artificiel ni d’arriéré; c’est peut-être une des plus équilibrées de l’Europe.

1. Un pays développé aux marges de l’Arctique

Contraintes et atouts d’un pays nordique

La Finlande, qui s’étend entre 590 48 30 et 700 5 30 de latitude Nord, couvre 338 127 km2. Les paysages finlandais sont très largement marqués par les lacs qui occupent 33 474 km2 et par le couvert forestier largement représenté (57 p. 100 de la surface totale), qui correspond à la forêt de conifères ou forêt boréale.

Dans l’ensemble, sauf au nord - nord-est, le relief présente peu de contrastes, le trait fondamental étant l’existence d’une surface résultant de très longues périodes d’érosion; cette surface polygénique s’est développée aux dépens d’un socle fait de roches très anciennes (de 2 à 3 milliards d’années). Il s’agit du bouclier fenno-scandien. La vieille surface polygénique est localement – surtout au nord et à l’est – dominée par des reliefs aux formes hardies pouvant atteindre 800 mètres d’altitude à proximité du lac Inari. Ces secteurs résultent soit d’une grande résistance des roches face aux processus d’érosion, soit du jeu de la tectonique tertiaire responsable localement de la présence de môles soulevés. Le plus haut sommet de Finlande, le Haltiatunturi (1 324 m), appartient déjà à la chaîne des Scandes.

Les formes d’échelle moyenne qui s’inscrivent dans la vieille surface d’érosion résultent essentiellement des périodes froides quaternaires. Issues des Scandes, les glaces se sont, plusieurs fois au cours du Quaternaire, étalées sur la Finlande. Elles ont aménagé les milliers de cuvettes qui contiennent de nombreux lacs. Les dépôts d’origine glaciaire sont également abondants sur l’ensemble du pays. À l’est et au sud-ouest, les drumlins sont nombreux tandis que les formations fluvio-glaciaires (åsar ) sont bien représentées en Finlande centrale. À la fin de la dernière période glaciaire, le retrait des glaces s’est manifesté assez tardivement sur la Finlande, les trois Salpausselkä ont été mises en place il y a environ 11 200 et 9 950 ans.

Accompagnant la déglaciation et ses fluctuations, l’histoire des littoraux, comme celle de la Baltique, se révèle d’une grande complexité. Sur les rives de la Baltique demeurent des formes littorales plus ou moins soulevées et d’abondants dépôts fins (argiles, limons) qui fournissent les meilleurs sols à l’agriculture, notamment au sud-ouest et à l’ouest des Salpausselkä. Il faut rappeler que les littoraux finlandais sont encore en pleine évolution par le jeu toujours actif des mouvements de soulèvement du continent libéré du poids des glaces (isostasie).

La Finlande a un climat assez rude, l’hiver est neigeux et sombre (à Helsinki, la lumière n’apparaît que six heures durant le jour le plus court). La température moyenne du mois le plus froid (février) atteint 漣 50 à Helsinki. L’été est chaud et bref. En fonction des températures, on peut définir une période végétative de 165 jours dans le sud - sud-ouest, de 165 à 145 jours en Finlande centrale et de moins de 145 jours dans le nord (105 jours dans l’extrême nord). Les précipitations sont relativement modestes, 700 millimètres en moyenne, et elles diminuent du sud au nord.

La Finlande se situe dans la grande ceinture forestière qui s’étend en Eurasie de l’océan Atlantique au Pacifique à travers la Scandinavie, le nord de la Russie et la Sibérie. Il s’agit de la forêt de conifères ou taïga, dominée ici par le pin qui forme plus de 55 p. 100 des boisements; l’épicéa occupe 32 p. 100 des boisements et le bouleau 7 p. 100. La part du pin dans le volume des ressources forestières augmente du sud au nord, où elle peut dépasser 60 p. 100. Au sud-ouest, dans les régions côtières existe un mince liséré de forêt mixte (conifères et feuillus); parmi les feuillus, c’est le tilleul qui, en individus isolés, se développe le plus loin vers le nord.

En raison des conditions naturelles très contraignantes, la population finlandaise a vécu la plus grande partie de son histoire aux limites de la disette et cela jusqu’au début du XXe siècle. Elle a franchi le cap du million en 1809, l’année de l’accession à l’autonomie du grand-duché de Finlande, pourvu d’un statut spécial dans l’Empire russe. En 1992, la population finlandaise atteint 5 millions d’habitants, soit 16,5 habitants au kilomètre carré. Elle est composée de 38 p. 100 de ruraux, 62 p. 100 des Finlandais vivant dans des villes et des districts urbains. À côté de la population urbaine stricto sensu existent des municipalités définies comme villes dans lesquelles habitent des «citadins» dans des agglomérations de 200 hectares au moins et définies selon des critères précis de concentration de l’habitat.

L’agriculture et l’exploitation forestière restaient à la fin du XIXe siècle les activités essentielles de la majeure partie de la population. À partir de la Seconde Guerre mondiale, de société agraire, la Finlande est devenue un pays fortement urbanisé et industrialisé à cause de la nécessité où elle était de devoir payer en nature de lourdes réparations de guerre à l’U.R.S.S.

L’économie finlandaise

Dans le produit national brut, la part de l’agriculture (pêche comprise) représentait, en 1980, 4,3 p. 100. Jusqu’en 1960, la Finlande avait enregistré un accroissement du nombre des exploitations, mais à partir de 1960 le recul a été rapide. L’agriculture, surtout développée dans le sud du pays, est le fait de grandes fermes dont la superficie dépasse souvent 100 hectares au nord et 40 au sud - sud-ouest. Mais, dans la plupart des cas, la part réellement cultivable n’excède pas plus de 10 p. 100 de la surface des exploitations. Les principales productions restent les plantes fourragères et les produits de l’élevage. En Laponie, le renne conserve encore une place non négligeable. Dans les années quatre-vingt, l’État a subventionné la mise en réserve des terres cultivables. La jachère a doublé en deux décennies; néanmoins, l’État et les autorités provinciales et locales encouragent le maintien des exploitants encore en activité par des prêts d’État et des taux bonifiés pour les intérêts des investissements à opérer. L’État fournit le quart des investissements agricoles de la Finlande.

L’exploitation forestière est une ressource majeure. Le bois est la matière première d’une série de puissantes industries qui font du secteur forestier et de ses prolongements manufacturiers le plus fort exportateur des secteurs d’activités économiques en Finlande. La production forestière est exportée à plus de 80 p. 100. Depuis les années cinquante, les Finlandais sont passés maîtres dans la conception et la construction de machines et d’installations complètes pour la transformation du bois. La Finlande fournit des bois sciés, du contre-plaqué, des panneaux de particules, des pièces de menuiserie, des maisons préfabriquées. Elle produit de la pâte à papier (8,5 millions de tonnes en 1987), des papiers et des cartons (elle occupe le deuxième rang après le Canada pour la production de papier), des panneaux de fibre de bois. Les usines sont situées sur les littoraux, près des embouchures des cours d’eau, comme celle du fleuve Kokemäenjoki, ou près du fleuve Oulujoki; Kotka est devenu un grand centre de scieries, de production de pâte et de papier.

D’autres activités ont une grande place dans l’économie finlandaise. C’est le cas, notamment, de la métallurgie et de la construction mécanique qui emploient 35 p. 100 de la main-d’œuvre industrielle. Ces industries occupent le deuxième rang en valeur des exportations après le bois. La Finlande, dont le socle renferme des minerais, produit du cuivre, du nickel, du zinc, du cobalt (5 p. 100 de la production mondiale). L’industrie des constructions mécaniques constitue la branche la plus puissante de la métallurgie. Il s’agit d’équipements pour les industries du bois, les mines; de matériel de manutention (grues); de construction navale spécialisée (10 principaux chantiers de construction navale et 60 p. 100 des brise-glace du monde). Les industries électro-techniques et électroniques constituent un autre pôle important, avec notamment la firme Nokia (téléviseurs).

L’industrie chimique a également pris un essor considérable: elle employait 5 500 personnes en 1950, elle en occupe 40 000 en 1987. Outre la transformation du pétrole (raffineries de Neste Oy), elle fournit des engrais (Kemira Oy), des sous-produits de la transformation du bois.

Les industries textiles, celles de l’habillement et du cuir, occupent une grande place, et il faut aussi citer les industries du verre et de la porcelaine.

Les principales sources des importations finlandaises sont l’Allemagne (16,9 p. 100), la Suède (13 p. 100), la Russie (8,5 p. 100), le Royaume-Uni (7,7 p. 100), les États-Unis (6,9 p. 100), le Japon (6 p. 100). En 1991, les importations concernaient surtout les matières premières (48,4 p. 100).

Les exportations finlandaises se font à destination de l’Allemagne (15,4 p. 100), de la Suède (13,9 p. 100), du Royaume-Uni (10,4 p. 100), des États-Unis (6,1 p. 100), de la France (5,9 p. 100), des Pays-Bas (5 p. 100), de la Russie (4,9 p. 100). La Finlande a exporté principalement, en 1991, du papier et ses dérivés ainsi que des produits métalliques et des machines. La Finlande tisse des relations économiques de plus en plus serrées avec les pays de la C.E.E. auprès de laquelle elle a déposé une demande d’adhésion en mars 1992.

Le poids des régions finlandaises dans l’économie

Compte tenu des conditions très contraignantes du milieu, la population finlandaise est surtout concentrée dans le sud. L’une des meilleures expressions des inégalités régionales en Finlande est fournie par la répartition du produit régional brut.

Le gouvernement finlandais a établi une politique de développement régional basée sur le Fonds de développement régional de Finlande, institution financière contrôlée par l’État (créée en 1971). La fonction de cet office est d’encourager et de promouvoir le développement économique des régions en difficulté en finançant les investissements utiles.

La Finlande du Sud

La Finlande du Sud comprend la région de Turku-Pori, celle d’Uusimaa, dans laquelle se situe la capitale, celle de Häme avec Tampere, les îles Åland et la région de Kymi. C’est l’ensemble le mieux mis en valeur du pays. Il renferme les principales agglomérations et les concentrations industrielles les plus importantes; c’est aussi le premier domaine agricole. Là est le berceau historique de la Finlande, les Suédois y ont implanté les premières villes, notamment Turku (Åbo).

Il convient de mettre à part l’archipel des Åland qui s’apparente à la «ceinture d’écueils» du littoral de Turku. C’est une province finlandaise particulière, la seule à jouir d’un statut d’autonomie qui garantisse son caractère svécophone (de langue suédoise), sa souveraineté interne et sa démilitarisation. La pêche (saumon, hareng) et le tourisme sont les principales ressources de cet archipel.

La région de Kymi se situe dans le sud - sud-est du pays; elle a été créée après la Seconde Guerre mondiale, à la suite des modifications de la frontière russo-finlandaise. C’est un grand foyer industriel largement fondé sur les activités du bois.

La région d’Uusimaa (3 p. 100 de la superficie du pays, mais environ un quart de sa population) est tournée vers le golfe de Finlande; elle est fortement marquée par la présence de la capitale. Fondée en 1550 par le roi de Suède Gustave Vasa, Helsinki eut une vocation commerciale et maritime destinée à concurrencer la place estonienne de Tallinn. Longtemps petit bourg aux maisons de bois, la ville eut un démarrage difficile et elle fut incendiée lors de l’occupation russe (1713-1721). En 1812, le tsar Alexandre Ier fit transférer la capitale du grand-duché, de Turku à Helsinki; la ville, qui venait encore de brûler, fut totalement reconstruite. Helsinki profita du transfert de l’Académie de Turku, elle devint le centre culturel du grand-duché, la capitale politique et administrative et le premier centre industriel et portuaire; de 5 000 habitants en 1815, elle passa à 91 000 au début du XXe siècle. La ville prit un nouvel essor après la Seconde Guerre mondiale. Les jeux Olympiques de 1952 marquèrent la renaissance d’Helsinki et de la Finlande. La ville comprenait 452 777 habitants en 1960 et 496 300 en 1992. Autour d’Helsinki se développèrent au XXe siècle les villes d’Espoo (175 800 hab. en 1992) et de Vantaa (157 900 hab.); dans le cadre d’Espoo fut aménagée, au début des années cinquante, la «cité-jardin de Tapiola» et Otaniemi où se concentrent des fonctions culturelles.

Créée comme port et marché, Helsinki, «fille de la mer», reste un port de voyageurs (vers la Suède, la R.F.A.) et le premier centre industriel du pays (industries métallurgiques, textiles, raffineries de spiritueux, édition). C’est aussi le premier centre culturel de Finlande et la capitale politique, donc les activités tertiaires y sont très importantes.

Tampere, dans la province de Häme, a dépassé Turku depuis la fin des années soixante-dix (174 300 hab.). Fondée à la fin du XVIIIe siècle, Tampere s’est surtout développée dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’est un centre d’industrie textile qui, de 1821 à 1905, a profité du droit d’importer machines et matières premières textiles sans acquitter de taxes douanières. Le choix du site est lié à la présence de source d’énergie puisque, à proximité immédiate, existe une chute d’eau. L’arrivée du réseau ferré a également favorisé l’essor de la ville.

Dans la province de Turku-Pori, Turku, qui regroupe 161 188 habitants, a été créée par les Suédois. Elle eut des fonctions d’abord commerciales, puis industrielles à partir du milieu du XIXe siècle. Après l’indépendance (1918), les industries métallurgiques, la construction navale, le textile, l’industrie de la céramique et les produits alimentaires prirent une grande place. Turku est l’un des ports d’exportation de Finlande ainsi qu’un port de voyageurs (vers la Suède). La ville conserve des fonctions administratives et culturelles avec une université influente et l’Académie d’Åbo (fondation universitaire svécophone).

