ADN
La double hélice d’acide désoxyribonucléique (ADN) est le supportde l’information génétique: comme les réflexions quasi prophétiques du physicien autrichien Erwin Schrödinger l’ont entrevu dès 1935, cette molécule est une sorte de «cristal apériodique» dont la structure même permet de stocker l’information nécessaire au fonctionnement d’un organisme. L’analogie évidente avec l’informatique permet plus aisément aujourd’hui au lecteur de comprendre comment cette information est stockée et utilisée. Comme un programme informatique, l’information génétique est soit sauvegardée dans une mémoire centrale, soit répliquée en un certain nombre de copies qui seront distribuées à la descendance, soit utilisée pour faire fonctionner le «programme cellulaire». Dans le cas de l’informatique, le programme est mis en route par l’ordre «run». Dans le cas de la génétique, le programme est mis en route par l’expression d’une partie de cette information sous la forme de copies partielles que l’on nomme «messagers» ou «transcripts»; ceux-ci dirigent la synthèse des protéines qui exécutent le programme cellulaire. En outre, les défauts qui s’accumulent du fait de l’utilisation intensive du programme doivent être constamment éliminés: cette opération s’appelle réparation de l’ADN. Enfin, le perfectionnement du programme peut être obtenu par le «mélange», c’est-à-dire la recombinaison d’un certain nombre d’informations similaires, mais pas identiques, ou par la transposition de fragments d’information provenant de diverses régions de la mémoire centrale (génome).
Ainsi, la molécule d’ADN doit, au cours de son «existence», assurer les fonctions suivantes dans la cellule: sauvegarde, réplication, transcription, réparation, recombinaison et transposition de l’information génétique. Seule la première de ces fonctions est passive et nécessite que l’ADN soit sous une forme aussi stable et peu réactive que possible. Les autres fonctions nécessitent que l’ADN soit au contraire sous une forme aussi «réactive» que possible.
Le modèle de la double hélice d’ADN, proposé par James Watson et Francis Crick en 1953, fut pour les biologistes une révélation extraordinaire, car non seulement il expliquait comment cette macromolécule pouvait contenir l’information génétique, mais encore il suggérait la manière dont l’ADN pouvait transmettre cette information.
Ce modèle, fondé sur la diffraction des rayons X par des fibres d’ADN, indique que la molécule est formée de deux chaînes en hélice droite constituées par la succession de cycles désoxyribose (sucre) et de groupes phosphates. À chaque sucre est accrochée une structure aromatique plane azotée (base). L’unité élémentaire constituant cette structure, le nucléotide, est donc constituée d’un sucre, d’un groupe phosphate et d’une base azotée. L’apériodicité du «cristal» est due à la variabilité de la structure des bases entre quatre possibilités: deux purines, l’adénine (A) et la guanine (G), deux pyrimidines, la thymine (T) et la cytosine (C). De plus, les bases accrochées sur chaque chaîne et se faisant vis-à-vis contractent des liaisons hydrogène spécifiques (appariements). Seuls les couples A/T (ou T/A) et G/C (ou C/G) sont légitimes. Les couples (plateaux) de bases ainsi formés sont disposés dans des plans parallèles les uns aux autres et perpendiculaires à l’axe de la molécule. Ainsi, l’information portée sur une chaîne parla séquence de bases apparaît de manière complémentaire sur l’autre chaîne, expliquant de façon prodigieusement simple comment une chaîne peut servir de modèle (matrice) pour la synthèse de l’autre.
La publication du modèle de Watson et Crick eut deux effets contraires, l’un bénéfique, l’autre néfaste: d’une part, elle a ouvert la voie à une science nouvelle, la biologie moléculaire, dont les progrès ont été spectaculaires; d’autre part, elle a quelque peu sclérosé les études sur la structure de l’ADN que beaucoup ont alors considérée comme définitivement acquise.
Néanmoins, l’hypothèse selon laquelle la transmission et le traitement de l’information génétique résultent d’interactions macromoléculaires entre protéines et acides nucléiques – clairement exprimée par Monod, Jacob et Lwoff dans les années 1960 – a donné lieu à d’importantes recherches concernant la structure de l’ADN. Il en résulte que cette macromolécule, que l’on imaginait volontiers «figée», est, comme les protéines, extrêmement polymorphe et capable d’innombrables changements conformationnels. L’interaction d’une protéine avec l’ADN résulte donc en général d’une adaptation conformationnelle mutuelle qui illustre la relation entre structure et fonction des biomolécules d’une façon tout aussi remarquable que la liaison antigène-anticorps ou l’effet allostérique pour l’activité enzymatique.
