COMÉDIE
Si l’on peut suivre aisément la naissance et le développement de la comédie dans le monde occidental, il est impossible de donner une définition univoque et précise de ce terme. Tantôt il se comprend par opposition à la tragédie, pour désigner une pièce de théâtre dont les personnages appartiennent à une humanité moyenne et dont les péripéties trouvent une conclusion heureuse. Tantôt il vise à différencier la comédie de la farce, dont elle se distinguerait par une expression plus décente, plus conforme à la vraisemblance et plus chargée d’intentions littéraires. La comédie ne se confond pas davantage avec la notion de comique: elle peut tirer ses ressources aussi bien du romanesque que de la fantaisie, de l’analyse psychologique que de l’improvisation débridée. Mieux: le mot de comédie a souvent été utilisé pour renvoyer à toute espèce de théâtre, de la même manière que, dans la langue usuelle, comédien veut dire tout simplement acteur.
S’attache-t-on, d’un autre côté, à étudier la comédie dans son développement historique, on aperçoit d’égales incertitudes à l’intérieur de chaque période et dans chaque pays. Malgré les tentatives qui ont été faites pour codifier ce genre, il n’a pas cessé d’être protéiforme à l’extrême: de la comédie d’intrigue à la comédie larmoyante, de la pastorale à la comédie-ballet et à la comédie musicale moderne, de la comédie héroïque à la comédie de l’absurde, ses aspects sont d’une variété extraordinaire. Plus profondément, la comédie a souffert d’une contradiction fondamentale qui n’a cessé de la marquer depuis sa naissance jusqu’au seuil de l’âge moderne: longtemps écartelée entre ses origines populaires et une ambition littéraire de plus en plus affirmée, elle perdra ses signes distinctifs quand le théâtre aura achevé de se couper de ses racines, à l’âge industriel et bourgeois. La tragédie devenue impossible et la farce exsangue, elle se confondra avec un très large secteur de la littérature dramatique, pour régner sur presque toutes les scènes, selon différentes formules, mais sous l’empire des mêmes conventions. À mesure qu’elle commencera ensuite à se scléroser et que la société se transformera alentour, la comédie sera contestée, voire dynamitée par les écrivains eux-mêmes, avec une hardiesse qui ne fera que croître tout au long du XXe siècle: en même temps que se fera une sorte de table rase, on cherchera alors à retrouver les conditions d’un nouvel enracinement du théâtre.
1. La comédie antique
La comédie européenne est née en Grèce, dans le cadre des fêtes traditionnelles en l’honneur de Dionysos. Au milieu des réjouissances populaires qui suivaient les cérémonies religieuses, un cortège burlesque se formait dans une explosion de plaisanteries et de chansons: ce théâtre quasi spontané engendra dès le VIe siècle avant J.-C., dans les pays doriens, puis à Mégare et en Sicile, des représentations plus concertées, farces, pantomimes ou divertissements mythologiques. Mais ce ne fut guère avant 460 que l’on admit la comédie aux représentations officielles qui avaient cours en Attique: considérée dès son apparition comme un genre mineur, la comédie grecque porta longtemps les traces de son origine populaire.
Dans une première phase, qui va environ de 450 à la fin du Ve siècle, la «comédie ancienne» est illustrée surtout par Aristophane ; fantaisiste jusqu’au mépris de toute vraisemblance, mariant la bouffonnerie et la poésie, elle n’en mord pas moins directement sur le réel: elle met en scène les petites gens de l’Attique aux prises avec l’actualité la plus immédiate, pour s’en prendre avec virulence aux personnages en place, aux mœurs politiques, voire aux fondements de la cité. Sa marque principale est la liberté de l’imagination, du langage, du geste et de la pensée. Mais, à la fin du Ve siècle, les auteurs comiques sont amenés à renoncer à toute satire trop actuelle et trop précise: la «comédie moyenne», qui dure jusque vers 330, cherche ses thèmes dans la mythologie et dans l’observation des mœurs, en attendant que Ménandre, principal auteur de la «comédie nouvelle» (330-250), oriente cet art vers la peinture de l’amour contrarié, des caractères et des conditions, en évitant toutes les outrances du langage; l’intrigue s’émonde, elle aussi, et la psychologie s’affine pour exprimer les grandes lignes d’une morale positive. On voit le chemin parcouru: du comique au plaisant, du merveilleux et du bouffon au naturel, de la satire débridée à la leçon morale, de la fête populaire au divertissement de bonne compagnie. Entre-temps, Aristote aura proposé l’une des premières définitions de la comédie qui doit être, selon lui, «l’imitation d’hommes de qualité morale inférieure, non en toute espèce de vie, mais dans le domaine du risible, lequel est une partie du laid. Car le risible est un défaut et une laideur sans douleur ni dommage.» La comédie va-t-elle accéder à la dignité de genre littéraire? Arrivée à sa maturité, elle entre paradoxalement en décadence, au profit du théâtre populaire qu’elle avait essayé de détrôner.
Curieusement, c’est une semblable trajectoire que la comédie va suivre à Rome: là aussi, il existait une vivace tradition théâtrale populaire, des danses étrusques aux chants fescennins et aux «satires» truffées de danses, de pantomimes et de lazzi. Mais, lorsque apparut Plaute (254-184), la mode était à la grécomanie et aux pièces dites palliatae , inspirées de la comédie nouvelle: Plaute nationalise ce fonds étranger, en le rapprochant de la réalité romaine et en y introduisant de très nombreux passages chantés, de multiples jeux de scène, des types hauts en couleur; il donne le pas au plaisir du théâtre sur les préoccupations morales et sur le souci de la dignité littéraire. Si bien que, lorsque Caecilius et Térence lui succèdent au IIe siècle, ils font accomplir à la comédie latine le même chemin que naguère Ménandre avait fait suivre à la grecque: c’est de nouveau le règne de la décence, du sérieux et du bon ton, qui privilégie le naturel et la vraisemblance psychologique. La comédie n’entre pas pour autant dans le temple du goût. Malgré les tentatives des auteurs de togatae qui la romanisent entièrement, c’est encore le théâtre populaire qui va reprendre le dessus dès l’époque cicéronienne: les atellanes , faites de bouffonneries improvisées qui annoncent la future commedia dell’arte , triomphent à Rome, en même temps que le mime, avec son allure de parade foraine, son réalisme de haute saveur et son sens acrobatique du mouvement, va y connaître une fortune éclatante qui ne se démentira pas sous l’Empire. Une fois de plus, le rêve de faire de la comédie un genre littéraire a échoué.
2. Constitution d’un genre
L’évolution des formes populaires
En effet, de l’Empire romain au Moyen Âge européen, ce sont les formes populaires du jeu comique qui fleurissent partout, avec une continuité remarquable, au détriment du théâtre écrit. Si, dans les écoles, on a continué à lire Plaute et Térence, voire à composer des comédies latines, la renaissance du théâtre comique va se faire au Moyen Âge à travers la satire, la farce et l’allégorie, c’est-à-dire en revivifiant l’immémoriale tradition transmise par les jongleurs et les funambules. Composés pour servir d’intermèdes dans les miracles et les mystères, ou suscités par des confréries littéraires ou joyeuses, les premiers spectacles de cet ordre (comme le Jeu de la feuillée ou le Jeu de Robin et de Marion ) apparaissent au XIIIe siècle sur les tréteaux. Au XVe siècle, ils sont essentiellement le fait des sociétés de fous, de basochiens et d’écoliers, qui les font voyager à travers le pays. Soties, farces et moralités composent ce théâtre d’estrade, aux moyens techniques assez frustes, qui trouve ses effets dans le langage et dans l’agilité corporelle de ses exécutants. Qu’il s’agisse de Maître Pierre Pathelin (1464) ou du Prince des sots (1512) de Gringoire, cette forme libre de la comédie est tenue à l’écart de la littérature. Les humanistes songent déjà à renouer avec le théâtre latin, tel qu’ils le comprennent, et à susciter des ouvrages dramatiques qui puissent prétendre au statut d’œuvres d’art.
