CONCEPT
Les théories de la connaissance s’accordent généralement à reconnaître qu’il y a essentiellement, dans l’être humain, deux modes de connaissances de la réalité, l’un qui porte directement sur le concret, saisi dans sa singularité, l’autre qui n’atteint le réel qu’à travers des déterminations de caractère abstrait (séparées des individus concrets en lesquels elles peuvent éventuellement se trouver réalisées). Le premier mode caractérise l’intuition, le second la connaissance par concepts. Kant définit l’intuition comme le mode par lequel la connaissance «se rapporte immédiatement aux objets et auquel tend toute pensée comme au but en vue duquel elle est le moyen». On pourrait, en utilisant le terme général de représentation pour caractériser la connaissance, dire que l’intuition est une représentation singulière (c’est-à-dire portant sur le singulier) et que le concept est une représentation générale. Mais le recours à ce terme de représentation risque d’engager l’épistémologie dans la voie d’un réalisme indirect, qui n’est pas sans poser bien des problèmes (nous ne connaissons à proprement parler que nos représentations, et nous ne connaissons le réel qu’indirectement, par l’intermédiaire de celles-ci). Il serait plus conforme aux données que fournit l’analyse de l’activité cognitive de caractériser la connaissance par l’expression d’intentionnalité assimilatrice . Il faudrait alors distinguer deux modalités de cette intentionnalité: l’une qui vise le concret tel qu’il se donne, de façon immédiate, l’autre qui vise le concret de façon médiate, à travers des déterminations que l’esprit peut considérer en elles-mêmes, à l’état isolé, et en tant précisément que séparées de leurs supports concrets. Le concept peut être défini, dans cette perspective, comme la médiation par laquelle opère l’intentionnalité cognitive lorsqu’elle vise ainsi le réel à travers l’élément de la généralité.
1. Les propriétés du concept
La tradition rationaliste établit une différence tranchée entre la connaissance intuitive et la connaissance conceptuelle, en lesquelles elle voit deux niveaux irréductibles de savoir. La tradition empiriste, en revanche, conçoit plutôt ces deux modes de connaissance comme des réalisations, selon des degrés différents, d’une seule et même modalité fondamentale.
Que les concepts soient compris comme des représentations ou comme des formes de médiation, ils se distinguent de l’intuition sensible, concrète et singulière, par leur caractère abstrait et universel. Le concept met en évidence un aspect de la réalité, qui est considéré à part, comme s’il constituait un objet de connaissance pour son propre compte, alors qu’il n’est pas donné à l’état isolé dans l’expérience perceptive. L’esprit humain a cette propriété remarquable de pouvoir ainsi détacher – de ce qui, dans l’intuition sensible, est donné sous forme de totalités individuelles singulières – des déterminations qui appartiennent bien à ces totalités, mais qui ne les caractérisent que selon une perspective particulière. Le concept est précisément la saisie d’une telle détermination. Il est caractérisé par ce que Hegel appelle la «déterminité» (Bestimmtheit ). En tant que tel, il se pose comme un moment séparé, ou abstrait. Il s’oppose par là à la donnée intuitive, comme un point de vue limité à une totalité; mais il s’oppose aussi aux autres concepts, comme une détermination à d’autres déterminations. Selon la formule célèbre de Spinoza, «toute détermination est négation» ce qui se pose comme talité délimitée exclut de soi tout ce qui n’en relève pas. Mais, par le fait même qu’il se dégage de ce qu’il y a d’individualisant dans l’intuition, le concept est susceptible de s’appliquer à tous les individus en lesquels, à un titre quelconque, se réalise la détermination qu’il rend manifeste. On peut dire aussi qu’il subsume dans l’unité d’un point de vue généralisant la multiplicité (en principe indéfinie) des cas individuels par rapport auxquels ce point de vue est pertinent. Le concept, par lui-même, ne pose aucune limite à son champ d’application; étant de la nature d’une forme, il est de soi disponible pour être mis en œuvre en toute circonstance où il rencontrera les dispositions adéquates. C’est en cela que réside son caractère d’universalité. Même un concept qui ne s’appliquerait en fait qu’à un seul individu (que cela résulte d’une constatation empirique ou d’un raisonnement sur les conditions de son application) ne cesserait pas pour autant d’être universel de droit.
