AFFICHE
Doublement éphémère, par le caractère transitoire de l’événement ou de l’objet qu’elle est chargée d’évoquer et par la brièveté de son exposition, l’affiche reflète un aspect important mais fuyant de la réalité économique, sociale et culturelle. En raison de l’éparpillement et de la variété de ses figurations, elle va à l’encontre de la représentation idéalisée et statique que la société aime donner d’elle-même. Elle est un inconscient qui fonctionne au grand jour, qui « crève les yeux » et qui, par la dispersion de ses manifestations, prend l’attention en défaut. Elle brise l’homogénéité du milieu naturel et contredit, par ses « écrans », l’uniformité de l’espace-temps quotidien qu’elle contribue cependant à renforcer par des moyens détournés. Elle grossit, par l’image et le slogan, l’importance de l’objet ou de l’événement évoqué, qu’elle situe comme marchandise. Politique, patriotique, elle sait mettre en œuvre ses capacités de séduction et de persuasion pour fabriquer de toutes pièces un objet idéologique.
Contrairement à l’œuvre picturale, par exemple, l’affiche a, avant tout, un caractère informatif.
L’affiche moderne, parce qu’elle fut l’œuvre d’artistes, a créé un malentendu quant à son rôle exact qui est de « promouvoir ». La muséographie de l’affiche devient, du même coup, équivoque. En effet, la qualité artistique est, pour la plupart de ceux qui recourent à l’affiche, un aspect secondaire et comme résiduel de l’œuvre produite. Les différentes techniques de reproduction dont elle fut longtemps tributaire – gravure, lithographie, pochoir, chromolithographie sur pierre et sur zinc – ont été autant d’étapes qui ne pouvaient être atteintes sans l’aide d’artistes véritables. De même, le photomontage, les recherches typographiques furent, d’abord, le fait de créateurs. Ces approches par la stylisation et par le signe de l’événement et de l’objet ont certes permis de mettre au point le langage de l’affiche moderne; mais, dès que les pouvoirs de suggestion de la photographie, de la composition et de l’impression ont été suffisants, elles ont fait place aux seules ressources de la persuasion. Grâce aux rapports qu’elle entretient avec l’œuvre d’art, l’affiche est élevée à la dignité d’objet de musée, c’est-à-dire par ce que, d’une certaine manière, ses techniciens tendent aujourd’hui à réduire, sinon à éliminer. Elle est ainsi sélectionnée en fonction de critères qui ne sont pas les siens. Elle est détournée du rôle qu’elle tenait pour s’inscrire dans la perspective d’une production artistique nationale ou en fonction de regroupements thématiques, alors que ses objectifs sont soit socio-économiques soit idéologiques. Tout au long de son histoire, l’affiche est à la recherche d’une efficacité mesurable à travers des tâtonnements et des intuitions.
Toutefois, à l’ombre de ces immenses placards urbains auxquels font écho les images de la télévision et les flashes de la radio, et qui s’adressent à l’ensemble des consommateurs, des sous-ensembles constitués d’amateurs d’art, de théâtre, de cinéma d’art et d’essai, d’écologie justifient l’existence d’affiches qui sont, plus que des moyens d’information, des éléments de jouissance esthétique, le miroir d’un art de vivre ou de l’art même.
De l’affichage à l’affiche
L’affiche est la conséquence lointaine de la nécessité de faire connaître, par affichage, les décisions de l’autorité ou les événements qui intéressent la collectivité. On sait que dans les cités grecques on utilisait des panneaux de bois mobiles connus sous le nom d’axones et que les citoyens romains traçaient leurs dipinti sur un mur blanchi à la chaux et divisé en rectangles – l’album . À Pompéi, on peut voir la marque encore bien lisible d’un affichage élaboré.
Il est difficile de dater l’apparition de l’affiche en tant qu’objet. La découverte d’une feuille manuscrite de caractère religieux dans les archives du Cantal montre que cette apparition a peut-être été largement antérieure à celle de l’imprimerie. La fragilité et le nombre forcément restreint de telles copies ont pu concourir à leur disparition. Cette pièce, datée de 1454, comporte un texte qui autorise les choristes à pratiquer la quête dans les limites du diocèse de Saint-Flour, et une image de la Vierge de Miséricorde. Elle définit déjà le rapport entre le texte et l’image que l’on retrouvera dans l’affiche que le célèbre imprimeur Jean Du Pré sortira en 1482 pour annoncer le Grand Pardon de Notre-Dame de Reims. Quoi qu’il en soit, la première affiche, en tant qu’objet de série, est celle que William Caxton compose en 1477 pour vanter les bienfaits des eaux de Salisbury. Exclusivement en caractères d’imprimerie, elle restera longtemps le prototype de l’affiche courante.
Les dessins qui prennent pour cibles les badauds et les colleurs d’affiches et les premières photographies des colonnes Morris constituent des témoignages importants sur la vie de la rue et le rôle qu’y jouent les affiches. Mais encore au XIXe siècle les affiches ne sont généralement que de simples textes typographiques de format modeste. Des exceptions cependant: les avis de recrutement sont souvent ornés d’une ou plusieurs images de soldats, les annonces de théâtre sont encadrées comme une scène. Dans l’ensemble, l’image permet d’identifier un type d’affiches parmi d’autres plutôt qu’elle n’entretient une relation directe avec l’information à laquelle elle est liée. Cependant, la promotion d’un objet peut parfois susciter des images plus précises: témoin cette affiche française de 1715 où sont décrits, comme dans une notice, les avantages de parapluies de poche que l’on voit, ouverts et fermés, dans deux figures, l’une à l’usage de la femme et l’autre à l’usage de l’homme.
L’incertitude quant au rôle exact dévolu à certaines annonces publicitaires de petit format doit être soulignée. On ne sait si ces feuilles étaient destinées à la distribution ou au placardage, à moins qu’elles n’aient rempli la double fonction de prospectus et d’affiche. L’horizontalité de la disposition linéaire des caractères typographiques impose alors à l’affiche un rapport entre le texte et l’image qui est celui du livre. C’est d’ailleurs à des pages de livres que feront longtemps penser la plupart des affiches antérieures aux œuvres de Chéret. L’utilisation de la lithographie par Célestin Nanteuil, Devéria, Tonny Johannot, Gavarni, Grandville, Bertall, Raffet, Daumier et Manet, si elle permet une disposition ornementale des lettres, n’en rend pas moins l’affiche tributaire de la production littéraire, d’autant que nombre de ces œuvres, de petites dimensions, sont destinées à être accrochées dans les librairies pour attirer l’attention des clients sur les publications nouvelles. Dans ces affiches, l’image a une fonction identique à celle des vignettes qui ornent les pages de titres. La technique du pochoir omnicolore, mise au point par Rouchon, permet de rompre avec la monochromie. Toutefois, certaines œuvres présentent déjà quelques-unes des qualités qui, ensemble, caractériseront l’affiche moderne.
En 1845, Bertall réalise pour Les Petites Misères de la vie conjugale de Balzac un placard très joliment coloré qui donne une vue synthétique de l’œuvre annoncée. La même année, Gavarni crée une affiche spectaculaire dans laquelle on voit des curieux regarder un colleur placarder des publicités, ce qui permet d’assurer en une seule fois la promotion de plusieurs ouvrages. En 1869, Manet exécute, à l’occasion de la sortie des Chats de Champfleury, une œuvre où le rapport du texte à l’image demeure conventionnel, mais où se révèle un effort exceptionnel de simplification graphique.
Naissance de l’affiche moderne
C’est également au cours de l’année 1869 que Chéret réalise une affiche pour le bal Valentino. Ici, l’image et la lettre procèdent du même élan. La disposition rayonnante des caractères n’est certes pas nouvelle; pourtant, la relation entre les indications, réparties en haut et en bas et de chaque côté de la feuille, et l’image centrale crée un rapport organique nouveau. Les lettres et chiffres en relief, représentés en perspective, renvoient à l’image, et la ligne circulaire qu’ils composent convient à une lecture rapide qui autorise une simultanéité de perception.
