CHROMOSOMES
Le terme de chromosome («corps coloré») a été introduit par Waldeyer en 1888 pour désigner les organites du noyau qui fixent facilement les colorants basiques. Chez les Eucaryotes, où le noyau est séparé du reste de la cellule par une membrane, les chromosomes apparaissent sous deux formes différentes durant le cycle cellulaire: condensés, donc faciles à observer même sur le vivant, au cours des divisions cellulaires et décondensés, et par là même non identifiables pendant l’interphase séparant deux divisions.
Dès le début du siècle, Sutton souligna le parallélisme entre le comportement des chromosomes au cours de la reproduction sexuée et celui des «déterminants héréditaires», ou gènes , dont les règles de la transmission avaient été mises en évidence par Mendel quarante ans plus tôt. Mais ce furent les travaux de Morgan et de son équipe sur la mouche du vinaigre, ou drosophile, qui permirent d’établir la théorie chromosomique de l’hérédité: les gènes sont portés par les chromosomes et occupent sur ceux-ci des emplacements fixes. Les chromosomes sont donc responsables du stockage et de la transmission du patrimoine héréditaire.
Ce n’est qu’à partir de 1944 (grâce en particulier aux travaux d’Avery et de ses collaborateurs) que le support chimique de l’hérédité fut reconnu être un acide nucléique : le plus souvent l’acide désoxyribonucléique, ou ADN, mais aussi l’acide ribonucléique, ou ARN. En 1953, les travaux de Watson et Crick sur la structure en double hélice des molécules d’ADN permettaient d’expliquer l’autoreproduction du matériel héréditaire.
Par définition, en effet, le matériel génétique doit, au cours des divisions cellulaires, être transmis d’une façon fidèle de la cellule mère à la cellule fille. La duplication du chromosome puis son partage en deux chromatides filles à la mitose assurent (aux accidents près comme des mutations ou des cassures chromosomiques provoquées par exemple par une irradiation) le maintien constant du nombre et de la forme des chromosomes d’une cellule à l’autre de l’organisme. Au cours de la reproduction sexuée, la formation des cellules sexuelles est toujours précédée par une méiose, dans laquelle deux divisions successives font suite à une seule réplication de l’ADN. De plus, les informations contenues dans les chromosomes sont réassociées différemment, du fait de la recombinaison génétique (brassage intrachromosomique) et de la ségrégation indépendante des centromères (brassage interchromosomique): chaque cellule sexuelle, c’est-à-dire gamète , est donc totalement originale. La fécondation prolonge cette diversification en réunissant au hasard deux gamètes.
Le matériel génétique constitué d’ADN, contenu dans les chromosomes, gouverne la biosynthèse des protéines. Si la liaison entre les gènes et cette synthèse avait été faite par les généticiens bien avant la découverte de l’ADN, le développement de la biologie moléculaire permit de démontrer que l’information contenue dans l’ADN est d’abord transférée à des molécules d’ARN, qui servent à leur tour de matrice pour produire les séquences d’aminoacides caractéristiques des protéines. La traduction du «langage» des acides nucléiques à 4 nucléotides en «langage» des protéines à 20 acides aminés se fait par l’intermédiaire du code génétique .
Les chromosomes sont par conséquent le siège de la biosynthèse des ADN (réplication) et de celle des ARN (transcription). Leur organisation moléculaire a été longtemps mal connue et en particulier l’agencement de l’ADN et des protéines n’a été mis en évidence qu’à partir de 1974.
Définie chez les Eucaryotes, la dénomination de chromosome a été étendue au cours des dernières années à l’ensemble des structures porteuses d’information génétique: la molécule d’ADN ou d’ARN des procaryotes (bactéries et virus); l’ADN mitochondrial et chloroplastique et les plasmides (fragment d’ADN extrachromosomique se dédoublant de façon autonome).
1. Composition chimique
Différentes méthodes cytochimiques, l’utilisation de colorants spécifiques, d’enzymes et d’isotopes radioactifs montrent que le chromosome est constitué de protéines et d’acides nucléiques (ADN et ARN). Ces dernières sont de longues molécules, formées d’unités monomériques appelées nucléotides: désoxyribonucléotides pour l’ADN et ribonucléotides pour l’ARN. Chaque nucléotide est formé d’une base azotée dérivée soit de la purine soit de la pyrimidine, d’un sucre à 5 carbones ou pentose et d’un groupe phosphate. On sait aujourd’hui que l’ADN a deux fonctions essentielles, l’une de se répliquer et transmettre ainsi le code des cellules parentales à la descendance, l’autre étant d’exprimer ce code en dirigeant la synthèse protéique. Les ARN, ainsi qu’un certain nombre de protéines, ne sont pas liés à la structure même du chromosome, mais sont situés à sa proximité, soit parce que, comme l’ARN, ils sont synthétisés au niveau de l’ADN par le phénomène dit de transcription (cf. infra ), soit parce que, comme certaines enzymes, ils sont transitoirement associés au chromosome dans un processus métabolique particulier de la cellule.
Le complexe ADN-protéines qui constitue l’architecture du chromosome est appelé chromatine . Les protéines de la chromatine peuvent être divisées en deux grands groupes de masse équivalente: les protéines basiques ou histones et les protéines acides appelées aussi non histones.
Les histones , au nombre de cinq chez tous les Eucaryotes, ont un poids moléculaire compris entre 11 000 et 21 000: H1 très riche en lysine, H2A et H2B riches en lysine, H3 et H4 riches en arginine. Deux autres histones ont été trouvées dans les érythrocytes (H5) de poissons, amphibiens et oiseaux et (H6) dans le sperme de poisson.
Deux propriétés essentielles les caractérisent:
– leur configuration moléculaire , qui permet une très grande affinité d’association avec les autres constituants du chromosome, avec l’ADN (liaison de nature covalente entre les fonctions acides libres des radicaux phosphoriques de l’ADN et les groupements basiques de la protéine), entre elles (par leurs acides aminés hydrophobes), et avec les protéines non histones.
