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BANQUES CENTRALES
BANQUES CENTRALES

À l’origine banques commerciales dotées par le pouvoir politique du privilège d’émettre des billets garantis par une encaisse de métal précieux, les banques centrales ont vu d’autres fonctions spécifiques se dégager à mesure que se développaient l’usage de la monnaie scripturale, c’est-à-dire des comptes en banques, et les règlements internationaux.

La banque centrale est la «banque des banques», c’est-à-dire leur prêteur en dernier ressort. De ce fait, elle exerce sur la liquidité du système bancaire une action directe, qui peut être renforcée ou remplacée par divers dispositifs réglementaires (réserves obligatoires, encadrement du crédit) en vue de régler le stock de monnaie.

L’état de la liquidité bancaire détermine le loyer de l’argent pratiqué sur le marché monétaire, qui à son tour influence le coût des ressources des banques et le taux de base que celles-ci exigent pour l’octroi des crédits. Les taux d’intérêt internes, enfin, affectent le taux de change.

Les banques centrales sont ainsi conduites à associer constamment à leur mission de régulation monétaire interne celle de veiller à la valeur externe de la monnaie. Il s’agit là de deux aspects d’une même fonction complexe, qui consiste dans l’exercice de la politique monétaire et de change. Celle-ci s’intègre dans la politique économique et sociale du gouvernement. Les relations entre la banque centrale et le gouvernement soulèvent la question du degré d’autonomie de l’autorité monétaire. Question d’autant plus délicate que, devant l’État, la banque centrale a un rôle ambigu: d’une part, elle est un démembrement de la puissance publique, d’autre part, elle est le banquier du Trésor.

Cette question se pose d’abord lors de la définition des objectifs choisis et des moyens mis en œuvre. Par la suite, la banque centrale est constamment exposée à constater des déviations par rapport à la ligne de conduite tracée. Il lui appartient alors de décider si la politique monétaire doit être adaptée aux causes de ces déviations.

1. Origine des banques centrales

La plupart des civilisations ont vu apparaître, à des stades successifs de leur évolution, la monnaie, puis les banques.

La spécialisation des activités individuelles rend l’échange indispensable. Celui-ci peut se réaliser par troc, marchandise contre marchandise, lorsqu’il porte sur un nombre limité de produits. Dès ce stade apparaît néanmoins la nécessité de disposer d’un étalon permettant de mesurer la valeur respective des biens (leurs prix relatifs).

À mesure qu’elle s’accentue, la division du travail impose la matérialisation de l’unité de compte sous forme d’un numéraire qui puisse constituer la contrepartie de tout objet vendu ou acheté, de tout service rendu ou obtenu. Instrument d’échange, ce numéraire peut être accumulé pour le pouvoir d’achat qu’il représente (épargne).

Dans les sociétés évoluées, le choix du matériau à employer s’est vite porté sur les métaux précieux, rares, malléables, peu fragiles et d’un titre connu. Ont alors circulé des pièces frappées par les princes, qui se réservèrent ce droit (droit régalien de battre monnaie).

Les banquiers, comme il en a existé à partir du Moyen Âge en Europe – les premiers étant apparus en Italie –, ont contribué à assouplir les techniques de paiement à mesure que se développaient l’artisanat et le commerce (foires de Champagne). Ils ont accepté en dépôt du métal précieux ou du numéraire, contre remise d’un engagement (billet à ordre) de rembourser à vue ou à un terme fixé dès l’origine. Ils ne se sont pas contentés d’être de simples dépositaires: ils ont pris l’habitude de prêter une partie du stock qu’ils avaient constitué, le remettant alors en circulation. Au total, ils ont ainsi accru les actifs monétaires détenus par le public. Formant entre eux des réseaux de correspondants sur des places différentes, ils ont accepté de recouvrer en un autre lieu la créance d’un client, émettant à cet effet une lettre de change qu’un confrère encaisserait ailleurs. Pour que les billets à ordre créés par les banquiers deviennent des billets de banque, il suffisait qu’ils soient acceptés à l’égal du numéraire lui-même. Cette nouvelle monnaie, sans valeur matérielle, mais investie de la confiance du public (monnaie fiduciaire), s’est d’autant mieux imposée que le pouvoir politique a réservé le droit de l’émettre à un banquier de son choix.