La Finlande moyenne

La Finlande moyenne regroupe plusieurs «provinces»: celle de Vaasa, de Kuopio, de Mikkeli, de Carélie du Nord, de Finlande centrale (Keski-Suomi). Cet ensemble appartient en partie au «moyen Nord» défini par le Conseil des ministres nordiques et incluant des provinces suédoises et norvégiennes (Jämtland et Västernorrland en Suède et Trøndelag en Norvège).

L’intérieur de la Finlande moyenne est dans l’ensemble très boisé. Les activités liées au bois ont une place considérable. L’aménagement de voies d’eau a favorisé dès le XIXe siècle le développement d’entreprises importantes. De 1845 à 1856, le canal de Saimaa fut construit pour relier le complexe lacustre du bassin du Vuoksen et le lac Saimaa avec le golfe de Finlande à Viipuri (Vyborg). Le canal, coupé par la nouvelle frontière issue de la guerre, perdit son rôle. En 1963, la Finlande passa avec le gouvernement soviétique un accord aux termes duquel la Finlande put louer pour cinquante ans la partie soviétique du canal; elle s’engagea à transformer l’ancienne voie d’eau qui fut réouverte en 1968. Désormais, Kuopio fut reliée à ce réseau navigable par un chenal, et le canal permit l’exportation de la pâte à papier et de produits métallurgiques.

Les villes de Finlande moyenne intérieure sont assez récentes: Kuopio, Jyväskylä sont des villes administratives et industrielles, la dernière étant un centre universitaire.

La façade littorale de la Finlande moyenne, ou Österbotten (Botnie orientale), est une région basse où les plaines côtières sont relativement fertiles. Ici, l’émersion du littoral est encore rapide (1 cm par an environ), ce qui limite le développement des activités maritimes. L’ancien port de Vaasa, fondé en 1606, est situé aujourd’hui à 6 kilomètres de la mer. La ville conserve une forte minorité de svécophones, elle a des activités tertiaires et industrielles (industries chimiques, etc.).

La Finlande septentrionale

La région d’Oulu et la Laponie constituent la Finlande septentrionale. Ce sont les deux plus vastes régions du pays. Si leur population a augmenté depuis le début du siècle jusqu’en 1960, elle a diminué ensuite en raison de l’émigration. Cette dernière s’est pourtant ralentie depuis le début des années quatre-vingt. Au cours des années soixante-dix, l’État a implanté dans le Nord des entreprises industrielles afin de créer des emplois (aciérie à Tornio, usine sidérurgique à Raahe).

Le tourisme se développe de plus en plus en Laponie. Si Oulu est la métropole du Nord (97 869 hab. en 1987), cinq agglomérations importantes existent en Laponie: Rovaniemi, qui dépasse 30 000 habitants, Tornio, Kemijärvi, Kemi et Sodankylä.

2. La conquête de l’indépendance

La Finlande n’entre vraiment dans l’histoire qu’au XIIe siècle; antérieurement, l’archéologie et la linguistique sont seules en mesure de nous renseigner. C’est dire que bien des problèmes fondamentaux des origines finlandaises restent fort obscurs, notamment celui, capital, de la date des établissements suédois dans les régions côtières.

Diversité du peuplement

Premiers colons

Les Finnois (Fenni ), dont la Germanie de Tacite mentionne la présence en Scandinavie, étaient sans doute des Lapons, comme les Phinoi de Ptolémée et de Procope. Les authentiques Finnois, au sens moderne du mot (Suomalaiset ), immigrèrent probablement vers le début de notre ère dans la Finlande actuelle, par la côte sud, pour atteindre vers le VIIIe siècle l’isthme de Carélie. Proches parents des Estes établis sur le rivage opposé, les Finnois formèrent quatre tribus: Kvänes (Kainulaiset ) sur la rive orientale du golfe de Botnie, Finlandais proprement dits (Varsinais Suomalaiset ) au sud-ouest, Tavastes (Hämäläiset ) autour des lacs de l’intérieur, Caréliens (Karjalaiset ) enfin autour des grands lacs de l’Est, Onéga et Ladoga. Leurs parlers et leurs civilisations divergeaient peu; les activités fondamentales étaient la chasse, la pêche et la culture sur brûlis, dans des clairières qui s’étendirent lentement vers le nord.

Le peuplement suédois est certainement très postérieur à l’établissement des Finnois. Il peut avoir débuté vers le VIe siècle dans l’archipel d’Åland, qui forme pont entre Suède et Finlande et est toujours resté de langue suédoise. De là, à une époque discutée, mais antérieure au XIIe siècle, il déborda sur l’Österbotten, dans la région de l’actuelle Vaasa. Ce n’est sans doute qu’après la conquête politique qu’il s’étendit à la côte méridionale, sans jamais pénétrer profondément dans l’intérieur, mais en s’appuyant sur des implantations similaires sur la rive estonienne. Ces colons suédois, à la fois marins, cultivateurs et marchands de fourrures, doivent être bien distingués de la classe dirigeante qui s’implanta à partir du milieu du XIIe siècle et qui domina tout le pays jusqu’au XIXe siècle.

À peine effleurée par des rameaux dérivés du commerce baltique des Romains, la Finlande n’entra en relations actives avec ses voisins qu’à l’époque des Vikings. Le golfe de Finlande fut la grande voie de pénétration des Varègues vers la Russie; au passage, plusieurs expéditions suédoises s’intéressèrent aux pays des Finnois et des Tavastes, ainsi que l’attestent trois inscriptions runiques du XIe siècle. Ces entreprises de pillage et de commerce des fourrures ne semblent pas s’être accompagnées d’une colonisation sensible, mais le sud-ouest de la Finlande fut durablement rattaché à l’espace économique scandinave, comme en témoignent les trouvailles de monnaies.

Une terre convoitée

Au contact des Vikings, certaines tribus finnoises adoptèrent leur genre de vie et commencèrent, au milieu du XIIe siècle, à exercer la piraterie en Scandinavie. Ce fut sans doute l’une des raisons qui poussèrent, vers 1157, le roi de Suède saint Eric à lancer en Finlande, sous couleur de croisade, une expédition dont on ne connaît guère que des traits légendaires. Après ce début guerrier vint une lente pénétration missionnaire accomplie par des Suédois, des Allemands et des Anglais, sous la lointaine protection de Rome. Elle n’obtint de résultats appréciables que dans le Sud-Ouest où un évêque anglais se fixa vers 1229, à Räntämäki.

Deux autres peuples s’intéressaient parallèlement à la Finlande: les Danois, qui finalement détournèrent leurs efforts vers l’Estonie, et surtout les Russes de Novgorod, qui abordèrent la Carélie dans le dernier quart du XIIe siècle et commencèrent à la convertir à l’orthodoxie. La concurrence russe incita la papauté à intervenir plus activement: un légat convainquit le chef suédois Birger Jarl de commencer, en 1249, la conquête politique. Le Sud-Ouest fut occupé sans difficulté, un diocèse créé à Åbo (Turku), en 1286. À partir de cette base, une suite de châteaux forts jalonne la poussée vers l’est: Tavastehus (Hämeenlinna, 1249), Viborg (Viipuri, 1293), Kexholm (Käkisalmi, 1294), en attendant Olofsborg (Olavinlinna, 1475). Des avant-postes furent établis jusqu’au lac Ladoga. Les Russes ripostèrent vivement; en 1256, Alexandre Nevski et les Novgorodiens pénétrèrent jusqu’en Tavasteland. Mais la grande guerre de Carélie se termina en 1323 par un traité de partage entre Russes et Suédois, conclu à Pähkinäsaari (Schlüsselburg): le contrôle de la Néva resta à Novgorod; partant de l’isthme de Carélie, la frontière se dirigeait vers le nord en passant à proximité d’Olofsborg et de Kuopio, pour rejoindre le golfe de Botnie au sud d’Uleå (Oulu). Le sort de la Laponie restait indéterminé, le pays étant vide d’habitants chrétiens.

Formation d’une nation

La Finlande suédoise

La colonisation

À l’abri de cette frontière fortifiée, la Finlande suédoise reçut, au XIVe siècle, son organisation politique et religieuse. L’assimilation légale à la mère patrie fut presque complète: en 1347, le droit suédois y fut introduit; depuis 1362, la Finlande participe à l’élection du roi de Suède et forme un ressort juridique semblable à ceux de la Suède: le système suédois de recrutement de la flotte et de taxation (ledung ) y fut appliqué. Un cadet de la famille royale, titré «duc de Finlande», réside souvent à Åbo, assisté d’un chef militaire dit avoué ou préfet de Finlande. À l’ombre des châteaux forts, un réseau de villes se forme lentement et devient la base de l’organisation administrative, d’abord Borgå (Porvoo) et Viborg (Viipuri), plus tard Rauma et Nådendal (Naantali). Tandis que les cadres militaires sont presque tous issus de familles nobles suédoises, la population citadine compte de nombreux éléments allemands, liés au commerce hanséatique. Jusqu’au XVIe siècle, l’importance des échanges reste cependant fort modeste.

L’effort de défrichement progresse rapidement vers le nord et repousse les marches de l’œcoumène aux dépens des terrains de parcours des Lapons, tandis que les colonies suédoises des côtes ouest et sud se renforcent sensiblement. Dans les forêts du Nord, de curieux trafiquants-aventuriers, qui pénètrent jusqu’à la côte de l’océan Arctique, les Birkarlar, traitent avec les Lapons, les soumettent au tribut et exportent des fourrures et du poisson. Au total, on estime la population finlandaise, vers 1500, à seulement un peu plus de 200 000 habitants.

L’Église est représentée par l’évêque d’Åbo, qui relève de la province ecclésiastique suédoise d’Uppsala, et par un certain nombre de couvents des ordres mendiants et de l’ordre spécifiquement scandinave de Sainte-Brigitte, qui avait une maison importante à Nådental. Elle assure la formation intellectuelle d’une élite fort restreinte qui doit terminer ses études à Paris d’abord, puis en Allemagne ou à Prague. Le finnois reste une langue non écrite jusqu’au temps de la Réforme; seuls le latin et le suédois sont alors des langues de culture. Mais c’est certainement au Moyen Âge que la très active littérature orale, qui a trouvé sa forme définitive au XIXe siècle dans le Kalevala d’Elias Lönnrot, a connu son plus grand développement. Elle est nourrie de réminiscences païennes qui montrent que la pénétration chrétienne n’avait pas été très profonde dans les campagnes. L’art finlandais du Moyen Âge n’est guère qu’un appendice de l’art suédois. Citons, parmi ses principales réalisations, la cathédrale d’Åbo et les églises de Hattula, en Tavasteland, et de Lojo (Lohja) en Finlande propre, ces deux dernières décorées de très belles peintures murales du début du XVIe siècle.

Aux XIVe et XVe siècles, les hostilités éclatèrent à plusieurs reprises entre Suédois et Russes en Carélie, d’abord en 1350, puis entre 1463 et 1504, cette fois contre les Moscovites, qui avaient remplacé les Novgorodiens. La fin du Moyen Âge fut surtout marquée par l’apparition de la Réforme luthérienne, prêchée pour la première fois à Åbo en 1520 par Pierre Särkilahti. Elle fut établie définitivement par l’évêque Michel Agricola (mort en 1557) dont la traduction du Nouveau Testament, en 1548, créa véritablement le finnois littéraire.

Les vicissitudes de l’union

Le règne de Gustave Vasa (1523-1560), l’une des grandes figures de l’ère moderne, eut une importance considérable dans l’histoire finlandaise. L’instauration de la Réforme luthérienne, sous l’impulsion parfois modératrice des évêques Martinus Skytte (1528-1550) et Michael Agricola (1550-1557), n’en fut que l’un des aspects. Tout aussi décisifs furent la mise sur pied d’une administration plus efficace, l’instauration de la conscription militaire, la création d’Helsinki, le défrichement de vastes zones du centre et du nord du pays, ou bien l’appropriation par la Couronne des régions encore inhabitées. Le bouillant souverain sut aussi, malgré quelques vicissitudes, libérer son royaume de la tutelle pesante du Danemark et de Lübeck tout en tenant en respect sur les marches orientales les armées d’Ivan IV le Terrible. Mais la hausse rapide des impositions provoqua vers la fin du règne des révoltes antifiscales et le problème de sa succession fut mal réglé, si bien qu’à sa mort les querelles entre ses fils précipitèrent le pays dans les pires difficultés. Le duc de Finlande, Jean, et son frère Éric se disputèrent d’abord le pouvoir. Le Danemark en profita pour s’emparer de la précieuse forteresse d’Elfsborg, qu’il fallut racheter à prix d’or. Vainqueur, Jean se lança avec fougue dans l’alliance polonaise que justifiaient son mariage avec Catherine Jagellon et l’appui de la noblesse finlandaise désireuse de repousser la menace moscovite. Cette politique déclencha un conflit interminable avec la Russie, la Longue Haine (1570-1595), qui permit certes la conquête de l’Estonie et un tracé plus avantageux de la frontière orientale lors de la paix de Täyssinä mais eut en contrepartie de gros inconvénients. Tout d’abord, elle attisa la révolte des paysans qui, écrasés d’impôts et mécontents de voir la noblesse renforcer sa domination, se soulevèrent lors de la fameuse guerre des Massues (1596-1597). Ensuite, elle fut à l’origine d’un nouveau conflit dynastique entre le fils de Jean, Sigismond, devenu roi de Pologne, et le duc Charles, son oncle, qui donna lieu à de sanglants combats où la noblesse finlandaise, fidèle à l’héritier légitime, fut en partie décapitée puis dépossédée de ses biens au profit des partisans du vainqueur. Enfin, elle favorisa un profond bouleversement politico-social marqué à la fois par le renforcement du pouvoir monarchique et par la soumission accrue de la paysannerie aux intérêts matériels des nobles autorisés à s’approprier les impôts de nombreuses exploitations et à exercer sur elles certains droits de justice et de gouvernement.

