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PAKISTAN
PAKISTAN

Le Pakistan est né de la volonté des musulmans de l’Inde anglaise d’obtenir un «État séparé». La création de celui-ci a été réclamée dans les dernières années d’existence de l’Empire des Indes par la Ligue musulmane de Mohammed Jinnah, qui avait reçu des encouragements de la puissance colonisatrice, dans le cadre d’une politique qui consistait à «diviser pour régner». Trois grandes régions étaient caractérisées par des populations musulmanes particulièrement nombreuses: l’État du Nizam de Hyderabad, dans le centre-est de la péninsule indienne, le Bengale oriental, et l’ensemble du nord-ouest de l’Inde. La demande de rattachement de l’État de Hyderabad au Pakistan fut considérée comme absolument inacceptable par les dirigeants indiens, et une démonstration militaire courte mais vigoureuse aboutit rapidement à l’inclusion de la région dans l’Union indienne. Il n’en alla pas de même au Bengale et dans le Nord-Ouest, qui constituèrent en 1947 un État de structure paradoxale, puisque les deux parties qui le constituaient étaient séparées par plus de 1 500 km, et qu’elles avaient chacune des caractères propres bien affirmés. Ce premier Pakistan connut cependant plus de vingt ans d’existence; il ne disparut qu’en 1971, à la suite d’une révolte du Bengale, préparée d’ailleurs par des années de revendications des Bengalis, qui se considéraient comme les parents pauvres et maltraités de l’association. La sécession du Bengale aboutit à la séparation du Bangla Desh et du Pakistan actuel. Celui-ci forme un État puissant de 800 000 km2 environ, peuplé, en 1993, de 125 millions d’habitants. La fixation des frontières avec l’Inde fut difficile; des massacres et des déplacements de population revêtirent, au cours de l’été de 1947, un caractère tragique; d’autre part, la région montagneuse du Cachemire fut revendiquée par les deux pays, et elle est actuellement encore coupée par une ligne de cessez-le-feu, mal acceptée par les deux parties, entre l’Azad-Kashmir pakistanais et le Jammu et Cachemire indien.

1. Le milieu physique

Le Pakistan, dont la superficie est de 800 000 km2 environ et qui comptait environ 125 millions d’habitants en 1993, apparaît à bien des égards comme une marge du monde indien.

Par son relief d’abord, puisque – même sans tenir compte du Cachemire – le Pakistan pénètre au nord profondément dans le système himalayen occidental. Il atteint au nord-ouest la terminaison orientale de l’Hindou-Kouch (Hind -K ch) et englobe ainsi des reliefs très élevés. À l’ouest, la souveraineté pakistanaise s’étend sur les montagnes plus basses des confins afghans et iraniens. Cette avancée dans des régions très nettement étrangères au monde indien est un effet de la politique britannique de garantie des frontières et de création de marches sur les franges de l’Empire. La région la plus vivante et la plus peuplée, de très loin, est axée sur l’Indus et les quatre affluents qui constituent avec lui le «pays des cinq rivières», le Pendjab (ou Punj b). Il y a lieu de distinguer le piémont que constitue le Pendjab de la basse plaine de l’Indus, qui forme l’essentiel de la province du Sind.

Par son climat ensuite, qui se rapproche davantage des terres sèches des déserts iranien et arabe que de l’«Asie des moussons» proprement dite. En effet, la mousson d’été, courant aérien pluvieux, n’arrive sur le pays qu’après un long détour. Elle vient de la plaine du Gange et de la péninsule après avoir épuisé l’essentiel de son humidité; les perturbations formées dans la baie du Bengale, qui sont la source principale des pluies sur l’Inde, ne parviennent ici que rarement et toujours très affaiblies, si bien que les précipitations estivales sont très peu importantes, sauf sur le piémont himalayen. À cette latitude, l’hiver a des caractères différents de ceux qu’il présente en Inde. Même dans les stations basses, les froids nocturnes sont bien marqués. Les précipitations hivernales sont relativement abondantes : des vents d’ouest et des perturbations en provenance de la Méditerranée apportent des pluies et des neiges sur les reliefs de l’Ouest et jusque sur le piémont himalayen. Certes, les quantités précipitées restent assez faibles (70 mm à Rawalpindi en janvier, 60 mm à Chaman) et elles diminuent vite vers l’est (25 mm seulement à Lahore en janvier). C’est surtout du fait de l’extrême indigence pluviale de l’été que les stations les plus occidentales ont un maximum pluviométrique en hiver, ce qui leur confère un climat à régime de type «méditerranéen», très étranger au monde tropical. La sécheresse du climat est le caractère essentiel de la région. La carte des isohyètes montre bien que la majeure partie des piémonts et des plaines reçoit moins de 400 mm dans l’année et que la pluviosité n’atteint pas 200, voire 100 mm, sur d’immenses étendues. Considérée du point de vue de son climat, la région du bas Indus devrait être un désert. Mais l’Indus et ses affluents apportent les eaux abondantes descendues de l’Himalaya, si bien que les zones peuplées du Pakistan constituent la plus grande oasis du monde – cf. INDUS (fleuve).

Cadre structural et géologique

Le Pakistan se trouve séparé du craton indien par la vaste plaine alluviale de l’Indus et de ses tributaires. Toute la bordure nord-ouest du pays est occupée par la chaîne béloutche et ses prolongements nord-orientaux, cet ensemble se développant également en territoire afghan (cf. schéma structural). Cette chaîne, rameau méridional de l’édifice alpin, souligne en particulier le déplacement relatif vers le nord-est du bouclier indien, lors du serrage entre le bloc indo-gondwanien dérivant et l’Asie.

La chaîne béloutche

La chaîne béloutche se compose de deux festons qui se raccordent près de Quetta, après avoir respectivement tourné leur convexité vers le sud et vers l’est. La «fosse béloutche» se subdivise en un bassin oriental à dominante calcaire et un bassin occidental principalement détritique, accidentés de bombements et de fosses. On distingue ainsi d’est en ouest: un bassin épicontinental s’étendant sur le craton indien; l’avant-fosse de l’Indus, qui est séparée au sud par la cordillère (anticlinorium) d’Hyderabad ; puis le bombement axial, en forme de S, émettant vers le sud et l’est des prolongements (cordillère nord-sud de Las Bela, bordée à l’ouest par le sillon de l’Hingol; cordillère est-ouest de Sanjawi, flanquée par le sillon nord-sud de l’Urak et le sillon est-ouest de Chinjan); enfin, au nord-ouest du bombement axial, le bassin occidental, qui comprend le sillon de Panjgur-Pisin, la cordillère du Ras-Koh, le sillon de Mirjawa-Dalbandin et la cordillère du Chagaï (nord). En Afghanistan oriental, le bassin occidental se subdivise, en allant du sud-est vers le nord-ouest, en trois zones, qui se distinguent par leur stratigraphie et leur tectonique: zone de Khost, sillon et cordillère d’Altimour, zone de Kaboul-Azrao.

Le bassin oriental est rempli par plus de dix kilomètres de sédiments déposés depuis le Jurassique. Du Dogger à l’Oligocène inférieur dominent les calcaires et les schistes, avec de faibles intercalations détritiques venues de l’Himalaya, du craton indien ou de l’Afghanistan. Après les mouvements majeurs éocènes supérieurs-oligocènes, la région a connu une puissante sédimentation détritique continentale. Sur les cordillères, la sédimentation marine s’est arrêtée plus tôt (à l’Éocène inférieur à Sanjawi; au sommet de l’Éocène inférieur à Hyderabad).

Le long du bombement axial, la série marine est réduite, entrecoupée de discordances. Elle évoque une sédimentation s’effectuant au sein d’un chapelet d’îles en voie de plissement. Le terme le plus ancien est représenté par les calcaires du Permo-Trias.

Le bassin occidental est rempli par une série montant du Crétacé, détritique à faciès «flysch», au Quaternaire. En Afghanistan oriental, on retrouve des calcaires permo-triasiques, des schistes mésozoïques à radiolarites et ophiolites, puis un Nummulitique avec des conglomérats, des grès, des schistes, des flyschs et des calcaires. Le Néogène continental occupe des bassins intramontagneux. La phase majeure des plissements commencés au Crétacé supérieur se situe à l’Éocène supérieur-Oligocène.

D’importantes manifestations volcaniques, basaltiques ou andésitiques, se sont produites du Crétacé à l’Oligocène, atteignant leur paroxysme vers la limite Crétacé-Paléocène.

Les prolongements nord-orientaux de la chaîne béloutche

Plus au nord, la chaîne béloutche se prolonge par un nouveau feston, qui se raccorde brutalement, dans la vallée de la Jhelum, à l’Himalaya. Ce feston comprend, du sud vers le nord, la Salt Range flanquée du plateau de Potwar, les zones de Kohat et de Peshawar, puis l’Hazara et le Karakorum (Karakoram).

La Salt Range comporte une série du type de la bordure du craton indien, qui débute par le Cambrien gréso-salifère supportant quatre ensembles discordants: série calcaréo-gréseuse du Carbonifère au Trias; grès, schistes et calcaires jurassico-crétacés; calcaires et schistes paléocènes et éocènes; molasses mio-pliocènes. La zone de Kohat comprend, outre un peu de Permien, une série de grès, de calcaires et de schistes allant du Jurassique à l’Éocène, puis des molasses néogènes discordantes. La zone de Peshawar est encore mal connue. L’Hazara présente une série de type tibétain (cf. ASIE - Géologie, chap. 3) allant du Dévonien à l’Éocène, avec des discordances au Dévonien, au Carbonifère, au Trias et à la base du Paléocène, supportée par un complexe métamorphique. La partie axiale du Karakorum montre une série modérément métamorphique, allant du Carbonifère à l’Éocène inférieur, avec un Permien de type «Gondwana», traversée par des granites qui ont achevé de se consolider vers la limite Mio-Pliocène. La région de Gilgit, en revanche, reste mal datée, avec des séries schisto-calcaires ou volcaniques.

Les abords afghans

En Afghanistan, les festons montagneux précédents s’appuient contre des entités structurales, dont on peut résumer ici les caractéristiques essentielles. Leur paléogéographie est commandée depuis le Trias par le rejeu de plissements précambriens. L’axe cristallophyllien est-ouest des Afghanides sépare l’Hazaradjat du bassin sédimentaire du Turkestan et recoupe près de Kaboul les Ghaznévides nord-est - sud-ouest, limitant elles-mêmes à l’ouest la chaîne béloutche. Le contact entre ces derniers ensembles se fait par un grand décrochement, descendant du Pamir vers le sud-sud-ouest, via Kaboul, qui prend en écharpe la chaîne béloutche près de Quetta. Le tréfonds métamorphique des Ghaznévides se développe largement dans l’Hindou-Kouch avec des granites précambriens ou triasiques.

Dans l’est de l’Hazaradjat s’étend une fosse nord-est - sud-ouest remplie de deux mille mètres d’une série marine continue allant du Cambrien au Trias (schistes, calcaires et quartzites), qui repose sur un vieux socle précambrien. Des transgressions vers l’ouest-nord-ouest se sont produites à partir de l’axe de la fosse au Dévonien, au Carbonifère et au Permien. Un peu de Jurassique supérieur (Callovien) est connu localement. La région a été plissée au Crétacé inférieur et granitisée, comme le souligne la présence des conglomérats à Orbitolines barrémo-aptiens, discordants. Elle a subi de nouvelles déformations au Tertiaire et a été métamorphisée localement vers le début du Miocène. Il faut signaler également des granites postérieurs aux couches à Orbitolines et de puissants épanchements volcaniques au Néogène et au Quaternaire.

La partie occidentale de l’Hazaradjat reste moins bien connue, avec une épaisse série mésozoïque de type épicontinental, schisteuse, gréseuse ou calcaire, volcanisée notamment au Crétacé et se poursuivant dans le Paléocène. Des molasses néogènes discordantes la recouvrent, qui prennent une grande extension, ainsi que le Quaternaire, dans la dépression du Seistan.

Le bassin du Turkestan est rempli par une épaisse série marine épicontinentale, souvent littorale ou lagunaire, entrecoupée de discordances, montant du Trias au Néogène. Le Jurassique est représenté par des couches à plantes. Les déformations tectoniques sont faibles et le rameau alpidique ne se marque que par des plis plus ou moins déversés. Les mouvements majeurs semblent dater du Plio-Quaternaire. Des manifestations volcaniques se sont produites dans le Trias.

Les régions

La bordure montagneuse

La bordure montagneuse constitue, en marge du Pakistan, un monde à part, assez varié.

Au nord, la frontière avec l’Afghanistan est fixée le long de l’Hindou-Kouch, qui par ses altitudes supérieures à 7 000 m et sa tectonique présente des aspects proprement himalayens. C’est une région isolée, mal connue, où s’ouvre le bassin de Chitral. On retrouve encore les structures himalayennes dans les reliefs nord-sud entre l’Hindou-Kouch et la rivière de Kaboul, qui coule d’ouest en est vers l’Indus. Une trame est-ouest et une architecture différente apparaissent ensuite dans les reliefs de l’ancienne North-West Frontier Agency des confins afghans. Les altitudes sont plus faibles (seul le Sefid Koh dépasse 2 500 m) et la tectonique est caractérisée par des plissements assez simples affectant des terrains tertiaires et secondaires. De larges bassins coupent ces reliefs, tels que celui de Bannu et surtout celui de Peshawar. Ce dernier, sur la rivière de Kaboul, est situé au pied de la fameuse passe de Khyber (1 607 m), qui a toujours été une grande voie d’invasion de l’Inde.