Chéret s’était initié pendant dix ans à la chromolithographie en Angleterre où, par ailleurs, il se familiarisa avec le grand format d’affiches à la mesure d’un pays industriel. En effet, si l’affiche publicitaire n’avait pas encore trouvé son langage, la technique très élaborée de reproduction, la normalisation des formats, les règles d’exposition dans les rues étaient déjà au point. En Angleterre, les conditions d’un art mural étaient réunies. Il ne manquait que l’art lui-même, quand vint Chéret, grand admirateur de Tiepolo, qui devait emprunter à la fresque sa scénographie. Chéret a également compris la dimension psychologique de la publicité en saisissant intuitivement le rapport entre l’objet à faire désirer et la femme objet de désir. Et il a attisé ce désir en montrant la femme aérienne, projetée dans une fuite perpétuelle.
Grâce à cette présence obsédante, Chéret fait passer l’affiche du stade de la description à celui de la séduction. Bonnard, Vuillard, Toulouse-Lautrec en France, Dudley Hardy en Angleterre, Henri Meunier et Privat-Livemont en Belgique, Bradley et Penfield aux États-Unis, dans des styles qui leur sont personnels, suivent cette voie. L’affiche des années 1890 est avant tout une réalisation tournée vers le désir, l’évasion, la dépense... que ce soit par les bals, qui constituent une bonne part de la production de Chéret, les spectacles vantés par Lautrec, les voyages, dont Frédéric Hugo d’Alesi, avec ses paysages idéalisés, assure la promotion. Le seul produit durable qui justifie un série importante d’affiches est la bicyclette, victoire du désir sur la vie quotidienne. Elle est cet objet à fonctionnement symbolique que les surréalistes définiront beaucoup plus tard. Instrument personnel lié à l’équilibre et à la vitesse, elle n’entretient avec la terre qu’un rapport tangentiel; elle est à l’image d’un désir qui n’admet la résistance que dans la mesure où cette dernière aide à le porter.
L’Art nouveau dans l’affiche
Vers 1890 se constitue, pour la première fois, un art graphique international qui trouve son aboutissement dans l’Art nouveau. C’est l’époque des expositions universelles, où sont exaltés l’industrie, les arts appliqués, l’exotisme, selon la vision qu’en ont les pays impérialistes, principaux organisateurs de ces rencontres. Au cours des expositions de 1862 à Londres, 1867 à Paris, 1873 à Vienne, 1878 à Paris encore, sont exposées les estampes d’Utamaro, d’Hokusaï et d’Hiroshige: stylisation du mouvement, recours à de larges aplats, schématisation des contours seront mis en pratique par nombre de graphistes, parmi lesquels il faut citer Beardsley en Angleterre, Lautrec et Bonnard en France. En Angleterre, le mouvement Art and Crafts créé par William Morris et Walter Crane s’insurge contre la laideur de la production industrielle. Un ouvrage comme Grammar of Ornament d’Owen Jones (1845) exerce une influence décisive sur le milieu symboliste. Le Hollandais Jan Toorop systématise le langage nouveau en ramenant l’envol des chevelures et des tissus à un jeu de courbes décoratives dont le commencement et la fin sont la spirale. Eugène Grasset fait de même en prétendant prendre la nature pour modèle. C’est le Tchèque Alphonse Mucha qui donne à cet Art nouveau son expression la plus élaborée, en particulier dans une suite d’affiches réalisées pour Sarah Bernhardt (Gismonda , 1894; La Dame aux camélias, Lorenzaccio , 1896; La Samaritaine , 1897). Paul Berthon, de Feure en France, Privat-Livemont, Gustave Max-Stevens, Fernand Toussaint en Belgique, Mosnar Yendis (Sidney Ransom) en Angleterre, Edward Penfield, John Rhead, Maxfield Parrish, Will Carqueville, Ethel Reed aux États-Unis, Ramón Casas et de Riquer en Espagne, Vaclav Oliva en Tchécoslovaquie se montrent les meilleurs représentants de cet Art nouveau. Certains artistes font preuve d’une grande originalité: l’Anglais Aubrey Beardsley, qui excelle à donner à la blancheur de la feuille la valeur d’une couleur par une utilisation extrêmement subtile du noir; l’Américain Will Bradley, qui reste célèbre pour sa série d’affiches réalisées pour The Chap Book . Ses Twins, personnages dédoublés, suggèrent une multiplication à l’infini de la même image. En Autriche, l’Art nouveau, représenté par la Sécession viennoise, se montre directement lié aux conceptions du mouvement Art and Crafts. Koloman Moser, Alfred Roller, Leopold Forstner, Julius Klinger, Josef Hoffmann et Gustave Klimt créent des affiches dans lesquelles le dessin de la lettre joue un rôle important.
Quelques artistes, cependant, échappent aux aspects les plus systématiques de la nouvelle école: Steinlen en France, Alfredo Hohenstein, en Italie, dont le style s’apparente à celui du peintre allemand Max Klinger, Henri Cassiers en Belgique. Une place particulière doit être reconnue aux Beggarstaff (John Pry et William Nicholson) qui n’ont produit qu’une dizaine d’affiches et ont pourtant exercé une influence importante sur les affichistes allemands Hohlwein et Erdt et sur le Belge Rassenfosse.
L’affichomanie
La fécondité des années 1890 déclenche un extraordinaire engouement pour l’affiche, auquel Octave Uzanne donne le nom d’affichomanie. Des amateurs constituent des collections grâce à des marchands comme Sagot et Dorbon à Paris, Bella à Londres, Bartrina à Barcelone qui n’hésitent pas, parfois, à soudoyer les colleurs d’affiches. Des conflits surgissent entre libraires et industriels. De nombreuses expositions sont organisé qui justifient la création de nouvelles affiches pour les annoncer. La plus importante manifestation, organisée par Ernest Maindron, le premier historien de l’affiche, se tient dans le cadre de l’Exposition universelle de Paris en 1889. Celle de Reims, en 1896, réunit 1 690 pièces dont 1 100 sont d’origine française. Des publications spécialisées surgissent. L’Affiche paraît en 1891, pour peu de temps il est vrai; L’Estampe et l’affiche en 1897. En Angleterre, The Poster et The Poster and Post Card Collector voient le jour. La revue d’art et de littérature La Plume publie cinq numéros spéciaux qui sont autant de catalogues des œuvres diffusées par elle. Le Courrier français édite des affiches en format réduit. Chaix sort, entre 1896 et 1900, cinq séries des Maîtres de l’affiche , préfacées par Roger Marx, où sont reproduites, en dimensions réduites, les affiches du fonds de l’imprimeur, qui est également celui de Chéret. Dans la série de 1898, Roger Marx réclame la création d’un musée de l’Affiche. Ce musée, créé en 1978, a connu une brève existence. En effet, du fait de la position relative de l’affiche dans le cadre général de la publicité, ce musée est devenu celui de la publicité avant de réintégrer le musée des Arts décoratifs. Mais cette frénésie sera de courte durée. Dès 1900, les publications disparaissent l’une après l’autre. L’affiche va devenir bientôt plus une affaire de professionnels qu’une activité artistique.
Naissance d’une affiche professionnelle
Ce professionnalisme s’était déjà fait jour dans les années 1890. Bouisset avec le Chocolat Menier (1892), Vavasseur pour Ripolin (1898) avaient créé des affiches peu influencées par le style en vogue et ils tendaient avant tout à présenter des idées visuelles plutôt que des développements plastiques. Leonetto Cappiello, Italien établi à Paris, occupe une place importante dans l’élaboration d’affiches commerciales. L’image de l’Ouate thermogène (1909) restera familière aux Français jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. O’Galop lance son Bonhomme Michelin qui sera repris par d’autres graphistes et servira d’enseigne à la marque de pneus. L’Italien Marcello Dudovich, de 1900 aux années trente, fait preuve d’une étonnante capacité d’adaptation aux besoins des époques qu’il traverse. Tel est également le cas de l’Américain J. C. Leyendecker qui, parti de l’Art nouveau, propose dans les années trente une publicité de caractère mondain pour vanter les cigarettes Chesterfield et les croisières transatlantiques.
John Hassall, en Angleterre, loin des modes, impose un style cocasse et bon enfant imité par le Belge Henri Cassiers.
En Allemagne, enfin, où l’affiche ne prit que tardivement son essor avec Fritz von Stück, Otto Fischer, Josef Rudolf Witzel et Thomas Theodor Heine, Rudy Erdt, Lucien Bernhardt, Ludwig Hohlwein créent des images vigoureuses.