En Italie, c’est chose faite au début du XVIe siècle. Avant l’épanouissement de la commedia dell’arte, où les éléments de la tradition populaire se trouveront stylisés et portés à un haut degré de perfection artisanale, la commedia sostenuta acquiert ses lettres de noblesse, et la notion de pièces régulières, grâce à l’Arioste, à l’Arétin et à Machiavel, l’emporte décisivement sur le théâtre populaire et dialectal proposé par le grand Ruzzante. On écrira désormais des comédies soumises aux unités de temps et de lieu, avec une intrigue vraisemblable articulée en cinq actes continus, qui seront jouées dans des salles conçues pour le théâtre, comme il s’en construit alors. De là à l’instauration de règles formelles et à l’apparition d’un appareil théorique contraignant, il n’y avait qu’un pas: dans la seconde partie du XVIe siècle, un classicisme rigoureux établit ses canons sur les scènes italiennes, et Scaliger, pour ne citer que lui, codifia dans sa Poétique (1561) les règles qui devaient désormais régir l’art dramatique, dans une rigoureuse séparation des genres.
À travers toute l’Europe, on retrouve au XVIe siècle cette même ambition d’ériger la comédie en un genre littéraire bien défini, dans la continuité supposée de l’Antiquité latine. Mais, dans les deux pays où un vigoureux théâtre national est alors en train de s’implanter, les doctes ne réussissent pas à imposer véritablement leurs idées: en Espagne, Fernando de Rojas a donné dès 1499 sa Célestine et Gil Vincente, Lope de Rueda, Juan de la Cueva font triompher une forme de comédie à la fois populaire, romanesque et héroïque, qui connaîtra son âge d’or au XVIIe siècle avec Lope de Vega, Tirso de Molina, Calderón et Alarcón; en Angleterre, d’autre part, un irrésistible élan emporte le théâtre à partir de 1576 et une pléiade d’auteurs surgit, comme Ben Jonson, Middleton, Beaumont, Fletcher et Shakespeare, le plus grand de tous: la comédie renaît grâce à eux en même temps que la tragédie, avec une verve et une liberté prodigieuses, non sans assimiler les principaux apports des théâtres italien et espagnol.
En France, cependant, les écrivains de la Renaissance, qu’il s’agisse de Jodelle, de Larrivey ou de Turnèbe, ne réussissent pas à implanter le théâtre régulier et, encore moins, à estimer à sa juste valeur la tradition comique nationale. En revanche, le théâtre de foire connaît une grande prospérité, tant à l’hôtel de Bourgogne que sur le Pont-Neuf, avec Tabarin; de la même manière, le succès de la commedia dell’arte, introduite dans les années 1570, exprime la vitalité de la comédie populaire. En vérité, tant que le théâtre «littéraire» n’aura pas trouvé un public, il sera condamné à rester une utopie d’intellectuels.
L’entrée en littérature
Mais, aux alentours de 1630, voici que l’évolution se précipite soudain. L’aristocratie commence à se policer et à s’intéresser aux débats littéraires et philosophiques; les femmes prennent une place de plus en plus importante dans la société; des salles de théâtre se créent, encore mal équipées, mais animées par des troupes de premier ordre qui s’y fixent en permanence. Les nouveaux théoriciens, de Chapelain à l’abbé d’Aubignac, soutenus par Richelieu, bénéficient d’une bien plus large audience que leurs prédécesseurs. Et, surtout, le théâtre commence à trouver un statut dans la vie mondaine et sociale de l’époque. D’où une abondance, assez nouvelle, de vocations d’auteurs dramatiques, de Rotrou à Scarron et de Boisrobert à Quinault. De 1630 à 1635, Corneille donne six comédies qui intronisent cette forme avec éclat dans l’univers de la littérature: conformes, pour l’essentiel, aux règles nouvelles, elles proposent un modèle de haute tenue littéraire, mais qui use des conventions avec un discernement inventif; plus enjouées que proprement comiques, plantées dans un décor contemporain, romanesques sans excès, animées sans gratuité, ces œuvres présentent une vraisemblance intérieure tout à fait convaincante, qui est le produit d’un réalisme hautement stylisé.
Tout cela s’accorde à merveille avec l’idée de la comédie que se font alors, d’après les Anciens, les tenants du théâtre régulier: conçue par opposition à la tragédie, domaine de la terreur et de la pitié, et à la farce, aux ressorts énormes et gratuits, la comédie doit mettre en scène des personnages de condition moyenne, appelés à triompher des obstacles qui se dressent sur leur chemin. Écrite dans un langage élégant et mesuré, elle sera conforme à la bienséance requise par la bonne société et obéira aux règles de la vraisemblance, qui imposent le respect des unités de temps, d’action et de lieu: car le but du théâtre est de figurer le monde, par les moyens d’une illusion qui a sa logique propre. Dans une telle définition, notons-le, le rire ne figure pas: il s’agit essentiellement de divertir et de plaire, en restant dans le ton de la bonne compagnie et en apprenant aux hommes à mieux se connaître.
La haute comédie est donc enfin entrée en littérature. C’est Molière qui va la ramener vers le théâtre et, l’arrachant à sa situation mineure, lui donner la puissance et la grandeur à laquelle aucun théoricien ancien ou moderne n’avait jamais songé à la prédestiner. Cet artisan de la scène, rompu aux techniques théâtrales, bon connaisseur de la commedia dell’arte et du théâtre de foire, va intégrer à la comédie le meilleur de la tradition populaire et faire du rire un moyen de connaissance, de libération et de combat. S’il donne à l’efficacité scénique le pas sur tout le reste, il ne la considère pas comme une fin en soi: en engageant la comédie dans le temps présent, en l’affranchissant du joug de la raison et en l’accordant à son public, Molière lui donne une fonction sociale et en fait un miroir critique du monde comme il va. Qu’il lui fasse emprunter tour à tour les défroques de la farce, de la pièce d’intrigue, du conte romanesque, de l’allégorie ou du divertissement chanté et dansé, il y suscite des personnages doués de la vérité des fables et il y dénonce les contradictions de l’ordre qui se composent avec les ambiguïtés de la nature humaine; sans jamais se passer de la médiation du rire, il chargera le genre d’intentions complexes, qui lui confèrent une vraie profondeur.
Mais, si Molière est entré dès le lendemain de sa mort dans le panthéon des grands écrivains européens, il n’est pas certain qu’on ait compris alors la vraie portée de son œuvre: il va être pris comme le patron du théâtre littéraire, selon le malentendu favorisé par Boileau, et placé sous le signe de la distinction, de la vraisemblance et de la mesure. C’est au nom de Molière que la comédie va s’engluer dans les conventions du postclassicisme, comme le théâtre bourgeois, plus tard, va justifier au nom de Molière sa soumission aux désirs du public.
3. La crise du XVIIIe siècle
Ainsi, au début du XVIIIe siècle, le prestige du théâtre est à son apogée dans toute l’Europe occidentale et particulièrement en France. L’art dramatique fait désormais partie de la culture officielle et de la vie de société, laquelle commence à constituer un monde clos sur lui-même et qui se mire dans son passé. Si les Comédiens-Italiens, chassés de France par Louis XIV, ont laissé la place à un théâtre de foire plein de vie, la comédie improvisée, la farce et toutes les formes dramatiques populaires sont condamnées à terme par l’évolution de la civilisation; lorsqu’ils reviendront à Paris, les Italiens seront rapidement obligés de se conformer au goût du jour et ils ne retrouveront leur lustre qu’en jouant du théâtre d’auteur, comme celui de Marivaux. Quant au répertoire de la foire, il se mue en opéra-comique, avant de connaître son dernier avatar après la Révolution sous les dehors du vaudeville. Face à cette dégénérescence du théâtre comique non littéraire, on voit se conjuguer les intellectuels, les auteurs et le public cultivé pour imposer le respect des normes de la dramaturgie classique. La Comédie-Française devient, malgré son jeune âge, une véritable institution qui s’érige en gardienne de la tradition avec un sens très vif de sa dignité.
