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ETHNOCENTRISME
ETHNOCENTRISME

ETHNOCENTRISME

Attitude collective à caractère anthropocentrique, l’ethnocentrisme correspond aux différentes formes que prend le refus de la diversité des cultures. «Phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre les sociétés» — telle est la définition qu’en donne Claude Lévi-Strauss dans Anthropologie structurale II —, une telle diversité correspond à la distribution des sociétés dans l’espace et le temps; surtout, elle varie «en fonction du nombre des sociétés, de leur importance numérique, de leur éloignement géographique et des moyens de communications (matériels et intellectuels) dont elles se servent». La négation des cultures «autres» en laquelle consiste l’ethnocentrisme se manifeste, notamment, de trois façons différentes: répudiation pure et simple des autres cultures; négation par assimilation à soi; réduction de tout autre donné culturel par une explication qui soumet celui-ci aux formes d’intellection produites dans la culture du locuteur.

Le rejet pur et simple des formes de culture éloignées de celles auxquelles les membres d’une société s’identifient peut se manifester diversement: il se traduit notamment dans deux formes de négation, ou verbale, ou physique et directe. Dans la civilisation occidentale et dès l’Antiquité gréco-latine, l’application du terme générique de Barbaroi aux peuplades non helléniques exprime bien le frisson, sinon une certaine répulsion des Grecs face aux manières de vivre, de croire ou de penser qui leur étaient étrangères; il y a là, traduit dans le langage, un rejet direct, ayant valeur de négation franche, des cultures autres que grecques; par l’application générale du terme «barbare», les Grecs refusent de reconnaître la diversité des autres cultures, l’appartenance des étrangers à des sociétés autres et en même temps l’identité propre de ces cultures, de ces sociétés et des individus qui les composent. De plus, l’épithète même de barbaros renvoyant étymologiquement à la forme inchoative et inférieure du langage des oiseaux, son application indistincte à tout donné étranger équivaut à refuser à celui-ci ce caractère hautement humain que le Grec accorde à son langage. L’usage d’une telle épithète exprime donc, à l’extrême, une réduction de l’humanité à la seule hellénité. De même, plus tard, la qualification de «sauvage» (l’adjectif latin silvester désigne tout ce qui est «de la forêt») rejette dans une catégorie de l’infrahumain des individus et des sociétés auxquelles on attribue un genre de vie qui les rapproche plus de la vie animale que de la culture humaine. Un tel ethnocentrisme, ainsi manifesté, laisse apparaître une distinction fondée sur l’opposition entre nature et culture: pour nombre de Grecs de même que pour maints colons européens des Temps modernes, le «barbare» et le «sauvage» sont situés et apparaissent aux marges, à la limite d’un système qui est celui de la culture du locuteur. Ainsi la réflexion qui s’exprime en termes de nature et de culture fonde, par une théorie grossière de l’appartenance, le rejet des individualités et des cultures autres dans l’ordre indéfini — fondamental mais infrahumain — des donnés naturels, et donc dans une nature indistincte.

Outre cette façon, fort ancienne, de répudier les cultures en niant la singularité de l’autre, il existe une forme également immédiate de répudier celui-ci qui se manifeste dans des formes de destruction directe: destruction à terme des conditions de subsistance des différentes cultures et des conditions de survie des sociétés qui les véhiculent, l’ethnocide de même que le génocide sont des manifestations à caractère hautement ethnocentrique. De tels processus ou actes correspondent à une attitude qui atteint par violence la personne physique de l’autre et tout ce qui touche à sa culture. À la différence de la négation verbale de l’autre, qui reste quelque chose d’indistinct, ces deux pratiques nient l’autre dans son mode d’existence collective spécifique, et se justifient par projection sur les sociétés visées de stéréotypes, d’images figées par les jugements préconçus; ainsi, aux yeux des membres de la société destructrice, l’action apparaît bonne et même bénéfique; les cultures et/ou les communautés atteintes sont d’emblée jugées «autres», donc inférieures, et cette infériorité est considérée comme mauvaise. Tout se passe comme si l’esprit des sociétés dominatrices fonctionnait sur un modèle à la fois essentialiste, manichéen et autistique: ces sociétés croient qu’elles concentrent en elles-mêmes l’«humanité», l’«être», le «vrai» et le «bien»; elles attribuent aux autres communautés une réalité moindre, et jugent leurs données culturelles inférieures, erronées, et parfois même mauvaises. Ainsi ethnocide et génocide constituent-ils, compte tenu des jugements qui les fondent, une forme de destruction directe de l’autre telle que, par négation directe et physique, elle rend impensable la distance à celui-ci.