Tandis que se mettait en place ce mélange curieux de féodalité et d’absolutisme, les rois Charles IX (1604-1611) et Gustave II Adolphe (1611-1632) firent de leur royaume une grande puissance européenne. En 1617, la paix de Stolbova, en rattachant l’Ingrie et la province de Käkisalmi à la Suède-Finlande, rendit encore plus sûre la frontière avec la Russie. L’intervention dans la guerre de Trente Ans couvrit non seulement de gloire les soldats nordiques, en particulier les redoutables hakkapelites finlandais, mais fit de la Baltique un lac suédois dont l’une des rives donnait accès au cœur de l’Europe. Ces changements nécessitèrent une réorganisation interne du royaume. Le mercantilisme fut institué au bénéfice de Stockholm, la centralisation administrative renforcée et un système quasi constitutionnel de gouvernement élaboré par le chancelier Axel Gustavsson Oxenstierna. La Finlande fut affectée de façon diverse par ces réformes. D’un côté, elle perdit une certaine marge d’autonomie: une partie de ses élites alla s’installer en Suède, les fonctionnaires d’origine suédoise devinrent plus nombreux sur son sol, les documents administratifs furent rédigés en suédois et le siège épiscopal ne fut plus systématiquement confié à une personnalité locale. Mais elle connut aussi durant cette période l’administration bienveillante de Per Brahe, qui géra le pays comme sa propre principauté. Il eut à sa manière un zèle «finnisant» et fut à l’origine de la fondation de l’université de Turku en 1640. Il contribua également à l’instauration d’un service postal et à de nombreuses autres réalisations positives, si bien que les Finlandais parlent encore avec affection de l’«ère du Comte».

Cependant, le coût trop élevé de ces guerres amena, sous la reine Christine en particulier (1644-1654), un développement excessif du système des donations et aliénations d’impôts à la noblesse. À nouveau, le pays fut troublé par de graves conflits sociaux. Sous le règne de Charles XI (1672-1697), il fallut donc procéder à des réformes. En 1682, le roi fit voter par les états la restitution à la Couronne de la plupart des aliénations et établit en 1686 un système moins contraignant de renouvellement et d’entretien des troupes. Ce faisant, il affaiblissait la grande noblesse et renforçait son pouvoir en l’appuyant davantage sur la petite noblesse et les ordres roturiers. L’objectif était cependant la création d’une véritable monarchie absolue. L’Église fut de plus en plus inféodée au souverain (acte ecclésiastique de 1686) et l’assimilation de la Finlande à la métropole devint un impératif idéologique. Son fils Charles XII (1697-1719) persévéra dans cette voie. Sous son règne, les états ne furent pratiquement jamais réunis et la centralisation du pouvoir atteignit son apogée. Toutefois, l’absolutisme n’eut guère le temps de jouir de son triomphe car le jeune roi s’engagea dans une série de conflits désastreux avec ses voisins, qui aboutit à l’occupation terrible de la Finlande par les troupes de Pierre le Grand lors de la Grande Haine (1714-1721) et par la perte de la Livonie, de l’Ingrie, de l’Estonie et de la Carélie à la paix d’Uusikaupunki en 1721. Cette lamentable défaite signifiait la fin du statut de grande puissance, mais ouvrait aussi une ère de méfiance entre le pouvoir suédois et les élites finlandaises inquiètes au sujet de leur sécurité.

À la mort de Charles XII, les états s’empressèrent de mettre fin au pouvoir absolu du monarque. Ils obligèrent ses successeurs à obéir aux règles de la nouvelle Constitution de 1720, qui donnait au Riksdag la réalité du pouvoir. S’ouvrit ainsi l’«ère de la liberté», où s’affrontèrent au sommet de l’État deux factions rivales, les «Bonnets», partisans de rapports amicaux avec la Russie, d’un certain accroissement d’un pouvoir royal et d’une politique économique plutôt libérale, et les «Chapeaux», favorables au contraire à une alliance offensive avec la France, à une concentration du pouvoir entre les mains des états et au mercantilisme pur et dur. Les uns et les autres recevaient d’importants subsides de l’étranger et ne s’épargnaient pas les coups bas. Mieux organisés, les Chapeaux furent le plus souvent vainqueurs. Ils furent entre autres responsables d’une nouvelle guerre perdue contre la Russie, qui provoqua une seconde occupation de la Finlande de 1741 à 1743 (la Petite Inimitié), amputa le pays de tous les territoires situés à l’est du Kymijoki et fit basculer la majorité des responsables finlandais dans le camp contestataire. La construction à grands frais, dans les années 1750-1760, de fortifications au sud et au sud-est ne rassura guère les pessimistes et dans certains esprits cheminait l’idée d’une éventuelle indépendance sous protection russe. Pourtant, la Finlande, dans cette seconde moitié du XVIIIe siècle, connaissait un important développement sur les plans démographique et économique. Une nouvelle vague de défrichements avait lieu dans l’intérieur. Des routes étaient construites, des villes créées, quelques forges, scieries et verreries installées. Le niveau de vie moyen semblait s’élever, même si les écarts sociaux se creusaient rapidement. Les exploitations roturières avait reçu le droit de fonder des métairies et les paysans riches rachetaient en masse des terres à la Couronne. Dans les régions les plus méridionales, les nobles faisaient construire de beaux manoirs de style classique alors que les bourgeois des villes dotées de privilèges ne dédaignaient pas d’étaler leur fortune. Les progrès étaient aussi importants sur le plan culturel. Sous la houlette d’un clergé beaucoup mieux instruit qu’au siècle précédent, la pratique de la lecture se généralisait. À l’université de Turku, le professeur H. Porthan découvrait la poésie populaire finnoise (De poesi fennica ), écrivait sur l’histoire de son pays et fondait la société littéraire Aurora ainsi que le premier journal imprimé finlandais. Son contemporain, le pasteur Anders Chydenius, publiait avant Adam Smith une critique en règle du mercantilisme et prévoyait l’avènement d’une économie et d’une société de type libéral. Bref, la Finlande construisait les bases matérielles et spirituelles de sa future autonomie, dont l’heure n’allait pas tarder à sonner.

En août 1772, le jeune roi Gustave III (1771-1792), par le biais d’un coup d’État, rétablit de fait l’absolutisme (Constitution de 1772). Dans son esprit, la majesté retrouvée de la fonction royale devait régénérer la Suède et lui redonner son éclat de jadis. Toute idée de séparatisme finlandais devait être bannie et la noblesse était sommée de se rassembler derrière lui, de même que tous ses sujets. Ces dispositions lui aliénèrent l’ombrageux colonel Sprengtporten, qui avait été l’un des rouages essentiels du coup d’État de 1772. Avec quelques partisans, ce dernier songea à proclamer l’indépendance de la Finlande en faisant appel à la protection de la tsarine. Il ne fut pas suivi par ses compatriotes et dut se réfugier à Saint-Pétersbourg. Gustave III ne fut pas pour autant débarrassé du particularisme finlandais. En 1788, quand il déclara la guerre à la Russie, il se heurta à l’opposition résolue de nombreux officiers finlandais. Le 12 août, cent treize d’entre eux signèrent à Anjala un manifeste condamnant l’attaque unilatérale contre le puissant voisin et le souverain ne put qu’à grand-peine redresser une situation compromise. Il devenait clair que les élites finlandaises n’étaient plus prêtes au sacrifice et que la Suède devait se contenter d’une politique réaliste. Or l’entêtement du roi Gustave IV (1796-1809) la fit basculer dans le camp des ennemis déclarés de Napoléon Ier, qui lui rendit la politesse à l’entrevue de Tilsitt en incitant le tsar Alexandre Ier à faire pression sur son voisin pour participer au Blocus continental. En 1808, les troupes de J. L. Buxhoevden franchirent la frontière et vinrent à bout de la belle résistance adverse, chantée par le poète Runeberg dans Les Récits de l’enseigne Stål . En septembre 1809, la paix de Hamina consacra la séparation définitive de la Finlande et de la Suède, après une union qui avait duré six siècles.

La Finlande grand-duché autonome (1809-1917)

L’éveil national

La période de la présence russe en Finlande fut longtemps plus bénéfique que ne pourrait le laisser penser sa triste fin. Elle fut en effet marquée par l’essor des forces productives, de la vie culturelle et du sentiment national jusqu’au tournant néfaste des années 1890.

Le tsar Alexandre Ier, souverain réaliste, accorda au pays un statut plutôt favorable, eu égard aux conditions générales de l’Empire. Devant la Diète assemblée à Porvoo, il prit en 1809 le titre de grand-duché et promit de garantir les lois fondamentales du pays telles qu’elles avaient été fixées par la Constitution de Gustave III. Les Finlandais devaient en contrepartie prêter serment de fidélité à leur nouveau prince. Pour modifier les lois constitutionnelles ou créer de nouveaux impôts, l’accord de la Diète était nécessaire. Sur place, un gouvernement finlandais, le Sénat, disposait de sa propre administration et gérait les ressources du pays au nom du grand-duc. Le gouverneur général représentait les intérêts de l’Empire et dirigeait les forces armées d’occupation. À Saint-Pétersbourg siégeait un conseil pour les affaires finlandaises animé par un secrétaire d’État. Le pays avait son propre corps de fonctionnaires, sa propre citoyenneté et son propre système douanier. Dégagé de l’obligation d’entretenir une armée, il pouvait consacrer son énergie à son développement. Alexandre Ier autorisa même la création d’une banque nationale et le rattachement en 1812 de tous les territoires perdus depuis 1721. Il fit de Helsinki la capitale, au détriment de Turku jugée trop proche de la Suède, et ordonna à cet effet de gigantesques travaux d’urbanisme au centre de la ville. L’ensemble de ces mesures lui valut l’affection sincère des Finlandais et l’appui sans faille des élites, satisfaites de trouver de nombreux postes disponibles dans l’administration du grand-duché ou dans l’armée impériale. Cette bienveillance avait toutefois des limites. Quand l’un des précurseurs du romantisme en Finlande, le professeur A. I. Arwidsson, s’avisa de suggérer qu’à terme la Finlande irait vers son indépendance, il fut démis de ses fonctions et son journal saisi.

Devenu grand-duc en 1825, le tsar Nicolas Ier, adversaire fanatique des idées libérales, renforça le caractère réactionnaire de la politique russe. La censure fut durcie et l’Université tenue en laisse. Le Sénat, composé de fonctionnaires zélés, ne fit rien pour adoucir ce régime sévère par crainte de déplaire au souverain. Paradoxalement, cette orientation eut une retombée positive. En effet, pour lutter contre l’«esprit suédois» imprégné des idées «dangereuses» venues d’Europe, on autorisa le développement du mouvement culturel fennophile qui postulait, à la manière romantique, que l’âme d’un peuple se trouvait concentrée dans sa langue maternelle et qui fut à l’origine de l’éveil national finlandais. En 1831, la Société littéraire finlandaise vit le jour. En 1835, le médecin et poète Elias Lönnrot publia la première édition du Kalevala , qui révéla aux Finlandais eux-mêmes l’extraordinaire richesse de leur culture ancestrale. En 1844 parut le premier numéro du journal Saima dirigé par le philosophe J. V. Snellman, organisateur sur le plan politique du mouvement fennomane. Dans le domaine économique, des mesures intéressantes furent prises sous l’égide du sénateur F. von Haartman. Le percement du canal du Saimaa ouvrit le centre de la Finlande aux échanges internationaux, tandis qu’un réseau routier amélioré facilitait l’implantation d’établissements industriels, tels que des filatures, des forges et des scieries. Mais, malgré le zèle des autorités, les idées libérales de 1848 pénétrèrent dans le grand-duché et des étudiants, à la fête du printemps, chantèrent le Notre Pays , qui devint plus tard l’hymne national. Par ailleurs, les milieux ruraux commencèrent à s’émanciper de la tutelle pesante d’un clergé luthérien transformé en auxiliaire de l’administration. Ainsi, une partie des fidèles et des pasteurs se montra réceptive aux thèmes du réveil religieux qui prônait une foi plus mystique et des comportements extérieurs en accord avec la simplicité biblique. L’arrestation de prédicateurs connus ne servit guère à calmer les esprits. La fidélité au grand-duc n’était cependant pas ébranlée en profondeur. On le vit lors de la guerre de Crimée où la flotte franco-anglaise, bombardant les côtes méridionales, se heurta à une vive résistance autochtone.