L’intervention gouvernementale donne à celui-ci la notoriété indispensable. L’État délègue son droit de battre monnaie, et l’on peut penser qu’il est lui-même engagé par cette décision. Les billets sont restés longtemps convertibles en or et gagés par la détention, à l’Institut d’émission, d’un stock minimal de métal. La non-convertibilité des billets (cours forcé) a été rendue nécessaire par les désordres monétaires liés aux guerres mondiales et à l’inflation. Le cours forcé a ainsi été établi en France de la Première Guerre mondiale au 25 juin 1928, puis définitivement à partir du 1er octobre 1936.

Les banques non dotées du privilège d’émission n’ont pas pour autant cessé de développer leurs activités; elles ont ainsi nourri la révolution industrielle et l’essor des civilisations techniciennes. Elles ont d’abord pris en dépôt des billets dont elles ont inscrit le montant à des comptes (monnaie scripturale). Elles ont en outre alimenté ces comptes en achetant aux déposants des créances commerciales qu’ils détenaient sur leurs propres clients (escompte des effets de commerce). Elles ont enfin consenti des crédits contre un simple engagement de rembourser à une date convenue, ce qui impliquait soit que le banquier ait confiance dans l’emprunteur (risque bancaire), soit qu’il prenne des garanties (hypothèque, caution).

Bien que son usage se répandît et qu’elle crût rapidement, la monnaie scripturale n’évinça jamais totalement l’usage des billets et des pièces. Sa création par les banques commerciales soumet celles-ci à un coefficient de fuite: dans une proportion liée aux habitudes de la population, des sommes portées en compte sont converties en billets, que les banques doivent se procurer auprès de l’Institut d’émission en lui rétrocédant une fraction de leurs actifs. La banque centrale fixe les conditions et le coût de ces opérations de refinancement. Elle agit ainsi sur l’ensemble des taux d’intérêt et sur la quantité de monnaie en circulation qu’elle est en mesure de régler. Ce pouvoir en fait un démembrement de la puissance publique. Aussi, dans la plupart des pays, l’État est-il maintenant propriétaire de tout ou partie du capital de la banque centrale, comme il ressort du tableau 1.

Il n’existe qu’une banque centrale par pays, et très souvent elle porte le nom de son pays (Banque de France, Banque d’Angleterre). Dans les États à structure fédérale, l’organisation de la banque centrale est également fédérale (Allemagne). Aux États-Unis, il existe douze banques fédérales, coiffées par le Conseil des gouverneurs. Certaines banques centrales disposent de succursales disséminées sur le territoire national.

La Banque de France, pour sa part, a été créée le 18 janvier 1800 (28 nivôse an VIII) à l’instigation de Bonaparte, premier consul. Il s’ agissait de favoriser la reprise de l’activité à l’issue de la période révolutionnaire et d’accoutumer le public, rendu méfiant par l’échec de Law, à se servir de billets. Le nouvel établissement était chargé d’émettre des billets en contrepartie de l’escompte d’effets de commerce. Limité à l’origine à Paris, son privilège d’émission ne fut généralisé à l’ensemble du territoire qu’en 1848, à la suite de l’absorption des comptoirs d’escompte et des banques départementales qui existaient en province. La Banque de France comptait, en 1990, en dehors de son siège, 212 comptoirs.

2. Opérations des banques centrales

La banque centrale doit être considérée dans l’exercice de sa fonction spécifique, c’est-à-dire en négligeant, le cas échéant, certains autres compartiments de son activité. Quelques banques centrales ont en effet gardé de leur passé d’établissements à vocation commerciale une clientèle ordinaire (Banque de France); d’autres (Banque d’Angleterre) gèrent la dette publique.