Même évolution partout en Europe. Contestée en Italie au nom de l’art, la commedia dell’arte vit ses derniers beaux jours: Goldoni veut, conformément à la leçon de Molière, donner à la comédie de son pays un statut littéraire, et il y réussit admirablement, comme la postérité s’en apercevra; son rival Gozzi mène un combat d’arrière-garde, sans s’en aviser, en plaidant pour l’improvisation et en se proposant de réintroduire le merveilleux sur la scène avec son théâtre «fiabesque». En Angleterre, après Congreve, Farquhar et John Gay, c’est le bel esprit ou le conformisme moralisant qui règnent; la comédie donnera un ultime feu de paille dans le dernier tiers du siècle, avec Sheridan et Goldsmith. En Espagne, en Russie, en Allemagne, tout le monde se met à l’école du classicisme français.
Mais, les années passant, force est bien de s’apercevoir que cet engouement général, à quoi contribue une production exceptionnellement abondante, masque en réalité une profonde sclérose des genres transmis par le classicisme: le théâtre s’est anémié en devenant littéraire et en s’accrochant à une tradition artificielle et demeurant mal interprétée. De cette évolution souterraine, la tragédie est la première victime. La comédie, quant à elle, se ramifie à l’extrême pour explorer toutes les voies ouvertes par Molière ou tâtonner sur des chemins nouveaux. C’est la comédie de mœurs qui se répand le plus, ne donnant pour chef-d’œuvre que le seul Turcaret de Lesage, au début du siècle; la comédie moralisante de Destouches, la comédie larmoyante de Nivelle de La Chaussée se succèdent pour pourvoir à l’édification du public. Seul Marivaux invente une forme originale de théâtre, en conformité profonde avec l’évolution de la culture et de la sensibilité: il fait du langage le lieu même de l’action dramatique et donne un sens nouveau à la notion de représentation , qui devient un jeu de miroirs se répercutant et se modifiant l’un l’autre. Mais c’est à contre-courant que naît ce style moderne de comédie, qui use tour à tour des ressources de l’apologue, de l’allégorie, des schémas de la commedia dell’arte, des conventions dramatiques à la française: en avance sur son temps, qu’il exprime pourtant avec une infinie subtilité dans ses divers registres, Marivaux est rejeté par les défenseurs du classicisme.
Pour dresser le constat de la crise larvée du théâtre, il faut attendre Diderot, vers 1760, suivi de peu par Lessing et Herder en Allemagne. Diderot récuse la notion même de genre, qui fondait la dramaturgie classique: l’homme, explique-t-il, ne vit ni dans le tragique ni dans le comique, mais dans des situations intermédiaires qu’on peut appeler «sérieuses»; à la peinture des caractères et des passions, il faut donc substituer le souci de montrer les personnages tels qu’ils sont modifiés par leur condition sociale, par leur milieu et par leur métier. Peu importe que Diderot n’ait pas réalisé ce programme dans son œuvre, ou que les quelque trois cents « drames sérieux» joués en France de 1757 à 1791 soient d’une insigne faiblesse: l’important est qu’il ait pressenti la mue qu’allait subir le théâtre en entrant dans son âge bourgeois. C’est au XIXe siècle que les idées de Diderot trouveront, en effet, leur application. La comédie s’engagera à ce moment-là dans le réalisme, à quelques exceptions près, en perdant plusieurs de ses traits distinctifs, mais elle aura d’abord, à la veille de la Révolution, jeté l’un de ses plus éblouissants feux d’artifice avec l’œuvre de Beaumarchais.
4. L’âge bourgeois
Avec l’avènement progressif de la bourgeoisie au XIXe siècle, les problèmes de la comédie vont se trouver posés en termes nouveaux. À la nouvelle classe prédominante le théâtre va proposer des images où elle puisse se reconnaître sans s’effaroucher et trouver un divertissement qui ne mette pas en cause sa vision du monde. Le formalisme littéraire du postclassicisme cède la place, par degrés, à un conformisme social qui triomphera avec superbe à partir du second Empire. Au sortir de la Révolution, on avait assisté au succès du mélodrame et de son équivalent dans le genre comique, le vaudeville: mi-chantée mi-parlée, cette dernière formule était destinée à distraire à bon compte les spectateurs en usant des moyens les plus éprouvés. Dès le premier tiers du XIXe siècle, Scribe en prend le relais et fonde la comédie bourgeoise, où l’habileté du faiseur prime le contenu dramatique: il ne s’agit plus de plaire aux connaisseurs, mais à un public nouveau, de plus en plus hétérogène, qui, en accédant à l’argent, exerce une influence grandissante dans la société. C’est ce public que conquerront, avec des ambitions plus vastes que Scribe, Augier, Dumas fils, puis Becque, Porto-Riche, ou, dans un genre léger, Meilhac et Halévy.
Les romantiques, très généralement, échouent à la scène, par la raison que leurs pièces n’établissent pas un rapport immédiat avec la société de leur temps. Le divorce entre les auteurs de la nouvelle école et le public qui fréquente les salles parisiennes ira en s’accentuant, au point que les meilleurs écrivains vont se détourner du théâtre: c’est l’âge du roman qui commence. Kleist et Büchner, pour le romantisme allemand, Musset en France, et peut-être Grillparzer, en Autriche, sont les seuls grands auteurs de comédie d’Europe occidentale dans la première moitié du XIXe siècle. Et encore, Kleist et Büchner n’ont-ils pas été joués de leur vivant, de même que Musset n’a pas écrit directement pour la scène. Renouant avec une liberté dont l’usage s’était depuis longtemps perdu dans le théâtre français, celui-ci soumet l’espace et le temps scéniques au pouvoir de l’imagination et au jeu souverain de la poésie, à l’instar de ses devanciers allemands. Au même moment, Gogol introduit dans la comédie russe le plus mordant et le plus juste des réalismes, ouvrant ainsi la voie à un profond renouvellement du genre, que Tchekhov portera plus tard à une admirable intensité par les moyens d’un humour subtil et déchirant.
En attendant, du vaudeville de Scribe, le théâtre bourgeois est passé en France à la comédie de mœurs d’Émile Augier, puis de Dumas fils, avec le dessein de peindre la société contemporaine telle qu’elle est: la question d’argent, les problèmes du couple, la prostitution, la morale sociale, voilà quelques-uns des principaux thèmes qui sont désormais abordés par les dramaturges, soit avec un moralisme un peu sentencieux, soit avec l’ambition, comme chez Dumas, d’aider utilement à la transformation du monde. Mais ni Dumas ni ses successeurs du XIXe ou du XXe siècle ne mettent en cause les structures surannées de la comédie; le réalisme, chez tous, demeure descriptif et superficiel, sans chercher à être une méthode de lecture critique du réel; leur théâtre, enfin, quand il prétend servir une thèse, perd tout son pouvoir spécifique au profit d’une éloquence superficielle et de plats artifices de fabrication. Seul Labiche, dans le domaine proprement comique, retrouve une veine inventive: il tend à son public un miroir déformant, et c’est par le biais d’une fantaisie minutieuse et effrénée qu’il donne une profonde vérité à sa peinture de la bourgeoisie du temps.