La Première Guerre mondiale
Le message que nous transmet l’affiche, des années 1890 à la veille de la guerre, nous induit en erreur dans la mesure où il ne rend compte que de l’aspect le plus distrayant de la Belle Époque. Il nous dissimule la pauvreté, les conflits sociaux parfois sanglants et la présence de l’armée qui, bien sûr, nourrit l’espoir de la revanche sur la défaite, de 1871, mais exerce également une fascination sur les Français qui trouvent dans leurs périodiques les portraits des grandes figures militaires, que ce soient ceux d’amis ou d’ennemis potentiels.
La guerre va permettre à l’affiche de tester ses capacités de persuasion. En simplifiant, on peut diviser les productions de cette époque en trois catégories:
La première se propose de susciter l’indignation par la relation des atrocités vraies ou supposées commises par l’ennemi, situant ainsi l’adversaire comme agresseur et justifiant donc la guerre comme acte défensif. Des artistes comme Steinlen, Fouqueray, Poulbot, Raleigh et Spencer Pryse excellent dans ce genre, et d’autant plus facilement que la plupart d’entre eux, la veille encore, fustigeaient les atrocités commises par les bourgeois, colonisateurs, militaires dans les revues satiriques ou – dans le cas de Spencer Pryse – réalisaient des affiches pour un parti politique.
Une deuxième catégorie vise à soutenir l’effort de guerre par l’emprunt. Abel Faivre est l’auteur de plusieurs affiches spectaculaires; l’une d’elles comporte un slogan, qui sera réutilisé en 1939: « On les aura! » Casper Emerson Jr., en Angleterre, Alfred Hoffner en Allemagne ont réalisé des images frappantes sur le rôle de l’argent dans la guerre.
Une troisième catégorie, enfin, incite les civils à contracter un engagement dans l’armée. Les procédés utilisés vont de la persuasion directe au chantage affectif. Le modèle de ce genre de production demeure l’œuvre de l’Américain James Montgomery Flagg, dans laquelle on voit l’Oncle Sam tendre le doigt vers le passant à convaincre en déclarant: « I want you for the american army. » Cette réalisation agressive s’inspire d’une œuvre d’Alfred Leete (1914) représentant lord Kitchener, alors ministre de la Guerre de Grande-Bretagne, déclarant, avec geste à l’appui: « Your country needs you! » Dimitri Moor reprendra la formule pendant la révolution soviétique pour le recrutement de l’Armée rouge.
La persuasion tend également à placer le père de famille devant le jugement futur de ses enfants: « Daddy, what did you do in the Great War? » (Anon, 1914). Les appels à la fraternité virile: « Your friends need you! »; à la virilité tout court: « Be a man »; ou encore à la séduction féminine symbolisant un corps d’armée, ici la marine: « I want you » (Howard Chandler Christy, 1917), sont autant de procédés de chantage pour faire pression sur l’individu.
La guerre n’a pas suscité de recherche stylistique originale. Par contre, elle a permis, grâce à la mise au point d’un répertoire limité mais efficace d’attitudes et de slogans, de provoquer des réponses-réflexes en s’adressant directement aux valeurs collectives par lesquelles l’individu croit se définir.
D’une guerre à l’autre
L’affiche révolutionnaire
Dès 1917, la révolution soviétique modifie profondément le paysage politique en transformant la guerre entre nations rivales en affrontement idéologique. El Lissitzky, porte-parole du courant futuriste représenté en Russie par le suprématisme, croit pouvoir faire coïncider directement activité artistique et action révolutionnaire. Cette tentative n’est guère probante, dans la mesure où les signes produits dans l’œuvre d’art ne peuvent qu’exceptionnellement répondre aux besoins politiques. L’affiche « Battez les blancs avec le coin rouge », qui représente un triangle pénétrant un cercle, pourrait tout aussi bien avoir un sens sexuel ou religieux. Et le slogan dont l’auteur croit devoir l’accompagner est, en même temps qu’une explication, un aveu d’impuissance. Plus probante est l’expérience Rosta, l’agence télégraphique dirigée par Maïakovski. Autour de ce dernier se regroupent des artistes comme Vladimir Lebedev, Vladimir Koslinsky, Mikhaïl Tcheremnykh, et Alexandre Rodtchenko. Pour la plupart d’obédience futuriste, ils savent s’inspirer de l’imagerie populaire et de la caricature pour réaliser des affiches qui s’adressent directement aux masses illettrées. L’affiche « L’armée et la flotte rouges défendent les frontières de la Russie » de Lebedev demeure le témoignage le plus convaincant de cette expérience.
Victor Deni applique à l’affiche l’esprit satirique dont il fait preuve dans différentes revues. Alexandre Apsit représente la tendance réaliste qui finira par triompher dans l’art soviétique. Mais c’est Dimitri Moor qui se montre l’affichiste le plus efficace en sachant unir l’esprit de persuasion et le pathétique à des formes expressives.
Parmi les œuvres les plus marquantes de cette période, il faut citer: les montages photographiques de El Lissitzky et de Rodtchenko, les affiches pour le théâtre et le cinéma des frères Stenberg, enfin des réalisations qui sont des chefs-d’œuvre dans l’ordre du dessin de la lettre et de la composition: l’affiche pour le film Les Enfants de la Tempête , de Wechsler (1926); celle de Valentina Khodashvich pour L’Invasion de Napoléon, drame national (1931) qui marque la fin de l’esprit pionnier en art.
En Allemagne, après la défaite spartakiste, les réalisations d’un certain nombre d’artistes semblent être un écho douloureux à la révolution soviétique triomphante. Käte Kollwitz, par exemple, exécute une affiche de solidarité au titre significatif: « Helpe Russland » (1924). Les leçons de l’affiche révolutionnaire soviétique seront retenues en Espagne, lors de la guerre civile, par Sola et le Catalan Molina.
L’affiche de consommation
Alors que les groupes humains menés par l’idéologie révolutionnaire font un effort pour compenser l’écart entre le présent et l’avenir « radieux » par une propagande de caractère narcissique, l’Occident est préoccupé par les rapports entre la production et la consommation. L’affiche des années vingt s’emploie à imposer l’objet en tant que tel, à en multiplier l’image pour que la rencontre avec sa représentation soit perçue comme un manque.
À l’orientation du désir vers la dépense qui avait caractérisé les années 1890 jusqu’à la guerre de 1914, succède, au lendemain de cette dernière, une incitation à l’accumulation. Les artistes s’emploient à donner une représentation monumentale, fascinante de l’objet. Le mouvement « art déco », dont l’esprit s’inspire de l’expérience cubiste, permet à des publicitaires comme Cassandre (Charles Mouron) d’élaborer le nouveau langage de l’affiche. Le cubisme n’avait suscité que sarcasmes de la part des tenants de l’académisme et du grand public. Au cours des années vingt, cependant, il triomphe dans les arts appliqués. Tourné vers l’objet, il avait accordé une place importante à la nature morte; mieux, dans le collage, il avait utilisé les produits industriels: journal, carton ondulé, papier peint. Sous l’apparence d’un défi au bon goût, il constituait, pour une bonne part, une tentative de maîtriser les flux naissants de production en leur donnant la valeur de signes. Il n’est pas surprenant que la publicité reconnaisse ces signes et se les approprie.
Futurisme et cubisme ont joué, dans la publicité et la propagande, des rôles contraires. Le futurisme, privilégiant la vitesse, n’assigne au mouvement aucune finalité concrète. Il fournit aux sociétés pauvres, en rupture d’équilibre, les moyens de fabriquer des objets idéologiques, à défaut de produits de consommation. Le cubisme, à l’inverse, domine là où la production draine le dynamisme individuel ou collectif à son profit. Cassandre, Paul Colin, Jean Carlu, Charles Loupot œuvrent dans la même perspective, des années vingt à la fin des années trente. Charles Loupot a porté le signe jusqu’à un degré d’abstraction sans équivalent dans la publicité. Dans ses affiches pour la marque Saint-Raphaël, il part de la représentation réaliste de deux garçons de café portant chacun une bouteille d’apéritif sur un plateau pour aboutir, au terme de simplifications successives, à des silhouettes ressemblant aux pièces d’un jeu d’échecs que les passants ou les passagers des autobus reconnaissent parce que leur mémoire a conservé les différentes phases de réduction de l’objet à son signe.
