OCÉANOGRAPHIE
Définie traditionnellement comme l’«ensemble des disciplines scientifiques spécialisées dans l’étude de l’océan» (Vocabulaire de l’océanographie , 1976), l’océanographie apparaît plus que jamais comme une activité pluridisciplinaire dans laquelle physique, chimie et géochimie, biologie, géologie et géophysique interviennent de façon complémentaire concourant à la connaissance du milieu marin et des phénomènes qui s’y déroulent. L’océanographie ne peut être considérée comme une discipline scientifique unique. Cependant, le seul fait d’opérer dans un milieu naturel pour lequel l’homme n’est pas spécialement adapté impose aux chercheurs un ensemble de contraintes et de servitudes communes qui, à elles seules, créent un lien puissant entre les diverses disciplines. En outre, les progrès des connaissances conduisent actuellement à envisager des programmes de recherche faisant intervenir de manière nécessaire plusieurs disciplines scientifiques, notamment en ce qui concerne les questions de flux de matière dans les océans et de production biologique. Il ne s’agit plus seulement de l’utilisation par une discipline scientifique d’informations obtenues indépendamment par d’autres disciplines, mais bel et bien d’une intégration de deux ou plusieurs approches scientifiques en vue d’un objectif unique. Ainsi, spécificités du travail en mer et objectifs de connaissance confèrent à l’océanographie une réelle unité. Par rapport aux disciplines de base intervenant en océanographie (physique, chimie et biologie), les sciences de la Terre (géologie et géophysique) occupent une place particulière, et cela pour deux raisons principales. Tout d’abord, s’il est indéniable que certaines spécialités comme la sédimentologie marine par exemple font partie intégrante de l’océanographie, l’océan apparaît bien souvent pour d’autres disciplines (géophysique par exemple) comme un écran entre l’observation à partir de la surface et les fonds sous-marins dont on cherche à connaître la structure profonde par diverses méthodes de prospection acoustique. En second lieu, la véritable révolution qui a bouleversé les géosciences depuis une vingtaine d’années avec le développement de théories unificatrices comme la théorie de la tectonique des plaques a contribué au regroupement des communautés scientifiques. De nombreux géologues et géophysiciens ont appris à travailler sur la partie océanique de notre planète sans aucune expérience océanographique antérieure. En même temps, les découvertes telles que celle des phénomènes hydrothermaux sous-marins, qui a pour origine des hypothèses géophysiques, ont apporté à la communauté des océanographes de nombreux objectifs scientifiques pour lesquels l’approche pluridisciplinaire s’impose à l’évidence.
Il est de plus en plus difficile de séparer l’étude de l’océan et des processus de toute nature qui s’y déroulent de l’exploitation de ses ressources. Le terme océanologie, d’introduction récente, a été proposé pour désigner l’«ensemble des activités humaines nées de la conjonction des connaissances océanographiques et de l’utilisation du domaine océanique» (Vocabulaire de l’océanographie , 1976). Dans son acception la plus étendue, l’océanologie peut inclure, outre ce qui a trait aux ressources marines et à leur exploitation, des activités en amont comme la construction navale et des activités en aval comme les activités portuaires ou la commercialisation des produits de la pêche. Il paraît préférable de limiter l’emploi du terme océanologie aux ressources exploitables, vivantes et non vivantes. Cette distinction n’est pas universellement acceptée sur un plan international: en Union soviétique, par exemple, l’océanographie avait plutôt un sens descriptif restreint (géographie des mers) et l’océanologie, plutôt un sens explicatif.
Les différents domaines de l’océanographie
L’océanographie physique et dynamique a pour objet l’étude de la répartition dans l’espace océanique des principales propriétés physiques et chimiques – température, salinité, densité, substances dissoutes y compris les gaz, transmission de l’éclairement solaire, etc. – et l’étude des mouvements des eaux marines. À l’échelle de la planète, l’environnement fluide constitué par l’océan et l’atmosphère se comporte comme un système unique couplé par d’importants échanges d’énergie, dont les caractéristiques déterminent le climat terrestre. Le système est alimenté en énergie par le rayonnement solaire qui échauffe la couche superficielle de l’océan. Les pertes d’énergie de l’océan vers l’atmosphère, localement très variables, engendrent des différences de pression atmosphérique, elles-mêmes à l’origine des vents. Les vents induisent enfin les courants marins intéressant la partie supérieure de l’océan. En profondeur, une circulation générale beaucoup plus lente permet le maintien de l’équilibre général. D’autres forces s’exercent également sur les eaux marines: la marée est liée aux mouvements relatifs de la mer, d’une part, de la Lune et du Soleil, d’autre part. D’autres ondes à courte et moyenne périodes (les vagues et les seiches) affectent la surface océanique. On connaît également des ondes internes dont le passage modifie brusquement les propriétés physiques en un point. Quelle que soit l’échelle considérée, l’océanographe physicien a besoin de connaître les limites du «vase océanique», d’où l’importance des études topographiques et cartographiques sur l’océan.
L’océanographie chimique s’est progressivement distinguée de l’océanographie physique, notamment avec le développement de la technique des traceurs chimiques pour suivre le déplacement des masses d’eau. De nombreux éléments chimiques de l’eau de mer interviennent directement avec les cycles biologiques; c’est le cas des sels nutritifs ou nutrients (nitrates, phosphates), des sels intervenant dans la construction des tests et des squelettes des organismes (carbonates, silicates), des oligo-éléments et de nombreuses molécules organiques. D’autres substances ne dépendent pas des phénomènes biologiques: ces traceurs conservatifs permettent de suivre sur de longues distances le cheminement des masses d’eau. Une notion essentielle de la chimie de l’océan réside dans la constance de la composition de l’eau de mer en sels variés: l’équilibre entre les différents sels est conservé, quelle que soit la salinité totale. Tout se passe comme si une solution primaire unique était plus ou moins diluée par de l’eau douce chimiquement pure. Or, et c’est là le paradoxe de l’océanographie chimique, cette composition est très différente, indépendamment du facteur de dilution, de celle des eaux fluviales qui se déversent en mer après avoir dissous une faible partie des sels minéraux contenus dans les roches et les sols rencontrés. On entrevoit actuellement une explication satisfaisante avec la mise en évidence de deux autres sources d’apports chimiques à l’océan: les retombées atmosphériques, d’une part, et la circulation hydrothermale découverte à l’axe des dorsales océaniques, d’autre part.
La géologie et la géophysique marines ont connu depuis la fin des années 1960 une véritable révolution. Les mesures géophysiques et les forages profonds ont apporté la preuve de l’évolution des bassins océaniques au cours du temps, démontrant en même temps la mobilité des continents à la surface de la terre (cf. géologie SOUS-MARINE, DORSALES MÉDIO-OCÉANIQUES). La mise en évidence de ce phénomène de renouvellement continu des fonds océaniques a permis l’élaboration d’une théorie unificatrice: la théorie de la tectonique des plaques [cf. TECTONIQUE DES PLAQUES], qui fournit un modèle rendant compte des mouvements relatifs des continents et des océans depuis la formation de la plaque continentale primitive, la célèbre Pangée. L’évolution de la géométrie des bassins océaniques à l’échelle des temps géologiques a évidemment une importance considérable sur la circulation océanique actuelle et passée et, par voie de conséquence, sur la sédimentation et sur les climats. Ainsi se développe une véritable paléo-océanographie qui fournit une reconstitution relativement précise des océans du passé et des principales conditions qui y régnaient (oxygénation des eaux de fond, température). Traduites en termes cartographiques, ces recherches ont permis de dresser des cartes modernes de la topographie générale du fond des océans dont la diffusion très large a certainement contribué à répandre dans le public les deux notions clés essentielles à la compréhension de la tectonique des plaques: le système de chaînes de montagnes sous-marines, ou dorsales océaniques, s’élevant de plusieurs milliers de mètres par rapport aux plaines abyssales adjacentes, sur une longueur de près de soixante-dix mille kilomètres, et le système complémentaire constitué par les grandes fosses océaniques développées pour l’essentiel dans l’océan Pacifique (cf. FOSSES OCÉANIQUES, SUBDUCTION). La croûte océanique se forme à l’axe des dorsales océaniques. L’âge de la croûte océanique va d’un minimum au niveau du rift à un maximum le long des bords de la plaque à laquelle elle appartient. La croûte océanique s’enfonce progressivement sous une plaque continentale plus légère et regagne le manteau supérieur [cf. ARCS INSULAIRES]. Cette théorie, pour ce qui concerne l’océanographie, a permis de proposer des explications globales satisfaisantes pour de nombreux phénomènes topographiques, par exemple les monts sous-marins d’origine volcanique ou guyots (du nom du géographe suisse qui, le premier, s’intéressa à ces formations sous-marines), les îles hautes et les atolls coralliens du Pacifique. Il ne s’agit plus seulement de décrire, mais d’expliquer et de proposer des modèles de portée plus générale pour interpréter chaque situation.