Le successeur de Nicolas Ier, Alexandre II (1855-1881), eut toutefois l’intelligence de réaliser certains changements. Sous son règne fut mis en place un meilleur fonctionnement des institutions. À partir de 1863, il réunit la Diète régulièrement, alors que ses prédécesseurs ne la convoquaient jamais. Cela permit une modernisation de la législation dans de nombreux domaines et un assouplissement de la censure. Une vie politique digne de ce nom s’esquissa, marquée par la lutte entre les fennomanes, les svécomanes et les libéraux svécophones. Les premiers, conservateurs sur le plan social et politique, préconisaient néanmoins la fin des privilèges de l’élite svécophone et la promotion du finnois comme langue administrative et langue de culture. Les seconds, imbus parfois d’une pseudo-supériorité raciale (cf. Sohlman), étaient soucieux de maintenir la prédominance des classes supérieures de culture suédoise formant la majeure partie des cadres du pays. Les derniers, enfin, fort peu nombreux, accordaient davantage d’importance aux réformes sociopolitiques qu’à la querelle linguistique, faisant preuve à ce sujet d’une relative modération. Malgré quelques déboires, les fennomanes firent avancer leur cause. Le finnois devint langue officielle à côté du suédois et on l’enseigna désormais dans les lycées et à l’université. Les progrès économiques furent également considérables. De 1857 à 1879 disparurent peu à peu les vestiges du mercantilisme au profit d’une législation libérale qui favorisa l’émergence d’une économie de marché. À partir des années 1860-1870, la production industrielle, stimulée par la demande interne et externe, connut une croissance importante, principalement dans les secteurs liés à l’exploitation des forêts, mais aussi dans les domaines métallurgique et textile. L’agriculture amorça sa reconversion vers l’élevage laitier après le traumatisme de la Grande Famine de 1867-1868 où périrent cent seize mille personnes. La construction de voies ferrées améliora les liaisons avec Saint-Pétersbourg, l’un des principaux débouchés des produits finlandais, ainsi qu’avec l’intérieur du pays. Le commerce progressa de manière spectaculaire. Le mark finlandais fut créé et peu à peu indexé sur l’or. Toutefois, la Finlande resta un pays essentiellement rural où la société conservait des traits archaïques et où se creusaient des écarts importants au détriment du prolétariat des villes et des campagnes. À la fin du XIXe siècle, cela donna naissance à un mouvement de contestation sociale multiforme qui devait s’épanouir au début du XXe siècle. Par ailleurs, l’ouverture politique restait exclusivement suspendue au bon vouloir du tsar sans que soit remis en cause le principe de l’autocratie.

La tentative manquée de russification

L’assassinat d’Alexandre II eut des répercussions assez négatives sur la Finlande. Désormais, l’appareil tsariste, méfiant à l’égard de toute innovation politique et désireux de resserrer l’unité de l’Empire, se mit à regarder avec une suspicion croissante toute velléité d’améliorer le statut d’autonomie. Alexandre III (1881-1894) subit la pression des milieux russes les plus chauvins. Un certain K. Ordine publia même en 1889 une étude sous le titre évocateur La Mise au pas de la Finlande . L’année suivante, les postes finlandaises, au nom de la rationalisation des services impériaux, durent passer sous la tutelle russe. De graves menaces se précisaient dans le domaine de l’enseignement et de l’administration. Or le développement économique de la Finlande et, surtout, les progrès de la conscience nationale parmi toutes les couches de la population se poursuivaient et entraient en contradiction avec le chauvinisme grand-russe. L’explosion du mouvement associatif et civique sous ses formes les plus variées – de la promotion de la tempérance à la création de compagnies de pompiers bénévoles en passant par la construction des premières maisons du peuple – minait de l’intérieur la vieille société d’ordres qui était en définitive le meilleur garant de l’union personnelle avec le tsar grand-duc. La lutte ouverte éclata sous le règne du dernier des Romanov, l’infortuné Nicolas II (1894-1917). En 1898, il nomma comme gouverneur général un militaire réactionnaire, Nicolas Bobrikov, dont la mission était de mettre fin à l’autonomie finlandaise. Au début de l’année suivante, ce dernier publia le fameux Manifeste de février , qui incorporait l’armée finlandaise (recréée en 1878) à l’armée russe et supprimait une partie des droits constitutionnels jusque-là reconnus. La résistance fut très vive. Près de cinq cent vingt-trois mille signatures furent recueillies sur une «Grande Adresse» destinée au tsar. Dans les grands pays d’Europe, en particulier en France, des milliers de personnalités s’émurent. Une délégation demanda même audience à Nicolas II pour protester contre l’entorse faite au droit. Mais rien n’y fit, car les autorités tsaristes poursuivirent leur œuvre d’intégration. En 1900, le russe fut déclaré langue administrative. L’année suivante, une loi instituait la conscription pour l’armée russe, suscitant une nouvelle pétition géante. Les Finlandais se divisèrent sur l’attitude à suivre. Alors que les membres du parti «vieux finnois», héritiers des fennomanes, préconisaient une attitude de conciliation afin de ne pas couper les ponts, les «constitutionnels» (coalition entre «Jeunes Finnois», svécomanes et libéraux) et les sociaux-démocrates étaient favorables à une résistance ouverte. Entre les uns et les autres, les rapports devinrent venimeux. Des activistes fondèrent en 1902 la ligue secrète du Kagal, alors que la majorité des conscrits refusaient de se présenter aux convocations de l’armée. Dans un pays en ébullition, Bobrikov reçut en 1903 les pouvoirs dictatoriaux. Loin d’apaiser les tensions, cela provoqua une vague d’attentats antirusses. En 1904, un fonctionnaire du Sénat assassina le sourcilleux gouverneur général. Quelques mois plus tard, le procureur général, un Finlandais «conciliationniste», fut à son tour abattu. On avait basculé dans le drame. Le pays cependant continuait à se transformer. L’économie, de plus en plus dominée par les grandes entreprises, poursuivait sa progression rapide. Un fort mouvement coopératif se mettait en place dans les campagnes. Les organisations ouvrières consolidaient leur implantation, sous l’égide du Parti social-démocrate fondé en 1903 à Forssa. Quant à la vie culturelle, elle était bouillonnante grâce à des artistes exceptionnels comme le musicien Jean Sibelius, le poète Eino Leino, le peintre Axel Gallen-Kallela et bien d’autres.

Les événements de 1905 en Russie furent l’occasion de desserrer l’étreinte de l’oppression. En novembre éclata la Grande Grève patriotique, lancée par les ouvriers et soutenue par les constitutionnels et les activistes. La revendication essentielle était l’abrogation des décrets illégaux. Mais le mouvement ouvrier était décidé à pousser son avantage et à réclamer, comme le fit Yrjö Mäkelin à Tampere, un système politique démocratique, un renforcement de l’autonomie et des réformes sociales. Malgré leurs réticences, les partis bourgeois, inquiets de voir surgir un peu partout des gardes rouges, acceptèrent de reprendre à leur compte le premier point. Le tsar pour sa part annula le Manifeste de février et accorda en 1906 le droit d’élire un parlement unicaméral au suffrage universel masculin et féminin (pour la première fois dans le monde). Les derniers soubresauts révolutionnaires furent alors matés au grand soulagement de la bourgeoisie finlandaise, désireuse de contenir la poussée social-démocrate. En 1907, pourtant, celle-ci se manifesta sur le plan électoral par un score de 37 p. 100 des suffrages, score d’autant plus remarquable qu’il était obtenu dans un pays à forte majorité rurale.

Mais le nouveau système politique n’avait que l’apparence de la démocratie. Le tsar, qui conservait le droit de décision et de dissolution, s’empressa de refuser toutes les lois qui l’indisposait et renvoya maintes fois les députés devant les électeurs. À partir de 1909, une deuxième vague de russification s’abattit sur le pays, menée avec brutalité par le gouverneur général Seyn. La Douma, dominée par les nationalistes, apporta son honteux concours à l’opération. Elle décida en 1910 d’étendre la législation impériale à la Finlande. En 1912, il devint possible à des citoyens russes de siéger au Sénat finlandais. À la veille de la guerre fut publié un programme de russification. Cette fois, les Finlandais présentèrent un front plus uni face à l’agression mais, davantage isolés, ils ne purent empêcher le pire. Quand la guerre commença, l’idée de l’indépendance pleine et entière avait déjà germé dans de nombreuses têtes. En 1915, quelques centaines de jeunes activistes n’hésitèrent pas à s’engager dans un régiment de chasseurs équipé et entraîné par l’Allemagne. Ce fut toutefois la révolution de février qui donna le signal décisif. Le gouvernement provisoire russe abolit tous les décrets anticonstitutionnels. Le Parlement, à majorité social-démocrate depuis 1916, se déclara, en août 1917, souverain en matière de politique intérieure. Kerenski n’hésita pas alors à le dissoudre, soutenu en cela par les partis bourgeois effrayés par l’ampleur des troubles sociaux liés à une situation économique soudainement aggravée. Les nouvelles élections, perdues de peu par les sociaux-démocrates, furent à l’origine d’une grande amertume de la classe ouvrière qui lança une grève générale en novembre, marquée par des incidents sanglants qui préfiguraient la guerre civile. Les gardes rouges se reconstituèrent. Dans ce contexte dramatique, le Sénat bourgeois, soucieux d’éviter une collusion entre les socialistes et le gouvernement bolchevique, estima l’heure venue de déclarer l’indépendance, proclamée officiellement le 6 décembre 1917. Ainsi s’achevaient dix-huit années d’oppression qui avaient amené les Finlandais à prendre en main leur destin.

L’entrée sur la scène internationale

Les luttes à propos de la nature du régime (1918-1919)

La guerre civile

Les sociaux-démocrates, sans être hostiles à l’indépendance, n’avaient pas apprécié la manière dont elle avait vu le jour. Ils souhaitaient qu’elle fît l’objet d’une négociation avec le gouvernement russe, car ils se méfiaient du Sénat dont le but était de mettre fin à l’agitation sociale en interdisant les gardes rouges et en transformant les milices bourgeoises en forces de l’ordre officielles. Or la présence de troupes russes gagnées à la révolution avait jusqu’alors incité ces dernières à la prudence. Un départ précipité risquait de déséquilibrer le rapport des forces. De plus, au sein du Parti social-démocrate (S.D.P.), les éléments radicaux, encouragés par la détermination des masses, renforçaient leurs positions. Trois semaines après la reconnaissance de l’indépendance par les Bolcheviks, quand le Sénat décida de passer des intentions aux actes, la mesure fut comble. Le 26 janvier 1918, la direction du S.D.P. se rallia à l’idée d’un soulèvement dont l’objectif serait «la défense et le développement des acquis populaires face à l’offensive bourgeoise». Dans la nuit, Helsinki fut occupée par les gardes rouges et un gouvernement insurrectionnel, dirigé par K. Manner, fut institué. Rapidement, les «rouges» se rendirent maîtres de la partie méridionale du pays, la plus industrielle et la plus urbanisée, tandis que les «blancs» tenaient la partie centrale et septentrionale, avec comme capitale provisoire Vaasa, où P. E. Svinhufvud et une partie des députés bourgeois avaient trouvé refuge auprès de l’armée gouvernementale aux ordres de l’ancien général tsariste C.G.E. Mannerheim.

Durant plus de trois mois, les combats furent d’une violence inouïe. Les «rouges», assez mal commandés et sans expérience militaire, ne purent guère compter sur l’aide de régiments russes en pleine décomposition et désireux de rentrer au plus vite dans la mère patrie. C’est à peine si mille volontaires furent de quelque utilité. En revanche, les «blancs» bénéficièrent d’un encadrement de qualité et d’une vigoureuse intervention allemande menée depuis Hanko par les troupes d’élite de von der Goltz appelées au secours par Svinhufvud. Le mois d’avril vit la défaite sans rémission des insurgés qui perdirent coup sur coup Tampere, Helsinki puis Viipuri. Le 16 mai 1918, les soldats de Mannerheim paradèrent triomphalement dans la capitale, tandis que soixante-quatorze mille combattants rouges avaient déjà pris la direction des camps. Au total, la guerre civile fit vingt-quatre mille morts (4 000 «blancs», y compris les exécutions d’otages, et 20 000 «rouges», la plupart lors de la répression), saignée terrible pour un pays de trois millions d’habitants. Elle provoqua aussi l’interdiction momentanée des activités social-démocrates et la division du mouvement ouvrier dont une partie des chefs vécurent désormais exilés en Russie, où fut fondé en août 1918 le P. C. finlandais (S.K.P.).

Monarchie ou République?

La victoire une fois assurée, les partis bourgeois ne purent s’accorder sur la nature de la nouvelle Constitution. Les uns, emmenés par le germanophile P. E. Svinhufvud qui avait dû accepter un traité draconien avec le Reich pour prix de son intervention, penchaient pour la monarchie, meilleur système à leurs yeux pour échapper aux pressions populaires irraisonnées. Les autres, moins nombreux au départ, estimaient, comme K. J. Ståhlberg, que la république serait mieux à même d’apaiser les tensions sociales et d’ancrer la Finlande dans le camp des États occidentaux à régime libéral. La défaite des armées allemandes, à partir de l’été de 1918, fit capoter le projet monarchiste d’installer sur le trône le prince Frédéric Charles de Hesse. Vers la fin de l’année, Svinhufvud dut s’effacer devant Mannerheim qui désirait, par réalisme, se rapprocher de l’Entente. Au début de 1919, l’atmosphère politique se détendit, ce qui permit aux sociaux-démocrates modérés de V. Tanner de participer aux élections législatives. Leur score très honorable fit alors pencher la balance du côté républicain. En juin 1919, K. J. Ståhlberg obtint une assez large majorité pour son projet de Constitution. Il devint en juillet le premier président d’une République finlandaise dont les règles essentielles demeurent de nos jours.

La recherche de la stabilité (1919-1939)

La Finlande nouvelle (1919-1929)

Il fallait d’abord asseoir la situation internationale du pays. Les rapports avec la Russie rouge, très mauvais en raison de la guerre civile (appelée par les «blancs» «guerre de libération»), s’étaient encore aggravés avec la participation d’éléments ultranationalistes à l’expédition d’Aunus en avril 1919. Pour éviter un conflit durable, les Finlandais acceptèrent de signer en octobre 1920 la paix de Tarttu (Dorpat) qui reconnaissait les frontières de 1917, plus la région de Petsamo. En 1922, le Parlement refusa de ratifier un pacte avec les pays baltes et la Pologne de crainte de jeter de l’huile sur le feu. Face aux revendications suédoises sur les îles Åland, le gouvernement décida de faire appel à l’arbitrage de la S.D.N. Ayant obtenu satisfaction, les Finlandais purent adhérer à cette organisation en décembre 1920. Cela facilita le rapprochement désiré avec les vainqueurs de la Première Guerre mondiale, qui ne leur tinrent pas rigueur de leurs alliances passées.

