ORACLE
Plus ou moins consciemment, les hommes voient dans tel ou tel événement inattendu un signe capable d’orienter leur conduite; ils ont souvent chargé des exégètes d’interpréter certains phénomènes – foudre, éclipses, crues de rivières, naissances anormales, rêves –: interprétations parfois codifiées, avec la méthode à suivre pour écarter le présage s’il est mauvais. Les Romains ont adopté l’haruspicina étrusque. L’observation de la structure et du comportement de certains animaux est déjà une question adressée aux dieux: l’oraculum est leur «parole», leur réponse. Le consultant la reçoit par la bouche d’un devin, qui peut être un simple interprète ou un prophète inspiré. Dans l’épopée et la tragédie grecques coexistent interprétation de signes et prophétisme, celui-ci n’ayant du reste un aspect délirant que chez Cassandre. Plusieurs formes de divination ont été pratiquées dans l’Antiquité chez de nombreux peuples, notamment en Mésopotamie, d’où l’astrologie finit par se répandre sur tout le monde méditerranéen. Le monde classique seul nous révèle des centres oraculaires, parmi lesquels Delphes eut un prestige exceptionnel.
Lieux oraculaires
Lorsqu’une seule méthode a cours dans les lieux oraculaires, c’est l’incubation; elle semble avoir partout ailleurs coexisté avec les autres. Le consultant va dormir dans un lieu saint (souvent consacré à un héros chthonien, Trophonios à Lébadée, Amphiaraos à Thèbes) et y reçoit un rêve qui comporte un conseil. Introduit à Épidaure, puis à Athènes au Ve siècle avant notre ère, à Rome au IIe siècle, Asclépios guérit de même, sans intervention d’aucun prêtre: il apparaît au dormeur et lui prescrit la cure. Les guérisons relatées par les inscriptions d’Épidaure relèvent du folklore et ne nous apprennent rien sur la substance psychologique du miracle. Saint Augustin fulminera encore contre les chrétiens qui vont demander des rêves oraculaires aux tombeaux des martyrs. À Dodone, le plus vénérable des sanctuaires de Zeus, les Selles, exégètes légendaires, semblent avoir pratiqué l’incubation au bénéfice du consultant. À l’époque historique, pour laquelle on a des questions gravées sur plomb, les réponses semblent avoir résulté des vibrations du bronze, du murmure des arbres sacrés et d’une source, ainsi que des sorts tirés d’un chaudron rituel. Les Iamides à Olympie prophétisaient par le feu de l’autel et par les entrailles des victimes.
Delphes
Un sanctuaire grec est un lieu élu où le sacré s’est manifesté et continue d’agir: ce que Delphes fut dès le milieu du IIe millénaire. Une sédimentation religieuse particulièrement riche et ancienne y est attestée par des fêtes où transparaissent des rituels initiatiques, par des objets sacrés (laurier, sources, trépied, chaudron, omphalos, feu éternel où les temples profanés allaient demander une flamme pure), par la présence de Pan, des nymphes, des muses, de Dionysos sur le Parnasse. Apollon doit y avoir supplanté des cultes de la Terre, de Thémis, de Poséidon, ainsi qu’un oracle par incubation. Brûlé en 548, le temple fut réédifié grâce à une collecte qui s’étendit jusqu’en Égypte et grâce à la munificence des Alcméonides, alors exilés d’Athènes; un glissement du sol le détruisit en 373. Les fouilles françaises ont révélé le plan et l’entourage de la construction identique qui le remplaça. Apollon, «interprète de son père», ne fait qu’exprimer la volonté de Zeus. À Claros, au Ptoïon, il parle par un prophète; à Delphes, où les femmes cependant ne sont pas même admises à consulter personnellement, c’est par la bouche d’une simple fille du pays. Un oracle «par les deux fèves», tiré probablement par la pythie elle-même, dont le dieu guidait la main, devait être accessible en tout temps. Les consultations proprement dites eurent lieu d’abord une fois par an, puis une fois par mois. Le consultant, admis dans un local joignant l’adyton , la chapelle oraculaire, prononce à haute voix la question préalablement mise en forme par les prêtres et souvent ramenée à une simple alternative. La pythie articule une réponse que son assistant, le prophète, transmet au consultant. Aucune pythie délirante n’est décrite avant la littérature tardive, mais toute l’Antiquité a cru en une prophétesse inspirée parlant en état de transe. Cette inspiration à jour fixe est pour nous un problème psychologique. Mais l’éminente sainteté du lieu et les rites préliminaires pouvaient mettre la prêtresse dans un état second; au surplus, elle n’avait en général qu’à choisir entre deux partis et elle conseillait de s’en tenir à la tradition.