Au sud de la Gumal commence le Bélout-chistan pakistanais. Dans sa partie septentrionale, il est formé de deux arcs montagneux, nettement séparés par une avancée de la plaine de l’Indus vers Sibi et soudés dans le «nœud de Quetta». L’aspect du relief est dû au travail de l’érosion dans des terrains du Crétacé et du Tertiaire. Les directions des arcs expriment celles des plis qui ont affecté ces roches. Les montagnes les plus élevées sont constituées par de vigoureux escarpements calcaires; elles atteignent et dépassent 3 700 m, notamment au nord de Quetta. Le paysage est très désolé, à cause de la sécheresse du climat. Les vallées s’ouvrent sur des bassins souvent assez étendus en formant de grands cônes surbaissés, lieux privilégiés pour l’installation humaine. Les chaînons de l’arc méridional (celui de Makran) divergent en éventail et s’abaissent vers l’ouest; on passe progressivement aux plateaux de l’Ouest, où les surfaces caillouteuses alternent avec les ensembles dunaires. Les rivières descendues des montagnes se perdent dans les dépressions à croûtes salines du désert de Kharan.

Le climat de la bordure montagneuse est marqué par la sécheresse. De décembre à mars, les vents d’ouest apportent des pluies assez faibles, de l’ordre de 25 à 50 mm par mois dans le Sud, un peu plus dans la partie centrale. L’Hindou-Kouch, cependant, est beaucoup plus arrosé. L’hiver est froid, à cause de l’altitude, de la latitude et de la continentalité: ainsi, à Quetta, situé à 1 800 m d’altitude, les températures nocturnes sont inférieures à 0 0C de novembre à février inclus. Après un printemps très sec et chaud (malgré l’altitude, la moyenne des maxima diurnes atteint 34 0C en juin à Quetta), l’été connaît quelques rares et faibles avancées de la mousson, dont les effets diminuent rapidement vers le sud et vers l’ouest. Las Bela enregistre en moyenne plus de 50 mm de précipitations en juillet; mais Nokkundi, pendant vingt ans, n’a pas reçu de pluies d’été.

Il n’est donc pas étonnant que cette région soit le domaine de l’agriculture irriguée et de l’élevage semi-nomade. L’aménagement le plus important est celui du bassin de Peshawar, où la rivière de Kaboul est fortement mise à contribution et où la construction du barrage de Warzak a régularisé les apports d’eau. Ailleurs, les techniques sont plus élémentaires et plus ponctuelles. La plus caractéristique est celle du captage de nappes souterraines dans les matériaux de piémonts par un système de galeries (karez ), dont la pente est inférieure à celle de la nappe et permet son exploitation. Ces karez sont creusés à partir de puits très nombreux, dont les alignements sont une marque typique du paysage aménagé.

Dans les oasis hautes, ombragées par des peupliers, les arbres fruitiers tempérés fournissent la production essentielle; sous les arbres, blé et pommes de terre sont les cultures dominantes. Dans les oasis basses, les palmiers-dattiers remplacent les peupliers, et les millets sont les principales céréales cultivées.

Des éleveurs surtout semi-nomades utilisent les maigres pâturages des steppes; ils cultivent la terre dans le haut pays et vont hiverner avec leurs troupeaux de chèvres et de moutons à queue grasse sur les marges des plaines de l’Indus.

Marche frontière, cette région montagneuse est peuplée de groupes humains qui ont gardé une solide organisation tribale et qui se retrouvent de part et d’autre des frontières iranienne et afghane, tels les Béloutches au sud et les Pathans (ou Pachtous) au nord. Il existe d’ailleurs chez ces derniers un certain nombre de mouvements autonomistes qui furent souvent encouragés par le gouvernement de Kaboul, ce qui créa des difficultés entre l’Afghanistan et le Pakistan.

Deux grandes voies de passage traversent cette région: celle qui relie l’Indus à Kandahar par la passe de Bolan et Quetta et celle qui emprunte la passe de Khyber au nord. Le long de ces voies s’élèvent les deux seules villes importantes de la contrée, Quetta (285 000 hab. en 1990) et Peshawar (555 000 hab.). La voie ferrée du Sud a permis l’exploitation de ressources minérales: pétroles, chromite et soufre.

On comprend donc que ces confins soient devenus une zone sensible aux fluctuations des relations entre le Pakistan et l’Afghanistan, et à l’évolution récente de ce dernier pays. Les montagnes sont affectées par la guérilla et servent de passage aux combattants, tandis que de très nombreux réfugiés afghans sont venus s’installer en bordure des plaines, souvent avec leurs troupeaux. Leur présence pose parfois des problèmes de coexistence avec les populations locales.

Le Pendjab

Le Pakistan inclut la plus grande partie (180 000 km2) de la province du Pendjab. Il s’agit morphologiquement d’un immense piémont construit par l’Indus et ses quatre affluents de la rive gauche: d’ouest en est, la Jhelum, la Chenab, la Ravi et la Sutlej. Ces puissantes rivières délimitent des do b en pente assez forte vers le sud-ouest. Les sols, limoneux ou légèrement caillouteux, sont relativement favorables à la culture; cependant, en raison de la sécheresse, la richesse du Pendjab est essentiellement une création humaine. Certes, il y a bien une bande arrosée en bordure de l’Himalaya, mais les quantités précipitées diminuent rapidement quand on s’éloigne de la montagne. Ainsi, s’il tombe une tranche d’eau de 855 mm à Rawalpindi, celle-ci n’est plus que de 500 mm à Lahore et de 200 à 300 mm dans les parties basses; ce n’est guère, si l’on songe à l’importance de l’évaporation. En effet, après un hiver aux nuits froides (moyenne nocturne de Lahore: 4,4 0C en janvier) mais aux journées chaudes (moyenne diurne de Lahore: 20 0C en janvier) commence en mars une saison très chaude et sèche; en juin, les maximums moyens de Lahore sont de 41 0C et le rafraîchissement nocturne est peu marqué (moyenne de 26 0C). Pendant la saison des pluies, les températures diurnes ne s’abaissent que faiblement.

Aussi n’est-il pas étonnant que le Pendjab ait été une région médiocrement peuplée avant les grands travaux d’aménagement de la fin du XIXe siècle. L’idée d’utiliser les eaux des rivières himalayennes est ancienne, mais les réalisations étaient restées jusque-là limitées. À partir des années 1860-1880, les ingénieurs britanniques effectuèrent un aménagement d’ensemble de la région qui l’a profondément transformée. On a d’abord multiplié les canaux d’inondation, qui étalent sur de vastes surfaces du piémont les hautes eaux estivales des cours d’eau; puis, la construction d’ouvrages assez considérables pour élever le plan d’eau a permis de rendre pérenne l’écoulement dans une grande partie de ces canaux, donc de disposer d’eau en hiver comme en été. Grâce à ces travaux, une véritable colonisation agricole du Pendjab a pu être accomplie. Les cultures d’hiver (cultures rabi ) portent essentiellement sur le blé et le gram, une légumineuse riche en protéines, tandis qu’en été l’on cultive un peu de riz, des millets et du maïs. La culture de la canne à sucre et du coton est également importante. La population a été installée sur des lots géométriques, relativement grands (de l’ordre de 10 ha), et elle a augmenté très rapidement. Ainsi, dans le district de Faisalabad (anc. Lyallpur), la densité de population est passée de 7 hab./km2 en 1891 à 293 hab./km2 en 1961. De plus, l’accaparement de la terre par des intermédiaires a été sensiblement plus faible au Pendjab qu’ailleurs, si bien que la région apparaît comme une zone plutôt prospère.

Sur les marges orientales, la mise en valeur a cependant été retardée. Il a fallu attendre les années soixante pour que l’irrigation du do b entre la Jhelum et l’Indus soit entreprise, notamment avec la construction du barrage Jinnah près de Kalabagh.

La forte densité de population, la modernisation de l’économie agricole, le passage dans le nord de la grande voie vers l’est qui prolonge celle de la plaine du Gange, tout cela explique que le Pendjab soit une région urbanisée et industrialisée. Il n’est guère de ville qui ne possède d’industries de transformation, et le Pendjab est la seconde région industrielle du Pakistan après Karachi. Deux villes émergent nettement: Lahore et Rawalpindi. Lahore, vieille capitale historique à l’architecture prestigieuse, groupait plus de 2,9 millions d’habitants en 1990; sa proximité de la frontière indienne a cependant empêché qu’elle devienne la capitale du Pakistan. Cette fonction est, depuis 1967, dévolue à une ville nouvelle, Islamabad (plus de 200 000 hab.), à quelques kilomètres de Rawalpindi (930 000 hab. en 1990), au croisement de la voie est-ouest (Great Trunk Road) et de la route de pénétration vers le Cachemire par la Jhelum.

Au moment de la partition, le Pendjab a été le théâtre de conflits sanglants: il a vu partir les Sikhs et affluer des réfugiés souvent très pauvres. De plus, l’alimentation en eau des canaux a été menacée, jusqu’à ce que le conflit soit résolu par le traité sur les eaux de l’Indus: cf. INDUS (fleuve).

Le Sind et Karachi

La basse plaine et le delta de l’Indus seraient un désert sans l’irrigation à partir du fleuve. En effet, le climat est sec et très chaud et la pluviosité est partout inférieure à 300 mm, parfois à 100. Les températures de l’été sont parmi les plus élevées du globe: à Jacobabad, la moyenne des maximums de juin est de 45,5 0C et elle reste de 30 0C pour les températures nocturnes.

On comprend donc que la seule partie vraiment active de la région soit l’énorme zone irriguée de 40 000 km2 qui a été créée grâce à l’Indus, par la construction des ouvrages de dérivation importants de Sukkur, Gudu et Ghulam Mohamad. L’agriculture est fondée sur le riz, les millets et, principalement, le coton en culture d’été et le blé en culture d’hiver. La répartition de la propriété est très inégale. Les métayers au tiers cultivant la terre de grands propriétaires sont extrêmement nombreux et assez misérables. La réforme agraire, tardive, qui a été tentée limite à 60 ha la propriété en régions irriguées, chiffre considérable pour le sous-continent indien (la limite a été fixée à 20 ha au Pendjab).

Karachi, établi sur la mer d’Oman, est le port du Pakistan. La ville a profité de l’importance de la culture du coton dans son arrière-pays, et surtout de la fonction de capitale qui a été la sienne de 1947 à 1959. De 360 000 habitants en 1941, sa population a crû très vite pour dépasser cinq millions d’habitants en 1981. Karachi a fait l’objet d’une concentration remarquable d’investissements de l’État pakistanais: bien que la ville ne rassemble que 2 p. 100 de la population du pays, elle a bénéficié entre 1955 et 1960 de plus de 50 p. 100 des investissements pour le logement et l’adduction d’eau. Karachi est donc non seulement un port actif, mais aussi le premier centre industriel du Pakistan. Le textile (coton) y joue un rôle important, ainsi que de multiples industries de transformation liées au port et à l’abondance des capitaux. Un feeder amène le gaz naturel de Sui, résolvant le problème de l’énergie et une aciérie est en construction. La ville, qui n’a guère de passé et a connu un développement rapide, est sans grand charme et le climat y est très dur.

2. Groupes ethniques et organisation sociale

La création du Pakistan en 1947 a eu pour cause immédiate le désir qu’éprouvait une importante fraction des musulmans de l’Inde britannique de former un État indépendant. Ce désir avait lui-même pour origine la conscience croissante qu’avaient les musulmans de l’Inde, avant la partition, de l’incompatibilité de la foi islamique avec des formes d’organisation sociale en grande partie indiennes; ces dernières, en effet, tendaient de plus en plus à être identifiées à la religion rivale, l’hindouisme. Cette opposition entre un ordre social islamique idéal et la société traditionnelle comportant de nombreux éléments indiens persiste toujours, et dans l’actuel Pakistan elle est encore renforcée par la localisation géographique du pays situé entre l’Inde à l’est et les sociétés musulmanes traditionnelles du Moyen-Orient à l’ouest.

Actuellement, les habitants du Pakistan sont en effet presque tous musulmans, conséquence directe du transfert massif de population qui a eu lieu en 1947; à ce moment, en effet, quatre millions de non-musulmans (hindous et sikhs) quittèrent ce pays pour l’Inde et furent remplacés par quelque six millions d’immigrants musulmans. Ainsi les musulmans représentent-ils 96,7 p. 100 d’une population estimée à 128 millions en 1993, le reste se composant de groupes dispersés d’hindous, appartenant pour la plupart aux castes inférieures, et d’une communauté chrétienne issue des conversions qu’obtinrent les missionnaires du XIXe siècle. Bien qu’il existe un certain nombre d’éléments sh 稜‘ 稜tes, la population musulmane est essentiellement sunnite et les différences entre les sectes ne comptent guère.