L’océanographie biologique a pour objet l’étude des ensembles constitués par les êtres vivants peuplant les océans et les mers et des relations qu’ils entretiennent avec un certain nombre de facteurs physiques et chimiques du milieu marin. Ces ensembles peuvent être des écosystèmes, constitués de compartiments fonctionnels (producteurs, consommateurs primaires, carnivores, décomposeurs), eux-mêmes composés d’un certain nombre d’espèces distinctes formant autant de populations. Compartiments fonctionnels et populations constituent également des objets d’étude plus accessibles que l’écosystème: on s’intéresse par exemple à la production primaire pélagique (compartiment fonctionnel) ou à la population de harengs du sud de la mer du Nord (population géographiquement et biologiquement isolée du hareng). La vie dans les océans est caractérisée par une interdépendance étroite entre tous les organismes à travers des réseaux alimentaires complexes (ce terme de réseaux rend mieux compte de la richesse de l’organisation fonctionnelle que la notion linéaire de chaîne alimentaire, qui constitue l’exception), depuis le phytoplancton végétal, les grandes algues et les phanérogames marines jusqu’aux plus grands poissons et aux reptiles et mammifères marins. Contrairement au milieu terrestre, l’océan peut être caractérisé par la proportion de matière organique non vivante (généralement à l’état dissous): pour l’énorme volume de quelque 1 milliard 370 millions de kilomètres cubes que représente l’océan mondial (1 370.1015 m3), cette proportion est de l’ordre des quatre cinquièmes de la quantité totale de matière organique (vivante et non vivante), à l’état figuré ou particulaire et dissous. La répartition comme l’abondance des formes végétales et animales dépendent des facteurs physico-chimiques et des phénomènes dynamiques qui renouvellent dans la couche éclairée où s’opère la photosynthèse les sels minéraux et les oligo-éléments indispensables à la vie. Mis à part les plateaux continentaux [cf. MARGES CONTINENTALES] qui ne représentent que moins de 20 p. 100 de la surface des océans, l’ensemble des communautés animales peuplant l’océan profond, dans la masse des eaux et sur le fond, tire son énergie des particules détritiques organiques (cadavres d’algues unicellulaires et animaux, excréments et détritus d’animaux). La découverte récente de peuplements d’animaux et bactériens exubérants associés aux phénomènes hydrothermaux sous-marins conduit à une révision de cette notion fondamentale.
Les tendances actuelles de l’océanographie biologique concernent, au-delà de la répartition des êtres marins dans l’immense volume de l’océan et de la structure des peuplements et des écosystèmes, les évaluations de la production biologique et de ses transferts à travers le réseau alimentaire. L’importance des variations temporelles des populations marines sous l’influence de divers facteurs, physico-chimiques ou biologiques, est aujourd’hui largement reconnue. Il reste à en apprécier les conséquences à l’échelle de l’année et de la décennie, ce qui implique la collecte de séries d’observations précises sur les écosystèmes marins pendant de longues périodes. Réunir de telles observations en continu implique bien souvent des collaborations entre plusieurs pays (les écosystèmes côtiers des côtes de la Manche font ainsi l’objet d’une étude coordonnée par l’Union européenne).
Historique
L’observation de l’océan et de certains grands phénomènes qui s’y déroulent remonte à l’Antiquité. Le point le plus profond fait l’objet de diverses spéculations à l’époque d’Aristote, et on reconnaît sans l’expliquer la relation qui existe entre la marée et les mouvements relatifs de la Terre d’une part, de la Lune et du Soleil d’autre part. Il faudra attendre Isaac Newton et la découverte des forces d’attraction pour expliquer le phénomène: les marées sont dues à l’attraction gravitationnelle du Soleil et de la Lune sur les particules liquides des océans. D’autres études océanographiques remontent au XVIIe siècle: l’étude de la salinité de l’eau de mer par Robert Boyle, l’étude des vents alizés par Edmond Halley. Au début du XVIIIe siècle, le comte Luigi Marsigli réalisa des observations systématiques sur les courants, la température et la salinité des eaux de la Méditerranée et de la mer Noire: il se passionna pour les échanges d’eau entre les deux bassins au niveau du Bosphore et construisit un modèle physique simple pour expliquer l’existence des deux couches d’eau superposées qui se déplacent en sens contraire. Un peu plus tard, Benjamin Franklin étudia les déplacements du Gulf Stream et Antoine Laurent de Lavoisier effectua la première analyse chimique satisfaisante de la composition de l’eau de mer.
Le XIXe siècle marque l’essor de l’océanographie moderne. Le thermomètre enregistrant minimum et maximum inventé par James Six est employé dès 1803 par les navires russes Nadeshda et Neva au cours d’une des premières circumnavigations océanographiques. D’autres grandes expéditions océanographiques russes et anglaises jalonnent la première moitié du XIXe siècle. La fin de cette période est marquée par deux événements très éloignés l’un de l’autre, mais qui tous deux vont contribuer au développement de l’océanographie: en 1851 est posé avec succès le premier câble télégraphique sous-marin entre la France et l’Angleterre, et des projets furent immédiatement étudiés pour réaliser des liaisons plus importantes, en particulier un câble reliant l’Europe à l’Amérique du Nord. Pour réaliser avec succès la pose des câbles, il fallait connaître la topographie du fond sous-marin, sa nature, la température et les courants auxquels le câble allait être exposé, etc. La jeune science océanographique sut relever ce défi et tirer un grand parti de cette opportunité commerciale en développant de nouvelles méthodes de mesure. À la même époque paraissait un ouvrage posthume rédigé par Edouard Forbes et un de ses collaborateurs, consacré à la répartition de la vie sur le fond des mers. Sur la foi d’une série de dragages en mer Égée effectués jusqu’à environ 400 mètres et extrapolant à de plus grandes profondeurs la réduction à peu près linéaire du nombre d’espèces et d’individus dragués avec la profondeur, ces auteurs conclurent qu’au-delà de 500 mètres la vie ne pouvait exister! Cette théorie d’ailleurs émise avec certaines réserves fut cependant admise pendant un certain temps, et il faudra attendre la description, faite en 1861 par Alphonse Milne Edwards, d’invertébrés fixés sur un câble sous-marin mouillé entre la Sardaigne et l’Afrique par plus de 1 500 mètres pour mettre en doute cette hypothèse. En même temps, la découverte des premiers fossiles vivants, les encrines (ou lis de mer) recueillies par Michael Sars à plus de 600 mètres de profondeur à proximité des îles Lofoten sur les côtes norvégiennes, confirmant la théorie de Charles Darwin sur l’évolution (l’ouvrage De l’origine des espèces a été publié en 1859), donnait une nouvelle impulsion à l’océanographie biologique. De 1868 à 1870, les campagnes du Lightning et du Porcupine révélèrent la présence d’une grande variété d’invertébrés marins jusqu’à 4 450 mètres et démontrèrent l’existence à proximité du fond de températures bien inférieures au minimum attendu de 4 0C (correspondant au maximum de densité de l’eau). Quelques années plus tard, de 1872 à 1876, l’expédition du Challenger , sous la direction de sir Charles Wyville Thompson, couvrit 70 000 milles marins et réalisa des opérations en grande profondeur en 362 stations: sondages, prises d’échantillons de sédiments et d’eaux, récoltes d’animaux, mesures de températures. Les sondages les plus profonds dépassèrent 8 000 mètres, non loin de la fosse des Mariannes, en mer des Philippines, qui demeure aujourd’hui le lieu le plus profond de l’océan mondial avec près de 11 000 mètres. En France, il faut attendre les premières campagnes des navires Travailleur et Talisman , de 1880 à 1883, pour assister au début de l’océanographie hauturière. À partir de 1885 commença la série des campagnes du prince Albert Ier de Monaco, à bord de l’Hirondelle , qui devaient se poursuivre jusqu’en 1914 avec la Princesse Alice , la Princesse Alice II et l’Hirondelle II . Ces campagnes s’intéressèrent surtout à l’océanographie biologique en profondeur. La découverte, dans les matières rejetées par les cachalots au cours de leur agonie, de débris du corps et des bras de calmars géants atteignant entre 10 et 15 mètres de longueur totale constitue un des résultats les plus spectaculaires de ces campagnes. Signalons encore les campagnes du Dana , organisées de 1920 à 1922, puis de 1928 à 1930 par Johannes Schmidt, à qui on doit la découverte de l’étonnante migration des jeunes anguilles à partir de la mer des Sargasses jusqu’aux côtes européennes et américaines, et la campagne du Meteor qui étudia de 1925 à 1927 l’hydrologie de l’Atlantique et essaya d’extraire l’or contenu dans l’eau de mer sans parvenir à une rentabilité satisfaisante. L’ère des grands voyages scientifiques, couvrant de vastes régions de l’océan mondial d’un réseau de stations souvent éloignées d’une centaine de milles marins les unes des autres, s’est achevée avec la circumnavigation de la Galathea : conduite par le Danois Anton Bruun en 1951-1952, on lui doit d’avoir définitivement éclairci le problème de la vie en profondeur en réalisant un chalutage réussi dans la fosse des Mariannes, par 10 000 mètres de profondeur, démontrant la présence de la vie, sous forme de bactéries et d’invertébrés, jusqu’aux plus grandes profondeurs existantes.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’océanographie subit une profonde mutation technologique avec le développement de l’acoustique sous-marine, l’apparition de l’hydraulique à bord des navires ou la mise au point de dispositifs techniques simples mais très efficaces tels que le joint torique qui révolutionna littéralement la conception et l’utilisation d’enceintes résistant à la pression. Une nouvelle étape débute au cours des années 1950, avec la plongée réussie à un peu plus de 4 000 mètres de profondeur du bathyscaphe français F.N.R.S. III (Fonds national de la recherche scientifique, la sphère résistante utilisée par le F.N.R.S. III provenait d’une première expérience infructueuse de l’inventeur du bathyscaphe, le physicien suisse Auguste Piccard) en juillet 1954 au large de Dakar, avec Georges Houot et Pierre Willm à bord: avec la vision directe de l’observateur, c’est une nouvelle frontière qui s’ouvre à l’océanographie dont les résultats font partie de l’océanographie actuelle.
