CLAVECIN
Le clavecin commence à apparaître, textes et documents iconographiques en font foi, notamment un manuscrit dû à Henri-Arnault de Zwolle, médecin et astronome à la cour de Bourgogne, puis auprès de Louis XI, à la fin du XVe siècle; cette période, cruciale dans l’histoire de la musique, est celle où les savantes combinaisons de la musique franco-flamande cèdent peu à peu la place à un contrepoint moins compliqué et où se fait sentir davantage l’importance de l’harmonie. Le clavecin, comme le luth et l’orgue, va jouer un rôle presque expérimental, mais en exprimant toujours un grand raffinement. Grâce au clavecin, la musique règne chez les amateurs comme chez les musiciens de métier, les formes musicales s’affirment, les styles, les écoles se précisent.
Facile à accorder, cet instrument permet d’exécuter la musique dans tous les modes et systèmes alors en usage, et cela d’une manière toujours satisfaisante pour les oreilles exigeantes des siècles passés. Des constructeurs habiles sont parvenus à faire des instruments dans lesquels certaines touches, divisées en deux, correspondent à deux cordes distinctes et permettent d’obtenir une intonation plus juste, différenciant, par exemple, le sol dièse du la bémol.
Le clavecin – ainsi que l’épinette et le virginal, qui font partie de la même famille des cordes pincées – convient aussi bien aux pièces solistes qu’à l’exécution de la basse continue, à l’accompagnement du chant et des instruments isolés qu’à celui de l’orchestre. Aussi connaît-il trois siècles d’usage constant, sans aucune éclipse, ce qui n’est pas le cas de la guitare, entre autres.
Les premiers traités décrivant le jeu spécifique de cet instrument dénotent une expérience déjà longue. Le toucher au clavecin, comme le recommande Couperin, est tout en souplesse et précision dans l’attaque de la corde; le phrasé s’obtient par une subtile répartition des sons et des silences et par une ornementation qui met en valeur les points forts de la mélodie et de l’harmonie. Les doigts du musicien doivent jouir d’une indépendance parfaite afin de conférer à la polyphonie toute sa clarté. L’hypothèse, souvent avancée, tendant à expliquer l’abondance d’ornements, dans le répertoire de clavecin des XVIIe et XVIIIe siècles, par la nécessité de compenser la fugacité des sons de l’instrument n’a plus grand sens de nos jours. Des études récentes montrent en effet que les clavecins anciens ont sciemment été construits pour que l’attaque de la corde suscite instantanément le son dans toute sa richesse avec une décroissance presque immédiate, le son étant amplifié par un corps sonore très sensible, réagissant tout de suite. Une prolongation excessive du son rendrait le jeu polyphonique impossible et conférerait même à l’harmonie une confusion insupportable: ainsi, lorsqu’on use des registres, posés à la fin du XVIIIe siècle en France, qui soulèvent les étouffoirs pour obtenir un effet de «harpe», les sons se mêlent en une sorte de halo; cet effet est recherché dans certains cas. L’ornementation est avant tout un élément stylistique, que l’on observe dans la musique vocale et dans le reste de la musique instrumentale.
Le son «grêle» du clavecin ne vient que d’instruments mal réparés, mal réglés, mal montés, ou d’instruments modernes de mauvaise qualité. La sonorité véritable du clavecin est franche, pleine, équilibrée, riche en harmoniques. Ces caractères ont été oubliés pendant tout le XIXe siècle et une partie du XXe.
C’est l’avènement du romantisme qui a précipité le clavecin dans l’oubli: son esthétique ne convenait pas au lyrisme nouveau. Il a fallu un puissant mouvement de retour à des sources musicales anciennes, à commencer par Jean-Sébastien Bach, pour qu’apparaisse une tendance à jouer le répertoire de clavecin avec un instrument différent du piano.