En dépit d’une industrialisation et d’une urbanisation croissantes, l’agriculture reste la première activité du pays, occupant encore près de 45 p. 100 de la population active. Alors que les villes du Pakistan témoignent d’une uniformité sociale générale, il existe des différences très marquées entre les sociétés rurales traditionnelles. Quatre régions distinctes, à savoir quatre aires culturelles anciennes différenciées par la langue, l’écologie et les coutumes, se sont unies en 1947 pour constituer le Pakistan occidental, essentiellement sur la base d’une population en majorité musulmane. Ce sont: le Pendjab (occidental), la province de la Frontière du Nord-Ouest (North West Frontier Province, ou N.W.F.P.), le Béloutchistan et le Sind.

Le Pendjab

Le Pendjab, dont la langue indigène est le panaj b 稜, est la principale région du Pakistan, tant par sa population que par son importance économique et politique. Bien que ce soit la zone qui a le plus souffert des conséquences de la partition et des échanges de population, la société rurale traditionnelle n’a pas subi de profondes transformations, le vide créé par le départ des non-musulmans ayant été rapidement comblé par les musulmans qui arrivaient de l’Inde.

Dans la société rurale pendjabie, le pouvoir politique et économique appartient aux propriétaires fonciers (zamindar ), qui sont surtout de petits paysans. Dans chaque village, les zamindar sont divisés en groupes fondés sur des liens de parenté que l’on appelle biradari . Chaque biradari est associé à des groupes semblables d’autres villages par les liens matrimoniaux, la femme quittant son village natal pour celui de son mari lors de son mariage. La réunion de biradari en vastes cercles de mariages endogames forme le groupement social réel le plus grand, dont l’importance est encore accrue par un système d’échange de cadeaux appelé vartan bhanji. Les propriétaires fonciers du Pendjab sont ensuite rassemblés en des entités plus vastes telles que «Jat» ou «Rajpoutes», dont on peut dire qu’ils sont des groupes tribaux lâches, mais qui ont une importance sociale minime. La classe des zamindar ne comporte pas de différence formelle de statut ni de pouvoir, le rôle de chef (lambardar ) dans un village reposant plus sur l’influence personnelle que sur des prérogatives attachées à la fonction.

Tous les autres groupes du village dépendent économiquement des zamindar ; on leur applique collectivement le terme de kammi («serviles»). Outre l’ensemble des ouvriers agricoles sans terre, les kammi comprennent des métiers comme ceux de barbier, laveur, forgeron...; chacun de ceux-ci forme normalement un groupe endogame, qui est uni aux familles de zamindar par des liens héréditaires (sep ) et payé par elles en nature ou en espèces. Ce système est donc analogue, pour l’essentiel, à celui qui existe dans les villages des régions limitrophes du nord de l’Inde, la différence principale étant qu’aucune valeur religieuse n’est plus attribuée à l’observance des interdits de caste. (Cependant, la loi de l’islam n’a pas encore réussi à extirper certains traits de la société indienne, tels que l’inégalité de traitement et de statut pour les groupes inférieurs, notamment les balayeurs.)

Une autre différence bien plus considérable avec la société indienne est l’absence de classe sacerdotale dans l’islam: l’officiant religieux local, imam ou mullah, dépend des zamindar comme les autres kammi .

Ceux qui jouissent du respect religieux sont surtout les saints héréditaires (pir ) qui sont généralement associés au tombeau d’un ancêtre faiseur de prodiges, le célibat n’étant pas une condition préalable à la sainteté dans l’islam. Les pir héritent de groupes de disciples chez qui ils se rendent tous les ans pour percevoir leur dîme. Il leur arrive également de servir d’arbitres neutres dans les querelles de villages.

La province de la Frontière du Nord-Ouest

Les Pathans de langue pashto (ou pachto), qui se répartissent entre le Pakistan et l’Afghanistan, constituent la principale ethnie de la province de la Frontière du Nord-Ouest. Au Pakistan, les Britanniques avaient établi une distinction entre les zones sédentarisées qui étaient placées sous administration directe – elles étaient axées sur la riche vallée de Peshawar – et les zones des tribus montagnardes administrées indirectement (indirect rule ). Cette distinction subsiste. Dans les montagnes, l’agriculture ne procure que de maigres ressources à une population relativement dense; le déficit était traditionnellement comblé par la guerre, par les razzias sur les caravanes et les populations sédentaires des vallées et par les indemnités que versaient les gouvernements des plaines pour s’assurer la paix, pratique qui continue encore.

L’objet essentiel de la société pathan était la guerre, dans laquelle des groupes de tribus à l’organisation assez lâche, conduits par un malik ou chef, rivalisaient et luttaient avec d’autres. De ces Pathans dépendent des peuples conquis et des groupes d’artisans spécialisés qui sont en fait des castes. Le code pathan (pakhtunvali ) fait de la vengeance un devoir très strict, que tempère seulement l’obligation d’accorder hospitalité, asile et sauf-conduit à ceux qui le demandent. Par cela, comme par le respect particulier qui entoure les chefs religieux charismatiques ou «saints», la société pathan rappelle de façon frappante des sociétés tribales analogues vivant dans d’autres parties du monde musulman, notamment au Maghreb. Les «saints» prennent une part active au règlement des différends, fonction qui est aussi celle des conseils de tribu (jirga ) dont le rôle a été renforcé par la politique britannique et pakistanaise de gouvernement indirect.

Tout en conservant des liens tribaux avec la zone des montagnes et tout en restant sentimentalement attachés au code tribal, les Pathans sédentarisés ont une organisation sociale qui se rapproche davantage de celle des régions voisines du Pendjab. L’importance plus grande des liens tribaux apparaît néanmoins dans le système traditionnel de rotation de la terre entre membres d’une même tribu; ce système (vesh ) est toutefois aujourd’hui abandonné. Les rapports entre les régions sédentarisées et les régions gouvernées par les tribus sont maintenus grâce à la migration des travailleurs vers la vallée: l’exemple le plus marquant est celui des groupes itinérants, dits powindah , qui, tous les hivers, descendent dans les plaines à la recherche d’emplois temporaires.

Le Béloutchistan

Le Béloutchistan, immense mais aride et à la population clairsemée, s’étend à la fois sur le Pakistan, sur l’Afghanistan et sur l’Iran.

À l’origine, les tribus de la région parlaient le brahoui, langue dravidienne isolée, mais maintenant elles ne se distinguent ni par leur langue (le bilinguisme s’est généralisé) ni par leur organisation sociale des tribus béloutches de langue baloutchi qui arrivèrent dans cette région il y a quelque cinq cents ans. Le mode de vie n’est pas identique à celui de la province de la Frontière du Nord-Ouest: l’élevage y a, par exemple, une importance accrue en raison d’une écologie différente; cependant, le système dans lequel des groupes sociaux inférieurs sont soumis à des tribus dominantes y prévaut également.

Une grande partie de la région a subi de même le régime du gouvernement indirect, exercé par l’intermédiaire des conseils de tribus. Mais l’organisation sociale des tribus béloutches et brahouies se distingue nettement de celle des Pathans, car elle est fortement hiérarchisée. À la tête de chaque tribu se trouve un chef héréditaire, appelé sardar ou tumandar , qui jouit d’un prestige tant semi-religieux que politique; chaque sardar a sous ses ordres une multiplicité de chefs subordonnés, eux aussi héréditaires.

Le Sind

Dans le Sind, la population, qui parle le sindhi, se trouve rassemblée au voisinage de l’Indus, où le développement de l’irrigation a rendu cultivables des surfaces de plus en plus étendues d’une contrée qui était auparavant un désert. Le système écologique général est analogue à celui du Pendjab, mais l’organisation sociale rurale présente des différences considérables. La principale réside dans la persistance de vastes propriétés, en dépit des réformes législatives touchant à la répartition des terres. Ces propriétés ont souvent à leur tête des Béloutches, descendants des maîtres du pays avant la conquête anglaise. Ainsi, à l’opposé de ce que l’on observe chez les paysans pendjabis, il règne un système plus féodal de propriétaires terriens possédant tenanciers ou serfs, l’accent étant mis sur les distinctions hiérarchiques correspondantes.

Une double dichotomie apparaît donc dans les organisations sociales des quatre grandes régions du Pakistan. La division la plus importante est celle qui distingue les zones régies par les tribus à l’ouest des sociétés agraires de paysans sédentaires à l’est; mais il existe aussi une division horizontale subsidiaire entre l’organisation relativement égalitaire des groupes prédominants dans les régions septentrionales du Pendjab et de la province de la frontière du Nord-Ouest d’une part, et l’organisation fondée sur la hiérarchie du Béloutchistan et du Sind de l’autre. Cependant, dans les quatre régions, encore qu’à des degrés divers, se manifeste une opposition entre le système tribal caractéristique du Moyen-Orient et le système de castes propre à la société indienne.

La société urbaine

On sait que la société urbaine traditionnelle du Pakistan a été profondément bouleversée en 1947 par l’exode d’un nombre considérable d’éléments non musulmans de la population urbaine, surtout dans la classe moyenne, et par un nombre tout aussi considérable de réfugiés musulmans venus s’installer dans les villes. Beaucoup de ces immigrants arrivaient des Provinces-Unies (United Provinces) de l’Inde britannique et parlaient l’ourdou; or l’ourdou, bien que langue régionale officielle du Pakistan, n’est la langue maternelle d’aucune partie de la population autochtone. Cela a contribué à accentuer la séparation entre ville et campagne, trait caractéristique des pays en voie de développement. On peut dire que les villes du Pakistan ont en réalité plus de caractères communs entre elles qu’avec la campagne environnante ou même que les régions rurales entre elles. Cette opposition est encore accrue par le fait que l’islam a toujours été une religion urbaine; l’observance des règles de l’islam est plus rigoureuse, par exemple en ce qui concerne la ségrégation des femmes, dans les villes qu’à la campagne.

Ce sont pourtant les villes, où sont naturellement concentrées l’élite et la classe moyenne, qui devraient normalement assumer les fonctions de direction. Si l’unité politique du pays est assurée sur une base viable, on peut prévoir un affaiblissement progressif des structures de la société rurale au profit de la structure urbaine plus largement fondée sur les classes sociales et on peut s’attendre à ce que ce processus entraîne une obéissance plus stricte aux règles de l’islam aux dépens des caractères «indiens» traditionnels de l’organisation sociale.

3. Vie politique et économie

Le Pakistan demeure mal connu et souvent méconnu, notamment dans les pays francophones. Or il s’agit d’un pays dont l’importance s’est accrue à plusieurs égards au fil des années et des événements.

La chute du sh h d’Iran au début de 1979 et l’entrée des troupes soviétiques en Afghanistan à la fin de la même année ont donné au Pakistan une position clé sur l’échiquier régional. À partir de 1985 s’amorce un processus de démocratisation qui se précipite avec les élections de 1988 et l’accession de Benazir Bhutto au pouvoir. Du point de vue économique, le Pakistan n’est pas encore entré dans la catégorie des nouveaux pays industriels, mais il fait partie du peloton suivant grâce à une croissance substantielle, depuis les années 1980 notamment. Enfin, avec plus de 120 millions d’habitants, le Pakistan constitue un pays de taille fort respectable.

La politique étrangère

Les relations que le Pakistan entretient avec son voisin indien constituent l’élément majeur de sa politique étrangère depuis 1947, tout en influençant le jeu mené par Islamabad avec le reste du monde. Au départ, l’affaire du Cachemire constitue la principale pomme de discorde même si le contentieux s’est alourdi par la suite d’autres dossiers épineux.

Selon les modalités définies par Londres, les souverains des États princiers liés à la Couronne britannique – et dont les territoires ne sont pas directement administrés par les Anglais comme les provinces – doivent opter pour l’Inde ou le Pakistan en 1947. De population en grande majorité musulmane, le Jammu et Cachemire est gouverné par un souverain hindou, qui diffère sa décision.

Quelques mois après l’indépendance, des tribus pathanes venues du Pakistan envahissent le Cachemire. Le maharaja opte alors pour l’Inde et réclame son aide, qu’elle s’empresse de lui fournir. Le conflit s’élargit lorsque l’armée pakistanaise intervient à son tour pour soutenir les tribus pathanes. Un cessez-le-feu est signé le 1er janvier 1949 avec le concours de l’O.N.U. L’Inde tient l’essentiel du territoire, notamment la florissante vallée de Srinagar. De son côté, le Pakistan occupe la frange ouest et le nord (Gilgit, Hunza, la majeure partie du Karakorum). Depuis lors, le Pakistan a essayé, à maintes reprises, de réouvrir le dossier. Mais l’Inde le considère comme clos en 1956, date à laquelle l’Assemblée législative de Srinagar a voté le rattachement définitif à New Delhi.

La politique pakistanaise se fixe dès lors comme objectif de renforcer sa position internationale. Le pays adhère en 1954 à l’O.T.A.S.E. (Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est) en pensant à l’Inde. Mais, pour les Américains, le pacte est destiné à contenir le communisme en Asie, danger considéré comme mineur par le Pakistan. De cette différence d’approche naîtront de graves malentendus avec les États-Unis.