Sur le plan intérieur, une œuvre considérable fut accomplie. Les dispositions de la loi de 1918 sur l’acquisition des terres par le prolétariat rural furent élargies tandis qu’on accélérait les défrichements. Cela permit à plus de cent mille familles d’accéder à la propriété. Le président Ståhlberg œuvra avec persévérance pour un élargissement des libertés publiques. Une loi d’amnistie libéra totalement la plupart des combattants rouges. Un parti proche des communistes fut autorisé à agir légalement, malgré les arrestations dont furent victimes ses dirigeants en août 1923. En matière religieuse, une loi donna un statut favorable aux orthodoxes de Carélie. Le développement économique eut un rythme plus rapide que dans le reste de l’Europe. L’industrie, en particulier, atteignit, entre 1924 et 1928, 15 p. 100 de croissance annuelle. Quant à l’enseignement, il connut des progrès remarquables avec la généralisation des écoles techniques et le développement des instituts universitaires. La vie culturelle resta très animée, marquée par la percée du roman populaire, de la radio, du disque et du sport, avec les grands champions Paavo Nurmi et V. Ritola.

Les problèmes, cependant, ne manquaient pas. La Finlande blanche n’était pas prête au pardon. Les gardes civiques tenaient le haut du pavé et l’enseignement était marqué par un nationalisme farouche. Le virage à droite de 1923-1924 amena la président Ståhlberg à renoncer à une nouvelle investiture. Il fut remplacé par l’agrarien conservateur L. K. Relander en 1925. L’instabilité gouvernementale restait par ailleurs assez forte, les partis ne parvenant pas à s’entendre sur les problèmes cruciaux, tant à droite qu’au centre ou à gauche. Le recours à des gouvernements minoritaires, comme celui du social-démocrate Tanner en 1926-1927, n’était qu’un pis-aller. En outre, l’agitation ouvrière connut une recrudescence à la fin des années 1920, ce qui contribua à entretenir dans le pays une peur exacerbée des communistes, qui avaient vu leurs scores électoraux remonter en 1927 et en 1929.

Les vicissitudes des années 1930

La crise économique toucha la Finlande dès le début de l’année 1930. L’industrie du sciage en fut la victime la plus évidente. Mais, en réalité, toutes les activités furent frappées. Le chômage devint très fort parmi les travailleurs urbains, surtout les ouvriers du bâtiment et les manœuvres. La petite paysannerie ressentit aussi les effets de la dépression. Mais, en comparaison des grands pays capitalistes, le ralentissement économique fut de courte durée. Dès 1933, le retour à une activité normale se fit jour et la fin de la décennie fut marquée par un essor rapide de la production.

Les répercussions sur la vie politique furent toutefois plus durables. Dès l’automne de 1929 naquit en Ostrobotnie le mouvement de Lapua, qu’on a souvent assimilé à une forme finlandaise de fascisme. D’origine rurale, ultranationaliste et conservateur, ce mouvement était au départ dirigé contre les organisations communistes ou d’extrême gauche dont il demandait l’interdiction au nom de l’idéal de la Finlande blanche. N’hésitant pas à recourir à la violence physique et à des manifestations spectaculaires, comme la «marche sur Helsinki» en juillet 1930, il s’attira dans un premier temps la bienveillance des milieux conservateurs, ce qui lui permit de peser sur les événements. Ainsi, au printemps de 1930, il imposa pratiquement le vote des lois anticommunistes et le retour de Svinhufvud au gouvernement. En 1931, il joua un rôle non négligeable dans l’élection de celui-ci à la présidence. Mais ses excès et les prétentions de ses chefs aboutirent assez vite à son isolement. En février 1932, la tentative de coup d’État de Mäntsälä fut son chant du cygne. Désormais dissous, le mouvement se métamorphosa en un parti beaucoup plus urbain et petit-bourgeois, ouvertement fascisant (I.K.L.) qui obtint 8 p. 100 des voix aux élections de 1933. L’onde de choc se répercuta pourtant encore plusieurs années. Le gouvernement Kivimäki, de 1932 à 1936, fut en effet l’un des plus à droite que la Finlande eut jamais à connaître et, dans l’exaltation nationaliste, la guerre des langues fut à nouveau relancée. Il fallut attendre 1937, avec l’élection de l’agrarien K. Kallio à la présidence et surtout la formation d’un gouvernement de coalition dit «rouge terre» (sociaux-démocrates et agrariens) pour que le climat s’apaisât et que fût mise une sourdine aux éclats de l’extrême droite.

C’est cependant la hantise de la sécurité qui occupa le devant de la scène durant toutes ces années. Les rapports avec l’U.R.S.S. furent normalisés par la signature en 1932 d’un pacte de non-agression et, en 1934, la Finlande vota pour l’admission de son puissant voisin à la S.D.N. Ces actes ne mirent pourtant pas fin à la méfiance réciproque et les relations restèrent froides entre les deux pays. La faillite de la S.D.N. incita d’ailleurs les responsables finlandais à rechercher dans l’alliance avec les pays scandinaves un contrepoids à la puissance soviétique, ce qui eut pour effet d’indisposer les dirigeants du Kremlin, peu convaincus par les protestations de neutralité finlandaises. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, ceux-ci cherchèrent à obtenir des gages plus substantiels, d’où la détérioration d’une situation déjà précaire. Et ce n’est pas le prix Nobel de littérature obtenu par F. Sillanpää qui pouvait, durant l’été de 1939, distraire les Finlandais de leurs angoisses.

Dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale

Dès avril 1938, les dirigeants soviétiques avaient pris de discrets contacts avec les autorités finlandaises pour obtenir que, en cas d’attaque par une tierce puissance, la Finlande vînt en aide à l’U.R.S.S. Au printemps de 1939, ils proposèrent de louer ou d’échanger plusieurs îles du golfe de Finlande pour assurer la défense de Leningrad. Le refus du gouvernement finlandais amena durant l’été un raidissement de la position de Moscou. Alors que l’une des clauses secrètes du pacte germano-soviétique d’août 1939 laissait à l’U.R.S.S. les mains libres face à la Finlande, Molotov pressa au début d’octobre la direction finlandaise de venir à Moscou discuter de «questions politiques concrètes». Cette fois, les Soviétiques exigèrent en sus la location à bail de Hanko et l’échange d’une partie de l’isthme de Carélie. Dirigée par J. K. Paasikivi, la délégation finlandaise était partisane de la conciliation, mais l’intransigeance du gouvernement de Helsinki et des négociateurs soviétiques réduisit à néant ses efforts. À la fin de novembre, les dirigeants du Kremlin prirent la décision d’attaquer militairement, tandis que les Finlandais mobilisaient à titre préventif leurs troupes. En outre, afin de créer le trouble dans l’opinion ouvrière, Staline crut bon, le 1er décembre, de mettre sur pied le gouvernement de Terijoki, formé de dirigeants communistes en exil. C’était sans compter sur la ténacité des combattants finlandais et le patriotisme des couches populaires. Durant deux mois, les troupes soviétiques furent tenues en échec, alors qu’à l’arrière s’organisait une sorte d’union sacrée dont les «fiançailles de janvier» entre patronat et syndicats furent l’une des émanations les plus significatives. Toutefois, malgré le flot de sympathie verbale dont elle fut alors submergée, la Finlande était pratiquement réduite à ses seules forces. Un sursaut de l’adversaire la mit dès février 1940 dans une position critique. Il fallut songer à l’armistice et négocier dans des conditions beaucoup plus défavorables qu’à l’automne. Finalement, la «guerre d’hiver» s’acheva le 13 mars par la perte d’une partie de la Carélie, soit 10 p. 100 environ du territoire national. Trois cent mille réfugiés durent être accueillis d’urgence. Les pertes humaines s’élevaient à vingt-quatre mille morts et quarante-trois mille blessés.

L’amertume était grande dans le pays et certains milieux dirigeants songeaient déjà à la revanche. Dès l’été de 1940, des rencontres discrètes eurent lieu à très haut niveau avec des émissaires allemands. Elles furent poursuivies dans les mois suivants. En avril 1941, le président R. H. Ryti, élu en remplacement de Kallio, malade, fit savoir aux nazis qu’il désirait conquérir une partie de la Carélie orientale. Le mois suivant, mis au courant du projet Barberousse, le gouvernement finlandais approuva la proposition allemande de coordonner les attaques contre l’U.R.S.S. Toutefois, ce n’est que le 25 juin 1941, trois jours après l’attaque allemande, que la Finlande entre officiellement dans la «guerre de continuation», suite à un bombardement d’Helsinki par des avions soviétiques qui permit d’entretenir la fiction d’une guerre défensive. Dans un premier temps, les armées de Mannerheim remportèrent des succès importants. À l’automne de 1941, elles atteignirent la ville de Petroskoï. Mais elles ne participèrent pas directement, malgré les injonctions allemandes, au siège de Leningrad. Cependant, dès le début de l’année 1942, la résistance soviétique se fit très dure et le front se stabilisa, y compris en Laponie où opéraient des troupes allemandes venues de Norvège. À l’arrière, d’ailleurs, une partie de l’opinion était choquée par l’alliance avec les nazis et refusait de participer à une guerre de conquête. Le conflit s’éternisant, trente-trois hommes politiques, en majorité de gauche, écrivirent en août 1943 au président pour demander des négociations de paix. L’état-major lui-même s’inquiétait de la durée du conflit. Les contacts pris avec l’Union soviétique achoppèrent cependant sur la question des frontières, les Russes exigeant le retour à celles de 1940 et non de 1939. De plus, il était hors de propos à leurs yeux de conserver l’alliance germano-finlandaise, considérée comme criminelle. Il fallut donc s’en remettre au sort des armes. En juin 1944, le front de l’isthme de Carélie fut percé une première fois par les Soviétiques. Pour obtenir une aide allemande supplémentaire, le président Ryti signa alors, à titre personnel, la promesse de ne pas conclure de paix séparée avec l’U.R.S.S. Mais il était déjà trop tard. Mannerheim en personne déclara en août à Wilhelm Keitel qu’il n’était pas engagé par le traité de Ryti, auquel le rusé maréchal devait bientôt succéder. En septembre, le Parlement accepta en session secrète de traiter avec l’U.R.S.S. aux conditions fixées par elle, à savoir le retour à la frontière de 1940, la renonciation à Petsamo, la location pour cinquante ans de la base de Porkkala, une indemnité de 300 millions de dollars et la promesse de chasser militairement les anciens alliés allemands.

L’accord fut signé le 19 septembre 1944. Il nécessita à l’automne l’intervention des troupes finlandaises contre les Allemands en retraite dans le Nord. Ceux-ci, mortifiés d’avoir été «trahis», commirent alors de sauvages exactions pour protéger leur fuite. La «guerre de Laponie» fut en tout cas le prix à payer pour éviter une occupation soviétique qui aurait été catastrophique dans un pays exsangue. Elle permit également de garantir l’honneur et l’indépendance future de la Finlande.

3. La Finlande depuis 1945

La reconstruction (1945-1956)

Le bilan de la guerre était particulièrement lourd. Quatre-vingt-cinq mille Finlandais avaient péri dans les combats. Quatre cent vingt mille réfugiés Caréliens, en majorité cultivateurs, attendaient qu’on leur redonnât un logement et du travail. La Laponie avait été ravagée. Le rationnement était sévère et il fallait au plus vite assurer le paiement des réparations.

Dans ce contexte dramatique, le gouvernement devait en priorité assurer le relèvement économique et social. Au début de 1945, une série de mesures d’urgence permirent de parer au plus pressé. Une loi agraire autorisa la mise en culture de terres nouvelles et un partage plus équitable de la propriété au profit des réfugiés et des paysans défavorisés. Un système de pensions fut élaboré en faveur des invalides et des veuves de guerre, tandis qu’était améliorée la protection des mères et des enfants. Un ambitieux programme de relogement et des aides à la Laponie martyre complétèrent le tout. Pour assurer les livraisons de matériel prévues par l’armistice, l’État s’engagea dans la création d’une industrie métallurgique développée. Par des subventions et une action persévérante, il évita à l’économie de graves problèmes de reconversion. Les résultats furent à la hauteur des espérances. Dès 1948, le niveau de production de 1938 fut dépassé. En 1952, on put fêter solennellement la fin des réparations. La haute conjoncture née de la guerre de Corée devint alors le stimulant d’une industrie rénovée. L’agriculture, pour sa part, s’était modernisée, et parvenait à subvenir aux besoins de base, ce qui mit fin au rationnement. Tous les problèmes, cependant, n’étaient pas résolus. Une inflation excessive rognait les salaires et les conflits sociaux furent parfois très âpres, comme lors des émeutes de Kemi en 1949. Les travailleurs avaient souvent l’impression de ne pas recueillir le fruit de leurs efforts.

