BAZAR
Le mot bazar , «marché», qui vient du pahlévi vacar et correspond à l’arabe s q ou au turc çars face="EU Caron" ダ (du pahlévi cahar suq , persan car-su , «carrefour»), désigne, de manière générale, le centre commercial et artisanal traditionnel de toute ville ou localité en pays d’islam; il peut être utilisé pour les foires annuelles et pour les marchés ruraux hebdomadaires; en tout cas, il s’agit d’un «lieu public où s’exercent, dans un espace restreint, des activités masculines multiples, par opposition à la zone d’habitat, réservée à la vie privée, et aux zones de culture et d’élevage, où l’activité est uniforme et dispersée» (Centlivres). Cet élément essentiel de la vie urbaine médiévale, dont certains traits se sont perpétués jusqu’à la période moderne, a également contribué à modeler la physionomie architecturale des cités au milieu desquelles il s’est développé et où il occupe encore souvent aujourd’hui une place de premier plan.
Aspects historiques
Si on le considère dans une perspective historique, le marché, de même que le bain, semble avoir été en milieu musulman un héritage du monde antique, aussi bien méditerranéen qu’oriental. La plupart des éléments qui le structurent étaient en effet connus dès l’Antiquité, notamment, sur le plan fonctionnel, diverses particularités concernant le commerce de détail, l’artisanat, le commerce de gros, les échanges à longue distance ou le prêt d’argent et, sur le plan architectural, l’utilisation de la rue à boutiques, de la halle couverte et de la cour intérieure à arcades. Il n’en reste pas moins que la concentration spatiale caractéristique du bazar ou du s q doit être en elle-même considérée comme propre à la civilisation de l’islam. Le marché de La Mekke semble avoir été le centre commercial le plus important de l’Arabie préislamique, la plaque tournante où se traitaient notamment les affaires du grand commerce; d’autres marchés urbains (appelés déjà s q-s), où se rencontraient Bédouins, paysans et citadins, sont attestés dès cette époque.
Sur l’organisation matérielle, administrative et juridique des marchés pendant la période médiévale, nous sommes renseignés, à partir du XIe siècle, par des textes arabes appartenant à la catégorie des manuels dits de hisba , largement postérieurs toutefois à l’apparition de l’institution de ce nom dont ils précisent certaines habitudes. Le terme de hisba, qui désigne en effet en milieu islamique le devoir de recommander le bien et d’empêcher le mal, s’applique aussi à la police des mœurs et à l’inspection du marché, assurées par un personnage qui portait le nom de muhtasib . Un certain nombre d’ouvrages ou de fragments d’ouvrages consacrés à la hisba sont très généraux et théoriques, tels ceux d’al-Mawardi et d’al-Ghazali pour ne citer que les plus célèbres. Mais d’autres, de caractère plus pratique, prodiguent des conseils détaillés et donnent ainsi au lecteur du XXe siècle une image extraordinairement vivante des marchés médiévaux.
Aspects institutionnels
Ce n’est pas ici le lieu de faire le point sur les divers problèmes posés aux islamologues par l’évolution de la notion de hisba et les rapports unissant le muhtasib à son prédécesseur, le «maître du marché» (S hib al-s q ), plus ou moins dérivé de l’agoranomos antique. On se contentera de rappeler que la composante morale et religieuse de la tâche du muhtasib restera toujours sensible, mais que les limites de ses devoirs, par rapport à ceux du qadi ou «juge» et de la shurta ou «police», n’étaient pas clairement
définies. Les peines qu’il pouvait infliger allaient de la fustigation au bannissement, en passant par l’exhibition infamante et la confiscation des marchandises ne correspondant pas aux normes. Quant à sa fonction de surveillance du marché, elle consistait dans la vérification des poids et mesures et dans le contrôle de la qualité des objets proposés à la vente: le muhtasib devait guetter les fraudes commerciales, contrôler le bon aloi des monnaies (dans les cas où il n’y avait pas un préposé à cet office) et veiller au respect rigoureux de l’interdiction coranique de l’usure. S’il contrôlait les prix, il n’avait cependant pas le droit de les fixer. La surveillance du marché comprenait celle des apothicaires et médecins ainsi que celle des maîtres d’écoles coraniques qui, apparemment, avaient tendance à punir trop brutalement les enfants. On ajoutera que, le muhtasib devant encore veiller au respect des normes de sécurité dans la construction des maisons et dans l’installation des boutiques, s’occuper du nettoyage des rues et du bon état des remparts, assurer enfin l’approvisionnement et la distribution de l’eau dans la ville, ses activités de «surveillant du marché» ne correspondaient qu’à une petite partie de ses tâches. Il se faisait généralement aider par quelques agents subalternes, notamment un am 稜n ou ar 稜f pour chaque métier, c’est-à-dire «un homme de confiance appartenant à la profession» (Goitein) qui l’assistait dans l’exercice de ses fonctions pour le métier correspondant. Si la charge de muhtasib subsista dans la plupart des pays islamiques jusqu’à l’occidentalisation des XIXe et XXe siècles, son rôle réel varia selon les lieux et les époques.
