BACTÉRIES
Bien que l’existence des micro-organismes ait été révélée par les premiers microscopes, voilà près de trois cents ans, il fallut pourtant attendre les travaux de Pasteur et de ses contemporains pour découvrir l’importance des bactéries dans la vie de l’homme. Ce fut alors l’extraordinaire épanouissement de la bactériologie médicale: le rôle pathogène des microbes se précise peu à peu; un diagnostic bactériologique des maladies infectieuses devient possible; une thérapeutique efficace découle de la découverte des vaccins et des sérums, puis des sulfamides et des antibiotiques.
Ainsi, pendant des années, la bactériologie resta une science essentiellement utilitaire: lutte contre les maladies de l’homme, des animaux ou des plantes, utilisations agricoles ou industrielles des micro-organismes. Mais depuis le milieu du XXe siècle, l’étude des bactéries elles-mêmes a considérablement progressé, tant sur le plan structural que sur le plan physiologique, et leur place prééminente dans la vie de notre planète est maintenant bien connue. Les bactéries sont probablement les premiers organismes apparus sur la Terre, et les seuls qui soient restés identiques à eux-mêmes depuis plusieurs milliards d’années. Largement répandues dans le sol et les eaux, elles jouent un rôle fondamental dans le cycle de la matière: passage de l’état minéral à l’état organique, et vice versa. En perpétuelle compétition avec les autres êtres vivants, elles interviennent dans l’équilibre biologique des espèces. Finalement, les bactéries sont devenues un précieux matériel de recherche biologique. Utilisées en biochimie dans l’étude des vitamines, en enzymologie, et dans l’analyse du métabolisme intermédiaire, elles constituent aussi l’outil préféré des généticiens: l’étude des systèmes génétiques les plus simples, ceux des bactéries et des virus, a permis d’analyser les bases chimiques de l’hérédité.
1. Définition
Les bactéries constituent la forme la plus ancienne, actuellement définissable, de cellule vivante. Des études portant sur des empreintes fossiles et l’analyse génétique des bactéries actuelles permettent d’estimer que les bactéries existaient déjà en tant que telles il y a plus de trois milliards d’années. Les bactéries font partie des cellules procaryotes avec les cyanobactéries; elles se distinguent des cellules eucaryotes, végétales et animales, non seulement par leur petite taille (de l’ordre du micromètre contre environ dix micromètres pour la moyenne des cellules eucaryotes), mais aussi par leur structure particulière (essentiellement l’absence de membrane séparant le chromosome bactérien du cytoplasme) et leur mode de division. Cette distinction entre cellule procaryote et cellule eucaryote serait apparue au cours de l’évolution, à partir d’une cellule ancestrale commune, qui, dans le cas des bactéries, aurait gardé sa petite taille et aurait acquis une paroi, alors que dans le cas des cellules eucaryotes elle aurait augmenté de taille en même temps que des formations particulières se différenciaient à l’intérieur de la cellule (noyau séparé du cytoplasme par la membrane nucléaire, formation des organelles intracytoplasmiques telles que mitochondries, appareil de Golgi, réticulum endoplasmique, etc.). Certaines hypothèses évoquent la possibilité que les mitochondries soient originellement des bactéries ingérées par des cellules eucaryotes (théorie endo-symbiotique) et qui en seraient devenues un élément intégré. Les bactéries se distinguent des virus, qui sont généralement de taille encore plus petite, essentiellement par l’existence en elles à la fois d’acide ribonucléique et d’acide désoxyribonucléique, alors que les virus n’ont qu’un seul type d’acide nucléique, et par le fait que les virus sont incapables de réplication autonome. Contrairement aux virus qui sont des parasites intracellulaires obligatoires des cellules eucaryotes ou procaryotes (virus des bactéries ou bactériophages), les bactéries peuvent généralement se répliquer dans des milieux inertes indépendamment de la présence de cellules vivantes. La diversité du monde bactérien est essentiellement due à l’extrême variété des fonctions bactériennes plutôt qu’à d’importantes différences structurelles ou morphologiques. Les bactéries jouent un rôle dominant dans les mécanismes biologiques essentiels de transformation de la matière en énergie. Les connaissances acquises en microbiologie permettent même d’exploiter à l’échelle industrielle les fonctions métaboliques de bactéries spécialisées, pour amplifier des mécanismes naturels tels que la fixation de l’azote, la réduction du gaz carbonique en méthane, la production de certaines vitamines, etc. Les bactéries responsables d’infections des organismes supérieurs ou d’altération des aliments, qui ont été à la base de la naissance de la bactériologie, ne représentent en fait qu’un des aspects de la fonction des bactéries.
2. Structure anatomique des bactéries
Les bactéries apparaissent comme des corpuscules sphériques (coques ou cocci) ou cylindriques à pôles hémisphériques, à axe droit (bacilles), ou incurvé (vibrions), ou hélicoïdal (spirochètes et tréponèmes), dont la plus grande dimension n’excède généralement pas deux micromètres en moyenne (fig. 1). Leur forme est stabilisée par une couche rigide (paroi) entourant le corps bactérien, sauf chez les Mycoplasmes et les formes L. La forme des bactéries étant génétiquement définie, elle est spécifique de chaque genre bactérien. C’est pourquoi ces critères de taille et de forme ont permis, dès les premiers examens au microscope, depuis les premières observations d’Anthony Van Leeuwenhoek en 1675, d’identifier puis de classer les bactéries.
La cellule bactérienne comporte, comme toute cellule vivante, un génome, un cytoplasme et des enveloppes. Ces différentes structures, dont l’existence était suspectée à l’examen en microscopie optique, n’ont pu être identifiées que depuis le développement des méthodes de cytologie en microscopie électronique (colorations positives ou en contraste négatif et techniques d’ombrage, permettant de mettre en évidence la forme et la structure externe de la cellule; coupes cytologiques et procédés de cryodécapage, permettant d’analyser les différentes structures superficielles ainsi que les éléments intracellulaires; techniques de microscopie à balayage permettant une visualisation tridimensionnelle de la cellule bactérienne et des structures annexées). La paroi , qui enveloppe la cellule bactérienne, lui donne sa forme caractéristique et sa rigidité en la protégeant contre les variations de pression osmotique. On la distingue facilement en microscopie électronique, sur coupe ou par cryodécapage qui permet littéralement de peler la bactérie par endroits. Quelle que soit l’espèce bactérienne, exception faite des Mycoplasmes, des formes L des bactéries, des bactéries halophiles, des bactéries méthanogènes et des bactéries thermoacidophiles (que l’on tend actuellement à classer séparément des bactéries vraies, sous le terme d’archéobactéries), le composant principal de la paroi bactérienne est le peptidoglycane, ou muréine. Le peptidoglycane forme un réseau de macromolécules englobant le cytoplasme de la bactérie. Il est composé de N-acétylglucosamine et d’acide N-acétylmuramique associés à des acides aminés en quantité variable (de quatre à huit), mais dont trois sont constants: la L-alanine, la D-alanine et l’acide D-glutamique. Cette structure de base de la paroi des bactéries est plus ou moins importante et est complétée par des constituants variables pour chaque espèce bactérienne. C’est pourquoi la distinction que permet la coloration de Gram, fixation du violet de gentiane ou du violet cristal résistant à la décoloration par l’éthanol-acétone, pour les bactéries Gram positives, ou, au contraire, la décoloration possible par l’éthanol-acétone de la paroi préalablement teintée par le violet, pour les bactéries Gram négatives, correspond en fait à des différences de structure entre ces bactéries.
