NATURALISME
Le terme “naturalisme”, dans son acception littéraire, s’est imposé à la critique européenne à partir des années 1880. Le responsable de cette terminologie est Émile Zola, qui, dans ses articles de critique autant que de théorie, a propagé un terme qui a appartenu d’abord au vocabulaire scientifique et philosophique, avant d’être utilisé dans celui de la critique artistique.
La tradition de l’historiographie littéraire française est restée longtemps sous l’emprise de cette référence à Zola: or, s’il est incontestable que le naturalisme a partie liée avec Zola, il ne peut être confondu avec l’auteur des Rougon-Macquart et du Roman expérimental. Si son histoire commence en effet de façon visible en France, elle se poursuit et se développe dans toute l’Europe, s’étend à l’ensemble du continent américain et touche également les littératures extrême-orientales. Cette expansion entraîne d’emblée deux remarques: d’une part, le naturalisme ne s’arrête ni avec le “Manifeste des Cinq” contre La Terre (1887) ni avec Le Docteur Pascal (1893); d’autre part, le naturalisme n’est pas confiné au seul récit en prose: il a également produit des chefs-d’œuvre dramatiques, notamment en Allemagne.
1. Le mot
Le terme même de naturaliste est attesté en français dès l’année 1527, au sens de “celui qui étudie l’histoire naturelle”; celui de naturalisme , dont la première occurrence est légèrement postérieure, est employé, au XVIIIe siècle, pour désigner un système philosophique dans lequel on attribue tout à la nature comme premier principe (Diderot l’utilise comme synonyme de “religion naturelle”). Puis, dans la seconde moitié du XIXe siècle, ces termes commencent à être appliqués à la peinture: Baudelaire (Salon de 1846 ) oppose les coloristes, peintres du Nord, et les naturalistes, peintres du Midi, “car la nature y est si belle et si claire que l’homme [...] ne trouve rien de plus beau à inventer que ce qu’il voit”. Mais c’est surtout le critique d’art Castagnary qui suggère l’émergence d’une “école naturaliste”, dont il dit, dans son Salon de 1863 , qu’elle “affirme que l’art est l’expression de la vie sous tous ses modes et à tous ses degrés, et que son unique but est de reproduire la nature en l’amenant à son maximum de puissance et d’intensité : c’est la vérité s’équilibrant avec la science”.
Lorsque Zola commence à employer le terme naturalisme, dans les années 1865-1866, il trouve donc un terrain déjà préparé dans le domaine de la peinture; il hérite aussi d’un emploi du terme qui le corrèle avec les sciences de la nature, alors en plein développement, qui forment la grande référence scientifique de l’époque. Taine est ici l’initiateur: en 1858, il signale en Balzac un “naturaliste”. La première annonce importante d’un naturalisme littéraire est constituée par une phrase de la deuxième édition de Thérèse Raquin (1868): Zola y évoque en effet un “petit groupe d’écrivains naturalistes auquel [il a] l’honneur d’appartenir”; mais, à cette date, on serait bien embarrassé de nommer les membres de ce groupe.
À l’étranger
Hors de France, les situations varient suivant les pays. L’Angleterre connaît “naturalism” depuis le XVIe siècle, mais le mot reste longtemps réservé au seul domaine philosophique, encore au XIXe siècle. En Russie, le critique Bielinski donne une certaine popularité à l’expression “natural’naja škola” (“école naturelle”), en 1846, pour désigner les écrivains de la tradition gogolienne. L’Italie dispose d’un terme particulier apparu vers 1860: “verismo”, qui est généralement considéré comme la version italienne du naturalisme. Quant à l’Allemagne, on trouve le terme “Naturalismus” chez Goethe dans une critique d’art de 1801 (“À Berlin, le naturalisme, avec son exigence de réalité et d’utilité, semble être chez lui”), et chez Schiller, dans la Préface de La Fiancée de Messine (1803): le dramaturge voit dans le chœur des tragédies antiques le rempart qui doit déclarer la guerre au naturalisme dans l’art. De ce fait, la tradition germanique va rester longtemps marquée par ces notations péjoratives, encore renforcées par l’emprise de l’esthétique idéaliste de Hegel: les théories de Zola et le terme même de naturalisme auront beaucoup de mal à être acceptés en Allemagne, où les controverses seront très vives.
Zola et le terme “naturalisme”
En France aussi, où on peut dater des années 1875 le début d’une véritable “campagne publicitaire” de la part de Zola, la dénomination qu’il propose suscite de fortes réserves. À en croire d’ailleurs Edmond de Goncourt (Journal de la vie littéraire , 19 février 1877), qui rapporte que Flaubert reproche à Zola ses “professions de foi naturalistes”, celui-ci aurait répliqué simplement: “Oui, c’est vrai, je me moque comme vous de ce mot Naturalisme ; et, cependant, je le répéterai sans cesse, parce qu’il faut un baptême aux choses, pour que le public les croie vraies.” Un peu plus tard, il s’emploie à préciser l’emploi du terme, notamment au cours des années 1879-1881, où il multiplie études critiques et chroniques, qu’il réunit dans un ensemble de six recueils, dont le plus connu est Le Roman expérimental (1880). Se souvenant sans doute de conversations avec Tourgueniev – qui a dû citer Bielinski –, il y déclare notamment qu’il ne croit pas “avoir inventé ce mot, qui était en usage dans plusieurs littératures étrangères”, et qu’on “l’emploie en Russie depuis trente ans”; se cherchant des ancêtres français, il cite Montaigne et “le positiviste Diderot”.