Le nom de Wanda Landowska apparaît ici dans tout son prestige, bien que l’instrument pratiqué et imposé par elle soit en quelque sorte un intermédiaire entre le clavecin et le piano. Le clavecin Pleyel qu’elle a fait construire a été à l’origine du clavecin «moderne».
Après la Seconde Guerre mondiale, une approche nouvelle des instruments anciens, accompagnée d’une recherche sérieuse fondée sur les documents et les objets, est venue des États-Unis d’Amérique et s’est répandue par toute l’Europe. La musique ancienne y a gagné d’être enfin entendue dans des sonorités beaucoup plus proches de l’origine qu’auparavant. Le rôle des grands interprètes, soucieux d’authenticité, est primordial. Tout ce mouvement de «retour aux sources» a contribué à un renouveau de la facture de clavecin privilégiant la qualité musicale.
1. Origine et fonctionnement
Parce que le piano a pris la place du clavecin, on a parfois tendance à croire que l’un et l’autre appartiennent à la même famille. Or, ces deux instruments n’ont guère que trois points communs: les cordes, le clavier et la forme, cette dernière ressemblance étant d’ailleurs fort approximative. En réalité, il s’agit de deux familles d’instruments très distinctes. D’une part, celle des cordes pincées: virginal, épinette et clavecin, instruments dans lesquels le son est bref, puisqu’il provient du frottement de la corde par un sautereau. Pour le clavecin, un ou plusieurs registres actionnés au moyen de tirasses, genouillères ou pédales permettent à l’interprète d’en varier la sonorité. D’autre part, celle des cordes frappées: monocorde, manicordion, clavicorde, pianoforte et piano. Le son est alors obtenu par la percussion d’un marteau contre la corde. Pas de registres, mais en ce qui concerne les deux derniers instruments cités, une pédale piano, une autre forte, et la possibilité de nuancer par le toucher et de prolonger le son. Un autre fait a pu favoriser la confusion: cymbalum (en italien cembalum ) désigne le tympanon; or le tympanon est un instrument à cordes frappées.
Si, en Angleterre, le virginal a toutes les faveurs au XVe et au XVIe siècle, sur le continent, on préfère l’épinette puis le clavecin, plus sonore. Jusqu’alors, les instruments servaient surtout à doubler, à renforcer les voix; petit à petit, ils acquièrent leur autonomie, et les expériences de toutes sortes se multiplient pour en augmenter le volume. D’un clavier, on passe à deux, puis à trois, avec la possibilité de les accoupler; leur étendue varie, s’étend de trois octaves et demi à quatre puis à cinq; les registres apparaissent, d’abord manuels, puis actionnés par des genouillères ou des pédales pour en faciliter l’emploi. L’orgue est centré sur un «huit pieds» (tuyau qui a huit pieds de hauteur); le clavecin est également centré sur un jeu de huit pieds; en ajoutant un jeu plus grave d’une octave, on obtient un «seize pieds», et, avec un autre plus aigu d’une octave, un «quatre pieds». À ces registres peuvent s’ajouter ceux dits «luthé», «théorbé» ou «de staccato». Registrer, c’est utiliser les possibilités sonores, les mélanger, pouvoir mettre un accompagnement dans l’ombre et faire ressortir un chant. Registrer, pour le claveciniste, c’est choisir sa propre couleur, tel un peintre avec sa palette, afin d’enrichir l’instrument de sonorités diverses, lumineuses ou graves, joyeuses ou plaintives.