Au moment de la deuxième guerre indo-pakistanaise en 1965 – elle se termine par un match nul –, les Pakistanais se plaignent amèrement de la passivité de Washington. Les Américains estiment en effet que l’O.T.A.S.E. n’a pas à s’immiscer dans ce genre de conflit. Bien plus, les États-Unis suspendent leur aide militaire au Pakistan et temporairement leur assistance économique (sauf les livraisons de grain) aux deux belligérants. Lors de la troisième guerre indo-pakistanaise, en 1971, les Américains soutiennent le Pakistan sur le plan diplomatique, mais ils ne lui apportent pas d’aide militaire.

Parallèlement à ces péripéties, le Pakistan élargit sa marge de manœuvre en se rapprochant de la Chine: appui politique de Pékin, livraisons d’armes chinoises, échanges commerciaux et assistance économique.

Après la sécession du Bangladesh, la politique étrangère du Pakistan entre dans une nouvelle phase. L’amitié avec Pékin demeure étroite. En ce qui concerne l’Inde, l’accord de Simla (1972), signé entre Indira Gandhi et le Premier ministre Bhutto, permet de régler les séquelles du conflit de 1971: retour des prisonniers de guerre pakistanais, reprise des relations diplomatiques et commerciales, début de rapprochement mutuel à plusieurs niveaux.

Le Premier ministre Bhutto prend ses distances à l’égard des États-Unis. Il fait sortir son pays des pactes militaires (O.T.A.S.E. et C.E.N.T.O., ex-pacte de Bagdad), ce qui lui permet de jouer un rôle en vue au sein des pays non alignés. La méfiance entre Washington et Islamabad s’accentue en 1976, lorsque les États-Unis multiplient les démarches pour prévenir les risques de voir le Pakistan fabriquer la bombe atomique. C’est dans ces circonstances que la France renonce à livrer une usine de retraitement d’uranium.

Le Pakistan se montre très actif au sein du monde islamique. À l’amitié ancienne qui le liait à l’Iran s’ajoutent des relations toujours plus étroites avec l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe, pour différentes raisons. Manquant de pétrole, le Pakistan est durement touché par les hausses de prix en 1973 et 1979. Celles-ci sont en partie compensées par les crédits des pays producteurs. En même temps, de nombreux Pakistanais vont travailler au Moyen-Orient. Le gouvernement pakistanais envoie également des instructeurs militaires dans plusieurs pays arabes et même des troupes en Arabie Saoudite. Après l’arrivée au pouvoir du général Zia ul Haq (1977), la vague d’islamisation qu’il déclenche est évidemment encouragée par ce dernier pays et crée des liens supplémentaires entre les deux États. Rappelons que, de son côté, l’Inde tend, en partie par réaction, à se rapprocher de l’U.R.S.S. qui pousse ses pions dans la région pour contrer les États-Unis.

Le Pakistan ne néglige pas pour autant d’autres puissances. Il entretient des relations cordiales avec la France. Bien qu’il quitte avec éclat le Commonwealth au moment de la guerre du Bangladesh, il renoue par la suite de bons rapports avec Londres et rentre dans le Commonwealth en 1989.

Lorsque le général Zia ul Haq prend le pouvoir par un coup d’État en 1977 et, deux ans plus tard, lorsque est exécuté l’ancien Premier ministre Bhutto, la cote internationale du Pakistan tombe au plus bas. Or deux événements majeurs vont transformer le Pakistan en un pays clé de la région, sollicité et appuyé par les pays occidentaux, les pays arabes, le Japon. Au début de 1979, le sh h d’Iran, fidèle ami des Américains, est renversé et, à la fin de la même année, les troupes soviétiques entrent en Afghanistan. Des accords portant sur une importante aide économique et militaire sont signés avec les États-Unis. L’aide économique des autres pays occidentaux et des pays arabes s’accroît. En même temps, le Pakistan accueille de manière exemplaire environ trois millions d’Afghans, ce qui lui vaut d’autres soutiens matériels destinés aux réfugiés et le respect de la communauté internationale.

Islamabad aide les mouvements de résistance et canalise les livraisons d’armes qui leur sont destinées, en provenance notamment des États-Unis, de la Chine, des pays arabes. Les diplomates pakistanais jouent un rôle de premier plan dans l’accord signé à Genève (14 avr. 1988), avec le gouvernement de Kaboul, avec la garantie des États-Unis et de l’Union soviétique. Cette dernière s’engage à retirer son corps expéditionnaire (environ 110 000 hommes) avant le 15 février 1989. Depuis lors, la situation est devenue singulièrement fluide. D’innombrables tractations sont entreprises, de la part des supergrands, des mouvements de la résistance, du Pakistan. Quant à l’Iran qui, du fait de la guerre du Golfe, avait joué un rôle effacé, il a fait sa rentrée sur le théâtre diplomatique à partir de la fin de 1988. Non seulement il abrite deux millions de réfugiés environ, mais il resserre ses liens avec les divers mouvements afghans au Pakistan et en Iran.

D’autres événements significatifs surviennent au cours de 1988, marquant l’amorce du déblocage d’une situation longtemps figée. Tout d’abord intervient le rapprochement entre les deux supergrands dont les prolongements se manifestent non seulement par le retrait des troupes soviétiques, mais par d’autres données.

Pendant des décennies, la constellation politique s’était cristallisée dans le réseau suivant: le Pakistan entretenait des relations étroites avec les États-Unis et la Chine, face à l’Inde liée par un traité d’amitié avec l’U.R.S.S. et en mauvais termes avec la Chine, à la suite du conflit relatif aux frontières de l’Himalaya (en 1962, les troupes indiennes avaient essuyé une cuisante défaite de la part de l’armée chinoise).

À partir de 1988, l’échiquier s’est mis à bouger: rapprochement entre Moscou et Pékin, dégel New Delhi-Pékin à la suite de la visite de Rajiv Gandhi en Chine (déc. 1988).

Quant aux États-Unis et à l’Inde, leurs relations se sont sensiblement améliorées depuis l’arrivée au pouvoir de Rajiv Gandhi (nov. 1984). Les premiers participent plus activement au développement de la seconde. Ils ont approuvé les interventions de l’armée indienne à Sri Lanka (1987) pour mettre un terme à la guerre civile entre Tamouls et Cinghalais et l’envoi de parachutistes indiens (1988) aux Maldives pour sauver le gouvernement d’une tentative de coup d’État.

Les intérêts des différentes parties se trouvent modifiés. Pour les Soviétiques, l’Inde perd de son importance en cas de rapprochement durable avec Pékin. Aux yeux de Washington, le rôle du Pakistan devient moindre du fait du retour de la paix en Afghanistan. De même, l’amélioration des relations entre l’Inde et la Chine peut affecter la politique chinoise à l’égard d’Islamabad.

Ces mouvements ont des effets bénéfiques pour l’Inde et le Pakistan, dans la mesure où les interférences des puissances extérieures à l’Asie du Sud se trouveraient atténuées; car le contentieux indo-pakistanais a été aggravé par les manœuvres des supergrands pendant de longues années.

Depuis la fin des années 1970, des changements sont apparus dans les relations indo-pakistanaises. Du côté pakistanais, on se rend compte que de nouvelles aventures militaires pour régler la question du Cachemire seraient vouées à l’échec. Sans renoncer à leurs revendications, beaucoup de Pakistanais éclairés estiment que leur pays aurait intérêt à épurer les autres dossiers conflictuels. Du côté indien, le souci de se rapprocher du Pakistan est manifeste chez certains hommes politiques et plusieurs hauts fonctionnaires.

De part et d’autre, les budgets militaires imposent des charges toujours plus lourdes. Les tensions et récriminations ne profitent à personne: accusations mutuelles d’interférences dans les affaires de l’autre (troubles du Panjab indien, tensions dans le Sind), problèmes nucléaires du Pakistan (les Indiens comme les Américains soupçonnant le Pakistan de fabriquer la bombe atomique, ce que démentent les autorités d’Islamabad), combats sporadiques pour se disputer le glacier de Siachen à 6 000 mètres d’altitude dans le Karakorum...

Parallèlement à cette évolution des esprits, Indiens et Pakistanais réapprennent à se connaître: on ne compte plus, depuis quelques années, les échanges de visites de tout ordre: délégations officielles, conférences scientifiques, échanges culturels, rencontres privées...

Cette évolution est renforcée par la South Asian Association for Regional Cooperation (S.A.A.R.C.) créée en 1981 et qui regroupe Bangladesh, Bhoutan, Inde, Maldives, Népal, Pakistan, Sri Lanka. Cette organisation a progressé à très petits pas. Mais l’atmosphère s’est considérablement réchauffée lors du sommet qui s’est tenu à Islamabad à la fin de décembre 1988. Rajiv Gandhi et Benazir Bhutto ont eu de larges et très chaleureux entretiens, l’un et l’autre appelant à la détente et à l’amitié. Tous deux incarnent les nouvelles générations qui n’ont pas connu les drames du partage de l’Empire des Indes. Tous deux et beaucoup d’autres représentants des élites indienne et pakistanaise se réclament d’un esprit pragmatique, peu enclin aux passions idéologiques.

Ce premier pas, néanmoins, ne conduit pas à l’euphorie, car les obstacles restent de taille, même pour régler les litiges autres que celui du Cachemire. Les vieux démons qui ont déchiré le sous-continent ne sont pas morts. Les pêcheurs en eau trouble, les politiciens douteux sont, dans chaque pays, capables de pousser, par opportunisme, à la surenchère nationaliste, accusant leurs leaders de trahir les «intérêts sacrés» de la nation. Or ni Rajiv Gandhi ni Benazir Bhutto ne se trouvent dans une position qui les met à l’abri de telles manœuvres. C’est dire que la situation intérieure de chaque pays a une incidence sensible sur l’heureuse évolution amorcée entre les deux Premiers ministres.

Les deux Pakistan

Avec autant de ténacité que de mérite, le Pakistan gagne la première manche: il réussit à survivre. Créé de toutes pièces, contrairement à l’Union indienne qui hérite des structures existantes, et beaucoup moins bien doté en cadres que cette dernière, il parvient, en quelques années, à mettre en place un État. Cette phase sera brève: le fondateur du pays, Mohammed Ali Jinnah meurt en septembre 1948, treize mois après l’indépendance. Son fidèle lieutenant, l’intègre et capable Liaqat Ali Khan, tombe sous les balles d’un terroriste en 1951.

Une période d’instabilité commence, marquée par les intrigues et les rivalités des partis, les luttes entre Panjabis, Sindhis, Pathanes et réfugiés de l’Inde. Les tensions entre les deux Pakistan s’avivent; les Bengalis, pourtant majoritaires, se plaignent d’être dominés par les Pakistanais occidentaux.

En octobre 1958, à la suite d’un coup d’État sans effusion de sang, le général Ayub Khan, commandant en chef de l’armée, prend le pouvoir. Avec bon sens et fermeté, il remet les affaires publiques en ordre, enraye corruption et marché noir, met au pas les politiciens douteux. Le 1er mars 1962, la nouvelle constitution instaure un régime fort, de type présidentiel. Seuls les conseils de village sont élus au suffrage universel, les autres conseils, y compris l’Assemblée nationale, reposant sur le suffrage indirect. Modérément autoritaire, bien que la presse et les partis politiques soient soumis à des limitations, le système fonctionne tout d’abord de manière satisfaisante. Il s’accompagne d’un net essor de l’économie dans les deux parties du pays, au point qu’en 1965 des étrangers trop enthousiastes parlent même du «miracle pakistanais».

Or précisément, dès cette date, le système se dégrade. La brève guerre indo-pakistanaise annonce le commencement de la fin. La hausse du budget militaire qui en résulte affecte l’économie. La scène politique s’agite. Le président Ayub s’entoure de flatteurs, sa santé décline, la corruption repart de l’avant. À l’Ouest, le jeune Zulfikar Ali Bhutto quitte le gouvernement. Au Pakistan oriental, le mécontentement augmente à nouveau. Dans le monde ouvrier, à Karachi et Lahore, les revendications s’amplifient.

Désordres et troubles vont crescendo jusqu’en mars 1969, date à laquelle Ayub démissionne. Il cède la place à un autre militaire, le général Yahya Khan, qui instaure à nouveau la loi martiale et réussit à rétablir le calme: d’importantes concessions sont faites aux Bengalis, d’autres satisfont au moins temporairement les ouvriers. Point capital, pour la première fois depuis la création du Pakistan, des élections ont lieu au suffrage universel. L’Assemblée devra élaborer une nouvelle constitution.

Les élections se déroulent dans des conditions régulières et donnent la victoire, à l’Est, à la Ligue Awami du Sheikh Mujibur Rahman, et, à l’Ouest, au Pakistan’s People Party (P.P.P.) d’Ali Bhutto. Le conflit entre les deux parties du pays entre alors dans sa phase ultime. Les Pakistanais de l’Ouest n’admettent pas de se voir dominer par le Sheikh Mujibur dont le parti est majoritaire à l’Assemblée nationale. Mujibur revendique pour le Bengale oriental une autonomie qui va extrêmement loin. Les incidents se multiplient tant et si bien que l’armée pakistanaise intervient massivement et très brutalement à Dacca, capitale de la province, dans la nuit du 25 au 26 mars 1971.