Les oracles
Les inscriptions de Delphes ne consignent pas d’oracles et rien n’indique que le clergé en ait conservé dans ses archives. Les documents épigraphiques sûrs émanent des cités consultantes qui ont fait graver les oracles reçus, textes en prose ne comportant ni prédictions ni obscurités, relatifs surtout au rituel et aux possessions des dieux. La législation religieuse et pénale de Cyrène est entièrement attribuée à Apollon: entendons qu’elle a été rédigée à Cyrène et approuvée à Delphes. Les rares oracles versifiés retrouvés sur pierre, comme ceux de Magnésie du Méandre, sont des faux évidents. Des oracles en vers sont au surplus sortis de Delphes, rédigés de la sorte par une pythie ou un prophète son porte-parole, ou par les chresmologues qui abondaient autour du temple. Sont entièrement en vers les oracles inclus dans des histoires composées comme des tragédies, où un avertissement du dieu est mal compris par un consultant trop sûr de lui. Ces romans oraculaires sont toujours référés au passé. Hérodote, historien du passé, relate une centaine d’oracles dont beaucoup comportent une leçon de sagesse et de modestie. Le sceptique Thucydide et le pieux Xénophon, historiens de leur temps, en ont chacun cinq seulement pour la période qu’ils décrivent.
L’oracle et les cités
Les hommes politiques surent utiliser le prestige de Delphes, prenant rarement la peine de corrompre la pythie, méthode dangereuse. Correspondant par leurs subordonnés avec un sanctuaire qui jamais ne démentit un oracle supposé, ils en diffusaient aisément à leur bénéfice. Les Alcméonides, à qui le clergé delphique n’avait rien à refuser, répandirent contre Pisistrate des oracles hostiles aux tyrans. Le fameux oracle du «mur de bois», adressé aux Athéniens en 480, doit certes plus au génie de Thémistocle qu’à celui de la pythie. Athènes n’utilisa que rarement cette méthode: les oracles reçus par la ville étaient déposés au metroon , où chacun pouvait les consulter. Les rois de Sparte au contraire firent un instrument de règne de ceux qu’ils diffusaient, conservés par des pythioi à leur dévotion. Cléomène vers 500 combattit à coups d’oracles son collègue Démarate, puis Hippias tyran d’Athènes, et enfin Clisthènes fondateur de la démocratie athénienne. Cent ans plus tard, une bataille d’oracles mit aux prises le roi Pausanias qui voulait conserver les anciennes lois et le général Lysandre qui voulait les remplacer. Pour s’excuser après 480 d’avoir gardé une prudente neutralité à l’égard des Perses, Argos et la Crète alléguèrent des oracles qui leur auraient conseillé l’abstention, sur quoi des historiens modernes ont parlé du «médisme» de Delphes et, pendant la guerre du Péloponnèse, de sa «spartophilie».