– leur structure qui est restée remarquablement constante au cours de l’évolution: par exemple l’histone H4 (102 acides aminés par molécule) du pois de senteur ne diffère de celle du veau que par deux acides aminés. Le taux de mutation des histones H3 et H4 est estimé à 0,1 mutation pour 100 acides aminés en 108 années. Les H2A et H2B présentent plus de variabilité, mais les régions de la molécule responsables des interactions histone-histone sont strictement identiques. De plus, les 5 gènes histone ne sont pas dispersés dans le génome mais groupés, et ces unités de 5 gènes sont toujours présentes en multiples copies (de 10 à 1 000, suivant les espèces). Ces caractéristiques particulières des histones suggèrent qu’elles jouent un rôle identique et essentiel dans toutes les cellules d’Eucaryotes.
Les protéines acides sont plus ou moins étroitement liées au complexe ADN-histones. Dans la plupart des espèces étudiées, on dénombre plus d’une centaine de variétés moléculaires comprenant une trentaine de protéines intervenant dans la morphologie du chromosome et des protéines impliquées dans la régulation de la synthèse de l’ADN et de l’ARN. Leur effectif varie donc au cours du cycle cellulaire et dans les différents tissus; leur rôle exact reste encore bien souvent mal défini.
2. Organisation structurale
La figure 1 pose le problème de la structure chromosomique . Après extraction des histones, le chromosome humain qui a été isolé apparaît formé d’une matrice protéique de laquelle partent des centaines de boucles d’ADN ayant chacune une longueur moyenne de 30 猪m. La longueur totale de l’ADN est d’environ 7 cm. Or, dans le noyau, ce chromosome humain ne mesure que 8 猪m de long pour un diamètre de 0,5 猪m: l’ADN est donc très fortement compacté et jusqu’à présent seul le premier degré de cette compaction a pu être analysé après digestion ménagée par des enzymes capables de couper l’ADN (nucléases), combinée à des méthodes d’analyse biophysique (Kornberg, 1974). La chromatine se présente alors sous la forme d’un collier de perles dont l’ADN, constituant le fil, ne traverse pas la perle mais s’enroule autour de chacune d’elle (fig. 2). La «perle» est appelée nucléosome (ou aussi corpuscule 益).
Le nucléosome est régulièrement formé de 8 molécules d’histones et de 140 paires de bases d’ADN. Des expériences de reconstitution in vitro ont montré que, dans chaque nucléosome, les histones H2A, H2B, H3 et H4 étaient présentes en deux exemplaires et qu’une proportion équimolaire des quatre types était indispensable à sa formation. L’ADN se trouve toujours à l’extérieur de cet octamère d’histones. Il est enroulé presque deux fois autour de chaque nucléosome à raison de 90 paires de base par tour, formant une superhélice autour de deux tétramères d’histones symétriquement appariés (fig. 3). Les analyses cristallographiques de ceux-ci par diffraction aux rayons X ont permis de démontrer que le nucléosome est un cylindre, mesurant 11 憐 11 憐 6 nm, où les histones 3 et 4 sont sur la face d’entrée et de sortie de l’ADN. Les histones 3 et 4, qui sont les mieux conservées par l’évolution, ainsi que les parties centrales des molécules de H2A et H2B sont essentielles à la structure du nucléosome. Les liens internucléosomiques correspondant à la région d’ADN comprise entre deux nucléosomes adjacents ont des longueurs variables (entre 15 et 100 paires de base; moyenne 60) suivant les espèces ou même d’un tissu à l’autre d’un même organisme. C’est essentiellement l’histone H1, dans la proportion d’une molécule par nucléosome, qui est associée à ces liaisons. Sa position exacte n’est pas connue, mais son extraction n’affecte pas la structure du nucléosome (fig. 3).
La fibre nucléosomique ainsi définie est trouvée dans la chromatine de nombreux Eucaryotes. Elle est donc réellement l’ossature fondamentale du chromosome. Si les nucléosomes provoquent bien une compaction de l’ADN selon un facteur 7, ils ne suffisent pas à expliquer comment 7 cm d’ADN sont repliés dans une structure de 8 猪m de long.
On admet généralement que l’ordre supérieur d’organisation est une fibre de 25-30 nm correspondant à un enroulement en hélice (à pas de 10 nm) de la fibre nucléosomique, chaque tour contenant 6 nucléosomes (modèle du solénoïde de Finch et Klug, 1976). L’histone H1 pourrait jouer un rôle dans la stabilisation de cette structure.
Deux modèles sont ensuite proposés pour arriver à la configuration du chromosome. Celui de Du Praw (1968, repris par Labhart et ses collaborateurs, 1982) propose un repliement serré de la fibre de 30 nm. Le groupe de Laemmli (1977) a montré que, après extraction des histones, l’ADN décondensé s’étale autour d’un réseau de protéines non histones qui pourrait être le squelette sur lequel les fibres nucléosomiques seraient attachées en boucles serrées. Aucun argument décisif ne peut être actuellement retenu pour l’une ou l’autre de ces hypothèses.
Une autre question longtemps controversée concerne le nombre de molécules d’ADN par chromosome .
L’apparence multifibrillaire des chromosomes en microscopie électronique et la quantité d’ADN trouvée dans certaines espèces (200 picogrammes d’ADN par noyau chez un amphibien, ce qui correspond à une longueur de 62 m) ont été longtemps utilisées comme arguments en faveur de la présence de plusieurs molécules d’ADN par chromosome.
Mais de très nombreux arguments sont en faveur de l’unicité. Chaque chromosome de levure ne contient effectivement qu’une seule molécule d’ADN dont la taille est inférieure à celle que contient un colibacille. Chez la drosophile, des méthodes basées sur la mesure de la visco-élasticité de l’ADN font apparaître une bonne corrélation entre la quantité d’ADN du chromosome le plus long et la taille de la plus longue des molécules (2 cm). Mais aucune preuve directe n’existe pour les espèces à grands chromosomes. La distribution du marquage radioactif au cours de la réplication (cf. paragraphe 6), et les cinétiques de digestion des boucles des chromosomes en écouvillon par la DNase (cf. paragraphe 7) sont tous deux conformes à l’existence d’une seule molécule. Enfin, les données génétiques sont incontestablement en faveur de l’unicité.
3. Morphologie du chromosome
Lorsque la cellule ne se divise pas, le noyau apparaît comme un réseau de filaments enchevêtrés auquel Flemming (1879) a donné le nom de chromatine (fig. 4 a). Les chromosomes ne sont bien individualisés que lors des divisions cellulaires (fig. 4 b, c, d).