Le bilan

Le bilan de la banque centrale présente une structure simple. Au passif figurent essentiellement (si l’on excepte le capital et les comptes d’ordre) deux éléments: les billets en circulation et les comptes des banques. Toute augmentation de la circulation fiduciaire entraîne un prélèvement sur les avoirs des banques, et vice versa. On dit communément que ces variations du montant des billets constituent un facteur autonome de la liquidité bancaire.

Le total des billets et des comptes des banques représente l’émission monétaire réalisée par la banque centrale. Ces deux éléments sont toutefois très différents. Alors que les billets, qui ne font que transiter par les banques commerciales, sont entre les mains du public et forment une part de la masse monétaire, les comptes des banques alimentent un circuit purement interne au système bancaire. Ils constituent une monnaie d’un type très particulier (la monnaie centrale), mais dont le rôle est essentiel. Tout virement ordonné par un client de la banque A au profit d’un client de la banque B conduit A à remettre de la monnaie centrale à B. Sont réglés de la même manière les chèques versés pour encaissement à B et tirés sur A. La monnaie centrale est ainsi la plaque tournante du système bancaire. C’est donc par des transferts de monnaie centrale entre banques que se dénouent tous les règlements en monnaie nationale entre agents économiques. La banque centrale est ainsi la clé de voûte du système de paiements.

En même temps, les banques doivent conserver en permanence, au minimum, une quantité de monnaie centrale conforme à la réglementation des réserves obligatoires. Le stock de monnaie centrale détenu par les banques dépend non seulement des variations de l’encours de billets, mais aussi des opérations qui affectent l’actif du bilan de la banque centrale. Celui-ci peut être réparti en deux catégories: les avoirs utilisables à l’extérieur (or et devises) et les créances sur les agents de l’économie nationale (Trésor, banques et entreprises).

La première catégorie comprend, au moins dans certains pays, une proportion notable d’or. Ce métal a longtemps constitué le socle sur lequel reposait le système monétaire international. Le dollar, principale monnaie de réserve depuis la Seconde Guerre mondiale, est resté convertible en or au profit des institutions officielles de janvier 1934 au 15 août 1971, à raison de 35 dollars l’once (1 oz = 31,10 g). Depuis la décision du président Nixon, qui a mis fin à ce régime, l’or n’est plus traité qu’à un prix de marché qui a fortement oscillé, allant même, au début de 1980, au-delà de 800 dollars l’once.

Les créances sur l’extérieur comprennent également les réserves en devises étrangères directement utilisables pour des cessions sur le marché des changes, s’il y a lieu, au taux de change existant, de régler un déficit des paiements avec l’extérieur.

Parmi les créances sur les agents internes figurent les avances directes de la banque centrale à l’État. Négligeables dans certains pays, elles sont généralement plafonnées par la loi. Elles ne doivent pas être considérées comme une anomalie dans la mesure où, même si le budget est équilibré, l’encaissement des recettes n’est pas réalisé suivant la même périodicité que l’exécution des dépenses. Par ces dernières, le Trésor transfère aux banques la monnaie centrale créée à son profit.

Que la banque centrale achète des devises ou qu’elle accroisse ses avances à l’État, elle crée de la monnaie centrale et augmente la liquidité bancaire. Or les interventions sur le marché des changes répondent, à très court terme, à l’évolution du taux de change; les avances à l’État fluctuent à la mesure des besoins du Trésor public. Ces deux facteurs de la liquidité bancaire sont donc autonomes, au même titre que les mouvements de billets, c’est-à-dire qu’ils répondent à des causes qui leur sont propres. Il en va différemment du portefeuille des créances sur l’économie nationale, que la banque centrale fait varier à son gré, afin de régler comme elle l’entend la liquidité bancaire (tabl. 2).

Le refinancement des banques

La banque centrale a la faculté, par des opérations discrétionnaires, de créer de la monnaie centrale qu’elle inscrit à son passif aux comptes des banques commerciales. Elle pourrait consentir des prêts en blanc ou matérialisés par des billets à ordre (acceptations de banques). Cette technique est généra lement écartée ou peu développée, car elle offre peu de garanties à la banque centrale. Celle-ci préfère mobiliser des éléments de l’actif des banques, c’est-à-dire des crédits antérieurement consentis par elles au Trésor public ou au secteur privé (entreprises ou ménages).