Influence de l’oracle
On ne saurait prêter à Delphes la politique coloniale inscrite dans une historiographie tardive où toute narration s’embellit d’oracles. Mais le temple a certes encouragé des audacieux, décidé des hésitants, approuvé le transfert de traditions religieuses dans les colonies. Son arbitrage était capable d’apaiser des désaccords grâce à une solution quelconque toujours acceptée. Appliquant le principe pythagoricien de s’en tenir aux lois et coutumes des ancêtres, il a pacifié les cités et les esprits en approuvant des rituels de purification et d’expiation ainsi que des cultes archaïques, concernant notamment les héros, petites divinités locales souvent anonymes, éclipsées peu à peu par les Olympiens, et qu’en présence d’une calamité on pouvait toujours supposer irritées. Son action éducatrice, qui fut considérable, résulte surtout de la problématique incluse dans le jeu des questions et des réponses. La littérature oraculaire – et l’apocryphe encore plus que l’authentique – rappelle à l’homme la faiblesse de sa condition, la précarité de toute prospérité, le danger de tout dépassement: la morale des Sept Sages. Le miracle de Delphes fut d’avoir été moins un centre d’émission qu’un foyer d’appel d’où rayonna ensuite une éthique en plein développement. Consulté sur tous les problèmes résultant de la faute et de la souillure, Apollon apparut comme un dieu capable de réconcilier l’homme avec les puissances mystérieuses. L’histoire de Crésus (Hérodote, I, 47-56, 85-88), moralité mise en forme de révélation oraculaire, devint ainsi un hymne à la sagesse du Pythien. Et le sanctuaire, qui en matière religieuse a surtout recommandé le respect du passé, est ainsi devenu celui qui a le plus contribué à modifier l’idée que les hommes se faisaient d’un dieu.
Grandeur et fin de Delphes
Delphes connut sa période de splendeur entre 700 et 400. Elle eut depuis 582 des jeux quadriennaux. L’oracle fut célébré par Héraclite, Pindare, Hérodote, Platon, mis en discussion par Eschyle et Euripide. Il était au centre d’une amphictyonie qui ne fit rien pour fédérer la Grèce. Son unique souci fut de maintenir le domaine du dieu indépendant de la Phocide, ce qui causa plusieurs guerres sacrées. La dernière permit à Philippe de Macédoine de s’immiscer dans les affaires de la Grèce du Nord. Le prestige du sanctuaire fut grand à Rome, où l’on fit honneur à Apollon d’y avoir introduit les cultes de la Grande Mère et d’Esculape. Pillé par Sylla et Néron, le temple eut un renouveau de prospérité avec Domitien, Hérode Atticus, Hadrien. Plutarque vers 100 fut prêtre d’Apollon Pythien.
L’introduction du christianisme n’interrompit pas tout de suite l’activité de l’oracle. La divination cependant avait beaucoup de sceptiques, encore que le stoïcisme eût essayé de sauver l’interprétation des signes en la justifiant par l’hypothèse d’un accord préalablement établi par les dieux entre une série de faits présents et une série de faits à venir. Cicéron réfuta cette théorie dans son De divinatione , où il ne voit, dans la divination, qu’imposture, erreur et, au mieux, hasard. Brûlé en 302 par ordre de Dioclétien en compagnie d’ouvrages chrétiens, le livre de Cicéron, étudié en 1683 par Antoine Van Dale (De oraculis ethnicorum ), fut utilisé par Fontenelle pour son Traité des oracles (1687). Les jeux pythiques disparurent à la fin du IVe siècle. Les noms de Delphes et de Pythô tombèrent ensuite, pour des siècles, dans un oubli total.
oracle [ ɔrakl ] n. m.
• 1160 « lieu sacré »; lat. oraculum
1 ♦ (1390) Vx Volonté de Dieu annoncée par les prophètes et les apôtres. ⇒ prophétie.
2 ♦ (1530) Antiq. Réponse qu'une divinité donnait à ceux qui la consultaient en certains lieux sacrés. ⇒ divination. Rendre un oracle. Les oracles de la pythie, de la sibylle. ⇒ vaticination. — La divinité qui rendait ces oracles (⇒ 1. augure); le sanctuaire où elle les rendait. Consulter un oracle. L'oracle de Delphes.
3 ♦ (1546) Littér. Décision, opinion exprimée avec autorité et qui jouit d'un grand crédit. « L'honneur parle, il suffit : ce sont là nos oracles » (Racine).
4 ♦ (1549) Personne qui parle avec autorité ou compétence. « Talleyrand, considéré comme l'oracle de son temps » (Madelin).