2. Principaux facteurs
Dès le XVIe siècle, le clavezymbel ou clavecin est apprécié de toute l’Europe; s’il prend tant d’importance dans la vie musicale, c’est grâce à la famille Rückers, établie à Anvers, qui en monopolise presque la fabrication. La caisse du clavecin est robuste, l’éclisse courbe presque droite, la pointe en angle aigu. Les décors sont à papiers imprimés et, pour les instruments luxueux, à peinture faux marbre, fausses ferronneries et pierres dures; de grandes scènes mythologiques sont représentées à l’intérieur du couvercle. D’autres facteurs flamands sont célèbres: les Couchet, Joes Karest, Martin Van der Biest, Moermans (XVIIe s.), Johannes Daniel Dulcken, Johannes Petrus Bull, Albert Delin (XVIIIe s.). La facture italienne, elle, se caractérise par l’utilisation de bois légers, un seul clavier et une caisse terminée en pointe effilée. Le plus ancien clavecin connu (Victoria and Albert Museum, Londres) a été construit par Jérôme de Bologne en 1521. En matière d’accord et de tempérament, les recherches sont poussées très loin, certains instruments comportent des touches divisées pour distinguer le dièse du bémol, les décors vont de la discrète mouluration aux sculptures et dorures les plus folles. Les principaux facteurs du clavicytherium ou clavecin vertical sont Dominique de Pesaro (XVIe s.), Guy de Trasuntino, Jean-Antoine Baffo (XVIe-XVIIe s.), Faby de Bologne, Girolamo de Zentis, Gregori (XVIIe s.) Bartolomeo Cristofori qui, le premier, a mis au point le pianoforte.
En France, au milieu du XVIIe siècle, les termes épinette et clavecin sont indifféremment utilisés, la facture est influencée par les Flandres et l’Italie; il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que les facteurs construisent des instruments plus fonctionnels et agrandissent par «mise à ravalement» des clavecins anciens. Certains systèmes mécaniques pour appeler progressivement ou instantanément les jeux, des plectres de peau de buffle pour obtenir un son plus feutré seront exportés dans toute l’Europe. Les facteurs les plus réputés sont: Vincent Tibaut, Gilbert Desruisseaux, Michel Richard (XVIIe s.), Nicolas Dumont, la famille Denis (XVIIe-XVIIIe s.), Jean Claude Goujon, Pascal Taskin...
L’Allemagne, qui est réputée pour sa facture d’orgue exceptionnelle, est peu attirée par le clavecin. Toutefois, les Hass et les Fleischer, en Saxe, les familles Grübner et surtout Silbermann construisent des clavecins et des épinettes sobres et élégants.
En Angleterre, les facteurs marquent une prédilection pour des dispositifs mécaniques qui commandent les jeux et les effets spéciaux. Ils utilisent un rang de sautereaux d’un dessin particulier (dogleg ) que l’on peut actionner de chacun des deux claviers; l’ébénisterie est souvent d’acajou. La famille Hayward (XVIIe s.), Thomas Hitchcock, Joseph Mahoon, les Harris, John Broadwood (XVIIIe s.) sont les facteurs les plus connus.
À partir de 1860, le répertoire spécifique du clavecin – instrument considéré au début du siècle comme une pièce de mobilier – attire à nouveau l’attention. Les firmes Erard et Pleyel présentent des clavecins modernes à l’Exposition universelle de 1889. Mais c’est à Wanda Landowska que le clavecin doit son véritable renouveau. Elle fait construire chez Pleyel en 1912 un instrument à sept pédales comportant un appel instantané des jeux sur les deux claviers; il sera imité jusque dans les années 1950 et fera le tour du monde. Les facteurs entreprennent des restaurations qui respectent les instruments réputés inutilisables et en révèlent les ressources sonores: de nouveaux matériaux sont testés aux États-Unis et on tente de reproduire fidèlement les caractéristiques des cordes anciennes. La demande des musiciens et la connaissance des instruments anciens conduit un nombre croissant de facteurs, en Europe et aux États-Unis, à construire à la demande ou en petite série, voire en «kits», des «copies» correspondant aux différentes étapes de l’évolution de l’instrument, cependant que des instruments industriels sont disponibles en Allemagne, de l’Est et de l’Ouest, en U.R.S.S. et dans les pays de l’Est. Quelques facteurs sont particulièrement réputés: John Feldberg, Frank Rutkowski, Thomas et Barbara Wolf (États-Unis), Martin Skowronek, Rainer Schütze (R.F.A.), Hubert Bédard (Canada-France), G. C. Klop (Pays-Bas), P. Chevallier (France).