La paroi des bactéries Gram positives est relativement épaisse et dense, pouvant atteindre cent nanomètres et pouvant représenter jusqu’à 30 p. 100 du poids sec de la cellule. Elle est composée, outre le peptidoglycane, d’acide téichoïque, les deux constituants étant intimement liés. L’action du lysozyme, substance communément présente dans les liquides biologiques tels que les sécrétions (larmes, salives, etc.) ou dans le cytoplasme des cellules phagocytaires, qui hydrolyse le peptidoglycane, transforme les bactéries Gram positives en protoplastes (fig. 2). Les protoplastes sont des bactéries seulement enveloppées de la membrane cytoplasmique, donc à morphologie globuleuse instable, devenues extrêmement sensibles aux variations de pression osmotique du fait de l’absence de contention par la paroi. L’action de la pénicilline sur les bactéries Gram positives aboutit également à la formation de protoplastes, non plus par hydrolyse de la paroi déjà formée, mais par inhibition de la synthèse du peptidoglycane pendant la croissance bactérienne. La paroi des bactéries Gram négatives est plus mince et moins dense que celle des bactéries Gram positives; la couche de peptidoglycane n’excède pas vingt nanomètres et la paroi ne représente guère plus de 10 à 15 p. 100 du poids sec de la cellule bactérienne. La distinction de structure de la paroi entre bactéries Gram positives et bactéries Gram négatives vient surtout du fait de l’existence chez ces dernières, autour de la couche de peptidoglycane, d’une membrane externe dont la structure est analogue à celle de la membrane cytoplasmique. Cette membrane externe lipopolysaccharidique et lipoprotéique porte les déterminants antigéniques spécifiques des bactéries Gram négatives (antigène somatique O) qui constitue également la substance appelée endotoxine (à cause des lésions spécifiques qu’elle peut produire chez l’hôte infecté au moment de la lyse des bactéries). Les relations anatomiques entre membrane externe, couche de peptidoglycane, et membrane cytoplasmique sous-jacente sont variables selon les espèces de bactéries Gram négatives, ces feuillets étant plus ou moins intimement accolés les uns aux autres ou délimitant des espaces plus ou moins importants. L’action lytique du lysozyme ou l’inhibition de synthèse du peptidoglycane par la pénicilline aboutit, chez les bactéries Gram négatives, à la formation de sphéroplastes , équivalents des protoplastes des bactéries Gram positives. Eux aussi dépourvus de paroi, les sphéroplastes, contrairement aux protoplastes, conservent une forme sphérique grâce à la persistance de la membrane externe, seule la couche de peptidoglycane sous-jacente à cette membrane étant absente. Ces formes de cellules bactériennes devenues déficientes en paroi (protoplastes et sphéroplastes) peuvent synthétiser de nouveau le peptidoglycane, par culture en milieu approprié semi-solide, contenant les substrats nécessaires à la construction de la paroi. Les formes de bactéries spontanément déficientes en paroi sont appelées formes L; les Mycoplasmes sont d’authentiques bactéries, cultivables, et dotées de propriétés pathogènes pour les animaux et les végétaux.
Outre son rôle de squelette de la cellule bactérienne, empêchant sa déformation lors des variations importantes de pression osmotique, la paroi est un organe essentiel à travers lequel pénètrent les substrats contenus dans le milieu dans lequel se développe la bactérie et à travers lequel sont excrétés les différents produits élaborés par la bactérie. La paroi porte, en outre, les sites récepteurs pour certains bactériophages. À l’extérieur de la paroi des bactéries se trouve parfois une enveloppe superficielle de nature protéique et de structure cristalline dont la présence et l’importance sont variables en fonction de la nature du milieu de croissance. Plus généralement et parfois spécifiquement, certaines espèces bactériennes élaborent une volumineuse capsule de nature polysaccharidique. Les exemples les plus spectaculaires sont le pneumocoque (Streptococcus pneumoniae ), les Klebsiella , le bacille du charbon (Bacillus anthracis ), chez qui cette capsule est directement visible en microscopie photonique, en contraste de phase, ou par simple adjonction de carbone colloïdal à la préparation microscopique non fixée. Cette capsule et l’éventuelle structure d’enveloppe protéique de certaines espèces bactériennes jouent un rôle majeur dans la capacité qu’ont ces bactéries de résister à l’ingestion et à la digestion par les cellules phagocytaires, dans les processus infectieux.