Tant et si bien que la comédie s’enlise peu à peu dans la confusion: à vouloir donner l’illusion de la réalité, le théâtre perd toute virulence pour devenir un article de consommation dans un monde de plus en plus soumis aux lois du commerce et de l’industrie. Non que le Boulevard manque d’auteurs de talent (Feydeau, en particulier, atteindra à une sorte de grandeur en faisant jouer à nu, pour le plaisir, la mécanique du vaudeville), mais il est devenu l’otage de la société qu’il reflète. Le succès de Rostand lui-même est révélateur de la situation de l’art dramatique à la fin du siècle: Cyrano de Bergerac , en 1897, est le chef-d’œuvre du «faire» et du brio. Ne reste-t-il plus d’autre moyen, à cette époque, pour redonner vie à l’art de la comédie?
5. Renaissance de la comédie
La renaissance, en réalité, devait venir d’une contestation beaucoup plus profonde des conventions attachées à l’art de la comédie. Zola, l’un des premiers, en avait appelé à l’audace des jeunes écrivains de théâtre: dès 1897, Jules Renard transforme le ton du genre, en revenant à une rigueur et à une densité dans le dialogue depuis longtemps perdues. Georges Courteline crée de nouveaux types comiques, empruntés à la vie contemporaine, et renoue, lui aussi, avec une exacte vérité humaine et sociale. Parallèlement, le théâtre se rouvre aux poètes; Yeats et Synge en Irlande, Claudel (par ses farces lyriques) en France, réconcilient la comédie avec l’imaginaire, en la libérant du même coup de ses entraves. De Supervielle à Lorca et à Schehadé, de T. S. Eliot à Fry, de nouvelles perspectives ne cessent ainsi de s’ouvrir jusqu’à nos jours. Dans un autre domaine, les Belges Crommelynck et Ghelderode redonnent vie aux paroxysmes truculents de la farce flamande. Pirandello révolutionne d’autre part le théâtre psychologique, pour soumettre à révision les notions de vérité, de mensonge, de réalité, de personnage et de raison. C’est le contenu et le style mêmes de la comédie qui sont ainsi bouleversés, de diverses manières.
D’autres écrivains conçoivent de dynamiter le théâtre traditionnel par une subversion beaucoup plus radicale, et c’est également dans les dernières années du XIXe siècle que ce mouvement commence avec Jarry: dans Ubu , sous la poussée d’un burlesque violent, les idées reçues volent en éclats; le personnage s’efface devant la marionnette, l’action intelligible devant une logique absurde, le réalisme devant le fantastique, l’irrationnel et le langage en liberté. Des surréalistes et de Vitrac, dont le théâtre s’en prend à toutes les valeurs bourgeoises, à Ionesco qui pousse jusqu’à ses extrêmes conséquences la subversion du langage et la mise en déroute de la logique; du Polonais Witkiewicz à son compatriote Gombrowicz et aux Suisses Frisch et Dürrenmatt; du Russe Maïakovski, qui mêle le futurisme, la cocasserie clownesque et la satire, à l’Irlandais Beckett, dont l’humour engendre une gaieté sinistre, le rire devient un instrument de protestation, de violence et de terreur, tandis qu’Audiberti fait de la comédie le lieu d’un énorme opéra langagier. O’Casey lui avait auparavant restitué, dans un autre ton, toute sa virulence révolutionnaire, et Brecht avait usé du comique pour soumettre la société à une analyse critique par les moyens spécifiques du théâtre. Tous ces écrivains ont au moins ceci en commun qu’ils ont redécouvert les vertus de la farce, de la pantomime, de l’art des marionnettes, de la clownerie du cirque: en un mot, ils ont rompu avec deux siècles de tradition littéraire au théâtre, et c’est au prix de ce retournement total que la comédie moderne a acquis une puissante vitalité.
La comédie bourgeoise, elle-même, n’a pas échappé au cours du XXe siècle à la nécessité d’un certain rajeunissement. Bourdet, Vildrac, puis Anouilh ont, chacun à sa manière, assoupli et enrichi les données reçues du dialogue et de l’intrigue. Romains et Pagnol ont revigoré la satire traditionnelle. Giraudoux, surtout, a créé un univers dramatique en consonance avec la culture de l’entre-deux-guerres, en faisant un usage très personnel du langage et en s’installant à mi-chemin de la réalité et de l’allégorie. En Grande-Bretagne, également, la comédie d’intrigue, la comédie de mœurs et la comédie sentimentale ont pris un brillant éclat avec Shaw, Maugham et Coward, à l’époque même où le genre entrait apparemment dans la dernière phase de sa décadence. Aux États-Unis, enfin, c’est surtout la comédie musicale à grand spectacle qui témoigne du visage nouveau et original que notre vieille tradition peut encore emprunter.
En même temps que s’opérait la transformation générale du répertoire, on procédait un peu partout en Europe à une revue de l’héritage théâtral commun. Dans cette entreprise, ce sont les metteurs en scène qui ont joué le premier rôle: en modifiant du tout au tout les conceptions qu’on se faisait communément du répertoire, ils ont posé par là même la question des rapports du théâtre avec son public.
L’avenir de la comédie, s’il est lié aux formes que prendra la culture moderne, dépend aussi dans une large mesure de la manière dont elle se définira face à la société. On a ainsi vu, depuis les années soixante-dix, naître de nouvelles pratiques de la comédie, qui privilégient toutes le spectacle au détriment d’une ambition proprement littéraire: écriture dans l’espace de Jérôme Deschamps, qui, dans La Famille Deschiens ou Lapin chasseur , tire ses effets burlesques d’une partition gestuelle, cinétique et sonore soigneusement réglée; redécouverte du théâtre de rue et de parade par plusieurs compagnies (Royal de Luxe, l’Unité); nouvel usage du monologue, fait d’une succession de comédies-express, tantôt tourné vers une satire sociale aiguë (Guy Bedos), et tantôt vers une invention langagière, génératrice d’une poésie burlesque (Raymond Devos); apparition, enfin, d’un genre issu du boulevard, mais transporté en d’autres lieux, détaché de ses connivences bourgeoises, nourri de situations et de dialogues modernes, branché sur la jeunesse et les nouveaux usages sociaux (les comédiens du Splendid, qui ont triomphé à la scène et au cinéma). Autant de signes d’un retour du rire dans le théâtre français, souvent aux marges des circuits ordinaires, mais toujours au cœur de la comédie même, avec l’aval enthousiaste d’un public renouvelé.
comédie [ kɔmedi ] n. f.
• 1361; lat. comoedia « pièce de théâtre »
I ♦
A ♦
1 ♦ Vx Pièce de théâtre. ⇒ pièce, spectacle. « Racine a fait une comédie qui s'appelle Bajazet » (Mme de Sévigné).
2 ♦ (1677) Vx Lieu où se joue une pièce de théâtre. ⇒ théâtre. — Troupe de comédiens. — Mod. La Comédie-Française : le Théâtre-Français.
3 ♦ La représentation de la pièce. Jouer la comédie. ⇒ comédien.
B ♦ Fig.
1 ♦ (XVIIe) Vieilli Donner la comédie : se faire remarquer par des manières originales et ridicules (⇒ cabotiner) . — Mod. Attitude insupportable, désagréable (d'un enfant). Allons, pas de comédie ! ⇒ caprice.
♢ Jouer la comédie : affecter, feindre (des sentiments, des pensées). ⇒ mentir, tromper. Tout cela est pure comédie. ⇒ feinte, hypocrisie, invention, mensonge, simulation; fam. chiqué. Quelle comédie ! ⇒fam. cinéma, cirque. « Il n'y a point d'amour sans une part de comédie » (Jaloux).
♢ Difficulté, complication imposée par les circonstances. Quelle comédie pour se garer ! ⇒ corrida.
2 ♦ Littér. La comédie humaine : l'ensemble des actions humaines considéré comme se déroulant suivant des normes, pour atteindre à un dénouement. « La Comédie humaine », de Balzac.
II ♦ (1552) Mod.