Une autre tâche primordiale occupa les responsables finlandais, à savoir l’organisation des rapports avec les vainqueurs, l’U.R.S.S. en particulier. Paasikivi, successivement Premier ministre puis président de la République de 1946 à 1956, joua dans ce domaine un rôle fondamental. Conservateur sur le plan politique, il avait pourtant compris que seule une attitude réaliste avait des chances de réussir. Pour lui, la Finlande devait tenir compte des préoccupations soviétiques en matière de sécurité et garantir son indépendance en se montrant capable d’apaiser les tensions issues d’une histoire douloureuse. Pour rassurer ses interlocuteurs, il préconisa le respect scrupuleux des clauses de l’armistice de 1944 et du traité de Paris de 1947, si dures fussent-elles. En outre, il accepta l’intégration des communistes dans la vie politique finlandaise. Après avoir décliné l’offre de l’aide Marshall sans se brouiller avec les Américains, il sut négocier au mieux en 1948 la signature d’un traité d’amitié et de coopération avec l’U.R.S.S. qui ne mettait pas en cause les principes d’une réelle indépendance. Cette ligne de conduite, la seule possible, permit en pleine guerre froide de garder de bonnes relations avec les deux camps. De la sorte, la Finlande put obtenir à la fois l’organisation des jeux Olympiques de 1952, sa participation au Conseil nordique aux côtés de pays membres de l’O.T.A.N., son entrée à l’O.N.U. et la libération anticipée de la base de Porkkala en 1956.

En politique intérieure, d’importants changements eurent lieu durant cette période. Longtemps persécutés et interdits, les communistes purent agir au grand jour. Alliés à l’aile gauche de la social-démocratie au sein de la Ligue des démocrates-populaires (S.K.D.L.), ils acceptèrent les règles du jeu démocratique et participèrent activement au gouvernement jusqu’en 1948 aux côtés des sociaux-démocrates et des agrariens. Au contraire, les organisations et les politiciens symbolisant la ligne suivie durant la guerre furent mis à l’écart. Quelques personnalités, comme V. Tanner ou Ryti, passèrent même en jugement comme criminels de guerre et furent condamnés à des peines de prison. L’orientation à gauche de la vie politique fut toutefois interrompue après le départ des démocrates populaires du gouvernement. La nouvelle coalition «terre rouge» pratiqua, malgré les réticences social-démocrates, une forme d’austérité déguisée et suscita la méfiance de Moscou, pour qui le S.D.P. restait le parti de Tanner. Des dissensions favorisèrent en 1953 le retour momentané de la droite au pouvoir et, en 1956, la campagne pour les élections présidentielles, particulièrement venimeuse, montra que le climat politique s’était détérioré. Urho Kekkonen, le candidat de la Ligue agrarienne, l’emporta d’extrême justesse en dépit d’une manœuvre visant à lui opposer Paasikivi, proposé aux suffrages des grands électeurs bien qu’il n’eût point au départ posé sa candidature.

Les mutations de la croissance (1956-1974)

À partir des années 1950, la Finlande connut un développement économique remarquable. Le P.N.B. fit plus que doubler et la production se diversifia rapidement, de même que les exportations où la part des dérivés du bois recula au profit d’autres produits manufacturés. L’ouverture sur l’extérieur s’accéléra: par deux fois (1955, 1970), la Finlande renouvela le traité d’amitié et de coopération avec l’U.R.S.S. tandis que, en 1961, elle devenait membre associé de l’A.E.L.E. et signait en 1973 un accord commercial important avec la C.E.E. Le pays entrait ainsi dans le peloton des États les plus développés du monde. Cela se manifesta sur le plan social par des changements fondamentaux. La proportion de paysans dans la population active passa de 54 p. 100 à 14 p. 100 en 1975. Parallèlement, les urbains devinrent largement majoritaires alors qu’ils n’étaient que 32 p. 100 en 1950, ce qui fut la source de problèmes nouveaux. Par ailleurs, l’émigration vers la Suède battit alors son plein amenant près de deux cent mille Finlandais à s’expatrier. Dans les années 1960, les gouvernements s’efforcèrent d’améliorer la protection sociale, surtout en matière de santé et de retraite. Les accords-cadres entre patronat et syndicats devinrent la règle comme en Scandinavie. Le niveau de scolarisation s’éleva enfin de façon significative. La pénétration beaucoup plus large des idées venues de l’étranger, par le biais des médias, modifia les termes de la vie culturelle et spirituelle. Au sein de l’intelligentsia, beaucoup abandonnèrent le conservatisme nationaliste qui avait prévalu jusque-là. On s’adonna davantage à la critique sociale, sur un mode parfois idéaliste et romantique, et l’on refusa de s’enfermer dans une culture élitaire. Les idées de gauche et d’extrême gauche furent très en vogue, amenant par exemple de nombreux jeunes intellectuels à militer au sein de l’aile stalinienne du Parti communiste. La publication du grand roman de Väinö Linna, Ici sous l’étoile polaire , provoqua également un grand débat sur la guerre civile de 1918 dans une perspective plus sereine et plus juste.

Grâce à l’action habile et persévérante du président Kekkonen, la position internationale de la Finlande se consolida sur la base d’une neutralité active. Vis-à-vis de l’U.R.S.S., la ligne fixée sous Paasikivi se poursuivit en s’approfondissant et en se clarifiant. Kekkonen, qui jouissait de la confiance des dirigeants soviétiques, sut éviter les frictions et les ingérences comme en septembre 1958 («gels nocturnes» après l’élection de Tanner comme président du S.D.P. et la formation du ministère K. A. Fagerholm) et en octobre 1961 (à la suite de la demande de consultations militaires lors de la crise de Berlin). Il gagna aussi progressivement le respect des Occidentaux les plus clairvoyants, comme en témoignèrent son invitation officielle par le général de Gaulle en octobre 1962 et les bons rapports régnant au sein du Conseil nordique où les pays scandinaves refusèrent pourtant d’approuver sa proposition d’une zone dénucléarisée en Europe du Nord faite en mai 1963. Cette position privilégiée entre l’Est et l’Ouest permit à Helsinki, qui en avait formulé le souhait dès 1969, d’accueillir la fameuse Conférence sur la paix et la coopération en Europe en 1975.

La vie politique interne resta pour sa part assez animée. De 1956 à 1966, les agrariens (devenus en 1964 Parti du centre) dominèrent les combinaisons gouvernementales, favorisés en cela par les graves dissensions des sociaux-démocrates (scission de 1958) et l’isolement des communistes. Mais, en 1966, la victoire électorale d’une gauche à nouveau unie ramena au pouvoir ces formations, ce qui entraîna sous les cabinets Paasio et Koivisto une vague de réformes sociales. Le résultat décevant des élections de 1970 affaiblit cependant cette grande coalition et les démocrates populaires s’en retirèrent en 1971. Mais, à partir de 1968, Kekkonen fut réélu à la présidence avec le soutien de l’ensemble des formation politiques, preuve qu’il était devenu l’axe indispensable du bon fonctionnement des institutions.

Crises et incertitudes (1975-1992)

Cette période fut marquée en Finlande par la persistance des difficultés économiques. De 1975 à 1978, la crise se manifesta par l’arrêt de la croissance, l’augmentation rapide du chômage (8 p. 100 en 1979), le recul des exportations et la relance spectaculaire de l’inflation (18 p. 100 en 1975). L’endettement devint préoccupant. Dès 1979, pourtant, on assista à la reprise rapide de l’activité. En cinq ans, le P.N.B. progressa de 28 p. 100, contre 9 p. 100 seulement pour l’ensemble des pays de l’O.C.D.E. et, en 1984, le produit par tête dépassa celui de la R.F.A.! Élément original, cette croissance fut en partie fondée sur une augmentation rapide des échanges avec l’U.R.S.S., qui permit de développer les chantiers navals et le textile, en difficulté pourtant sur le plan international. Mais, à partir de 1985, la baisse du prix du pétrole menaça l’équilibre de ce commerce bilatéral, car l’essentiel des exportations soviétiques était constitué d’hydrocarbures. Moscou réduisit ses achats et il fallut alors songer à des compensations sur les marchés occidentaux. Par chance, ceux-ci étaient en expansion grâce à la reprise de début de cycle. Mais la compétition très forte qui y régnait nécessitait des adaptations douloureuses, en particulier pour l’emploi. Après des débuts laborieux en 1986, le redémarrage fut donc plus lent que prévu. En outre, à partir de 1990, l’affaiblissement des principaux marchés d’exportation (États-Unis et Grande-Bretagne entre autres) entraîna une dramatique augmentation du chômage (400 000 personnes à la fin de 1992), des faillites en cascades et une forte dévaluation du markka, l’ouverture souhaitée sur l’Europe n’apparaissant plus comme une panacée malgré les efforts des gouvernements successifs pour la promouvoir.

Au demeurant, l’atmosphère de crise laissa des traces profondes dans la société finlandaise. Le maintien des avantages acquis fut souvent remis en cause par la politique de rigueur. Les années 1980 furent donc émaillées de conflits sociaux, au mépris parfois des conventions collectives, ce qui dénotait un essoufflement du système de concertation et montrait que les Finlandais ne désiraient pas rompre avec leurs traditions contestataires. La confiance dans les partis traditionnels s’effrita également. La principale victime en fut la Ligue des démocrates populaires qui, après avoir quitté le gouvernement en 1983 et s’être divisée en 1985, perdit plus d’un tiers de ses suffrages et fut amenée à se recomposer sur un modèle proche de l’ex-P.C. italien. La social-démocratie n’eut guère non plus à pavoiser, malgré la double élection de Mauno Koivisto à la présidence de la République (1982 et 1988). Désavouée par une partie de son électorat, elle abandonna sa participation aux gouvernements de coalition pour retrouver quelques couleurs. Quant aux progrès électoraux des partis bourgeois, qui dirigèrent la vie politique à partir de 1987, il furent interrompus lors des élections du printemps de 1992. Ces années virent surtout la montée de mouvements alternatifs qui refusaient certaines règles de la société de consommation et prônaient la défense de l’environnement et une meilleure promotion de l’individu dans la vie quotidienne.

4. En quête d’une littérature nationale

La patiente conquête d’une indépendance, menacée vivement à l’ouest, puis à l’est, explique un romantisme nationaliste, jamais renié, que justifient en outre la conscience d’un passé riche de traditions épiques, l’appartenance à une nation dont l’antiquité soulève maintes passionnantes énigmes, et le sentiment d’avoir vécu – de continuer à vivre – une histoire exemplaire à plus d’un titre. Parallèlement, malgré l’ouverture aux souffles venus de l’étranger, malgré les efforts vers un réalisme fruste chez les uns, somptueux chez d’autres, raffiné pour certains encore, malgré le plaisir de faire chanter une langue d’une rare musicalité, revient toujours le romantisme éternel de cœurs torturés par d’indicibles angoisses, trop compromis avec la terre mère et l’histoire pour être capables de discerner les envoûtements de la vie des fascinations de la mort.

La nuit épique

Le Moyen Âge finlandais a prodigieusement chanté. En octosyllabes formés de quatre trochées obligatoirement liés par le jeu des allitérations et la loi du binaire (toutes les idées sont répétées de deux façons différentes), ce qui ne va pas sans obscurités, artifices ni lourdeurs, les runo , c’est-à-dire les chanteurs (le mot ne signifiera chant que beaucoup plus tard), accompagnés de cette sorte de cithare que l’on appelle kantele , déclamaient seuls sur fond de chœur, ou encore assis à deux, face à face, mains dans les mains et se balançant d’avant en arrière – attitude magique que l’on retrouve dans certaines visur islandaises rapportées au XIIIe siècle. Les aventures fantastiques du dieu Vaïnämöinen et du panthéon finnois, la geste de Lemmikäinen ou celle de Kullervo, la fête de l’ours, et quantité d’autres poèmes, contes, proverbes, énigmes, incantations; mythe ou histoire: tout a été matière à chant. Fables, contes, légendes y ont subi un grossissement épique animé d’un dynamisme étrange, sorte de mouvement perpétuel qui fait avancer le poème dans l’envoûtement très particulier que procure la geste atemporelle des débuts de l’histoire. Tous les tons s’y rencontrent cependant, et la moindre des originalités de ce qu’Elias Lönnrot (1802-1884) appellera Kalevala n’est pas cette collection, unique au Moyen Âge, de chants de travail, de chasse, de jeu, de fêtes, voire de berceuses, qu’il a rassemblée et qui ne ressemble à rien de connu ailleurs. Magique ou didactique, lyrique ou narrative, la poésie populaire finlandaise déroule ses inévitables octosyllabes comme une immense tapisserie monotone. Le jour où le christianisme conquerra ces terres lointaines, le même mètre régira inlassablement une production devenue plus conforme à nos habitudes et à notre inspiration.

On peut supposer qu’à partir du passage sous la tutelle suédoise (1155), bien que le finnois ait été relégué au rang de langage populaire et que toute la littérature officielle ait été rédigée en suédois ou en latin, la même inspiration a maintenu vivace le sentiment d’appartenance indéfectible à une communauté antique. Au demeurant, la période catholique suédoise (jusqu’en 1540) ne compte pas d’œuvre marquante, mais, avec la Réforme, un retour, d’abord timide, au vernaculaire redevient possible; l’Abécédaire de Michel Agricola (vers 1540) est le premier ouvrage imprimé en finnois, suivi du Livre de prières (1544) et d’une traduction complète du Nouveau Testament (1548).

Pendant les XVIe et XVIIe siècles, nulle production remarquable, en dehors de quelques coutumiers traduits du suédois, et d’ouvrages théologiques sans originalité.

La fondation de l’académie d’Åbo, en 1640, par le gouverneur suédois fennophile Per Brahe, où l’enseignement se donne en latin et en suédois, consacre la décadence du finnois dans un pays qui se trouve d’ailleurs écartelé par les rivalités sanglantes entre la Suède et la Russie. Des œuvres médiocres comme La Messiade de Matthias Salamnius ne méritent qu’une brève mention; elle rappelle toutefois que seule la voie épique fait pénétrer au royaume des lettres finlandaises.