Répression, guérilla, exode de 10 millions de Bengalis en Inde marquent l’année 1971. Finalement, la guerre éclate le 3 décembre entre l’Inde et le Pakistan, qui capitule à Dacca quelques semaines plus tard.

Un conflit larvé, puis ouvert oppose Pakistanais occidentaux et Bengalis de l’Est. En 1947, la partie orientale partait d’un niveau beaucoup plus bas que la partie occidentale, en termes d’élites, d’urbanisation, d’infrastructures, de développement économique. Son expansion allait, de ce fait, se révéler plus lente. De plus, les cadres hindous bengalis partis en Inde devaient être inévitablement remplacés par les Pakistanais occidentaux ou des réfugiés de l’Inde.

Jusqu’à l’arrivée au pouvoir d’Ayub Khan, les efforts pour combler les écarts sont limités. Ils s’accentuent peu à peu. Mais, au moment où le général Yahya Khan va encore plus loin, il semble que la confiance ne soit plus du côté oriental. Objectivement, force est de reconnaître que le divorce était devenu inévitable et souhaitable pour les deux pays. Pour le Pakistan occidental, le Bengale oriental devenait une charge, et les avantages qu’il avait retirés des exportations de jute (de l’Est) perdaient de leur poids à la suite des progrès des exportations de l’Ouest. Pour les Bengalis, le divorce était préférable au maintien de l’union avec un partenaire lointain et si différent par sa culture, ses langues et ses intérêts. En revanche, toutes les séquelles des conditions très brutales de la rupture ne sont pas encore effacées au Bangladesh.

La politique générale

L’ère Bhutto

Zulfikar Ali Bhutto, esprit brillant et homme prestigieux, hérite d’un lourd passé. Il va devoir redonner confiance à son pays, trouver les formules adéquates pour affermir la cohésion nationale du nouveau Pakistan, réduire les tensions sociales, relancer une économie en perte de vitesse.

Les élus de 1970 adoptent en 1973 une nouvelle constitution selon laquelle le Premier ministre dirige l’État au nom du président de la République. Avec son cabinet, il est responsable devant l’Assemblée nationale dont les membres sont élus au suffrage universel. Chaque province élit son assemblée locale, mais le gouverneur de province, désigné par le président, représente ce dernier face au pouvoir provincial.

Grâce à son habileté, à son énergie, à son talent pour haranguer les foules, Ali Bhutto, devenu Premier ministre, réussit à remettre l’État sur pied. Très vite, néanmoins, les anciennes fissures vont se rouvrir. Rivalités et tensions se traduisent au Balouchistan par des mouvements de sécession très rudement réprimés par l’armée. La North-West Frontier Province (N.W.F.P.) est secouée d’autres turbulences. Dans le Sind et le Panjab, où le P.P.P. est majoritaire, la situation reste relativement calme. Derrière la façade démocratique, le Premier ministre règne en maître et ne supporte guère la critique. La police est doublée de services spéciaux dont les activités vont loin: arrestations arbitraires, élimination des opposants les plus dangereux.

Sur le plan économique, la politique populiste ne sera pas un succès. Les avantages sociaux accordés aux ouvriers seront vite absorbés par l’inflation. La nouvelle réforme agraire donne des résultats limités. Les entreprises nationalisées tournent à perte. Quant à la corruption, elle continue à se bien porter même sous des couleurs socialistes. Il faut néanmoins souligner un trait positif de l’ère Bhutto. Par ses discours enflammés aux masses, ses critiques acerbes des gros propriétaires et des industriels, le Premier ministre a au moins donné aux pauvres le sens de leurs droits, et de leur dignité. Après Bhutto, le petit paysan, l’ouvrier se montrent moins dociles et cela pour des raisons en général fort justifiées.

Malgré le mécontentement et les tensions locales, le P.P.P. aurait probablement gagné les élections de 1977. Or celles-ci ont été truquées, ce qui suscite agitation et émeutes dans les villes. De nombreux partis laïques et religieux descendent dans la rue. L’armée doit intervenir pour rétablir l’ordre. Finalement, le général Zia ul Haq prend le pouvoir par un coup d’État et instaure la loi martiale. Là-dessus, à la suite de la découverte fortuite d’un tueur des anciens services spéciaux, Zulfikar Ali Bhutto est arrêté et condamné à mort, au terme d’un très long procès, pour avoir fait exécuter un de ses ennemis politiques. Il est pendu en avril 1979. Si les conditions du procès et l’opportunité politique d’exécuter la sentence font encore l’objet de controverses, bon nombre de Pakistanais intègres ne doutent pas de la culpabilité du Premier ministre.

L’ère Zia

Alors que le premier coup d’État militaire (Ayub Khan, 1958) avait été accueilli avec soulagement et une vive satisfaction par la grande majorité de l’opinion publique, «on se résigne» à celui du général Zia ul Haq. D’une part, le jeu des politiciens n’a pas été très édifiant, d’autre part, beaucoup de Pakistanais sont las des régimes autoritaires, sentiment qui va se renforcer au fil des années et qui fait partie de ce mouvement de fond que l’on ressent dans pratiquement toute l’Asie au cours des années 1980: le rejet des dictatures civiles ou militaires.

Sous une allure bonhomme, le général Zia se révèle un très habile tacticien. Devenu président de la République, il procède à des amendements de la Constitution pour renforcer ses pouvoirs au détriment de ceux du Premier ministre. Le poids de l’armée est très lourd. Les principaux généraux suivent de près les affaires du pays. Beaucoup d’officiers supérieurs quittent l’armée pour assurer des fonctions civiles de tout genre: administration, entreprises nationalisées, diplomatie, etc. De son côté, la corruption ne cesse de croître, malgré les exhortations du président Zia. Les anciens canaux d’argent noir s’élargissent sous l’impact de la drogue. La guerre d’Afghanistan provoque dans ce pays et dans les zones frontières du Pakistan la montée en flèche de la culture du pavot et de la fabrication d’héroïne écoulée, via le Pakistan, sur le marché mondial.

Le chef de l’État s’efforce de réconcilier la nation vis-à-vis d’elle-même. Adoptant une attitude modérée, il rétablit le calme au Balouchistan. Plus délicate est la position du Sind où, en 1983, les grands propriétaires lancent une campagne d’agitation durement réprimée par l’armée.

Le régime est certes autoritaire, des opposants sont mis en prison de manière arbitraire, la presse est soumise à la censure, mais l’économie progresse à une cadence fort honorable et le niveau de vie s’améliore même pour beaucoup de petites gens. La politique économique pragmatique du président Zia porte ses fruits, l’aide étrangère est substantielle et les travailleurs pakistanais affluent dans le Golfe sous l’effet du boom pétrolier. Ils envoient leurs économies dans leurs foyers.

Musulman pratiquant, le président Zia favorise l’islamisation de l’État, revendication très ancienne des mouvements religieux qui s’était renforcée lors des émeutes anti-Bhutto à qui on reprochait son occidentalisation. De nombreuses réformes sont instaurées en matière juridique, fiscale, bancaire. Ainsi le prêt à intérêt est en partie remplacé par un système de partage des profits et des pertes. Néanmoins, la ligne suivie est relativement modérée dans le contexte général de l’intégrisme. Zia n’impose pas le port du voile aux femmes. Aucun voleur n’aura la main coupée.

Le processus d’islamisation rencontre de grosses difficultés lorsque les législateurs passent des principes à leur application. Alors apparaissent de sérieuses tensions, car rites et coutumes varient entre les nombreuses confessions: sunnites (la grande majorité), shiites (de 15 à 20 p. 100), wahhabites, tenants de diverses écoles (Deoband, Barelvi). Des affrontements violents ont lieu de manière sporadique. À certaines époques, le militantisme iranien a des retombées sur les shiites pakistanais.

On peut finalement se demander si cette politique a beaucoup aidé le président Zia. Dans le peuple, bien des gens haussent les épaules quand on les interroge: «Ça vient de la bouche seulement... ce sont des mots», disent volontiers les paysans.

À partir de 1985, le président Zia sent qu’il faut lâcher du lest. Il amorce un processus de démocratisation. Des élections à l’Assemblée nationale et aux assemblées provinciales ont lieu dans des conditions correctes dans l’ensemble, mais les partis ne peuvent faire campagne en tant que tels. Pour cette raison, le P.P.P. boycotte les urnes. Peu après, la loi martiale est levée. Le Pakistan se trouve alors à un stade intermédiaire entre la démocratie parlementaire et la dictature. La presse devient plus libre. L’Assemblée n’est pas une simple chambre d’enregistrement. Les civils, dont le Premier ministre Mohammed Khan Junejo et les membres du cabinet, gagnent du poids. Néanmoins, le processus a des limites qu’il ne faut pas dépasser.

Ce processus graduel subit une sérieuse secousse en 1988. Le président Zia dissout l’Assemblée nationale et renvoie le cabinet le 29 mai, annonçant de nouvelles élections (mesures constitutionnelles). Il justifie son geste par trois raisons: l’islamisation avance trop lentement, la corruption est en hausse, l’ordre public en baisse et les caisses de l’État sont vides. Dans les couloirs du pouvoir d’autres arguments sont avancés, tels que des dissensions entre civils et militaires.

Quelques mois plus tard (17 août), l’avion du président s’écrase au sol dans des conditions mal éclaircies. Le président du Sénat, Ghulam Ishaq Khan, assure l’intérim. Ancien haut fonctionnaire, c’est l’exemple type de ces grands commis pakistanais, attachés au service de l’État, faisant preuve de rigueur et d’honnêteté. Il confirme la date des élections et autorise les partis à faire campagne en tant que tels.

Les élections ont lieu le 16 novembre 1988 dans le calme et sans abus. Le P.P.P. obtient 92 sièges sur 207 à l’Assemblée nationale contre 54 pour l’Alliance démocratique islamique qui regroupe plusieurs partis autour de la Ligue musulmane, le parti qui soutenait le président Zia. Les autres sièges se répartissent entre divers petits partis. Au niveau provincial, le P.P.P. l’emporte dans le Sind et forme le gouvernement. Il constitue le cabinet avec d’autres partis dans la N.W.F.P. Au Balouchistan, l’Alliance et le P.P.P. constituent un fragile gouvernement de coalition. Reste le puissant Panjab, où l’Alliance, majoritaire à l’Assemblée, assure le pouvoir exécutif. Une autre caractéristique de ces élections tient à l’absence de différences tranchées entre les programmes des partis. L’extrême gauche continue, comme depuis 1947, à briller par son absence. Les partis religieux font un score médiocre. En fait, le profil social des assemblées n’a guère changé par rapport aux élections de 1970 et de 1985. Propriétaires fonciers, hommes d’affaires et autres notables sont dominants. En revanche, on remarque beaucoup d’hommes nouveaux et jeunes, tandis que plusieurs politiciens chevronnés de l’Alliance et du P.P.P. n’ont pas été élus.

Après diverses tractations, Benazir Bhutto est appelée par le président ad interim à former le gouvernement. Puis l’Assemblée nationale élit Ghulam Ishaq Khan comme président. Durant toutes ces péripéties, les militaires restent dans leurs casernes, tout en suivant de très près les événements et en participant aux discussions.

Benazir Bhutto

Jeune, accédant au pouvoir à trente-cinq ans, brillante et déterminée, Benazir Bhutto a connu une jeunesse dorée, puis une vie très dure et douloureuse marquée par l’exécution de son père, des phases d’emprisonnement, d’exil.

La situation qui découle des élections est assez particulière, en ce sens qu’aucun des principaux groupes d’acteurs ne dispose d’une grande marge de manœuvre. Le P.P.P. a besoin du soutien d’autres partis à l’Assemblée nationale et sa liberté d’action est limitée par la victoire de l’Alliance au Panjab. Cette dernière pèse assez lourd pour que le P.P.P. doive en tenir compte. P.P.P. et opposition ont intérêt de surcroît à éviter les affrontements susceptibles de dégénérer en graves désordres, car l’armée pourrait alors ressortir de ses casernes, éventualité qui suscite l’hostilité quasi unanime des Pakistanais, toutes formations politiques confondues. Quant aux militaires, ils hésiteraient sans doute à redescendre dans l’arène politique, car leur intervention serait encore plus malaisée à faire accepter que celle de 1977.

Sur la scène internationale, l’image du Pakistan s’est considérablement améliorée à la suite des élections. Un retour en arrière serait mal vu des Américains dont l’influence n’est pas négligeable.

Benazir Bhutto mesure la complexité de l’échiquier sur lequel elle doit jouer: mesure, modération, pas de retour au populisme de son père, souci de ménager les autres parties, y compris l’armée.