Parmi les artistes qui ont appliqué à l’affiche les mêmes principes de simplification, il faut citer Milo Martinet et Leo Marfurt, deux artistes suisses installés en Belgique. Le second, en particulier, crée des compositions d’un caractère monumental comme « Chrysler » (1928) et « Remington vitesse » (1929). L’Américain MacKnight Kauffer, qui travaille en Angleterre, fait preuve, dès 1919, d’une grande hardiesse dans des compositions ambitieuses inspirées de la peinture contemporaine.
On citera encore Keimel et Trias en Allemagne, Mengü Ertel en Turquie, Marc Séverin en Belgique, Robert Berény, Stefan Irsai et Michael Biró en Hongrie, Frederic Charles Herrick aux États-Unis, Böggelund au Danemark qui illustrent avec bonheur la tendance « art déco ».
Du Bauhaus à la Nouvelle Objectivité
Prédominance de la typographie
Les œuvres des artistes de la Sécession viennoise laissaient entrevoir des développements contradictoires avec les principes de l’Art nouveau. Une tendance à la rigueur typographique se faisait jour, en particulier chez Fantisek Kysela. Le fonctionnalisme, déjà, minait les fondements du modern style. L’architecte et graphiste belge Henri Van de Velde a joué un rôle charnière entre deux époques. C’est par l’intermédiaire de l’architecte Walter Gropius, qui avait été son protégé avant la déclaration de guerre, que ses conceptions fonctionnalistes trouvent leur aboutissement dans la création du Bauhaus à Weimar, en 1919. Les expériences suprématiste, dadaïste, cubiste font l’objet d’une large confrontation lors d’une rencontre organisée à Weimar même par Van Doesburg, représentant du groupe hollandais De Stijl dominé par Mondrian. Moholy-Nagy, Hans Richter, Kurt Schwitters, Hans Arp, Tristan Tzara et El Lissitzky en sont les protagonistes. À travers l’ensemble des expériences évoquées, la lettre et le mot n’avaient plus été traités, bien souvent, comme des éléments constitutifs d’un sens mais comme des objets concourant avec d’autres à créer un paysage nouveau. La variété des corps et des graisses utilisés leur donnait une dimension spatiale que le simple usage du romain et de l’italique ne pouvait leur conférer. Moholy-Nagy, Herbert Bayer, Joost Schmidt deviennent, à l’intérieur du Bauhaus, les créateurs d’un style graphique commun aux couvertures et pages de titres des livres, aux prospectus et aux affiches, commun à tel point que, une fois reproduites dans un ouvrage, ces différentes réalisations sont difficiles à identifier. Allant à contre-courant des tendances libertaires qui avaient prévalu dans les mouvements d’avant-garde tout en tirant la leçon de la puissance expressive qu’elles avaient aidé à révéler, ces chercheurs lient le maximum de lisibilité possible à une grande économie de moyens. Cet effort se fait, comme pour toutes les autres activités du Bauhaus, dans le cadre omniprésent, voire contraignant, de conceptions architecturales fonctionnelles.
Cette leçon est comprise et mise en application par Jan Tschihold et Fritz Hellmuth Ehmcke, en Allemagne. En Belgique, Josef Peeters, créateur du cercle Moderne Kunst, subit directement l’influence de De Stijl et réalise, à partir de 1920, des affiches dans lesquelles les textes sont articulés selon un rythme qui leur confère une force exceptionnelle.
La tendance à privilégier la typographie s’est longtemps poursuivie jusqu’à notre époque grâce, en particulier, aux artistes suisses de la Nouvelle Objectivité: Kurt Wirth, par ailleurs excellent graphiste, J. Müller-Brockmann, Peter Kränchi, Gérard Miedinger sont les inventeurs d’univers originaux. Cette passion pour la cohérence typographique atteint un sommet à Zurich où le Conseil de la ville a créé un bureau qui veille à ce que toutes les productions imprimées de la ville, du simple récépissé à l’affiche, portent la marque d’une même volonté d’harmonisation.
Le photomontage
Le photomontage constitue l’une des possibilités offertes à l’affiche par le mouvement Dada en particulier. Max Ernst, Raoul Haussmann, Francis Picabia, Georg Grosz, Hannah Höch, John Heartfield s’en servent d’abord comme moyen de provocation à l’égard des conceptions traditionnelles de l’espace pictural et comme manière d’articuler des espaces différents sur une même surface. El Lissitzky et Rodtchenko en U.R.S.S., Georg Grosz, John Heartfield et Moholy-Nagy en font une arme critique d’une redoutable efficacité. Pendant la montée du nazisme, John Heartfield l’utilise pour montrer les connexions que lui, marxiste, décèle entre ce mouvement, les puissances financières et le militarisme. De destructeur qu’il était au départ, le photomontage devient un langage imagé permettant de faire simultanément l’analyse et la synthèse d’une situation. Le photomontage est également utilisé dans un but de promotion touristique par le Suisse Herbert Matter, qui sait en tirer des raccourcis saisissants.
L’affichiste Roman Cieslewicz l’a utilisé pour créer des associations insolites d’une grande intensité poétique (Ils , 1980).
Un certain nombre d’artistes de grand talent ont échappé aux tendances qui caractérisent l’art de l’affiche entre les deux guerres: Cappiello, présent pendant cette période comme il l’avait été de 1900 à 1914, son disciple Jean d’Ylen, Charles Geismar, Charles Kiffer et l’Allemand Juppe Wiertz.
Le conflit idéologique avant et pendant la guerre
L’Allemagne nazie élimine de ses affiches de propagande tout ce qui, de près ou de loin, peut ressembler à une recherche de caractère formel pour se concentrer sur l’essentiel: l’efficacité idéologique. Son théoricien, Erwin Shockel, auteur de Das politische Plakat: eine psychologische Betrachtung , va jusqu’à affirmer que l’Allemagne a perdu la guerre parce que les affiches des Alliés avaient été plus efficaces que les siennes. Mjoelner (Franz Schweizer) et Karl Gold mettent en application les nouveaux principes de la propagande. Le répertoire des attitudes et des accessoires est très limité (héros casqués au regard fixe, drapeaux nazis déployés, armes brandies...). Le dessin, très académique, place ces œuvres bien en dessous des productions des artistes se réclamant de la gauche marxiste. Elles sont comparables, par le style et les moyens mis en œuvre, aux affiches soviétiques d’un Serov, par exemple, où rien ne subsiste des inventions de la période révolutionnaire. Dans un style bucolique, Wiertz exécute des affiches touristiques où l’on chercherait en vain le charme de ses anciennes compositions. Seul Ludwig Hohlwein a encore le droit, compte tenu de sa réputation, de réaliser des œuvres vigoureuses à la gloire du régime (« Sports d’hiver », 1936).
Sous le régime fasciste de Mussolini, Boccasile crée de bonnes images et de bons slogans. Aux États-Unis, Ben Shahn, Leo Lionni, Glen Grove et Sevek se signalent par des affiches puissantes et originales. La production anglaise est dominée par un créateur de tout premier ordre, Abram Games, dont l’invention plastique ne se dément jamais et se confirmera après la guerre.
Il faut ajouter à cet inventaire l’imagerie antisémite très répandue dans les pays d’obédience nazie et qui procède, en partie, des stéréotypes mis au point en France pendant l’affaire Dreyfus.