Cette double propriété du concept se reflète dans la structure de la proposition. Selon une analyse qui remonte à Aristote, la forme fondamentale (et en même temps élémentaire) de proposition est celle qui consiste à attribuer un prédicat à un sujet. Le sens de l’attribution est d’affirmer que la détermination représentée par le prédicat appartient effectivement à l’entité individuelle désignée par le terme sujet. Du point de vue sémantique, le terme sujet et le terme prédicat ont des fonctions complètement différentes. Le sujet exerce, dans le contexte de la proposition, une fonction purement référentielle: il renvoie à un fragment de réalité relativement isolable, visé en tant qu’unité concrète. Celle-ci peut appartenir au domaine des choses perceptibles ou au domaine des choses idéales (telles que les entités mathématiques); dans l’un et l’autre cas, on pourra dire que le sujet se réfère à des objets.
Le prédicat a pour fonction de projeter sur l’objet dénoté par le sujet un éclairement spécifique, correspondant à un aspect déterminé de généralité sous lequel l’esprit peut viser le réel. Ou, encore, de placer l’objet dénoté par le sujet sous un point de vue généralisant, qui en fait apercevoir, totalement ou partiellement, l’intelligibilité intrinsèque. Sujet et prédicat correspondent ainsi à deux formes fondamentales d’intentionnalité: l’une qui se rapporte au monde en tant qu’analysable en totalités concrètes, appréhendables dans leur concrétude même, l’autre qui se rapporte au monde en tant qu’analysable en qualités participables, appréhendables dans leur généralité même. Or cette généralité que le prédicat exprime, c’est précisément celle du concept. Le prédicat est donc, dans le milieu du langage, l’élément médiateur qui permet à la pensée de restituer le concept, qui est un instrument de pensée, à l’univers concret que saisit l’intuition.
La question du rapport entre le prédicat et le concept est fort controversée. Frege explique que le prédicat dénote un concept, comme le sujet dénote un objet. Et il caractérise le statut du concept en s’appuyant sur l’idée de fonction. La propriété essentielle de la fonction, c’est son insaturation, ou son indétermination, qui lui donne précisément un caractère de généralité. Un concept, selon Frege, n’est qu’un cas particulier de fonction: c’est «une fonction dont la valeur est toujours une valeur de vérité». Strawson explique que le prédicat identifie un terme universel, comme le sujet identifie un terme particulier. Ces deux approches ont l’inconvénient de décrire les fonctions de sujet et de prédicat au moyen de la même catégorie sémantique. On pourrait tenter d’exprimer la différence entre sujet et prédicat en disant que le sujet se réfère à un objet et que le prédicat représente un concept (non au sens où il en serait une image, mais au sens où il en tiendrait la place et en exercerait la fonction dans le milieu du langage). Si le prédicat est une entité linguistique, le concept est une entité de pensée (ce qui est tout autre chose qu’un «état mental»). Très exactement, il est un mode noétique d’appréhension ou, encore, une forme selon laquelle un objet peut être pensé.
La proposition représente (cette fois, au sens d’une mise en scène) l’application d’un concept à un objet. Le caractère abstrait du concept se reflète dans le fait que le prédicat ne peut jouer son rôle de terme déterminant que par l’intermédiaire du sujet; c’est seulement en tant qu’il est ancré dans un terme qui évoque directement une totalité concrète qu’il peut qualifier celle-ci. Et le caractère universel du concept se reflète dans le fait que le prédicat n’est pas lié à un sujet déterminé mais est disponible en quelque sorte pour une infinité virtuelle de sujets.
2. Le problème des universaux: platonisme, nominalisme et conceptualisme
Le statut et le rôle du concept ont suscité de nombreux et importants débats philosophiques. On se bornera ici à quelques indications, en évoquant d’abord la querelle des universaux. Cette querelle qui joua un grand rôle au Moyen Âge, et qui concerne la relation entre le concept et le réel, s’est ranimée à l’époque contemporaine, surtout dans le contexte des discussions sur le nominalisme. Les différentes positions adoptées se ramènent à trois grands types.
