ANOURES
Le superordre des Anoures réunit tous les Amphibiens actuels qui, contrairement aux Urodèles, sont, à l’état adulte, dépourvus de queue: ainsi les grenouilles, les rainettes, les crapauds.
Le corps, massif, est prolongé directement par une tête triangulaire à la bouche largement fendue sous deux gros yeux globuleux, en arrière desquels est tendue la membrane tympanique, bien visible extérieurement par suite de l’absence d’oreille externe.
Les pattes antérieures, à 4 doigts, sont courtes et relativement grêles. Par contre, les pattes postérieures, à 5 doigts, très longues et fortes, montrent immédiatement que ces animaux sont adaptés au saut.
Bien plus inféodés au milieu terrestre que les Urodèles, les Anoures n’ont encore qu’une homéostasie imparfaite, et ils reviennent obligatoirement, pour pondre, au milieu aquatique (sauf quelques très rares exceptions). C’est dans l’eau que s’effectue leur développement embryonnaire et larvaire. Ce dernier est marqué par une succession de transformations anatomiques et physiologiques dont l’ensemble constitue la métamorphose.
Animaux «utiles», les Anoures sont représentés sur toute la surface du globe, aussi bien dans les zones humides que dans les régions semi-arides, depuis le niveau de la mer jusqu’à 4 000 m. Leur longévité varie de 10 à 40 ans.
Morphologie et anatomie
La grenouille verte, Rana esculenta , extrêmement commune dans les mares et étangs européens, possède une peau d’un vert brillant tachetée de brun. Son nom spécifique rappelle l’usage gastronomique que l’on fait de ses pattes postérieures.
On peut la distinguer de la grenouille rousse (Rana temporaria ), tout aussi commune, par l’absence de la grande tache brune post-oculaire qui caractérise cette dernière, et du crapaud vert (Bufo viridis ) par son aspect beaucoup moins ramassé, sa peau lisse (celle des crapauds est verruqueuse) et la présence de dents (les crapauds européens sont édentés).
La bouche renferme la langue qui sert à capturer les proies. La grenouille se place par ce trait dans le groupe des Phanéroglosses. Chez les Aglosses , dont les représentants sont beaucoup moins nombreux (ex. le Pipa américain), il n’y a pas de langue.
Le squelette présente quelques particularités. Le crâne est très simplifié, surtout dans les régions otique et occipitale. Les os qui constituent le palais sont également réduits, d’où l’existence de larges fenêtres ptérygoïdiennes. La colonne vertébrale compte 8 à 10 vertèbres, dont une seule vertèbre sacrée qui se prolonge par un os long et pointu, l’urostyle, résultant de la soudure des vertèbres caudales. La ceinture pectorale compte deux clavicules et deux épicoracoïdes cartilagineux ventraux. Par ses larges apophyses transverses, la vertèbre sacrée s’articule avec le bassin allongé parallèlement à l’axe du corps. La position, très caudale, de la cavité acétabulaire d’où part le fémur facilite les mouvements du membre inférieur pendant le saut. Les autres traits de l’anatomie sont ceux des Amphibiens.
Physiologie
Phonation . Le coassement du mâle, en période sexuelle, consiste en une expiration forcée. L’air passe dans la bouche (les narines sont fermées) puis dans les sacs vocaux, sortes de diverticules pairs ou impairs de la paroi buccale, qui jouent le rôle de résonateurs. Leur position varie avec les genres. Certains, tel le crapaud vulgaire, en sont dépourvus.
Respiration . Les échanges respiratoires des Amphibiens se font à trois niveaux: peau, cavité buccale, poumons. Chez tous les Anoures, la cavité buccale ne joue pratiquement aucun rôle; la surface des capillaires qui l’irriguent ne représente que 1 p. 100 de la surface totale des capillaires ayant un rôle respiratoire.
Par contre, selon le mode de vie, la peau ou les poumons peuvent jouer un rôle prédominant. Ainsi, la grenouille verte utilise également l’une et l’autre pour absorber l’oxygène. En revanche, chez la grenouille rousse, aux mœurs beaucoup plus terrestres, le volume d’oxygène passant par les poumons est trois fois plus important que celui passant par la peau.
Dans ce cas, la ventilation pulmonaire reste, en l’absence de côtes, sous la dépendance des mouvements buccaux qui permettent l’aspiration de l’air par les narines.
Le transport des gaz respiratoires s’effectue, comme chez les autres Vertébrés, grâce à la présence d’hémoglobine dans les érythrocytes. Mais, là aussi, les Anoures témoignent d’adaptations particulières selon les conditions écologiques. Ainsi, la courbe de dissociation de l’oxyhémoglobine est différente chez les Anoures aquatiques et chez les Anoures terrestres. Chez ces derniers, elle est semblable à celle de tous les autres Vertébrés tétrapodes; chez les autres, elle est identique à celle du têtard.