Les bons du Trésor sont par nature un support privilégié pour de telles opérations, aussi bien que pour des prêts et emprunts de monnaie centrale entre banques. Le remboursement à l’échéance ne comporte en effet aucun risque.

Les créances sur l’économie ne peuvent en général accéder au portefeuille de l’institut d’émission que sous certaines conditions. Elles doivent être à court terme. À l’origine, la Banque de France achetait ainsi des effets de commerce ou billets à ordre parvenus à moins de trois mois de leur échéance, portant trois signatures: un tireur, un tiré et une banque; ou un tiré, une banque commerciale et un établissement spécialisé ayant assuré un premier refinancement. En effet, la banque centrale n’a pas vocation à prendre des risques de bonne fin: la multiplicité des signatures assure celle des recours en cas de défaut de paiement du principal obligé.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la Banque de France a dû mobiliser des prêts à moyen terme à l’industrie et à la construction. On a alors établi des «effets de mobilisation» à trois mois d’échéance, régulièrement renouvelés.

La banque centrale peut imposer des conditions supplémentaires tenant à la qualité de la situation financière du bénéficiaire du crédit, ou à la nature de l’opération visée (investissement, exportations, logement principal et non secondaire, etc.). Elle pratique alors une politique du crédit sélective. Les banques sont ainsi conduites à classer les crédits qu’elles octroient en deux catégories: mobilisables ou non mobilisables.

Les techniques de refinancement sont elles-mêmes très diverses. Par le réescompte, la banque centrale prend les effets qui remplissent les conditions de mobilisation (effets réescomptables) sous déduction d’un agio calculé suivant un taux officiel (taux d’escompte), dont la modification est entourée d’une certaine solennité. Aussi parle-t-on en ce cas de refinancement à taux fixe, ce qui est excessif, car les instituts d’émission font varier ces taux soit pour suivre, avec retard et modération, l’orientation générale du loyer de l’argent sur les marchés de capitaux, soit au contraire pour modifier cette orientation.

Le stock de monnaie centrale ainsi mis à la disposition des banques ne saurait sans inconvénients dépasser le besoin global du système bancaire. Aussi les possibilités de recours au réescompte de chaque établissement sont-elles en général limitées par un plafond (France jusqu’en 1971, Allemagne). Dans quelques pays (États-Unis), l’accès au réescompte n’est pas un droit et ne saurait être permanent; son montant est fixé discrétionnairement par la banque centrale.

Au lieu d’effectuer des refinancements bilatéraux à un taux prédéterminé, la banque centrale peut acheter des valeurs sur le marché monétaire (open market policy ), soit à des banques sans considération de plafond, soit à des intermédiaires spécialisés qui, centralisant les demandes de refinancement, se procurent les effets mobilisables, les cèdent à l’institut d’émission et redistribuent la monnaie centrale aux banques sur le marché.

La banque centrale peut procéder à des achats fermes ou à des pensions de durée limitée. Elle prend alors des bons du Trésor ou des effets mobilisables en garantie d’une avance en monnaie centrale de durée limitée.

Créée par les diverses opérations de refinancement qui viennent d’être énumérées, la monnaie centrale est détruite soit par le dénouement de la pension (la banque centrale débite alors le compte de l’emprunteur), soit à l’échéance des effets achetés ferme, au titre du réescompte ou sur le marché monétaire. S’il s’agit d’effets représentatifs de crédits bancaires, la banque centrale les présente aux banquiers domiciliataires dont les comptes en monnaie centrale sont débités. S’il s’agit de bons du Trésor, c’est le compte du Trésor qui est débité; l’encours de la dette publique ne peut alors être maintenu que par l’émission de nouveaux bons auprès du système bancaire, dont le stock de monnaie centrale se réduit d’autant.