Selon le platonisme, la contrepartie du concept dans le réel est un «universel», conçu comme une réalité existant à l’état séparé, dans un monde idéal (tel que celui des idées de Platon), et auquel «participent» les individus concrets auxquels le concept s’applique. Les formes modernes de platonisme se rencontrent surtout dans le domaine de la philosophie des mathématiques, où il s’agit non pas du statut des concepts mais du mode d’existence des entités mathématiques (on reviendra ci-après sur la question des mathématiques). La théorie des universaux qui a été proposée par Carnap (dans Meaning and Necessity ) pourrait être considérée comme une forme affaiblie de platonisme conceptuel. Une propriété peut être interprétée comme une classe: c’est la collection des individus pour lesquels elle se vérifie. Il s’agit là d’une interprétation extensionnelle . Les classes obéissent au «principe d’extensionnalité» elles sont entièrement déterminées par les individus qui en font partie (de façon précise: deux classes sont identiques si et seulement si tout individu qui appartient à l’une appartient à l’autre). Mais une propriété peut aussi être interprétée comme une entité abstraite, abstraction faite des individus dont elle se vérifie. Carnap a proposé de caractériser les concepts par un principe d’intensionnalité : deux concepts sont identiques si et seulement si tout individu qui exemplifie l’un exemplifie aussi nécessairement l’autre. On a ainsi un critère d’identité pour les concepts et cela autorise à les considérer comme des entités existantes extralinguistiques.
Le nominalisme adopte une position diamétralement opposée: il ne reconnaît d’existence à aucune entité abstraite. Sous sa forme la plus extrême, il réduit les «universaux» au statut de simples noms et en fait donc des entités purement linguistiques. De façon positive, le nominalisme est un type de doctrine qui entend reconstruire entièrement l’ontologie en termes d’individus. Mais la notion d’individu peut évidemment être entendue de façon plus ou moins extensive. Goodman, qui a donné au nominalisme moderne l’une de ses formes les plus caractéristiques, présente le nominalisme comme une doctrine qui demande de traiter comme des individus toutes les entités dont l’existence est admise. La restriction ne porte donc pas sur le critère d’existence mais sur le mode de reconstruction de la réalité. Elle conduit Goodman à rejeter les classes, et à n’admettre que les «agrégats» d’individus. La raison qu’il avance est que deux entités distinctes ne peuvent être faites des mêmes entités. Deux agrégats ne peuvent différer que par l’un au moins des individus qui les composent, alors que les procédures de formation des classes permettent de former une infinité de classes distinctes à partir des mêmes individus. Quine, qui est souvent considéré comme nominaliste, a une position plus libérale, en ce sens qu’il admet l’existence des classes. Et cela pour la raison que l’on dispose d’un critère d’identité pour les classes: c’est le principe d’extensionnalité. Mais ce n’est pas le cas, selon lui, pour les concepts, ce qui l’amène à rejeter l’interprétation intensionnelle des propriétés.
Le conceptualisme, qui est d’inspiration aristotélicienne, reconstruit l’ontologie en termes d’individus et de propriétés, interprétées intensionnellement. La contre-partie du concept dans la réalité (ce qui est visé par le concept dans le réel), c’est une propriété, non toutefois en tant qu’existant à l’état séparé, mais en tant qu’appartenant réellement à des individus. La relation exprimée par la proposition entre le prédicat et le sujet a pour fondement ontologique l’appartenance réelle de la propriété (visée par le concept que représente le prédicat) à un objet individuel (dénoté par le sujet). Mais cette façon de voir implique évidemment que le mode d’être de la propriété réelle doit être conçu autrement que le mode d’être de l’individu concret existant. Celui-ci existe par lui-même, ce qu’exprime l’idée de subsistance. La propriété n’existe que dans les individus, non par elle-même; elle n’est réelle que de la réalité même de la chose en laquelle elle inhère. Mais elle est en la chose comme une formalité qui en est détachable, et qui est reconnaissable en d’autres choses. Autrement dit, en sa réalité même, elle est disponible pour l’opération intellectuelle qui l’appréhende et qui pose cette appréhension même comme détermination abstraite, comme concept. Bochenski a précisé la position conceptualiste, dans le contexte des discussions contemporaines, en recourant à une théorie de l’identité entre propriétés, qu’il oppose à une théorie de la similarité. Pour cette dernière théorie (que l’on peut considérer comme une variété de nominalisme), ce qui nous permet de rassembler les individus en classes, c’est seulement leur similarité. Pour la théorie de l’identité, c’est le fait qu’une même propriété est inhérente aux individus d’une même classe. Une théorie conceptualiste doit cependant rendre compte non seulement du fait qu’un concept peut viser la même propriété dans plusieurs individus, mais aussi du fait que cette propriété peut se réaliser effectivement en plusieurs. Or cela demande une ontologie de la substance de type aristotélicien, dans laquelle la forme, qui est de soi commune, se pluralise en s’individualisant par son rapport à un «autre» qui joue le rôle d’un principe de subsistance.