1. Polymorphisme de l’ADN
La possibilité de synthétiser des oligonucléotides et de les cristalliser a permis, à la fin des années 1970 seulement, de révolutionner complètement nos conceptions sur la structure de l’ADN.
Les travaux ont révélé l’extraordinaire polymorphisme de l’ADN, avec au moins trois familles de structures (B, A et Z) à l’intérieur desquelles des fluctuations très importantes ont lieu. La forme B (Dickerson et coll.) est en moyenne assimilable au modèle Watson et Crick, avec un grand sillon et un petit sillon de même profondeur, des plateaux de bases horizontaux traversés par l’axe de l’hélice et un angle de pivotement de 360 entre chaque plateau, soit en moyenne dix paires de bases par tour d’hélice.
Au contraire, la forme A (Dickerson et coll.), qui est encore une double hélice droite, possède un grand sillon très profond et très accessible, et un petit sillon peu profond. Les plateaux de bases ne sont plus empilés les uns au-dessus des autres mais décalés, comme les marches d’un escalier en colimaçon, et ne sont plus horizontaux (angles d’inclinaison ou de dévers). L’angle de pivotement est de 330 en moyenne, soit onze paires de bases par tour, mais peut varier entre 16 et 440. La forme A apparaît donc bien plus accessible et plus réactive que la forme B. Enfin, la forme Z, ainsi dénommée à cause de ses chaînes sucre-phosphate en zigzag, a été mise en évidence par A. Rich et ses collaborateurs sur des cristaux de l’hexanucléotide de séquence GCGCGC, mais apparaît pour une multitude d’autres séquences (en général purine/pyrimidine alternées). C’était la première fois qu’il était suggéré que la structure de l’ADN dépendait largement de la séquence de ses bases. Une autre surprise pour les biochimistes, la forme Z de l’ADN est une double hélice gauche, avec une répétition de douze paires de bases par tour: elle ne possède pas de grand sillon, les bases apparaissant sur le bord externe de la double hélice. Elle est plus fine et plus étirée que les autres formes, avec 4,5 nm/tour. L’un des aspects les plus intéressants du polymorphisme de l’ADN est que ces différentes formes ne sont pas indépendantes, mais au contraire sont capables de s’interconvertir les unes dans les autres avec une étonnante facilité. Ainsi, la forme B est parfaitement stabilisée par des molécules d’eau qui remplissent les sillons de l’ADN et en particulier se fixent de manière quasi cristalline dans le petit sillon. Cette fixation est favorisée par la présence de bases A/T et défavorisée par G/C; la stabilité de la forme B est donc séquence dépendante. Lorsque l’environnement de l’ADN s’appauvrit en molécules d’eau (cela peut être provoqué in vitro par la présence de molécules hydrophiles ou in vivo par des protéines), la forme A est favorisée. Cette interconversion est également séquence dépendante, puisque les séquences du type GGCCGGCC (Dickerson) ont tendance à adopter une forme A. Enfin, l’élévation de la force ionique mais surtout de la concentration en ions bivalents (Mg++), la méthylation des cytosines et la présence de séquences purines-pyrimidines alternées (GCGC) favorisent l’interconversion en forme Z. De manière étonnante, cette interconversion ne nécessite la rupture d’aucune liaison dans l’ADN: elle se fait soit par simple rotation de 1800 des bases autour de la liaison base-sucre (purines), soit par rotation de 1800 de l’ensemble base-sucre (pyrimidine).
Plusieurs questions se posent immédiatement à propos de ces structures dites alternatives: ces structures existent-elles in vivo? Peut-on prévoir leur existence à partir de la séquence des bases? Quel est leur rôle?
De nombreux arguments théoriques et expérimentaux indiquent que ces structures existent en effet in vivo. Par exemple, dans le cas de l’ADN Z, on a pu préparer des anticorps spécifiquement dirigés contre cette forme et montrer qu’ils reconnaissent certaines régions des chromosomes.