3. Compositeurs
Au début du XVIe siècle, il ne semble pas qu’il y ait eu d’artistes possédant une individualité très marquée. Ce sont plutôt des «défricheurs»; ils écrivent des préludes, des toccatas, des pièces à danser, ils transcrivent, réduisent des œuvres vocales pour un instrument non déterminé. Est-ce l’épinette, le clavicorde, le virginal, l’orgue ou le clavecin? Le plus souvent pour ces deux derniers, qu’aucune barrière à l’époque de la Renaissance, ne semble séparer. Cependant l’autonomie du clavecin se dessine petit à petit grâce à l’action des Rückers; en effet, les compositeurs s’intéressent aux améliorations apportées aux instruments, à leur facture nouvelle, et ils vont créer une véritable esthétique clavecinistique qu’illustrent les cinq grands serviteurs du clavecin: Couperin, Rameau, Haendel, Bach et Scarlatti. Mais en Angleterre comme en France, en Allemagne comme en Italie, ces «cinq grands» ont eu des précurseurs et des contemporains qu’il serait injuste de passer sous silence.
En Angleterre: William Byrd (1542-1623) fut le premier musicien à illustrer la fameuse école des virginalistes. Il eut, plus que ses contemporains et successeurs, la prescience des possibilités expressives de la variation; John Bull (1563-1628), très grand virtuose, musicien brillant et élégant, excella lui aussi dans la variation. On lui attribua à tort la paternité du God save the King. Peter Philipps (vers 1560-1628) était très savant dans l’art polyphonique; son séjour aux Pays-Bas laissera une forte empreinte et influencera Sweelinck. Gilles Farnaby (1569 env.-apr. 1598) dont l’une des œuvres, écrite pour deux virginals, fut l’ancêtre de toute littérature pour deux claviers. Thomas Morley (1557-1602 ou 1603), élève de Byrd, est plus célèbre peut-être pour sa musique vocale que pour ses pièces instrumentales: il écrivit des chansons pour les drames de Shakespeare. John Dowland (1562-1626), luthiste renommé, cultiva avec bonheur l’ayre où l’instrument se mêle à la voix. Orlando Gibbons (1583-1625), technicien remarquable, composa dans tous les genres avec une aisance égale. John Blow (1649-1708), organiste à Westminster, eut Purcell comme élève et lui céda sa charge pour la reprendre après la mort de celui-ci, mort qui le frappa beaucoup et lui inspira une Ode d’une très grande beauté. Enfin, Henri Purcell (1659-1695), sans nul doute le plus grand musicien de l’Angleterre, doit certainement beaucoup à l’école française, dont il emprunte la forme de la suite et une certaine manière d’orner les phrases, et aux compositeurs vénitiens qui tirent d’extraordinaires effets du chromatisme; mais Purcell n’en possède pas moins une originalité de style remarquable, une grande vigueur d’inspiration et une émotion profonde que l’on retrouve dans toutes ses œuvres.