Le problème des institutions propres au bazar ou s q touche évidemment à celui des corporations professionnelles en islam, sujet qui a suscité des polémiques passionnées parmi les spécialistes du XXe siècle. L’état actuel des recherches permet d’affirmer que le monde islamique médiéval ne connaissait pas de véritables corporations fondées sur l’exercice d’un métier. Des documents conservés dans une synagogue du Caire ont montré à l’évidence que les mondes de l’artisanat, du négoce et du capital, tous concentrés et entremêlés dans l’espace du bazar, fonctionnaient dans une ambiance de libéralisme peu compatible avec des structures corporatives institutionnalisées. Jusqu’au XIIe siècle au moins, l’organisation du travail était caractérisée par une spécialisation professionnelle qui paraît aujourd’hui étonnante et par une liberté d’action favorisant l’esprit d’initiative. Des associations professionnelles existaient, elles étaient même fréquentes, mais leurs statuts et leur durée étaient extrêmement variables. La corporation au sens occidental était inconnue de l’islam médiéval. Du reste, l’arabe n’a pas de terme vraiment équivalent à cette notion qui correspondait, dans l’Occident médiéval, à une organisation d’artisans et de marchands obéissant à des règles et statuts précis pour garantir la qualité de la production, surveiller le travail de ses membres et, parallèlement, les protéger contre la concurrence, veiller aussi de façon très précise à la formation des apprentis et à leur intégration progressive dans la corporation.
Pour la fin du Moyen Âge, et particulièrement (mais non exclusivement) dans le monde irano-turc, on connaît certes l’existence de certains types de corporations liées de façon intime à des confréries mystiques. Pareille fusion entre l’artisanat et la religion n’est pas sans évoquer certains traits des corporations européennes du Moyen Âge finissant, où la composante religieuse est incontestable. Mais il s’agissait en réalité d’un système très différent au sein duquel prédominait, au détriment du côté proprement artisanal, un aspect mystique et initiatique soutenu par des courants populaires de sufisme et de futuwwa .
D’une manière générale, beaucoup de questions concernant l’organisation de la production et du commerce dans le monde islamique restent actuellement dans l’ombre: la documentation exploitée jusqu’à ce jour est fragmentaire et variable selon les lieux et les époques, et l’islamologie n’a pas toujours résisté à la tentation des extrapolations et des déductions abusives. Aussi bien, une réelle approche morphologique du centre artisanal est-elle indispensable pour comprendre le phénomène bazar; elle révélera, à travers les variantes locales, une profonde unité des structures de base.
Aspects topographiques
Avant de décrire les traits généraux du bazar en tant que réalité architecturale et urbaine, une rapide revue des termes principaux et des notions qu’ils recouvrent s’impose.
Les éléments du bazar
Le bazar principal est situé dans le centre ancien des grandes villes; il groupe, dans un ensemble compact, commerce de détail, commerce de gros, commerce d’importation et exportation, systèmes de financement, artisanat et petite industrie.
Le bazar de quartier est un ensemble commerçant restreint, approvisionné en fonction des besoins quotidiens des habitants du quartier; il existe dans les grandes villes, qui possèdent aussi un bazar principal, et le bazar de banlieue n’en est qu’un cas particulier.
L’échoppe est un élément caractéristique du bazar; elle sert de magasin au petit commerçant ou d’atelier à l’artisan: les échoppes sans portes ni vitrines, souvent pourvues d’un demi-étage supérieur, fermées par des volets verticaux, se trouvent alignées les unes à côté des autres sans être jamais reliées à des habitations.
La qaysariya , située au centre du bazar principal, abrite le commerce de détail en tissus de qualité ou en objets précieux: si ses fonctions sont précises, son type architectural n’est guère défini, bien qu’il s’agisse toujours d’un marché couvert et fermé.