Aux jeux classiques de la politique s’ajoutent des problèmes délicats qui mettent en cause l’édification de la nation, processus qui, dans un État entièrement nouveau comme le Pakistan, représente une œuvre de longue haleine pour surmonter les rivalités, antagonismes et conflits d’intérêts. Les Panjabis par leur nombre (près de 60 p. 100 de la population totale), par leur poids dans l’armée (80 p. 100 des effectifs) et dans l’administration, par la prospérité de leur province (déjà sous les Britanniques) font naturellement beaucoup d’envieux dans les trois autres provinces, mais ce n’est pas tout. Les Sindhis se plaignent des Muhajirs, les réfugiés venus de l’Inde ayant fait souche à Karachi, ville qu’ils dominent complètement et où ils ont créé la plupart des industries modernes. Karachi est aussi le théâtre de troubles entre une très forte émigration de Pathanes, main-d’œuvre non qualifiée, et les Muhajirs. Au Balouchistan, des frictions se produisent entre Balouchis et Pathanes. Quant à ces derniers, dans la N.W.F.P. et dans les Tribal Areas (zones très largement autonomes), ils n’ont pas perdu leur humeur turbulente.

Sur cette toile de fond se greffent les retombées de la guerre d’Afghanistan: la drogue, devenue fléau national, et les détournements d’armes qui, au lieu d’aboutir dans les mains de la résistance, finissent dans celles de brigands ou de politiciens véreux.

Contrainte de ménager l’armée et les ulémas, mécontents de voir une femme Premier ministre, Benazir Bhutto perd la bataille que lui livrent un président disposant de grands pouvoirs et le chef de l’opposition, Mian Nawaz Sharif. Ghulam Ishaq Khan la destitue le 6 août 1990 et l’Alliance remporte les élections législatives des 24-27 octobre 1990. Nawaz Sharif forme un gouvernement qui a le soutien de l’armée. Mais président et Premier ministre s’opposent à leur tour et démissionnent l’un et l’autre en juillet 1993. Les élections d’octobre ramènent Benazir Bhutto au pouvoir et Farooq Leghari, un de ses proches, devient président en novembre.

Le point de départ économique

L’héritage de l’époque précoloniale et les effets du régime britannique se combinent pour produire un tableau riche en contrastes. Le bassin de l’Indus constitue le plus grand ensemble irrigué du monde grâce aux travaux des Britanniques: plaine de Peshawar centrée sur la rivière Kaboul, réseaux de canaux interconnectant les cinq affluents de l’Indus au Panjab, irrigation de type nilotique dans le Sind. Ces travaux s’accompagnent de la construction d’une importante infrastructure ferroviaire et routière, de nombreuses villes et de gros bourgs, ainsi que de la constitution de réseaux commerciaux et bancaires.

Le partage de l’Empire, l’exode de la bourgeoisie hindoue qui, dans les villes, domine le tertiaire, le départ des agriculteurs sikhs perturbent l’économie. Dans les campagnes, les vides sont comblés par les paysans musulmans venus de l’Inde. Dans les villes, le départ des hindous n’est que très partiellement compensé par l’arrivée de musulmans, entre autres des marchands et des banquiers de Bombay.

Sur le plan industriel, le Pakistan se trouve très démuni, contrairement à l’Inde, qui abritait des noyaux industriels non négligeables et assez différenciés. Face au développement des plaines de l’Indus, le Balouchistan, les montagnes de la N.W.F.P. et les régions du Nord comportent de petites oasis fertiles et de vastes espaces semi-désertiques d’accès difficile.

La population

Même si les premiers recensements de 1951 et de 1961 ne sont pas très sûrs, la croissance démographique est rapide: de 34 à 40 millions en 1951, la population est passée à 84 millions en 1981. Entre ce dernier recensement et celui de 1972, la croissance est de 28,2 p. 100. La population est estimée à 125 millions en 1993.

La population urbaine représente, en 1993, 32 p. 100 (17,8 p. 100 en 1951). Le taux de natalité serait tombé de 48 p. 1 000 (1950-1955) à 43 p. 1 000 en 1985 et à 40 p. 1 000 en 1993. Le taux de mortalité, en baisse beaucoup plus forte, se situerait en 1985 autour de 13 p. 1 000 et de 11 p. 1 000 en 1993.

Les 800 000 km2 sont très inégalement peuplés, au point que la densité moyenne de 156 habitants au km2 en 1993 n’a guère de signification. Elle tombe à quelques unités dans les zones désertiques pour s’élever à 400-500 dans les districts les plus peuplés du Panjab.

Malgré cet accroissement, la pression de l’homme sur la terre demeure moins lourde qu’en Inde, au Bangladesh ou en Chine, où les densités peuvent se situer entre 500 et 1 000, sinon davantage. Le Pakistan jouit là d’un atout relatif. En outre, l’urbanisation est plus avancée que celle des pays précités: Inde 23 p. 100, Chine 20 p. 100.

Contrairement à plusieurs autres pays asiatiques, le Pakistan ne s’est pas sérieusement soucié de ralentir l’accroissement démographique. Ses effets négatifs sont pourtant évidents, même si la question reste moins aiguë qu’en Inde ou au Bangladesh. L’émigration vers le Golfe ne résout pas tous les problèmes de chômage, car ce ne sont pas forcément les plus pauvres qui partent. L’encombrement des villes est manifeste. Les coûts sociaux d’une trop forte croissance démographique jouent comme ailleurs, et les efforts en matière d’éducation et de santé ont été, jusqu’à maintenant, fort modestes par rapport à ceux d’autres pays asiatiques. En 1988, seulement 26 p. 100 environ des adultes, surtout des hommes, savent lire et écrire, et 51 p. 100 des enfants d’âge scolaire suivent l’école primaire. On compte un médecin pour plus de 5 000 habitants.

La soupape de sûreté de l’émigration a joué un rôle substantiel. Environ 10 p. 100 de la population active travaille à l’étranger et envoie ses économies aux familles restées au Pakistan. Le gros de l’émigration (quelque deux millions d’hommes) est absorbé par le Moyen-Orient à la suite du boom pétrolier de 1973. Or, à la fin des années 1980, les économies du Golfe sont en perte de vitesse. Aussi faut-il s’attendre à des retours, plutôt qu’à de nouveaux départs. D’une manière générale, les experts prévoient une aggravation du chômage.

Au moment de son coup d’État, le général Ayub Khan avait mis la prévention des naissances au rang des priorités, mais la propagande est restée sporadique. Les mollahs étroits d’esprit y étaient plutôt opposés ou carrément hostiles, bien que rien dans l’islam ne s’oppose à la planification familiale. Bien plus, de très grands théologiens, Al Ghazzali (1058-1111) et Ibn Kaiyim (1292-1350) se déclaraient favorables à la limitation des naissances en cas de difficultés économiques pour le couple.

Depuis quelques années, la prévention des naissances suscite davantage d’intérêt et d’efforts. Mais il est tard. En 1987, la population a passé le cap des 100 millions d’habitants, avec un des plus forts taux de croissance d’Asie: près de 3 p. 100 par an.

Les étapes de la croissance économique

Malgré le lancement du premier plan quinquennal en 1955, la scène politique demeure trop troublée pour permettre un développement économique réellement organisé. L’agriculture reste semi-stagnante, ce qui se traduit par des importations de grain qui, insignifiantes en 1947, dépassent le million de tonnes en 1953-1954 (de juillet à juin).

Quasi inexistante au départ, l’industrie connaît une vigoureuse poussée, principalement à Karachi, qui fut la capitale de l’État jusqu’à la création d’Islamabad à partir de 1960-1961. Les grands marchands venus de Bombay se muent en industriels, développant les textiles de coton, d’autres industries légères, des raffineries de sucre (dans l’intérieur), des cimenteries. Parmi les principaux industriels, plusieurs appartiennent à de très petites communautés musulmanes: Khojas (ismaéliens), Bohras, Memons.

Le deuxième plan 1960-1965 représente un ensemble d’actions mieux coordonnées et soutenues par un régime politique plus efficace. En même temps commencent à apparaître de nouvelles élites, dont plusieurs économistes. Les appuis extérieurs, sous forme de crédits et de dons, augmentent. L’université Harvard envoie des équipes de conseillers qui participent aux travaux de planification.

Le gouvernement suit une ligne pragmatique, encourageant le secteur privé, même s’il ne parvient pas à éliminer toutes les interventions bureaucratiques de l’État. Cette politique porte ses fruits. L’industrie continue à se développer et à se diversifier. L’agriculture progresse grâce à l’irrigation et à l’introduction d’engrais chimiques.

Au cours des cinq années 1965-1970, l’ensemble de l’appareil économique s’affaiblit en conséquence de la guerre indo-pakistanaise de 1965, des tensions sociales et des revendications de la classe ouvrière sévèrement tenue en bride jusqu’alors. Si l’agriculture marque de nouveaux points, l’industrie perd une partie de son élan.

Zulfikar Ali Bhutto hérite d’une économie qui s’essouffle. Il soutient les revendications ouvrières et procède à des augmentations de salaires. Il se trouve moins bien inspiré lorsqu’il déclenche plusieurs vagues de nationalisations: en 1972, le ciment, les industries chimiques, l’automobile, les assurances-vie. En 1973, l’État prend en charge l’achat du coton aux producteurs, les exportations de coton brut et de riz. Les fabriques d’huile comestible passent sous le contrôle de l’État. En 1974, c’est le tour des banques (sauf celles appartenant à des étrangers) et des compagnies maritimes, de la distribution des produits pétroliers et, en 1976, des rizeries, minoteries et usines d’égrenage du coton.

Comme on pouvait le prévoir, l’État n’est pas en mesure d’assurer la gestion et l’expansion de toutes ces entreprises qui s’ajoutent au secteur public déjà existant, d’où un ralentissement des activités et des pertes. Quant aux grands projets du secteur lourd (dont l’aciérie de Karachi), ils prennent corps très lentement et immobilisent de grosses masses de capitaux.

Le secteur privé conserve néanmoins une certaine place, notamment avec la très grosse branche des textiles de coton. Cependant, au vu des nationalisations qui se succèdent, les entrepreneurs privés se gardent d’investir et même de renouveler leurs équipements qui, dans le textile en particulier, vieillissent dangereusement.

Sur le front agricole, de mauvaises conditions météorologiques et des faiblesses de planification expliquent la médiocre progression.

La hausse de l’inflation et la conjoncture internationale qui se dégrade (baisse des prix du coton, crise du pétrole) portent des coups supplémentaires à l’économie. Quant aux améliorations de salaires des ouvriers, elles sont rattrapées par la montée des prix. L’idée de mieux protéger les paysans en intervenant directement sur le marché se révèle chimérique.

Le Premier ministre Ali Bhutto incite, avec raison, les paysans pauvres, manœuvres agricoles, métayers, à prendre mieux conscience de leurs droits, et l’on verra dans le Sind – où les abus sont les plus criants – des métayers refuser les conditions de leurs patrons. Néanmoins, les réformes agraires proprement dites donnent peu de résultats. Celle de 1959 avait fixé comme plafond 200 hectares irrigués ou 400 non irrigués, normes qui descendent à 60 et 120 en 1972. Les grands propriétaires partagent leurs domaines fictivement, de sorte que seuls 560 000 ha sont récupérés et distribués à 130 000 métayers et petits propriétaires.

Les réformes économiques

Dès la fin des années 1970, le vent des réformes économiques qui souffle sur de nombreux pays d’Asie atteint le Pakistan. Le président Zia corrige la ligne populiste et socialiste de son prédécesseur. L’idée est de libéraliser l’économie, d’encourager le secteur privé, de rendre le secteur public plus performant. Certaines industries nationalisées par le Premier ministre Ali Bhutto sont rendues à l’économie privée. Une partie des contrôles bureaucratiques est allégée. En même temps, les planificateurs cherchent à attirer plus d’investissements étrangers et à mieux promouvoir les exportations. Il reste néanmoins encore beaucoup à faire pour réduire les pesanteurs bureaucratiques.

L’État continue à jouer un rôle important, qu’il s’agisse d’interventions sur les prix, de subventions, d’investissements dans l’infrastructure et le développement rural.

Certains aspects de la politique sociale sont accentués, tels les crédits à des conditions privilégiées aux petits paysans, de plus gros efforts dans le développement rural: eau potable, routes, électrification. Les secteurs de l’éducation et de la santé, où le Pakistan accuse de très gros retards par rapport à d’autres pays d’Asie, se voient attribuer un peu plus de fonds.

Cette politique économique, soutenue par une aide extérieure substantielle et par une nature plutôt clémente (sauf en 1987, en 1988 et en 1992), se traduit par un taux annuel de croissance du produit national brut de 6 à 7 p. 100 par an sous l’ère Zia, performance plus qu’honorable. Le P.N.B. par habitant se monte à 400 dollards en 1992-1993. L’agriculture repart en avant, l’industrie croît et se diversifie, l’économie s’ouvre davantage sur le monde extérieur.

Si le Pakistan ne fait pas encore partie des nouveaux États industriels – les quatre dragons d’Extrême-Orient, la Chine, l’Inde, le Brésil, le Mexique, etc. –, il se situe dans le peloton suivant.

Benazir Bhutto n’entend pas modifier de manière sensible l’héritage économique qu’elle a reçu. Il est question non de relancer les nationalisations mais de s’engager plutôt vers des privatisations, comme l’avait fait Nawaz Sharif en 1991. L’industrie privée doit être encouragée, l’ouverture sur l’étranger maintenue.