L’après-guerre
Grâce au plan Marshall, la reconstitution de l’appareil de production se fait rapidement dans les anciens pays occupés. L’emploi, favorisé, crée une masse monétaire disponible pour une consommation accrue. Il faut non seulement répondre aux besoins essentiels mais encore en créer de nouveaux pour justifier la continuité et l’accroissement de la production, d’où la nécessité, pour la publicité, de s’adapter à un rythme très rapide. Si dans la production la quantité est reine, la publicité n’est pas encore entrée dans le règne du mesurable. Les entreprises continuent à faire confiance aux graphistes dont certains, comme Paul Colin, Charles Loupot, Jean Carlu, appartiennent encore à la génération qui créa l’affiche de l’entre-deux-guerres. Le morcellement des produits, leur apparition et leur disparition conditionnent la durée même de l’affiche, qui devient un produit du produit et dont la condamnation est inscrite dès sa conception. C’est donc à un jeu qui confine à l’absurde qu’est assimilable la relation qui existe entre l’affiche et la publicité pendant les années cinquante. L’humour va apparaître un moment comme la solution miracle du conflit entre les valeurs durables auxquelles individus, groupes sociaux et nations continuent à s’identifier et la réalité de l’économie qui repose sur le mouvement de plus en plus accéléré du circuit production-consommation. L’humour graphique connaît, à cette époque, une grande vogue: Steinberg, Ronald Searle, Maurice Henry ont une large audience dans les milieux artistiques et intellectuels. Ce succès ne sera pas sans effet sur la publicité. Raymond Savignac, l’homme de la vache Monsavon, André François, qui transpose directement dans l’affiche son style de dessinateur de presse, Hervé Morvan, inventeur des images les plus réussies de la gaine Scandale et des cigarettes Gitanes sont les chefs de file de l’affiche d’humour. Des séries sur un même thème sont commandées par la Loterie nationale à des dessinateurs de la grande presse comme Maurice Henry et Grove. Herbert Leupin et Celestino Piatti en Suisse; Tom Eckersley, Hans Unger et Abram Games en Angleterre; Olle Eksell et Fritjof Pedersen en Suède; Arne Hungermann, Kristian Moller au Danemark; Eric Bruun et Martti Mykkanen en Finlande; Julian Key en Belgique et Eryk Lipinski en Pologne sont représentatifs de ce courant des années cinquante. Parmi eux, Celestino Piatti se distingue par un sens très aigu de la simplification graphique et se montre un créateur de signes sans égal.
Cette tendance à l’humour ne règne pas sans partage. En Italie, un style directement issu des écoles de publicité ouvertes par des entreprises comme Pirelli et Olivetti se manifeste par des créations où l’invention s’allie à une rigueur qui est comme l’écho lointain des exigences du Bauhaus – style dans lequel excellent Armando Testa, Giovanni Pintori, Max Uber et Franco Grignani.
En France, une tendance à utiliser le signe dans la perspective de l’abstraction lyrique est visible dans les réalisations de Robert Excoffon et surtout de Georges Mathieu, chantre de la « calligraphie occidentale », selon l’expression d’André Malraux, qui, dans une série d’affiches pour Air France, parvient à renouveler l’image touristique d’un certain nombre de pays étrangers.
L’affiche aux États-Unis et en Pologne
Malgré l’enseignement de « publicitaires » venus d’Europe comme Lucien Bernhardt, Moholy-Nagy, directeur du New Bauhaus de Chicago, ou Cassandre, c’est un art spécifiquement américain qui naît pendant les années cinquante. Saül Bass, créateur de génériques pour le cinéma, sait extraire de bonnes affiches de ses animations. Paul Rand réalise des publicités dont certaines s’inspirent des découpages, enfin le Push Pin Studio révèle des artistes qui recréent un art typiquement américain: Milton Glaser, Paul Davis, Seymour Schwast, James Mac Mullan savent unir un sens de l’image « naïve », aux couleurs séduisantes, à une démarche analogique issue du surréalisme. Ce sont surtout des manifestations culturelles qui servent de support à ces productions dans lesquelles Andy Warhol n’hésite pas à reconnaître la préfiguration du pop art. La lutte contre la guerre du Vietnam, qui s’accompagne d’une remise en cause de l’american way of life , de la naissance des thèmes écologiques et de la promotion de la pop music, fournit des sujets au Push Pin Studio, à Peter Max, créateur d’affiches fascinantes qui n’ont parfois pas d’autres raisons d’être que d’agrémenter le parcours des passagers des autobus newyorkais, à Rick Griffin, Wes Wilson et Victor Moscoso, créateurs par ailleurs de bandes dessinées underground, à Carl Lundgren, à l’Australien Martin Sharp, et, en Grande-Bretagne, à Michael English et Nigel Weymouth, qui réalisent des affiches pour les concerts de rock.
Sous l’influence du psychédélisme s’amorce un retour à l’Art nouveau. Quelques artistes semblent même reparcourir les styles qui se sont succédé de 1890 à 1930.
En Pologne, pendant les années soixante, s’épanouit un mouvement dont les initiateurs furent Tadeusz Trepkowsky et Henryk Tomaszewsky, professeur à l’école des Beaux-Arts de Varsovie. Comme les Américains, les Polonais renonçaient au style international pour retrouver dans l’imagerie populaire un élan nouveau. Jan Lenica, Waldemar Zwierzy, Roman Cie ごlewicz, Jan M face="EU Caron" ゥodozeniec, Victor Gorka, Maciej Urbaniec, Bronis face="EU Caron" ゥaw Zelek, Jan Sawka et bien d’autres créèrent un mouvement dont le rôle fut décisif dans les pays de l’Est. Marat Belaiev, Fiodorov Kundyshev, Mark Levine et, surtout, Yefim Zwick en U.R.S.S., Liudmil Tchelarow et Ralitza Stanoeva en Bulgarie, Gunter Schmitz et Kurt Koebestaedt en R.D.A., Zdanek Ziegler et Karel Vaca en Tchécoslovaquie, Kálmán Molnár et György Kemény en Hongrie firent preuve d’une grande invention plastique. L’exceptionnelle homogénéité de ces réalisations tenait à l’organisation très structurée dans laquelle elles s’inséraient. Un office central passait les commandes aux artistes et sélectionnait les œuvres retenues. Ces dernières n’avaient pas de rapport avec les lois du marché; en effet, bien qu’étant censées avoir une fonction informative, elles ne jouaient aucun rôle dans le remplissage des salles de spectacle, par exemple. Dans la mesure où la création s’exerçait à propos d’événements passagers, une grande liberté était laissée aux artistes, plus grande que s’il s’agissait d’activité picturale. L’affiche, dans les pays socialistes, apportait donc un contrepoint plastique aux manifestations culturelles évoquées, une réalisation qui fixait, dans une autre « dimension », une coloration synthétique de l’œuvre théâtrale, cinématographique ou du spectacle de cirque. C’est donc par le subterfuge d’un art sur l’art que les affichistes disposaient d’une liberté d’expression qui fait d’eux les artistes les plus originaux de leurs pays respectifs. La chute des régimes communistes au début des années quatre-vingt-dix a remis en cause ce système de compensation. La recomposition du paysage économique ne permet pas encore de savoir si l’affiche, une fois placée dans le cadre d’une publicité de marché, qui relativisera forcément son rôle, conservera son originalité.
La postéromanie
Les années 1960 sont marquées par le développement du phénomène « poster », semblable, à certains égards, à celui qui marqua la dernière décennie du siècle dernier, avec une différence importante: alors que le collectionneur de la Belle Époque misait sur la rareté des lithographies échappant à l’affichage, les usagers des posters, à cause de leur nombre, constituent un marché important qui justifie une production directe. De plus, ce ne sont plus seulement les affiches destinées aux rues qui intéressent ces utilisateurs mais également les photographies des stars du cinéma et de l’action politique, des paysages, des nudités... Ce mouvement va d’ailleurs de pair avec l’accession de la photographie au statut d’œuvre d’art.
Le phénomène commence, en 1966, avec la mise en vente, à New York, d’un portrait d’Humphrey Bogart. Des reproductions d’œuvres de Beardsley, Lautrec, Mucha suivent, ainsi que des portraits de Che Guevara, Marilyn Monroe, Mae West, Charlie Chaplin... Cette gigantesque poussée d’une nouvelle imagerie populaire correspond à un surprenant mélange de mythes. Elle coïncide avec l’agitation de la jeunesse étudiante dans les pays industrialisés.
Mai 1968
En France, les événements de mai 1968 engendrent la naissance d’une importante production d’affiches – on en compte plus de cinq cents pour une courte période – dirigées contre le capitalisme et le pouvoir politique en place depuis dix ans. Des ateliers de l’école des Beaux-Arts et des Arts décoratifs sortent la plupart des affiches exécutées en sérigraphie. Leur style brutal n’est pas sans rappeler les gravures sur bois des expressionnistes allemands ou les « fenêtres Rosta » de Lebedev, mais leur caractère provocateur a une parenté certaine avec les dessins de Siné publiés dans L’Enragé et Siné-Massacre.