On ne saurait conclure cette brève présentation de l’histoire de l’océanographie sans signaler la création d’un certain nombre d’organismes internationaux de coordination de l’océanographie. En 1899, les principaux pays d’Europe créent et installent à Copenhague le Conseil international pour l’exploration de la mer, ou l’I.C.E.S. (International Council for the Exploration of the Sea), qui se consacre pour l’essentiel à la mer du Nord, à la mer Baltique, à la mer de Norvège et à l’Atlantique nord-est. Il joue actuellement un rôle important vis-à-vis des autorités communautaires en ce qui concerne la gestion des ressources halieutiques de la mer communautaire. La même année, lors du septième congrès international de géographie, le prince Albert Ier de Monaco fait adopter le principe de la réalisation d’une carte bathymétrique générale des océans dont la première édition, comprenant seize feuilles en projection de Mercator à huit feuilles en projection gnomonique couvrant les régions polaires, parut à partir de 1903. En 1912, le prince Albert Ier de Monaco, qui a joué un rôle éminent dans les développements de l’océanographie au début du siècle, propose aux pays riverains de la mer Méditerranée la création d’une Commission internationale pour l’exploration scientifique de la mer Méditerranée (C.I.E.S.M.) dont le secrétariat général est installé dans la principauté de Monaco. La Commission consacre ses activités à l’étude de la Méditerranée et de la mer Noire, notamment dans le domaine des pollutions qui constituent une préoccupation croissante pour les États membres. Après la Seconde Guerre mondiale, une agence spécialisée de l’U.N.E.S.C.O. est créée pour assurer une coordination à l’échelle mondiale et développer au sein de grands programmes régionaux la coopération scientifique entre les nations industrielles et les nations en développement, la Commission océanographique intergouvernementale (C.O.I.). Cette commission contribue également à la mise en œuvre de grands programmes de recherche internationaux recommandés par le Comité scientifique pour la recherche océanographique (plus connu sous son sigle anglais de S.C.O.R., Scientific Commission for Oceanographic Research), instance placée sous l’égide du Conseil international des unions scientifiques. Enfin, à la suite de l’adoption en décembre 1982 par la troisième conférence des Nations unies sur le droit de la mer d’une nouvelle convention générale relative aux eaux territoriales, à l’exploration des fonds marins et à la circulation dans les détroits, a été introduit le concept de zone économique exclusive (Z.E.E.) qui reconnaît à l’État riverain une juridiction qui s’étend jusqu’à 200 milles marins des lignes de rivage servant à définir la mer territoriale. L’instauration de la Z.E.E. fait en pratique disparaître la liberté de navigation pour la recherche scientifique conduite à partir de navires étrangers. La convention prévoit le consentement de l’État côtier pour l’ouverture d’une campagne de recherche, mais pose diverses conditions à sa réalisation (notamment la présence à bord d’observateurs officiels désignés par l’État côtier) et impose la fourniture des résultats des mesures effectuées à l’État côtier. En revanche, la recherche scientifique dans le domaine océanique, en dehors des Z.E.E., est ouverte à tous les États ainsi qu’aux organisations internationales compétentes.
Les moyens modernes
L’essor de l’océanographie moderne après la Seconde Guerre mondiale n’a rien de commun avec la période historique. Le travail en mer devient beaucoup plus systématique, l’échelle d’observation beaucoup plus fine: aux stations séparées par une centaine de milles marins va succéder un quadrillage à mailles beaucoup plus serrées. La progression des techniques va permettre des mesures en cours de navigation d’abord pour les données géophysiques (magnétisme, champ de gravité, étude de la structure par sismique réflexion), puis pour les données physico-chimiques (température et salinité de surface, teneurs en sels nutritifs le long d’un profil sinusoïdal défini par le trajet dans le plan vertical d’un «poisson» remorqué par le navire et dont l’immersion est contrôlée), enfin pour les données biologiques (prélèvements de phytoplancton et de zooplancton). Les campagnes de recherche, de plus courte durée que les grandes circumnavigations de la période précédente, adoptent un rythme de travail et d’acquisition de données plus soutenu, et les motivations proprement scientifiques prennent progressivement le pas sur la problématique de l’exploration. La recherche s’étend à toutes les mers, y compris les zones pratiquement ignorées jusque-là comme le Pacifique sud ou l’océan Indien. Les navires océanographiques, auparavant affrétés pour chaque expédition, et par conséquent plus ou moins bien adaptés à leur mission, sont étudiés et construits pour cette unique destination, et font partie de flottes nationales parfois très importantes. De nouveaux engins complètent la panoplie des moyens lourds: les submersibles habités d’exploration profonde, avec les bathyscaphes à flotteur rempli de kérosène et les submersibles plus récents où la flottabilité est fournie par des matériaux composites, les engins d’exploration profonde inhabités, tractés ou autonomes et télécommandés à partir du navire porteur. Enfin, les plate-formes spatiales constituées par les satellites permettent pour la première fois d’observer l’océan de manière globale. Au niveau des institutions, des organismes spécialisés se sont créés dans différents pays et se sont dotés de façon permanente de moyens humains et financiers permettant d’accroître considérablement le travail d’acquisition des données. Cette mutation a ses conséquences dans le domaine de la publication scientifique: jusqu’à la Première Guerre mondiale, les résultats des grandes expéditions océanographiques mondiales fournissent l’essentiel des connaissances nouvelles; entre les deux guerres apparaissent quelques rares revues périodiques (par exemple les Annales de l’Institut océanographique en France ou Deep-Sea Research en Angleterre) qui complètent l’apport des expéditions. Après la Seconde Guerre mondiale, au contraire, les revues périodiques prennent rapidement le pas sur les résultats des expéditions. De manière globale, les informations scientifiques, les hypothèses, les théories circulent plus rapidement. Comme dans les autres domaines de la science, les occasions de rencontre se multiplient, assurant une diffusion à la fois plus large et plus rapide des connaissances acquises: en 1967 se tient à Moscou le premier Congrès océanographique international qui réunit plus de 1 000 spécialistes venus du monde entier. En mer, des entreprises internationales d’une ampleur inconnue auparavant sont menées à bien, comme les campagnes de mesure réalisées durant l’Année géophysique internationale (1957-1958), qui intéressèrent surtout l’Antarctique, ou encore l’Expédition internationale de l’océan Indien, organisée sous l’égide de l’U.N.E.S.C.O. qui, entre 1962 à 1965, bénéficie du travail des navires océanographiques de treize nations différentes, et aboutit à amener la connaissance d’un océan délaissé par les grandes expéditions antérieures à un niveau comparable à celui des autres grands océans. Plus récemment, des programmes aussi différents que le projet américain de forage océanique par grande profondeur, commencé en 1968 et poursuivi sur le plan international à partir de 1975 en tant que programme international de forages océaniques – plus connu sous les sigles anglais de D.S.D.P. (Deep Sea Drilling Project), I.P.O.D. (International Program for Ocean Drilling), puis O.D.P. (Ocean Drilling Program) –, le programme d’évaluation des stocks d’organismes marins de l’océan Antarctique en océanographie biologique (connu sous le nom de Biomass) ou le programme d’étude des échanges d’énergie et de chaleur au niveau de l’océan tropical en océanographie physique (connu sous le nom de T.O.G.A., Tropical Ocean Global Atmosphere) permettent de réunir des moyens importants et de coordonner leur activité en vue d’un objectif précis.