Outre les répudiations pures et simples des autres cultures, l’ethnocentrisme fonctionne aussi, comme pratique négative, par assimilation de l’autre à soi. En effet, si sous le terme d’ethnocentrisme on regroupe divers modes caractéristiques de la négation d’une culture par une autre, et si l’on considère que, par son acte de négation, l’homme peut nier soit l’objet, soit la relation même à l’objet, on peut discerner, par-delà la répudiation directe de l’autre (négation d’objet), une forme moins grossière d’une telle négation: celle-ci résidera dans la négation de la relation même existant entre le locuteur et son objet. L’acte négateur fait alors connaître l’autre comme non distant, comme identique, ce qui interdit de poser le problème de la différence et de reconnaître l’identité et l’originalité de l’autre culture. D’un tel ethnocentrisme, on trouve des exemples dans certaines «mesures» d’assimilation des minorités ethniques et/ou culturelles qu’adoptent certains pays. Ainsi, qu’il s’agisse, au XIXe siècle, de l’attitude du gouvernement des États-Unis manifestée dans ses législations les plus favorables à l’égard des Indiens ou des mesures de francisation adoptées en 1965 et destinées à intégrer les Indiens de la Guyane française, les pratiques assimilatoires expriment souvent une vision ethnocentrique et sont homogènes à l’ethnocentrisme fondamental qui les anime. La volonté d’assimilation chez les tenants d’une culture qui imposent par décision administrative ou politique leurs règles à une autre culture repose sur un ensemble d’idées erronées: l’état dans lequel se trouve telle autre population est considéré comme un «stade» vers une civilisation plus parfaite, celle du locuteur; corrélativement, les données propres au cadre naturel, au mode de vie et aux expressions culturelles afférentes sont considérées comme négligeables, et méconnues sinon inconnues. Un tel stéréotype repose sur un faux évolutionnisme qui s’appuie sur deux idées: d’une part, l’idée selon laquelle il y aurait des degrés sur le chemin de la civilisation — ce qui suppose l’existence de moindres civilisations —, d’autre part, l’idée de changement possible de l’enveloppe culturelle. Cette conception évolutionniste implique donc que celui, individu ou société, qui pense ainsi vit sa culture comme une enveloppe, un donné interchangeable. Ainsi, et tel est l’un des principaux résultats de l’assimilation, en disant que l’autre «est un moindre soi» et en prétendant l’assimiler, l’homme d’une culture donnée nie la distance qui le sépare d’une culture autre pour ne pas reconnaître en elle un système différent.

Par-delà les tentatives de répudiation ou d’assimilation, il existe un ethnocentrisme plus subtil qui, sous les formes du discours scientifique, soumet les donnés culturels autres aux catégories d’intellection produites dans la culture du locuteur. Dans ses Remarques sur «Le Rameau d’or» (Bemerkungen über Frazer’s «The Golden Bough» , 1907), L. Wittgenstein dénonce l’ethnocentrisme de Frazer: l’ethnologue britannique se proposait dans son ouvrage d’«expliquer les usages primitifs», présentait les pratiques étranges, «au bout du compte [et] pour ainsi dire, comme des stupidités», et jugeait certains comportements magiques comme autant d’erreurs parce qu’«inefficaces». Wittgenstein, qui souvent dénonce l’insuffisance d’observation et le manque d’imagination chez l’homme, s’en prend plus particulièrement à Frazer, chez qui de telles faiblesses intellectuelles manifestes expliquent «son impossibilité de comprendre une autre vie que la vie anglaise de son temps». Dans son Anthropologie structurale II , Lévi-Strauss se montrera fort proche d’une telle explication lorsque, traitant de l’ethnocentrisme, il présente l’idée d’un évolutionnisme culturel comme un mythe phisosophique produit par projection des hypothèses d’évolution d’espèces animales sur les sociétés humaines et dont l’origine tient à une attention insuffisante aux donnés culturels complexes et projetés injustement du biologique sur le social. Ainsi, multipliée dans ses formes, l’explication qui réduit les autres cultures sous les catégories produites par et pour l’une d’elles résulte d’un manque de respect à l’égard de la spécificité des donnés culturels autres, de leur appartenance à d’autres systèmes culturels. Elle est, par rapport à la répudiation et à la négation, une autre forme d’ethnocentrisme, toutes ces formes manifestant, comme le disait Wittgenstein au sujet de Frazer, l’impossibilité de concevoir la vie de l’autre en dehors du «cadre de notre paroisse bien anglaise».

ethnocentrisme [ ɛtnosɑ̃trism ] n. m.
• 1961; angl. ethnocentrism (1906); cf. ethno- et anthropocentrisme
Ethnol., sociol. Tendance à privilégier le groupe social auquel on appartient et à en faire le seul modèle de référence.

ethnocentrisme nom masculin Tendance à privilégier les normes et valeurs de sa propre société pour analyser les autres sociétés.

ethnocentrisme
n. m. Didac. Tendance à prendre comme base de référence systématique les critères de jugement et les normes de son propre groupe social pour juger d'autres groupes sociaux.

ethnocentrisme [ɛtnosɑ̃tʀism] n. m.
ÉTYM. XXe; angl. ethnocentrism (1907, X. G. Summer); de ethno-, centre, et suff. -isme.
Didact. (psychol.). Tendance à privilégier le groupe social auquel on appartient et à en faire le seul modèle de référence. (On trouve aussi ethnocentrie).REM. Le dérivé ethnocentriste [ɛtnosɑ̃tʀist] adj., est attesté (→ cit. ci-dessous). → Ethnocentrique.
0 Le transformisme n'était pas formulable positivement puisque la geste des héros et des dieux animait toute transformation. Le philosophe entrevoyait bien les frontières de la fable dans le champ étroit de son expérience, l'exploration anthropologique le conduisait bien à se définir comme l'être central du monde vivant, mais sa vision était essentiellement ethnocentriste. C'est en effet l'ethnocentrisme qui définit le mieux la vision préscientifique de l'homme. Dans de très nombreux groupes humains, le seul mot par lequel les membres désignent leur groupe ethnique est le mot « hommes ». L'assimilation de l'ethnie à une sorte de « moi » idéal, réunissant les qualités du bien et du beau, fait opposition à la tendance à placer au delà du monde familier les peuples monstrueux qui réalisent dans leur aspect et dans leurs mœurs, au maximum, le mal et la laideur.
A. Leroi-Gourhan, le Geste et la Parole, t. I, p. 12.

Encyclopédie Universelle. 2012.