Sur la paroi bactérienne existent parfois, en fonction de l’espèce et des conditions de culture, des pili ou fimbriae (fig. 5). Ce sont des fibres rigides, plus ou moins abondantes, réparties au pourtour de la cellule, facilement détachées par agitation, d’un diamètre d’environ cinq nanomètres. Elles sont responsables des propriétés d’adhérence des bactéries aux surfaces des tissus épithéliaux et à la membrane des cellules phagocytaires, jouant ainsi, comme les capsules et les enveloppes externes des bactéries, un rôle important dans les étapes précoces du processus d’infection des organismes supérieurs. Parmi les pili, on peut distinguer les pili sexuels, au nombre de un ou deux par cellule de bactérie mâle (les bactéries femelles en sont dépourvues). Ils permettraient le transfert de matériel génétique de bactérie mâle à bactérie femelle. L’infection des bactéries par certains bactériophages procéderait de l’injection de l’acide nucléique du bactériophage à travers le canal central du pilus sexuel qui serait le site récepteur spécifique pour ces bactériophages. Il faut distinguer des pili, ou fimbriae, les flagelles ou cils , organes locomoteurs des bactéries, insérés dans l’épaisseur même de la paroi. L’insertion des flagelles peut se faire sur les faces latérales de la cellule bactérienne (ciliature péritriche) ou à un pôle (ciliature polaire), ce qui détermine la cinétique des bactéries, observées au microscope, en milieu liquide: mouvements en pirouette pour les bactéries à ciliature péritriche, ou unidirectionnel pour les bactéries à ciliature polaire. Certaines bactéries, telles que Caulobacter , se déplacent sans flagelle, grâce à une sorte de tige, parfois incurvée, prolongeant le corps cellulaire. Les flagelles sont composés de sous-unités protéiques, de poids moléculaire quarante mille, la flagelline (fig. 3 et 4). La formation des flagelles se ferait par polymérisation de la flagelline. Le flagelle présente une ondulation sinusoïde, d’amplitude et de longueur d’onde régulières et fixes pour chaque type de bactérie mobile. La longueur des flagelles est variable, leur diamètre est d’environ vingt-cinq nanomètres. L’insertion des flagelles sur la paroi bactérienne se fait par l’intermédiaire d’une pièce en forme de crochet, munie d’une série variable de disques entourant la base de ce crochet et sertie dans la paroi bactérienne à la manière de boutons dans une boutonnière.
La membrane cytoplasmique est immédiatement adjacente à la couche de peptidoglycane dont elle se distingue, en microscopie électronique, par un espace clair périplasmique. La structure à double feuillet de cette membrane est semblable à celle des membranes cytoplasmiques ou nucléaires des cellules eucaryotes: c’est une «unit-membrane» lipido-protéique. La forme de cette membrane «unitaire» est complexe; il ne s’agit pas d’une simple enveloppe interne de la bactérie, mais d’une poche à la surface plus vaste que celle de la paroi, présentant de nombreuses invaginations dont les plus caractéristiques sont les mésosomes . Ces mésosomes, dont le rôle est encore mal connu, contiennent des structures tubulaires et n’ont pas d’équivalent parmi les différents organelles des cellules eucaryotes. Les méso somes sont particulièrement visibles dans les bactéries Gram positives, notamment en phase de croissance active. La membrane cytoplasmique est le site majeur d’activité métabolique de la cellule bactérienne. Elle assure la respiration des bactéries aérobies comme le font les mitochondries dans les cellules eucaryotes. Elle est le site d’activités enzymatiques (perméases) permettant le passage et l’absorption sélective des substrats nutritifs pour la bactérie, présents dans le milieu de croissance. Dans la membrane cytoplasmique, sont excrétées, en outre, les enzymes responsables de la synthèse des constituants de la paroi.
Le cytoplasme de la cellule bactérienne occupe tout l’espace intracellulaire et n’est pas séparé du chromosome bactérien, contrairement aux cellules eucaryotes dont le cytoplasme est séparé du noyau par la membrane nucléaire. Le cytoplasme des bactéries contient de nombreux ribosomes de type 7O S (semblables à ceux des mitochondries dans la cellule eucaryote), mais est dépourvu des organelles (appareil de Golgi, réticulum endoplasmique, mitochondries) et des vacuoles qui caractérisent le cytoplasme des cellules eucaryotes.
Le génome bactérien est figuré par un filament d’acide désoxyribonucléique (ADN) faisant office de chromosome unique. La boucle d’ADN bactérien est pelotonnée à l’intérieur du cytoplasme, permettant ainsi un transfert extrêmement rapide d’information génétique aux ribosomes avec qui elle entre en contact direct. Il n’y a pas de mitose dans les bactéries, mais une réplication par clivage de la molécule d’ADN au moment de la division cellulaire. Le chromosome bactérien est la structure génétique qui code pour les caractères d’espèce, au même titre que le noyau des cellules eucaryotes. Dans certains cas, des éléments génétiques, d’origine extrachromosomique, intégrables ou non au chromosome, complètent le génome bactérien et peuvent coder pour des structures et des fonctions non codées par les gènes chromosomiques. Ces ADN extrachromosomiques sont transférables d’une bactérie à l’autre. Il s’agit des plasmides et épisomes. Les plasmides au sens strict sont des ADN extrachromosomiques se répliquant dans le cytoplasme bactérien, indépendamment de la réplication du chromosome. Les épisomes sont des ADN intégrés au chromosome; il peut s’agir d’ADN plasmidique ou d’ADN de bactériophages intégré à l’état de prophage (lysogénie).
3. La réplication et la division de la cellule bactérienne
La reproduction des bactéries se fait par simple division binaire d’une cellule en phase de croissance active avec partage équivalent du matériel génétique pour donner naissance à deux cellules filles identiques entre elles et identiques à la cellule mère dont elles acquièrent toutes les structures et propriétés (fig. 6). Ce mécanisme général associe donc la réplication du chromosome bactérien et l’élongation puis le clivage du corps cellulaire. Ces deux processus ne sont cependant pas obligatoirement liés et, dans certains cas, le clivage du chromosome peut s’effectuer indépendamment de la fission du corps cellulaire, donnant ainsi naissance à des formes bacillaires très longues, comportant plusieurs chromosomes dans une même cellule.
La fission du corps cellulaire se produit dans un seul plan perpendiculaire au grand axe des cellules en forme de bacille ou de spire. Elle peut s’effectuer sur différents plans dans les formes bactériennes sphériques (cocci), déterminant ainsi des morphologies particulières en grappe. Les bacilles et les spirochètes subissent une élongation avant le clivage transversal, alors que chez les cocci la seule déformation observée peut être un léger accroisssement de diamètre. La fission transversale se produit à un endroit particulier de la cellule en croissance, là où apparaît un épaississement de la paroi constituant le site de formation d’un septum. La longueur que peut atteindre la cellule bacillaire avant son cloisonnement et son clivage, relativement constante pour une espèce bactérienne donnée, dépend des conditions de culture.