Circulation dans le cœur . La théorie explicative classique est exposée dans l’article AMPHIBIENS. Cependant, des travaux assez récents, effectués sur les Anoures, remettent en cause certains points. Si en effet on observe bien le passage séparé du sang réduit et du
sang hématosé de part et d’autre de la lame spirale du bulbe cardiaque, il s’effectue simultanément pour les deux flux sanguins, et il n’est pas dû à une différence de pression sanguine dans les troncs systémocarotidien et pulmo-cutané, comme on l’a cru longtemps.
D’autre part, la circulation intracardiaque semble différente d’un genre à l’autre (Rana temporaria et Xenopus laevis par exemple), selon le mode de vie.
Régulation du milieu intérieur . La grande perméabilité de la peau permet aussi bien l’évaporation de l’eau que son infiltration. Mais c’est surtout l’élimination rénale qui est importante. Elle varie selon les conditions du milieu. Ainsi un Anoure maintenu hors de l’eau pendant un certain temps urine de moins en moins. Cette modification du volume urinaire excrété correspond à une réduction du taux de filtration glomérulaire et à une augmentation de la réabsorption tubulaire. Celle-ci ne se fait pas uniquement au niveau du néphron, mais également au niveau de la vessie qui est employée, chez les formes subdésertiques, comme réservoir d’eau.
La concentration du plasma en chlorure de sodium est de 9 p. 1 000. En milieu aquatique à salinité élevée, le volume d’urine rejetée décroît; sa pression osmotique ne devient pourtant jamais hypertonique par rapport à celle du sang. En effet, en plus de l’excrétion rénale, les sels sont éliminés par les sécrétions des différentes glandes cutanées ou par diffusion à travers la peau.
La pression osmotique du milieu intérieur varie donc, chez les Anoures, en fonction du milieu et de la température. Pour un même animal, elle peut prendre, au cours d’une année, différentes valeurs.
Le contrôle hormonal s’effectue principalement par une ou des hormones sécrétées par la neurohypophyse, qui provoque une augmentation de la perméabilité des membranes cellulaires à l’eau et aux électrolytes: la régulation des échanges d’eau est sous le contrôle de la vasotocine. La prolactine adénohypophysaire agit sur l’absorption de sodium et de chlore au niveau de la peau et la récupération d’eau et d’ions par la vessie et le rein. La thyroïde et les cellules corticales des glandes adrénales interviennent de la même façon dans cette régulation du métabolisme hydrominéral. Alors que les poissons ne possèdent qu’un seul type de corticoïde (cortisol), le cortex surrénal des Amphibiens en produit deux: l’aldostérone retient le sodium dans l’organisme et la corticostérone agirait sur l’équilibre hydrominéral en mobilisant de l’énergie.
Développement et métamorphose
Au sortir de l’œuf, l’embryon vit encore uniquement grâce à ses réserves (vitellus). Rapidement, des branchies externes ressemblant à celles des poissons lui permettent de respirer, en utilisant l’oxygène dissous dans l’eau. Puis, elles sont remplacées par d’autres branchies, internes cette fois, enfermées dans une chambre branchiale ventrale à la suite du développement d’un repli de la peau (opercule). La communication de cette chambre avec l’extérieur se fait par un orifice, nommé spiracle, dont la position est un critère de détermination. En même temps, le tube digestif devient fonctionnel. Puis commence la métamorphose proprement dite. Elle est divisée en trois périodes. La première (prémétamorphique) est caractérisée par l’apparition de l’ébauche du membre postérieur, mais une longue queue musculaire reste l’unique moyen de locomotion. Au cours de la deuxième (prométamorphique), le corps s’accroît notablement ainsi que le membre postérieur, qui peut déjà se mouvoir facilement. La période finale (postmétamorphique) est marquée par les changements les plus spectaculaires: achèvement des quatre membres; modifications ostéologiques crâniennes (complication de l’organe olfactif, accroissement du globe oculaire, réalisation de l’oreille moyenne); disparition du cinquième arc aortique; complications de la structure pulmonaire; réduction de l’intestin (passage d’un régime herbivore à un régime carnivore); individualisation des glandes digestives (pancréas en particulier); enfin disparition de la queue.
Toutes ces transformations s’accompa
gnent d’une modification du système nerveux. Les plus importantes affectent les systèmes enzymatiques, la respiration (la courbe de dissociation de l’oxyhémoglobine, différente de celle de l’adulte, indique un pouvoir oxyphorique supérieur), l’excrétion enfin (les déchets azotés sont rejetés sous forme d’urée et non plus sous forme d’ammoniaque). Tout cela accuse nettement l’adaptation à la vie terrestre.