En Italie: les Scarlatti
En Italie, les deux Gabrieli, Andrea et Giovanni, l’oncle et le neveu, sont, sous l’impulsion du Flamand Willaert, spécialiste du madrigal, les chefs de l’école vénitienne du XVIe siècle. C’est surtout le second, Giovanni (1557-1612), qui se distingua. Ses œuvres religieuses et instrumentales sont considérables et ont eu une grande répercussion internationale. Entre ces deux musiciens, Claudio Merulo (1533-1604) s’impose par sa virtuosité d’organiste, l’importance de ses compositions et son renom de professeur. Girolamo Frescobaldi (1583-1643) est leur véritable successeur. Après avoir été un enfant extraordinairement précoce, le futur maître de Ferrare voyage beaucoup et enthousiasme ses auditoires en improvisant aussi bien à l’orgue qu’au clavecin. Ses nombreuses compositions pour ces instrument sont sensibles, harmonieuses et savantes; elles ouvrent une ère capitale dans l’évolution du clavecin. Après Frescobaldi, il semble qu’en Italie les instruments à cordes prennent la place des instruments à clavier et on ne relève pas de noms très importants avant celui de Bernardo Pasquini (1637-1710). Son style se situe entre une certaine rigueur qui était propre à Frescobaldi et la fantaisie qui caractérisait Domenico Scarlatti. Il fut un des premiers à appeler sonate une suite en trois mouvements. Parmi ses élèves, il faut citer F. Gasparini (1668-1727) qui écrivit un traité de L’Harmonie au clavecin , Durante et Domenico Scarlatti. La réputation de ce dernier ne doit pas totalement éclipser celle de son père Alessandro, qui a composé quelques remarquables pièces pour clavecin. Domenico (1685-1757) eut un jour l’occasion d’être confronté à Haendel devant une brillante assemblée, qui donna la préférence à Haendel comme organiste et à Scarlatti comme claveciniste. Son œuvre la plus impressionnante consiste en 545 sonates écrites entre 1729 et 1754, alors qu’il se trouvait au Portugal. Elles sont stupéfiantes par la diversité, l’originalité de leur style, de leur écriture, par l’extraordinaire richesse et par la hardiesse des harmonies. Scarlatti délaisse le passé et prépare l’avenir. Son œuvre est au départ de toute virtuosité pianistique. À côté de lui, on peut citer les très habiles Marcello, Galuppi, Martini, Pergolesi, Paradies, Rutini, Cimarosa. Enfin, avant d’aborder les compositeurs de l’Allemagne, il faut faire une place particulière à l’Amstellodanien Jan Pieters Sweelinck (1562-1621) et au Danois Dietrich Buxtehude (1637-1707). Le premier fut, sans conteste, le chef de l’école flamande. Dans ses compositions, qui «conviennent à titre égal à l’orgue et aux instruments à cordes pourvus de clavier», il est l’un des premiers à introduire la fugue. Le second, disciple de Froberger, forma de nombreux élèves et écrivit pour le clavecin cinq séries de variations, des toccatas et dix-neuf suites.
En Allemagne: Bach
Le premier compositeur allemand qui ait écrit des œuvres significatives pour le clavecin est Samuel Scheidt (1587-1654), élève de Sweelinck. Un nom beaucoup plus important apparaît dans la génération suivante: Johan Jacob Froberger (1616-1667). Il fit des séjours dans toutes les capitales du clavecin; à Rome, il travailla avec Frescobaldi, il connut à Paris Couperin et Chambonnières, alla à Vienne, à Bruxelles, à Londres, où il prit contact avec les musiciens anglais. Partout il s’inspira avec bonheur des diverses tendances de son époque, grâce à sa sensibilité profonde et à son inspiration poétique. Il introduit la suite en Allemagne ainsi que la physionomie presque définitive de la fugue . Johan Pachelbel (1653-1706), l’un de ses élèves, suit fidèlement sa route ainsi que Kerl, Georg Muffat, Richter, Krieger, Fischer et enfin Johan Kühnau (1660-1722), qui marque d’une très forte empreinte le domaine du clavecin. Ses célèbres «sonates bibliques» en témoignent. Georg Philipp Telemann (1681-1767) a toujours joui de l’engouement du monde artistique et du public allemand. Très fécond, nous lui devons, entre autres pièces pour clavecin, de ravissantes «fantaisies» où la galanterie française fait bon ménage avec la grâce plus rigoureuse des Italiens. Né en 1685, comme Jean-Sébastien Bach, Georg Friedrich Haendel est mort en 1759. Organiste, violoniste, compositeur, Haendel voyage beaucoup, s’installe