Bornons-nous à rappeler que, par la mitose, une cellule donne naissance à 2 cellules filles identiques ayant en particulier un nombre chromosomique égal à celui de la cellule mère. Les chromosomes sont dupliqués avant la division (cf. paragraphe 5) et, lorsqu’ils s’individualisent en se condensant, ils apparaissent constitués de 2 sous-unités identiques associées: les chromatides (fig. 4 c, 5), que l’on observe facilement au stade de mitose appelé métaphase (mais que l’on peut déjà discerner en prophase).
La stabilité de la taille et de la forme du chromosome de métaphase (fig. 5) d’une cellule à l’autre d’un organisme, et d’un individu à l’autre d’une espèce, permet d’utiliser ce stade pour définir les caractéristiques chromosomiques de l’espèce . Depuis 1970, ces dernières ont pu être précisées davantage par des techniques nouvelles de coloration (techniques du banding ) qui font apparaître des bandes spécifiques (près de 300 pour les chromosomes humains) le long de tous les chromosomes. Les différents critères morphologiques (fig. 6) sont:
Le centromère (ou constriction primaire) a au moins deux fonctions essentielles: initiation de la synthèse des microtubules chromosomiques et séparation, puis montée aux pôles des chromosomes au cours des divisions cellulaires. Au microscope électronique, il apparaît soit structuré (trilamellaire chez les mammifères et les mousses), soit astructuré (plantes supérieures fig. 7, champignons). Il est souvent décrit sous le nom de kinétochore par les cytologistes: soit kinétochore = centromère, soit kinétochore = structure trilamellaire.
Des fragments d’ADN correspondant à deux centromères de levure ont été isolés. La comparaison de leurs séquences en nucléotides (ordre, nature, nombres de répétitions, etc.) a fait apparaître trois régions homologues entourant une région centrale très riche en adénine et thymine (Fitzgerald-Hayes et al., 1982). Ces fragments d’ADN (de 600 à 800 paires de nucléotides) ont été insérés dans des plasmides, molécule d’ADN circulaire, autoréplicable, qui sont eux-mêmes réintroduits dans la levure. Grâce à un jeu de marqueurs génétiques permettant de repérer dans les levures la présence des plasmides, il apparaît clairement que les plasmides portant les fragments centromériques sont maintenus au cours des mitoses et se comportent, en méiose, comme des minichromosomes, alors que les plasmides porteurs d’un fragment d’ADN de même taille, isolé ailleurs sur le chromosome, sont distribués au hasard, donc éliminés. L’insertion d’un centromère dans un plasmide constitue la première création artificielle d’un chromosome. De plus, la longueur des liens internucléosomiques (longueur d’ADN entre 2 nucléosomes) est remarquablement constante dans les 15-16 nucléosomes correspondant à la région centromérique, et cette organisation spécifique est maintenue dans les centromères insérés (Bloom et Carbon, 1982). La signification fonctionnelle de cette organisation nucléosomique particulière ainsi que les interactions chromatine-microtubules (insertion directe ou par l’intermédiaire de protéines) restent encore inconnues.
Les constrictions secondaires peuvent être de plusieurs types. La principale correspond au site d’association avec le nucléole. Ce point d’attachement, appelé organisateur nucléolaire , est la région du chromosome qui «organise» la formation du nucléole et qui contient les gènes ribosomiques 18S et 28S. Généralement, il y a 2 chromosomes organisateurs par noyau, mais ce chiffre peut varier d’une espèce à l’autre. Certains chromosomes présentent également des étranglements plus ou moins longs au bout desquels sont «attachés» une sphère de chromatine, ou satellite, correspondant en fait à l’extrémité de la chromatide.
Le télomère est l’extrémité du chromosome et c’est par son intermédiaire qu’il est attaché à l’enveloppe nucléaire. La même technique de clonage qui a permis de faire un formidable bond en avant dans la connaissance de la structure centromérique a également été appliquée à son étude. Le télomère pose en fait deux problèmes: il doit être stable (en particulier insensible à des nucléases) et capable d’initier la réplication de l’ADN. Les différents télomères de la levure ont des séquences terminales (4 000 paires de nucléotides) semblables et la configuration spéciale de leur ADN (en épingle à cheveux affecté de ruptures permettant à l’enzyme de la réplication de se fixer), est identique à celle que l’on observe dans les extrémités de plasmides linéaires appartenant à des groupes très éloignés comme les Protozoaires. Un plasmide de levure dans lequel on a inséré une extrémité d’un plasmide linéaire de Protozoaire se réplique parfaitement dans la levure sous sa forme linéaire suggérant que le télomère a une structure et une organisation spécifique identiques dans ces deux groupes évolutifs (Szostak et Blackburn, 1982).
Euchromatine et hétérochromatine . Dans les chromosomes interphasiques traités par les colorants usuels (carmin, hématoxyline, fuchsine basique ou technique de Feulgen, orcéine, etc.), la chromatine apparaît toujours sous deux formes: la première, fortement colorée, est appelée hétérochromatine, la seconde, peu colorée, est appelée euchromatine (fig. 4 a). Lorsque les chromosomes se condensent, pendant la division cellulaire, cette distinction est moins claire et peut même s’inverser (fig. 4 b et c, fig. 5). La distribution et la taille des segments d’hétérochromatine varient le long des différents chromosomes et d’une espèce à l’autre. Pourtant, certains de ces segments persistent dans toutes les cellules de l’organisme: ils forment l’hétérochromatine constitutive. D’autres, normalement euchromatiques, deviennent hétérochromatiques au cours du développement: ainsi les chromosomes sexuels. Trois différences fondamentales séparent les deux types de chromatine. Au cours de la réplication chromosomique, l’euchromatine est répliquée avant l’hétérochromatine. Les observations génétiques révèlent que les régions d’hétérochromatine constitutive ne contiennent pas ou peu de gènes et que des variations du nombre de ces régions n’entraînent pas de changements phénotypiques importants. Au niveau de l’euchromatine, l’activité de transcription est importante, alors qu’au niveau de l’ADN de l’hétérochromatine cette activité est faible ou nulle.