Le contrôle de la métamorphose ne dépend pas seulement de la thyroïde. La prémétamorphose peut être atteinte sans thyroïde. La première, qui s’étend jusqu’à la fin de la postmétamorphose, est réglée par l’hypothalamus. Il commande l’adénohypophyse, dont la thyréostimuline active la sécrétion de thyroxine par la thyroïde. La phase finale est uniquement sous l’influence du complexe hypothalamo-hypophysaire, car le taux de thyroxine est suffisamment élevé dans le sang.
L’alimentation et la température ambiante influent également, vraisemblablement par l’intermédiaire du système endocrinien.
Phylogénie, systématique et écologie
Il existe environ 2 000 espèces d’Anoures réparties dans 22 familles relativement bien définies et, pour la plupart, monophylétiques. La phylogénie des Anoures donnée ici (fig. 1) a été proposée par Duelman et Trueb (1986) à partir de l’analyse de quinze caractères morphologiques différents. La structure vertébrale, base de l’ancienne classification proposée par Noble, s’est avérée être
extrêmement variable et sujette à des convergences.
Les Anoures sont parfois – mais arbitrairement – subdivisés en «Anoures primitifs» et en «Anoures supérieurs», les derniers constituant un grand ensemble monophylétique, mais dont les familles ont des relations phylogénétiques controversées. Nous ne citons ici que quelques-unes des familles d’Anoures les plus significatives.
Anoures primitifs
Leiopelmatidés et Discoglossidés. Les Leiopelmatidés et les Discoglossidés sont les plus primitifs des Anoures actuels. Chez les Leiopelmatidés (par exemple Ascaphus et Leiopelma ), la fécondation est interne. Le mâle possède un organe copulateur qu’il introduit dans le cloaque de la femelle. Celle-ci fixe le cordon d’œufs aux aspérités rocheuses du fond des torrents montagnards où a lieu la ponte. Les têtards possèdent près de la bouche un organe adhésif par lequel ils se fixent aux rochers (adaptation à la vie torrenticole).
Les Discoglossidés sont de petits Anoures européens et nord-africains qui s’éloignent peu des points d’eau et présentent de nombreux caractères primitifs. Exemple Discoglossus pictus (grenouille peinte), Bombina variegata (sonneur à ventre jaune). Le plus curieux est Alytes obstetricans (crapaud accoucheur), dont le mâle saisit le cordon d’œufs au fur et à mesure qu’il est pondu (et fécondé) et l’enroule autour de ses cuisses. Il le libère lorsque les larves ont des branchies externes.
Pipidés et Rhinophrynidés. Les Pipidés sont entièrement aquatiques et ont une forme très hydrodynamique. Ils possèdent une ligne latérale sensorielle et n’ont pas de langue : par exemple Xenopus (Afrique) et Pipa (Amérique du Sud). Chez ce dernier, chaque œuf incube dans une petite poche creusée dans la peau du dos de la femelle. La métamorphose s’y déroule complètement.
Les Rhinophrynidés ne sont représentés que par une seule espèce mexicaine, sorte de petit crapaud au corps ovoïde et dépourvu de dents, qui se nourrit de termites.
Pélobatidés et Pélodytidés. Chacune des deux familles des Pélobatidés et Pélodytidés comprend un genre européen: Pelobates et Pelodytes . De taille moyenne, ces Anoures sont nocturnes et restent enfouis pendant la journée dans des terriers qu’ils creusent avec leurs pattes postérieures dont le métatarse porte un fort épaississement corné. Les têtards de Pelobates sont gigantesques (de 15 à 20 cm).
Myobatrachidés. Les Myobatrachidés sont de gros Anoures australiens aux mœurs souterraines. Ils ont la faculté d’absorber l’eau par la peau, comme une éponge, augmentant ainsi considérablement leur volume.
Anoures supérieurs
On regroupe dans les Anoures supérieurs un ensemble de familles très riches en espèces, et qui partagent toutes un caractère comportemental lié à l’accouplement: l’amplexus axillaire. Ce terme désigne la manière dont le mâle maintient la famille entre ses pattes antérieures, au niveau des aisselles ou de la tête.
Les Anoures supérieurs comprennent un grand ensemble monophylétique, les Firmisternes, caractérisé par une ceinture pectorale soudée ventralement, et un grand ensemble très probablement hétérogène, paraphylétique, qui compte sept familles aux relations encore obscures, parmi lesquelles on peut citer les quatre suivantes:
– Leptodactylidés . Les Leptodactylidés sont de petits Anoures, principalement sud-américains, qui présentent une extraordinaire variété de formes. Beaucoup sont arboricoles; très agiles, ils construisent parfois des nids d’écume soit entre les feuilles, soit dans des terriers.