en Angleterre, où on le considère bientôt comme le premier musicien anglais et le successeur de Purcell. Avant tout musicien de théâtre, il tient une place très importante dans l’histoire du clavecin. Ses suites, fantaisies et fugues pour cet instrument nous comblent par la plasticité, la pureté et l’élégance de leurs lignes mélodiques. Avec Jean-Sébastien Bach (1685-1750) qui, lui, n’a jamais abordé le théâtre, on se trouve en face de l’un des plus grands serviteurs du clavier de tous les temps et l’on atteint au sommet de la musique. C’est surtout pendant les vingt-sept années où il fut cantor à Leipzig qu’il donna ses plus grands chefs-d’œuvre. Il compose pour l’orgue et le clavicorde, mais le clavecin est l’instrument sur lequel il peut tout «dire»: la suite, le prélude et la fugue, la variation, la toccata, la sonate, et enfin le concerto. Parmi ses vingt enfants, plusieurs furent compositeurs. L’un d’eux, Karl Philipp Emmanuel (1714-1788), le «Bach de Berlin», a connu une gloire certaine, il est de ceux qui ont le plus contribué à établir les formes définitives de la sonate et de la symphonie. Il composa 52 concertos, 89 sonates pour clavecin où il fait figure de précurseur. Son plus jeune frère, Johan Christian (1735-1782), le «Bach de Milan», était doué d’une autre manière: il n’a pas le poignant, la profondeur de Karl Philipp Emmanuel, il se contente de charmer. Ses concertos et ses sonates inspireront le jeune Mozart. Il faut d’ailleurs rappeler ici que si le pianoforte détrôna le clavecin, au moment où Mozart et Haydn apparaissent, ceux-ci le connurent tous les deux, en jouèrent et écrivirent pour lui quelques pages charmantes pendant leur jeunesse.
En France: Couperin et Rameau
Le premier éditeur de musique en France, Pierre Attaingnant, publia en l’année 1531 sept livres de chansons transcrites et des danses «pour le jeu d’orgue, épinette et manicordion»; elles sont fort séduisantes mais, hélas, anonymes. Le premier des clavecinistes français connus, Jacques Champion de Chambonnières (1602-1672), était fils et petit-fils de musiciens réputés. Ses compositions, presque toujours des danses, ne laissent pas supposer, tant elles sont d’esprit différent, qu’il ait connu celles de Frescobaldi, de Sweelinck ou de Byrd. Il eut parmi ses élèves Louis Couperin, Nicolas Le Bègue et Jean-Henri d’Anglebert. Louis Couperin (vers 1626-1661), oncle de celui qui fera briller, cinquante ans plus tard, l’école française du clavecin, compose d’admirables pièces d’une écriture savante, expressive, avec des recherches harmoniques, des dissonances et déjà un certain esprit descriptif. Le Bègue (1631-1702) n’a pas la même envergure, ni d’ailleurs d’Anglebert (1628-1691), le successeur de Chambonnières dans la charge de claveciniste de la Chambre du roi. Autour d’eux gravite un essaim de compositeurs qui va les dépasser; beaucoup de noms s’imposent, et au premier rang ceux de François Couperin et de Rameau. Mais il faut citer aussi le délicat Gaspard Le Roux, l’étonnante E. Jacquet de la Guerre, J.-F. Dandrieu, L. Marchand, Dieupart, Clérambault, Balbastre, d’Agincourt, Daquin, Corette, Duphly, Mondonville.
«J’aime beaucoup mieux ce qui me touche que ce qui me surprend.» Cette phrase nous dévoile un peu l’âme de François Couperin (1668-1733) qui s’exprime sans détour dans ses préfaces. Toutes ses œuvres ont rencontré le plus grand succès. Celles qui nous intéressent le plus sont, bien sûr, ses quatre livres de clavecin, divisés en 27 suites ou Ordres. Admirables pages descriptives et pittoresques, charmantes ou majestueuses, douloureuses ou ironiques. Aux interprètes, il dit: «Je saurai toujours gré à ceux qui, par un art infini, soutenu par le goût, pourront arriver à rendre cet instrument susceptible d’expression.» Couperin et Rameau élargissent, en France, l’horizon du clavecin; ils franchissent tous deux les frontières du classicisme. L’œuvre du Bourguignon Jean-Philippe Rameau (1683-1764) ne présente pas, en quantité, l’importance de celle de Couperin. Elle s’échelonne sur une période d’une quarantaine d’années. On y trouve un grand sens de l’art descriptif, d’audacieuses modulations et une prédilection pour le rondeau. Pour Rameau, grand théoricien, l’harmonie justifie toute mélodie et gouverne la musique tout entière.
