agoniser [ agɔnize ] v. intr. <conjug. : 1>
• fin XVIe; lat. ecclés. agonizare, gr. agônizesthai « lutter, faire effort »
1 ♦ Être à l'agonie. ⇒ s'éteindre. « devant un soldat qui agonise sous vos yeux » (Montherlant).
2 ♦ Fig. Être près de sa fin. ⇒ décliner, s'effondrer. « l'empire romain agonisait » (Bainville).
● agoniser verbe intransitif (latin ecclésiastique agonizari, lutter) Être à l'agonie : Le blessé agonisait. Toucher à sa fin, être près de disparaître : Une entreprise qui agonise. ● agoniser (difficultés) verbe intransitif (latin ecclésiastique agonizari, lutter) Conjugaison Agonir : comme finir Sens Ne pas confondre ces deux mots. 1. Agonir v.t. = accabler (d'injures, de reproches). On l'a montré du doigt, insulté, agoni d'injures. 2. Agoniser v.i. = être à l'agonie, sur le point de s'éteindre. Le malade agonisait lorsque le médecin est arrivé. Emploi Agonir s'emploie surtout à l'infinitif et aux temps composés. ● agoniser (synonymes) verbe intransitif (latin ecclésiastique agonizari, lutter) Être à l' agonie
Synonymes :
- expirer
- mourir
- passer
- rendre l'âme
- s'éteindre
agoniser
v. intr.
d1./d être à l'agonie. Le blessé agonise.
d2./d Fig. Décliner, toucher à sa fin. La révolte agonise.
I.
⇒AGONISER1, verbe intrans.
Être à l'agonie (cf. agonie).
A.— Littér. Être dans un état d'extrême souffrance morale, de très grand abattement spirituel (cf. agonie A).
1. [En parlant du Christ] :
• 1. Je suis bien sûre, Monsieur, que votre âme se fait de plus en plus religieuse, depuis que vous êtes de plus en plus seul et veuf et affligé. (...). Avec cela on ne souffre pas moins, mais on souffre en chrétien, en union avec Jésus agonisant de tristesse, qui est entré au ciel par le calvaire.
E. DE GUÉRIN, Lettres, 1840, p. 376.
2. P. ext. [Appliqué par hyperb., notamment au domaine de la passion amoureuse] :
• 2. ... s'il ne me restait dans l'état de détresse où mon âme agonise douloureusement qu'une idée, qu'une espérance, qu'une ressource, celle de mériter et d'obtenir avant ma mort une petite place, Gubetta, un peu de tendresse, un peu d'estime dans ce cœur si fier et si pur; (...); comprendrais-tu alors, dis, Gubetta, pourquoi j'ai hâte de racheter mon passé, de laver ma renommée,...
V. HUGO, Lucrèce Borgia, 1833, I, part. 1, 2, pp. 25-26.
• 3. Ah! la vie est lourde et je souffre horriblement. Tout cela m'a abruti. (...), j'irai à Concarneau et j'y resterai le plus de temps possible, pour prendre l'air, pour sortir du milieu où j'agonise. J'avais cru jusqu'à présent que la mort était le pire des maux. Eh bien, non! La douleur la plus poignante c'est de voir l'humiliation de ceux qu'on aime. Ma pauvre nièce me déchire le cœur, précisément parce qu'elle est très courageuse, très noble.
G. FLAUBERT, Correspondance, suppl., 1875, p. 186.
• 4. Ah! cet effort de création dans l'œuvre d'art, cet effort de sang et de larmes dont il agonisait, pour créer de la chair, souffler de la vie! Toujours en bataille avec le réel, et toujours vaincu, la lutte contre l'ange! Il se brisait à cette besogne impossible de faire tenir toute la nature sur une toile, épuisé à la longue dans les perpétuelles douleurs qui tendaient ses muscles, sans qu'il pût jamais accoucher de son génie.
É. ZOLA, L'Œuvre, 1886, p. 267.