Le bedesten , propre au monde ottoman, correspond à la qaysariya des provinces arabophones, mais son interprétation architecturale (salle couverte au moyen d’une ou plusieurs coupoles et située au centre du bazar) est aussi nettement définie que son objet (dépôt de marchandises précieuses, notamment de tissus).
Le kh n , ou funduq , est un ensemble architectural organisé autour d’une cour centrale généralement pourvue de portiques et accessible par une seule entrée; située à l’intérieur ou à la périphérie du bazar principal, il a toujours eu des fonctions multiples et peu précises, pouvant servir de demeure et de comptoir pour les commerçants, de bureau ou de dépôt de marchandises pour le commerce de gros et le commerce avec l’étranger, de lieu de travail pour l’artisanat et la petite industrie, d’écurie et même d’auberge offrant des appartements en location.
Le caravansérail est architecturalement très proche du kh n, situé cependant en dehors de la ville et servant temporairement d’abri aux voyageurs avec leurs marchandises et leurs bêtes; il fait donc partie du bazar sur le plan fonctionnel, mais non sur le plan topographique.
Des recherches successives, fondées sur des documents anciens, ont permis de dresser des listes des métiers et des commerces représentés au bazar. Il va sans dire que l’éventail des produits proposés par exemple dans le bazar de Bagdad au XIIe siècle différait notablement de celui que nous offre le bazar de la ville actuelle. Si l’on s’en tient aux données contemporaines, les marchés du monde islamique comportent de manière à peu près systématique les métiers suivants: forgerons, dinandiers, orfèvres, artisans travaillant l’argent, graveurs, fabricants de feutre, souffleurs de verre, artisans du cuir (fabricants de sacoches, de pantoufles, de sandales, etc.), chapeliers, fabricants de peignes, menuisiers. En règle générale, on n’y trouve ni tanneurs, ni teinturiers, ni tisserands, ni cordiers, ni potiers, ces métiers s’installant au contraire dans les quartiers périphériques.
Les marchandises qui y sont généralement offertes sont des tissus et des vêtements, des tapis, des couvertures, des épices et des aromates, des objets en cuir et en bois, de la quincaillerie, de la poterie, des bijoux, des produits occidentaux à bon marché, des vêtements de seconde main, etc.
Les divers types de bazar
Le géographe allemand E. Wirth, dans une publication datant de 1975, distingue plusieurs types de bazar en se fondant sur des critères topographiques:
– le bazar linéaire attesté à Téhéran où il date de 1850, à Damas pour le bazar du Midan, ou encore dans certaines parties des bazars de Qum, Shiraz, Kashan, Kermanshah ou Isfahan (Iran);
– le bazar s’étalant en surface comme à Tabriz (Iran), San’a (Yémen) ou dans les parties centrales des bazars d’Alep (fig. 1) et d’Isfahan (fig. 2);
– le bazar centré consacré au commerce de détail et entouré de kh ns comme l’ancien bazar d’Istanbul (fig. 3), comme au Maghreb les bazars de Fès (fig. 4), Salé, Marrakech, Tunis ou Tashqurghan (en Afghanistan, fig. 5);
– enfin, le bazar en forme de croix comme le bazar Vakil à Shiraz (fig. 6), le bazar du même nom à Kerman (Iran), les bazars de Herat (Afghanistan), Kandahar (Afghanistan), Sfax (Tunisie). Seul ce dernier type résulterait d’un programme architectural préétabli.
Les caractéristiques du bazar
Sur le plan architectural le bazar juxtapose aujourd’hui, dans une mosaïque dense, des ruelles bordées d’échoppes pour le commerce de détail et l’artisanat, des kh ns pour le commerce de gros, le commerce extérieur et la petite industrie, des halles pour le commerce de gros, le dépôt et la vente des marchandises de valeur, et enfin des places à ciel ouvert dévolues à des fonctions variées. Partout ruelles et kh ns se retrouvent pour constituer le bazar principal, alors que salles couvertes et places n’existent que dans certaines régions. Souvent les ruelles sont couvertes et les carrefours peuvent alors être mis en valeur par des coupoles; mais ces traits, aussi répandus qu’ils soient, ne sauraient être tenus pour caractéristiques du bazar en général. Le bedesten, édifice central du çars face="EU Caron" ダ ottoman, a donné lieu à des réalisations architecturales prestigieuses, dont celles de Brousse, d’Edirne, d’Ankara, toutes du XVe siècle, et le Sandal-Bedesten d’Istanbul, du XVIe siècle.