3. Genèse et évolution des concepts
La plupart de nos concepts sont construits par l’esprit à partir de l’expérience sensible. Le mécanisme de cette construction constitue un problème important (auquel a tenté de répondre jadis la doctrine de l’abstraction et que l’épistémologie génétique de Jean Piaget a repris de nos jours sur une base scientifique). Mais en est-il ainsi de tous nos concepts? Kant a soutenu, à partir d’une analyse de la connaissance scientifique (mathématiques et physique newtonienne), qu’il y a des concepts a priori , c’est-à-dire indépendants de toute expérience. Ces concepts ne nous fournissent pas un contenu de connaissance; ils ne sont que des formes selon lesquelles la pensée peut se rapporter à un objet en général. C’est seulement par l’application des concepts purs au contenu fourni par la sensibilité que se constituent les objets de connaissance. La fonction des concepts a priori est d’unifier nos représentations. Comme ils exercent cette fonction par l’intermédiaire du jugement, on pourra établir la table complète des concepts a priori en examinant quelles sont les différentes «fonctions de l’unité dans les jugements». S’appuyant sur la classification des jugements fournis par la logique traditionnelle, Kant établit la célèbre table des catégories, qui contient 12 concepts. Ce sont ces concepts qui, dans sa doctrine de la science, constituent l’armature a priori sur laquelle sont construits les principes fondamentaux de la physique newtonienne. C’est ainsi par une théorie de l’apriorité qu’il explique la puissance théorique de la science, son caractère universel et nécessaire, qui excède par principe ce que peut donner l’expérience.
Les «idées innées» de Descartes sont, elles aussi, indépendantes de l’expérience, mais elles ne sont pas de simples formes d’unification; elles ont un contenu déterminé. Et, s’il en est ainsi, c’est qu’elles ont un caractère intuitif. Ce sont des intuitions intellectuelles; et, en cela, les «idées» sont différentes des concepts, qui, précisément, n’ont pas ce caractère intuitif. L’idée est un mode de l’entendement mais elle contient une «réalité objective» par elle, la chose est «objectivement ou par représentation» présente dans l’entendement.
Le concept est généralement compris comme doué de stabilité. Quand on parle d’évolution des concepts, c’est au sens où l’esprit transforme ses concepts ou en crée de nouveaux. Mais la transformation affecte le concept de l’extérieur: elle se fait par ajout ou soustraction de certaines notes constitutives. Hegel a développé une théorie du concept qui donne à celui-ci un caractère essentiellement dynamique. Le concept est mouvement, il est perpétuelle transformation de lui-même par lui-même, en ce sens qu’il s’affecte de l’intérieur par lui-même de déterminations nouvelles. Non toutefois par simple ajout au contenu déjà posé, mais par développement dialectique de celui-ci. Le développement du concept produit l’idée, qui n’est autre que le concept entièrement réalisé (devenu réel) par son auto-développement même. L’idée est la réalité absolue, considérée dans la totalité systématiquement constituée de ses déterminations.
4. Le concept dans les mathématiques, la physique et le langage scientifique
Les mathématiques posent un problème spécial. Les entités dont elles traitent ont un caractère idéal et, à ce titre, paraissent appartenir au même domaine que les concepts. Il faut cependant distinguer complètement les objets mathématiques (tels que les nombres, les fonctions, les espaces, etc.) des concepts au moyen desquels nous les caractérisons et en décrivons les propriétés. Du point de vue logique; les entités mathématiques doivent être considérées comme des individus de nature particulière, non empirique. Leur statut ontologique fait l’objet d’un débat fondamental en philosophie des mathématiques.