• 5. J'aime tant être seul que je ne puis même supporter le voisinage d'autres êtres dormant sous mon toit; je ne puis habiter Paris parce que j'y agonise indéfiniment. Je meurs moralement, et suis aussi supplicié dans mon corps et dans mes nerfs par cette immense foule qui grouille, qui vit autour de moi, même quand elle dort.
G. DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 2, Qui sait? 1890, p. 1187.
B.— Courant
1. [Chez un être vivant] Arriver aux derniers instants de sa vie, au terme de son existence (cf. agonie B 1).
a) [En parlant d'une pers.] :
• 6. « Mes amis, maintenant retirez-vous; priez pour moi, et laissez-moi endurer en paix le dernier travail de la mort. » Il se tourna de l'autre côté, se fit lire la Passion, et commença d'agoniser. Peu après, il rendit le dernier soupir entre les bras de son ami le sire de la Rivière.
P. DE BARANTE, Hist. des ducs de Bourgogne, t. 1, 1821-1824, p. 189.
• 7. Crémieux est mourant. Le grand auteur des bouffes-parisiens, en plein délire, agonise en faisant des imitations d'acteurs. Mourir en imitant Désiré, c'est effroyable! Il passera dans une cascade. Ne dirait-on pas la mort se blaguant elle-même dans le cerveau d'un vaudevilliste?
E. et J. DE GONCOURT, Journal, févr. 1862, p. 1022.
• 8. ... Gamelin fut appelé auprès du citoyen Fortuné Trubert, qui agonisait à trente pas du bureau militaire où il avait épuisé sa vie, sur un lit de sangle, dans la cellule de quelque Barnabite expulsé. Sa tête livide creusait l'oreiller. Ses yeux, qui ne voyaient déjà plus, tournèrent leurs prunelles vitreuses du côté d'Évariste; sa main desséchée saisit la main de l'ami et la pressa avec une force inattendue. Il avait eu trois vomissements de sang en deux jours. Il essaya de parler; sa voix, d'abord voilée et faible comme un murmure, s'enfla, grossit : ...
A. FRANCE, Les Dieux ont soif, 1912, p. 197.
• 9. Mais on ne lutte pas avec la mort; et la mort étreignait le sergent, le serrant un peu plus tous les jours. Un soir, enfin, on hocha la tête. Sa mère était à Paris. L'infirmière-major demanda l'aumônier. On avait mis un paravent, comme toujours pour cacher les moribonds, en sorte que l'on ne pouvait rien voir : ni le prêtre, ni les sœurs, ni l'agonisant. Mais sur le mur blanc, ils se projetaient en silhouettes noires, énormes, et c'était comme une extrême-onction sinistre et géante au pays des ombres. — Gaspard et Dudognon avaient la gorge serrée. Le sergent agonisait, mais ne mourait pas. Il avait toute sa tête, et il lui semblait, se raccrochant à la suprême espérance de ceux qui meurent la nuit, que s'il atteignait le jour...
R. BENJAMIN, Gaspard, 1915, p. 99.
• 10. Une vieille femme, l'autre jour, une très vieille femme mourait dans mon voisinage. (...). Elle agonisa lentement, mais doucement. La mort, tardive, semblait regretter de détruire ce chef-d'œuvre animé, cette argile humaine si noblement pétrie. Elle, cependant, la sentait approcher.
J. DE PESQUIDOUX, Le Livre de raison, t. 2, 1928, p. 267.
• 11. Parfois, la hâte des Allemands à se débarrasser de tous ceux qui n'étaient plus capables de se mouvoir seuls amenait des méprises tragiques : comme en cette fin d'après-midi où un Russe, transporté à la morgue encore moribond et jeté sur le ciment parmi d'authentiques cadavres, agonisa et gémit pendant trois longues heures avant d'expirer tout de bon.