L’affiche et le sentiment national
Depuis l’arrivée du castrisme au pouvoir, Cuba a vu l’éclosion d’un art particulièrement riche en formes et en couleurs. Deux organismes président à la production de ces placards: le C.R.D., Comité pour la défense de la révolution, s’occupe de la production destinée à la consommation intérieure; l’autre, l’O.S.T.P.A.A.L. ou Organisation de solidarité des peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, travaille pour les « pays frères ». Eduardo Bachs, Alfredo Rostgaard, Niko, Felix Beltrán sont les auteurs d’un art varié qui ne sacrifie pas l’esthétique à l’idéologie.
La Chine est, par excellence, le pays de l’affichage (le rôle des dazibao , journaux muraux, est connu). L’affiche y a joué un rôle éminent pendant la révolution culturelle. Contrairement à Cuba, où la recherche permanente de l’innovation est encouragée, les artistes chinois utilisent alternativement un style brutal inspiré des affiches staliniennes pour stimuler la combativité des masses et un style mièvre pour exalter les réalisations et projets du régime. Dans le meilleur des cas, on note des réminiscences de l’art traditionnel.
Les affiches palestiniennes, souvent créées par des artistes du Liban, d’Égypte, de Syrie et d’Irak, jouent un rôle d’autant plus important que les conditions précaires dans lesquelles vivent les réfugiés ne permettent guère l’utilisation de moyens de propagande sophistiqués. Dans le camp adverse, en Israël, affiches civiques et affiches de consommation se disputent les murs.
Le Japon, commencement et actualité de l’affiche
Le cas du Japon est particulièrement intéressant. Indirectement responsable de l’affiche occidentale moderne grâce à l’influence exercée par ses graveurs sur bois, il n’entre que fort tard dans le jeu publicitaire du monde occidental. Au XIXe siècle, théâtre kabuki, lutteurs de sumo, produits de consommation sont exaltés à travers une publicité de caractère traditionnel où l’expressivité des idéogrammes le dispute à celle de l’image. Il faut attendre 1916 pour voir apparaître une affiche photographique dans laquelle un lutteur de sumo symbolise la puissance d’une compagnie maritime. Cette œuvre, d’ailleurs destinée à la consommation extérieure, est signée Machida Ryo. C’est à ce dernier que l’on doit l’occidentalisation de la publicité japonaise pendant les années vingt et trente. Comme ses prédécesseurs européens et américains, Machida utilise l’image attractive de la femme pour vanter bières et vins. Son graphisme, plutôt mièvre, est une sorte de photographie idéalisée. Le style « art déco » apparaît vers la fin des années trente grâce à Tada Hok et Kawamura Unpei. L’aspect le plus original de l’affiche japonaise se révèle à partir des années cinquante avec les graphistes Awazu Kiyoschi, Fukuda Shigeo, Kamekura Yusaku, Nagai Kasumasa, Tanaka Ikko et Yok 拏 Tanadori qui revitalisent la tradition et lui donnent des développements originaux. Ishioka Eiko et Nekamura Makoto proposent à travers la photographie une image très sophistiquée de la femme japonaise.
Les publicitaires japonais, comme ceux de l’ensemble des pays industrialisés, rationalisent la promotion au sein d’agences où, sous la responsabilité d’un directeur, photographes et maquettistes travaillent en équipe.
L’affiche au présent
De toute évidence, l’agence semble avoir gagné la partie dans le domaine des affiches de grande diffusion, d’autant plus que ces dernières ne sont plus qu’un des éléments d’une stratégie publicitaire où la télévision et la radio jouent un rôle décisif. Les images de produits présentés sur des fonds évoquant les loisirs, les sports à la mode, lient la consommation à des thèmes écologiques édulcorés. Aujourd’hui, la part de l’affiche de création apparaît donc restreinte, voire inexistante. Pourtant, on peut, sans difficulté, recenser des affiches de qualité. Leur sortie est liée à des circuits plus courts et plus fins que ceux qui concernent l’affiche de grande diffusion. Souvent, ils réintègrent les éléments qui caractérisaient l’affiche ancienne en recourant, par exemple, à des documents illustratifs. Ils préfèrent créer le choc publicitaire par des décalages de style plutôt que par une adhésion sans réserve à une esthétique « moderne » mais uniforme. Ils élargissent leurs activités aux imprimés de petit format: affichette, livre, dépliant... Ils brisent les barrières entre les genres et opèrent un travail d’intégration de toutes les époques et de tous les styles. La relation qu’entretiennent leurs réalisations avec une œuvre littéraire, un spectacle ou une œuvre d’art, permet de faire sauter le carcan qui les contraignait, dans le flot d’une histoire supposée continue, à être « de leur temps » pour ne pas être « dépassés ». Ils peuvent désormais jouer, dans le temps présent, avec les temps, les modes, les styles. On peut dire qu’ils s’affranchissent de l’affiche moderne telle que l’avaient conçue Chéret et Cassandre et dont l’aboutissement, aujourd’hui, est un produit entièrement conditionné par les études de motivation d’achat.
Paradoxalement, les techniques dont dispose la « grande » affiche permettent à celle-ci d’augmenter son pouvoir de persuasion par un appauvrissement de ses valeurs sémantique et esthétique. En contrôlant étroitement ses moyens pour obtenir des résultats limités au seul domaine de la consommation, elle élimine tout ce qui, du même coup, apparaît comme parasitaire. Or, l’esthétique est parasitaire dans la mesure où elle inclut l’objet et sa représentation en leur donnant une valeur non mesurable. Dans un tel type de message, seuls l’objet et/ou les personnages mis en scène peuvent être dotés d’une séduction, d’ailleurs étroitement liée aux seuls impératifs de la mode. Par contre, les affichistes liés à des circuits marginaux (circuits qui peuvent être composés de populations non négligeables) prennent appui sur l’esthétique, et les signes qu’ils produisent n’ont pas pour objectif de définir l’objet ou l’événement en l’isolant mais de le relier au champ illimité de la création.
affiche [ afiʃ ] n. f. ♦ Feuille imprimée destinée à porter qqch. à la connaissance du public, et placardée sur les murs ou des emplacements réservés. ⇒ annonce, avis, placard, proclamation. Affiches judiciaires (apposées en vertu de jugements), légales (électorales, de recrutement, etc.), publicitaires (illustrées). Mur couvert d'affiches. Colleur d'affiches. — Affiche de théâtre. Tête d'affiche. — Loc. Mettre une pièce à l'affiche, l'annoncer. Spectacle qui reste à l'affiche, qu'on continue de jouer. — L'art de l'affiche. Les affiches de Toulouse-Lautrec, de Chéret. ⇒ 3. poster.
● affiche nom féminin Feuille écrite ou imprimée placardée dans un lieu public et portant une annonce officielle, publicitaire ou propagandiste, à laquelle une image peut être associée : Le mur est couvert d'affiches. Programme d'un spectacle, d'un match, etc., défini par les vedettes, les rencontres qui le constituent : Il y a une belle affiche ce soir à l'Olympia. ● affiche (expressions) nom féminin À l'affiche, au programme d'une salle de spectacle. Tenir, quitter l'affiche, en parlant d'un spectacle, avoir de nombreuses représentations ou cesser d'être représenté. Tête d'affiche, acteur qui figure en tête sur l'affiche annonçant la représentation.
affiche
n. f. Feuille imprimée, comportant un texte ou une représentation graphique, ou les deux, placardée et destinée à informer le public. Affiche publicitaire. Affiche officielle.
I.
⇒AFFICHE1, subst. fém.
A.— Écrit, généralement imprimé, servant à donner à un large public une information de nature officielle ou publicitaire.
1. Au sing. ou au plur. Feuille imprimée, manuscrite ou peinte, plus rarement toile, qu'on applique sur un mur, un panneau, un cadre accessible au public pour l'avertir de quelque chose. Une muraille couverte, tapissée d'affiches (Ac. 1835-1932).
a) L'affiche comme technique de communication de masse :
• 1. Pour résister à la tyrannie des journalistes, Dauriat et Ladvocat, les premiers, inventèrent ces affiches par lesquelles ils captèrent l'attention de Paris, en y déployant des caractères de fantaisie, des coloriages bizarres, des vignettes, et plus tard des lithographies qui firent de l'affiche un poème pour les yeux et souvent une déception pour la bourse des amateurs. Les affiches devinrent si originales qu'un de ces maniaques appelés collectionneurs possède un recueil complet des affiches parisiennes. Ce moyen d'annonce, d'abord restreint aux vitres des boutiques et aux étalages des boulevards, mais plus tard étendu à la France entière, fut abandonné pour l'annonce.