Les observations biochimiques confirment cette hétérogénéité de l’ADN chromosomique. Les expériences de renaturation de l’ADN (cf. acides NUCLÉIQUES) – l’ADN d’un organisme est isolé, coupé en fragments, dénaturé en chaînes simples et la vitesse de réassociation en duplex pour une séquence nucléotidique donnée dépend du nombre d’exemplaires de cette dernière – font apparaître trois classes de fréquences de réassociation, dont les proportions diffèrent d’une espèce à l’autre: les séquences hautement répétitives, ou ADN satellite (plus de 100 000 copies de segments de 5 à 200 nucléotides), les séquences moyennement répétitives (de 10 à 100 000 copies) et les séquences uniques (la plupart des protéines cellulaires sont codées par elles). La corrélation entre la quantité d’ADN satellite et la quantité d’hétérochromatine constitutive est bonne dans la plupart des organismes étudiés. De plus, par la technique d’hybridation in situ (autoradiographie du chromosome après hybridation avec de l’ARN radioactif obtenu par transcription d’ADN satellite), on a montré que l’ADN satellite est essentiellement localisé dans les régions d’hétérochromatine constitutive comme celles qui entourent les centromères de nombreux chromosomes, ou celles qui apparaissent sur certains chromosomes sexuels comme le chromosome Y de la drosophile. Les séquences moyennement répétitives et uniques sont préférentiellement localisées dans l’euchromatine. Mais cette distinction n’est pas une règle absolue: on trouve de l’ADN satellite dans les régions euchromatiques et l’organisateur nucléolaire (hétérochromatine constitutive) contient à la fois de l’ADN satellite et les gènes responsables de la synthèse des espèces moléculaires d’ARN qui constituent les ribosomes.
L’hétérochromatine peut donc être définie par au moins quatre critères: colorabilité, déphasage lors de la réplication chromosomique, inactivité génique et concentration de l’ADN satellite. Elle peut également modifier l’expression des gènes placés à son voisinage par remaniements chromosomiques. La chromatine contenant de l’ADN satellite contient également de façon prédominante la forme phosphorylée de l’histone H1 comme l’ensemble de la chromatine des chromosomes condensés de mitose: dans les deux cas, l’activité de transcription est réduite. Donc la transformation d’une région euchromatique en région hétérochromatique (l’une des hypothèses étant une inactivation par méthylation de l’ADN) joue certainement un rôle important en orientant la transcription vers une partie différente du chromosome. L’hétérochromatine apparaît aussi impliquée dans toutes les étapes importantes de la vie cellulaire et pourtant sa signification physiologique ainsi que celle de l’ADN satellite restent totalement inconnues.
4. Variabilité chromosomique
Le cycle de reproduction de la plupart des espèces comporte une alternance régulière de deux phases. Durant la phase haploïde , souvent réduite chez les organismes supérieurs aux seules cellules sexuelles ou gamètes, le noyau contient un lot de chromosomes: par exemple n = 4 chez la drosophile, n = 13 chez le Coprin, n = 10 chez le maïs, n = 23 chez l’homme. Lors de la fécondation, quelles que soient les modalités du processus, il y a formation d’une cellule diploïde , ou zygote, dans laquelle les deux noyaux gamétiques fusionnent, réunissant ainsi dans un seul noyau les n chromosomes venant du gamète femelle et les n chromosomes provenant du gamète mâle. La cellule diploïde contient donc chaque chromosome, et l’information génétique qu’il porte en double exemplaire (2n = 8 chez la drosophile signifie 4 paires de chromosomes) et les chromosomes de même type sont appelés chromosomes homologues.
Toutes les cellules des organismes de la même espèce possèdent un nombre chromosomique identique. À cette règle de la constance spécifique il faut cependant apporter quelques réserves, par exemple, les différences chromosomiques entre cellules d’un même organisme (cf. infra : chromosomes polyténiques) et la présence chez plusieurs espèces de petits chromosomes hétérochromatiques ou chromosomes b , dont le nombre varie d’un organisme à l’autre sans modifications du phénotype (ensemble des propriétés observables d’un organisme) de l’individu porteur. Mais généralement le nombre chromosomique d’une espèce donnée est parfaitement constant. Par contre, ce nombre est variable d’une espèce à l’autre, les extrêmes étant n = 1 chez l’Ascaris et n supérieur à 300 chez certaines fougères. La taille des chromosomes est elle aussi très variable: les 13 chromosomes du Coprin mis bout à bout ont une longueur inférieure à celle du plus petit des chromosomes humains. Dans un même organisme, on trouve généralement un mélange de petits et de grands chromosomes (de 1 à 8 猪m chez l’homme). Des espèces voisines comme les ancolies et les renoncules ont soit de très petits soit de très grands chromosomes. On connaît quelques exemples (rares) de variation du nombre chromosomique d’un individu à l’autre d’une même espèce. Chez le mollusque Nucella lapillus , ce nombre varie de n = 13 à n = 18. La forme 13 possède 5 chromosomes à 2 bras égaux alors que la forme 18 a 10 chromosomes à centromère terminal. Tous ces individus sont interfertiles mais vivent dans des milieux différents. De telles fusions de centromères sont également invoquées dans les évolutions caryotypiques des espèces. La taille et le nombre des chromosomes ne semblent pas corrélés avec la complexité génétique des organismes: une espèce d’Ascaris a 2 chromosomes alors qu’une autre espèce d’Ascaris en possède 30.
De même, si le contenu en ADN des chromosomes est généralement proportionnel à leur longueur, on trouve des taux très variables parmi les différentes espèces du même genre. Une cellule diploïde humaine contient 5,6 picogrammes d’ADN (1 pg = 1 憐 10-12 g), celle de la drosophile 0,18 pg, celle de l’oignon 55 pg et celle de la Salamandre 100 pg.
La quantité d’ADN par lot haploïde, ou valeur c , est tout aussi caractéristique de l’espèce que son nombre chromosomique. Elle pose la même question fondamentale d’organisation du génome que la variation numérique des chromosomes: pourquoi des espèces à évolution comparable ont-elles des taux d’ADN aussi différents? Un élément de réponse est donné par la comparaison des quantités d’ADN satellite: c = 0,36 pg chez Drosophila virilis et 0,18 pg chez Drosophila melanogaster. Dans la première espèce, l’ADN satellite représente 40 p. 100 de l’ADN nucléaire alors qu’il ne représente que 18 p. 100 dans la seconde. Les masses de séquences uniques sont par contre identiques. Mais la corrélation établie chez ces deux espèces de drosophile entre des valeurs élevées de c et le nombre de séquences d’ADN satellite n’est pas valable pour toutes les espèces.