Le partage du matériel chromosomique de la bactérie succède à la réplication semi-conservative de la molécule d’ADN. La réplication s’opère par séparation des deux chaînes de l’ADN chromosomique, chaque chaîne servant de matrice pour la construction d’une chaîne complémentaire nouvellement synthétisée. L’initiation, le déroulement et la régulation de ce mécanisme de réplication seraient gouvernés par une séquence de réactions enzymatiques génétiquement déterminées. Selon l’hypothèse du réplicon de Jacob, Brenner et Cuzin, le chromosome ainsi que les épisomes (séquences d’ADN étranger à la bactérie, intégrées au chromosome) porteraient leurs propres gènes de réplication; l’un serait l’initiateur, l’autre le réplicateur. L’initiateur enverrait le signal au réplicateur qui agirait sur la bouche d’ADN attachée sur un site particulier de la membrane cytoplasmique. Les mésosomes observés en coupes cytologiques en microscopie électronique, décrits plus haut, constitueraient l’élément d’attachement du chromosome à la membrane cytoplasmique. Dans les conditions normales de division cellulaire et de réplication synchrone du chromosome, les deux brins d’ADN se sépareraient grâce au déroulement du chromosome autour de son point d’attachement à la membrane cytoplasmique, en même temps que celle-ci synthétiserait les constituants de la paroi formant le futur septum. L’élongation de la cellule bactérienne et de ses constituants, dont la membrane cytoplasmique, aboutirait ainsi à la séparation des deux nouvelles boucles d’ADN, se distribuant chacune dans chaque nouvelle cellule.
4. Physiologie des populations bactériennes
Les cellules bactériennes sont capables de se multiplier dans des milieux de culture liquides ou sur milieux solides artificiels, dans des conditions physico-chimiques approchant les conditions de leur écosystème naturel. Cependant, certaines espèces bactériennes ne sont pas cultivables sur milieux artificiels; c’est le cas de Mycobacterium leprae , agent de la lèpre, ou de Treponema pallidum , agent de la syphilis non cultivable in vitro. D’autres bactéries authentiques, autrefois classées dans les virus, les Rickettsiales, parasites obligatoires des cellules eucaryotes, ne peuvent être cultivées qu’en cultures de tissus.
Le mécanisme général de la croissance bactérienne , étudiée par culture in vitro, est celui du remplacement d’une cellule mère par deux cellules filles identiques. À chaque division, il y a donc un doublement de la population bactérienne, et cela se produit avec une périodicité constante pour chaque espèce bactérienne dans un milieu de culture donné. Ce temps de génération peut aller de quelques minutes pour des bactéries à croissance rapide – ensemencées dans des milieux riches convenablement aérés, telles que Escherichia coli , une des espèces les mieux étudiées en physiologie bactérienne – à plusieurs semaines pour des Mycobactéries. Le terme de croissance bactérienne, telle qu’elle est mesurée au laboratoire, désigne donc plus précisément la croissance d’une population bactérienne.
Les bactéries puisent dans leur milieu nutritif les substrats à partir desquels elles synthétisent leurs propres constituants. Cette synthèse s’effectue à partir de monomères précurseurs, les métabolites essentiels, auxquels s’ajoutent des vitamines et des molécules résultant de l’activité externe des exoenzymes bactériennes. L’apport énergétique nécessaire à la construction des macromolécules, à partir des monomères précurseurs, se fait par l’adénosine triphosphate (ATP) synthétisée par la bactérie. Selon les groupes bactériens, différentes sources d’énergie et de substrats carbonés sont utilisées, définissant le type trophique de la bactérie. On distingue, du point de vue de la source d’énergie utilisée, les bactéries et cyanobactéries capables d’utiliser l’énergie lumineuse: ce sont les bactéries phototrophes.
Parmi ces bactéries, certaines réalisent leurs photosynthèses en employant des composés minéraux comme donateurs d’électrons; elles sont dites photolithotrophes ; d’autres ne peuvent utiliser que des substances organiques, elles sont dites photo-organotrophes . Les bactéries chimio-lithotrophes puisent leur énergie dans l’oxydation de substances minérales (hydrogène, composés azotés ou soufrés, fer ou oxyde de carbone), alors que les bactéries chimio-organotrophes utilisent les produits de l’oxydation de composés organiques, par métabolisme aérobie ou anaérobie. Ce dernier type trophique est le plus commun dans le monde bactérien comme dans la majorité des cellules eucaryotes. Les bactéries parasites intracellulaires obligatoires, incapables de croître en dehors de la cellule hôte, ont un type trophique désigné sous le nom de paratrophie.
Les sources de carbone sont très variées. Certaines bactéries, photo- ou chimio-lithotrophes notamment, utilisent directement le carbone du gaz carbonique sans que la présence de matière organique préformée soit nécessaire à leur croissance; on les dit autotrophes . Certaines sont strictement autotrophes et leur croissance peut même être inhibée en présence de matière organique préformée. Pour d’autres bactéries, au contraire, la présence de matière organique est indispensable à la croissance: ce sont les bactéries hétérotrophes . C’est le cas notamment des bactéries photo- et chimio-organotrophes. La complexité des substrats organiques indispensables à la croissance de ces bactéries hétérotrophes est variable. Les bactéries prototrophes croissent en présence de composés simples tels qu’un sucre ou un acide organique qui serviront de matière première pour l’ensemble des synthèses cellulaires. Les bactéries auxotrophes , au contraire, ont besoin que le milieu de croissance contienne déjà des constituants préformés qu’elles seraient incapables de synthétiser.
Les besoins en azote des bactéries sont généralement assurés par les produits de dégradation des substrats organiques sous forme ammoniacale. Quelques espèces sont capables de fixer directement l’azote de l’air ou d’assimiler les nitrates et les nitrites; elles jouent un rôle très important en agronomie et sont étudiées d’une façon intensive, en vue d’améliorer, grâce à leur utilisation éventuelle, le rendement de croissance des végétaux. D’autres espèces bactériennes, au contraire, sont totalement incapables de synthétiser les substances azotées indispensables à leur structure, et leur croissance exige l’apport, dans les milieux de culture, de substrats préformés tels que des acides aminés (bactéries auxotrophes).
Le fait que les bactéries puissent croître en absence d’air ou, au contraire, exigent un milieu de culture aéré est connu depuis les premières observations d’Anthony Van Leeuwenhoek puis de Louis Pasteur. C’est ainsi qu’en fonction de leurs besoins en oxygène on peut distinguer des bactéries aérobies strictes, des bactéries anaérobies strictes et des bactéries aéro-anaérobies facultatives.
Les bactéries aérobies strictes utilisent, pour leur métabolisme énergétique, l’oxygène atmosphérique qui est indispensable à leur croissance et à leurs activités de synthèse. Ce groupe inclut une grande variété de bactéries autotrophes ou hétérotrophes: Pseudomonas , Bacillus , Neisseriaceae , etc.
Le groupe des bactéries anaérobies strictes est composé d’espèces dont le métabolisme énergétique non seulement n’implique pas la présence d’oxygène, mais pour qui, en outre, l’oxygène est toxique. À ce groupe appartient la majorité des bactéries à métabolisme fermentaire, composant la flore anaérobie du tube digestif des mammifères; ce sont essentiellement les Clostridies, dont les agents des gangrènes gazeuses, du botulisme et du tétanos.