● oracle nom masculin (latin oraculum) Réponse d'une divinité au fidèle qui la consultait ; la divinité qui rendait cette réponse ; le sanctuaire où elle était rendue. Littéraire. Décision jugée infaillible et émanant d'une personne de grande autorité : Il rendait des oracles. Personne considérée comme infaillible. ● oracle (citations) nom masculin (latin oraculum) Octavio Paz Mexico 1914-Mexico 1998 L'arbre endormi profère des oracles verts. El árbol dormido pronuncia verdes oráculos. Libertad bajo palabra, I, Condición de nube ● oracle (synonymes) nom masculin (latin oraculum) Réponse d'une divinité au fidèle qui la consultait ; la divinité...
Synonymes :
Littéraire. Décision jugée infaillible et émanant d'une personne de grande autorité
Synonymes :
- prédiction
- prophétie
Personne considérée comme infaillible.
Synonymes :
- augure
- devin
- prophète
oracle
n. m.
d1./d ANTIQ Réponse d'une divinité à ceux qui la consultaient.
|| Lieu où étaient rendus ces oracles. L'oracle de Delphes.
d2./d (Souvent iron.) Décision, opinion émanant d'une personne détenant l'autorité, le savoir. Les oracles de la science.
d3./d Personne autorisée, compétente.
⇒ORACLE, subst. masc.
A. —HIST. ANC.
1. Réponse d'une divinité à la personne qui la consulte. Prononcer, recevoir des oracles. Il était allé à Cumes sur les lieux où la Sibylle rendait ses oracles (BARRÈS, Cahiers, t.12, 1920, p.312):
• 1. Nicias monte à la tribune et déclare que ses prêtres et son devin annoncent des présages qui s'opposent à l'expédition. Il est vrai qu'Alcibiade a d'autres devins qui débitent des oracles en sens contraire (...). Surviennent des hommes qui arrivent d'Égypte; ils ont consulté le dieu d'Ammon (...) et ils en rapportent cet oracle: les Athéniens prendront tous les Syracusains.
FUSTEL DE COUL., Cité antique, 1864, p.280.
♦Oracles sibyllins.
2. P. méton.
a) Divinité consultée; personnalité religieuse qui la consulte et qui transmet ses réponses. Interroger un oracle; l'oracle dit; réponse de l'oracle. Chacune [des armées] a ses oracles qui lui ont promis le succès, ses augures et ses devins qui lui assurent la victoire (FUSTEL DE COUL., Cité antique, 1864, p.263). C'est de l'Oracle de Delphes que Socrate lui-même a recueilli le célèbre précepte: «Connais-toi toi-même», et l'Oracle n'enseignait pas la philosophie (GILSON, Espr. philos. médiév., 1932, p.2).
— P. compar. À la maison, je vois ça d'ici, tu étais le jeune homme instruit qu'on écoutait comme un oracle (AYMÉ, Uranus, 1948, p.82).
♦Parler comme un oracle. Bien parler, avec bon sens. (Dict. XIXe et XXe s.).
♦[En parlant d'un attribut de la pers.] D'oracle. Qui présente certaines caractéristiques (autorité, solennité, prédiction) propres à un oracle. Paroles, voix d'oracle. Tholomyès (...) fit un geste d'oracle (HUGO, Misér., t.1, 1862, p.157).
En partic. Ton d'oracle. Ton solennel qui en impose. Il faut que lui-même renonce à donner aux siens, d'un ton d'oracle et de Mentor, des leçons comme celle-ci (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t.3, 1862, p.44).
b) Lieu, sanctuaire où se passe cette consultation. La terre (...) avait un temple à Athenes et à Sparte; son autel et son oracle à Olympie (DUPUIS, Orig. cultes, 1796, p.28).
B. —RELIG. JUDÉO-CHRÉT.
1. Parole de Dieu, de ses prophètes. Il avait les audaces d'images, les éclairs, les retentissements des oracles de Jéhovah (LAMART., Confid., 1851, p.295).
2. P. méton., rare. Synon. de propitiatoire:
• 2. Pourquoi le prêtre, dans l'ancienne loi, faisoit-il brûler des parfums? Le lévitique nous l'apprend: c'étoit afin que leur vapeur couvrît l'oracle qui étoit sur l'autel du témoignage, et que le prêtre ne mourût pas.