Aux critères de nombre et de taille des chromosomes définissant l’espèce on peut ajouter trois autres paramètres: la place du centromère, celle des constrictions secondaires et le nombre de bandes. Le centromère peut subdiviser le chromosome (fig. 5) en deux bras égaux (métacentrique), en deux bras inégaux (submétacentrique) ou bien être terminal (acrocentrique). Tous ces critères permettent de distinguer les chromosomes les uns des autres et l’ensemble de ces différents paramètres permettent de définir le caryotype de l’espèce, dont les applications sont développées dans HOMME - CARYOTYPE HUMAIN.
Il existe au moins une exception à la règle de l’homologie dans les cellules diploïdes: les chromosomes sexuels ou hétérochromosomes (opposés à autosomes qui désignent tous les autres chromosomes). Chez de nombreuses espèces, en particulier animales, les deux hétérochromosomes ne sont que partiellement homologues dans l’un des sexes et son désignés par les symboles X et Y ou Z et W (la différence des symboles traduit une différence évolutive). Ainsi, chez les mammifères et les insectes diptères (dont la drosophile, fig. 8), le mâle est XY et la femelle XX. Chez les oiseaux et les insectes lépidoptères, c’est au contraire la femelle qui est XY (désignée alors ZW) et le mâle XX (ZZ). Dans d’autres groupes d’insectes (punaises), les mâles sont X0 (1X et pas d’Y) et les femelles XX. Certaines plantes à fleurs comme le Melandrium ont également des chromosomes sexuels et sont soit femelles (XX) soit mâles (XY).
Le rôle des chromosomes sexuels dans la détermination génétique du sexe est variable selon les espèces. Alors que l’homme est XY et la femme XX, un individu X0 (syndrome de Turner) est femelle et un individu XXY mâle (syndrome de Klinefelter). Chez la drosophile, un individu X0 est mâle et un individu XXY femelle. Dans le premier cas, le sexe mâle semble déterminé par la présence du chromosome Y, alors que, chez la drosophile, c’est le rapport entre le nombre des X et celui des autosomes qui est important. Mais la présence d’hétérochromosomes n’est pas la règle générale pour la détermination du sexe: il existe d’autres mécanismes génétiques tels que deux gènes allèles d’un locus régissant le type sexuel. D’autre part, les chromosomes sexuels X portent de nombreux gènes (chez l’homme, on en connaît plus de 100 comme les gènes du daltonisme, de l’hémophilie) qui n’ont pas de relations fonctionnelles avec la détermination du sexe.
La présence de deux X chez la femelle et d’un seul X chez le mâle pose le problème d’un mécanisme de compensation du dosage des gènes portés par l’X. Un élément de réponse est fourni par le fait que les noyaux diploïdes XX contiennent toujours un amas de chromatine très fortement condensée (ou corps de Barr) alors que les noyaux XY n’en ont pas. Si l’individu possède un X surnuméraire, il existe un corps de Barr supplémentaire. Donc l’un des chromosomes X est inactif. Sa mise hors activité intervient très tôt dans le développement des mammifères et, une fois inactivé dans une cellule donnée, le même X restera inactivé chez toutes les cellules filles descendantes. Le chromosome X inactivé peut être d’origine soit paternelle soit maternelle dans les différentes cellules d’un même individu. Ce mécanisme de compensation de dosage des gènes portés par l’X permet également d’expliquer pourquoi des individus XXY ou XXX ne sont pas aussi profondément différents d’individus normaux que ceux qui portent un autosome surnuméraire.
Chromosomes polyténiques
Ces chromosomes (fig. 9) dont la taille est 100 fois supérieure à celle des chromosomes mitotiques existent essentiellement chez les larves de diptère, dans des organes à activité métabolique intense comme les glandes salivaires et les tubes de Malpighi. Après une phase de multiplication, les cellules de ces tissus grossissent puis se différencient. Durant cet accroissement, les noyaux cessent leurs divisions, mais les chromosomes se répliquent plusieurs fois sans que les chromatides filles se séparent, créant ainsi des faisceaux de plusieurs centaines de filaments accolés, d’où le nom de chromosome polyténique. De plus, chez la mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster ), les deux faisceaux de chromosomes homologues sont étroitement appariés. Les chromomères (épaississements jalonnant les chromosomes de prophase) des différentes chromatides juxtaposées forment des bandes d’épaisseurs variables dont la morphologie et la distribution sont spécifiques de chaque chromosome (fig. 9) et identiques chez tous les individus d’une espèce.
La très grande précision de la séquence de ces bandes a permis de révéler plusieurs traits fondamentaux de l’organisation de l’information génétique dans les chromosomes:
– Les gènes peuvent être localisés avec précision par l’utilisation de déficiences. Dans le croisement entre une lignée sauvage portant une déficience et une lignée mutante pour un gène récessif, le descendant n’exprimera le phénotype mutant que lorsque l’allèle sauvage sera absent, donc dès lors que la déficience chevauchera le gène. Chez la drosophile, les deux chromosomes homologues étant appariés, l’endroit de la déficience se traduira par une boucle sur le chromosome homologue et le gène pourra être localisé avec d’autant plus de précisions que la déficience sera petite.
– L’hybridation in situ avec l’ARNm radioactif de gènes connus (histone, tubuline, etc.) offre la possibilité de connaître la distribution de ces gènes sur les différents chromosomes et de déterminer leur nombre (4 gènes pour les tubulines 見 et 廓).
– L’identité de l’ordre des gènes ainsi localisés avec celui des cartes factorielles a permis de confirmer la théorie chromosomique de l’hérédité.
– La très bonne correspondance entre le nombre de bandes d’une région chromosomique et le nombre de gènes trouvés pour ce même segment suggère que chaque chromomère contient un gène, mais la disparité entre le nombre de paires de bases d’un chromomère et celui d’un gène (20-30 fois) pose les problèmes non encore résolus de la longueur et de la fonction des séquences nucléotidiques séparant les gènes.