Le romantisme nationaliste se fait jour pour la première fois en 1700: Daniel Juslenius fait remonter le finnois à la tour de Babel, dans Aboa vetus et novus , entreprise qui démarque l’Atlantica sive Manhem de Olof Rudbeck, en Suède (1679); un Dictionnaire finnois-latin-suédois paraît en 1745, suivi des toutes premières études sur la poésie populaire finnoise de Henrik Porthan: De poesi fennica (1766-1778) et de la Mythologica fennica de Karl Ganander. En 1776, Antti Lizelius édite le premier journal en langue finnoise. La Suède subit à cette époque une éclipse qui se solde par le rattachement de la Finlande à la Russie en 1809: les temps sont mûrs pour un commencement d’émancipation.

Les vagues romantiques

Parce que le tsar Alexandre Ier était libéral, que l’heure était à l’éveil des nationalités, que les Russes ne s’implantèrent jamais en Finlande aussi profondément que les Suédois, le nationalisme finnois put s’exprimer. Autour de l’université de Turku se rassemblent les partisans de l’indépendance: A. Arwidsson, Johan Linsén, Johan Tengström, Axel Gabriel Sjöström, dont les cœurs sont finlandais, même si leurs noms sont suédois; ce qui n’est plus le cas de Jaako Juteini. Malgré les proscriptions et les outrances verbales, l’idée du caractère inaliénable de la personnalité finlandaise prend corps; C. A. Gottlund suggère, en 1817, dans le Svensk Literatur-Tidning , de rassembler les chants populaires: «Si l’on voulait collecter les vieux chants nationaux et en faire un tout systématique [...], il en résulterait un nouvel Homère, Ossian ou Nibelungenlied ; et la nation finlandaise en serait glorifiée dans l’éclat et l’honneur de son originalité propre, dans la conscience de son individualité; rehaussée de la gloire de son développement propre, elle susciterait l’admiration des contemporains comme celle de la postérité.»

Cet appel est entendu. L’université ayant été transférée, en 1827, de Turku (Åbo) à Helsingfors (Helsinki), on passe des premières démarches brouillonnes à une organisation méthodique du romantisme. Deux sociétés littéraires se fondent, qui seront ses organes – la Société du samedi et la Société de littérature finnoise –, tandis que monte l’étoile de l’«Homère finnois», Elias Lönnrot. Ce fils d’un petit tailleur, après avoir mené à bien des études de lettres et de médecine, obéit aux conseils de son maître, le linguiste et journaliste Reinhold von Becker, lui-même grand admirateur de Gottlund, et entreprend son immense travail de prospection et de rédaction. En 1832, il a déjà rassemblé des centaines de poèmes. Il en fait un premier recueil de 12 078 vers, organisé en un grand poème épique de 32 chants, auquel il donne le titre de Kalevala (Le Pays de Kalev ). Dix-sept ans plus tard, une deuxième édition présente 22 795 vers répartis en 50 chants. Parallèlement, il fait paraître des chants lyriques: Kanteletar (1840-1841, deux volumes), des Proverbes populaires finlandais (1842), des Devinettes populaires finlandaises (1844), des Anciens Chants magiques du peuple finlandais (1880), œuvre colossale qu’il couronne de son magistral Dictionnaire finnois-suédois (1874-1880). Ni Asbjörnsen et Moe, en Norvège, ni Grundtvig au Danemark, ni Jón Árnason en Islande, ni même les frères Grimm en Allemagne ne sont comparables à Lönnrot. Non seulement il a ressuscité l’âme de son peuple, dont il a exhumé le trésor national, non seulement il lui a donné conscience de sa grandeur et de son originalité, mais il lui a mis en mains tous les instruments nécessaires à l’édification de sa littérature et à la revivification de sa culture.

À la même époque, d’ailleurs, les lettres suédoises en Finlande ont connu leur apogée avec Runeberg, Topelius et Snellman – dont on parlera plus loin –, et tous trois ont exalté à leur manière le patriotisme finlandais, et dans leurs écrits proprement littéraires, et dans les journaux auxquels ils collaboraient.

L’évolution s’accentue vers 1860. Alexandre II laisse publier des journaux populaires, ouvrir des écoles finnoises, tandis que s’opèrent les premières tentatives pour faire du finnois la langue officielle du pays. En même temps les influences étrangères se dessinent: on commence à découvrir Darwin, Balzac, Flaubert, entre autres. Sous leur égide et parce que le peuple devient de plus en plus le sujet profond de la littérature, le réalisme apparaît dans les lettres, timidement d’abord. Disons tout de suite qu’il ne correspond jamais à ce qu’on entend par là en Europe occidentale, parce qu’il est combattu par le romantisme impénitent des Finlandais, et par un souci d’esthétique qui détourne souvent les écrivains d’expressions brutales ou grossières, auxquelles l’harmonie naturelle de la langue se prête mal. Ainsi le père du réalisme finlandais, Aleksis Kivi (pseudonyme d’Aleksis Stenvall), pour puissant qu’il soit dans un chef-d’œuvre comme Les Sept Frères (1870), où pourtant le souffle épique et la veine picaresque le disputent à la peinture des mœurs, hésitera entre le drame biblique (Léa , 1869), la tragédie fantastique (Kullervo , 1864), la comédie populaire (Les Cordonniers de la lande , 1864), dans une œuvre désorientée par les fantasmes de l’alcoolisme et de la folie. Aleksis Oksanen (pseudonyme d’A. E. Ahlqvist) préfère s’attacher à la perfection du style (le recueil de poèmes Étincelles , 1860-1891), Kaarlo Kramsu, au pessimisme romantique (Poèmes , 1878), et Juhana Erkko, à la poésie idyllique ou élégiaque. En revanche, les fennomanes Yrjö Koskinen, auteur d’un Dictionnaire finnois-français , Suonio (pseudonyme de Julius Krohn, premier historien de la littérature finlandaise) et Kaarlo Bergbom, qui crée la scène finlandaise, concourent, à des degrés divers, à la diffusion d’une littérature populaire, dont le maître, Pietari Päivärinta, donne une excellente illustration dans le roman Ma vie (1877).

Visages du réalisme

Dès lors, le mouvement est lancé. Sans doute, ici comme ailleurs, le réalisme se conçoit-il d’abord en réaction contre le classicisme et le romantisme, et se donne-t-il, autour de 1880, une revue (Valvoja , Le Gardien , 1881), un mouvement (Nuori Suomi, Jeune Finlande, 1885) et un journal (Päivälehti, Le Quotidien , 1890), tandis que les influences des deux grands Norvégiens, Ibsen et Björnson, se conjuguent à celle de Zola pour imposer une nouvelle vision du monde. Mais ni La Bête humaine , ni Hedda Gabler , ni Au-delà des forces humaines ne trouvent d’écho profond en Finlande. Elle reste fidèle à Daudet et à Darwin, et elle découvre Tolstoï; de ces trois auteurs dérivent les trois faces du réalisme finlandais.

Alphonse Daudet est le maître de celui que l’on peut considérer, peut-être, comme le plus grand écrivain finlandais, Juhani Aho (pseudonyme de Johan Brofeldt). Sorti d’un rigide milieu protestant, d’abord journaliste, il commence par de courts récits (Au temps où père acheta la lampe , 1883; Le Chemin de fer , 1884), où transparaît, derrière une forme qui se voudrait révolutionnaire et un souci de provocation dans la peinture des mœurs, une profonde tendresse pour le petit peuple. La Fille du pasteur (1885) et particulièrement La Femme du pasteur (1893) imposent son nom et sa manière, faite de réalisme mesuré et, plus encore, de recherche de la perfection formelle, visible également dans ses huit volumes de Copeaux (1891-1921, Hugo aurait dit «Choses vues»). Et pourtant, avec Panu (1897), et surtout avec Juha (1911), son chef-d’œuvre, le romantisme national triomphe. En peignant les amours malheureuses de Juha l’infirme et de Maria l’orpheline, fascinée par le diabolique et byronien Shemeikka, Juhani Aho a exprimé le génie finlandais. Il a voulu éveiller chez ses compatriotes un sentiment national et religieux profond, et peindre leur âme complexe. Ici, la suprême élégance du style chasse les brutalités convenues du naturalisme. Son dernier ouvrage, T’en souviens-tu? (1920), laisse paraître un certain fond de scepticisme souriant.

Pour les drames sociaux écrits par Minna Canth (Vol avec effraction , 1882; La Femme de l’ouvrier , 1885; les Enfants du guignon , 1888; La Famille du pasteur , 1891; Sylvi , 1893; Anna-Liisa , 1895), Ibsen et Darwin servent de «phares». Ardente féministe, elle s’intéresse aussi à la condition des travailleurs, et sa générosité dote ses pièces d’un souffle que n’a pas atteint l’inévitable vieillissement de ses thèses; la fin de son œuvre est plus sombre et l’oriente vers l’étude de conflits violents, de crises, de luttes entre générations, entre mari et femme, surtout.

Quant à Tolstoï, il a définitivement marqué Arvid Järnefelt (1861-1932). Toute l’œuvre de celui-ci, qui comprend des romans (Patrie , 1893; Les Fils de la terre , 1905; Greta et son seigneur , 1925), des drames (Helena , 1902; La Mort , 1903) et une émouvante autobiographie (Mon Réveil , 1894), où il raconte la crise morale qui devait le mener à la conversion, est dominée par une haine du matérialisme ambiant, une critique sociale et une exaltation de la nature qui renvoient en effet à Tolstoï, parfois aussi à Romain Rolland.

Quand, pour des raisons extérieures (ici l’avènement du tsar autoritaire Nicolas II), l’intégrité nationale se sent de nouveau menacée, le pur romantisme revient à la surface. Selma Lagerlöf, Knut Hamsun, Nietzsche, Maeterlinck incitent les écrivains des deux premières décennies du XXe siècle à approfondir leur patriotisme en l’enracinant dans le passé national, entreprise cautionnée par la musique de Sibelius. Le Kalevala redevient la grande source d’inspiration d’une pléiade de poètes lyriques comme Larin-Kyösti (Ballades , 1913), Veiko Antero Koskenniemi (Poèmes , 1906; Élégies , 1917), Otto Manninen (Vers , 1905-1910), Juhani Siljo (Poèmes , 1910) et surtout Eino Leino, auteur fécond, peut-être le plus grand poète finlandais moderne, dont les Chants de la fête du printemps (1903 et 1916) traitent sur le mode héroïque les grandes figures et légendes populaires du pays. Mais cette période est dominée par Johannes Linnankoski (pseudonyme de Vihtori Peltonen, 1869-1913). Ardent nationaliste, il a fondu, dans d’admirables romans (Le Chant de la fleur rouge , 1905; Fugitifs , 1909) ou dans de curieuses nouvelles (La Fermière de Heikkilä , 1905), un romantisme volontiers macabre, un symbolisme moralisateur et le réalisme pratique de son peuple et des paysans, ses ancêtres.

Par là, il donne leurs lettres de noblesse à toute une floraison d’œuvres résolument attachées à la peinture de la vie populaire et prolongeant les enseignements de Päivärinta: les nouvelles de l’ardente Aino Kallas (Derrière la mer , 1904-1905), les pièces de Maria Jotuni (La Côte de l’homme , 1914) et surtout les romans de Joël Lehtonen (Une fois en été , 1917; Putkinotko , 1919-1920).

Après l’indépendance

Depuis que, non sans tribulations, la Finlande a accédé au rang de nation indépendante, le bilinguisme est devenu le problème dominant. En 1917, la classe dirigeante (et possédante) parlait suédois. Au cours des cinquante années qui suivirent, battu en brèche par une opposition qui ne reculait pas devant les moyens, le suédois n’a cessé de régresser. Aujourd’hui, un dixième de la population l’utilise encore.

Cette question a relégué au second plan la création littéraire proprement dite. Au nombre des tâches que s’était assignées la Finlande libre figurait l’édification d’une littérature nationale. Une tentative du côté de l’expressionnisme allemand (le groupe des lampadophores), puis une autre dans le sens de recherches formelles à la manière du Parnasse, dont il reste le nom d’Uuno Kailas (1901-1933; Poésies , 1932), écartelé entre les exigences spirituelles et la sensualité (D’œil à œil , 1926) ou entre Le Rêve et la mort (1931). Si les Suédois de Finlande se sont montrés fort sensibles aux recherches nouvelles venues d’Occident, les œuvres d’expression finnoise, à part quelques échappées vers le réalisme socialiste, comme chez Toivo Pekkanen, restent marquées de cette empreinte, et, à ce titre, celles du Prix Nobel (en 1939) Frans Emil Sillanpää sont caractéristiques. L’auteur de Soleil et vie (1916), de Sainte Misère (1919) et surtout de Silja, ou une brève destinée (1931) a doté d’une âme la nature de son pays. Il y rattache l’être humain, tisse autour de lui un dense réseau de liens invisibles, il fond la conscience individuelle dans un grand inconscient collectif fait d’arbres, d’eau, de légendes, de misère et de beauté (Beauté et misère de la vie humaine , 1945). Il reste la figure de proue d’une littérature à la fois profondément attachée à ses sources populaires et remarquablement ouverte à toutes les sollicitations venues de l’ailleurs, dans le temps comme dans l’espace; constamment soucieuse de sortir de l’isolement que lui vaut une langue difficile, et donc appliquée, outre à se faire connaître au-dehors, à manifester par ses œuvres que rien de ce qui préoccupe l’Occident ne lui est étranger.