C’est bien à Zola en tout cas qu’on doit la popularité du terme, qui a fini par être adopté par l’ensemble de la critique européenne et des historiens de la littérature, non sans que le terme ne conserve longtemps une connotation péjorative, qui n’a peut-être pas encore totalement disparu aujourd’hui.
2. Le “modèle du roman naturaliste”?
Il est une œuvre dont Zola a assuré qu’elle représentait le “modèle du roman naturaliste ” (“cela est hors de doute pour moi”, souligne-t-il): L’Éducation sentimentale , qu’il avait déjà louée en 1869 et dont il fait un nouveau compte rendu enthousiaste lors de la réédition de 1879. S ’il n’est pas certain que Flaubert ait été très heureux de cette annexion, il vaut la peine de voir la conception du naturalisme qu’y trouve Zola.
Zola commence par énumérer les raisons expliquant l’échec du roman lors de sa première publication : pas d’“histoire” (nous dirions: pas d’intrigue), pas de héros, tristesse provoquée par un “livre trop vrai”. Il s’attache surtout, ensuite, à la question de la composition, qui “disparaît, il n’y a plus de visible que le courant fatal et nécessaire des choses”; le résultat est un “procès-verbal des menus faits quotidiens d’un groupe d’êtres”. L’audace de Flaubert est d’avoir osé “briser [...] une analyse en morceaux, détruire les grands ensembles par un continuel retour des petits épisodes, effacer le livre dans la teinte monotone d’une trentaine de personnages également plats”. La critique de Zola est, en même temps, une appréciation de l ’originalité fondatrice du roman de Flaubert, survenu hors de l’horizon d’attente du public en 1869, à un moment où le naturalisme n’existe encore qu’à l’état d’intentions, et qui, dix ans après, publié chez Charpentier, l’éditeur des naturalistes (Zola, Daudet, Goncourt), apparaît comme porteur de nouveauté, sinon de modernité.
Zola a écrit ce compte rendu au milieu de nombreux autres; depuis septembre 1879, il publie, dans le mensuel russe Messager de l’Europe , une série d’articles plus théoriques, reproduits ensuite, avec un léger décalage, dans le quotidien Le Voltaire , et qui sont destinés à former l’armature du Roman expérimental . L’ensemble de ces articles constitue une doctrine cohérente, qui, loin de se réduire à la célèbre formule “une œuvre ne sera jamais qu’un coin de la nature vu à travers un tempérament”, propose une nouvelle définition du roman, selon laquelle “on finira par donner de simples études, sans péripéties ni dénouement, l’analyse d’une année d’existence, l’histoire d’une passion, la biographie d’un personnage, les notes prises sur la vie et logiquement classées”. Les mots clés de l’esthétique du roman naturaliste sont pratiquement tous là, entre autres: étude, analyse, logique. Il faudrait y ajouter celui de “méthode”, qui revient constamment dans les premières pages du Roman expérimental , et qui est un écho de la méthode expérimentale prônée par Claude Bernard dans son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale , dont Zola assure s’inspirer au plus près.
Cet accent mis sur l’analyse et la logique explique peut-être pourquoi, dans la tradition naturaliste française, le grand genre est celui du roman. En dépit de ses efforts, Zola n’a jamais réussi à s’imposer durablement à la scène, même lorsqu’il a eu l’appui d’André Antoine et de son Théâtre-Libre (fondé en 1887), et il est aisé de voir que, dans la partie du Roman expérimental consacré au “Naturalisme au théâtre”, Zola essaie de transférer sur la scène les procédés du roman, dont il reconnaît qu ’il “restera peut-être l’outil par excellence du siècle”. Edmond de Goncourt déclare de son côté dans la Préface qu’il donne à son Théâtre en 1879: “Dans le roman [...], je suis un réaliste convaincu; mais, au théâtre, pas le moins du monde”; et encore: “Pour une recherche un peu aiguë, pour une dissection poussée à l’extrême, pour la recréation de vrais et d’illogiques vivants, je ne vois que le roman.”
Un modèle pour le drame naturaliste?
Le modèle du drame naturaliste, s’il existe, est à chercher hors de France. Le texte théorique le plus représentatif à ce sujet est certainement la Préface de Mademoiselle Julie (1888). August Strindberg, qui a sous-titré sa pièce “tragédie naturaliste”, y déclare d’ailleurs expressément que les “romans monographiques des frères Goncourt” constituent sa référence littéraire principale, mais il ébauche en même temps une nouvelle dramaturgie, fondée sur la multiplicité des explications, sur la complexité des motivations des personnages, et, sur le plan formel, sur un dialogue qui, selon lui, “va au hasard” parce que, dans une conversation réelle, “on n’épuise jamais tout à fait un sujet, mais un cerveau se voit offrir par un autre un rouage où il peut s’accrocher”. La pièce elle-même est un drame resserré, à trois personnages seulement, joué sans entracte. Elle représente un excellent exemple de la dramaturgie naturaliste, celui du “drame familial” qu’on retrouve dans de nombreuses pièces comme celles d’Ibsen, de Arno Holz et Johannes Schlaf, de Tchekhov ou de Herman Heijermans.