Le statut des entités théoriques (introduites dans le cadre des théories scientifiques, surtout des théories physiques) pose un problème qui a des analogies avec le précédent. Ces entités sont construites par la pensée, au moyen de concepts, mais ne sont pas elles-mêmes des concepts (par exemple, le champ gravitationnel). Elles sont posées non comme des objets idéaux mais comme existant réellement dans le monde physique. Leur existence n’est cependant affirmée que sur un mode hypothétique et la valeur épistémique que l’on peut accorder aux propositions qui affirment (ou impliquent) leur existence est exactement celle que l’on peut accorder aux théories dans le cadre desquelles interviennent ces propositions.
Le langage scientifique a très largement recours à des concepts qui ne sont pas directement interprétables en termes empiriques. Ce sont les concepts dits «théoriques», qui sont introduits dans le contexte des propositions théoriques. L’épistémologie néopositiviste avait cru pouvoir dissocier le langage scientifique en une partie purement empirique et une partie théorique. Il est assez couramment admis que tous les concepts du langage scientifique sont, à des degrés divers, «chargés de théorie». Il faudra néanmoins distinguer les concepts proprement théoriques, qui concernent des propriétés non observables, et les concepts observationnels, qui concernent des aspects observables de la réalité physique. Les concepts théoriques jouent un rôle indispensable, en ce qu’ils permettent à la pensée scientifique d’aller au-delà de l’information contenue dans les données empiriques disponibles. Mais leur statut sémantique pose des questions difficiles. On peut analyser le «sens» d’un concept en deux composantes: la dénotation ou extension (ensemble des individus qui vérifient le concept), et l’intension ou compréhension (contenu du concept). Le problème de la dénotation renvoie à celui des entités théoriques: les objets pour lesquels se vérifie un concept théorique sont des entités théoriques. Quant à l’intension, elle comporte elle-même deux composantes: d’une part, une composante interne, constituée par l’ensemble des relations logiques que le concept considéré entretient avec tous les autres concepts de la théorie, par l’intermédiaire des propositions que cette théorie contient; d’autre part, une composante externe, donnée par l’interprétation de la théorie. Pour être utilisable, une théorie à portée empirique doit pouvoir être mise en relation avec des données observables. À cet effet, elle doit être munie de règles d’interprétation qui jettent un pont entre les concepts théoriques et les concepts observationnels. La relation ainsi établie entre un concept théorique et la réalité empirique contribue à déterminer l’intension du concept. La manière précise dont doivent être conçues l’interprétation d’une théorie et la sémantique des concepts théoriques reste un objet de discussion.
concept [ kɔ̃sɛpt ] n. m.
• 1404; lat. conceptus, de concipere « recevoir »
1 ♦ Philos. Représentation mentale générale et abstraite d'un objet. ⇒ idée (générale), notion, représentation; conceptuel. Le concept de temps. Formation des concepts. ⇒ conception, conceptualisation; abstraction, généralisation. Compréhension, extension d'un concept. — Ling. Les concepts sont indépendants des langues. Signifié, concept et référent.
2 ♦ Définition d'un produit par rapport à sa cible. Les nouveaux concepts dans l'industrie alimentaire (⇒ concepteur ) .
● concept nom masculin (latin conceptus, conçu) Idée générale et abstraite que se fait l'esprit humain d'un objet de pensée concret ou abstrait, et qui lui permet de rattacher à ce même objet les diverses perceptions qu'il en a, et d'en organiser les connaissances. Manière dont une entreprise est conçue ; idée générale, projet : Présenter le concept d'une nouvelle ligne de dictionnaires.
concept
n. m. PHILO Représentation mentale abstraite et générale. Le concept de table. Le concept de bonheur. Forger un concept.
⇒CONCEPT, subst. masc.
A.— Vx. Faculté, manière de se représenter une chose concrète ou abstraite; résultat de ce travail; représentation. Synon. conception. Ainsi le talent, de même que la goutte, saute quelquefois de deux générations. Nous avons de ce phénomène, un illustre exemple dans George Sand en qui revivent la force, la puissance et le concept du maréchal de Saxe de qui elle est petite-fille naturelle (BALZAC, Albert Savarus, 1842, p. 17). Les Quatre Saisons de Mlle Abbéma sont, comme concept, une niaiserie bien féminine (HUYSMANS, L'Art mod., 1883, p. 297). La description qu'en [du cerveau] fabrique le Français avec le concept logique de son esprit (E. et J. DE GONCOURT, Journal, oct. 1889, p. 1054).