F. AMBRIÈRE, Les Grandes vacances, 1946, p. 172.
• 12. Affamer un ouvrier, rosser un noir ou un jaune est, parfois, une cruelle exigence de l'équilibre d'une firme : agir de même pour la grandeur du pays passera pour une décision de politique réaliste. Voir agoniser quelqu'un n'est jamais plaisant : mais les agonies se perdent dans les moyennes numériques et la statistique des cadavres ne s'inscrit pas dans une courbe croissante de revenu global ou moyen.
F. PERROUX, L'Économie du XXe siècle, 1964, p. 354.
— P. ext. [En parlant d'une collectivité hum.] :
• 13. Oh! villes de couvents, villes de catéchistes, Avec la sainte odeur des encens et des cires, Villes s'assoupissant, si doucement martyres De n'avoir pas été suffisamment aimées, Qui, dégageant le gris mourant de leurs fumées Comme une plainte d'âme exténuée et vierge, Agonisent dans le brouillard qui les submerge.
G. RODENBACH, Le Règne du silence, 1891, pp. 226-227.
• 14. L'Espagne agonise sous le joug de l'Église romaine. L'Italie parut succomber. Elle n'a retrouvé la vie qu'en se libérant du pape, refoulé dans le Vatican. Restent l'Autriche catholique en proie aux suprêmes convulsions, et la France de la révolution contre qui toute l'armée papale, à l'heure présente, déploie ses bataillons.
G. CLEMENCEAU, L'Iniquité, 1899, p. 152.
b) [En parlant d'un animal, gén. domestique] :
• 15. Sa carcasse vacillante et comme prise d'ivresse donnait tantôt contre un brancard, tantôt contre l'autre. Il élevait la tête découvrant ses gencives, puis il la baissait comme s'il eût voulu mordre la neige. Son heure était arrivée, il agonisait debout en brave cheval qu'il avait été. Enfin il s'abattit et, lançant une faible ruade défensive à l'adresse de la mort, il s'allongea sur le flanc pour ne plus se relever.
T. GAUTIER, Le Capitaine Fracasse, 1863, p. 164.
• 16. Le canon pour eux c'était rien que du bruit. C'est à cause de ça que les guerres peuvent durer. Même ceux qui la font, en train de la faire, ne l'imaginent pas. La balle dans le ventre, ils auraient continué à ramasser des vieilles sandales sur la route, qui pouvaient « encore servir ». Ainsi le mouton, sur le flanc, dans le pré, agonise et broute encore. La plupart des gens ne meurent qu'au dernier moment; d'autres commencent et s'y prennent vingt ans d'avance et parfois davantage. Ce sont les malheureux de la terre.
L.-F. CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, 1932, p. 46.
c) [En parlant d'un végétal] :
• 17. ... mais si ces plantes résistaient, d'autres agonisaient ou étaient tout à fait mortes; les soleils, devenus secs, étaient horribles. Ils dressaient, ainsi qu'après un incendie, des hampes calcinées au bout desquelles pendaient des feuilles noires et des disques de la forme des pommes de douche; et ces disques brûlés les entraînaient par leur poids, en de mornes saluts, au moindre vent.
J.-K. HUYSMANS, L'Oblat, t. 1, 1903, p. 109.
2. Au fig. Toucher à sa fin (cf. agonie B 2).
a) [En parlant d'une réalité hum. abstr.] :
• 18. Et puis, j'ai commencé à baisser; je ne m'en apercevais pas; je passais mon temps à « me parler » au lieu de « me réaliser »... La flamme s'éteignait. J'avais toujours les mêmes ambitions, mais rien ne les motivait plus. J'accouchais bien encore, par-ci, par-là, d'une idée neuve, mais c'était par une sorte de convulsion, le soubresaut d'une faculté qui agonise... La belle, la facile, la vivante éjaculation cérébrale était tarie! J'ai fini par découvrir avec horreur que j'étais desséché, que mon intelligence n'était plus qu'un reflet, que le germe de vie qui avait palpité en moi était mort! J'ai voulu étouffer cette odeur de cadavre, je me suis débattu, j'ai lutté, j'ai fait tout ce que j'ai pu, mon pauvre vieux, mais en vain... Et maintenant il est trop tard : tout ça est fini, bien fini!