L’étude de la structure d’un certain nombre d’oligonucléotides de synthèse permet de répondre à la seconde question: on peut non seulement dire si une séquence va avoir tendance à acquérir une structure B, A ou Z, mais encore dans une même famille prévoir les variations de certains paramètres tels que les angles de pivotement ou de dévers des plateaux de bases en fonction (et tout au long) de la séquence.
Le rôle biologique de ce polymorphisme est évidemment la question la plus intéressante.
On peut estimer que la molécule d’ADN contient deux sortes d’informations génétiques qui sont codées et interprétées de façons très différentes. La première, qualifiée d’extrinsèque par Dickerson, correspond au message génétique classique:une série de trois bases successives sur une chaîne (triplet) code pour un acide aminé particulier qui sera incorporé en une position précise dans la séquence de la protéine correspondante.
Ainsi, la séquence des bases d’une région de l’ADN(un gène) impose la séquence des acides aminés d’une protéine particulière. C’est ce qu’on appelle le code génétique.
L’expression des gènes permet donc la synthèse des protéines chargées d’exécuter le programme cellulaire. Si l’on considère les cellules différenciées d’un organisme, on sait qu’elles correspondent à des types «cellulaires» variés, pourtant, leur information centrale (génome) est identique, mais c’est leur programme cellulaire qui diffère: ainsi, l’expression des gènes, qui doit varier à la fois dans le temps et selon le type cellulaire, nécessite-t-elle une régulation parfois très complexe. C’est ici qu’intervient la seconde forme d’information génétique portée par l’ADN, et qualifiée d’intrinsèque par Dickerson, car elle se répercute directement sur la structure de l’ADN. De même que l’information génétique classique, mais de manière totalement indépendante, l’information intrinsèque dépend de la séquence des bases: comme on l’a vu, la séquence des bases peut moduler la structure de l’ADN de manière très fine en faisant varier tout le long de cette séquence les paramètres de la double hélice. À son tour, la structure de l’ADN permet de moduler directement la fixation des protéines régulatrices. On sait en effet, depuis les travaux de Jacob, Monod et Lwoff, que l’expression génétique est régulée principalement au niveau de la copie des gènes en ARN messagers (transcription); cette régulation est assurée par la fixation de protéines inhibitrices (répresseurs) ou activatrices (activateurs) sur les régions de l’ADN où débute la transcription des gènes (régions régulatrices). Ici apparaît un niveau de complexité (et de finesse dans la régulation) supplémentaire: la fixation de la protéine régulatrice peut se faire par simple interaction de certains de ses acides aminés avec les bases situées dans les sillons de l’ADN et dont l’accessibilité et la réactivité dépendent comme on le sait des paramètres locaux de la double hélice. Mais cette fixation peut aussi dépendre de la structure à plus grande échelle de l’ADN sur laquelle vient «s’adapter» la structure tridimensionnelle de la protéine. Comme on va le voir plus loin, l’ADN peut être courbé, supertorsadé, ses brins peuvent s’autoapparier pour former des structures dites cruciformes... Il est clair aujourd’hui que ces structures dépendent des paramètres locaux de la double hélice, donc de la séquence. À l’inverse, l’apparition de telles structures peut induire localement telle ou telle forme (A, B ou Z) de la double hélice. C’est précisément le polymorphisme local et à grande échelle de la molécule d’ADN qui permet d’ajuster de manière précise le niveau d’expression des gènes aux besoins du programme cellulaire.