3. Jalons pour une histoire du naturalisme
L’histoire du naturalisme, à l’échelle internationale, se développe en quatre grandes étapes.
Une phase préparatoire se situe autour des années 1865. Edmond et Jules de Goncourt publient Germinie Lacerteux (1865), dont la brève Préface peut passer pour le premier manifeste en faveur d’une nouvelle littérature romanesque, fondée sur la science et apte à traiter n’importe quel sujet; le terme “naturalisme” n’est pas employé, pas plus qu’il ne l’est par Zola lorsqu’il publie en 1867 la première édition de Thérèse Raquin .
La deuxième étape est celle d’une vague de romans parus en Europe autour de l’année 1880. La publication, à un rythme régulier, des Rougon-Macquart (le neuvième volume, Nana , paraît en 1880), les articles de Zola, la parution du recueil collectif des Soirées de Médan (1880) entraînent des débats et suscitent, directement ou non, des œuvres, qui se situent dans la même mouvance: en Espagne, en 1881, La Déshéritée de Benito Pérez Galdós et Un voyage de noces d’Emilia Pardo Bazán; en Italie, Giacinta , de Luigi Capuana (1879) et Les Malavoglia de Giovanni Verga (1881); en Suède, Le Cabinet rouge de Strindberg (1879). Il faut ajouter que dans les pays scandinaves Henrik Ibsen est à l’origine d’un scandale avec sa pièce Maison de poupée (1879), qui va connaître une diffusion européenne dans la décennie qui suit.
Les années 1885-1895 marquent, dans une troisième étape, le triomphe du naturalisme à l’échelle européenne. Si, en France, le sommet de la courbe est atteint par Germinal (1885), qui est bientôt suivi par une réaction antinaturaliste alimentée par les symbolistes et les romanciers psychologues, le reste de l’Europe lit avec passion les traductions des Rougon-Macquart (dont certaines sont interdites, comme en Angleterre). Dans plusieurs pays se développent de nouvelles perspectives. C’est le cas de l’Allemagne, où l’on note des tentatives de création d’une esthétique naturaliste (bien que le terme “realistisch” soit plus volontiers employé que celui de “naturalistisch”): La Révolution littéraire , de Carl Bleibtreu (1886), Les sciences naturelles, fondements de la poésie. Prolégomènes à une esthétique réaliste , de Wilhelm Bölsche (1887), surtout L’Art. Son essence et ses lois , d’Arno Holz (1891-1892), qui représente la tentative la plus poussée pour fonder un “naturalisme conséquent”; l’Allemagne voit également apparaître des dramaturges de valeur, qui vont bénéficier de la création de Théâtres-Libres (comme la Freie Bühne de Berlin, créée en 1889): Gerhart Hauptmann, avec Avant l’aube (1889), Les Tisserands (1892), Arno Holz et Johannes Schlaf, La Famille Selicke (1890). Strindberg fait représenter Mademoiselle Julie (1888), tandis que des pays jusqu’alors en retrait par rapport au naturalisme s’insèrent dans le mouvement: aux États-Unis, Stephen Crane publie Maggie, fille des rues (1893).
Une dernière phase du naturalisme commence enfin vers 1900, pour se prolonger peut-être jusqu’à la Première Guerre mondiale (Henri Barbusse, Le Feu , 1915), sinon au-delà. En 1900, Theodore Dreiser commence, avec Sœur Carrie , une carrière littéraire qui va faire de lui un représentant éminent du naturalisme nord-américain, et Thomas Mann publie, en 1901, Les Buddenbrook. Déclin d’une famille , qu’il a toujours considéré comme “peut-être le premier et le seul roman naturaliste allemand”; on peut estimer qu’une pièce comme La Cerisaie , d’Anton Tchekhov, représentée en 1904, est une manifestation d’un réel naturalisme, surtout dans la mise en scène prévue par Stanislavski. En Amérique latine, on relève encore de forts échos du naturalisme chez le Chilien Baldomero Lillo et le Mexicain Federico Gamboa. Au début du siècle, au Japon, le romancier Shimazaki T 拏son se réclame directement du naturalisme.
L’influence de ce mouvement continue à se manifester, de façon indirecte, après 1920, chez un romancier comme Alfred Döblin, qui estime que le programme d’Arno Holz est encore à remplir, et, en France, chez des écrivains comme Jules Romains ou Roger Martin du Gard. Il ressort enfin d’une enquête menée l’année de sa création (1955) par la revue universitaire Les Cahiers naturalistes que beaucoup d’écrivains se sentent tributaires de la libération apportée à la littérature par le mouvement lancé par Zola.