En Espagne, c’est l’organiste aveugle de Philippe II, Antonio de Cabezón (1510-1566) qui, le premier, transplanta sur le clavecin des pièces instrumentales destinées au luth. Une période obscure suivit, et c’est seulement beaucoup plus tard, sous l’influence de Scarlatti, que se forma toute une école de clavecinistes, avec, à sa tête, le padre Antonio Soler (1729-1783). Nous lui devons une soixantaine de pétillantes sonates. Après lui, citons Freixanet, Casanovas, Angles, Rodriguez, Mateo Albeniz, Cantallos, Galles, Serrano, etc., presque tous compositeurs catalans.
Plus mystérieux encore le passé musical du Portugal, du fait de la destruction des documents durant le tremblement de terre de 1755. Il ne faut pas confondre art espagnol et art portugais ; si la forme est sensiblement la même, le langage diffère et c’est une autre âme, plus mystique peut-être, plus nostalgique sûrement que nous découvrons chez le père Rodriguez Coelho (né en 1555), chez Fei Jacinto dont on ne sait presque rien, chez Carlos de Seixas (1704-1742), ami et élève de Domenico Scarlatti, remarquable technicien du clavecin et certainement le plus important des compositeurs de son pays pour cet instrument, et enfin Sousa Carvalho (?-1798), appelé quelquefois le «Mozart portugais».
En Pologne, signalons de charmantes pièces pour clavecin du compositeur Jarzebski, au XVIIe siècle.
4. Abandon et renaissance
Au moment où le pianoforte fit son apparition, il y eut d’abord à son sujet des discussions, des hésitations, puis on l’adopta. L’instrument à cordes frappées répondait mieux aux exigences d’un style nouveau, d’une révolution dans la forme et dans l’esprit. Le clavecin, petit à petit, disparaît. On le relègue chez certains pour embellir les salons, ou au musée pour satisfaire la curiosité. En 1898, dans La Musique et les musiciens d’Albert Lavignac, ouvrage couronné par l’Académie des beaux-arts et adopté dans toutes les écoles de musique, on pouvait lire que le clavecin, instrument désuet, était définitivement remplacé par le piano. Les lecteurs, à cette époque, se sont-ils doutés que quelques dizaines d’années plus tard, dans bien des cas, on pourrait écrire le contraire? Quel mélomane averti ne souhaite, de nos jours, entendre un clavecin pour l’exécution de la musique ancienne et ne le reconnaît indispensable à l’interprétation de nombreuses œuvres contemporaines?
Cette résurrection, nous la devons presque entièrement à l’admirable artiste que fut Wanda Landowska, laquelle, dès le début du siècle, s’était donné pour tâche de retrouver le sens, l’esprit de l’instrument et d’en instruire. C’est à sa demande que la maison Pleyel (en 1912) entreprend la fabrication d’un grand modèle seize pieds; c’est à son intention que la Hochschule de Berlin ouvre une classe de clavecin (1913-1919); c’est pour elle, enfin, que Manuel de Falla en 1926 et Francis Poulenc en 1927 composent les deux premiers concertos contemporains pour le clavecin.
Depuis, de nombreux compositeurs – ceux de jazz inclus – emploient de nouveau les cordes pincées pour obtenir tel ou tel «effet» dans une œuvre, ou pour «lutter» avec nos instruments modernes. Le clavecin retrouve une vogue dont le romantisme l’avait privé.
clavecin [ klav(ə)sɛ̃ ] n. m. ♦ Instrument de musique à un ou plusieurs claviers, et à cordes pincées (à la différence du piano, du clavicorde). ⇒ 3. épinette, 2. virginal. Languette de bois d'un clavecin. ⇒ sautereau. Jouer du clavecin.