– La mise en évidence d’un parallèle entre la morphologie des bandes et l’activité métabolique de la cellule a fourni une preuve directe de l’activité intermittente des gènes, (voir paragraphe transcription).
5. Modifications quantitatives et structurales des chromosomes
Le fonctionnement normal d’un individu se maintient grâce à la constance du matériel génétique transporté par les chromosomes. Des changements chromosomiques peuvent se produire soit spontanément, soit expérimentalement (agents mutagènes, rayonnement); génétiquement, ces altérations ont des répercussions sur la ségrégation et la localisation des caractères impliqués dans l’anomalie ; elles sont souvent décelables au niveau des chromosomes par simple observation microscopique des cellules en division; pour cela, il faut bien connaître le caryotype de l’espèce étudiée et faire l’analyse individuelle des différents chromosomes (forme, taille; cf. HOMME - caryotype). La cytogénétique naquit de la convergence de la cytologie et de la génétique. Cette science a surtout connu un grand développement dans le domaine de l’amélioration des plantes où les sélectionneurs ont cherché à acquérir la maîtrise de ces variations chromosomiques, soit pour les éliminer ou au contraire les amplifier, soit pour échanger des chromosomes ou des fragments chromosomiques entre deux variétés (introduction d’une résistance à une maladie dans une variété sensible mais à productivité plus élevée), soit pour retrouver l’ancêtre d’une espèce cultivée.
Les variations de type quantitatif portent soit sur l’ensemble des chromosomes (euploïdie), soit sur un seul chromosome (aneuploïdie). Chez les organismes à phase diploïde prépondérante, l’individu est diploïde. On trouve parfois des individus porteurs d’un seul lot de chromosomes (monoploïdie ) dans les espèces parthénogénétiques où l’animal se développe à partir du gamète femelle sans qu’il y ait fécondation. C’est le cas des abeilles où les monoploïdes sont des mâles (faux-bourdon) alors que les diploïdes sont des femelles (la différenciation entre reine fertile et ouvrière stérile est liée à la nutrition embryonnaire). Chez les plantes supérieures, on peut dans certaines espèces induire le développement de plantes monoploïdes à partir de grains de pollen. Ces plantes offrent de multiples avantages en agronomie comme par exemple l’isolement de mutants et la création de variétés nouvelles. Elles sont stériles mais, en doublant leur nombre chromosomique par certains alcaloïdes comme la colchicine, non seulement on restaure la fertilité mais on fabrique des autodiploïdes avec des chromosomes strictement homologues alors que la fécondation introduit toujours un brassage du matériel génétique, comme on le verra à propos de la méiose.
La ploïdie étant traitée à part, nous ne retiendrons ici que quelques exemples illustrant les différents équipements chromosomiques connus. Il faut distinguer deux types de polyploïdie. L’une est simplement la juxtaposition de 3, 4, 5 ou plus de lots haploïdes: on la nomme autopolyploïdie. Ainsi, le Panicum maximum , graminée fourragère d’Afrique tropicale, peut être soit tétraploïde (la grande majorité des plantes), soit diploïde (2n = 16), soit pentaploïde, soit hexaploïde (6n = 48) suivant les populations examinées. L’arrêt de la mitose conduit à la formation d’une cellule tétraploïde dans un individu diploïde et l’avortement de l’une des deux divisions méiotiques à la formation de gamètes diploïdes, qui, fécondés par un gamète haploïde, donneront un individu triploïde. L’autre forme de polyploïdie a pour point de départ un croisement entre deux espèces, donc la réunion de deux lots chromosomiques différents qui sont ensuite doublés (ou triplés): c’est l’allopolyploïdie. Le chou-navet (2n = 36) a ainsi été obtenu par croisement du chou (2n = 18) avec le navet (2n = 18) et par doublement à la colchicine des chromosomes de l’hybride (stérile). Le colza (2n = 38) est un exemple d’allopolyploïdie naturelle, le nombre des chromosomes de l’hybride interspécifique (n = 10 + n = 9) du chou (2n = 18) et de la rave (2n = 20) s’étant doublé spontanément. L’alloploïdie a joué un rôle fondamental dans l’évolution des plantes en créant des types nouveaux souvent assez éloignés des espèces d’origine. C’est le cas du blé tendre (Triticum vulgare ), dont le nombre chromosomique (n = 21) résulte de l’association de 3 lots de 7 chromosomes provenant de trois espèces différentes.
L’aneuploïdie est une variation numérique d’un ou de plusieurs chromosomes, en plus ou en moins, et non plus celle du lot entier des chromosomes d’une espèce. Leur origine est soit la descendance de polyploïdes, soit une absence de séparation d’une paire de chromatides au cours de la méiose. Les individus sont nullisomique 2n 漣 2, monosomique 2n 漣 1, trisomique 2n + 1, tétrasomique 2n + 2 où les deux chromosomes surnuméraires sont homologues, ou doubles trisomiques 2n + 1 + 1 (où les deux chromosomes surnuméraires ne sont pas homologues). L’aneuploïdie dans un organisme diploïde est souvent létale ou entraîne un degré élevé de stérilité. On connaît chez l’homme plusieurs cas d’aneuploïdie des autosomes et des hétérosomes. Des exemples sont également connus chez les végétaux et leur viabilité augmente avec le degré de polyploïdie: l’adjonction ou la soustraction d’un chromosome donne un nouveau type morphologique caractéristique du chromosome concerné (par exemple, travaux de Sears sur le blé, 1969). Chez le Datura (2n = 12), on a réalisé les 12 plantes correspondant aux 12 trisomies possibles: chacune est différente et en particulier la capsule renfermant les graines a des formes très variées. Les cytogénéticiens ont constitué des lignées d’addition ou de substitution d’un chromosome entier ou même de fragments chromosomiques espérant ainsi transférer un gène «intéressant» (résistance à une maladie cryptogamique, longueur de la fibre du coton, etc.) aux espèces cultivées.