4. D’une thématique à une poétique
La plupart des jugements portés sur le naturalisme ont été longtemps marqués par une double référence dépréciative: les “gros mots” et les “bas-fonds”. Le naturalisme serait une exaspération d’un réalisme succombant à une véritable “bas-fondsmanie” d’une part, s’exprimant dans une langue poissarde de l’autre. Il est vrai que le choix de certains sujets fait parfois supposer une orientation privilégiant l ’étude des “basses classes” de la société (si la Préface de Germinie Lacerteux réclamait expressément pour elles le “droit au roman”, celle des Frères Zemganno , vingt-cinq ans après [1879], demande désormais “une étude appliquée, rigoureuse et non conventionnelle et non imaginative de la beauté”). Plus d’un titre laisse aussi entrevoir une intrigue fondée sur le récit d’une déchéance, d’un échec, d’un avortement (Zola avait utilisé ce terme pour caractériser L’Éducation sentimentale ): Verga envisage d’appeler “Les Vaincus” le cycle (inachevé) qui comprend Les Malavoglia et Maître Don Gesualdo (1888-1989); parmi les titres de romans du Berlinois Max Kretzer, on relève Les Bafouées (1881) et Les Dépravés (1883) et, parmi ceux de l’Anglais George Robert Gissing, Les Hors-Cadres (1884), tandis qu’en France on trouve Les Résignés (drame d’Henry Céard, 1889) ou Les Avariés (drame d’Eugène Brieux, 1901)...
Bas-fondsmanie ou dysfonctionnements?
Il est vrai que certains écrivains se sont plu à confronter certains de leurs personnages à toute une gamme de maladies et de vices qui peuvent affecter un être humain : l’alcoolisme (L’Assommoir , Avant l’aube ), la syphilis, l’érotomanie (Nana ), l’inceste (La Curée ), l’hystérie, la folie meurtrière (La Bête humaine ), et ont bâti des intrigues où prostitution, adultère, homosexualité, fanatisme religieux, crimes, actes délictueux en tout genre foisonnent. Dans un passage (peut-être ironique?) de Charlot s’amuse (roman d’un onaniste, 1883), Paul Bonnetain accumule les éléments biographiques d’une malade que le professeur Charcot est censé présenter à la Salpêtrière: “Elle était un exemple des troubles morbides que transmet l’hérédité, son père étant mort du delirium tremens , et sa mère, qui était épileptique, s’étant volontairement noyée à l’hospice. [...] À dix-huit ans, elle était nymphomane [...]. Avec l’âge, elle était devenue alcoolique, et l’hystérie avait remplacé la nymphomanie pour faire place [...] à une paraplégie remarquable...”
Il est incontestable surtout que le domaine d’investigation du naturalisme est largement constitué par la pathologie sociale. Dans la mesure où les sciences de la nature d’une part, la sociologie d’autre part représentent les principaux garants des écrivains naturalistes, il est inévitable qu’ils mettent l’accent sur tout ce qui contribue aux dysfonctionnements de la société, et non seulement sur ce qui touche à la psychologie d’un personnage. Si les “marginaux” les intéressent tant, ce n’est pas uniquement pour eux-mêmes, c’est avant tout dans la mesure où ils révèlent quelque chose sur la société: Nana, la “fille Elisa”, Isidora Rufete (héroïne de La Déshéritée ) ne sont pas présentées uniquement comme des prostituées, elles sont aussi des maillons de la société, maillons peut-être fragiles, mais qui permettent de mettre en évidence les tares d’une société, ou les méfaits de l’univers carcéral.
Une méthode analytique
Edmond de Goncourt évoque “l’analyse cruelle” que Zola et lui-même ont appliquée dans leurs romans (Préface des Frères Zemganno ). La cruauté de l’analyse tient sans doute à ce que les écrivains s’attachent précisément aux dysfonctionnements. Pour y parvenir, il leur faut montrer comment un groupe apparemment stable et cohérent est susceptible de se désagréger; c’est pourquoi ils recourent volontiers, au théâtre comme dans le roman, à une stratégie qui va révéler que la cohésion n’était qu’apparence.
De ce point de vue, la structure de Germinal (1885) et celle d’Âmes solitaires (1891) sont semblables. Dans le roman de Zola comme dans le drame de Hauptmann, un personnage arrive dans un milieu auquel il est étranger. L’étudiante Anna Mahr vient ainsi s’installer chez la famille Vockerat, provoquant une dissension de plus en plus grande entre Johannes Vockerat, passionné de sciences modernes (des portraits de Darwin et de Haeckel sont suspendus dans le salon), et sa femme Käthe, peu instruite; au bout de quelques temps, sans qu’il y ait eu à proprement parler de relation adultère, Anna comprend qu’elle doit partir ; après son départ, Johannes se suicide. L’intrigue de Germinal (avec les catastrophes entraînées aussi bien par les grèves que par l’attentat de l’anarchiste Souvarine) se situe tout entière entre l’arrivée et le départ d’Étienne Lantier. D’autres pièces de Hauptmann, comme Avant l’aube (1889), présentent une structure semblable: un ingénieur de passage dans une entreprise, Alfred Loth, provoque, par son départ “avant l’aube”, le suicide de celle qu’il renonce à épouser, en raison de son hérédité paternelle. Tout se passe comme si Anna Mahr, Étienne Lantier, Alfred Loth étaient avant tout des catalyseurs permettant la mise en évidence de dysfonctionnements cachés.