Le refinancement des banques se traduit donc par des flux quotidiens de création et d’annulation de monnaie centrale. Si ces flux sont égaux dans un temps défini, le stock de monnaie centrale ne varie que sous l’effet des facteurs autonomes de la liquidité bancaire. Mais la banque centrale peut à sa guise faire diverger ces flux, soit pour compenser le jeu des facteurs autonomes, soit pour susciter une variation du stock de monnaie centrale.

Le réescompte se prête assez peu à cet ajustement au jour le jour, en raison de la rigidité des plafonds. Cette technique doit donc toujours être complétée par des interventions de la banque centrale sur le marché monétaire. Les taux d’intérêt entre banques sur le marché monétaire ne peuvent fléchir au-dessous du taux d’escompte officiel. Si cela se produisait, les banques emprunteuses de monnaie centrale réduiraient leur recours au réescompte, devenu trop onéreux, ce qui stabiliserait le taux interbancaire.

Dans certains pays, l’essentiel du refinancement est octroyé par la voie du réescompte. Tel était le cas en France jusqu’à la mise en application partielle, en mars 1971, du rapport Marjolin-Sadrin-Wormser, qui avait souligné la multiplicité des taux d’intérêt à court terme et critiqué l’usage abusif de procédures de refinancement à des conditions privilégiées. Depuis 1971, en France et dans d’autres pays (États-Unis), le refinancement a lieu exclusivement ou presque à travers le marché monétaire.

Il arrive enfin que les banques centrales achètent ou vendent, ou prennent en pension des titres à revenu fixe du marché financier , surtout des fonds d’État. En Allemagne, de telles valeurs peuvent être remises par les banques pour ces opérations de pension que sont les avances Lombard. Parfois la banque centrale intervient directement sur le marché secondaire. En achetant des fonds d’État, elle crée de la monnaie centrale. En revendant une part de son portefeuille, elle en détruit.

L’opportunité de ces interventions sur le marché obligataire est un sujet controversé. Pour certains, elles donnent la maîtrise de l’intérêt à long terme aussi bien que des taux courts. On peut même imaginer que la banque centrale achète des titres longs et vende en contrepartie des instruments du marché monétaire, ou vice versa, de façon à déformer l’échelonnement des taux d’intérêt tel que le déterminerait le comportement des opérateurs (opérations twist). Mais c’est précisément un inconvénient de cette formule que de priver les autorités monétaires de toute indication sur le mouvement naturel des taux, révélateur des anticipations des épargnants. Au surplus, une banque centrale est souvent moins à l’aise pour vendre des fonds d’État, déprimant ainsi leurs cours, que pour en acquérir.

3. Pouvoir réglementaire des banques centrales

Les banques centrales exercent souvent un pouvoir réglementaire, qu’elles tiennent tantôt de leurs statuts, tantôt de délégations accordées par l’État.

Une part des règlements édictés ont un intérêt prudentiel, c’est-à-dire visent à prévenir les faillites bancaires: coefficient minimal de liquidité, règles de division des risques, limitation des participations dans les entreprises, ratio de fonds propres.

D’autres sont directement liés à l’exercice de la politique monétaire. Le plus caractéristique consiste dans la fixation du coefficient des réserves obligatoires , très généralement non rémunérées, à constituer auprès de la banque centrale. Ce peut être un pourcentage des dépôts ou des crédits. Tout relèvement de ces réserves accroît le besoin de refinancement des banques et rend plus onéreuses pour celles-ci une nouvelle expansion du crédit et de la masse monétaire. Il contraint les banques à relever le taux de base de leurs concours à l’économie et peut donc renforcer l’effet restrictif sur la distribution du crédit d’une hausse des taux d’intérêt du marché monétaire.

Il existe enfin dans la plupart des pays des règles relatives à la rémunération des dépôts, qui tendent à interdire ou limiter la rémunération des plus liquides d’entre eux, de manière à l’isoler des fluctuations du marché monétaire et à orienter les déposants vers des placements à plus long terme.