C’est ainsi qu’on ne saurait ignorer les prouesses verbales du poète Martii Haavio (1899-1973) dont le porte-parole, le ferblantier Lindblad, est directement nourri aux sources du folklore (Oiseleur , 1952), ou le lyrisme à la Joyce du bohème Pentii Saarikoski (né en 1937), obsédé par le mythe d’Ulysse après avoir, un temps, composé avec le communisme (Le Temps du bonheur , 1971; Le Bal sur la montagne , 1977); l’œuvre du «patriarche de la poésie finlandaise», Arvo Turtiainen (1904-1980; Poésies complètes , 1964), reste un puissant incitateur où interviennent, sur fond de nature obligé, à la fois l’exaltation et la satire de la cité.

Mais c’est surtout la prose qui connaît une vitalité étonnante. On n’évoquera ici que quelques œuvres phares dans un ensemble foisonnant, en insistant surtout sur ce qui demeure spécifique derrière l’affabulation moderniste – laquelle ne va pas sans complaisances, témoin le fracassant Tamara (1972) d’Eeva Kilpi (née en 1928). Il faut, au moins, faire droit à l’érudition et au beau talent de reconstitution historique de Mika Waltari (1908-1979) dans Johannes Angelos (1951, traduction française: Les Amants de Byzance ) et surtout dans Sinouhé, l’Égyptien (1945); à l’inoubliable portrait du «poilu» finlandais de la guerre russo-finlandaise que propose Väinö Linna (né en 1920) dans Soldats inconnus (1954); à la puissante épopée paysanne, reprise de roman en roman (La jeune fille marche sur l’eau , 1955; Aux vestibules et sur les seuils , 1980) d’Eeva Joenpelto (née en 1921); à la figure de l’ouvrier agricole philosophe Konsta Pylkkänen (Le Penseur de Havukka-aho , 1952) de Veikko Huovinen (né en 1927), dont l’humour souvent étrange et le don d’observation relèvent directement du mouvement dit kainuiste, ainsi appelé d’après Kainuu, région de la Finlande du Nord qui inspira nombre de romans paysans; aux nouvelles, dont Une histoire de corde (1957) et aux pièces de théâtre et aux essais de Veijo Meri (né en 1928); à la technique savante – il fait progresser ses romans sur plusieurs plans parallèles à partir de points de vue différents sur une même donnée: Évangile des morts (1954), Sur la ligne des tanneurs (1976-1979) – de Paavo Rintala (né en 1930); au sens admirable de la continuité, sur fond de légende et d’histoire nourri de folklore, entre culture populaire et savante, d’Anu Kaipainen (né en 1933), dans, entre autres romans, Magdalena et les enfants du monde (1969); à la grave méditation sociale et politique de Hannu Salama (né en 1936), auteur du chef-d’œuvre Les actes ont leur témoin oculaire (1972) qui côtoie l’épopée à tout moment; et, pour nous en tenir là, aux fascinants portraits psychologiques que nous propose Heikki Turunen (né en 1945) dans Trompeur (1973) et Elli de Joensuu (1974).

La littérature finlandaise d’expression suédoise

Il s’agit des œuvres qui, écrites en suédois, témoignent néanmoins d’une inspiration profondément finlandaise (à la différence de Creutz ou Franzén, qui ne relèvent que de la littérature suédoise).

Trois romantiques ont contribué à l’éveil de la conscience nationale après 1827: Johan Vilhelm Snellman fut l’organisateur fougueux du mouvement national finnois; Johan Ludvig Runeberg (1804-1877) a eu d’abord grande peine à se débarrasser de sa culture suédoise classique, raffinée, pompeuse, allégorique dans le goût de l’ère gustavienne; la traduction de chants populaires serbes, faite sur une version allemande (Poésies 1830-1832), le révèle à lui-même. Avant d’entrer dans les ordres, il publie de grands poèmes épiques, comme Chasseurs d’élans (1832), écrit en hexamètres homériques, et surtout Le Roi Fjalar , où il concilie l’humanisme traditionnel et la spiritualité chrétienne. Mais, avec les Récits du porte-enseigne Stål , il compose une poésie dense et rude, sobre et martiale pour exalter les héros de la guerre suédo-russe de 1808. Ce chant, tout entier consacré à la gloire du peuple finlandais exalté sur le mode épique, ainsi que Notre Patrie (1848) lui assureront une immense popularité qui ne s’est jamais démentie depuis. Si Zacharias Topelius (1818-1898) n’a pas l’originalité de Runeberg, il a joué un rôle important comme directeur, à partir de 1840, des Helsingfors Tidningar (Nouvelles de Helsinki ). Poète dont l’œuvre est d’une belle musicalité, il est surtout l’auteur d’un grand roman historique, Les Récits du chirurgien militaire (1853-1867), qui font souvent penser à Dumas père, et de contes pour enfants, qui n’ont rien perdu de leur fraîcheur.

De la génération suivante, Karl August Tavastjerna (1860-1898) vaut pour des nouvelles réalistes et des poèmes précieux, à la manière du Suédois Snoïlsky.

Parmi les écrivains de la fin du siècle, on retiendra pourtant Michael Lybeck, romancier et poète réaliste, Bertel Gripenberg, poète épris de beauté formelle, Hjalmar Procopé et Emil Zilliacus, qui tous restent tournés vers la Suède, dont ils suivent les mots d’ordre littéraires.

Après 1918, si Arvid Mörne, Elmer Diktonius et Gunnar Björling, sensibles à des degrés divers aux recherches qui se font en Europe ou en Amérique, méritent l’attention, l’œuvre prestigieuse d’Edith Södergran (1892-1923), qui meurt tuberculeuse après une vie tragique, domine le modernisme finlandais. Ses Poèmes (1916), sa Lyre de septembre (1918), inspirée de Nietzsche, et surtout L’Ombre de l’avenir (1920) ou Le pays qui n’existe pas (posthume, 1925) imposent une forme révolutionnaire, une véritable foi dans les pouvoirs illimités de la poésie, que traversent, comme de grands cris déchirants, les appels désespérés de l’être jeune qui ne veut pas mourir et une quête de l’absolu bien au-delà des larmes.

Au demeurant, la tradition n’est pas morte avec l’indépendance farouchement affirmée. Depuis la dernière guerre, il faut citer quelques noms intéressants de Finlandais écrivant en suédois. Celui de Tove Jansson (née en 1914), peintre, dessinatrice et romancière, ne s’est imposé qu’avec la création du lutin Mumin, héros de toute une série d’ouvrages illustrés par l’auteur, qui commença avec Les Exploits du père Mumin (1950). Bo Carpelan (né en 1926) est un romancier et un poète d’une distinction extrême (La Cour , 1969), et Christer Kihlman (né en 1930) un romancier cruel et puissant attaché à sauvegarder quelques valeurs morales dans une société menacée de décadence (Cher Prince , 1975, après le très controversé Fais gaffe, bien cher , 1960).

La question de la modernité

Les problèmes finlandais ne se distinguent guère de ceux qui se sont posés au Nord dans son ensemble: passage à un modernisme radical, hésitations entre l’obédience au modernisme occidental et un repli farouche sur une tradition d’autant plus chère qu’elle n’a été réaffirmée que voici un siècle. Pourtant, la proximité de l’ex-bloc soviétique et la longue révérence obligée envers le modèle suédois ont valu à la Finlande une situation en double porte à faux, qui se traduit par une fuite dans toutes les variantes possibles de l’humour et de l’ironie ou par une quasi-frénésie à aller jusqu’au bout du modernisme. Le premier trait se lit dans des œuvres comme celles d’Arto Paasilinna (La Forêt des renards pendus , 1983) ou dans La Maison bleue (1985) de Hannu Aho (né en 1948), et surtout dans un chef-d’œuvre comme Un jour en Ostrobothnie (1982) d’Anti Tuuri. Le second, plus fécond, dicte des méditations grinçantes sur notre monde robotisé, comme celle d’Olli Jalonen (Hôtel pour vivants , 1983) ou la série que conclut Hannu Salama avec Le Puits dans la cave (1983). L’inspiration est plus grave chez Matti Pulkinen (Seigneurs de la vie , 1980). Mais, dans l’ensemble, la Finlande littéraire, en finnois, reste, pour reprendre un titre de Marianne Alopaeus (née en 1918), Frappée par la Suède (1983). C’est peut-être, en effet, la littérature d’expression suédoise qui retient le plus. Des maîtres incontestables, comme Tove Jansson, restent productifs. Il en est de même pour Bo Carpelan, qui publia, avec Axel (1986), un ouvrage remarquable sur l’amitié de l’oncle de l’auteur et de Jan Sibelius, ou pour l’excellente styliste Solveig von Schoultz (née en 1907) qui, malgré l’âge, continue d’écrire des nouvelles (Tous les arbres attendent des oiseaux , 1989), sans parler des pamphlets féministes (Le Chaperon rouge , 1986) de Märta Tikkanen, veuve de Henrik Tikkanen (1925-1988), qui s’était imposé dans le genre satirique (La Guerre de trente ans , 1978). Il se pourrait bien que l’œuvre la plus significative de ces dernières décennies fût celle du poète et romancier Claes Andersson (né en 1930), dont le roman Un être humain se met à ressembler à son âme (1986) pose avec talent la seule alternative qu’il nous faille impérieusement dominer: devons-nous accepter ou refuser ce monde actuel, et le choix est-il seulement possible?

Finlande
(république de) état d'Europe septentrionale, bordé par la mer Baltique à l'O. et au S., limitrophe de la Suède au N.-O., de la Norvège au N. et de la Russie à l'E.; 337 032 km²; 5 100 000 hab., dont quelques milliers de Lapons; cap. Helsinki. Nature de l'état: rép. parlementaire. Langues off.: finnois, suédois. Monnaie: markka. Relig.: protestantisme. Géogr. et écon. - Bouclier granitique modelé par les glaciers, la Finlande est un plateau lacustre (plus de 60 000 lacs couvrant 10 % de la superficie), jalonné de collines morainiques; le littoral est très découpé (1 100 km). Les hivers sont longs et rigoureux; les étés, brefs et humides. La majorité des habitants vit dans les régions littorales du S.; urbanisation: 62 %; croissance presque nulle. La forêt boréale de conifères, qui couvre les deux tiers du territoire, fournit 40 % des exportations et a suscité de nombr. activités: importante fabrication de pâte à papier, papeteries, industries du bois et de l'ameublement. L'agric., cantonnée aux littoraux du sud (10 % du territoire), et la pêche (intérieure et côtière) sont insuffisantes; le pays importe la plupart de ses produits alimentaires. Malgré la faiblesse des ressources minérales et énergétiques, l'industrie est diversifiée et s'internationalise. L'augmentation des échanges avec l'Union européenne (Suède et Allemagne, surtout) compense la baisse du commerce avec l'ancienne U.R.S.S. La croissance des années 80 est revenue en 1994, après une phase de récession, mais le chômage est important. Hist. - Jusqu' au XIIe s., les Finnois, peuple ouralo-altaïque, vécurent isolés dans la forêt, pratiquant le comm. des fourrures. Vers 1150, les Suédois attaquèrent les Finnois païens pour les christianiser et les soumettre au royaume de Suède. Du XIIe au XVIe s., la Finlande, duché suédois autonome, adopta peu à peu les institutions suédoises et adhéra à la réforme luthérienne. Aux XVIIe et XVIIIe s., la Russie prit à la Suède la plupart de ses possessions finlandaises; en 1809, elle obtint le territ. entier et l'érigea en grand-duché autonome. à partir de 1881, la russification déclencha une vaste opposition. Nicolas II dut accorder l'élection d'une Chambre au suffrage universel, auquel les femmes furent associées pour la prem. fois au monde (1906); la Finlande profita de la révolution russe de 1917 pour proclamer son indépendance (6 déc.). La guerre civile qui opposa "rouges", partisans des bolcheviks, et "blancs" se termina, en avril 1918, par la victoire, à Tampere, du maréchal Mannerheim, qui, avec l'aide des Allemands, l'emporta sur les troupes soviétiques. Le traité de Tartou (1920) reconnut la Rép. finlandaise. En nov. 1939, la Finlande fut envahie par l'U.R.S.S., à qui elle infligea plusieurs défaites, mais elle dut lui céder (12 mars 1940) l'isthme de Carélie. Le 25 juin 1941, aux côtés des Allemands, elle déclara la guerre à l'U.R.S.S.; vaincue en 1944 (armistice du 19 sept.), elle dut céder à l'U.R.S.S. (1947) les régions de Petsamo (auj. Petchenga), de Salla et la Carélie. Adepte du neutralisme, elle signa, dès 1948, un traité d'amitié avec l'U.R.S.S., puis se tourna vers les autres états scandinaves (adhésion en 1955 au Conseil nordique) et vers l'Europe (elle est associée à la C.é.E. par un accord de libre-échange dep. 1973, est membre de l'Association européenne de libre-échange dep. 1986, et a adhéré au Conseil de l'Europe en 1989). Président de la Rép. de 1956 à 1981, Uhro Kekkonen, chef du parti agrarien (conservateur), fit face à de nombr. problèmes sociaux et financiers, affirma la neutralité de son pays, maintint de bons rapports avec l'U.R.S.S.: en juil. 1975, la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe se tint à Helsinki. Dep. 1982, un social-démocrate est président de la Rép. (Mauno Koivisto, puis, élu pour la prem. fois au suffrage universel en 1994, Martti Ahtisaari) mais de 1982 à 1995 le Premier ministre fut conservateur: Ahrri Holkeri (1987-1991), puis Esko Aho. En 1990, la Finlande a dénoncé le pacte finno-soviétique. Après un référendum (1994), elle est entrée dans l'Union européenne le 1er janv. 1995. Cette m. année, les sociaux-démocrates ont remporté les élections et Paavo Lipponen est devenu Premier ministre.

Encyclopédie Universelle. 2012.