R. MARTIN DU GARD, Devenir, 1909, p. 176.
• 19. ... les rêves enfantins d'une femme de ménage agonisent sur la pierre froide d'un évier comme des poissons suffoquant et crevant sur des galets brûlants.
J. PRÉVERT, Paroles, Lanterne magique de Picasso, 1946, pp. 287-288.
b) [En parlant d'une entreprise, d'une chose créée par l'homme] :
• 20. De François II à Louis XV, le mal a crû en progression géométrique. L'art n'a plus que la peau sur les os. Il agonise misérablement. Cependant, que devient l'imprimerie? Toute cette vie qui s'en va de l'architecture vient chez elle. À mesure que l'architecture baisse, l'imprimerie s'enfle et grossit.
V. HUGO, Notre-Dame de Paris, 1832, p. 221.
• 21. Il est juste de reconnaître que M. Montagu Norman était en congé au moment où agonisait l'étalon-or; pouvait-on sauver le moribond? (...), les crédits engagés en Allemagne ne se laissèrent pas dégeler, toutes les banques du monde s'adressèrent, comme toujours, à la place de Londres, et la livre attaquée de tous côtés s'effondra.
P. MORAND, Londres, 1933, p. 291.
c) [En parlant du temps, de la durée, notamment du jour] :
• 22. Le jour terne qui agonisait sur cette immensité boueuse, avait une clarté louche, sans reflet, dont la teinte sale faisait monter le dégoût à la gorge. Cette heure trouble d'une matinée d'hiver est poignante pour les gens qui ont veillé toute la nuit.
É. ZOLA, Madeleine Férat, 1868, p. 165.
• 23. Quelquefois, je sens la caresse du temps qui passe d'autres fois — le plus souvent — je le sens qui ne passe pas. De tremblantes minutes s'affalent, m'engloutissent et n'en finissent pas d'agoniser; croupies mais encore vives, on les balaye, d'autres les remplacent, plus fraîches, tout aussi vaines; ces dégoûts s'appellent le bonheur; ...
J.-P. SARTRE, Les Mots, 1964, pp. 75-76.
Stylistique — À noter que agoniser reçoit pour équivalents synon. ou anton. les verbes suiv. : s'en aller, baisser, décliner, disparaître, s'effondrer, s'éteindre, expirer, finir, (se) mourir, passer, souffrir, succomber, tarir, tirer ou toucher à sa fin, vivre.
Prononc. :[], j'agonise []. Enq. : /agoniz/. Conjug. parler.
Étymol. ET HIST. — 1. 1372-1374 agonizer « combattre » (ORESME, Politiques 2e p., f° 97e, éd. 1489 ds GDF. : Ne agonizeroit ou emprendroit soy combattre en aucun bon peril), seulement au XIVe s.; 2. 1587 agonisant, part. prés. adjectivé « qui est à l'agonie » (TAILLEPIED, Antiq. de Pontoise, 78, éd. 1876 d'apr. QUEM. t. 1 1959); 1671 agoniser (Mme DE SÉVIGNÉ, Lettres, 15 mai 1671 ds Dict. hist. Ac. fr. t. 1 1865 : L'abbé de Foix se meurt; il a reçu tous ses sacrements, il agonise; cela est pitoyable).
Sens 1 empr. au lat. chrét. agonizare « lutter » (Vulgate, I épitre de Paul aux Corinthiens 9, 25 ds BLAISE 1954 : omnis qui agonizat); sens 2 dér. de agonie étymol. 2; cf. lat. médiév. (1012-1018 THIETMAR, Chron., 4, 67 ds Mittellat. W., s.v., 406, 19 : quem agonizantem mater ... consolatur).