L’étude des océans est inséparable des moyens d’accès et d’intervention. Les progrès technologiques qui améliorent les performances sont à l’origine de progrès scientifiques considérables. Ces deux raisons justifient une description des moyens actuellement utilisés par l’océanographie.
Le navire océanographique reste aujourd’hui encore un élément essentiel de la recherche. Les dimensions de ces navires sont variables d’un pays à un autre, d’une mission à une autre. En zone côtière, pour des profondeurs de moins de 200 mètres, des navires côtiers compris entre 15 et 25 mètres de longueur, capables d’effectuer des sorties de quelques heures à quelques jours, sont suffisants, du moins lorsque le plateau continental n’est pas trop large. Les performances de ces unités restent très moyennes au regard des navires hauturiers et surtout leur capacité de travail par mer forte est réduite ou nulle: il n’est pas surprenant de constater que l’activité moyenne annuelle de ces petits navires ne dépasse guère 100 à 120 jours. Les navires océanographiques hauturiers les plus fréquents jaugent entre 500 et 1 000 tonneaux et mesurent entre 40 et 55 mètres environ. Capables d’une autonomie d’une trentaine à une quarantaine de jours, emportant, en dehors de l’équipage, une dizaine voire une quinzaine de chercheurs, ces navires ont une taille suffisante pour recevoir des équipements spécialisés pour les travaux océanographiques. Ils peuvent également servir de navires porteurs pour des submersibles profonds. Des pays comme les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne utilisent de tels navires. Le développement des mesures ultrasonores, en particulier pour le sondage, le besoin de disposer d’une capacité de traction en grande profondeur dépassant une douzaine de tonnes à l’extrémité utile du câble, l’augmentation du nombre des scientifiques embarqués, l’accroissement de l’autonomie expliquent la tendance actuelle pour des navires de 1 500 à 3 000 tonneaux, mesurant de 65 à 85 mètres, capables d’opérer pendant de longues durées et très loin de leur port d’attache. Ces navires sont très stables et sont capables de travailler normalement par des mers de force 5 à 6. Équipés fréquemment de propulsion diesel-électrique, ils peuvent être silencieux, ce qui constitue un gros avantage pour l’utilisation des engins et matériels très divers qui font appel à la transmission par voie ultrasonore à travers la colonne d’eau de télécommandes ou de télémesures. En France, le navire océanographique Jean-Charcot , lancé en 1965 et refondu en 1983-1984, appartient à cette classe de navires très performants.
Pour des raisons sans doute plus politiques que techniques, l’Union soviétique a été à peu près le seul pays à disposer d’une flotte océanographique de fort tonnage, avec des unités jaugeant de 5 000 à 8 000 tonneaux. Il s’agit d’ailleurs souvent d’anciens paquebots équipés spécialement pour l’océanographie. Très hauts sur l’eau, moins maniables que les unités de plus faible tonnage, ces navires disposent par contre d’une très grande autonomie à la mer, supérieure à six mois. Pour des raisons de stabilité et de place disponible pour implanter des laboratoires spécialisés, le travail d’exploitation du matériel recueilli peut être poussé assez loin à bord de ces navires. Une place à part doit être réservée aux navires foreurs directement inspirés des technologies de prospection pétrolière: le célèbre Glomar Challenger et son successeur, le Joides Resolution , dont la silhouette est caractérisée par la présence d’une tour métallique centrale (le derrick) et de zones de stockage des tubes de forage. Il existe également des navires polaires, brise-glace ou non, plus ou moins bien équipés pour l’océanographie, qui assurent des missions d’avitaillement des bases à terre. En France, la desserte des îles subantarctiques est ainsi assurée par le Marion-Dufresne ; ce navire effectue régulièrement des travaux océanographiques au cours de ses trajets depuis la métropole jusqu’aux différentes îles (Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam, Crozet).
Les principales spécificités d’un navire océanographique résident tout d’abord dans sa tenue et sa stabilité à la mer, ainsi que son aptitude à tenir en station et à manœuvrer à faible vitesse pendant les opérations de dragage et de remorquage d’engins. Le silence acoustique dans l’eau devient une qualité essentielle avec le développement des transmissions d’ordres et de données par ultrasons. Une vitesse moyennement élevée, de l’ordre de 15 nœuds, est souhaitable et l’autonomie varie entre un et deux mois, mis à part les navires soviétiques, qui disposent d’une autonomie beaucoup plus élevée pour des motifs d’ailleurs plus politiques que techniques (possibilité de faire des escales d’avitaillement). Les équipements de base comprennent des treuils océanographiques de capacité (diamètre et longueur des câbles) et de puissance (force de traction) très variables: treuils d’hydrologie, de plus en plus fréquemment équipés de câbles électro-porteurs grâce à des contacts tournants, treuils de dragages et de carottages capables d’exercer une force de traction de plusieurs dizaines de tonnes, avec des câbles dont le diamètre varie de 12 à 16, voire 20 millimètres. Les câbles d’acier, relativement lourds et dont une partie de la résistance sert à supporter le poids du câble immergé, sont actuellement concurrencés par des fibres synthétiques: après les essais infructueux faits avec le nylon dans les années 1960 (le coefficient d’élasticité sous tension est beaucoup trop élevé, et des enrouleurs sans tension indépendants du cabestan d’entraînement sont indispensables), une nouvelle fibre, le kevlar, commence à être utilisée malgré son prix élevé. Les treuils sont associés à des portiques mobiles hydrauliques dont le rôle est de déborder les engins avant mise à l’eau. Des grues hydrauliques capables de couvrir la zone de travail de la plage arrière les complètent. À l’intérieur du navire, de nombreux laboratoires, les uns humides, c’est-à-dire supportant des écoulements d’eau de mer importants, les autres secs, abritant des appareils de préparation et d’analyse d’échantillons, sont disposés aussi près que possible des zones de travail. L’utilisation de laboratoires en conteneurs se développe, en particulier pour les ensembles électroniques et informatiques. Le travail de la mission scientifique est suivi depuis un poste de veille généralement situé au-dessus de la plage arrière, où sont centralisées l’ensemble des informations sur la navigation et les opérations en cours, et qui abrite également les sondeurs et les ordinateurs associés.
Les bouées-laboratoires . Conçues à l’origine pour des études de propagation des ondes sonores dans l’océan, elles se sont révélées à l’usage d’une utilisation très restreinte et ont aujourd’hui disparu de l’arsenal des engins océanographiques. À la suite des États-Unis, la France avait réalisé une bouée-laboratoire Borha qui, contrairement au modèle américain, demeurait constamment dans la position verticale. Des travaux d’océanographie physique sur les échanges d’énergie entre l’océan et l’atmosphère ont été réalisés à partir de Borha I et II et d’un important réseau de mesure déployé autour de Borha , la masse de la bouée modifiant les processus étudiés jusqu’à quelques centaines de mètres.
Les océanographes naturalistes, biologistes et géologues ont besoin d’opérer sous l’eau. Dès le siècle dernier, les lourds scaphandres à casque ont été utilisés par un biologiste français, Henri Milne Edwards. L’apparition du scaphandre autonome entre 1935 et 1943 (les premiers essais de scaphandre autonome sont dus au commandant Le Prieur; le commandant Cousteau et l’ingénieur Gagnan apportèrent en 1943 une amélioration en apparence minime, mais décisive, avec l’introduction d’un détendeur où s’accomplissent l’inspiration et l’expiration de l’air par le plongeur) permet de descendre normalement à une profondeur d’une quarantaine de mètres, exceptionnellement à 60 ou à 70 mètres pour de très brèves durées, en utilisant l’air comprimé. Les techniques de la plongée industrielle avec des mélanges hélium -oxygène (héliox), les trimix, voire hydrogène -oxygène (hydrox), qui permettent de travailler à des profondeurs de 300 à 450 mètres, ne sont pas utilisées par les océanographes. Pour aller plus profondément, il faut avoir recours aux sous-marins scientifiques, surtout utilisés aux États-Unis et en France, le Canada, le Japon et l’Union soviétique disposant aujourd’hui de sous-marins d’exploration.