La présence de tels personnages n’exclut pas la mise en fiction de masses et de foules, un des traits distinctifs de réussites comme Germinal (la marche des mineurs dans la cinquième partie) ou Les Tisserands . La pièce de Hauptmann réussit à présenter, en cinq actes qui se déroulent dans cinq lieux différents, le début d’une révolte d’ouvriers silésiens; aucun personnage, parmi la trentaine de ceux qui ont un état civil précis (et la liste des personnages ajoute, in fine , “grande foule de jeunes et de vieux tisserands et de femmes de tisserands”), ne peut prétendre au rôle de protagoniste. Le drame familial est devenu drame social.
Raconter, décrire, faire dialoguer
Dans un article célèbre de 1936, “Raconter ou décrire? Contribution à la discussion sur le naturalisme et le formalisme”, György Lukács attaque Zola (ainsi que Flaubert, Döblin et Dos Passos), à qui il reproche d’avoir abandonné toute “cohérence épique”, au bénéfice de la description. Or, selon Lukács: “Le récit structure, la description nivelle.” Zola s’était déjà défendu contre ce reproche des “éternelles descriptions”. Il avait en particulier défini la description comme “un état du milieu qui détermine et complète l ’homme” (“De la description”, in Le Roman expérimental ). Mais, ce faisant, il facilitait une propension de certains auteurs à estimer que la détermination n’est jamais achevée, que l’homme n’est jamais assez “complété” par le milieu.
Les pièces naturalistes abondent en didascalies, au début et au cours de la pièce, qui détaillent le décor, les habits, le physique, les gestes, les intonations, les comportements; la pièce peut éventuellement commencer par une mimique, capable de créer une atmosphère propre à la scène, et s ’appuyer, au cours de l’action, sur des propos ad libitum proférés hors scène. Plusieurs des mises en scène d’Antoine ou de Stanislavski ont essayé de répondre à ces exigences des auteurs tentant de recréer une véritable “tranche de vie” derrière “un quatrième mur, transparent pour le public, opaque pour le comédien” (selon la formule de Jean Jullien, Le Théâtre vivant , 1892-1896). Toutefois, certaines didascalies sont un défi difficile à relever entièrement. S’il est possible de représenter, comme à l’acte IV de Renée (pièce que Zola a tirée de La Curée ), “un petit salon très luxueux. On y sent la femme frileuse, détraquée et de goût délicat”, il est sans doute plus difficile, au début de la même pièce, de faire comprendre qu’un personnage, “écrasé dans son fauteuil, dort de lassitude et de douleur”. Tchekhov signale que l’acte I de La Cerisaie se passe dans “une pièce qu’on appelle encore la chambre d’enfants”: ce n’est que par une réplique de Lioubov Andréevna, à son arrivée au cours de l’acte, que le spectateur peut avoir accès à cette information. Un disciple de Lukács, Peter Szondi, a d’ailleurs pu soutenir que la crise du théâtre qu’il croit déceler au tournant des XIXe et XXe siècles vient de ce que les dramaturges font appel, très souvent, à ce qu’il nomme un narrateur épique, qui régit en fait l’action.
Les romanciers essaient de narrativiser les descriptions en les intégrant, le plus souvent, au point de vue d’un personnage. Il est vrai qu’ils n’arrivent pas toujours à s’y tenir; l’arrivée de Renée à l’hôtel Saccard dans le quartier Monceau, au premier chapitre de La Curée , est l’occasion de décrire le perron et la façade devant laquelle la calèche s’est arrêtée; pendant deux paragraphes, l’auteur décrit ensuite l’autre façade, du côté du jardin, avant de revenir à la scène du perron de la cour: le temps a effectivement été comme suspendu pendant cette description. D’autres écrivains n’hésitent pas à recourir à des énumérations qui rompent totalement la narration: dans Chérie (1884), Edmond de Goncourt consacre la totalité du chapitre LXVI (trois pages dans l’édition originale) à l’énumération des bals parisiens des années 1867-1868, en signalant les principales personnalités rencontrées par sa jeune héroïne.
Drame et roman sont souvent proches l’un de l’autre dans une esthétique naturaliste, et certaines nouvelles de Maupassant (“Au bord du lit”) ou de Holz et Schlaf (“Une mort”) sont de véritables saynètes. On constate toutefois qu’un écart subsiste entre un dialogue de roman, généralement littérarisé et soigné, et un dialogue de drame, qui essaie davantage de restituer la parole à l’état naissant. Dans un récit, la logique de l’histoire racontée semble l’emporter sur le souci d’authenticité. On doit toutefois constater que les Goncourt sont, dans ce domaine, des initiateurs: plusieurs de leurs romans commencent par des dialogues entre des personnages encore inconnus du lecteur, et, dans le cours de l’œuvre elle-même, de nombreux points de suspension témoignent que les auteurs essaient de rendre le débit incertain du locuteur. Dans des pièces comme Mademoiselle Julie ou La Cerisaie , les dialogues paraissent obéir à des associations de mots plus qu’à des enchaînements organisés.