Les remaniements chromosomiques, dont la figure 10 schématise les principaux types, soit conservent l’intégrité du lot haploïde avec des déplacements de fragments chromosomiques, soit conduisent au gain ou à la perte de matériel génétique. Les inversions et les translocations ne modifient généralement pas le phénotype de l’individu porteur, mais les chromosomes remaniés sont régulièrement transmis à la descendance. Ces remaniements sont assez fréquents dans la population humaine (1 p. 100) et sont la cause du quart des avortements spontanés. Ils peuvent également provoquer des modifications d’activité au niveau des gènes déplacés comme par exemple l’inhibition observée au voisinage des régions hétérochromatiques.
Les déficiences correspondent à une monosomie partielle et les duplications à une trisomie partielle. Chez la drosophile, il est facile de déterminer la localisation et la taille de ces remaniements sur les chromosomes polyténiques (cf. supra et fig. 9), ce qui permet l’étude de l’effet de ces doses inhabituelles de gènes. Les duplications ont probablement joué un rôle important dans l’évolution: l’un des deux exemplaires du gène dupliqué pouvant subir des mutations et ainsi acquérir une fonction nouvelle sans que l’organisme soit perturbé, le produit du gène continuant à être fabriqué normalement.
À ces remaniements touchant des segments plus ou moins longs de chromosomes il faut ajouter les changements structuraux plus fins comme par exemple les transposons qui sont des petits fragments d’ADN qui peuvent s’insérer et s’exciser à divers endroits du chromosome, créant ainsi une instabilité d’expression au niveau des gènes touchés et les mutations modifiant de manière aléatoire des nucléotides dont sont composés les gènes.
6. Duplication des chromosomes
L’invariance du caryotype de l’espèce montre que les chromosomes (forme, taille, masse d’ADN) et l’information génétique (nombre, ordre des gènes) qu’ils contiennent sont transmis fidèlement de la cellule mère aux cellules filles au cours des mitoses successives. Par quels mécanismes peut-on passer d’un chromosome à deux chromosomes identiques? Taylor a démontré le premier, en 1957, que cette duplication des chromosomes était semi-conservative par l’expérience résumée dans la figure 11. Des plantules d’une liliacée (Bellevalia ) ou de fève (Vicia faba ) ont été placées dans une solution de thymidine radioactive. La thymidine pénètre dans les racines dont les cellules se divisent activement et, comme elle est un précurseur de la synthèse d’ADN, elle sera incorporée spécifiquement dans l’ADN des chromosomes. Des échantillons de racines sont prélevés et les cellules placées en contact d’une émulsion photographique (la désintégration du tritium émet des rayons 廓 qui impressionnent l’émulsion photographique permettant ainsi la localisation des régions d’incorporation de la thymidine): dans tous les noyaux en métaphase (stade où les chromosomes sont le mieux visibles), les deux chromatides de chaque chromosome sont marquées. Un second lot d’échantillon est prélevé et placé dans un milieu sans thymidine tritiée le temps nécessaire à un deuxième cycle de mitose. On observe alors que chaque chromosome a une chromatide marquée et une chromatide non marquée. Après un troisième cycle de mitose, la moitié seulement des chromosomes est marquée et ces derniers ont une seule chromatide marquée. L’hypothèse la plus simple consiste à supposer que chaque chromatide correspond à deux sous-unités, chacune d’elle servant de modèle pour la synthèse de la sous-unité complémentaire à la génération suivante: chaque nouvelle chromatide contient donc une structure ancienne et une structure nouvellement synthétisée. Ces résultats suggèrent que chaque chromatide peut être assimilée à une double hélice d’ADN, la duplication du chromosome étant le reflet de la réplication de l’ADN (les deux chaînes de la molécule se séparant, chacune peut servir de moule pour la synthèse d’une chaîne complémentaire, ce qui conduit à la formation de deux copies strictement identiques à la molécule de départ).
La même technique d’autoradiographie sur des molécules d’ADN en train de se répliquer (extraites de chromosomes de mammifères, Hüberman et al., 1968) a permis de mettre en évidence l’existence de nombreux sites d’initiation de la réplication le long des chromosomes d’Eucaryotes à partir desquels la synthèse progresse de façon bidirectionnelle. À cause des contraintes imposées par la nature même de la double chaîne d’ADN et de celles des enzymes responsables de la réplication, cette dernière est continue sur l’une des chaînes et discontinue sur l’autre. Sur cette dernière sont synthétisés des fragments de 200 nucléotides ou fragments d’Okasaki (Okasaki, 1968), qui sont ensuite reliés entre eux par une enzyme de liaison (ligase). Il y a une centaine d’unités de réplication (ou réplicon) par chromosome, contrairement au chromosome bactérien qui n’en présente qu’une. De même la vitesse d’élongation des chaînes d’ADN est d’environ 3 000 nucléotides (1 猪m) par minute chez les Eucaryotes au lieu de 2 000 nucléotides par seconde chez le Colibacille. Les différents segments chromosomiques ne se répliquent pas en même temps, mais leur ordre chronologique est constant pour une espèce donnée. Les inhibiteurs de la synthèse protéique diminuent l’initiation de la synthèse d’ADN suggérant l’existence d’au moins une protéine de régulation de la phase de duplication chromosomique.
La réplication des histones est toujours étroitement couplée avec celle de l’ADN. Cette synthèse est rapide puisqu’on ne trouve jamais de segments d’ADN nu aux fourches de réplication. L’inhibition de la synthèse des histones diminue celle de l’ADN et réciproquement. Les histones H3 et H4 s’associent d’abord à l’ADN, puis les histones H2A et H2B et enfin H1. Il semble que les histones et l’ADN nouvellement synthétisés s’associent préférentiellement, mais les résultats des différents laboratoires restent contradictoires, et des associations au hasard entre histones nouvellement synthétisées et brin d’ADN parental sont également décrites. La sensibilité des nucléosomes des fourches de réplication à la digestion par les nucléases est différente de celles des nucléosomes de la chromatine non réplicative, mais les causes de cette «maturation» restent inconnues.
Enfin, il est intéressant de noter que la chromatine en phase de réplication n’est pas inactive mais que sur une même portion de chromosome on observe à la fois des réplicons et des figures de transcription sur les deux brins d’ADN correspondant aux deux chromatides sœurs.