B.— Usuel
1. PHILOS. Représentation mentale abstraite et générale, objective, stable, munie d'un support verbal. Le concept de vérité, le concept de cercle. Synon. catégorie, classe, schème, symbole. Cette philosophie du concept est devenue chez Platon la dialectique, et chez Aristote, la construction métaphysique et scientifique que l'on sait, où la méthode est demeurée essentiellement dialectique (L. LÉVY-BRUHL, La Mor. et la sc. des mœurs, 1903, p. 63). Le philosophie, remontant du percept au concept, voit se condenser en logique tout ce que le physique avait de réalité positive (BERGSON, L'Évolution créatrice, 1907, p. 320). Qu'est-ce qu'un concept? [selon Kant] C'est un moyen de juger, c'est-à-dire un universel, une forme de classe sous laquelle on peut subsumer un singulier (O. HAMELIN, Essai sur les éléments principaux de la représentation, 1907, p. 30) :
• 1. Quand je fixe un objet dans la pénombre et que je dis : « c'est une brosse », il n'y a pas dans mon esprit un concept de la brosse, sous lequel je subsumerais l'objet et qui d'autre part se trouverait lié par une association fréquente avec le mot de « brosse », mais le mot porte le sens, et, en l'imposant à l'objet, j'ai conscience d'atteindre l'objet.
MERLEAU-PONTY, Phénoménologie de la perception, 1945, p. 207.
SYNT. Le concept d'espace, de mouvement, de temps, de cause; le contenu, la compréhension, l'extension d'un concept, la connotation d'un concept; former le/un concept de qqc., subsumer un donné ou un ensemble de données sous un concept, épuiser un concept.
2. LING. MOD. :
• 2. Quand j'affirme simplement qu'un mot signifie quelque chose, quand je m'en tiens à l'association de l'image acoustique avec un concept, je fais une opération qui peut dans une certaine mesure être exacte et donner une idée de la réalité; mais en aucun cas je n'exprime le fait linguistique dans son essence et dans son ampleur.
SAUSSURE, Cours de ling. gén., 1916, p. 162.
• 3. L'image acoustique et le concept sont d'ordre psychique; dans la phonation, le concept de bœuf, par exemple déclenche dans le cerveau l'image acoustique correspondante, empreinte du groupe de sons qu'est le mot bœuf en français (Ox en anglais, etc.); puis, par un processus physiologique, le cerveau transmet aux organes de la phonation l'impulsion corrélative à l'image; dans la situation de l'audition, l'ordre est inversé : transmission physiologique de l'oreille au cerveau, et dans le cerveau, association psychique de l'image acoustique bœuf, Ox, etc. avec le concept correspondant.
J. PERROT, La Ling., 1953, p. 111.
3. P. ext.
a) Vocab. sc. en gén. Le concept de l'inconscient frappait depuis longtemps aux portes de la psychologie et la philosophie comme la littérature flirtaient avec lui (S. FREUD, Abr. de psychanal., trad. A. Bermann, 1949, p. 20). Un concept mathématique adéquat à la notion vague de fonction d'entiers effectivement calculable (Hist. gén. des sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 107). Des concepts de marché, de firme, de prix, d'équilibres par les prix et par les flux (PERROUX, L'Écon. du XXe s., 1964, p. 589).
b) Dans la lang. littér. et culturelle. Quasi synon. de idée. L'idée, que le fait, que le concept d'un péché (PÉGUY, Victor-Marie, Comte Hugo, 1910, p. 824). Je ne me fais pas d'Esprit [le pigeon] et de mon attirance vers lui un concept précis, clair, distinct? Eh! j'en conviens (BARRÈS, Le Mystère en pleine lumière, 1923, p. 63). La France, décidément, n'était pour moi ni une déesse abstraite, ni un concept d'historien, mais bien une chair dont je dépendais (SAINT-EXUPÉRY, Lettre à un otage, 1943, p. 395) :
• 4. Nous avons trop mesuré la complication des faits de nature pour nous leurrer de l'espoir d'emprisonner dans un concept rigide la réalité touffue de la chose vitale; ...