Turbulences de l’écriture
Y a-t-il une logique de la vie, à quoi devrait correspondre une logique du texte? L’une et l’autre ne procèdent pas de la même manière, et le talent de l’écrivain naturaliste est de cacher la trame pour mieux expliquer le réel (c’est, à nouveau, le grand éloge que Zola fait de L’Éducation sentimentale ). Maupassant a parfaitement exprimé le problème du romancier qu ’il appelle réaliste: “Faire vrai consiste [...] à donner l’illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession” (“Le Roman”, ou Préface de Pierre et Jean , 1888). Il est sans doute facile de constater que Zola, Maupassant lui-même, dans nombre de leurs romans, se conforment à cette règle et organisent logiquement les faits en fonction du point d’aboutissement de leurs récits; en cela, d’ailleurs, ils adhèrent à une doctrine qu’on qualifiera de classique; ils racontent à partir de la fin, c’est-à-dire que l’œuvre connaît généralement une clôture bien définie: la mort de Gervaise ou de Nana, le triomphe de Du Roy de Cantel (Bel-Ami ), la fin des mâles de la famille Buddenbrook...
Insister sur l’ordonnancement logique des faits, mettre en spectacle des comportements de groupes: le naturalisme est à l’aise dans ces deux domaines; en revanche, il n’est guère apte à susciter des vocations lyriques. Tout au plus peut-on signaler en Allemagne quelques jeunes poètes qui publient une anthologie, Caractères modernes de poètes (1885), dont la modernité se manifeste plus dans les thèmes que dans les formes, traditionnelles.
Cependant, parmi les théories qui concernent la forme, il y a celle de l’impersonnalité, qui renvoie à nouveau à Flaubert. Dès 1881, dans un compte rendu des Malavoglia , Capuana estimait que “le positivisme, le naturalisme ont exercé une influence réelle et radicale sur le roman contemporain, mais seulement sur la forme , et cette influence se traduit dans l’impersonnalité parfaite d’œuvres d’art de ce genre”. Cette impersonnalité, également prônée par Zola, signifie bien que l’auteur, “comme Dieu” disait Flaubert, n’a pas à apparaître dans son œuvre, mais elle n’élimine nullement le travail du style. Zola a beau ranger la “question de la forme” parmi les “points secondaires” du Roman expérimental , il n’en considère pas moins que “la personnalité de l’écrivain ne saurait être que dans l’idée a priori et dans la forme”.
Le naturalisme ne consiste certes pas à utiliser les “gros mots”: les écrivains s’aventurent exceptionnellement dans cette voie (L’Assommoir ). Il est vrai qu’un souci d’authenticité a poussé certains auteurs vers les parlers populaires: patois normands des paysans de Maupassant, dialectes silésien des Tisserands , berlinois de La Famille Selicke . Si les préférences de Zola vont à un “grand style [...] fait de logique et de clarté”, d’autres essaient des “voies nouvelles”: c’est le titre d’un recueil publié en 1892 par Arno Holz et Johannes Schlaf, qui y reprennent, entre autres, une nouvelle, “Papa Hamlet”, publiée en 1889 sous un pseudonyme norvégien; ce texte représente un des points d’aboutissement d’une poétique naturaliste qui aboutit à un style qu’on a appelé “seconde par seconde”: une segmentation du flux temporel qui va jusqu ’aux limites de l’intelligible pour un lecteur à qui le sens n’est plus donné immédiatement. Une certaine “modernité” n’est pas loin.
5. Au-delà du naturalisme?
Dès 1891, l’Autrichien Hermann Bahr publiait un recueil d’articles: Le Naturalisme dépassé; il faut comprendre ce dépassement comme étant d ’ordre dialectique. Le naturalisme a effectivement représenté un moment de la formation ou de l’évolution de nombreux écrivains du tournant des XIXe et XXe siècles: Hauptmann, Ibsen, Pérez Galdós, Strindberg, Tchekhov, entre autres, dont une partie, parfois importante, des œuvres se rattache aux méthodes et à la poétique naturalistes. Il n’est pas seulement l’héritier, encore moins le prolongement exacerbé du réalisme qui caractérise la littérature européenne du XIXe siècle; il a permis des rencontres avec un certain symbolisme (la recherche actuelle accorde beaucoup d’importance aux mythes qui affleurent chez Zola), et ouvre sur de réelles perspectives modernes, celles d’un “naturalisme spiritualiste” rêvé par Huysmans en 1891, comme celles d’une écriture cinématographique née en 1895 et qui ne cesse, depuis lors, d’exploiter les œuvres naturalistes.
naturalisme [ natyralism ] n. m.
• 1582; dér. sav. de naturel
1 ♦ Philos. Doctrine selon laquelle rien n'existe en dehors de la nature (II, 3o), qui exclut le surnaturel.
2 ♦ (1839) Peint. Représentation réaliste de la nature.
♢ (1868; mus. 1841) Hist. littér. Doctrine, école qui vise, par l'application à l'art des principes du positivisme, à reproduire la réalité avec une objectivité parfaite et dans tous ses aspects. ⇒ réalisme. Le naturalisme proscrit toute idéalisation du réel. Zola « croit avoir découvert le Naturalisme ! » (Flaubert).
⊗ CONTR. Fantastique, idéalisme.