Les premiers sous-marins d’exploration sont apparus après la Seconde Guerre mondiale, dus au génie inventif du physicien suisse Auguste Piccard: une sphère d’acier résistant à la pression abrite les observateurs; un flotteur empli d’un fluide plus léger que l’eau assure sa sustentation tout en permettant au système de s’affranchir de la surface. Le dernier-né des bathyscaphes de première génération, l’Archimède , conçu par Georges Houot et Pierre Willm, lancé en 1961, a effectué ses dernières plongées en 1973-1974 sur la dorsale médio-atlantique. Il avait atteint, en 1962, 9 500 mètres de profondeur au fond de la fosse des Kouriles, au nord-est du Japon. L’apparition de nouveaux matériaux de flottabilité constitués de microsphères de verre creuses agglomérées dans une résine, qui supportent sans déformation des pressions considérables et des températures très basses, et le développement de la métallurgie du titane ont permis d’aboutir à des sous-marins comme le Nautile français qui, mis à l’eau en 1985, peut atteindre 6 000 mètres de profondeur avec trois hommes à bord. Aux États-Unis, le Sea Cliff , lancé à la même époque, présente les mêmes caractéristiques. Avant eux, la soucoupe française Cyana , capable d’atteindre 3 000 mètres, et l’Alvin américain, modifié récemment pour pouvoir atteindre 4 500 mètres grâce à une sphère en titane, ont accumulé les découvertes, notamment la découverte des phénomènes hydrothermaux sous-marins entre 1977 et 1979. Ces engins peuvent voir le fond, y effectuer des déplacements d’une dizaine de kilomètres au cours d’une même plongée et rapporter des prélèvements de sédiments, d’eau et d’organismes vivants; ils ont permis le développement d’une océanographie des profondeurs à petite échelle tout à fait originale. L’emploi de réseaux de répondeurs acoustiques posés sur le fond et préalablement positionnés à partir du navire porteur du submersible joint au téléphone sous-marin permet de guider le submersible à partir de la surface avec une précision de l’ordre de quelques mètres par rapport au réseau de répondeurs.
À côté des sous-marins habités ont été développés, pour l’étude des grandes profondeurs, des engins inhabités, infiniment moins coûteux et plus simples d’emploi. Les uns restent reliés au navire de surface par un câble électro-porteur qui les remorque, les alimente en énergie et transmet au navire en temps réel un certain nombre d’informations. D’autres, plus évolués, sont autonomes et disposent d’une source d’énergie leur permettant de se déplacer au fond, d’y effectuer des mesures et des prises de vue et d’exécuter des ordres transmis par le navire: l’engin Epaulard , construit en France par l’Ifremer (Institut français de recherches pour l’exploitation de la mer) et capable d’atteindre 6 000 mètres de profondeur, est un des meilleurs exemples de ces engins robots d’exploration.
Pour l’exploitation de fonds accidentés et l’exploration d’épaves par les sous-marins habités, il a été récemment réalisé des mini-robots reliés par un câble électro-porteur d’une centaine de mètres environ au sous-marin habité: ces engins effectuent surtout des prises de vues photographiques et vidéo (le Nautile est ainsi équipé d’un mini-robot d’observation, le Robin ).
Enfin, depuis une vingtaine d’années, les techniques spatiales ont ouvert à l’océanographie de nouvelles perspectives. Depuis 1964, le système de navigation par satellite Transit est opérationnel. Son principe repose sur la mesure, à partir du navire que l’on cherche à positionner, du changement de fréquence dû à l’effet Doppler des signaux émis par le satellite; cela permet de déterminer la position de l’observateur par rapport à la trajectoire du satellite. Ce système aujourd’hui très répandu sur les navires océanographiques fournit en toutes circonstances une précision de l’ordre d’un demi-mille marin. Dans le même ordre d’idée, le système Argos, opérationnel depuis 1980, permet la localisation de bouées ou de tout autre objet flottant sur l’océan, ainsi que la collecte des données physiques (océanographiques et météorologiques) recueillies par les bouées. Lancé en 1978, le premier satellite réellement océanographique, Seasat, a fonctionné 100 jours seulement, mais a fourni avec son altimètre radar des mesures de la hauteur des vagues avec une précision de 50 centimètres. D’autres instruments ont permis la mesure de la rugosité de la surface marine liée aux ondes capillaires, de la température de surface (couche millimétrique), de la vitesse et de la direction du vent, etc. À la suite de Seasat, d’autres satellites ont été équipés en vue des applications océanographiques: E.R.S.-1 (Earth Resources Satellite), qui doit être lancé par l’Agence spatiale européenne (E.S.A.), et surtout le satellite Topex-Poseidon, résultat d’un accord entre la N.A.S.A. et le C.N.E.S. en France, sans omettre les résultats extrêmement intéressants obtenus par le satellite français S.P.O.T. lancé en 1986 en matière d’imagerie stéréoscopique donnant une résolution légèrement inférieure à 10 mètres.
Les avantages des satellites pour observer l’océan par rapport aux méthodes conventionnelles sont bien connus: répétitivité des observations au même point dans un court laps de temps, couverture synoptique de l’ensemble d’un océan en un temps très court. En revanche, les capteurs actuellement utilisés ne permettent pas les investigations en profondeur: la température de l’eau de mer mesurée par satellite intéresse uniquement la surface de la mer. D’autre part, les opérations de tests et d’étalonnage en mer restent essentielles et nécessitent à elles seules l’emploi d’une importante flotte océanographique. Le satellite ne se substitue en aucun cas au navire océanographique, mais le complète en apportant la quasi-simultanéité des observations, des mesures sur une vaste zone et la répétition des opérations durant de longues périodes.
Bien qu’une évolution particulièrement nette en physique et en géologie aille dans le sens d’une exploitation de plus en plus poussée, à bord même des navires océanographiques, des données recueillies, il va de soi qu’un tel ensemble de moyens à la mer implique l’existence d’institutions à terre dont les dimensions soient à l’échelle de ces moyens. Aujourd’hui, chaque grand pays océanographique dispose de son ou de ses institutions de recherche, organisées selon les usages nationaux: aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne fédérale, l’océanographie et les pêches forment deux ensembles distincts. Aux États-Unis, les grandes institutions comme Woods Hole Oceanographic Institution ou Scripps Institution of Oceanography n’entretiennent que de lointains rapports avec la National Oceanographic and Atmospheric Administration (N.O.A.A.), qui renferme le National Marine Fisheries Service. Il en est de même en Grande-Bretagne, entre l’Institute of Ocean Sciences et les laboratoires des pêches du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Pêches (M.A.F.F.). En France, à la suite de la fusion décidée en 1984 entre le Centre national pour l’exploitation des océans (Cnexo) et l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes qui a donné naissance à l’Institut français de recherches pour l’exploitation de la mer (Ifremer), l’organisation nationale comprend en outre: le Centre national de la recherche scientifique et les universités, le Service hydrographique et océanographique de la marine (S.H.O.M.) et, pro parte , l’Institut français de recherche pour le développement en coopération (qui a conservé son ancien sigle O.R.S.T.O.M., Office de la recherche scientifique et technique outre-mer), ces derniers ne représentant guère plus du tiers des moyens publics consacrés à l’océanographie. En Union soviétique, à côté de l’Institut d’océanologie de l’Académie des sciences, existent différents instituts rattachés à diverses universités ainsi qu’un institut particulier pour la recherche sur les pêches (V.N.I.R.O.).