Les kh ns, eux, se trouvent la plupart du temps un peu à l’écart, à proximité toutefois des ruelles les plus commerçantes. Différant généralement de dimensions comme de décor, ils n’en correspondent pas moins, sur le plan des structures architecturales, à un type précis d’édifice.
Il semble que les structures du bazar principal sous sa forme actuelle aient été codifiées depuis au moins le XIXe siècle; il n’est que très exceptionnellement possible d’affirmer la présence de ces mêmes structures dans un passé plus lointain, comme à Ispahan en 1710, à Qutayfa (Syrie) en 1591 ou encore à Payas (Turquie) en 1574. Les bazars, en effet, ne datent presque jamais d’une seule époque, leurs agrandissements et leurs reconstructions obéissant d’ailleurs à un principe additif simple.
D’un autre côté et au contraire de ce que l’on observe au centre des villes médiévales en Occident, les maisons qui longent les ruelles commerçantes des cités médiévales islamiques n’ont pas d’individualité architecturale; les façades sont presque identiques pour une même rangée de maisons, et même par rapport à la rangée opposée. Cette uniformité paraît normale pour les ruelles couvertes, mais on la constate aussi dans les ruelles à ciel ouvert.
Du fait que l’on n’y habite point, le bazar a pu être comparé par certains auteurs au Central Business District de la City moderne et doit être nettement distingué de tout quartier commerçant ayant existé dans la ville médiévale européenne. La concentration des marchandises par catégories à l’intérieur du bazar est un trait qui frappe tous les voyageurs; il faut signaler, de plus, que le marché de détail d’un produit n’est jamais éloigné du kh n où se tient le marché de gros du même produit et que l’artisan, dans le bazar, se trouve en général à proximité du vendeur de ses produits comme du livreur des matières premières dont il a besoin. Il s’agit donc d’autre chose que d’une simple concentration de marchandises de même nature.
Un autre principe de sélection topographique, parallèle au premier, tient aux moyens d’achat de la clientèle. Les ruelles les plus fréquentées sont occupées par le commerce de détail – les produits les plus «nobles» se trouvant plutôt au centre, généralement près de la grande mosquée – tandis que les ruelles plus calmes sont surtout réservées à l’artisanat du bazar; le commerce de gros, lui, se trouve à l’intérieur des kh ns et les métiers «à nuisance» ou nécessitant des conditions de travail particulières sont fixés à la périphérie de la ville, non pour les éloigner de la grande mosquée, mais pour des raisons pratiques, par exemple à cause de leur besoin en eau courante ou des inconvénients qu’ils suscitent en fait de bruit ou d’odeur.
Mais sur le plan fonctionnel plusieurs catégories de bazar peuvent être également distinguées du bazar principal , cœur traditionnel des grandes villes. Ce sont le bazar de quartier , le bazar de banlieue , le bazar suburbain pourvoyant notamment aux besoins des nomades et le bazar de pèlerinage comme à Meshhed, Qum ou Samarra.
Nous avons déjà dit qu’un certain nombre de traits caractérisant le bazar, tant du point de vue architectural que du point de vue fonctionnel, sont attestés également pour le monde antique. Mais malgré ces survivances, le bazar est une création qui appartient au Moyen Âge islamique. Un dynamisme spécifique lui est propre, dû à l’organisation individualiste de l’économie, différente du système étatique du Bas-Empire. Aussi bien le régime économique dirigiste exercé par les Mamelouks et les Ottomans a-t-il à son tour imprimé sa marque sur la configuration des bazars du Caire et d’Istanbul.
À son tour l’occidentalisation massive des XIXe et XXe siècles a non seulement bouleversé les systèmes économiques traditionnels des pays islamiques, mais a eu évidemment des répercussions graves sur la physionomie des villes et tout particulièrement sur leur cœur commerçant et artisanal traditionnel. Le Central Business District vient alors remplacer le bazar qui, dévalorisé sur le plan fonctionnel, subit des dégradations morphologiques irréversibles.