SAINT-MARTIN, Homme désir, 1790, p.205.
C. —P. anal.
1. Parole divinatoire inspirée par une puissance supérieure, propice ou néfaste. [Macbeth] apprend que l'oracle des sorcières s'est accompli (STAËL, Corinne, t.2, 1807, p.75). D'autres peuplades essayent d'exploiter les esprits (...). On s'efforce parfois de leur tirer quelques oracles (VALÉRY, Variété III, 1936, p.191).
2. Littér. et/ou iron.
a) Message interprété à partir d'un événement, d'un objet; ce qui sert de support à cette interprétation. Les souffrances sont des oracles. Que signifie donc cette palpitation douloureuse qui soulève mon sein? (STAËL, Corinne, t.3, 1807, p.22). Les noisetiers murmuraient et je comprenais leur oracle; j'étais attendue: par moi-même (BEAUVOIR, Mém. j. fille, 1958, p.148).
b) Parole, écrit, opinion, décision faisant autorité, émanant d'une personne, d'une institution faisant autorité. Les oracles de la justice. L'Esprit des Lois fut l'oracle des philosophes du grand monde (BONALD, Législ. primit., t.1, 1802, p.92). Victor Legrand y rendait ses oracles sur toutes les questions de philosophie biologique (DUHAMEL, Nuit St-Jean, 1935, p.102).
♦En emploi adj. Vers le tard, pas un mot qu'il ne dît qui ne devint oracle (VALÉRY, Variété IV, 1938, p.125).
— P. méton. Personne ayant du crédit, faisant autorité. La première fois (...) je considérai avec une véritable émotion cet oracle trapu, aux yeux bleus, à la barbe blanche [V. Hugo] (L. DAUDET, Fant. et viv., 1914, p.12).
♦[Suivi d'un compl. prép. ou d'un adj. indiquant le lieu, le temps, le domaine où s'exerce cette autorité] Oracle du goût, de la médecine; oracle d'un quartier, d'un salon; oracle en matière de... Un vieillard qui était l'oracle du bourg (MÉRIMÉE, Colomba, 1840, p.70). Si vous avez une discrétion à toute épreuve, vous serez notre oracle financier (BALZAC, Initié, 1848, p.424).
♦En emploi adj. Boileau (...) si agréable, si considérable, si oracle à bon droit dans sa sphère (SAINTE-BEUVE, Nouv. lundis, t.1, 1861, p.302). [Taha Hussein] est oracle et simple (COCTEAU, Maalesh, 1949, p.54).
♦Loc. rare. Faire oracle. Faire autorité. Le dernier grand théologien reconnu et qui fasse oracle! (SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t.5, 1859, p.211).
Prononc. et Orth.:[] et [-a-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1165 «lieu où la divinité donnait ses réponses» (BENOÎT DE SAINTE-MAURE, Troie, éd. L. Constans, 28828); b) début XIVe s. «oratoire, lieu de prière» (Ovide moralisé, éd. C. de Boer, IV, 2341 et VIII, 3133); 2. a) 1275-80 «parole divine» (JEAN DE MEUN, Rose, éd. F. Lecoy, 17664); b) av. 1613 p. ext. «parole infaillible» (RÉGNIER, Sat., VI ds LITTRÉ); 3. 1549 «personne qui fait autorité (dans un domaine)» (DU BELLAY, Deffence et illustration, éd. H. Chamard, p.98); 4. 1552 «la divinité ou son interprète» (RONSARD, Odes ds OEuvres, éd. P. Laumonier, t.3, p.148); 1668 parler comme un oracle (MOLIÈRE, L'Avare, I, 5). Empr. au lat. oraculum (de orare «parler» et «prier») dont le sens premier serait «lieu où l'on fait requête au dieu» (cf. auguraculum de même sens) puis «réponse de l'oracle» (v. ERN.-MEILLET); au sens 1 cf. lat. chrét. oraculum «oratoire» et «partie intérieure du sanctuaire où se trouvait l'arche d'alliance et où l'on venait consulter» (v. BLAISE Lat. chrét.). Fréq. abs. littér.:720. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 1534, b) 1079; XXe s.: a) 728, b) 735.
oracle [ɔʀakl] n. m.