Pourtant, de très graves sujets d’inquiétude sont apparus. Les caisses de l’État sont vides: la dette intérieure devient insupportable. Or les réformes, combien nécessaires, de la fiscalité tardent et suscitent de vives oppositions de la part des lobbies du grand capital, sans parler de tout l’argent noir issu de la corruption. Il ne sera donc pas facile pour Benazir Bhutto de pratiquer une politique d’austérité. À cela s’ajoute la dette extérieure qui atteint la cote d’alerte.

Le monde rural

Quelle que soit la place de l’économie urbaine et industrielle, le monde rural pèse et continuera longtemps de peser d’un poids dominant sur l’économie.

Aujourd’hui, comme depuis des millénaires, la question clé reste celle de l’eau. L’aridité du climat a beau diminuer à mesure que l’on s’enfonce dans l’intérieur, l’irrigation demeure, sauf au pied de l’Himalaya, le facteur décisif sans lequel l’agriculture ne peut guère exister.

À partir de 1960, l’agriculture repart en avant. De grands projets d’irrigation sont en voie d’achèvement et gagnent de nouvelles terres. D’autres sont mis en chantier dans le cadre de l’accord avec l’Inde sur le partage des eaux de l’Indus et de ses affluents (accord réalisé en 1960 avec le concours de la Banque mondiale, son soutien financier et celui de plusieurs pays occidentaux et de l’Inde). L’Inde conserve l’usage des trois rivières orientales du Panjab, coupé en deux par le partage de 1947. De gros travaux détournent une partie des eaux de l’Indus et des deux autres rivières du Panjab vers l’est de cette province, anciennement irriguée par les canaux venant de l’Inde. Pour compléter l’apport insuffisant des canaux, les paysans du Panjab multiplient l’installation de puits tubés à pompe.

De 1965 à 1970 s’ouvre une nouvelle étape appelée «révolution verte», qui voit l’introduction de nouvelles variétés à haut rendement de blé et de riz. Les semences exigent plus d’eau et elles sont plus sensibles que les plantes traditionnelles à l’engrais chimique. Elles sont également plus vulnérables aux parasites, surtout pendant la saison des pluies.

Le succès des nouvelles semences survient au moment où l’irrigation est déjà en voie d’expansion et d’amélioration. Il se solde par une forte poussée sur les trois fronts interdépendants: semences, eau – grâce, dans une large mesure, aux nombreux nouveaux puits tubés à pompe –, consommation des engrais. Le coton et la canne à sucre progressent aussi, mais à un rythme moins rapide. Finalement, les nouvelles semences et l’irrigation permettent au Pakistan d’atteindre l’autosuffisance en blé de 1968 à 1970.

Les inondations ou la sécheresse selon les années, les mesures populistes d’Ali Bhutto, une politique inadéquate en matière de prix agricoles, des faiblesses d’ordre technique ou économique (non-renouvellement des semences, lequel renouvellement devrait s’effectuer tous les quatre à cinq ans, pénuries ou retards dans les livraisons d’engrais chimiques) se combinent pour ralentir le mouvement. Si un excédent de riz est toujours disponible pour l’exportation (environ un million de tonnes par an), les importations de blé reprennent au niveau de 1,5 à 2 millions de tonnes.

La conjoncture se redresse sous le gouvernement Zia. Profitant de conditions naturelles plus favorables, la politique des prix agricoles s’améliore; de nouvelles semences sont lancées, l’irrigation progresse de même que la consommation d’engrais chimiques (1962-1963: 40 000 tonnes de matière active; 1969-1970: 307 700 t; 1986-1987: 1 784 000 t). L’augmentation de la production de blé entraîne la fin des importations, de 1986 à 1988; mais elles reprennent en 1988-1989 à la suite de mauvaises récoltes. Il s’agit surtout de reconstituer les réserves de l’État. Le coton et la canne à sucre gagnent des points. Les excédents de riz restent confortables et assurent 1,2 million de tonnes d’exportation par an.

Cette analyse globale masque de grosses différences régionales. Parti mieux et plus tôt à l’époque britannique, le Panjab conserve son avance sur le Sind. Il jouit d’un milieu physique plus favorable. Ses paysans ont hérité de meilleures traditions agricoles, et ils sont plus durs à la tâche. Nombre de grands propriétaires du Panjab sont de véritables gentlemen farmers , soucieux d’améliorer leurs terres, alors que bien des notables sindhis sont souvent absents de leurs domaines ou les supervisent mal dans un contexte de structures semi-féodales plus marqué qu’au Panjab. Ainsi, par exemple, la plus grande partie des puits tubés sont situés au Panjab, et ce n’est pas seulement parce que la nappe phréatique est moins saumâtre que dans le Sind. Par ailleurs, les plaines de la N.W.F.P. sont mieux cultivées. Quant aux rares oasis du Balouchistan, elles jouent un rôle mineur à l’échelle nationale. En résumé, pour une surface cultivée totale de 19,3 millions d’ha (1979-1980), les jachères annuelles représentent 4,8 millions d’ha, les surfaces à double récolte annuelle 4 millions d’ha et les surfaces irriguées 10 millions d’ha nets. Le Panjab produit les quatre cinquièmes du blé, près de la moitié du riz, près des deux tiers du coton et de la canne à sucre. Viennent ensuite le Sind et, loin derrière, les deux autres provinces.

Au cours des années 1980, les différences entre Sind et Panjab s’atténuent grâce à une progression plus rapide du premier: blé, riz, coton atteignent de meilleurs rendements. Nombre de grands propriétaires se mettent à investir davantage sur leurs terres.

Qu’en est-il des structures agraires? D’après le recensement agricole de 1980, 20 p. 100 des exploitations se situaient au-dessous d’un hectare, 20 p. 100 entre 1 et 2 ha, et environ 60 p. 100 au-dessus de 2 ha. Et n’oublions pas que le gros des terres est irrigué. On arrivait à un total de 3,76 millions d’exploitations couvrant 20 millions d’hectares cultivés ou en jachère annuelle. 20 000 propriétaires disposaient chacun de plus de 60 ha, souvent de 100 à 200 ha. Il serait donc concevable, avec par exemple un plafond de 30 ha, de récupérer des terres pour une partie des 610 000 familles paysannes qui en sont privées et pour celles qui possèdent moins d’un hectare. Une telle hypothèse reste chimérique aussi longtemps que le rapport des forces politiques ne sera pas modifié de manière draconienne. Or une telle radicalisation du pouvoir semble très aléatoire.

Malgré ces inégalités, les structures agraires suscitent pour le moment moins d’inquiétude qu’en Inde. Conséquence d’un peuplement plus récent et moins lourd, le pullulement des très petites exploitations n’a pas pris la même ampleur. Il subsiste, de surcroît, des espaces relativement étendus consacrés aux cultures fourragères, autre signe d’une moindre pression démographique.

En dépit de leur approximation, les statistiques globales reflètent une croissance agricole fort respectable. L’indice de la production alimentaire de base (céréales et légumineuses) atteint 246 en 1980-1981, celui du coton 245 (base 100 en 1960-1961). Quant à la population, elle passe dans le même intervalle de 43-46 millions à 84 millions, soit un accroissement d’environ 90 p. 100.

Reste la question classique: à qui profite la croissance? Les paysans sans terre ont connu une hausse de revenu réel, en termes de salaire et de nombre de journées de travail. Les petits propriétaires se débrouillent pour utiliser nouvelles semences et engrais chimiques (parfois à plus faibles doses que les paysans moyens). Ils achètent le cas échéant de l’eau du puits voisin.

Il est possible que les disparités de revenu s’accroissent, mais l’essentiel à ce stade est que le sort des plus pauvres s’améliore quelque peu.

Les prochaines étapes

Les progrès évoqués ci-dessus laissent au Pakistan une belle marge de manœuvre. Si les 4 à 5 millions d’ha non irrigués, surtout dans le Nord (plus forte pluviosité), ne peuvent guère prétendre à un brillant avenir, les terres dépendant des canaux et des puits restent loin des rendements maximaux possibles. Le blé ne dépasse pas très souvent les 2 t/ha comme le riz.

Pour aller plus loin, il importe de surmonter plusieurs obstacles. Le bassin de l’Indus souffre à des degrés variables d’excès d’eau (waterlogging ) et de salinité. Comme les canaux ne sont en général pas cimentés, de grosses pertes d’eau se produisent par infiltration dans le sol, ce qui fait monter la nappe phréatique partout où le drainage naturel et souterrain est insuffisant. Lorsque l’eau arrive dans la zone des racines des plantes, celles-ci pourrissent. Si, dans sa montée, l’eau traverse des couches salines, les sels s’accumulent à la surface après l’évaporation, ce qui nuit aux rendements ou rend les sols totalement incultes. Cet excès de salinité peut aussi provenir d’une irrigation insuffisante, de sorte que les sels ne sont pas chassés dans le sous-sol. Dans le Sind s’ajoutent, dans les terres proches de la mer, des infiltrations d’eau saline.

Apparus depuis plusieurs décennies, excès d’eau et salinité affectent, à un degré ou un autre, entre 30 et 75 p. 100 des zones irriguées par canaux dans le Sind et le quart des terres au Panjab. Au total, entre 1958 et 1968, 16 000 ha devenaient stériles chaque année, sans parler des zones plus modérément affectées. Depuis lors, l’avance du sel semble se ralentir, et des terres ont été rénovées.

Le premier remède consiste à installer des puits tubés à pompe pour faire baisser la nappe phréatique et fournir l’eau nécessaire afin de lessiver les sols de leurs sels. Par la suite, les puits complètent l’irrigation souvent insuffisante des canaux. Les succès obtenus sont cependant limités par des difficultés dans le fonctionnement de ces puits qui relèvent de l’État. Le second système s’appuie sur des drains horizontaux lorsque les eaux souterraines sont saumâtres, donc inutilisables pour lessiver et irriguer les sols. La difficulté de cette solution tient à la construction de drains entre – et sous – les canaux d’irrigation et à l’évacuation des eaux dans une plaine de très faible dénivellation.

Le réseau de canaux mis en place par les Britanniques et élargi après l’indépendance comporte 65 000 km de canaux principaux, secondaires et tertiaires, couvrant 42 zones de 12 000 à 1,2 million d’ha chacune. Environ deux tiers de la surface reçoivent de l’eau toute l’année, le reste seulement pendant la saison des pluies. Cet ensemble, avec ses deux principaux systèmes au Panjab et dans le Sind, est unique au monde par sa taille. Vital pour une population de plus de 100 millions d’habitants, il répond de moins en moins aux besoins. Fait tout aussi grave, l’agriculture est aujourd’hui plus exigeante qu’à l’époque coloniale: la pression démographique pousse à élargir les périmètres irrigués et à augmenter les doubles récoltes annuelles sur le même sol; nouvelles semences et engrais chimiques demandent plus d’eau que les anciennes variétés cultivées sans engrais.

Installer des puits tubés à pompe pour obtenir un complément d’irrigation constitue un premier pas. Ensuite, de nombreux canaux doivent être réparés, voire reconstruits; certains mériteraient d’être cimentés pour éviter les pertes. Enfin, interviennent les nouveaux travaux en cours ou à venir. Toutes ces tâches sont réalisables, moyennant de lourds investissements – au reste fort rentables – et de solides capacités de gestion.

Si l’eau reste la pièce maîtresse du développement rural, elle n’est pas seule en cause. Parallèlement à la progression des principales cultures, céréales, coton, canne à sucre, il est urgent d’accélérer la diversification de l’économie rurale. Ceintures de zones maraîchères et vergers (mangues, oranges, pommes en montagne) gagnent des points près des villes et dans les régions desservies par de bonnes routes. L’élevage bovin et le lait ont été favorisés grâce aux cultures fourragères relativement étendues. Il en va de même des poulets, des œufs. Ces produits périssables exigent de bons et rapides circuits commerciaux, des routes en dur jusqu’au fond des campagnes. Or c’est là un des points faibles de l’économie rurale. Par ailleurs, l’élevage des moutons en montagne et la pêche de rivière peuvent contribuer à l’économie rurale. Toutes ces activités secondaires trouveraient des débouchés locaux, tout en réduisant les importations, comme celle du lait en poudre, et en contribuant à l’accroissement des exportations vers le Moyen-Orient.

L’électrification des villages est également nécessaire pour stimuler les petites industries, actionner les pompes, remplacer le diesel plus coûteux que l’électricité. En 1988, 60 p. 100 des 43 244 villages bénéficient de l’électricité.

La meilleure combinaison de ces différents moyens – produits agricoles principaux et secondaires, petite industrie, transports, commerce – peut avoir un prolongement social: élargissement du marché du travail et hausse des salaires pour les plus pauvres. Le gouvernement s’est engagé dans cette voie en introduisant des mesures de soutien aux paysans moyens: crédits pour la vente de moteurs et de pompes d’irrigation, introduction de plus petits modèles de tracteurs, renforcement de l’infrastructure rurale.