● naturalisme nom masculin École littéraire amorcée par le réalisme, groupée autour de Zola, qui visait, par l'application à l'art des méthodes et des résultats de la science positive, à reproduire la réalité avec une objectivité parfaite et dans tous ses aspects, même les plus vulgaires. Dans les arts, imitation exacte de la nature, s'opposant tant à la stylisation qu'à l'idéalisme et au symbolisme. Théorie d'après laquelle la nature est l'unique ou, du moins, la principale force curative des maladies. Doctrine philosophique qui affirme que la nature existe par elle-même, sans cause ou principe extérieurs à elle. ● naturalisme (synonymes) nom masculin École littéraire amorcée par le réalisme, groupée autour de Zola...
Synonymes :
- réalisme
- vérisme
naturalisme
n. m.
rI./r PHILO
d1./d Doctrine qui prétend opérer à partir des données naturelles, refusant le surnaturel.
d2./d Doctrine qui prend ses critères dans la nature, faisant ainsi de la vie morale le prolongement de la vie biologique.
rII./r BX-A, HIST, LITTER Théorie suivant laquelle l'art, la littérature se doivent de dépeindre la nature et ses réalités et non de la rêver ou de l'interpréter. émile Zola, théoricien du naturalisme littéraire.
⇒NATURALISME, subst. masc.
A. —PHILOSOPHIE
1. Doctrine, système qui considère la nature comme principe fondamental. Le dieu effréné du naturalisme antique, l'aveugle Eleuthère, le furieux libérateur, le rédempteur sanguinaire de l'ancien monde, son Christ impur, avait mené son dernier choeur, consommé sa dernière orgie (MICHELET, Hist. romaine, t.2, 1831, p.328). À vrai dire, ces cultes [les polythéismes mythologiques] méritent à peine le nom de religions; l'idée de révélation en est profondément absente; c'est le naturalisme pur, exprimé par un poétique symbolisme (RENAN, Avenir sc., 1890, p.282). Ainsi comprises, ces doctrines du libre arbitre se rattachent directement au naturalisme chrétien dont les exigences se font sentir dans les philosophies médiévales. Lorsque la confiance dans l'indestructibilité de la nature et dans l'efficace de causes secondes issues d'une fécondité créatrice disparut, le monde était mûr pour la Réforme (GILSON, Espr. philos. médiév., 1932, p.118).
2. Rare, vieilli. Doctrine philosophique qui considère la nature comme principe unique, à l'exclusion de toute intervention divine ou idéale. Synon. matérialisme; anton. spiritualisme, idéalisme. Car, vivant parmi cette civilisation historique et scientifique qu'on leur oppose, en cet âge de critique et de naturalisme, plusieurs au moins [parmi ceux qui croient à l'ordre surnaturel] savent ce qu'il en est (BLONDEL, Action, 1893, p.390).
Rem. NYSTEN 1824 donne le sens ,,théorie médicale qui considère la nature comme la principale et unique cause curative des maladies``. Le mot vivant, en ce sens, est naturisme.
3. Doctrine, système qui est fondé sur la nature humaine. Comme il est vrai que le naturalisme humanitaire et le naturalisme racique sont tous deux ennemis de la patrie et de la chrétienté à la fois (MARITAIN, Primauté spirit., 1927, p.138):
• 1. La nature humaine n'est pas une modalité au sens où la condition humaine est une modalité. Et c'est pourquoi il vaut mieux parler, à mon sens, de naturalisme que d'humanisme. Il y a dans le naturalisme une implication de réalités plus générales que dans l'humanisme...
SARTRE, Existent., 1946, p.114.
B. —HIST. DES IDÉES ESTHÉT.
1. Représentation exacte de la nature, du réel. Synon. réalisme, naturisme (rare). [Léonard] arrive sans erreurs, sans défaillances, sans exagérations et comme d'un seul bond, à ce naturalisme judicieux et savant, également éloigné de l'imitation servile et d'un idéal vide et chimérique (DELACROIX, Journal, 1860, p.285):
• 2. Le paysage classique est mort, tué par la vie et la vérité. Personne n'oserait dire aujourd'hui que la nature a besoin d'être idéalisée, que les cieux et les eaux sont vulgaires, et qu'il est nécessaire de rendre les horizons harmonieux et corrects, si l'on veut faire de belles oeuvres. Nous avons accepté le naturalisme sans grande lutte, parce que près d'un demi-siècle de littérature et de goût personnel nous avait préparés à l'accepter.
ZOLA, Les Paysagistes ds Mon Salon, Manet, Paris, Garnier-Flammarion, 1970 [1868], p.157.
— Imitation servile du réel. Mais qu'arrive l'art romain, que se perde ce sens aigu de la qualité pour ne plus subsister que le principe de l'imitation, aboutissant au naturalisme, ou celui de la correction formelle, menant à l'académisme, et l'art occidental connaîtra sa première défaillance (HUYGHE, Dialog. avec visible, 1955, p.242).