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1 Vieilli. Volonté de Dieu annoncée par les prophètes et les apôtres. ⇒ Prophétie.
1 Quel autre a fait un Cyrus, si ce n'est Dieu, qui l'avait nommé deux cents ans avant sa naissance dans les oracles d'Isaïe ?
Bossuet, Oraison funèbre de Louis de Bourbon.
2 (1530). Selon les croyances des anciens, Réponse donnée par une divinité à ceux qui la consultaient en certains lieux sacrés. ⇒ Divination, prophétie, vaticination; devin. || Rendre un oracle. || Les oracles rendus par l'intermédiaire de la pythie, de la pythonisse, de la sibylle. || Oracles sibyllins. — ☑ Allus. littér. L'oracle de la dive bouteille (cf. Rabelais, Tiers livre, XLVII et dernier chapitre du 5e livre). — Histoire des oracles, de Fontenelle (1686).
2 Un oracle toujours se plaît à se cacher :
Toujours avec un sens il en présente un autre.
Racine, Iphigénie, II, 1.
♦ Fig. || L'oracle du destin, de la destinée.
3 Il faut en ce monde que chacun se décide soi-même et se déchiffre péniblement l'oracle de sa destinée, au risque des tâtonnements et des contresens; mais il est bon sans doute d'entendre les uns et les autres autour de soi.
Sainte-Beuve, Correspondance, 433, 3 déc. 1834.
3 (1636). Par ext. La divinité qui rendait ces oracles, ou son interprète; le sanctuaire où elle les rendait. || Consulter un oracle (→ Livrer, cit. 2). || L'oracle de Delphes, de Dodone.
4 Il n'était pas un peuple de Grèce ou d'Asie Mineure, en ce temps-là, qui, avant de rien entreprendre, ne consultât l'oracle delphien. Dont témoignaient des offrandes innombrables et magnifiques. Et l'historien reconnaît, ce qui est assez clair par son récit, que l'oracle n'était compris de personne et ne se comprenait pas lui-même.
Alain, Propos, 19 avr. 1921, L'oracle.
4 (1546). Littér. Décision, opinion qui est exprimée avec autorité ou à laquelle on accorde un grand crédit; ce qu'on prend pour guide. || « Et bientôt en oracle on érigea (cit. 6) ma voix » (Racine). || « L'honneur (cit. 29) parle, il suffit : ce sont là nos oracles » (Racine).
5 Mais je veux ici nommer par honneur le sage, le docte et le pieux Lamoignon, que notre ministre proposait toujours comme digne de prononcer les oracles de la justice dans le plus majestueux de ses tribunaux.
Bossuet, Oraison funèbre de Le Tellier.
6 J'aimais à le voir, à l'entendre; tout ce qu'il faisait me paraissait charmant; tout ce qu'il disait me semblait des oracles (…)
Rousseau, les Confessions, III.
5 (1609). Personne qui parle avec autorité ou compétence, sur un ton décisif; personne dont les avis, les opinions jouissent d'un grand crédit. ⇒ Augure. || « C'était l'oracle de la Grèce » (→ Aréopage, cit. 2, La Fontaine). || Talleyrand, considéré comme l'oracle de son temps (→ Cour, cit. 19). — ☑ Loc. Écouter (cit. 22) comme un oracle (→ Dévorer, cit. 9). — ☑ Parler comme un oracle, avec autorité, avec pertinence. ☑ Ton d'oracle, ton sentencieux.
7 (…) il présenta Bordin comme un oracle dont les avis devaient être suivis à la lettre, et le jeune de Grandville comme un défenseur en qui l'on pouvait avoir une entière confiance.
Balzac, Une ténébreuse affaire, Pl., t. VII, p. 586.
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DÉR. (Du même radical latin) Oraculaire, oraculeux.
Encyclopédie Universelle. 2012.