BBG. — BAR 1960. — BÉL. 1957. — BRUANT 1901. — Canada 1930. — CAPUT 1969. — HANSE 1949. — LAV. Diffic. 1846. — MARCEL 1938. — MAT. Louis-Philippe 1951, p. 60. — SAIN. Lang. par. 1920, p. 15. — SPR. 1967. — THOMAS 1956. — VINC. 1910.
II.
⇒AGONISER2, verbe trans.
Synon. pop. ou fam. de agonir.
A.— Agoniser qqn de qqc. :
• 1. C'est une fille brune, aux cheveux crêpés et bouffants aux yeux d'acier, aux pommettes rougies de larmes séchées. Elle est piétée dans une pose de défi, agonisant d'injures officiers et soldats, d'injures qui sortent d'un gosier et de lèvres si contractés par la colère, qu'elles ne peuvent se traduire dans des sons, dans des paroles. Sa bouche rageuse et muette mâche l'insulte, sans pouvoir la faire entendre.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, mai 1871, p. 814.
• 2. ... ils étaient fâchés avec leurs voisins parce que la mère Tuvache les agonisait d'ignominies, répétant sans cesse de porte en porte qu'il fallait être dénaturé pour vendre son enfant, que c'était une horreur, une saleté, une corromperie.
G. DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 1, Aux champs, 1882, p. 79.
• 3. Voici mon histoire avec Retté. Sur le nom d'Hugo prononcé par l'un de nous, Retté dit quelque chose comme « Hugo, un crétin! » je trouvai bon de relever ce jugement par un mot légèrement ironique. Mais sur mon mot, ne voilà-t-il pas que Cladel donne un formidable coup de poing sur la table et agonise ledit Retté, pendant un quart d'heure, d'épithètes outrageantes. Or depuis ce jour, chaque fois que je publie un volume, Retté n'a de cesse qu'il n'ait trouvé une revue, un journal voulant bien accepter un éreintement féroce de mon bouquin.
E. et J. DE GONCOURT, Journal, déc. 1893, p. 488.
B.— Agoniser qqn :
• 4. Elle eut un sursaut, et lâchant sa voix, lâchant sa colère, elle cria : « C'est pour ça qu' vous êtes venus, dites? Pour m'insulter, quoi? Parce que mes enfants sont comme des bêtes, dites? Vous ne le verrez pas, non, non, vous ne le verrez pas; allez-vous-en, allez-vous-en. J'sais t'i c' que vous avez tous à m'agoniser comme ça? »
G. DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 2, La Mère aux monstres, 1883, p. 367.
• 5. V'là t'y pas qu'y se permet de lever la main sur moi : un soldat français! La moutarde me monte au nez, et je lui allonge une raclée, mais une de ces raclées!... Et pour ne pas être en reste avec lui, car y m'agonisait dans son langage de mauvais chrétien, je lui disais en lui tapant dessus : tiens, sidi, tiens, cochon d' sabir, attrape ça, chouia barca! À la fin, y n' voulait pu rien savoir. Alors moi, je suis parti tranquillement, en fumant mon cigare.
É. MOSELLY, Terres lorraines, 1907, pp. 101-102.
• 6. Seulement on aurait dit aussi la carne qu'elle n'attendait que ce moment-là que je me déboutonne pour me traiter à son tour de tous les noms de salauds qu'elle savait! Elle en a bavé alors et même plus qu'il en fallait. « Voleur! Fainéant! qu'elle m'agonisait... Vous avez même pas de métier!... Ça va faire un an bientôt que je vous nourris ma fille et moi!... Propre à rien!... Maquereau!... » T'entends ça d'ici? Une vraie scène de famille... Elle a comme réfléchi un bon coup et puis elle l'a dit plus bas, mais tu sais alors elle l'a dit et puis de tout son cœur « Assassin!... Assassin! » qu'elle m'a appelé. Ça m'a refroidi un peu.
L.-F. CÉLINE, Voyage au bout de la nuit, 1932, pp. 559-560.