4. Réglage de la liquidité bancaire par la banque centrale

Sur le marché monétaire, les banques qui se trouvent en excédent momentané ou structurel de monnaie centrale par rapport à leurs obligations de réserves offrent ces disponibilités aux banques déficitaires.

Une diminution de la liquidité bancaire ou une augmentation du coefficient de réserves obligatoires accroissent le besoin de monnaie centrale des banques. L’institut d’émission est libre de satisfaire le besoin au taux d’intérêt qui lui convient. Il peut ainsi relever le coût de la ressource marginale des banques.

Si la banque centrale ne satisfait pas le besoin ainsi apparu, la hausse des taux d’intérêt peut être très forte et brutale. On peut qualifier cette situation de crise de liquidité. Elle pourrait aboutir à la cessation de paiement de banques emprunteuses sur le marché monétaire. Des mécanismes stabilisateurs se mettent cependant en œuvre, mais ils n’ont qu’un effet assez lent. Les banques, par exemple, vendront dans le public les titres de leur portefeuille; les prélèvements correspondants sur les comptes des acquéreurs réduiront la masse monétaire et le montant des réserves obligatoires; les banques restaureront ainsi à terme leur liquidité, en subissant vraisemblablement une perte due à la baisse des cours en Bourse. Dans les pays où les banques détiennent de larges portefeuilles obligataires, ce mécanisme est classique et il assure la transmission de la hausse des taux d’intérêt du marché monétaire (court terme) au marché financier (long terme).

Un deuxième stabilisateur, celui-là universel, consiste dans l’obligation pour les banques de rendre plus onéreux les crédits qu’elles consentent. La quantité de crédit effectivement demandée fléchit alors, ou croît moins vite, selon son élasticité aux variations du coût des financements. La création monétaire se restreint. Il se peut toutefois que la hausse du loyer de l’argent attire des capitaux de l’étranger; dans un régime de taux de change fixes, la banque centrale serait alors tenue d’accroître ses réserves de change, à son actif, créant à son passif de la monnaie centrale.

Les raisonnements qui précèdent peuvent bien entendu être transposés pour rendre compte, à l’inverse, d’une augmentation de la liquidité bancaire génératrice d’une baisse des taux d’intérêt.

Dans tous les cas, la banque centrale est sommée de prendre parti par les événements eux-mêmes. Elle ne saurait laisser se développer une crise bancaire. Il serait tout aussi imprudent d’accepter une baisse profonde des taux d’intérêt entraînant une expansion monétaire et des sorties de capitaux. Ces questions sont au cœur de la politique d’intervention de la banque centrale.

La thèse monétariste, illustrée par Milton Friedmann et l’école de Chicago, concentre l’attention sur le passif du bilan de la banque centrale, que l’on peut assimiler à la base monétaire (en réalité, cette expression a reçu des définitions plus précises, qui importent peu pour le raisonnement d’ensemble). Celle-ci serait reliée de façon directe à la quantité de monnaie en circulation et aux prix, au moins en longue période. Ainsi la banque centrale est-elle en mesure de contribuer efficacement à la stabilité des prix. Cela implique qu’elle ne soit pas exposée à perdre la maîtrise de son bilan par des variations des réserves en devises, et conduit à préférer le flottement du taux de change au respect d’un système de parités fixes.

Cette ligne de conduite a été suivie aux États-Unis, de 1979 à 1982. Les variations de taux d’intérêt jouent alors le rôle régulateur qui a été analysé précédemment: toute reprise de la demande de crédit induit un relèvement du coût du crédit qui ramène les encours crédit et le stock de monnaie vers leur niveau antérieur.

Dans beaucoup de pays on juge préférable d’éviter les variations très amples des taux d’intérêt, parce que les entreprises et les ménages, fortement endettés, ne supporteraient pas des relèvements soudains de leurs charges financières. La banque centrale est alors conduite à satisfaire les besoins de monnaie centrale ou à éponger les excédents. Elle peut ainsi maintenir un taux d’intérêt constant sur le marché monétaire, ou le faire varier comme elle l’entend, au lieu de l’abandonner aux seules forces du marché. Elle exerce alors un meilleur contrôle du taux de change, mais elle perd la maîtrise de son bilan et ne règle pas aussi bien, au moins par la voie du marché monétaire, la quantité de monnaie en circulation.