Les bactéries aéro-anaérobies facultatives sont essentiellement des bactéries hétérotrophes; elles peuvent croître et exprimer une activité métabolique en consommant l’oxygène ou, en son absence, par métabolisme fermentaire. On rencontre notamment dans ce groupe les Enterobacteriaceae . Certaines bactéries sont dites aérotolérantes car leur métabolisme fermentaire, contrairement aux anaérobies strictes, s’accommode de la présence d’oxygène; c’est le cas des Lactobacillus . D’autres ont une croissance préférentielle sous pression partielle d’oxygène réduite par rapport à celle de l’air: ce sont les bactéries micro-aérophiles. Ce comportement des bactéries à l’égard de l’oxygène atmosphérique est mis en évidence par culture en tubes de gélose profonde. Les bactéries aérobies strictes ne croissent qu’à la partie supérieure de la gélose, au contact de l’air; les bactéries micro-aérophiles croissent à la partie supérieure du tube, mais à distance de l’interface de la gélose et de l’air; les bactéries anaérobies strictes ne croissent que dans la profondeur du tube, et les bactéries aéro-anaérobies facultatives forment une culture homogène sur toute la hauteur du tube.
5. Paramètres physico-chimiques du métabolisme bactérien
La plupart des cultures bactériennes sont effectuées à 37 0C par analogie avec la température centrale des mammifères, à cause, sans doute, des coutumes acquises en bactériologie médicale pour l’isolement de bactéries pathogènes à partir des prélèvements humains ou animaux, à la température desquels elles sont supposées s’être adaptées. Cependant, certaines bactéries ne se comportent qu’occasionnellement comme des parasites des organismes supérieurs (infections à bactéries «opportunistes»), et leurs conditions de vie habituelles dans le milieu extérieur leur confèrent une adaptation soit à des températures inférieures à 30 0C (bactéries psychrophiles), soit à des températures de l’ordre de 40 à 45 0C (bactéries thermophiles). La majorité des bactéries tolère une échelle de températures comprises entre 20 et 45 0C: ce sont les bactéries mésophiles. La température, paramètre sélectif pour la croissance des bactéries, conditionne la prolifération exclusive de certaines espèces dans un biotope donné; ainsi, les bactéries thermophiles seront abondantes dans les sources chaudes ou dans des bains de refroidissement de centrales thermiques ou thermo-nucléaires. Certaines bactéries psychrophiles posent des problèmes majeurs et de plus en plus fréquents en microbiologie alimentaire, du fait de la généralisation des procédés de stockage des denrées au réfrigérateur. Ces méthodes conduisent à la prolifération d’espèces pathogènes pour l’homme, essentiellement des bactéries Gram négatives, capables de se multiplier à + 4 0C, alors que la plupart des bactéries contaminantes habituelles des aliments sont mésophiles et ont un métabolisme inhibé à basse température.
Les bactéries sont généralement tolérantes à des variations de pH entre 6 et 9, grâce à la régulation exercée par leur membrane cytoplasmique à l’encontre des ions H+. Dans les cultures en milieux non tamponnés, les alcalins libérés à partir notamment des réactions de décarboxylation des acides aminés ou les acides libérés par dégradation des carbohydrates peuvent modifier le pH dans des conditions telles que le milieu devient toxique pour les bactéries.
Les bactéries capables de survivre indépendamment de tout parasitisme intracellulaire sont tolérantes à de grandes variations de concentration ionique dans leur milieu et à des changements de pression osmotique, grâce aux systèmes de régulation exercés par la membrane cytoplasmique et à la rigidité de la paroi. L’équilibre en ions potassium et phosphore, essentiels pour le métabolisme énergétique des bactéries, est maintenu constant à l’intérieur de la cellule bactérienne, indépendamment des concentrations relatives de ces ions dans le milieu de culture. La plupart des bactéries tolèrent des concentrations modérées de sodium (de l’ordre de 9 p. 1 000), bien que cet élément ne soit indispensable qu’à la croissance de certaines bactéries dites halophiles. C’est notamment le cas des bactéries adaptées au milieu marin ou à d’autres biotopes d’eau salée, qui sont exigeantes vis-à-vis du sodium et qui peuvent tolérer des concentrations de sodium atteignant 30 p. 1 000. Ces bactéries, soudainement transférées dans un milieu de faible concentration ionique, seront lysées.
6. Vitalité et résistance des bactéries
Outre les conditions physico-chimiques de température, de pH, de concentration ionique, la vitalité des cultures bactériennes est étroitement dépendante de la teneur en eau du milieu de culture. Contrairement aux cellules eucaryotes, les bactéries ne possèdent pas de système permettant une régulation et une épargne de la concentration hydrique dans leur cytoplasme; la déshydratation des milieux de culture solides aboutit à la mort des bactéries. Celles-ci résistent donc généralement mal à la dessication, mais aussi à des élévations de température supérieures à 60 0C. Cette thermo-sensibilité est d’ailleurs à l’origine du procédé de pasteurisation. Cependant, certains Bacilles aérobies ou anaérobies (Clostridies) possèdent un mécanisme particulier de résistance, la sporulation . Les bactéries sporulantes résistent à des températures supérieures à 65 0C, donc à la pasteurisation, mais sont détruites par autoclavage à 120 0C pendant dix minutes. La spore bactérienne est une endospore. Elle se présente comme un corps sphérique ou ovoïde très dense, présentant une intense réfraction à l’examen en microscopie photonique et ne se colorant pas par la méthode de Gram ou le bleu de méthylène (fig. 7). La spore peut être située au centre ou à une extrémité de la cellule et parfois déformer celle-ci. Le mécanisme de la sporulation correspond à une différenciation de la cellule bactérienne sous commande des conditions de l’environnement; elle constitue un modèle d’étude en différenciation cellulaire.
La sporulation se produit pour quelques cellules au sein d’une population bactérienne sous l’effet de carences nutritives stoppant tout métabolisme; elle débute à un pôle de la cellule par une invagination de la membrane cytoplasmique formant un septum séparant une partie du chromosome du reste de la cellule. Cette pré-spore s’entoure ensuite de différentes couches concentriques, le cortex et les enveloppes. Enfin, sous l’effet d’une enzyme lytique pour la paroi, la spore est libérée. La constitution des enveloppes de la spore est antigéniquement distincte de celle de la paroi; il s’agit de structures néoformées. Du point de vue de sa composition chimique, la spore est caractérisée par un constituant particulier, le dipicolinate de calcium, qui lui conférerait ses propriétés de thermo-résistance. La spore est une structure très déshydratée, ne présentant plus aucune activité métabolique. Lorsque les conditions physico-chimiques de culture redeviennent favorables à la croissance bactérienne, les bactéries sporulées subissent une germination avec gonflement de la spore par hydratation intense et rapide, libération massive d’acide dipicolinique et de calcium, puis disparition du cortex et des enveloppes, aboutissant à la reconstitution de la cellule bactérienne originelle capable d’initier un cycle de croissance bactérienne.