H. DE BALZAC, Les Illusions perdues, 1843, p. 411.
• 2. Des affiches bleues, nouvelles, posées à la porte de l'abbatiale, appelaient les fidèles à la mission, parmi d'autres, qui annonçaient des pèlerinages à prix réduit, à Rome et en Palestine.
J. MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, t. 1, 1933, p. 96.
• 3. Le monde moderne a si bien développé, par la presse et par l'objet, par la publicité et par le mot d'ordre, les stéréotypies et la mécanisation de la vie, qu'il est devenu insensible à ce danger partout installé. L'usine, le bureau, le journal, l'affiche, la radio, le slogan, la chanson, le parti, tous les faits de masse le multiplient à une vitesse accélérée.
E. MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 411.
• 4. Les premiers avis placardés, nés avec l'invention de l'imprimerie, étaient une suite de phrases; ils le restèrent, parfois ornés de vignettes, jusqu'à la première moitié du XIXe siècle. Alors apparurent le dessin ornemental et attractif, puis la couleur. L'éclosion de la véritable affiche, devenue un art optique, date de la fin du siècle, si l'on ne voit en Daumier, Gavarni, Gustave Doré que des précurseurs.
R. HUYGHE, Dialogue avec le visible, 1955, p. 18.
• 5. Il existe plusieurs types d'affiches :l'affiche en papier, imprimée, la toile peinte, l'affiche peinte dans laquelle la publicité est peinte directement sur le panneau ou le mur servant de support.
CHAM. 1969.
— Faire affiche. Se présenter sous la forme d'une affiche, figurer sur une affiche :
• 6. Ce n'était rien que l'ignoble publicité d'une ignoble affaire. Le coq gaulois, le lion britannique, l'aigle allemand, toutes ces bêtes nationales faisaient affiche, comme, en d'autres temps, les emblèmes de tel cognac ou de tel cirage.
J. GUÉHENNO, Journal d'un homme de quarante ans, 1934, pp. 188-189.
Rem. Autres syntagmes : affiche blanche (réservée aux communications des autorités publiques), de couleur; apposer, déchirer une affiche (Ac. t. 1 1932); piquer une affiche :,,noter les fautes qu'elle contient`` (Ac. Compl. 1842); plat comme une affiche :,,se dit d'une personne très maigre, très plate`` (Lar. encyclop.).
b) Domaine de l'action gouvernementale, de l'admin. publ., du dr. Affiches de mobilisation, affiches légales; affiches judiciaires :
• 7. 459. La vente se fera publiquement, en présence du subrogé tuteur, aux enchères qui seront reçues par un membre du tribunal civil, ou par un notaire à ce commis, et à la suite de trois affiches apposées, par trois dimanches consécutifs, aux lieux accoutumés dans le canton. Chacune de ces affiches sera visée et certifiée par le maire des communes où elles auront été apposées.
Code civil, 1804, p. 85.
• 8. L'étude avait pour tout ornement ces grandes affiches jaunes qui annoncent des saisies immobilières, des ventes, des licitations entre majeurs et mineurs, des adjudications définitives ou préparatoires, la gloire des études!
H. DE BALZAC, Le Colonel Chabert, 1832, pp. 13-14.
• 9. La mairie n'était pas loin, il y courut sans chapeau. Les affiches, placées sous un petit grillage, ne pouvaient se lire facilement. Ses yeux, agités comme son cœur, montaient et descendaient, sans s'arrêter sur les lignes imprimées; il ne vit pas la moitié de l'affiche, et par conséquent il ne vit pas l'annonce concernant Henriette.
L.-E.-E. DURANTY, Le Malheur d'Henriette Gérard, 1860, p. 321.
• 10. Les deux sœurs, d'une commune entente, l'avaient choisi pour procéder à la licitation de la maison, des meubles et des bêtes. La vente par voie d'affiches fut fixée au deuxième dimanche du mois : elle se ferait dans son étude, et le cahier des charges portait que l'adjudicataire aurait le droit d'entrer en jouissance le jour même de l'adjudication.
É. ZOLA, La Terre, 1887, p. 388.
• 11. Une affiche administrative était fixée au tableau noir réservé aux annonces officielles des ventes publiques. Une vente était annoncée pour la fin du mois.
B. CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 74.
Rem. 1. Syntagme fréq. dans la lang. admin. : par voie d'affiches (ex. 10). 2. Lar. 19e signale que affiche s'emploie pour affichage ,,en style de palais`` et cite l'ex. suiv. (auj. arch.) :
• 12. Les tribunaux pourront ordonner l'impression et l'affiche de leurs jugements.
Code civil, 1804.
c) Domaine de la propagande pol. Affiches électorales (Ac. t. 1 1932) :
• 13. Une affiche électorale, puis les journaux m'apprennent que le candidat anticlérical de Clignancourt, Le Grandais, celui qui avait fait un discours si insolent et si bête, le 3 septembre dernier, à l'inauguration de la statue du chevalier de La Barre, vient d'être frappé de mort subite,...
L. BLOY, Journal, 1906, p. 300.
• 14. Si les affiches de la propagande nazie et le portrait du Führer s'étalaient à profusion dans ces boutiques germanisées, la marchandise y était rare;...
F. AMBRIÈRE, Les Grandes vacances, 1946, p. 322.
• 15. En somme, la bataille électorale, menée à grand renfort d'affiches, de tracts, d'inscriptions peintes sur les murs, eut pour enjeux le « oui » demandé par De Gaulle et le « non » réclamé par le parti communiste.
Ch. DE GAULLE, Mémoires de guerre, Le Salut, 1959, p. 269.
d) Domaine de la public. Affiche pour la vente d'une propriété, d'une maison (Ac. 1835-1932); affiche publicitaire :
• 16. Pour te placer plus haut dans la société, tu ne veux plus être en nom, tu veux ôter l'enseigne de la reine des roses, et tu vas faire encore tes salamalecs d'affiches et de prospectus qui montreront César Birotteau au coin de toutes les bornes et au-dessus de toutes les planches, aux endroits où l'on bâtit.
H. DE BALZAC, César Birotteau, 1837, pp. 17-18.
• 17. Jeudi 13 octobre. Visite de l'administrateur du Voltaire, m'annonçant qu'il va couvrir Paris d'affiches et le jour de l'apparition du premier feuilleton, faire délivrer dans les rues de Paris, une chromolithographie de La Faustin tirée à cent mille exemplaires. Puis il se lamente que la police défende les hommes-affiches, qui sont un des grands moyens de publicité à Londres...
E. et J. DE GONCOURT, Journal, oct. 1881, p. 129.
• 18. ... M. Gervex. C'est triste à dire, mais cet artiste ne sait même plus peindre. Son Mariage civil pourrait être signé par Santhonax, l'étonnant homme qui peinturlure les bâches-affiches des baraques de foire. Ni dessin, ni couleur, rien; M. Gervex est fini...
J.-K. HUYSMANS, L'Art moderne, 1883, p. 200.
• 19. La grande puissance était surtout la publicité. Mouret en arrivait à dépenser par an trois cent mille francs de catalogues, d'annonces et d'affiches.
É. ZOLA, Au Bonheur des dames, 1883, p. 613.
• 20. Déjà, tout autour de l'illustre demeure, et comme un défi jeté aux boîtes où l'on trouvait des « originales » de Balzac, de Daudet, des grands papiers de Gide, de Barrès, alors pas trop connus, l'affiche-réclame donnait à la capitale cette physionomie qui n'a guère changé.
L.-P. FARGUE, Le Piéton de Paris, 1939, p. 87.
• 21. C'était inimaginable tout ce que cette façade avait pu recevoir de plaques en tôle, grandes et petites, de cartons-affiches, de panneaux. L'effet était bariolé, affolant, mais à Florentine il avait paru agréable.