5. Politique monétaire

L’aptitude des banques centrales à régler la liquidité bancaire et, par là même, les taux d’intérêt, ainsi que leur pouvoir réglementaire à l’égard des organismes créateurs et gestionnaires de monnaie, en font les maîtres d’œuvre de la politique monétaire, qui est un des moyens d’action des pouvoirs publics sur l’économie.

Le contenu formel

Sous le régime des taux de change fixes élaboré à la Conférence de Bretton Woods (juillet 1944), le comportement des banques centrales était dicté par l’obligation de respecter les parités déclarées. Une inflation trop forte, une expansion monétaire trop rapide, déclenchant à la longue une crise de change et des pertes de réserves en devises, appelaient une correction énergique. La sanction d’un échec était la dévaluation.

Depuis l’abandon des parités fixes en avril 1973, au moins pour l’ensemble du monde (car il existe des zones monétaires et un système européen de changes fixes), les banques centrales ont éprouvé l’impérieux besoin de définir les objectifs précis qu’elles s’assignent et, en général, de les publier. Ce faisant, elles indiquent à la fois l’étendue et les limites de leur responsabilité, qui concerne la régulation monétaire, et elles espèrent influencer le jugement des ménages, des entreprises et des étrangers sur la solidité de la monnaie nationale. Ces objectifs spécifiques de la politique monétaire sont fréquemment qualifiés d’objectifs intermédiaires; en effet, ils ne portent pas sur le résultat final, idyllique et abstrait, que vise toute politique gouvernementale: davantage de croissance et moins d’inflation. Ils sont en général de caractère quantitatif et ont des supports concrets (l’expansion monétaire maximale ou la variation annuelle du crédit bancaire ou du financement global de l’économie).

L’innovation financière a cependant perturbé l’évolution des statistiques monétaires et altéré leur corrélation avec la croissance et les prix.

Quelques pays à économie très ouverte, particulièrement sensibles à l’évolution de leur taux de change, font de celui-ci la variable essentielle et renoncent pratiquement à formuler d’autres objectifs.

Les instruments utilisés pour atteindre l’objectif sont soit indirects, soit directs. Les premiers reposent sur le jeu des marchés de capitaux et des taux d’intérêt, sur lesquels la banque centrale exerce l’influence déterminante qui a été décrite. S’ils se révèlent insuffisants, ou si l’évolution des taux d’intérêt sur le marché monétaire est soumise à une très forte contrainte extérieure, la banque centrale peut utiliser des instruments directs, consistant en une réglementation de l’activité bancaire.

L’encadrement du crédit en est l’exemple le plus achevé. Il consiste à obliger les banques à limiter à un pourcentage prévu par avance la progression des crédits qu’elles octroient. La France a utilisé l’encadrement à plusieurs reprises, notamment de décembre 1972 à 1987. Des procédures voisines ont été en vigueur dans d’autres pays où le crédit bancaire est la source essentielle de création monétaire (Japon, Royaume-Uni, pays scandinaves).

Le démantèlement des contrôles des changes a entraîné une globalisation des marchés qui rend ces instruments directs peu praticables.

L’orientation

Si la distribution du crédit bancaire peut dans une certaine mesure être orientée sélectivement, c’est-à-dire de façon différenciée, sur les secteurs de l’économie, la politique monétaire a une fonction globale. Elle doit d’une part assurer au système productif des financements d’un volume suffisant, d’autre part éliminer les inconvénients liés à une expansion excessive des liquidités et qui sont l’inflation, la dégradation des comptes extérieurs et la dépréciation du taux de change.