7. Croissance bactérienne
Croissance en milieu liquide
L’estimation de la croissance bactérienne est basée sur deux critères, la masse cellulaire et le nombre de bactéries, qui augmentent dans des proportions variables au cours de la croissance. La masse cellulaire est mesurée selon la densité optique du milieu, tandis que le nombre de bactéries viables est estimé d’après le nombre d’unités formant colonie sur milieu de culture solide, ensemencé à partir de suspensions, diluées en série, de la culture.
Dans un milieu liquide, dont les constituants ne sont pas renouvelés, ensemencé avec des bactéries en fin de croissance, la courbe de croissance (fig. 8) suit une cinétique générale caractéristique comportant quatre phases: la phase de latence, la phase exponentielle, la phase stationnaire et enfin une phase de décroissance. La phase de latence est d’une durée variable en fonction de l’espèce bactérienne et des conditions plus ou moins favorables de culture; elle correspond au temps nécessaire aux bactéries provenant d’un milieu, dont elles ont épuisé les substrats, pour initier les réactions enzymatiques permettant d’assimiler les constituants du milieu neuf. Cette phase de latence n’existe pas dans les cultures en milieux renouvelés, comme par exemple en chemostat. La phase de croissance exponentielle, ou phase logarithmique, correspond à l’étape d’assimilation la plus active des substrats contenus dans le milieu; à ce stade, toutes les bactéries sont vivantes et se divisent rapidement. La pente de la courbe de croissance durant cette phase exponentielle est d’autant plus grande que les conditions de la culture sont mieux adaptées (température, pH, aération, substrats indispensables, etc.). La phase stationnaire correspond au maximum du rendement de croissance de la culture: les bactéries ont développé toutes leurs structures et ont fini par épuiser le milieu. La phase de décroissance traduit le déclin de la population consécutif à la mort de certaines bactéries empoisonnées par leurs catabolites toxiques et les importantes modifications de pH du milieu.
Croissance en milieu solide
Les milieux de culture solidifiés par incorporation d’agar permettent la numération des bactéries viables, en suspension dans un milieu liquide, grâce au comptage des colonies apparues à la surface du milieu au bout d’un temps d’incubation optimal pour chaque espèce bactérienne. Chaque colonie correspond théoriquement à un clone dérivant d’une cellule bactérienne dont la descendance s’est accumulée au site où a été déposée la bactérie mère. La culture sur milieu solide permet d’isoler ainsi des clones purs, geste préalable essentiel pour l’identification d’une espèce bactérienne. Certains milieux solides dans lesquels sont incorporés des substrats spécifiques et des réactifs indicateurs de pH permettent un diagnostic de présomption sur la base d’une ou de plusieurs réactions enzymatiques révélées sur le milieu de culture même; d’autres milieux sont sélectifs pour une ou des espèces bactériennes, soit qu’ils comportent un nombre limité de substrats indispensables à ces bactéries, soit qu’ils contiennent des agents inhibiteurs pour des bactéries dont l’isolement n’est pas souhaité (exclusion des bactéries commensales d’un prélèvement humain ou animal naturellement contaminé, lors des tentatives d’isolement de bactéries responsables d’infections).
8. Écologie bactérienne
L’étude des relations des bactéries avec leur environnement est un domaine complexe, longtemps limité à l’analyse du produit final du métabolisme bactérien, tel que la fixation d’azote ou la production de méthane, par un mélange de bactéries dans un milieu non défini chimiquement. Les méthodes de séparation des bactéries et d’étude de leur métabolisme en présence de substrats purs, dans des conditions de culture standardisées, permet d’attribuer à chaque espèce le rôle qu’elle joue véritablement dans son écosystème naturel. Cet écosystème peut être le sol, la rhizosphère, l’eau. Il peut s’agir aussi des cavités naturelles des organismes supérieurs, notamment leur oropharynx et leur tube digestif, ainsi que leur revêtement cutané, où l’on trouve ce qu’il est convenu de nommer des flores bactériennes. Chacun de ces biotopes possède sa propre flore bactérienne qui diffère qualitativement et quantitativement, ainsi que du point de vue des interactions entre les différentes bactéries. Divers types d’interaction correspondent à différentes situations: la symbiose (croissance de deux espèces bactériennes dans un même biotope, à leur profit mutuel); le commensalisme, situation dans laquelle le produit du métabolisme d’une espèce (l’hôte) avantage l’autre espèce (espèce commensale), sans dommage pour l’hôte; neutralisme (aucune interaction ne se manifeste entre les deux espèces cohabitant dans le même biotope); antagonisme (une des espèces excrète une substance à activité antibiotique active sur l’autre espèce); synergie (une des espèces synthétise un produit favorable au métabolisme de l’autre espèce).
Écologie des germes pathogènes
L’une des interactions les plus couramment observées est le commensalisme; un exemple est fourni par certaines bactéries anaérobies strictes qui peuvent croître en présence d’oxygène (habituellement toxique pour ces bactéries) si elles sont cultivées avec des bactéries aéro-anaérobies facultatives capables de réduire le milieu. De même, un état commensal est représenté par des bactéries pouvant synthétiser des produits assimilables, non seulement pour leur propre métabolisme, mais également pour des espèces bactériennes, cultivées dans le même milieu, pour qui ces produits sont indispensables; l’exemple classique illustrant ce type de commensalisme est celui de Hemophilus influenzae , bactérie exigeante en NAD (facteur V), qui est capable de croître sur un milieu de culture ne contenant pas ce facteur si on la cultive en présence de Staphylocoques produisant le NAD. L’antagonisme entre différentes espèces bactériennes est également un phénomène primordial dans l’établissement des écosystèmes bactériens; c’est un des mécanismes majeurs de la protection non spécifique des organismes supérieurs, possédant déjà une flore microbienne équilibrée, contre l’implantation de nouvelles espèces pathogènes ou potentiellement pathogènes.