2. Topologie de l’ADN
Il est une autre notion qui découle de la structure en double hélice de l’ADN: les deux brins ne s’étendent pas parallèlement l’un à l’autre, mais sont enchevêtrés. La séparation des brins que nécessite la copie de l’information génétique (réplication ou transcription) peut se faire à la condition que l’un des brins tourne autour de l’autre, et cela implique que l’ADN possède des extrémités libres. Au moment où J. Watson et F. Crick proposèrent leur modèle, il était admis que l’ADN possédait une structure linéaire. Cette opinion a été progressivement modifiée lorsqu’on a découvert que de nombreux génomes viraux étaient circulaires et ne présentaient donc aucune extrémité libre. Aujourd’hui, on peut considérer que la circularité est la règle générale, puisque l’ADN bactérien est circulaire et que même l’ADN des chromosomes est, comme on va le voir, organisé en domaines circulaires (boucles). Bien plus, de manière paradoxale, l’ADN de certains virus, qui se présente normalement sous forme linéaire, doit être circularisé avant d’être répliqué. Il y a donc un avantage pour le virus ou la cellule à posséder un ADN circulaire, et cet avantage va trouver une explication dans ce qui suit. Pourtant, pour des raisons que l’on comprendra aisément, même si toutes les liaisons hydrogène entre les deux brins d’un ADN circulaire sont rompues, ces deux brins ne peuvent se séparer: on dit qu’ils sont liés par des liens topologiques (ils sont enchevêtrés). Considérons un ADN double brin dans la structure B: il possède approximativement 10 paires de bases (PB) par tour d’hélice, soit, pour un ADN de 5 000 PB, 500 tours d’hélice droite. Cette valeur, appelée tortillement (T), qui dépend directement de l’angle de pivotement, est hautement variable en fonction de l’environnement physico-chimique dans lequel se trouve l’ADN. Par exemple, une élévation de température diminue la valeur de T, donc «détord» l’ADN; la fixation de nombreux produits chimiques et, ce qui est plus intéressant, de certaines protéines va dans le même sens. Au contraire, une élévation de la force ionique, de même que la fixation de certaines molécules, augmente T, «tord» l’ADN.
On doit à J. Vinograd la découverte de l’ADN surenroulé, par ses travaux sur le virus de polyome. Dans la quasi-totalité des cas, l’ADN circulaire naturel est non pas relâché (L = T) mais négativement surenroulé (L inférieur à T), et ce qui suit nous explique les raisons et les avantages d’une telle situation. Un ADN surenroulé possède, du fait de sa tension, une énergie potentielle supérieure à celle d’un ADN relâché. La différence d’énergie, dite énergie de surenroulement , peut être libérée lorsque l’ADN est relâché: il en découle que l’ADN surenroulé est une forme plus réactive que l’ADN relâché et va pouvoir être engagé dans les processus de réplication ou de transcription.
La valeur de L étant fixe, la contrainte imposée à l’ADN par la relation L = T + W peut se répartir de façon variable entre le tortillement T et le nombre de supertours W.
On comprend ainsi comment, par exemple, une séparation locale des brins d’un tel ADN diminue le tortillement T (nombre de tours d’hélice) de sorte que finalement L = T et W = 0 et l’ADN est relâché. En d’autres termes, l’énergie libérée par la relaxation de l’ADN sert, dans cet exemple, à la séparation locale des brins sur T - L tours.
De la même façon, l’énergie du surenroulement peut être utilisée pour produire dans l’ADN des structures telles que des cruciformes ou des régions en forme Z, ou encore pour stabiliser des complexes nucléoprotéiques, les nucléosomes (cf. infra : Organisation de la chromatine) où l’ADN est enroulé autour de protéines dans un enroulement gauche. Toutes ces formes possèdent la même topologie (ce sont des équivalents topologiques) puisque L est invariant, mais présentent des structures différentes. On comprend aussi pourquoi l’énergie d’un ADN surenroulé positivement ne peut pas être utilisée pour séparer les brins ou produire les structures dont on vient de parler: en effet, dans un tel ADN, où L est supérieur à T, la relaxation (L = T) nécessite une augmentation (et non une diminution) du tortillement T, qui va produire une torsion plus grande de la double hélice.
On comprend maintenant le formidable intérêt pour la cellule de posséder un ADN circulaire fermé: le nombre de liens topologiques L entre les deux brins y est différent de zéro. Si, donc, la cellule dispose d’un moyen de réguler la valeur de L, elle pourra du même coup (L = T + W) fixer la valeur de T + W et réguler la multitude d’interconversions entre les différentes formes réactives de son ADN pour ajuster sa réactivité de façon localisée et temporelle et réaliser le fonctionnement indispensable des machineries de réplication, de transcription, de recombinaison...
Le moyen de moduler la valeur L pour son génome, la cellule le possède grâce à une classe d’enzymes qui peuvent modifier la topologie de l’ADN et qui, pour cette raison, ont été dénommées ADN-topo-isomérases . On vient de voir que la constante topologique L est un invariant: sa modification par des enzymes suppose donc des ruptures de brins. De plus, si la coupure est permanente, L = 0 et la structure de l’ADN (T + W) n’est plus dépendante de sa topologie: ce fait impose que la coupure qui va changer L soit refermée. La conjonction d’une activité nucléasique qui coupe les liens phosphodiesters et d’une activité ligase qui les referme permet effectivement de modifier L, mais il est très difficile de réguler un tel processus.