1 ♦ Pièce de théâtre ayant pour but de divertir en représentant les travers, les ridicules des caractères et des mœurs d'une société (au début, elle dépeint les bourgeois). La comédie et la tragédie antiques (cf. Le socque et le cothurne). Les comédies de Molière. Comédie de mœurs, de caractères; d'intrigue. — Comédie larmoyante. Comédie de boulevard. Comédie légère. ⇒ vaudeville. Une courte comédie. ⇒ 2. farce, saynète, sketch. — Une comédie-ballet. Tragédie ayant l'heureux dénouement d'une comédie. ⇒ tragicomédie. — Loc. fig. Un personnage de comédie : une personne qu'on ne prend pas au sérieux.
♢ Par ext. Film présentant les caractères de la comédie. Comédie américaine. Comédie dramatique, policière. — (1930) COMÉDIE MUSICALE : spectacle de théâtre, de cinéma où se mêlent la musique, le chant, la danse et un texte sur une base narrative suivie (à la différence du music-hall).
2 ♦ Le genre comique. Préférer la comédie à la tragédie. « J'aime peu la comédie qui tient toujours plus ou moins de la charge et de la bouffonnerie » (Vigny). « la comédie, qui est l'école des nuances » (Flaubert).
● comédie nom féminin (latin comoedia, du grec kômôidia, comédie) Toute pièce de théâtre au XVIIe s. (Sens repris de nos jours.) Pièce de théâtre destinée à provoquer le rire par le traitement de l'intrigue, la peinture satirique des mœurs, la représentation de travers et de ridicules. Genre littéraire, théâtral, cinématographique, etc., dont le propos est d'amuser. Manifestation hypocrite de sentiments qu'on n'éprouve pas réellement ; feinte, dissimulation : Tout cela c'est de la comédie. Familier. Manœuvre compliquée ou ennuyeuse, nécessitée par certaines circonstances : C'est toute une comédie pour obtenir une invitation. Familier. Attitude désagréable, insupportable, surtout en parlant des enfants : Cessez votre comédie. ● comédie (citations) nom féminin (latin comoedia, du grec kômôidia, comédie) Paul Bourget Amiens 1852-Paris 1935 Académie française, 1894 Il est rare qu'un homme soit lancé dans la bataille des idées sans vite devenir le comédien de ses premières sincérités. Le Disciple Plon Denis Diderot Langres 1713-Paris 1784 Oh ! que ce monde-ci serait une bonne comédie si l'on n'y faisait pas un rôle. Lettres, à Sophie Volland Jean de La Fontaine Château-Thierry 1621-Paris 1695 […] Faisant de cet ouvrage Une ample comédie à cent actes divers, Et dont la scène est l'Univers. Fables, le Bûcheron et Mercure Blaise Pascal Clermont, aujourd'hui Clermont-Ferrand, 1623-Paris 1662 Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste : on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais. Pensées, 210 Commentaire Chaque citation des Pensées porte en référence un numéro. Celui-ci est le numéro que porte dans l'édition Brunschvicg — laquelle demeure aujourd'hui la plus généralement répandue — le fragment d'où la citation est tirée. Jean-Baptiste Santeul Paris 1630-Dijon 1697 [La comédie] corrige les mœurs en riant. Castigat ridendo mores. Commentaire Devise de la comédie imaginée par le poète Santeul, et donnée à l'arlequin Dominique pour qu'il la mît sur la toile de son théâtre. ● comédie (expressions) nom féminin (latin comoedia, du grec kômôidia, comédie) Comédie musicale, spectacle qui associe la musique, le chant, la danse et la prose. Jouer la comédie, prendre part à la représentation d'une pièce de théâtre ; afficher des sentiments que l'on n'éprouve pas en prenant telle ou telle attitude : Il joue la comédie du père outragé. Personnage de comédie, quelqu'un qu'on ne peut pas prendre au sérieux ou qui a des côtés bouffons, ridicules. ● comédie (synonymes) nom féminin (latin comoedia, du grec kômôidia, comédie) Pièce de théâtre destinée à provoquer le rire par le...
Contraires :
- tragédie
Genre littéraire, théâtral, cinématographique, etc., dont le propos est d'amuser.
Contraires :
- drame
Manifestation hypocrite de sentiments qu'on n'éprouve pas réellement ; feinte, dissimulation
Synonymes :
- bluff
- feinte
- frime
- simagrées
- singerie
Contraires :
- sincérité
Familier. Manœuvre compliquée ou ennuyeuse, nécessitée par certaines circonstances
Synonymes :
- histoire (familier)
Familier. Attitude désagréable, insupportable, surtout en parlant des enfants
Synonymes :
- scène
- sérénade (familier)
- vie (familier)
comédie
n. f.
rI./r
d1./d Vx Pièce de théâtre.
d2./d Fig. Caprice, feinte, mensonge. Quelle comédie!: que d'embarras!
|| Jouer la comédie.
d3./d LITTER "La Divine Comédie", de Dante. "La Comédie humaine", de Balzac.
rII./r
d1./d Pièce de théâtre où sont décrits de manière plaisante les moeurs, les ridicules des êtres humains. Comédie d'intrigue, de moeurs, de caractères. Comédie-ballet, comédie de boulevard.
d2./d Le genre comique (par opposition à la tragédie et au drame).
d3./d Fig. Un personnage, une tête, une silhouette de comédie, ridicule, drôle.
⇒COMÉDIE, subst. fém.
DRAMATURGIE
I.— Vx et/ou littér.
A.— 1. Pièce de théâtre, quel que soit le genre auquel elle appartient :
• 1. Clara Gazul affecte de se servir du mot comédie, comedia, employé par les anciens poètes espagnols pour exprimer tout ouvrage dramatique ou bouffon ou sérieux.
MÉRIMÉE, Théâtre de Clara Gazul, 1825, p. 436.
2. P. méton. (gén. au sing., avec l'art. déf.)
a) Représentation d'une pièce. Donner, jouer la comédie.
b) Lieu où se joue une pièce. Aller à la comédie. Je quittai la comédie pendant qu'on éteignait les derniers flambeaux (CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, 1932, p. 127) :
• 2. Quoique demeurant à deux pas du boulevard du Temple, où se trouvent Franconi, la Gaîté, l'Ambigu-Comique (...) Élisabeth n'était jamais allée à la comédie.
BALZAC, Les Employés, 1837, p. 53.
— Class. Portier de comédie. Employé placé à l'entrée d'un théâtre et chargé autrefois d'encaisser le prix des places. Le portier de la comédie, déterminé gaillard habitué à jouer des poings et à se débattre contre les assauts de la foule (T. GAUTIER, Le Capitaine Fracasse, 1863, p. 411).
— Au fig. et iron. Le secret de la comédie. Secret qui est partagé entre tous comme les confidences faites sur la scène par un acteur. Chacun le savait et le disait; c'était le secret de la comédie (SAINTE-BEUVE, Nouveaux lundis, t. 2, 1863-69, p. 45).
— Arg. Envoyer à la comédie. Mettre au chômage. C'est-y pas vexant d'envoyer comme ça les ouvriers à la comédie? (D. POULOT, Le Sublime, 1872, p. 62). Être à la comédie. Manquer d'argent par suite de chômage. C'est toque d'être à la comédie (HOGIER-GRISON, Les Hommes de proie, Le Monde où l'on vole, 1887, p. 302).
c) Ensemble des comédiens. Le personnel féminin de la comédie (A. DAUDET, Trente ans de Paris, 1888, p. 50) :
• 3. Cette dernière partie de l'annonce me déplut, par cela seul qu'elle me rappela la Marche des apothicaires du Malade imaginaire, et celle des Mama-Mouchy du Bourgeois-Gentilhomme, dans lesquelles il est d'usage aussi que toute la comédie paraisse.
JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, t. 4, 1813, p. 243.
— En partic.