L’aptitude de la banque centrale à éviter ou réduire la hausse des prix est un sujet permanent de controverse. L’expérience tirée des plans de stabilisation tend à montrer que la restriction des financements qui leur est associée (que ce soit par le relèvement de l’intérêt ou par des instruments directs) pèse d’abord sur l’activité en volume et spécialement sur l’investissement. On peut penser que cet effet est temporaire et que la croissance reprendra sur des bases plus saines après une période d’ajustement. Ce délai tend à être d’autant plus long que la hausse des prix est perpétuée par des facteurs sociologiques et institutionnels comme l’indexation. En ce cas, une lutte efficace contre l’inflation appelle notamment la mise en œuvre d’une politique des revenus.

Le degré d’autonomie de la banque centrale

Dans l’exercice de sa fonction régulatrice, la banque centrale peut entrer en conflit avec le pouvoir politique. Celui-ci, par exemple, peut lui demander de soutenir, par une attitude libérale, une orientation plus expansionniste de la politique gouvernementale.

La politique monétaire fait partie d’un ensemble de mesures de natures très diverses par lesquelles la puissance publique entend modifier le déroulement spontané des activités économiques des agents résidents. Le problème de la coordination de la politique monétaire avec les autres sphères d’influence de l’État se pose chaque fois qu’il y a lieu de préciser les objectifs spécifiques de la banque centrale: ceux-ci sont-ils asservis à la construction d’ensemble ou doivent-ils être maintenus sur une ligne continue, qui trouve ses racines dans la période antérieure, ignorant les infléchissements apportés par le gouvernement à sa propre action? La banque centrale a-t-elle le droit d’élaborer, au vu des circonstances, une stratégie autonome?

La même question se pose au jour le jour. Alors que la banque centrale s’efforce d’atteindre son objectif, des phénomènes non prévus à l’origine peuvent affecter la création monétaire et les taux d’intérêt. Volontairement, dans un but expansif, ou involontairement, si la récession ralentit les recettes fiscales ou si l’inflation accroît les charges de fonctionnement de l’État, le déficit budgétaire peut faire apparaître un besoin inattendu de financement. Des perturbations surviennent sur le marché des changes, qui obligent à privilégier temporairement le contrôle soit de la situation interne, soit du taux de change.

Le débat sur le degré d’autonomie de la politique monétaire ne doit pas être dramatisé, mais il présente une importance incontestable pour toute réflexion sur le jeu des institutions. Il serait sans objet si la banque centrale avait une influence directe et exclusive, par les instruments dont elle dispose, sur la monnaie et les prix. Or tel n’est pas le cas. Ces éléments ne sont pas dissociables des facteurs réels de l’économie (croissance et emploi notamment). On doit constater en particulier qu’après le premier choc pétrolier, à la fin de 1973, l’arbitrage entre la lutte contre l’inflation et le maintien d’un taux suffisant d’activité s’est souvent révélé difficile. Les banques centrales sont par nature plus sensibles à la première de ces deux orientations, les gouvernements à la seconde.

Aux États-Unis et en Allemagne, par exemple, la banque centrale bénéficie d’une grande indépendance à l’égard du pouvoir politique. D’une manière générale, l’indépendance implique des statuts qui définissent clairement les missions confiées à l’institution. Dans plusieurs pays, la nomination du gouverneur n’est pas du ressort du gouvernement ou est faite pour une durée définie qui exclut toute révocation en cours de mandat.

6. Missions de service public

On ne peut décrire le rôle des banques centrales sans rappeler qu’elles accomplissent des missions de service public de plus en plus diverses. Elles assurent la collecte d’informations et la diffusion de statistiques relatives à la monnaie, au crédit et à la balance des paiements. Elles exercent sur le système bancaire une surveillance continue, même si elles ne sont pas toujours chargées en titre, ou à elles seules, du contrôle des banques. Elles veillent à la stabilité des marchés et à la bonne exécution des paiements. Elles exécutent enfin des opérations de caisse et de recouvrement pour le compte de l’État. Elles sont ainsi à tous égards placées au cœur de la vie financière de la nation.

Encyclopédie Universelle. 2012.