Au contraire, les ADN-topo-isomérases possèdent, en une seule molécule, une activité de coupureermeture. La modification du nombre de liens topologiques (nombre entier) par une topo-isomérase peut se faire par incréments de 1 ( L = 1) dans le cas d’une topo-isomérase de type I qui coupe transitoirement un seul des deux brins, ou par incréments de 2 ( L = 2) dans le cas d’une topo-isomérase de type II qui coupe transitoirement les deux brins de l’ADN. Chez Escherichia coli , la balance entre deux enzymes «antagonistes» permet d’ajuster finement la valeur de L de manière à réguler la réactivité de l’ADN: une topo-isomérase de type I (encore appelée protéine 諸) accroît la valeur de L et, par conséquent, relâche l’ADN et diminue sa réactivité, tandis qu’une topo-isomérase de type II (gyrase) diminue la valeur L et, par conséquent, surenroule négativement l’ADN et augmente sa réactivité.
Chez les eucaryotes, l’existence d’un surenroulement permanent de l’ADN n’est pas prouvée, du fait de la complexité de la structure chromatinienne.
3. Organisation de la chromatine
L’analyse de la structure et de la réactivité de l’ADN qui a été faite dans les paragraphes précédents n’est qu’une approximation, car elle suppose l’ADN isolé, nu. Or il est clair que, in vivo, l’ADN est associé à des protéines dans une structure plus ou moins condensée (compacte) qui est appelée chromatine. Un paramètre supplémentaire vient donc moduler la réactivité de l’ADN et permettre une sélection des gènes qui doivent être exprimés dans un type cellulaire donné: ce paramètre est le degré de compaction (de condensation) de l’ADN dans la chromatine. On sait qu’après la mitose les chromosomes bien visibles au microscope semblent disparaître complètement: en fait, la chromatine est toujours présente, mais sous une forme décondensée qui lui permet d’exprimer le programme cellulaire. Un pas décisif dans la compréhension de la structure chromatinienne a été franchi en 1974 grâce à la conjonction des efforts de plusieurs laboratoires et l’utilisation d’une variété de techniques allant de la microscopie électronique à la diffraction des neutrons, l’utilisation des nucléases dégradant l’ADN, le pontage chimique des histones et l’électrophorèse. L’organisation du nucléosome, unité structurale de la chromatine, a été élucidée. Cette structure, visible au microscope électronique sous la forme de «perles sur un fil», est constituée par l’enroulement d’une longueur d’ADN de 146 paires de bases en un tour trois quarts de spire gauche autour d’un noyau protéique: ce noyau, appelé «octamère», est constitué par l’association de deux exemplaires de chacune des quatre histones H2A, H2B, H3, H4. L’ensemble a un diamètre de l’ordre de 11 nm et une «hauteur» de 5,5 nm. Grâce à ce type de structure, la compaction de l’ADN atteint un facteur 6.
Le deuxième niveau de compaction de la chromatine est assuré par l’empilement des nucléosomes en un solénoïde dont le diamètre est de l’ordre de 30 nm. Cette structure est stabilisée par le cinquième type d’histone, l’histone H1. La compaction atteint un facteur 40.
Le troisième niveau de compaction est assuré par le repliement de la fibre de 30 nm en boucles, ou domaines topologiques fermés, d’une taille de 300 nm environ, et contenant de l’ordre de 40 à 100 kilobases d’ADN. Ces boucles sont ancrées sur une structure protéique baptisée «matrice nucléaire» dans le cas de la chromatine à l’interphase et «échafaudage» dans le cas des chromosomes métaphasiques. La compaction atteint un facteur 1 000.
Enfin, dans ce dernier cas, un quatrième niveau de compaction correspond à l’enroulement des boucles en une hélice de l’ordre de 700 nm de diamètre qui constitue un chromatide. Le degré de compaction total de l’ADN atteint ainsi plus de 10 000 dans la chromatine condensée. La question la plus importante est évidemment de savoir par quels mécanismes la réactivité de l’ADN peut s’exprimer dans un édifice aussi compact. Avant que ne soit connue la structure de la chromatine qui, au niveau du nucléosome et de la fibre de 30 nm, apparaît très monotone, on pensait que c’était l’arrangement des cinq histones en motifs variables sur l’ADN qui permettait de réguler l’expression des gènes pour un type cellulaire donné.