Une étude méthodique du bazar en pays d’islam devrait tenir compte de l’histoire sociale et économique, de l’histoire des institutions, de l’architecture, de l’urbanisme, sans oublier la géographie humaine et la sociologie. Un certain nombre de facteurs impliqués dans pareille étude ont été mis en valeur par des recherches menées surtout depuis le milieu du XXe siècle, notamment dans le domaine des institutions; d’autres travaux, précieux, ont été consacrés à l’analyse monographique de certains bazars pris isolément; mais l’ensemble du problème n’a guère été envisagé jusqu’ici et le travail de synthèse proposé en 1975 par E. Wirth est venu fort heureusement combler une lacune sans pour autant épuiser le sujet, notamment sous son angle historique et architectural.
bazar [ bazar ] n. m.
• 1546; bathzar 1432; persan bâzâr « souk »
1 ♦ Marché public en Orient. ⇒ souk.
2 ♦ Par ext. (1816) Lieu, magasin, boutique où l'on vend toutes sortes d'objets, d'ustensiles. ⇒ droguerie. — Fig. et vieilli De bazar : de mauvaise qualité. « Galanterie de bazar » (Maupassant).
3 ♦ (1866) Fig. et fam. Lieu en désordre, où tout est pêle-mêle. Quel bazar ! ⇒fam. chantier, foutoir. — Par ext. Objets en désordre. Range ton bazar. — (1842 « mobilier ») ⇒ attirail, barda, région. chenil. Emporter tout son bazar.
● bazar nom masculin (persan bāzār) En Orient, marché public en plein air ou sous de vastes galeries couvertes ; souk. Droguerie ou magasin de détail où l'on vend toutes sortes d'articles. Familier. Lieu ou ensemble d'objets en désordre : Quel bazar ! Familier. Ensemble d'objets quelconques. Argot. À Saint-Cyr, élève officier de première année. ● bazar (difficultés) nom masculin (persan bāzār) Orthographe Il n'y a pas de d à la fin de bazar, malgré l'existence du verbe familier bazarder, probablement formé par analogie avec des paires régulières telles que hasard / hasarder. ● bazar (expressions) nom masculin (persan bāzār) Familier. Article de bazar, objet quelconque de peu de valeur, de pacotille. Familier. Et tout le bazar, et tout le reste. ● bazar (synonymes) nom masculin (persan bāzār) En Orient, marché public en plein air ou sous de...
Synonymes :
- souk
Familier. Lieu ou ensemble d'objets en désordre
Synonymes :
- bric-à-brac
Familier. Ensemble d'objets quelconques.
Synonymes :
- attirail
- barda (familier)
- bataclan (familier)
- fourbi (familier)
bazar
n. m.
d1./d Marché public, en Orient.
|| (Madag., Maurice, Réunion) Spécial. Marché de fruits et légumes, de poisson, etc.; denrées vendues au marché.
— Loc. Faire (le) son bazar: faire son marché.
d2./d (Maghreb) Au Maroc, ensemble de boutiques où l'on vend des produits artisanaux.
d3./d Magasin où l'on vend toutes sortes d'objets.
d4./d Fig., Fam. Lieu où tout est en désordre.
|| Objets en désordre.
⇒BAZAR, subst. masc.
I.— Lieu où l'on vend toutes sortes de marchandises généralement à bon marché.
A.— [En Orient et en Afrique du Nord] Marché public où l'on vend ou échange à bas prix, en plein air ou sous de vastes galeries couvertes, des articles et denrées de toutes provenances. P. ext., chacune des boutiques qui le composent :
• 1. Parcouru les bazars de Damas. Le grand bazar a environ une demi-lieue de long. Les bazars sont de longues rues, couvertes par des charpentes très-élevées, et bordées de boutiques, d'échoppes, de magasins, de cafés; ces boutiques sont étroites et peu profondes; le négociant est assis sur ses talons devant sa boutique, la pipe à la bouche, ou le narguilé à côté de lui. Les magasins sont remplis de marchandises de toutes sortes, et surtout d'étoffes des Indes, qui affluent à Damas par les caravanes de Bagdhad.
LAMARTINE, Voyage en Orient, t. 2, 1835, p. 223.
Rem. On emploie plus volontiers le terme de bazar pour désigner les marchés orientaux, celui de souk étant réservé au marché arabe.
— Autrefois, marché aux esclaves :
• 2. Esclave! C'était cela la tare dans ce passé de femme d'Orient, jadis achetée au bazar d'Andrinople pour le compte de l'empereur du Maroc, puis, à la mort de l'empereur et à la dispersion de son harem, vendue au jeune bey Ahmed.