Méthodes et programmes de l’océanographie contemporaine
Dans le domaine de l’océanographie dynamique, des techniques modernes faisant appel à l’électronique, l’acoustique et l’informatique sont apparues depuis une quinzaine d’années: bathysondes mesurant directement la température, la conductivité (et par conséquent la salinité), la teneur en oxygène dissous et la pression, courantomètres sensibles à des vitesses de l’ordre de quelques centimètres par seconde et pouvant enregistrer pendant une durée de six mois à un an la vitesse et la direction des courants jusqu’à des profondeurs de plusieurs milliers de mètres, flotteurs acoustiques lagrangiens immergés à des profondeurs déterminées, et localisés à plus de cent kilomètres de distance par un réseau de stations d’écoute mouillées au fond, bouées dérivantes supportant des chaînes de thermistance et transmettant les données mesurées en temps quasi réel à travers le système Argos qui assure la localisation des bouées, enfin la tomographie acoustique, qui permet de déterminer sur une série de coupes la répartition de la vitesse du son ainsi que celle des courants marins à l’échelle d’un bassin océanique (plusieurs milliers de kilomètres). À ces techniques de mesures directes, on doit ajouter les mesures faites à partir de satellites, et notamment l’altimètre fin (mesure du niveau de la mer à quelques centimètres près par rapport à un ellipsoïde de référence), et l’état de la surface marine (qui donne accès à la connaissance de la vitesse et de la direction du vent en surface), que complètent la mesure de la température de surface et celle de la couleur de la mer. Des méthodes plus classiques continuent également d’être largement utilisées pour obtenir une connaissance synoptique de l’océan: c’est par exemple le cas des bathythermographes perdables qui mesurent rapidement, à partir d’un navire marchand en route, la variation de température des quelques premières centaines de mètres. L’océanographie physique moderne exige de connaître la répartition des propriétés dans l’océan de manière synoptique. La multiplication des mesures confère une importance croissante aux banques de données. L’exploitation scientifique, comme pour ce qui concerne l’étude de l’atmosphère, passe par la mise au point de modèles mathématiques à deux et à trois dimensions, intéressant un océan dans son ensemble. Devant l’ampleur de la tâche et compte tenu d’autre part de l’intérêt croissant porté par la plupart des pays à l’évolution du climat à l’échelle de la décennie, des programmes internationaux se sont récemment développés: pour la période 1985-1995, ce sont les variations du contenu thermique des premières centaines de mètres de l’océan dans les régions tropicales qui sont privilégiées par le programme T.O.G.A. (Tropical Ocean and Global Atmosphere); à partir de 1990, un programme encore plus vaste, intéressant l’ensemble de la circulation des masses d’eau océanique de l’équateur jusqu’aux pôles est actuellement en préparation: il s’agit du programme W.O.C.E. (World Ocean Circulation Experiment) qui utilise des mesures en mer depuis la surface jusqu’au fond, ainsi que des mesures de variations du niveau de la mer à partir de stations d’observation à terre et des données altimétriques précises que recueillera le satellite franco-américain Topex-Poseidon.
En dehors de cette orientation principale, les recherches en zone côtière sur la circulation des eaux et le transport de particules sédimentaires deviennent d’une importance croissante avec l’augmentation des rejets de toute nature dans l’océan.
L’océanographie chimique a bénéficié des progrès réalisés en matière d’analyses, avec l’apparition de techniques telles que la polarographie impulsionnelle, la spectrométrie de masse, la chromatographie liquide à haute performance, le développement d’automates permettant d’accroître considérablement le rendement des méthodes de dosage colorimétriques auparavant effectuées une à une manuellement, etc. Des améliorations ont été également effectuées sur les niveaux de détection par l’utilisation de laboratoires en conteneurs chimiquement isolés. La découverte dans l’océan des retombées de particules continentales et de micrométéorites ainsi que des sources hydrothermales sous-marines profondes qui libèrent dans l’océan des quantités très importantes d’éléments minéraux (notamment de métaux) prélevés au magma ont donné une puissante impulsion à la géochimie des océans. La surveillance des pollutions d’origine humaine de toute nature dans l’océan a également contribué à une amélioration des méthodes et des capacités des laboratoires d’analyse. La répartition dans les masses d’eau de traceurs chimiques naturels ou anthropiques permet de calculer des flux d’échange entre bassins, et les océanographes chimistes interviennent dans un programme tel que W.O.C.E.
Dans le domaine des sciences de la Terre, l’étude de la topographie du fond fait intervenir de nouvelles méthodes de sondage, en particulier le sondeur multifaisceaux qui permet d’obtenir une véritable carte du fond sur une largeur représentant les trois quarts de la profondeur. Le positionnement du navire par satellite de navigation donne à ces levés une bonne précision. Le sondeur multifaisceaux est complété par des systèmes de sonars remorqués près du fond ou près de la surface, qui fournissent une sorte de vue cavalière sur une largeur de quelques kilomètres à une centaine de kilomètres, les reliefs étant soulignés par des zones d’ombre. Enfin, la photographie sous-marine et la télévision, à partir d’engins remorqués ou autonomes (tel l’engin français Epaulard), complètent ces techniques d’observation. Les méthodes de prélèvement, qui n’ont pas fondamentalement varié depuis une vingtaine d’années, ont vu leurs performances accrues: des carottiers à piston prélevant des carottes de sédiment d’une trentaine de mètres ont été mis au point récemment. Enfin, l’ensemble des méthodes sismiques a fait des progrès considérables, tant au niveau des sources sonores et des récepteurs immergés que du traitement des signaux ou dans la disposition de récepteurs multiples remorqués par plusieurs navires dans le cas de la sismique réflexion. La magnétométrie, à l’origine de la découverte du renouvellement continu de la croûte océanique, et la gravimétrie embarquée sont maintenant au point. Bien qu’il ne s’agisse plus à proprement parler d’océanographie, on doit évoquer le vaste programme de forages des fonds océaniques entrepris en 1968: le navire foreur actuellement en service, le Joides Resolution , d’un tonnage de 60 000 tonnes, fait appel aux techniques utilisées par l’industrie pétrolière et dispose d’une capacité totale de 10 000 mètres de train de tige, avec une pénétration de près de 4 000 mètres. On est évidemment bien loin de l’étude des couches sédimentaires superficielles qui renseignent les paléo-océanographes sur les conditions de température, de courants, d’oxygénation des eaux, des océans du passé.
Les méthodes de l’océanographie biologique ont encore peu évolué, tout au moins pour ce qui concerne les prélèvements eux-mêmes d’organismes: en effet, les biologistes font largement appel pour la connaissance des facteurs physico-chimiques du milieu aux techniques de mesure empruntées aux autres disciplines. Les engins de prélèvement classiques sont les filets, à maille variant de 50 micromètres à quelques millimètres pour les organismes du plancton, et de plus grande dimension pour les poissons. Sur le fond, aux dragues et chaluts qui ne fournissent que des données semi-quantitatives sur l’abondance, se sont adjoints les bennes variées et les carottiers carrés ou rectangulaires à grande section. Les nasses appâtées ou de simples appâts doublés de systèmes photographiques ont renouvelé récemment les connaissances sur les animaux charognards de grande profondeur. Les techniques acoustiques ont permis la réalisation de filets ouvrants-fermants, télécommandés depuis la surface lorsque la profondeur de pêche est atteinte. Les mêmes techniques acoustiques ont permis la réalisation de systèmes de détection des organismes de pleine eau, qui fournissent une évaluation des stocks de poissons, voire de plus petits animaux comme le krill antarctique. Ces méthodes d’échoprospection sont largement utilisées en matière de pêche. L’étude de la production primaire de phytoplancton a débuté au cours des années 1950 avec la technique dite au 14C, elle a été révolutionnée par les possibilités de la spectrométrie de masse: on peut utiliser le 15N qui distingue la production nouvelle (liée à l’utilisation par le phytoplancton du flux ascendant de sels nutritifs) et la production régénérée (c’est-à-dire qui réutilise les sels nutritifs provenant des métabolites rejetées dans le milieu). Pour les micro-organismes comme les cyanobactéries ou les bactéries, qui mesurent moins de 1 micromètre à 2 ou 3 micromètres, on est obligé de recourir à des prélèvements d’eau de mer sur des filtres de dimensions appropriées.
Les grands objectifs de l’océanographie biologique consistent à analyser la structure des écosystèmes marins et en comprendre le fonctionnement énergétique, c’est-à-dire l’ensemble des processus qui assurent le cheminement de la matière organique d’un compartiment du système au suivant. Jusqu’à ces dernières années, on admettait que la matière organique avait pour origine la photosynthèse (qu’elle soit le fait du phytoplancton, des grandes algues et des plantes marines ou des végétaux terrestres). Les découvertes successives des peuplements animaux liés aux fluides hydrothermaux et aux suintements froids des fosses de subduction ont montré qu’une autre source de matière organique d’importance significative existait dans l’océan profond. Mis à part les recherches très finalisées en matière de pêche et d’étude des stocks, il existe quelques grands programmes internationaux. Après les années 1970, où l’accent a été mis sur les zones de résurgence à forte productivité, on s’intéresse actuellement aux écosystèmes antarctiques, aux milieux coralliens et à d’autres écosystèmes largement répandus. Mais l’océanographie biologique cherche également à mieux analyser les mécanismes qui assurent la régulation numérique des populations au cours de la première période la vie des animaux marins. La C.O.I. (Commission océanographique intergouvernementale) a retenu un programme international sur le recrutement (International Recruitement Experiment) qui s’appuie sur un ensemble de projets nationaux ou régionaux (en France: le Programme national d’étude du recrutement, P.N.D.R.). On peut espérer prédire les fluctuations naturelles tout à fait considérables que subissent les populations marines: s’agissant d’espèces exploitées par la pêche, on imagine tout l’intérêt d’une telle modélisation où les variations climatiques interannuelles jouent un rôle majeur.