À l’heure actuelle, on a tendance à penser que cette régulation se fait plutôt à un niveau macroscopique, celui des boucles de chromatine, dont la décondensation sélective permettrait l’expression des groupes de gènes situés sur chaque boucle. On ne connaît pas actuellement les mécanismes qui permettent la décondensation de telle ou telle région de la chromatine; on peut toutefois supposer qu’ils agissent au moins à deux niveaux:
– Les histones peuvent être modifiées par adjonction de groupes chargés (acétylation, phosphorylation, ADP-ribosylation) qui perturbent leur interaction avec l’ADN. De plus, il existe d’autres protéines (non histones) dans la chromatine, dont la présence et les interactions avec les histones et l’ADN peuvent rendre compte des variations dans le degré de compaction de la chromatine et dans l’accessibilité de l’ADN aux machineries enzymatiques de transcription et de réplication.
– D’autre part, une hypothèse séduisante, mais qui n’est pas encore solidement établie, est que, par analogie avec les bactéries, la compaction des boucles serait régulée par le surenroulement de l’ADN qui les constitue et qui lui-même peut être modulé par la valeur de L, c’est-à-dire par les ADN-topo-somérases. On sait que le «chromosome» bactérien est également organisé en boucles ancrées sur des structures protéiques, que ces boucles sont effectivement enroulées in vivo et que le degré de surenroulement est modulé par l’activité des ADN-topo-isomérases de la bactérie. À l’appui de cette hypothèse est le fait que l’un des constituants majeurs de la matrice nucléaire des cellules eucaryotes est l’ADN-topo-isomérase II.
4. Modifications structurales de l’ADN lors de la réplication
La réplication de l’ADN consiste en la copie de la totalité de l’information contenue dans le génome d’un organisme vivant. On sait que ce processus se déroule selon un mode semi-conservatif, chacun des brins de l’ADN servant de modèle pour la copie du brin complémentaire. Ce mécanisme est beaucoup plus complexe que ne l’avaient pressenti Watson et Crick et nécessite l’intervention de nombreuses protéines spécialisées. Les travaux sur la réplication de l’ADN indiquent que le processus démarre en un point fixe appelé origine de réplication. La séquence de l’ADN au niveau de l’origine est capable d’induire des autoappariements qui sont vraisemblablement reconnus par des protéines chargées d’initier la réplication. Une fois l’origine de la réplication reconnue, le processus suppose une modification majeure de la structure de l’ADN, la séparation des deux brins. Quelles sont donc les interactions moléculaires qui permettent cette séparation? Lorsqu’on observe la double hélice d’ADN, on se rend compte que cette séparation nécessite: la rupture des liaisons hydrogène spécifiques entre les bases (G/C et A/T) fixées sur chacun des brins; la «rupture» des liens topologiques entre les deux brins, si l’ADN ne possède pas d’extrémité libre; la stabilisation et la protection de l’ADN simple brin apparu. Ces trois points correspondent précisément à l’existence de trois classes de protéines spécialisées.
La rupture des liaisons hydrogène entre les bases nécessite un apport d’énergie. Elle est réalisée par des enzymes baptisées hélicases. Celles-ci se fixent sur une région simple brin de l’ADN et progressent ensuite le long de ce brin en déplaçant l’autre brin de la double hélice. L’énergie est apportée par l’ATP, transporteur universel d’énergie pour la cellule. On pense que la fixation d’une molécule d’ATP sur l’hélicase provoque un changement de conformation de cette protéine, lui permettant de reconnaître la région double brin de l’ADN. L’hydrolyse de l’ATP restaure la conformation initiale de l’hélicase, produisant la force mécanique de séparation des brins.
Si l’ADN ne possède pas d’extrémité libre, les deux brins restent topologiquement liés (enchevêtrés), même si les liaisons hydrogène entre les brins sont rompues.