A. DAUDET, Le Nabab, 1877, p. 125.
Rem. Attesté dans Ac. 1798.
♦ Caïque-bazar. [À Istamboul] Sorte de bateau omnibus assurant le transport des voyageurs les jours de marché. Les grands caïques-bazars (FARRÈRE, L'Homme qui assassina, 1907, p. 112).
Rem. Attesté dans JAL 1848 sous la forme bazar-qaïgby.
B.— P. anal. [En Europe]
1. Vieilli
a) Marché de plein air :
• 3. Aux deux bords, les cabarets crevaient de monde, rallongeaient leurs tables jusqu'au pavé, où stationnait un double rang de camelots, des bazars en plein vent, des fichus et des miroirs pour les filles, des couteaux et des casquettes pour les garçons; sans compter les douceurs, des dragées et des biscuits.
ZOLA, Germinal, 1885, p. 1265.
b) Galerie marchande rassemblant de nombreux vendeurs d'articles divers offerts généralement à bon marché; p. ext. magasin de grande surface. Le Bazar de l'Hôtel de Ville (à Paris) :
• 4. Lorsque je suis venu à Paris, dit M. Berthier... il y avait plus de boutiques que de magasins, et aujourd'hui les magasins sont dépassés par de beaux établissements, qui pourraient porter le nom de cités ou de bazars.
P. AVENEL, Les Calicots, 1866, p. 25.
— P. métaph. et gén. péj. Grand rassemblement plus ou moins hétéroclite d'idées, de sentiments :
• 5. ... alors je te le dis : tu repartiras au petit jour vers tes sables et vers tes ronces, non plus le même, mais cantique d'action de grâces. Car ne pèse point l'individu avec sa pauvre écorce et son bazar d'idées, mais avant tout compte l'âme plus ou moins vaste avec ses climats, ses montagnes, ses déserts de silence, ses fontes des neiges, ses versants de fleurs, ses eaux dormantes, toute une caution invisible et monumentale.
SAINT-EXUPÉRY, Citadelle, 1944, p. 720.
2. Mod. Magasin de surface moyenne, à clientèle populaire, réunissant toutes sortes d'objets à des prix modiques :
• 6. Sur la place les colporteurs et les bazars ont monté des baraques de toile entre les tilleuls. Et c'est répandu à seaux sous les tentes : des chapeaux, des pantoufles, des souliers, des vestes, des gros pantalons de velours, des poupées pour les enfants, des colliers de corail pour les filles, des casseroles et des « faitouts » pour les ménagères et des jouets et des pompons pour les tout-petits, et des sucettes pour les goulus du têté dont la maman ne peut pas se débarrasser.
GIONO, Regain, 1930, p. 186.
— P. ext., rare. Petit pavillon d'habitation :
• 7. TOURTEROT. — (propriétaire) à son domestique, lui montrant un écriteau :
Qu'est-ce que tu dis de ça, toi : À brocanter, joli petit bazar entre cour et jardin ... ah! ... Il ne comprend pas! ... Quel serin que ce médard! ... toi, tu mettrais tout bêtement : À vendre, jolie petite maison...
E. LABICHE, Deux papas très bien, 1845, I, 1, p. 380.
C.— Péjoratif
1. Magasin où l'on vend des objets de peu de valeur.
♦ Article de bazar. Objet de peu de valeur. Camelote de bazar (LÉAUTAUD, Journal littér., 4, 1922-24, p. 58).
— P. ext. et au fig. [En parlant d'une pers., de son comportement] Galanterie de bazar (MAUPASSANT, Contes et nouvelles, t. 1, La Femme de Paul, 1881, p. 1218); vamp de bazar (GENEVOIX, Match à Vancouver, Laframboise et Bellehumeur, 1942, p. 226).
2. P. méton. (ou p. ell. du précédent), fam.
a) Ensemble d'objets de peu de valeur ou mal définis :
• 8. Derrière les vitres sales, sur une dizaine de rayons, on peut voir, poussiéreux, décoloré, tout un bazar pour enfants : poupées, polichinelles, soldats de plomb dans leur boîte, petits ménages de porcelaine, sifflets, trompettes de fer-blanc, moules à pâtés, outils de jardinage sur une plaque de carton, etc., etc. ...
T'SERSTEVENS, L'Itinéraire espagnol, 1933, p. 44.