♦ Comédie-Française. Ensemble des acteurs et du personnel de théâtre de la troupe fondée en 1680 par Louis XIV. Synon. mod. Théâtre-Français. Une dame de la Comédie-Française qui s'avança (...) et déclama (...) « L'oiseau sur le lac » (DRUON, Les Grandes familles, t. 1, 1948, p. 107).
♦ Comédie-Italienne. Troupe d'acteurs installés en France dès 1659 et qui fusionna par la suite avec l'Opéra-Comique. L'immortel Carlin, de la Comédie italienne (BALZAC, Physiologie du mariage, 1826, p. 121).
3. P. métaph. [et p. réf. et oppos. à la Divine Comédie de Dante]. La Comédie humaine (souvent dans un contexte où la vie est comparée à une pièce de théâtre — avec ses scènes, ses intrigues, son dénouement — dont nous sommes les acteurs). La comédie de la vie a des bouffonneries supérieures à toutes les autres (E. et J. DE GONCOURT, Journal, 1860, p. 751) :
• 4. J'ai passé la cinquantaine. C'est dire que la mort ne doit pas avoir à faire bien longue route pour me rejoindre. La comédie est fort avancée. Il me reste peu de répliques.
COCTEAU, La Difficulté d'être, 1947, p. 5.
— HIST. LITTÉR. La Comédie humaine. Ensemble de son œuvre romanesque groupée par Balzac sous ce titre.
B.— Au fig., fam. et souvent péj.
1. Au sing. (avec l'art. déf.), vieilli. Se donner la comédie de qqc. Se livrer au jeu de quelque chose. Donnez-vous la comédie, quelque jour, de parler de vous-même à des gens de simple connaissance (BALZAC, Le Lys dans la vallée, 1836, p. 162).
a) Jouer la comédie. Simuler par une mise en scène des sentiments que l'on n'éprouve pas :
• 5. Il y a la comédie qu'on joue pour tromper les hommes. Celle-là ne m'intéresse pas. Il y a celle qu'on joue par une sorte d'automatisme, parce que l'habitude est prise — qu'il s'agisse des passions ou de simple politesse, celle-là est plus grave, c'est le jeu du monde, autant dire du démon. Je ne puis l'accepter.
GREEN, Journal, 1950-54, p. 170.
— [Constructions]
♦ Absol. Elle sentait tout à fait qu'il lui jouait la comédie, qu'il n'y avait pas en lui la moindre sincérité (DANIEL-ROPS, Mort, où est ta victoire? 1934, p. 459).
♦ [Suivi d'un compl. de nom] Elle joua la comédie du cœur brisé, et prit des airs dédaigneux, blasés (A. DAUDET, Les Femmes d'artistes, 1874, p. 184). [Suivi d'un inf.] Rare. Les choses se font toutes seules. Les hommes jouent la comédie de les accomplir (VALÉRY, Tel quel II, 1943, p. 219).
b) [Chez les enfants et certains adultes à la conduite puérile] Caprice, enfantillage le plus souvent destiné à donner le change. S'il te plaît pas de comédie (AYMÉ, Les Quatre vérités, 1954, p. 197).
2. P. méton., au sing. et au plur. Attitude, sentiment déguisé, feinte. Si l'amour est une comédie, cette comédie, (...) sifflée ou non, est, (...) ce qu'on a encore trouvé de moins mauvais (MUSSET, Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, 1845, p. 255). Un homme se définit aussi bien par ses comédies que par ses élans sincères (CAMUS, Le Mythe de Sisyphe, 1942, p. 46).
— [Suivi d'un compl.; prép. de, sans art.] :
• 6. Le fond de ma femme est tel que je vous le dis. Vous lui voyez des grimaces, des mines, des comédies de délicatesse, des prétentions à être difficile, dégoûtée; ...
E. et J. DE GONCOURT, Charles Demailly, 1860, p. 300.
Rem. (corresp. au sens B). Dans la lang. actuelle, le mot est en passe, dans cette accept., d'être remplacé par le mot cinéma.
II.— En partic. Pièce de théâtre dont le propos est de faire rire le public; p. méton. genre littéraire dont relève une pièce de ce type.
A.— Pièce qui provoque le rire par le comique des situations, de l'intrigue, de la peinture des mœurs, du ridicule des caractères.
1. [Chez les Grecs] Pièce de théâtre qui se jouait généralement avec des masques et où l'on mettait en scène les citoyens d'Athènes en les nommant. La tragédie prit naissance sous Thespis, la comédie sous Susarion, la fable sous Ésope (CHATEAUBRIAND, Essai sur les Révolutions, t. 1, 1797, p. 123). Comédie nouvelle. Pièce d'imagination fondée essentiellement sur la peinture des mœurs.
— P. ext. [Chez les Latins] Pièce imitée des Grecs, par exemple pièce de Plaute ou de Térence imitée de Ménandre. Une foule de comédies antiques roulent sur des questions d'état; il s'agit (...) de savoir si une personne est née libre ou esclave (MICHELET, Hist. romaine, t. 1, 1831, p. 125).
2. [À l'époque class., p. oppos. à la tragédie puis au drame] Pièce mettant en scène des personnages de condition moyenne ou basse dans un cadre quotidien et dont le dénouement est toujours heureux. Mod. Pièce (jouée au théâtre, au cinéma, à la radio, à la télévision) destinée à faire rire. Toutes les comédies finissent par un mariage (SANDEAU, Mlle de La Seiglière, 1848, p. 214). Une soubrette comme on n'en voit guère que dans les comédies de Marivaux (PONSON DU TERRAIL, Rocambole, t. 3, Le Club des valets de cœur, 1859, p. 96) :
• 7. « Dites-moi, Messieurs, qu'est-ce qui se passe dans les comédies? On y joue un valet fourbe, un bourgeois avare, un marquis extravagant, et tout ce qu'il y a au monde de plus digne de risée. (...) »
MAURIAC, La Vie de Jean Racine, 1928, p. 68.
SYNT. Comédie amusante, divertissante, enjouée, gaie, bien conduite; donner, jouer une comédie; composer, représenter des comédies; acteur, auteur, personnage, scène, sujet, valet de comédie; art, déroulement, nœud de la comédie; comédie en 3, 4, 5 actes, en vers, en prose :
• 8. ... j'aime ces galants de comédie, toujours fleuris de langage, experts à pousser les beaux sentiments, qui se pâment aux pieds d'une inhumaine, attestent le ciel, maudissent la fortune, tirent leur épée pour s'en percer la poitrine, jettent feux et flammes comme volcans d'amour, et disent de ces choses à ravir en extase les plus froides vertus; ...
T. GAUTIER, Le Capitaine Fracasse, 1863, p. 107.
B.— P. méton., au sing. (avec l'art. déf.). Genre théâtral comprenant les différents types de pièces comiques ou relevant d'un type particulier. Dans la comédie, Molière nous semble avoir été tout ce qu'on peut être en aucun pays et en aucun siècle (SAINTE-BEUVE, Tabl. hist. et crit. de la poésie fr. et du théâtre fr. au XVIe s., 1828, p. 261). Le niais de la farce, le Géronte de la comédie, le Cassandre de la pantalonnade (SANDEAU, Sacs et parchemins, 1851, p. 23) :
• 9. La comédie est une satire. La tragédie doit être inspirée par l'amour et la terreur, la comédie par la haine et la critique. La tragédie provoque les pleurs et l'attendrissement, la comédie le rire amer et ironique, et, en général, le public a pour applaudir la comédie deux moyens, le rire et les battements de mains, il n'en a qu'un pour la tragédie, les mains, car il cache et réprime ses pleurs.
VIGNY, Le Journal d'un poète, 1832, p. 956.