Ressources marines exploitées
L’exploitation des ressources vivantes de l’océan constitue sans aucun doute l’exploitation la plus ancienne des océans. Une profonde mutation est en cours depuis une quinzaine d’années environ: après les scientifiques, les professionnels et les administrateurs des pêches ont pris conscience des limites de la production naturelle des océans: les captures mondiales annuelles fluctuent autour de 70 millions de tonnes par an, les perspectives de nouveaux stocks tels que les populations du krill antarctique Euphausia superba se révèlent plus incertaines qu’on ne le pensait pour un ensemble de raisons écologiques, techniques et économiques. Pour faire face au développement de la surexploitation, les efforts s’orientent actuellement vers l’aménagement des pêcheries. Cela suppose connus le niveau des ressources ainsi que la production annuelle exploitable de manière permanente (c’est le travail du biologiste des pêches de déterminer la taille du stock et le rendement par recrue). Mais cela demande de pouvoir réguler l’effort de pêche appliqué à la ressource en fonction non seulement des ressources disponibles, mais également de l’efficacité des flottilles de pêche et des tendances du marché. Cette particularité propre à l’exploitation de toute ressource naturelle limitée et renouvelable rend particulièrement difficile la mise en place d’une politique d’aménagement capable d’assurer le meilleur rendement biologique et économique. En effet, une fois dépassé le seuil optimal d’exploitation, l’accroissement de l’effort de pêche, soit par l’adjonction de nouvelles unités de pêche, soit par l’amélioration de la productivité des unités existantes, a l’effet exactement inverse au but recherché: la production moyenne par unité de pêche et la production globale diminuent rapidement. Le passage à la surexploitation du stock entraîne la dégradation de l’équilibre des conditions économiques prévalant antérieurement. Il faut donc, tout en respectant les limites naturelles des stocks reconnus par les biologistes (limites qui n’ont malheureusement aucune raison de coïncider avec les frontière maritimes des États), essayer de parvenir à fixer à des niveaux raisonnables l’effort de pêche appliqué à un stock déterminé. Alors qu’on a défendu, lors de la création de la mer communautaire par l’Union européenne, les quotas nationaux, les scientifiques et les économistes s’accordent aujourd’hui sur la nécessité à terme d’introduire des règles qui limitent l’effort de pêche appliqué à un stock déterminé tout en permettant à l’initiative privée (pêcheurs artisans, armements à la pêche, groupements coopératifs appropriés) de s’exprimer librement. Des formules telles que les concessions de pêche ou les licences de pêche créées par les États mais négociables entre personnes privées parmi d’autres mécanismes économiques répondent bien à cette nécessité d’ajuster l’effort de pêche au niveau de la ressource. Une complication supplémentaire vient de ce que les ressources disponibles ne conservent pas un niveau constant d’une année sur l’autre: en fonction d’un ensemble de facteurs biologiques et physico-chimiques, l’espérance de vie des jeunes larves varie dans de très grandes proportions, ce qui entraîne quelques années plus tard des variations dans la dimension des populations adultes exploitées. Ce problème est une des motivations des programmes à l’instigation de la Commission océanographique intergouvernementale visant à établir les corrélations éventuelles entre les variations d’abondance des larves et des juvéniles et les fluctuations climatiques.
Dans les pays industrialisés, à l’instar de certaines productions agricoles, la pêche éprouve des difficultés croissantes à conserver un équilibre économique satisfaisant. L’accroissement général du niveau de vie, la concurrence internationale qui s’est accrue avec le développement des chaînes de congélation rendent de plus en plus précaires certaines activités de pêche. L’instauration généralisée des zones économiques exclusives et les contraintes pesant sur certaines pêcheries viennent parfois interrompre presque totalement les exploitations. Dans les pays en voie de développement, les régimes de licences de pêche se développent rapidement, en particulier lorsque ces pays ne disposent pas initialement d’une pêche nationale.
Parallèlement à la pêche, l’aquaculture d’algues, de bivalves, de crustacés et de poissons se développe régulièrement et rapidement: à l’échelle mondiale, l’aquaculture représente actuellement plus de 10 millions de tonnes de production annuelle; pour la France, elle représente, avec plus de 180 000 tonnes, près du tiers de la production annuelle totale. Les perpectives de l’aquaculture sont bonnes, et de nombreux exemples (salmoniculture norvégienne, aquaculture de crevettes pénéidés dans certains pays d’Amérique latine) témoignent de la vitalité de cette activité.
De nombreux poissons de faible valeur marchande font depuis des décennies l’objet de transformations sous forme de farines et d’huiles destinées pour l’essentiel à la nutrition animale. Depuis une demi-douzaine d’années, des procédés nouveaux permettent de reconstituer, à partir de chair de poisson de faible valeur commerciale, des produits refibrillés auxquels on peut donner le goût de crustacés et de poissons de valeur commerciale élevée. Ces produits, connus sous l’appellation générique de surimi, connaissent au Japon où ils ont été créés et dans d’autres pays du monde une expansion rapide. Leur fabrication contribue à rentabiliser les flottilles en exploitant la totalité des captures effectuées.
L’exploitation du pétrole en mer est née quelques années après la Seconde Guerre mondiale, dans le golfe du Mexique, sous l’impulsion donnée par le marché américain. Il s’agissait à l’époque de forages sous quelques mètres d’eau. La progression est restée relativement lente jusqu’en 1973 où la hausse brutale du prix du pétrole a accéléré la prospection et l’exploitation du pétrole et du gaz en mer à des profondeurs croissantes: à 100 puis à 200 mètres de profondeur. En même temps se mettait en place une technologie d’exploration et de production conduisant à des plates-formes de production posées sur le fond et pesant quelque 500 000 tonnes. Au-delà de 200 mètres environ, il faut recourir soit à des plates-formes semi-submersibles ancrées, soit à des têtes de puits installées sur le fond d’où partent les conduites amenant le pétrole à terre ou au point de chargement. L’exemple le plus connu de ces prouesses technologiques se trouve dans l’exploitation de la mer du Nord.
Avec une production de près de 700 000 millions de tonnes par an, l’industrie pétrolière off shore a subi de plein fouet le contrecoup économique de l’effondrement des prix du pétrole, les champs les plus touchés étant bien entendu les champs les plus coûteux à exploiter. La rentabilité moyenne de l’exploitation pétrolière en mer du Nord suppose un prix plancher de 20 dollars le baril pour les zones les moins profondes, davantage à plus grande profondeur. Il faut noter que le niveau des réserves reconnues dans le domaine marin représente plus du tiers des réserves totales, proportion nettement plus élevée que celle de la production: en d’autres termes, à l’horizon du XXIe siècle, le pétrole marin représente un atout dont l’importance doit croître. La situation actuelle est dépendante de la baisse de la consommation mondiale et d’éléments politiques qui pèsent sur la cohésion des pays producteurs, mais elle peut évoluer rapidement dans un sens favorable à la reprise. Malheureusement, les capacités d’innovation technologique indispensable à la mise en exploitation de nouveaux champs pétroliers au-delà de 250 à 300 mètres de profondeur sont actuellement en sommeil, ce qui ne manquera pas de poser de sérieux problèmes lorsque viendra la reprise.