Rôle des bactéries dans le cycle de la matière
Tous les éléments constitutifs de la matière vivante subissent une transformation cyclique, passant sans cesse de l’état minéral à l’état organique et vice versa. Grâce à l’énergie solaire, les plantes vertes, par assimilation chlorophyllienne, procèdent à «l’organisation» de la matière, autrement dit à la transformation de substances minérales simples en dérivés organiques. Dans les matières organiques, l’énergie du rayonnement solaire est, en quelque sorte, «mise en réserve» sous forme de liaisons chimiques; lorsqu’un animal mange des plantes, et lorsqu’il est mangé par un autre, il n’y a en définitive que transferts d’énergie par l’intermédiaire de la matière organique consommée. À cette première partie du cycle fait suite une seconde partie qui comporte la «minéralisation» de la matière organique. Elle peut se faire par plusieurs voies, les unes lentes comme la respiration des plantes ou des animaux, d’autres brutales, comme les combustions. La première place revient pourtant aux bactéries: ce sont elles qui vont minéraliser peu à peu l’immense masse des déchets organiques qui s’accumulent sur la terre (excreta, cadavres d’animaux, débris de plantes). D’ailleurs, ce grand cycle de la matière peut être scindé en plusieurs cycles étroitement imbriqués: cycles de l’azote, du carbone, du soufre. Dans chacun d’eux, les bactéries ont un rôle de choix. Il revient à une discipline distincte, la microbiologie des sols , de préciser les fonctions des innombrables espèces bactériennes qui coexistent au sein des matières organiques telluriques transformées en humus (humification), puis en matières minérales. Leurs relations avec le milieu ambiant, les phénomènes de compétition, d’antagonisme, de synergie qui les lient aux autres organismes de la microflore et de la microfaune des sols (sans oublier plantes et animaux supérieurs) relèvent de l’écologie microbienne . Les applications possibles sont immenses et leur importance est fonction de la nécessité où l’homme se trouve désormais placé d’éviter tout déséquilibre biologique dans les milieux naturels. La transformation des résidus chimiques, le maintien d’une structure convenable dans les sols arables, la fertilisation des terres et même des semences (contamination systématique des graines de légumineuses par les Rhizobium ), la production des composts figurent parmi les questions où le bactériologiste apporte sa contribution. On peut y rattacher les problèmes relatifs à l’alimentation des cités en eau d’une part, au traitement des eaux usées d’autre part, avec leurs conséquences sur le plan de l’hygiène.
9. Les biosynthèses bactériennes
Les différentes voies métaboliques des bactéries, selon leur type trophique, tel qu’il a été schématisé plus haut, ont une fonction commune à toutes les espèces, la production d’ATP, indispensable pour les réactions de biosynthèses. Les substances essentielles synthétisées par les bactéries sont les protéines et les acides nucléiques; les réactions biochimiques responsables de ces synthèses sont peu différentes d’un groupe bactérien à l’autre. Par contre, la synthèse des polysaccharides et des lipides diffère d’un groupe à l’autre, la composition chimique de ces constituants étant particulière pour chaque espèce bactérienne. Les méthodes d’étude des biosynthèses bactériennes sont essentiellement basées sur l’utilisation de précurseurs isotopiques et sur l’étude de l’assimilation de composés purs par les mutants auxotrophes sélectionnés au sein de la population d’une souche bactérienne. C’est ainsi qu’un précurseur essentiel pour la cellule, marqué par un isotope radioactif, pourra être repéré dans la bactérie après son assimilation. Par exemple, en fournissant un acide aminé essentiel à la structure de la cellule bactérienne, dans son milieu de croissance, tel que l’acide glutamique, marqué par le carbone 14 (14C), puis en dégradant chimiquement la bactérie, on s’aperçoit que le squelette carboné de l’acide glutamique marqué est utilisé dans la synthèse des protéines, non seulement à l’état de résidu de cet acide aminé, mais également pour la biosynthèse d’arginine et de proline. Il est possible, au sein d’une souche bactérienne, de sélectionner, par des méthodes chimiques, différents mutants auxotrophes ayant perdu une fonction enzymatique pour des substrats divers. On peut ainsi, selon la variété des mutants obtenus, désigner les différentes voies métaboliques utilisées par l’espèce bactérienne étudiée, selon chaque substrat indispensable à la croissance des différents mutants étudiés séparément. La synthèse des protéines, des acides nucléiques, des polysaccharides et des composés lipidiques s’opère par assemblage progressif de précurseurs organiques de faible poids moléculaire (monomères), les nucléotides dans le cas des acides nucléiques, les acides aminés dans le cas des protéines, les sucres simples dans le cas des polysaccharides, des acides gras, des alcools, des sucres, des amines et des acides aminés dans le cas des lipides. Tous ces composés sont synthétisés à partir d’un nombre réduit de substances organiques constituant les métabolites intermédiaires de la cellule. Les produits terminaux synthétisés à partir de ces métabolites intermédiaires participent à l’élaboration de la structure de la bactérie ou à ses fonctions. Ces différentes réactions métaboliques sont gouvernées par des mécanismes de régulation enzymatique, essentiellement la régulation de la synthèse des enzymes responsables de chaque voie métabolique et la régulation de l’activité de ces enzymes. C’est ainsi que, si la bactérie possède un équipement enzymatique lui conférant une grande variété de fonctions, la sécrétion de chaque enzyme est commandée par le substrat présent dans le milieu de croissance (induction enzymatique). La commande génétique pour cette enzyme est toujours présente, mais son expression phénotypique dépend du signal chimique émis par l’environnement de la bactérie. Dans des conditions de croissance où la bactérie est exposée à un excès d’apport énergétique, l’augmentation de la concentration intracellulaire d’ATP commande une répression de l’enzyme responsable de la dégradation de la source d’énergie; ce mécanisme de régulation de la synthèse enzymatique est appelé répression catabolique. Un autre type de régulation de la synthèse enzymatique est représenté par l’inhibition spécifique de cette synthèse lorsque le produit final de la réaction se trouve en excès dans le milieu: c’est la rétro-inhibition. Il existe donc dans la cellule des systèmes lui permettant d’économiser son énergie en ajustant l’activité enzymatique en fonction des besoins spécifiques. Cette répression de la synthèse enzymatique se manifeste avec un certain temps de latence qui permettrait à la réaction métabolique de se poursuivre pendant encore quelques générations bactériennes si n’intervenaient les systèmes de régulation de l’activité enzymatique. Le mécanisme essentiel de régulation de cette activité a été décrit pour les enzymes responsables des synthèses majeures de la cellule, les enzymes allostériques. Ils possèdent la particularité d’être inhibés en présence de substances différentes de leur substrat spécifique, du point de vue de leur structure, mais possédant un site de combinaison possible avec l’enzyme et bloquant ainsi son activité catalytique.