7. Chromosomes et transcription, première étape de la synthèse protéique
La synthèse protéique ne se fait pas directement sur l’ADN mais par l’intermédiaire d’ARN. L’information génétique contenue dans l’ADN est d’abord transférée (transcription) à des molécules d’ARN qui servent à leur tour de matrice pour la fabrication au niveau des ribosomes des séquences d’aminoacides des protéines (traduction). La synthèse de l’ARN se fait par un processus semblable à celui de la réplication (la double hélice d’ADN se déroule et les ribonucléotides sont polymérisés en utilisant l’une des chaînes comme matrice). La chaîne d’ARN aura ainsi une séquence complémentaire de celle de la chaîne d’ADN copiée.
Deux types de chromosomes ont permis une vision directe de la transcription : les chromosomes en écouvillon des oocytes d’Amphibiens et les chromosomes polyténiques des larves de Diptères.
Chromosome en écouvillon
Au stade diplotène de la méiose de toutes les espèces, les chromosomes en écouvillon (ou plumeux; lampbrusch chromosome en anglais), présentent sur toute leur longueur des boucles plus ou moins larges émergeant des chromomères. La taille spectaculaire de ces différenciations dans les ovocytes d’amphibiens, dont les chromosomes mesurent plus d’un millimètre, a permis une étude morphologique et fonctionnelle très précise de ces structures (Callan, Gall et Miller). Comme, à ce stade, le chromosome est dupliqué, donc formé de deux chromatides identiques, les boucles sont par paires et remarquablement symétriques (fig. 12). Chaque boucle a une configuration propre et constante d’une cellule à l’autre, permettant sa cartographie fine. Malgré le grand nombre de ces boucles (plusieurs milliers), la longueur de la chromatine ainsi déployée ne représente en fait que 5 p. 100 de l’ADN de l’axe chromosomique.
Mais l’intérêt essentiel de l’étude de ces chromosomes réside dans le fait que les boucles sont le siège de la transcription comme le prouvent les trois expériences suivantes:
– Après incorporation d’uridine tritiée, précurseur de l’ARN, le marquage isotopique est distribué sur l’ensemble des boucles.
– La désorganisation ménagée du réseau de fibrilles entourant l’axe des boucles libère des complexes de transcriptions typiques (fig. 12) dont la longueur croissante des fibrilles d’ARN en cours d’élongation indique la polarité de la synthèse et la grande taille des molécules formées (technique de Miller).
– Si on traite les ovocytes par des inhibiteurs de la transcription comme l’actinomycine D, les boucles disparaissent. Par contre, les inhibiteurs de la synthèse protéique (cycloheximide par exemple) sont sans effet sur les boucles suggérant ainsi leur spécificité dans la fonction transcriptionnelle. Présentes durant l’oogenèse, les boucles ne sont plus visibles quand l’accroissement de l’oocyte est terminé.
Les «puffs» des chromosomes polyténiques
Les cytologistes avaient observé depuis longtemps (Balbiani, 1881) que les chromosomes polyténiques pouvaient développer des boursouflures, ou «puffs», de tailles variables, les plus grandes étant appelées «anneaux de Balbiani». Cette dilatation semble due au déploiement des chromomères individuels d’une bande. L’étude de ces puffs (en particulier les travaux de Beerman et de ses collaborateurs sur le chironome) a permis de montrer qu’ils étaient des sites de transcription actifs et surtout que leur localisation précise dans la séquence des bandes pouvait donner l’image de l’activité des gènes dans différents tissus, au cours du développement et en réponse à des stimuli comme les hormones et les conditions du milieu.
L’activité transcriptionnelle des puffs a été démontrée par l’incorporation spécifique des précurseurs de l’ARN et l’isolement de complexes de transcription typiques. Les inhibiteurs de la transcription entraînent la régression des puffs. L’analyse des ARN des anneaux de Balbiani, isolés un à un par micromanipulation, a montré que les ARN messagers produits différaient par leur taille, leur durée de vie et leurs rôles.
Plusieurs faits intéressants concernant l’activité des gènes dans la différenciation cellulaire et au cours du développement ont pu être dégagés de l’étude de ces puffs. Les types de gènes exprimés varient d’une espèce cellulaire à l’autre, car, si les puffs sont toujours situés aux mêmes endroits dans les glandes salivaires, ils apparaissent à des bandes différentes dans d’autres tissus. L’existence d’un puff déterminé peut être reliée avec un produit cellulaire spécifique: un mutant déficient pour un composant défini ne forme pas le puff correspondant. Au cours de l’ontogenèse, l’entrée en fonction et l’arrêt d’activité des gènes suivent un ordre rigoureux: durant la métamorphose, certains puffs n’apparaissent qu’à un stade larvaire précis alors que d’autres sont présents, plus ou moins amplifiés, durant tout le développement (fig. 13). Certains facteurs comme les hormones jouent le rôle d’inducteur spécifique de l’activité génique: lorsque la mue est déclenchée artificiellement par injection d’ecdysone (hormone spécifique de la mue), la séquence d’apparition des puffs est identique à celle qui est observée lors de la métamorphose normale.
Structure de la chromatine et transcription
La chromatine transcrite a une structure nucléosomique conservée mais une sensibilité accrue à l’attaque des nucléases (enzymes coupant l’ADN). En fait, il semble exister une conformation particulière des nucléosomes (liée en partie à l’acétylation des histones) au niveau des régions chromosomiques porteuses des gènes spécifiques d’un type cellulaire donné, puisque cette sensibilité ne touche que ces régions.
Les ARN formés ou ARN messagers synthétisés au contact de l’ADN des chromosomes traversent la membrane nucléaire et c’est au niveau du cytoplasme et plus particulièrement sur les ribosomes que l’ARN messager est «traduit» en une séquence linéaire correspondante d’acides aminés. La protéine ainsi formée peut avoir une fonction structurale, de régulation ou enzymatique.
Le rôle principal du chromosome est donc incontestablement celui de vecteur de l’information génétique. Si son étude a connu un brusque développement durant ces dernières années, bon nombre de problèmes concernant sa structure et son organisation restent non résolus: par exemple des questions aussi évidentes que l’organisation même des gènes le long des chromosomes, la fonction des séquences nucléotidiques séparant les gènes, les rôles des séquences d’ADN répétitif et de l’hétérochromatine sont en cours d’interprétation [cf. GÉNÉTIQUE MOLÉCULAIRE].
Encyclopédie Universelle. 2012.