Industrie et infrastructure

Contrairement à l’Inde, le Pakistan est très faiblement doté en fer et en charbon, ce qui rend malaisée la création d’une industrie lourde. De plus, la division de l’ex-Empire britannique laisse au Pakistan de vastes champs de coton mais pratiquement pas d’industrie textile. Il est donc logique de commencer par le développement de cette branche. Il en va de même pour d’autres activités: raffineries de sucre, huileries. Non moins essentiel est le besoin de ciment. D’autres usines s’ouvrent peu à peu: produits pharmaceutiques, engrais chimiques, montage de véhicules automobiles, mécanique.

Karachi est resté, depuis l’indépendance, le principal centre industriel, suivi de Lahore et d’autres villes du Panjab et du Sind, dont les quartiers industriels s’étendent progressivement. Dès le début, à côté d’un secteur privé prédominant sont construites des usines dans le secteur public. L’État intervient de diverses manières, directes ou indirectes, dans les affaires du secteur privé: licences, contrôles, prix selon les cas. À partir des années soixante, des mesures sont adoptées pour stimuler les exportations.

Partant presque du niveau zéro en 1947, l’industrialisation progresse à une cadence rapide: + 8,8 p. 100 par an de 1950 à 1960, + 13,8 p. 100 pour les cinq années suivantes; mais, à partir de 1965, le rythme baisse à la suite des difficultés déjà évoquées: guerre de 1965, instabilité politique, troubles sociaux... Le ralentissement s’accentue sous l’ère Bhutto: l’indice de la production passe de 100 en 1970 à seulement 117 en 1977. En plus des nationalisations et du manque de dynamisme de ce qui reste du secteur privé, un autre élément joue. En 1970, le Pakistan commence à jeter les bases d’une industrie lourde avec un projet d’aciérie à Karachi (1,1 million de tonnes) lancé avec la coopération de l’Union soviétique (fer et charbon importés). Cette entreprise absorbe une très large part des investissements publics, en plus des crédits accordés par l’U.R.S.S.; les délais et les budgets sont dépassés. C’est en 1981 seulement que le premier haut fourneau est inauguré et en 1987 que l’entreprise tourne à pleine capacité.

Les mesures prises par le président Zia provoquent un regain relatif de l’activité industrielle. L’industrie textile, dont la place reste considérable, avance pour les filés de coton, tandis que les usines de tissage sortent à peu près la moitié des quantités produites en 1970. L’ensemble de la branche est en train de moderniser ses équipements, tâche prioritaire. Le ciment repart en avant. La production d’engrais azotés (pour laquelle on utilise le gaz du Balouchistan) connaît une vigoureuse expansion, ce qui rend le Pakistan autosuffisant. La progression est bonne également pour les huiles comestibles ainsi que pour d’autres produits alimentaires. À noter aussi les industries de véhicules à moteur: voitures, camions, scooters.

Deux faits ressortent clairement. Malgré quelques progrès, le secteur public est toujours confronté à de sérieuses difficultés de gestion: la production et la productivité sont insuffisantes. Quant au secteur privé, il ne manque certes pas de dynamisme, mais le taux d’épargne et d’investissement pourrait être plus élevé. À l’époque du président Zia, on sentait une partie des industriels hésitant devant un avenir incertain. C’est dire l’incidence des facteurs politiques sur l’industrie.

Autre souci: l’énergie. Même si le Pakistan ne souffre pas autant que l’Inde du manque d’électricité, et malgré les très gros progrès réalisés depuis l’indépendance, la situation devient préoccupante. Produisant moins de 10 p. 100 de ses besoins en pétrole, le Pakistan utilise les gisements de gaz naturel du Balouchistan. De nouveaux champs sont susceptibles d’être exploités moyennant des investissements importants. L’hydroélectricité joue également un grand rôle, et un confortable potentiel reste à utiliser. Enfin, à Karachi, le Pakistan dispose d’une première centrale nucléaire.

Dans l’immédiat, une partie de la hausse de la demande en électricité doit être satisfaite par les importations de pétrole destiné aux centrales thermiques; la situation pourrait changer si les prospections en cours – souvent depuis de nombreuses années – portaient enfin leurs fruits.

Bien que la petite industrie n’ait pas, pendant les premiers plans, beaucoup bénéficié de mesures de soutien, elle a connu un essor substantiel: produits alimentaires, textiles, mécanique, pompes, moteurs, articles de cuir, de sport, etc. En 1981-1982, elle représente 27,4 p. 100 de la valeur ajoutée de tout le secteur industriel et elle emploie plus des trois quarts de la main-d’œuvre industrielle. L’économie du Pakistan dépend toujours, dans plusieurs branches, de fortes importations, et la diversification de la production est moins poussée qu’en Inde, ce qui est normal, étant donné les différences au départ.

Quand on songe au chemin parcouru, on peut se demander s’il était judicieux, à ce stade, de créer un complexe sidérurgique. En revanche, d’autres choix (textiles, ciment, chimie, mécanique) ne font pas l’objet de discussions. Il est significatif que les produits manufacturés et semi-manufacturés ne répondent pas seulement à la demande intérieure; ils représentent (en 1981) 56,2 p. 100 du total des exportations, avec une nette accélération ces dernières années.

Les relations économiques internationales

Problème délicat et ancien, le Pakistan n’arrive pas à équilibrer ses échanges avec l’extérieur. On note néanmoins une hausse assez sensible des exportations au cours de ces dernières années.

En revanche, les rentrées de devises des travailleurs à l’étranger, principalement au Moyen-Orient, sont en baisse (de 2,9 milliards de dollars en 1982-1983 à 2,07 milliards en 1987-1988). Et il ne faut pas s’attendre à un relèvement de la courbe avec la chute de l’émigration.

Augmenter les exportations et mieux les diversifier demeurent deux nécessités plus urgentes que jamais. La part des matières premières et des produits semi-finis diminue au profit des biens manufacturés, qui dépassent 50 p. 100 des exportations totales. Derrière les textiles de coton (filés, tissus, plus récemment vêtements) viennent le cuir, les tapis, les articles de sport. Machines, mécanique occupent encore une place très modeste. Coton brut et riz constituent les principaux produits de base. Quant aux importations, les biens d’équipement en représentent un tiers environ, suivis par des biens de consommation durables, des matières premières (pétrole, huiles végétales, certaines années le blé).

La constellation des partenaires du Pakistan s’est modifiée en deux étapes. Dans la première, jusque vers 1970-1975, la place du Royaume-Uni baisse au profit des États-Unis, de la R.F.A., des pays arabes. Dans la seconde, à la fin des années 1980, le Japon devient le premier fournisseur et le deuxième client du Pakistan derrière les États-Unis. Il a, par exemple, à peu près éliminé tous les concurrents sur le marché de l’automobile, sauf Mercedes! Quant à la Corée du Sud, elle commence à s’intéresser à ce marché.

Le Pakistan bénéficie dès les années 1950 d’une aide étrangère substantielle (crédits à conditions libérales, dons). Au cours des années 1980, ces montants représentent 25 p. 100 des investissements. En même temps, la dette extérieure s’accroît pour atteindre 13,2 milliards de dollars à la fin de 1987. Les principaux bailleurs de fonds sont les États-Unis, le Japon, la R.F.A., les pays arabes de l’O.P.E.P.; la Banque mondiale et sa filiale l’I.D.A. jouent un rôle important. Les investissements privés étrangers sont mal mesurables, mais ils jouent un rôle plutôt limité malgré les efforts du gouvernement pour les attirer. Il existe des joint ventures dans la chimie et l’automobile. À vrai dire, ce pays mériterait de bénéficier d’une plus grande attention, à en juger par l’état de son économie et son marché en plein développement.

Vers un avenir possible

Les aléas d’ordre politique n’ont pas empêché un développement économique substantiel, qui pourrait s’épanouir à une cadence plus rapide. Sans être un futur Eldorado, le Pakistan jouit de plusieurs atouts: un niveau de vie relativement élevé par rapport à ses besoins, une masse de population pas encore accablante, un potentiel agricole et agro-industriel incomplètement exploité, des possibilités de développer de nombreuses industries. Pour réaliser ces perspectives, le pays a besoin d’un minimum de stabilité politique. Or les différents régimes politiques restent fragiles et les risques d’accidents de parcours subsistent. Il en va de même des relations avec l’Inde qui, en cas de consolidation de la détente, pourraient se traduire par une réduction de l’énorme budget de la défense nationale.

Sur le terrain socio-économique, plusieurs clignotants apparaissent au tableau de bord: le besoin d’accélérer le recul de la natalité, le temps qui sera nécessaire pour surmonter la pénurie d’électricité, les énormes investissements permettant de rendre les systèmes d’irrigation plus performants, condition sine qua non pour l’agriculture de demain, enfin, des réformes profondes de la fiscalité, de manière à accroître les recettes de l’État.

Toutes ces tâches ont beau être délicates, elles relèvent de l’art du possible, moyennant une ligne politique relativement solide et la poursuite des réformes économiques.

Pakistan
(république islamique du) état d'Asie, situé au N.-O. de l'Inde et à l'E. de l'Iran et de l'Afghanistan; 796 098 km²; env. 115 millions d'hab. (croissance: 3,1 % par an); cap. Islamabad. Nature de l'état: rép. islamique. Langues off.: urdu et anglais. Monnaie: roupie pakistanaise. Relig.: islam (sunnites, 74 %; chiites, 26 %). Géogr. phys. et hum. - Le nord est montagneux: haut Himalaya (plus de 8 000 m dans l'Hindou Kouch) et, à l'O., les chaînes du Béloutchistan sont moins élevées. De rares passes, essentielles depuis l'Antiquité, franchissent ces obstacles. à l'E., la vallée de l'Indus, qui concentre la pop., comprend, du N. au S.: le piémont du Pendjab, "pays des cinq rivières" (l'Indus et quatre de ses affluents); une plaine, le Sind, désertique avant d'être irriguée; un vaste delta inhospitalier. Le désert de Thar borde cette vallée. Le climat est aride, à peine touché par la mousson, mais les eaux himalayennes irriguent auj. le pays. Le Pakistan est un carrefour ethnique mais présente une forte unité religieuse depuis la partition de 1947 (départ des hindous et afflux des musulmans qui vivaient en Inde). Les deux tiers de la pop. sont des ruraux, mais la croissance démographique crée une forte poussée urbaine. écon. - De grands travaux d'irrigation (notam. le barrage de Tarbela sur l'Indus, achevé en 1976) ont multiplié par quatre, dep. 1947, la superficie irriguée et l'on a atteint, v. 1990, l'autosuffisance: blé, ainsi que riz. L'exportation du coton fournit 20 % des recettes. L'élevage extensif domine au N. et à l'O. ainsi que l'opium et le cannabis. Les inégalités restent fortes: 10% des propriétaires, les zamindars, contrôlent près de 50 % des terres. La faiblesse des ressources énergétiques et minérales explique que l'industrie s'est développée à partir de l'agriculture: textile, coton, tapis, agroalimentaire; Karâchi et Lahore ont des usines chim. et de raffinage. Le déficit comm., l'endettement, la baisse des transferts de devises par les émigrés, les réfugiés afghans aggravent la situation socio-politique. Hist. - Zone de passage et terre de conquête, la vallée de l'Indus a connu de nombreuses vagues d'envahisseurs. Des Indo-Européens repoussèrent, v. le milieu du IIe millénaire av. J.-C., les peuples noirs dravidiens vers le sud de l'Inde. En 712, les Arabes pénétrèrent dans le Sind, et, notam. sous l'impulsion de Mahmûd de Ghaznî (999-1030), l'islam se propagea dans la vallée de l'Indus. Celle-ci, sous la domination de dynasties turques et afghanes, puis moghole, a une histoire peu différente de celle de l'Inde jusqu'à la fin du XIXe s. Les opposants aux colonisateurs brit. rêvèrent bientôt d'un état islamique: fondée en 1906, la Ligue musulmane lutta aux côtés du Congrès indien contre la G.-B., mais aussi contre l'hégémonie des hindous. Revendiquée par `Alî Jinnah à partir de 1940, la partition de l'empire fut acceptée par les Brit. en 1947: le Pakistan occid. et le Pakistan orient., tous deux musulmans, étaient séparés de l'Inde. Les états princiers d'Hyderâbâd et du Cachemire refusèrent la partition. Le Cachemire donna lieu à deux guerres (1947, 1965) entre l'Inde et le Pakistan, et à de nombr. affrontements (1990, notam.). En 1971, les Bengalis du Pakistan oriental, les "parents pauvres" de l'association, se révoltèrent. Aidés militairement par l'Inde, ils firent sécession et créèrent le Bangladesh. Réduit à la partie occid., le Pakistan fut gouverné par Ali Bhutto (1971-1977), que renversa le général Zia ul-Haq. Celui-ci mourut dans un accident d'avion en août 1988. En déc. 1988, Ghulam Ishaq Khan fut élu. Benazir Bhutto, fille de l'anc. président, forma le nouveau gouv. Accusée de corruption, B. Bhutto, première femme placée à la tête d'un état musulman, a été limogée, en août 1990, par le prés. Ishaq Khan, et vaincue aux élections d'oct. Son successeur, N. Sharif, fut lui aussi limogé, en avril 1993. Remportant les élections, en oct. 1993, B. Bhutto revint au pouvoir, mais elle perdit celles de fév. 1997, remportées par N. Sharif.

Encyclopédie Universelle. 2012.