Pour supprimer les liens topologiques entre les deux brins, il est nécessaire de rompre transitoirement un seul ou les deux brins de l’ADN (cf. supra : Topologie de l’ADN). Comme on l’a vu, des enzymes, baptisées topo-isomérases, permettent, par leur activité de coupureermeture, de réaliser ce processus. Le mécanisme d’action de ces enzymes est, brièvement, le suivant: fixation de l’enzyme à l’ADN, rupture d’un lien phosphodiester (type I, coupure simple brin) ou de deux liens (coupure double brin, type II), passage d’un brin ou d’un duplex à travers la coupure, refermeture de l’ADN, et finalement recyclage de l’enzyme. L’énergie de la liaison phosphodiester rompue n’est pas perdue mais conservée par formation d’une liaison covalente entre une extrémité de l’ADN et une tyrosine de l’enzyme. Cela permet la ressoudure du lien phosphodiester et la libération de la topo-isomérase sans aucun apport extérieur d’énergie.
Des protéines non enzymatiques ont pour fonction de stabiliser l’ADN simple brin produit grâce à l’action des hélicases et des topo-isomérases. Ces protéines se fixent préférentiellement à l’ADN simple brin, alors qu’elles n’ont que peu d’affinité pour l’ADN double brin. Baptisées SSB (pour single strand binding ), elles couvrent entièrement l’ADN simple brin, le protégeant contre l’attaque des nucléases et empêchant son réappariement en double hélice ou la formation de structures dites secondaires par autoappariement. Grâce à l’existence d’interactions protéine-protéine entre les molécules de SSB couvrant l’ADN, la fixation de ces protéines sur l’ADN est coopérative: cela signifie que la fixation d’une première molécule de protéine favorise la fixation des suivantes, permettant ainsi une couverture complète de l’ADN.
Les mécanismes de séparation des brins que l’on vient de détailler s’appliquent aussi bien à la phase d’initiation de la réplication qu’à la phase d’élongation.
Enfin, la réplication d’un ADN circulaire fermé produit des molécules d’ADN qui restent topologiquement liées et qui nécessitent l’action d’une topo-isomérase pour être séparées.
On a jusqu’ici considéré dans ce paragraphe que l’ADN en cours de réplication était nu; or on sait que, chez les eucaryotes, l’ADN est associé aux histones dans une structure chromatinienne plus ou moins compacte. Pendant les phases G1 et S du cycle cellulaire, les chromosomes ne sont pas visibles et la chromatine est dans une forme décondensée, lui permettant d’être répliquée. La réplication d’un génome eucaryote de grande taille (3 . 109 paires de bases), soit à peu près 1 mètre d’ADN, ne se fait pas, comme c’est le cas chez les procaryotes, à partir d’une origine unique, mais au niveau d’unités de réplication d’une taille de 20 à 500 . 103 paires de bases appelées réplicons et possédant chacune une origine de réplication. Ces unités fonctionnent généralement par groupes (clusters) de réplicons dont la réplication est initiée en même temps. La taille des réplicons présente une certaine corrélation avec la taille des boucles (domaines topologiques) de la chromatine, sans qu’il soit évident, à l’heure actuelle, qu’un réplicon corresponde à une boucle chromatinienne.
Le passage de la fourche de réplication dans la structure chromatinienne suppose, d’une part, la dissociation de la fibre (solénoïde) de 30 nm, maintenue par l’histone H1, et, d’autre part, la dissociation des nucléosomes en amont de la fourche, et la formation de nouveaux nucléosomes sur les molécules néosynthétisées, en aval. Comme attendu, il en résulte une diminution de la vitesse de réplication qui n’est que de l’ordre de 50 nucléotides par seconde chez les eucaryotes, contre 1 000 chez les procaryotes.
A. D. N. ou ADN [ adeɛn ] n. m.
• mil. XXe; sigle
♦ Acide désoxyribonucléique, constituant essentiel des chromosomes, support matériel de l'hérédité. ⇒aussi épisome. Structure en double hélice de l'A. D. N. Constituants de l'A. D. N. ⇒ désoxyribose; nucléotide; purique, pyrimidique. Séquences d'A. D. N. ⇒ cistron; cluster. Puce à A. D. N. ⇒ biopuce. Virus à A. D. N. ⇒ adénovirus. — On trouve aussi l'anglic. DNA .
ÉTYM. Mil. XXe; sigle.
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♦ Biol. Abrév. Acide désoxyribonucléique (→ Adénine, cit.). — Syn. (anglic. déconseillé) : D. N. A. ou DNA [deɛna] (pour desoxyribonucleic acid).
0 On observe qu'au moment de la mitose la quantité d'ADN dans la cellule mère double par rapport à l'état normal.
A. Goudot-Perrot, Cybernétique et Biologie, p. 17.
Encyclopédie Universelle. 2012.