Rem. 1. Sur l'orig. pop., voire dial. :
• 7. Agoniser. v. a. Insulter, injurier, outrager de paroles. Après avoir agonisé sa femme, il l'a chassée du logis. Terme suisse, savoisien, comtois, lorrain, etc. Nous disons aussi, avec un complément indirect, agoniser de sottises, agoniser d'injures. Dans le langage parisien populaire on dit : Agonir, Agonir quelqu'un de mauvais propos.
J. HUMBERT, Nouveau glossaire genevois, 1852, p. 10.
• 8. Dans ses tableaux et ses dialogues, Vadé manie avec beaucoup de bonheur le bas-langage de l'époque (...). C'est grâce à lui qu'ont été propagés quelques-uns des mots populaires que nous allons passer en revue. Agoniser, accabler d'injures, se lit tout d'abord dans le IIIe Bouquet poissard de Vadé : « Ne l'agonisons plus... », à côté d'agonir, dans une comédie du même, Les Racoleurs, 1756, sc. XIV : « Ah ça, Monsieux, je suis reconnaissante; tiens, ma fille, sans ly j'étais agonie par ste femme... ». D'Hautel donne cette dernière forme : « Agonir quelqu'un de sottises, l'injurier, l'invectiver de paroles sales et outrageantes ». La première a soulevé les protestations des grammairiens (...). Le passage du neutre à l'actif qu'à subi agonir ou agoniser est pourtant un phénomène courant dans le développement historique de la langue : « Être à l'agonie » devint « mettre à l'agonie » à force d'injures. L'une et l'autre formes sont encore usuelles aussi bien dans les parlers provinciaux (Berry, Poitou, Normandie, etc.) que dans le langage parisien : « Ces zigues d'attaque qui... étaient agonisés de sottises, traînés dans la boue... », Almanach du Père Penard, 1894, p. 53. — « On ne trouvait assez de mots dans les journaux pour l'agonir », Bercy, XXIIe lettre, p. 4.
SAIN. Lang. par. 1920, pp. 14-15.
Rem. 2. Les grammairiens ont mis en relief l'attraction paron. de agonir par agoniser1, parfois pour la condamner :
• 9. Agonir quelqu'un de sottises, l'injurier, le honnir, l'invectiver de paroles sales et outrageantes. Quelques uns disent agoniser. Ces deux manières de parler sont également vicieuses.
J.-F. ROLLAND, Dict. du mauvais langage, 1813, p. 5.
• 10. Agoniser, verbe neutre, signifie être à l'agonie et n'a pas d'autre sens. Agoniser quelqu'un d'injures est un barbarisme né du besoin factice et déraisonnable d'allonger avec des suffixes mille mots qui s'en passeraient bien. Le terme populaire agonir serait ici seul de mise, si, d'ailleurs, il n'était pas lui-même probablement la corruption d'un verbe plus correct. (ahonir, faire honte, verbe ancien, encore usité en Normandie, d'après Littré).
P. STAPFER, 1909 (SPR. 1967, p. 390).
• 11. L'attraction, aussi bien sémantique que morphématique, naît par mégarde. Aussi est-elle plus fréquente dans le langage populaire que dans la langue littéraire. C'est surtout dans la bouche des gens illettrés qu'elle atteint non seulement les mots empruntés et spéciaux, mais encore les mots couramment employés. On confond sujétion avec suggestion, conjecture avec conjoncture, agonir avec agoniser (agoniser d'injures au lieu d'agonir d'injures).
DUCH. 1967, § 31, 2, pp. 103-104.
D'autres ont expliqué agoniser comme un essai pop. de normalisation de agonir, qui passait ainsi à une conjug. plus vivante :
• 12. Vous faisez :ceci représente brutalement la tendance de la langue française à ramener tous ses verbes à la première conjugaison. L'anonyme cite agoniser pour agonir (de sottises); il y en a bien d'autres, et on les constaterait surtout dans le langage des enfants. J'ai entendu : buver, cuiser, romper, pleuver, mouler, chuter pour boire, cuire, rompre, pleuvoir, moudre, choir.