SYNT. (corresp. à A et à B). a) Précédés d'un adj. Grande, haute comédie (termes s'appliquant gén. à la comédie classique). La marque de la grande comédie, c'est que l'on n'y rit que de soi (ALAIN, Système des beaux-arts, 1920, p. 160). b) Suivis d'un adj. Comédie bourgeoise, burlesque, classique, épisodique (ou à tiroirs), héroïque, larmoyante, légère (cf. vaudeville), pastorale, réaliste, régulière, romanesque, romantique, sérieuse. La comédie sérieuse, ou tragédie bourgeoise (FLAUBERT, Bouvard et Pécuchet, t. 2, 1880, p. 6). Corneille (...) préfigure beaucoup mieux les comédies légères du dix-huitième siècle (BRASILLACH, Pierre Corneille, 1938, p. 239).
— Spéc. (syntagmes figés)
1. Comédie + adj.
a) Comédie italienne. Genre comique dont les personnages traditionnels se livrent à toutes sortes d'improvisations à partir d'un thème préétabli. L'arlequin, valet et personnage principal des comédies italiennes (CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 3, 1848, p. 431).
Rem. La forme ital. Commedia dell'arte est parfois traduite en fr. par comédie dell'arte. On jouait au palais une comédie dell'arte, c'est-à-dire où chaque personnage invente le dialogue à mesure qu'il le dit (STENDHAL, La Chartreuse de Parme, 1839, p. 403).
b) Comédie musicale (ou américaine). Comédie où se mêlent chants et danses. Il y a aussi le « vaudeville », puis les « Follies » (...). Plus haut encore viennent la comédie musicale et la comédie proprement dite (MORAND, New York, 1930, p. 170).
2. Comédie + compl.
a) Comédie de caractère. Pièce, genre, où l'auteur met en lumière en les exagérant certains travers de ses personnages et, à partir d'eux, de la société. Il y a dans la comédie des modèles donnés, les pères avares, les fils libertins, les valets fripons, les tuteurs dupés (Mme DE STAËL, De l'Allemagne, t. 3, 1810, p. 219).
b) Comédie d'intrigue. Pièce, genre, dont le comique est lié aux complications de l'intrigue. La comédie d'intrigue est une sorte de ballet de l'amour, qui exige le luxe et la musique et la danse (BRASILLACH, Pierre Corneille, 1938, p. 106).
c) Comédie de mœurs. Dont le rire est provoqué par la peinture satirique des mœurs d'une époque. « La famille Benoîton » (de Sardou), comédie de mœurs, où se démènent une foule de poupées mécaniques, chargées de faire la satire du luxe contemporain (AMIEL, Journal intime, 1866, p. 43).
3. [Mots composés]
a) Comédie-ballet. Forme de comédie mise au point par Molière et comprenant une partie dansée et chantée. Pourceaugnac, comédie-ballet, représentée pour la première fois le 6 octobre 1669, à Chambord (L. GRILLET, Les Ancêtres du violon, t. 2, 1901, p. 52).
b) Comédie(-)bouffe. Qui fait rire par des procédés d'un comique grossier. Elle n'est pas mal ta pièce; mais elle serait encore bien plus marrante si tu en avais fait une comédie bouffe (S. DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, p. 365).
c) Comédie-farce. Comédie utilisant les procédés de la farce, c'est-à-dire fondée essentiellement sur un comique assez grossier de mots, de gestes et de situations. Le sieur Bouilhet est toujours à Mantes où il compose une comédie-farce en prose (FLAUBERT, Correspondance, 1858, p. 243).
d) Comédie-parade. Comédie empruntant le genre de la parade, farce grossière jouée au début d'une représentation, pour inciter le public à entrer dans la salle et y voir la fin du spectacle. « Cassandre oculiste », comédie-parade, avec vaudevilles (PESQUIDOUX, Le Livre de raison, 1925, p. 121).
e) Comédie-vaudeville (au XIXe s. notamment sous l'influence de Scribe). Genre de comédie où s'intercalent des couplets. Nous ferons une comédie-vaudeville sur toi, avec trois couplets à chaque acte (P. DE KOCK, Ni jamais, ni toujours, 1835, p. 280).
Prononc. et Orth. :[]. Fait partie des mots en com- ne doublant pas l'm devant voyelle, qui sont une minorité. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. a) 1370-72 « toute pièce de théâtre à quelque genre qu'elle appartienne » (ORESME, Ethique, IV, 25 ds DG); b) 1661 « la représentation de la pièce » (MOLIÈRE, Facheux, I, 1); fig. 1666 donner la comédie « se donner en spectacle » (MOLIÈRE, Misanthrope, I, 1); c) 1668 « lieu où se joue la pièce de théâtre » portier de comédie « celui qui se fait payer pour ouvrir la porte » (RACINE, Plaideurs, I, 1); 2. a) 1552 « pièce de théâtre ayant pour but de divertir » (p. oppos. à tragédie) (JODELLE, Eugène, prol.); b) 1663 « ensemble d'actions qui provoquent le rire » (MOLIÈRE, Critique de l'Ecole des Femmes, 6). Empr. au lat. comoedia (gr. ) « pièce de théâtre, comédie (genre et pièce) ». Fréq. abs. littér. :3 092. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 4 898, b) 5 112; XXe s. : a) 3 371, b) 4 245. Bbg. CUÉNOT (C.). Z. rom. Philol. 1938, t. 58, pp. 610-614. — GOTTSCH. Redens. 1930, pp. 345-346. — KOCH (P.). On Marivaux's expression se donner la comédie. Rom. R. 1965, t. 56, pp. 22-29. — SAIN. Lang. par. 1920, p. 395. — VOLTZ (P.). La Comédie. Paris, 1964. — WINKLER (E.). Zur Geschichte des Begriffs Comédie in Frankreich. Heidelberg, 1937.
comédie [kɔmedi] n. f.
ÉTYM. 1361; du lat. comœdia « pièce de théâtre ».
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———
I (Sens large).
1 Chez les Grecs, Comédie ancienne : pièce de théâtre où l'on représentait sur la scène les citoyens d'Athènes avec leurs noms. || Comédie moyenne, celle où les citoyens n'étaient pas nommés. || Comédie nouvelle, celle où l'on ne met plus en scène que des personnages d'imagination. || Thalie, la muse de la Comédie.
1 Des succès fortunés du spectacle tragique
Dans Athènes naquit la comédie antique.
Boileau, l'Art poétique, III.
♦ Chez les Romains, Comédie latine, celle que les Romains imitèrent de la comédie grecque, spécialement de la comédie nouvelle.
2 (…) faisant de cet ouvrage (les Fables)
Une ample comédie à cent actes divers
Et dont la scène est l'univers.
La Fontaine, Fables, V, 1.
3 On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées (…)
Molière, l'Amour médecin, Au lecteur.
4 Racine a fait une comédie qui s'appelle Bajazet (…)
Mme de Sévigné, 237, 13 janv. 1672.
5 Corneille (…) est inégal. Ses premières comédies (…) ne laissaient pas espérer qu'il dût ensuite aller si loin; comme ses dernières dont on s'étonne qu'il ait pu tomber de si haut.
La Bruyère, les Caractères, I, 52.
♦ Le théâtre. || « Un esprit de comédie… ». → Acteur, cit. 9.
3 Vieilli. || La Comédie française : la comédie illustrée par Molière, Regnard, etc. — (1677). Lieu où se joue la pièce de théâtre. ⇒ Théâtre. || Aller à la comédie. — ☑ Loc. (1688). Vx. Portier de comédie, celui qui se fait payer pour ouvrir la porte, et, par ext., toute porte.
6 Pour moi, quand je ne les accompagnais point, je m'allais exercer dans toutes les salles des tireurs d'armes, ou bien j'allais à la comédie : ce qui est cause peut-être de ce que je suis passable comédien.
Scarron, le Roman comique, I, XV, p. 86.
7 Je m'offre à vous mener l'un de ces jours à la comédie, si vous voulez (…)
Molière, les Précieuses ridicules, 9.