— P. ext., très fam. [S'appliquant à des choses concr. ou abstr.] Tout le bazar :
• 9. J'aurais vendu maison, champs, tout le bazar, pour les acquérir.
HUYSMANS, L'Oblat, t. 2, 1903, p. 99.
• 10. Suivez-moi bien, tous autant que vous êtes. Je dis que vous pouvez changer le monde, le régime, les lois, tout le bazar, il y aura toujours quelqu'un pour boire le Romanée-Conti, toujours quelqu'un pour manger la langouste, toujours quelqu'un pour s'envoyer de belles tartines de caviar.
G. DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Vue de la Terre promise, 1934, p. 130.
b) Maison, pièce, effets en désordre. Quel bazar :
• 11. La première fois que j'ai dîné chez eux, il y a deux ans! j'ai goûté, dans le bazar fantastique qui leur servait alors de home, un joli bourgogne, ma foi.
COLETTE, Claudine en ménage, 1902, p. 113.
II.— Argot
A.— Arg. des écoles et des bureaux. Lycée, lieu de travail :
Rem. Attesté dans les principaux dict. gén. du XXe siècle.
♦ Sécher le bazar. ,,Ne pas se rendre à son travail`` (CH.-L. CARABELLI [Lang. fam.]) :
• 12. Chavarax pouffa de rire.
— Est-ce que vous êtes fou? Depuis quand donc s'il vous plaît, révoque-t-on des fonctionnaires de l'État parce qu'ils ont séché le bazar?
COURTELINE, Messieurs-les-Ronds-de-cuir, 1893, 2e tabl., 2, p. 73.
B.— Maison de prostitution. Maîtresse de bazar (A. LUCAS, Des Dangers de la prostitution, 1841); bazar de putains (G. FLAUBERT, Correspondance, 1868, p. 149) :
• 13. Histoires de bordels également. Par exemple, Tessandier, tirée par lui [Coppée] d'un « bazar », selon le terme dont se sert Mme Lallemand, et lancée par lui au théâtre.
LÉAUTAUD, Journal littér., 2, 1907-09, p. 211.
PRONONC. :[]. BARBEAU-RODHE 1930 indique [], PASSY 1914 indique les 2 var. Le caractère post. du a de 1re syll. est confirmé par GRAMMONT Prononc. 1958, p. 32. Voir également MART. Comment prononce 1913, qui admet cependant des flottements. Pour FOUCHÉ Prononc. 1959, p. 85 : ,,l'[] a pour ainsi dire disparu dans [...] bazar [...]``.
ÉTYMOL. ET HIST. — 1. 1432 bathzar « marché public oriental » (Voyage d'Oultremer de Bertrandon de la Broquière, Recueil de Voyages et de Documents pour servir à l'Hist. de la Géogr., Paris, 1892, t. 12, p. 60 d'apr. KÖNIG dans Fr. mod., t. 9, p. 130 : une place qu'on appelle Bathzar là où on vend robes, tocques et aultres besoignes [à Damas]); 1546 bazar (A. GEUFFROY, Description de la Court du Grand Turc, fol. c v°, d'apr. KÖNIG, loc. cit.); 1823 bazar « grand magasin où l'on vend des marchandises variées, gén. à bas prix » (HARMAND, Manuel de l'Etranger, p. 27 d'apr. A.-J. GREIMAS dans Fr. mod., t. 20, p. 299 : Bazar, boulevard des Italiens, 21. — A l'imitation des Bazars de Londres, dans lesquels un grand nombre de magasins de divers genres se trouvent réunis dans un vaste local couvert, on a établi celui-ci, où, dans une cinquantaine de petites boutiques, toutes espèces de marchandises sont offertes aux acheteurs. — Deux simples magasins, r. Cadet, 19 et au Palais-Royal, 223 se sont également donné le nom de Bazars).
Empr. au persan bazar « marché public » (REW3, n° 1010; LOK., n° 278; EWFS2; FEW t. 19 s.v.); l'intermédiaire port. (DAUZAT 1968; BL.-W.5; DEI s.v.) est à exclure en raison de la localisation des 1res attest. fr. et du fait que le port. bazar n'est attesté que dep. 1544 (d'apr. DALG. t. 1, et MACH. t. 1 s.v.).
STAT. — Fréq. abs. littér. :512. Fréq. rel. littér. : XIXe s. : a) 373, b) 1 174; XXe s. : a) 918, b) 676.