– Bufonidés (crapauds proprement dits). Répandus dans le monde entier, les Bufonidés sont de mœurs terrestres et nocturnes et se nourrissent d’insectes, voire de petits rongeurs. En Europe occidentale, on trouve: Bufo viridis (crapaud vert), Bufo calamita (crapaud des roseaux) et Bufo bufo (crapaud commun). Nectophrynoides vivipara , de l’Est africain, est le seul Anoure vivipare.
– Hylidés (rainettes). En grande partie arboricoles, ces Anoures ont une répartition mondiale. En Europe, la rainette arboricole (Hyla arborea ) vit exclusivement dans les arbustes proches des mares où elle vient pondre. La rainette à poche (Gastrotheca ), d’Amérique du Sud, incube ses œufs dans une poche placée sur le dos de la femelle. Les larves s’y développent complètement.
– Brachycéphalidés . Essentiellement sud-américaine, la famille des Brachycéphalidés renferme le plus petit Anoure connu (Sminthillus ), mais aussi le Phyllobate, auquel sa forme et sa couleur permettent de se confondre avec les arbres sur lesquels il vit, et le Rhinoderme de Darwin, au curieux museau pointu, très connu pour son étrange mode de développement. En effet, après la ponte, le mâle avale les œufs et les fait passer dans son sac vocal où les jeunes se métamorphosent complètement.
Les Firmisternes comprennent cinq familles dont les plus importantes sont les suivantes:
– Ranidés (grenouilles proprement dites). Les Ranidés sont des espèces très liées au milieu aquatique et surtout répandues dans l’Ancien Monde. Seul le genre Rana existe aussi en Amérique. Sont particulièrement remarquables : Rana pipiens (grenouille léopard), nord-américaine, dont les bonds dépassent un mètre; Rana goliath , africaine, qui atteint 60 cm et peut peser jusqu’à 5 kg; Rana tigrina , asiatique, essentiellement aquatique.
– Rhacophoridés . Les Rhacophoridés sont des formes arboricoles d’Afrique et du Sud-Est asiatique ressemblant à des rainettes. En écartant la palmature de leurs quatre pattes, elles peuvent effectuer de petits vols planés, d’arbre en arbre. Beaucoup font aussi des nids d’écume suspendus au-dessus de l’eau, et qui se liquéfient pour libérer les têtards.
– Dendrobatidés . Cette petite famille sud-américaine des Dendrobatidés comprend des espèces souvent arboricoles et capables d’exsuder un venin neurotoxique puissant qui sert aux indigènes dans la confection de flèches empoisonnées.
– Microhylidés . Anoures au corps trapu, largement répartis dans les régions australes et occupant des environnements très variés (arboricoles, terrestres, souterrains), les Microhylidés sont caractérisés par la structure de l’appareil branchial de leurs larves.
Paléontologie
Le plus ancien Anoure connu, Triadobatrachus , fut découvert dans le Trias inférieur de Madagascar (face=F0019 漣 220 Ma). Il possède encore des vertèbres caudales et ses os de l’avant-bras (radius-cubitus) et de la jambe (tibia-péroné) sont encore séparés (fig. 2). Enfin, bien que son bassin montre déjà les modifications typiques des Anoures, le tarse est encore court, indiquant que l’adaptation au saut n’était qu’ébauchée. Triadobatrachus est clairement le plus primitif de tous les Anoures actuels et fossiles connus.
Dès le Jurassique, on connaît des Discoglossidés typiques, comme Eodiscoglossus (Espagne), pratiquement identique au Discoglossus actuel. À partir du Crétacé, on connaît des représentants de bon nombre de familles actuelles.
Le groupe le plus étroitement apparenté aux Anoures est celui des Urodèles, avec lequel ils partagent plusieurs spécialisations (operculum, pigment rétinien vert, mode de formation endodermique des choanes), et il est probable que les Anoures ont évolué à partir d’un ancêtre commun aux deux groupes, qui devait avoir à peu près l’allure d’une salamandre. La réduction de la queue a dû être consécutive à l’acquisition d’un mode de vie plus terrestre mais aussi plus actif (adaptation au saut).
Quant à l’origine de l’ensemble Anoures + Urodèles (Paratoïdés), certains l’enracinent, avec les Gymnophiones, au sein des Amphibiens Lépospondyles, tandis que d’autres les rattachent aux Temnospondyles et plus particulièrement aux Dissorophidés du Permien [cf. AMPHIBIENS].
Encyclopédie Universelle. 2012.