2. Doctrine dont le principal porte-parole a été Zola, caractérisée par la volonté de peindre la réalité sociale dans tous ses aspects (notamment les milieux prolétaires), le recours aux méthodes de la science, le rejet du style, de l'intrigue, des personnages. J'ai lu, comme vous, quelques fragments de l'Assommoir. Ils m'ont déplu. Zola devient une précieuse, à l'inverse. Il croit qu'il y a des mots énergiques, comme Cathos et Madelon croyaient qu'il en existait de nobles. Le système l'égare. Il a des principes qui lui rétrécissent la cervelle. Lisez ses feuilletons du lundi, vous verrez comme il croit avoir découvert «le naturalisme»! (FLAUB., Corresp., 1876, p.369):
• 3. —Je ne reproche au naturalisme ni ses termes de pontons, ni son vocabulaire de latrines et d'hospices, car ce serait injuste et ce serait absurde; d'abord, certains sujets les hèlent, puis avec des gravats d'expressions et du brai de mots, l'on peut exhausser d'énormes et de puissantes oeuvres, l'Assommoir, de Zola, le prouve; non, la question est autre; ce que je reproche au naturalisme, ce n'est pas le lourd badigeon de son gros style! C'est l'immondice de ses idées. Ce que je lui reproche, c'est d'avoir incarné le matérialisme dans la littérature, d'avoir glorifié la démocratie de l'art!
HUYSMANS, Là-bas, t.1, 1891, p.5.
3. P.ext. Caractère crû d'un personnage, d'une expression. On pense [à propos de Claudel] à Shakespeare. Il en a la brutalité, le «naturalisme» voulu, les immenses laïus sans raison apparente, les images très précises, brutales toujours (ALAIN-FOURNIER, Corresp. [avec Rivière], 1906, p.250).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. 1. 1719 «interprétation mythologique des faits de la nature» (LAMOTTE, Fabl., II, 14 ds LITTRÉ); 2. 1746 «système dans lequel on attribue tout à la nature comme premier principe» (DIDEROT, Pensées Philosophiques, p.45); 3. 1858, 28 févr. «école littéraire qui se propose de donner une représentation réaliste de la nature» (TAINE, Essai sur Balzac ds Le Journal des Débats). Dér. sav. du lat. naturalis (v. naturel); suff. -isme. Fréq. abs. littér.:204. Fréq. rel. littér.: XIXe s.: a) 44, b) 55; XXe s.: a) 565, b) 459. Bbg. GOHIN 1903, p.268. —HEMMINGS (F. W.). The Origin of the terms naturalisme, naturaliste. Fr. St. 1954, t.8, pp.109-121. — KRAUSS (W.). Zur Bedeutungsgeschichte von Materialismus. In:[Mél. Schalk (F.)]. Frankfurt, 1963, pp.330-332. —QUEM. DDL t.9.
naturalisme [natyʀalism] n. m.
ÉTYM. 1582, « interprétation mythologique des faits de la nature »; dér. sav. de naturel, d'après le lat. naturalis. → Naturel.
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1 (1752, Trévoux). Philos. Doctrine selon laquelle rien n'existe en dehors de la nature (II., 3.), qui exclut le surnaturel. || Naturalisme et panthéisme (→ Monothéisme, cit.).
♦ Hist., littér. (1868; mus., 1841). Doctrine et école qui proscrit toute idéalisation du réel (⇒ Réalisme) et insiste principalement sur les aspects qui dans l'homme relèvent de la nature et de ses lois. || Le naturalisme s'opposa au romantisme (→ Mêmement, cit.). — ☑ Allus. littér. « Naturalisme pas mort. Lettre suit », texte d'un télégramme envoyé par le romancier naturaliste Paul Alexis en réponse à l'enquête du journaliste Jules Huret (1890).
1 J'ai lu, comme vous, quelques fragments de l'Assommoir. Ils m'ont déplu. Zola devient une précieuse, à l'inverse. Il croit qu'il y a des mots énergiques, comme Cathos et Madelon croyaient qu'il en existait de nobles. Le Système l'égare… Il a des principes qui lui rétrécissent la cervelle. Lisez ses feuilletons du lundi, vous verrez comme il croit avoir découvert « le Naturalisme ! »
Flaubert, Correspondance, 1623, 14 déc. 1876.
2 (…) la grande bataille qui décidera de la victoire du réalisme, du naturalisme, de l'étude d'après nature en littérature, ne se livrera pas sur le terrain que les auteurs (Zola, les Goncourt) de ces deux romans (« l'Assommoir » et « Germinie Lacerteux ») ont choisi. Le jour où l'analyse cruelle que mon ami, M. Zola, et peut-être moi-même, avons apportée dans la peinture du bas de la société, sera reprise par un écrivain de talent, et employée à la reproduction des hommes et des femmes du monde (…) ce jour-là seulement, le classicisme et sa queue seront tués.
Ed. de Goncourt, les Frères Zemganno, Préface.
3 (…) ce que je reproche au naturalisme, ce n'est pas le lourd badigeon de son gros style, c'est l'immondice de ses idées; ce que je lui reproche, c'est d'avoir incarné le matérialisme dans la littérature, d'avoir glorifié la démocratie de l'art !
Huysmans, Là-bas, I.
4 Systématisé surtout par Zola, le réalisme aboutit ainsi au naturalisme, par lequel la littérature se subordonne non seulement à la science, mais à quelques-unes des thèses extrêmes du scientisme.
Jasinski, Hist. de la littérature franç., t. II, p. 340.
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CONTR. Fantastique, idéalisme.
Encyclopédie Universelle. 2012.