Dans le domaine des ressources minérales, les exploitations en mer de matériaux de construction (sables et graviers, ou granulats) poursuivent leur développement dans de nombreux pays industriels. Les exploitations très localisées (Indonésie, Malaisie) de minerai d’étain (cassitérite) en mer, dans le lit de rivières submergées, subissent le contrecoup de l’effondrement récent du cours de l’étain métal: plus coûteuse à exploiter que les gisements terrestres, ces mines sous-marines sont les premières à supporter les conséquences d’une baisse des cours mondiaux. Depuis le début des années 1960, de nombreux pays s’intéressent aux gisements naturels constitués par les nodules polymétalliques profonds que l’on rencontre, en particulier dans l’océan Pacifique, entre 4 000 et 6 000 mètres de profondeur. Outre du fer et du manganèse, ces nodules de 6 à 10 centimètres de diamètre contiennent jusqu’à 2 p. 100 de cuivre, de nickel et de cobalt et des métaux rares. Lorsque les teneurs cumulées en cuivre, nickel et cobalt excèdent 1,75 p. 100, les nodules représentent un intérêt économique. Dans le cadre de la convention sur le droit de la mer (cf. droit de la MER), plusieurs pays industrialisés ont obtenu, sur la base des travaux d’exploration et d’évaluation des gisements, des permis d’exploitation portant sur des surfaces de 100 000 kilomètres carrés. Techniquement, plusieurs pays estiment être en mesure d’exploiter à l’échelle industrielle les nodules polymétalliques (soit une capacité d’extraction et de traitement de l’ordre de 5 à 10 millions de tonnes de nodules par an), mais aucun pays ne l’envisage dans les conditions économiques et géopolitiques actuelles. Des prospections préliminaires s’intéressent aux accumulations de sulfures polymétalliques associés à l’hydrothermalisme sous-marin, ainsi qu’aux encroûtements cobaltifères qui abondent dans le Pacifique central. Plusieurs campagnes d’exploration ont été réalisées par des navires américains, allemands, français et japonais. Les sédiments métallifères que l’on rencontre en grande profondeur à un millier de kilomètres environ des dorsales océaniques actives sont plus aisés à récupérer que les encroûtements cobaltifères et intéressent certains industriels allemands et japonais. Enfin, on exploite sur les plateaux continentaux, au large de l’Afrique du Sud, de la Californie et de la Nouvelle-Zélande, des dépôts de phosphorites. Ces dépôts marins se sont vraisemblablement formés dans des zones de résurgence, où la remontée d’eaux profondes près des côtes (upwelling) sous l’effet des vents dominants entraîne une forte production biologique. Les phosphorites se formeraient à l’interface eau/sédiments par évolution en milieu réducteur de la matière organique précipitée à partir du plancton.
L’eau de mer elle-même constitue une ressource. En dehors du sel marin, dont l’extraction se poursuit de nos jours selon des techniques traditionnelles que la motorisation a rendu moins pénible, l’eau de mer sert à fabriquer de l’eau douce dans certains pays arides situés en bordure de côte: c’est le cas des pays arabes, qui disposent en outre d’énergie à bas prix. Il existe diverses techniques de dessalement de l’eau de mer, principalement la distillation et la séparation par membrane (osmose inversée). Il est produit journellement dans le monde plusieurs millions de mètres cubes d’eau douce à partir d’usines installées en bord de mer.
Enfin, l’océan constitue également une réserve d’énergie physique renouvelable. On sait exploiter l’énergie des marées, comme dans le cas de l’usine marémotrice de la Rance, près de Saint-Malo, dont les vingt-quatre turbines de 10 mégawatts chacune sont entraînées par les écoulements alternatifs des marées. Il n’existe malheureusement que fort peu de sites dans le monde où l’amplitude des marées et la topographie conviennent à l’installation d’une centrale marémotrice dans des conditions économiques acceptables. On fonde également des espoirs sur l’énergie qui pourrait être récupérée à partir de la différence de température en zone intertropicale entre les eaux de surface et une profondeur de 800 mètres environ: il existe dans ces zones une différence d’au moins une vingtaine de degrés Celsius. Jusqu’à présent, malgré des essais qui remontent au début du XXe siècle sous l’impulsion du physicien et industriel Georges Claude, les conditions économiques n’ont pas permis de réaliser une installation à l’échelle industrielle. Enfin, l’énergie des vagues et de la houle, malgré une série de dispositifs très variés imaginés dans divers pays, demeure trop fluctuante et aléatoire pour pouvoir être récupérée industriellement.
Ainsi, le développement contemporain de l’océanographie, qui a ouvert l’ensemble du domaine marin à la recherche, s’accompagne d’une progression spectaculaire de la production de ressources vivantes et non vivantes, renouvelables ou non renouvelables. Les contraintes qui limitent les progrès de l’exploitation ne sont plus d’ordre technique, mais économique: si la rentabilité de certaines activités en mer profonde est encore aujourd’hui éloignée, l’avenir des exploitations marines est encore riche de promesses, et les progrès des sciences océanographiques permettent d’escompter de nouvelles découvertes susceptibles de contribuer au développement des ressources de l’océan.
océanographie [ ɔseanɔgrafi ] n. f.
• 1584, rare av. 1876; de océan et -graphie
♦ Science qui a pour objet l'étude des mers et océans, du milieu marin et de ses frontières (avec l'air, avec le fond), ainsi que des organismes qui y vivent. Océanographie physique, biologique. Océanographie descriptive. Applications de l'océanographie à l'océanologie.
● océanographie nom féminin Ensemble des études et recherches effectuées sur la partie du globe terrestre recouverte par les mers : c'est-à-dire la masse des eaux, le sol et le sous-sol marins et les zones limites des mers (surface et littoral).
océanographie
n. f. Science qui a pour objet l'étude des océans.
⇒OCÉANOGRAPHIE, subst. fém.
Étude scientifique des fonds océaniques et du milieu marin. Océanographie biologique; océanographie descriptive. L'Institut Océanographique (...) est une fondation du prince Albert de Monaco (...). Il donne un enseignement supérieur sur la physiologie des êtres marins, l'océanographie physique et l'océanographie physiologique (Encyclop. éduc., 1960, p. 262). Le développement de l'océanographie a entraîné, quand il n'a pas été conditionné par lui, un développement de la technologie utilisée pour l'étude du milieu marin (QUILLET Suppl. 1971).
Prononc. et Orth.: []. Att. ds Ac. 1935. Étymol. et Hist. 1584 [date d'éd.] (Cl. GRUGET, Div. leçons de P. Messie, f° 614 v° ds GDF. Compl.); de nouv. 1876 (Rev. critique, 17 juin ds LITTRÉ). Formé de océan et -graphie (-graphe).
DÉR. 1. Océanographe, subst. Spécialiste de l'océanographie. D'après les travaux des océanographes allemands, il semble que l'on puisse trouver, dans cette région et à cette profondeur, des courants de l'ordre d'un demi-noeud (ROMANOVSKY, Mer, source én., 1950, p. 47). Étudiant le phytoplancton, l'océanographe danois E. Steeman-Nielsen a montré que le rendement de la photosynthèse est beaucoup plus faible en mer que sur terre (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 687). — []. — 1re attest. 1899 (Gde Encyclop. t. 25, s.v. océanographie); de océanographie. 2. Océanographique, adj. Relatif à l'océanographie. Navire océanographique; études, expéditions océanographiques. Le musée océanographique de Monaco, sous l'impulsion du Dr Richard, expérimenta un certain nombre de dispositifs destinés à capter l'énergie des vagues (ROMANOVSKY, Mer, source én., 1950p. 109). Il [l'Institut Océanographique] accueille des étudiants déjà licenciés qui désirent préparer le diplôme d'études supérieures ou un doctorat sur des sujets océanographiques (Encyclop. éduc., 1960, p. 262). Des cinq bâtiments français équipés pour la recherche océanographique, le plus célèbre est le Calypso qui, doté de dispositifs techniques originaux, exécute depuis 1951, sous les ordres du commandant Cousteau, des croisières en Méditerranée et en mer Rouge (Hist. gén. sc., t.3, vol. 2, 1964, p. 684). — []. Att. ds Ac. 1935. — 1re attest. 1892 (Comptes rendus de l'Ac. des Sciences, t. 115, p. 533); de océanographie, suff. -ique.
BBG. —QUEM. DDL t. 4 (s.v. océanographique).
océanographie [ɔseanɔgʀafi] n. f.
ÉTYM. 1584, rare av. 1876; de océan, et -graphie.
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♦ Didact. Science qui a pour objet l'étude des mers et océans, du milieu marin et de ses frontières (avec l'air, avec le fond), ainsi que des organismes qui y vivent. || Océanographie physique (hydrologie marine, étude géologique des rivages et des fonds, sédimentologie sous-marine…), biologique (étude des peuplements marins). || Océanographie descriptive. || Applications de l'océanographie à l'océanologie.
0 On a généralement l'habitude de distinguer deux disciplines différentes en océanographie : l'océanographie biologique, science qui s'occupe essentiellement de la vie dans les océans, et l'océanographie physique qui s'intéresse au milieu physique qu'est l'eau de mer.
Cl. Francis-Bœuf, les Océans, p. 19-20.
➪ tableau Noms de sciences et d'activités à caractère scientifique.
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DÉR. Océanographe, océanographique.
Encyclopédie Universelle. 2012.