10. Variations, mutations et recombinaisons génétiques
Bien que les techniques de culture de clones isolés de bactéries aient permis d’étudier des souches pures et de différencier ainsi des espèces pourtant morphologiquement semblables dans un même écosystème, ces mêmes techniques de culture montrent qu’au sein d’une population théoriquement homogène descendant d’une seule bactérie parentale, apparaissent des changements définitifs (mutations) ou des variations phénotypiques en fonction des conditions environnementales (adaptation phénotypique). La mutation apparaît soit spontanément (en fait l’élément responsable de la mutagenèse n’est pas identifié), soit par sélection (le facteur mutagène est connu). Ces variations se distinguent par le fait que dans la mutation quelques rares bactéries, au sein de la population d’une même génération, sont modifiées pour un caractère leur conférant une plus étroite adaptation aux conditions du milieu, selon une fréquence statistiquement mesurable (taux de mutation), alors que dans la variation phénotypique toutes les cellules de la population bactérienne sont concernées par la modification physiologique (dans un éventail de variations autorisées par leur génotype). De plus, les caractères exprimés par les mutants sont stables et héréditaires. La stabilité des variations phénotypiques est strictement conditionnée au contraire par l’environnement, car elles sont régies par les mécanismes de régulation cités plus haut. Les bactéries isolées d’un produit pathologique, par exemple, provenant donc d’un hôte chez qui elles étaient en situation de parasitisme ou de commensalisme, cultivées au laboratoire, doivent s’adapter aux conditions artificielles des milieux de culture in vitro dont la composition est différente de leur milieu d’origine. Dans ces conditions apparaissent des mutants qui perdent une ou plusieurs propriétés de la population bactérienne d’origine. Une des propriétés les plus remarquables, souvent perdue par les bactéries pathogènes, après culture sur milieu artificiel, est la virulence. Ce phénomène a d’ailleurs été empiriquement exploité pour atténuer la virulence. Certaines mutations affectant une voie métabolique particulière ont été bien étudiées; c’est le cas des mutants résistant aux agents antimicrobiens qui apparaissent sous l’effet de sélection qu’exercent ces produits dans les milieux où vivent les bactéries. Cette mutation entraînant la résistance aux antibiotiques et antiseptiques peut être d’origine chromosomique ou être codée par un ADN extrachromosomique, le plasmide de résistance. La survenue de mutations dans une population bactérienne n’est pas forcément un phénomène bénéfique pour la survie de ces bactéries. Un exemple de mutation a priori défavorable est représenté par certaines modifications de la structure de la paroi bactérienne, les dissociations de colonies lisses ou smooth en colonies rugueuses ou rough ; ces dernières portent des altérations des éléments les plus externes de la paroi, qui les rendent plus fragiles et plus sensibles à l’action des agents physiques et des substances antimicrobiennes.
Recombinaisons génétiques chez les bactéries
Indépendamment des mutations, des modifications affectant le génome bactérien peuvent survenir par trois principaux mécanismes actuellement décrits: la transformation, la conjugaison et la transduction. La transformation est le mécanisme par lequel de l’ADN libre, provenant du génome d’une espèce bactérienne, est assimilé par une cellule bactérienne d’une même espèce ou d’une espèce apparentée et sera intégré dans le chromosome de la bactérie réceptrice dont le patrimoine génétique sera ainsi modifié par les gènes acquis. La conjugaison est le transfert génétique s’opérant à partir d’une bactérie mâle (porteuse du pilus sexuel, ou pilus F, décrit plus haut) à une bactérie femelle, permettant le passage d’ADN d’une bactérie à l’autre. Les études effectuées sur des mutants d’Escherichia coli ont montré que le transfert par conjugaison est codé par le plasmide F qui, lorsqu’il est intégré au chromosome bactérien, confère à la bactérie le caractère Hfr (haute fréquence de recombinaison). La transduction est le transfert d’une partie de l’ADN d’une bactérie à une autre par un bactériophage. Lors de l’infection de la bactérie donneuse par le bactériophage, celui-ci intègre dans son propre ADN quelques gènes de cette bactérie, puis, une fois libéré, le bactériophage va infecter une autre bactérie qui peut ainsi intégrer dans son génome des gènes de la bactérie donneuse.
11. Classification des bactéries
À l’origine, les bactéries étaient nommées en fonction du rôle qui leur était attribué, notamment dans les maladies infectieuses (par exemple bacilles du charbon, de la peste, de la tuberculose, etc.); quelquefois, la nomenclature s’agrémentait d’un terme évoquant leur morphologie (par exemple Bactéridie, Clostridie, Vibrion, Spirille, etc.). Puis la possibilité d’étudier les bactéries en culture pure a permis, sur la base de leurs caractères physiologiques in vitro , d’élaborer une systématique bactérienne en les regroupant par famille, genre et espèce. La nomenclature actuelle conserve une terminologie binaire latine (nom de genre à initiale majuscule suivi du nom d’espèce à initiale minuscule: Mycobacterium tuberculosis ). Le nom de genre fait généralement référence à la morphologie (par exemple Bacillus ou Streptococcus ou Corynebacterium ) ou représente un hommage au microbiologiste ayant étudié le groupe bactérien (Pasteurella ou Yersinia ou Neisseria ). Le nom d’espèce évoque le plus souvent une fonction particulière in vitro (liquefasciens ou aerogenes ou denitrificans ) ou rappelle la maladie dont ces bactéries sont responsables (tuberculosis , typhi , pestis ). Le nom proposé pour désigner de nouvelles espèces décrites est choisi arbitrairement et soumis à l’approbation d’un comité international de nomenclature.
Les méthodes actuelles de classification des bactéries font appel à l’étude exhaustive des caractères phénotypiques (facteurs de croissance, réactions enzymatiques, structure antigénique, etc.) permettant une taxonomie numérique, confrontée à l’étude de caractères génétiques (pourcentage de guanine + cytosine, homologies moléculaires ADN/ADN, etc.) permettant une taxonomie génotypique. Ces dernières méthodes sont actuellement les plus fiables puisqu’elles comparent non seulement des homologies structurelles entre des séquences d’ADN dans le chromosome bactérien, mais qu’elles permettent, en outre, d’établir une phylogénie entre certaines espèces. La classification internationalement admise actuellement est celle du Bergey’s Manual of Determinative Bacteriology .
Encyclopédie Universelle. 2012.