BBG. — KÖNIG (K.). Premières traces en fr. de qq. mots orientaux. Fr. mod. 1941, t. 9, p. 130. — LAMMENS 1890, pp. 46-47. — SAIN. Lang. par. 1920, p. 150, 444.
bazar [bazaʀ] n. m.
ÉTYM. 1546; bathzar, 1432; persan bāzār « marché », le port. bazar est attesté en 1544.
❖
1 Marché public, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. ⇒ Souk. || Les bazars de Syrie, du Maroc.
1 Ce bazar est un mauvais marché pareil à ces halles que l'on voit dans nos petites villes de province.
Chateaubriand, Itinéraire…, VIII, 85.
2 Oh ! les étalages étranges dans ces rues et les fantaisies surprenantes dans ces bazars !
Loti, Mme Chrysanthème, I, 12, p. 85.
♦ Fig. ⇒ Marché.
2.1 Je voyais en esprit le marché, la bourse, le bazar occidental des échanges de phantasmes.
Valéry, Monsieur Teste, p. 86.
2 (1816; p.-ê. d'après l'angl.). Cour. Magasin, boutique, où l'on vend toutes sortes d'objets (quincaillerie, mercerie…). || Le commerce de la bimbeloterie se concentre dans les bazars. || Bazar en plein air sur un marché. || Petit bazar de village.
2.2 Autrefois on trouvait des boutiques qui tenaient de la nouveauté; ensuite sont venus les magasins; mais aujourd'hui, à Paris, ces magasins sont devenus des bazars immenses; quand vous entrez là-dedans, c'est presqu'une ville que vous avez à parcourir.
Ch. Paul de Kock, la Grande Ville, t. I, p. 241.
3 (…) c'est (…) un ancien commis mercier qui s'est découvert le génie du bazar, et qui est mort multimillionnaire, après avoir doté toutes nos villes de province d'un Bazar du XXe siècle.
Martin du Gard, les Thibault, t. II, VI, p. 217.
3.1 Pour sectionner le fil téléphonique qui très imprudemment passait près de la porte il fallait une pince. Nous entrâmes dans un des nombreux bazars de Barcelone où l'on tient rayons de quincaillerie.
Jean Genet, Journal du voleur, p. 58.
♦ (Dans des noms de magasins). || Le Bazar de l'Hôtel de Ville, à Paris.
➪ tableau Principaux noms désignant des magasins.
♦ Fig. || … de bazar : de mauvaise qualité, de peu de valeur. || Marchandises de bazar. — || « Galanterie de bazar » (Maupassant).
3 (1866). Fig., fam. Lieu, maison où tout est pêle-mêle, en désordre. || Quel bazar, cette maison, cette chambre !
♦ Fam., vx. Lieu de travail (lycée, bureau). ⇒ Bahut, boîte, boutique. || Aller au bazar. — Par abrév. || Baz [baz] : lycée. || Le baz Grand : le lycée Louis-le-Grand, à Paris.
4 Depuis quand donc, s'il vous plaît, révoque-t-on des fonctionnaires de l'État parce qu'ils ont séché le bazar ?
Courteline, Messieurs les ronds-de-cuir, II, 2.
♦ (1841). Vx. Maison de tolérance. || Un « bazar de putains » (Flaubert, Correspondance, in T. L. F.).
4 Fam. a Ensemble d'objets en désordre. || Range donc ton bazar ! ⇒ Bordel, foutoir, merdier, souk. — Désordre. || Ils ont mis un de ces bazars dans la maison ! — Bruit, tapage. || Les locataires se sont plaints de ce qu'ils faisaient du bazar toutes les nuits.
b (1842, « mobilier »). Ensemble d'affaires plus ou moins hétéroclites. ⇒ Attirail, bagage, barda, bastringue. || Elles ont pris le train avec tout le bazar : des couvertures, des victuailles, et leurs chats. || Les musiciens sont repartis en emportant leur bazar dans une camionnette.
♦ ☑ Et tout le bazar : et tout le reste. ⇒ Tout (tout le tremblement…).
5 Je dis que vous pouvez changer le monde, le régime, les lois, tout le bazar, il y aura toujours quelqu'un pour boire le Romanée-Conti (…)
G. Duhamel, Chronique des Pasquier, III, IX.
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DÉR. Bazarder.
HOM. Bazard.
Encyclopédie Universelle. 2012.