J. ROSTAND, La Vie et ses problèmes, 1939, p. 12.
Rem. On rencontre ds la docum. et ds quelques dict. gén. du XIXe et du XXe s. a) Le subst. masc. conceptisme qui désigne dans la littérature espagnole un courant d'idées apparu au début du XVIIe s. et caractérisé par un raffinement abusif dans la pensée et dans le style. Plus tard, Calderon rendra plus rigide ces dogmes, se fera de l'honneur une conception plus rigoureuse, et dans le « médico de su honra » proposera des modèles étonnamment durs et abstraits. Le gongorisme, le conceptisme, le cultisme viendront renforcer l'action de la préciosité (BRASILLACH, Pierre Corneille, 1938, p. 61). b) L'adj. conceptiste, dér. de conceptisme. On dirait que les pointes, bons mots et traits d'esprit, auxquels Gracian consacre son vaste traité de l'« agudeza y arte de ingenio », sont comme l'application « conceptiste » de cet esprit de finesse (JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, p. 112). Son emploi subst. masc. désigne un écrivain s'adonnant aux raffinements du conceptisme.
Prononc. et Orth. :[]; prononcé [] ds FÉR. Crit. t. 1 1787, LAND. 1834 et GATTEL 1841. Cf. abrupt. Enq. : /kõsept/. Ds Ac. 1762-1932. Étymol. et Hist. 1404 (CHR. DE PISAN, Charles V, 3, 5 ds QUEM. : Le concept des choses veues, sceues et oppinees par vrayes raisons); 1647 terme de philos. (DESCARTES, Méditation, 6 ds LITTRÉ : Pour me servir des termes de l'école, dans leur concept formel). Empr. au lat. conceptus « action de contenir, de recevoir » (de concipere « concevoir »), en lat. chrét. le sens de « conception, pensée ». Fréq. abs. littér. : 832. Fréq. rel. littér. :XIXe s. : a) 39, b) 301; XXe s. : a) 883, b) 2 812. Bbg. TEPPE (J.). Gongorisme. Vie Lang. 1962, p. 68.
concept [kɔ̃sɛpt] n. m.
ÉTYM. 1404; lat. conceptus, de concipere « recevoir ».
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♦ Didactique.
1 Vx. Acte de pensée aboutissant à une représentation générale et abstraite. ⇒ Conception, concevoir. — Idée générale et abstraite.
2 Mod. (depuis Kant). Philos. Objet de la pensée (idée), correspondant à une règle ou schème lui assurant une valeur générale et abstraite (⇒ Abstraction), et souvent considéré comme lié à un nom. — REM. Notion, souvent employé dans le même sens, correspond dans la langue courante à tout objet de pensée, qu'il soit individuel ou général, vague et mal formé ou analysable. — Définition nominaliste (⇒ Nom), réaliste; définition mentaliste, fonctionnaliste du concept. || Le concept, opposé au percept. || Le concept défini en compréhension correspond en extension à une classe d'objets. ⇒ Classe, catégorie. || Définition et concept. || Symbole et concept. — Le signe (le nom, le mot), le concept et la chose (ou référent). || Le signifié et le concept. — Du concept. ⇒ Conceptuel.
1 On peut (…) dire que le concept général n'est ni un simple signe, ni une idée véritable, eidos (…) mais qu'il consiste en un schème opératoire de notre entendement, quelque chose comme le rythme d'un vers dont on ne peut retrouver les mots (…)
A. Lalande, Lectures sur la philosophie des sciences, 1893, I.
2 Mais si l'on commence par écarter les concepts déjà faits, si l'on se donne une vision directe du réel (…) les concepts nouveaux qu'on devra bien former pour s'exprimer seront cette fois taillés à l'exacte mesure de l'objet.
H. Bergson, la Pensée et le Mouvant, I, p. 23.
2.1 Les premiers temps, nous causions surtout du petit monde qui nous était commun : nos camarades, nos professeurs, le concours. (Herbaud) me citait le sujet de dissertation dont s'amusaient traditionnellement les normaliens : « Différence entre la notion de concept et le concept de notion ».
S. de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée, p. 312.
3 L'homme autrefois était divin parce qu'il avait su acquérir le concept de justice, l'idée de loi, le sens de Dieu; aujourd'hui il l'est parce qu'il a su se faire un outillage qui le rend maître de la matière.
Julien Benda, la Trahison des clercs, III, p. 198.
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DÉR. V. Conceptuel.
Encyclopédie Universelle. 2012.