● clavecin nom masculin (latin médiéval clavicymbalum) Instrument de musique à cordes pincées et à clavier.
clavecin
n. m. MUS Instrument à cordes pincées et à clavier.
⇒CLAVECIN, subst. masc.
Instrument de musique à cordes pincées et comportant un ou plusieurs claviers. Improviser sur le clavecin (Mme DE STAËL, De l'Allemagne, t. 1, 1810, p. 45); un clavecin à deux claviers (JOUY, L'Hermite de la Chaussée d'Antin, t. 2, 1812, p. 205).
— Emploi métaph. :
• L'auteur s'est laissé entraîner au plaisir d'enfant de faire mouvoir les touches de ce grand clavecin [le caractère de Cromwell].
HUGO, Préface de Cromwell, 1827, p. 39.
Rem. 1. On rencontre parfois sur les partitions de musique l'italien cembalo, de même sens et de même orig. (clavicembalum) que le fr. clavecin. 2. Les dict. de la mar. attestent un homon. clavecin, clavesin, chambre (d'officier) placée sous les dunettes, qu'on suppose ainsi nommée (cf. WILL. 1831) en raison de la forme étroite d'une de leurs deux extrémités.
Prononc. et Orth. :[]. Ds Ac. 1694-1740, s.v. clavessin; ds Ac. 1762-1932 sous la forme moderne. Étymol. et Hist. 1611 clavessins (COTGR.); orth. reprise par FUR. 1690, Ac. 1694-1740 et Trév. 1704-71 (ce dernier dict. notant aussi la forme clavecin); 1680 clavecin (RICH.). Empr., avec apocope de la dernière syllabe, au lat. médiév. clavicymbalum de même sens, composé de clavis « clé » et de cymbalum « cymbale », attesté sous la forme clavicembalum en 1397, puis en 1404 sous la forme clavicymbalum par le poète allemand EBERHARD VON CERSNE, Der Minne Regel ds Romania, t. 77, pp. 26-27, d'où le m. fr. clavycimbale, 1447 ds GAY. Fréq. abs. littér. :149.
DÉR. Claveciniste, subst. Personne qui joue du clavecin. Le style galant des clavecinistes (A. CORTOT, Principes rationnels de la technique pianistique, 1928, p. 53). — []. — 1re attest. 1695 (REGNARD, Sérén., sc. 6 ds DG); de clavecin, suff. -iste. — Fréq. abs. littér. : 8.
clavecin [klavsɛ̃] n. m.
ÉTYM. 1680; clavessin, 1611; du lat. médiéval clavicymbalum; de clavis (→ Clé), et cymbalum « cymbale ».
❖
♦ Instrument de musique à un ou plusieurs claviers, et à cordes métalliques pincées (à la différence du piano, du clavicorde). || Jouer du clavecin. || Instruments voisins du clavecin. ⇒ Épinette, virginal. || Languette de bois d'un clavecin (⇒ Sautereau).
1 Un soir, nous étions seuls, j'étais assis près d'elle,
Elle penchait la tête, et sur son clavecin
Laissait, tout en rêvant, flotter sa blanche main.
A. de Musset, Poésies nouvelles, « Lucie ».
2 (Le clavecin est un) instrument à clavier — généralement double — et à cordes pincées, ce qui le distingue net du piano dont les cordes sont frappées par des martelets feutrés. Le pincement est obtenu par des becs de plume ou de cuir durci, fichés dans des planchettes que les touches du clavier actionnent et qu'on nomme sautereaux.
Initiation à la musique, p. 171.
♦ Méthode de clavecin. — Le Clavecin bien tempéré, œuvre de J.-S. Bach.
❖
DÉR. Claveciniste.
Encyclopédie Universelle. 2012.