8 Voilà un homme (…) que j'ai vu quelque part (…) Est-ce (…) aux Tuileries dans la grande allée, ou dans le balcon à la comédie ?
La Bruyère, les Caractères, VII, 13.
♦ Vx. La troupe des comédiens. || Toute la comédie paraît dans la cérémonie du Malade imaginaire.
♦ Mod. || La Comédie-Française : le Théâtre français.
4 Représentation d'une pièce; fait de jouer. || Jouer la comédie. ⇒ Comédien. || Il joue très bien la comédie. || Donner la comédie.
B Fig.
1 ☑ (1666). Vieilli. Donner la comédie : se faire remarquer, se donner en spectacle par des manières originales et souvent ridicules (⇒ Cabotiner). Mod. (enfants). Attitude insupportable, désagréable. ⇒ Caprice. || Cessez votre comédie ! — ☑ Jouer la comédie : affecter, feindre (des sentiments, des pensées que l'on n'a pas), se composer une attitude. ⇒ Mentir, tromper. || Tout cela est pure comédie. ⇒ Déguisement, feinte, hypocrisie, invention, mensonge, plaisanterie, simulation. || Sa vie n'est qu'une comédie. || C'est une comédie, une vraie comédie. ☑ Quelle comédie !, en parlant d'un événement qu'on juge peu digne d'être pris au sérieux. — Fam. Manœuvres contraignantes. || Quelle comédie pour trouver un taxi, aux heures de pointe ! ⇒ Affaire, histoire. — ☑ Loc. Vieilli ou littér. Se donner la comédie de (qqch.) : se livrer au jeu de (qqch.).
9 (…) la véritable comédie qui se fait ici, c'est celle que vous jouez (…)
Molière, la Comtesse d'Escarbagnas, 8.
10 Ce serait avoir une idée bien fausse de la nature humaine que de croire que cette religion des anciens était une imposture et pour ainsi dire une comédie.
Fustel de Coulanges, la Cité antique, III, VII, p. 194.
11 Il est assez rare que la société des femmes ne nous contraigne aimablement à la comédie; et c'est pourquoi nous préférons parler avec des hommes, à moins que nous ne préférions la comédie.
Valéry, Autres rhumbs, p. 221.
12 Le propre de la passion est de hausser la voix, de demander à toutes ses émotions un registre plus sonore, de former un centre de violence exemplaire; et si elle y échoue, elle préfère encore la simulation à la certitude de sa défaillance. Il n'y a point d'amour sans une part de comédie.
Edmond Jaloux, les Visiteurs, III, p. 29.
13 Mais cette comédie du sport avec laquelle on berne et fascine toute la jeunesse du monde, j'avoue qu'elle me semble assez bouffonne.
G. Duhamel, Scènes de la vie future, XII, p. 184.
14 Si tu n'aimes pas ton mari « physiquement » (…) mais si tu tiens à lui sentimentalement, affectueusement, joue-lui la comédie du désir (…) C'est si facile ! (…)
A. Maurois, Terre promise, XXVIII, p. 195.
14.1 Martial était découragé (…) quant à se donner la comédie de la dévotion, de la ferveur (religieuse), il n'y fallait pas songer : « Je suis trop prompt à la moquerie pour me berner ainsi moi-même ».
Jean-Louis Curtis, le Roseau pensant, p. 266.
2 Littér. || La comédie humaine : l'ensemble des actions humaines considéré comme se déroulant suivant des normes, pour atteindre à un dénouement. || La Comédie humaine, œuvre de Balzac. || La Divine Comédie (ital. Commedia), œuvre de Dante.
15 Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste : on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais.
Pascal, Pensées, II, 210.
16 Dans un grenier où je fus enfermé à douze ans j'ai connu le monde, j'ai illustré la comédie humaine.
Rimbaud, Illuminations, « Vies ».
———
II (1552). Mod. (sens étroit; en relation avec comique).
1 Pièce de théâtre ayant pour but de divertir en représentant les travers, les ridicules des caractères et des mœurs d'une société (au début, elle dépeint les bourgeois). || Les comédies d'Aristophane (⇒ Parabase). || La tragédie et la comédie antiques (→ Socque). || La comédie et le drame bourgeois, au XVIIIe siècle. || Les comédies de Molière. || La comédie des Précieuses ridicules. || L'intrigue, le nœud, le dénouement d'une comédie. || Les acteurs, les personnages d'une comédie. — Hist. littér. || La haute comédie, celle par laquelle l'auteur se proposait d'étudier les mœurs, les caractères. Mod. || Comédie de mœurs. || Comédie de caractères. || Comédie d'intrigue, de situation. || Comédie de cape et d'épée. || Comédie héroïque, qui met en scène des personnages d'un rang élevé. || Comédie pastorale, qui met en scène des bergers.
♦ Une courte comédie. ⇒ Proverbe, saynète; farce; sketch. || Comédie de boulevard. || Pièce ayant la forme d'une tragédie et le dénouement heureux d'une comédie. ⇒ Tragi-comédie. || Adapter une comédie au, pour le cinéma, pour la télévision. || Une comédie de situation de la télévision américaine (⇒ anglic. Sitcom).
17 (…) ce sujet est mêlé avec une espèce de comédie en musique et ballet (…) Notre nation n'est guère faite à la comédie en musique.
Molière, le Grand Divertissement royal, I.
18 La comédie larmoyante qui, à la honte de la nation, a succédé au seul vrai genre comique, porté à sa perfection par l'inimitable Molière.
Voltaire, Lettre à Somarokof, 26 févr. 1769.
19 (…) plus la comédie est agréable et parfaite, plus son effet est funeste aux mœurs.
Rousseau, Lettre à M. d'Alembert, p. 148.
20 Une tragédie qui ne sera pas fondée sur un grand sujet ne sera jamais qu'une comédie (…)
Émile Faguet, Études littéraires, XVIIe s., Corneille, p. 145.
♦ Comédie larmoyante (→ ci-dessus, cit. 18) : genre en honneur au XVIIIe siècle, proche du drame bourgeois.
♦ Comédie italienne, issue de la commedia dell'arte (francisé par Stendhal : comédie dell'arte). ⇒ Commedia dell'arte.
♦ Vieilli. || Comédie à couplets, à ariettes (cit. 2). ⇒ Vaudeville. — Comédie-ballet. (1930). || Comédie musicale (théâtre, cinéma) : spectacle où se mêlent la musique, le chant, la danse et un texte, sur une base narrative suivie (à la différence du music-hall). Spécialt (genre filmique). || La comédie musicale américaine.
2 Le genre comique, au théâtre. || Préférer la comédie à la tragédie.
21 Comme l'affaire de la comédie est de représenter en général tous les défauts des hommes (…)
Molière, l'Impromptu de Versailles, 4.
22 J'aime peu la comédie qui tient toujours plus ou moins de la charge et de la bouffonnerie.
A. de Vigny, Journal d'un poète, p. 91.
23 (…) la comédie, qui est l'école des nuances.
Flaubert, Bouvard et Pécuchet, p. 149.
24 La comédie à la même hauteur que la tragédie, en fait supérieure même à la tragédie, voilà le premier point à quoi tient Molière.
Émile Faguet, Études littéraires, XVIIe s., Molière, p. 269.
3 ☑ Fig. Un personnage de comédie : une personne qu'on ne prend pas au sérieux. ⇒ Comique. || Valet de comédie. || Roi de comédie.
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CONTR. Tragédie. — Sincérité. — Sérieux (chose sérieuse).
DÉR. et COMP. Comédien. Comédie-ballet (V. Ballet). REM. On rencontre d'autres formes composées : comédie-bouffe, comédie-farce, comédie-parade, comédie-vaudeville. — V. aussi Tragi-comédie.
Encyclopédie Universelle. 2012.