R. DE GOURMONT, Esthétique de la langue française, 1899, p. 159.
Rem. 3. Pour l'étymol. cf. agonir. Comme le montrent les ex., on trouve agoniser notamment aux formes où l'emploi de agonir obligerait l'emploi des formes en -iss-, que la lang. a prob. cherché à éviter, qui en tout cas ont pu servir de point de départ à l'attraction paron.; celle-ci a pu être d'autre part renforcée par l'anal. de verbes comme brutaliser, martyriser, tyranniser, et par l'analyse sém. de verbes comme humaniser, immortaliser « rendre humain, immortel » (d'où agoniser « rendre agonisant »).
Étymol. ET HIST. — Av. 1757 trans. « accabler d'injures » (VADÉ, IIIe Bouquet poissard ds SAIN. Lang. par. 1920, p. 15 : Ne l'agonisons plus).
Sens empr. par agoniser1 à agonir.
STAT. — Fréq. abs. litt. :370. Fréq. rel. litt. :XIXe s. : a) 83, b) 745; XXe s. : a) 1 095, b) 441.
BBG. — THOMAS 1956.
1. agoniser [agɔnize] v. intr.
ÉTYM. Fin XVIe; « combattre », XIVe; du lat. ecclés. agonizare, du grec agônizesthai « lutter, faire effort ».
❖
1 Être à l'agonie. || Le malade agonise. ⇒ Éteindre (s'), passer. || Le malade avait perdu conscience, il agonisait. || Il agonise, il va bientôt expirer, mourir.
1 La justification de la guerre peut prendre la forme d'une haute pensée; mais devant un soldat qui agonise sous vos yeux, elle s'écroule.
Montherlant, la Relève du matin, p. 11.
1.1 Cependant sa grand'mère, qui croupissait dans la chambre du fond, vieillit tellement qu'elle en agonisa. Cela dura deux jours, car elle avait l'âme chevillée au corps, comme disait le père Tuquedenne. De temps en temps, Vincent allait voir comment cela se passait : la vieille continuait à râler et à tirer sur ses draps.
R. Queneau, les Derniers Jours, p. 114.
2 (1701). Fig. et littér. Décliner, toucher à sa fin. ⇒ Effondrer (s'). || Des illusions qui agonisent. — Plus cour. || Parti, groupe, pays… en train d'agoniser.
2 L'art n'a plus que la peau sur les os. Il agonise misérablement.
Hugo, Notre-Dame de Paris, V, II.
3 Depuis longtemps déjà l'Empire romain agonisait. En mourant il laissait une confusion épouvantable.
J. Bainville, Hist. de France, I, 19.
♦ Concret. Par métaphore :
4 Le feu agonisait dans le foyer, sous la cendre noire des lettres; deux bougies s'éteignirent; un meuble craqua.
Maupassant, Fort comme la mort, éd. 1889, p. 352.
❖
CONTR. Naître, renaître.
DÉR. Agonisant.
HOM. 2. Agoniser.
————————
2. agoniser [agɔnize] v. tr.
ÉTYM. Mil. XVIIIe, Vadé; réfection de agonir; cf. agoniser sa goule « fermer sa gueule, se taire » en 1757 (Brunot).
❖
♦ Fam. (et condamné par la norme). Agonir. — REM. Non seulement le verbe s'entend et se lit chez des auteurs reflétant la langue parlée, mais on le trouve chez des écrivains sans caractère « populaire ».
1 Elle est piétée dans une pose de défi, agonisant d'injures officiers et soldats.
Ed. et J. de Goncourt, Journal, mai 1871.
2 Elle est culottée, celle-là, dit Turandot. La vlà qui m'agonise maintenant.
R. Queneau, Zazie dans le métro, Folio, p. 177.
❖
HOM. 1. Agoniser.
Encyclopédie Universelle. 2012.