G. ROY, Bonheur d'occasion, 1945, p. 396.
Rem. 1. Comme le montrent les ex. 17, 18, 20, 21, affiche entre dans un certain nombre de mots composés, où il est tantôt 1er terme (déterminé), tantôt 2e terme (déterminant) : bâche-affiche, carton-affiche, homme-affiche, affiche-réclame. 2. LAND. 1834 note : ,,depuis quelque temps on rencontre dans certaines grandes villes un individu qui se promène dans les endroits les plus fréquentés, ayant sur la poitrine et sur le dos une double large planche, sur laquelle sont collés un ou plusieurs placards; on nomme cet individu : homme-affiche, homme qui porte une affiche``. A été remplacé de nos jours par homme-sandwich.
— En partic., domaine de la public. des spectacles. Affiche de comédie (Ac. 1798-1835); les affiches de spectacle (Ac. 1835-1932) :
• 22. ... quelque chose venait de lui arriver, une de ces choses dont il rêvait confusément quinze ans plus tôt, quand il déchiffrait sur les colonnes Morisse les affiches flamboyantes : on avait joué sa première pièce et des gens la trouvaient bonne.
S. DE BEAUVOIR, Les Mandarins, 1954, p. 363.
— Tête d'affiche. Nom de l'acteur qui est inscrit en tête de l'affiche (en raison de sa notoriété); l'acteur lui-même.
Rem. Syntagmes usuels : disparaître de l'affiche; interdire l'affiche; mettre sur l'affiche; [en parlant d'un spectacle, etc.] quitter l'affiche; retirer de l'affiche; [en parlant d'une pièce de théâtre, d'un spectacle, etc.] tenir l'affiche (pendant x mois).
2. Au plur. a) T. de collège. ,,Solennité anciennement en usage chez les jésuites, dans laquelle les écoliers exposaient dans des cartouches leurs compositions en prose ou en vers au jugement les uns des autres. Affiche, au sing., signifie l'une de ces compositions.`` (BESCH. 1845). b) Petites affiches; affiches publiques. ,,Feuille périodique dans laquelle on annonce les terres, les maisons, les meubles à vendre, les appartements à louer, les effets perdus ou trouvés, etc.`` (Ac. 1835-1932).
B.— Au fig.
1. [Avec parfois un compl. prép. introd. par de pour indiquer l'obj. de l'action] Action de faire parade (d'une attitude le plus souvent morale); parade :
• 23. Richelieu certes s'y employa avec grandeur. Port-Royal, de son côté, sans affiche, sans ambition, reprit pour sa part cette œuvre de François Ier et de Ramus, et, à la veille de la majorité de Louis XIV, prépara des hommes à cette langue française tout à l'heure souveraine.
Ch.-A. SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. 3, 1848, p. 451.
• 24. Derrière la fausse honte des illusions, du dévouement, de toutes les piétés sociales, derrière nos affiches de scepticisme, nos paradoxes féroces, nos thèmes sans entrailles, il y a tout ce dont nous ne parlons jamais, des mères soutenues, des sœurs aidées par la copie de nos nuits, une famille où vont mystérieusement nos charités filiales...
E. et J. DE GONCOURT, Charles Demailly, 1860, p. 171.
— Faire affiche de qqc. (cf. supra A 1 a) :
• 25. Ils se disaient idéologues ou spiritualistes : il était fatal qu'une partie de leurs héritiers, quand ils eurent découvert à ce bel esprit un sous-sol de passions et de forces sociales, aient éprouvé un plaisir un peu bruyant à faire affiche de matérialisme.
E. MOUNIER, Traité du caractère, 1946, p. 72.
2. Fam. Signalement public, enseigne (cf. supra A 1 d, rem. homme-affiche) :
• 26. Ce diable d'homme vous fâche avec tout le monde. Quand on est de sa bande, on a une affiche dans le dos.
É. ZOLA, Son Excellence Eugène Rougon, 1876, p. 52.
3. P. méton., arg., péj. :
• 27. Quant au tzar des Bulgares, c'est une pure coquine, une vraie affiche, mais très intelligent, un homme remarquable.
M. PROUST, À la recherche du temps perdu, Le Temps retrouvé, 1922, p. 787.
Rem. Affiche est dans ce sens, voisin de affectation, dont il se distingue cependant en ce que ce qu'on affiche est authentique.
Stylistique — En raison de son emploi publicitaire ou électoral intéressé, affiche prend fréquemment, à l'époque mod., une valeur péj. (ex. 6, 25, 26, etc.).
II.
⇒AFFICHE2, subst. fém.
CORDONN. Produit de l'action d'afficher (un cuir), rognure de cuir mis sur la forme (cf. afficher2).
Rem. Attesté ds RAYM. 1832 (d'apr. FEW t. 3, p. 506, s.v. figicare), BESCH. 1845.
III.
⇒AFFICHE3, subst. fém.
Vx. Objet pointu, destiné à être piqué dans ou sur quelque chose.
A.— BIJOUT., ORFÈVR. Menu objet en métal pour la parure féminine (agrafe, broche, boucle, épingle, fibule, pendeloque), qui se fixait au corsage, au cou, dans les cheveux.
B.— PÊCHE
— Petite tige dont on se sert pour fixer le verveux sous l'eau. Synon. fiche.
— ,,Perche de 2 à 3 mètres de long, munie d'une pointe de fer, que les pêcheurs enfoncent dans le sable ou la vase pour arrêter leur bateau quand ils veulent tendre le verveux.`` (Nouv. Lar. ill.).
Rem. DG dit encore pour B : ,,spécialt. De nos jours``. Ce sens a disparu des dict. Lar. depuis le Nouv. Lar. ill.
Prononc. ET ORTH. :[]. — Rem. FÉR. Crit. t. 1 1787 propose la graph. afiche avec un seul f. Enq. ://.
Étymol. ET HIST. — 1. Ca 1200 « épingle, fibule servant à attacher une partie de vêtement » (Escoufle, éd. Michelant et P. Meyer, 3835 ds T.-L. : Puis la [l'aumosniere] ratache a une afiche Quarree a pierres, bele et riche Dont ele ot son col afichié). — 1527, SEYSSEL ds HUG., forme affique (affiquet); repris au XIXe s. : 1834 (BOISTE : Affiche [...] t. d'épingl., broche); 1374-1377 « piquet de bois » (Modus et Racio, f° 80 v° ds GDF. : Six affiches qui sont fichees au costé de la chambre entre l'escorce et le boys). — 1583, GAUCHET ds HUG.; semble repris au XVIIIe s. : 1771 pêche (Trév. : Affiche [...] l'affiche est une forte pointe de fer d'environ 2 pieds de longueur, emmanchée d'une perche... On s'en sert pour arrêter le bateau en la fichant et enfonçant profondément dans le sable); 2. 1427 « annonce au public, écrite ou impr. sur papier » (Ducs de Bourg., II, 4923 ds GDF. Compl. : Pour affiches et enseignes dud. lieu de Nostre Dame de Hal, pour distribuer aux gens de l'ostel de M. d. S. 20 s.); 1716, 20 févr. « feuille périodique où sont publiés des avis de vente, informations, publicités », date du 1er numéro du périodique Affiches de Paris, des provinces et des pays étrangers ds HATIN, Bbg. de la Presse périodique fr., 1866, p. 18.
1 déverbal de afficher1 « planter, ficher »; 2 dér. de 1.
STAT. — Fréq. abs. litt. :972. Fréq. rel. litt. :XIXe s. : a) 827, b) 1 889; XXe s. : a) 1 837, b) 1 310.
BBG. — BAILLY (R.) 1969 [1946]. — BAR 1960. — Baudr. Pêches 1827. — BÉL. 1957. — BÉNAC 1956. — BLANCHE 1857. — BOUILLET 1859. — BRUANT 1901. — CAP. 1936. — CHABAT t. 1 1875. — CHAM. 1969. — Comm. t. 1 1837. — DAIRE 1759. — DUP. 1961. — DUPIN-LAB. 1846. — Éd. 1913. — ESN. 1965. — FÉR. 1768. — GAY t. 1 1967 [1887]. — GITEAU 1970. — LABORDE 1872. — LACR. 1963. — Lar. comm. 1930. — LAVEDAN 1964. — LE BRETON 1960. — LELOIR 1961. — MARCEL 1938. — PRÉV. 1755. — RÉAU-ROND. 1951. — RÉAU-ROND. Suppl. 1962. — ROCHE 1968. — SILL. 1965. — ST-EDME t. 1 1824.
1. affiche [afiʃ] n. f.
ÉTYM. 1427, « annonce au public écrite »; 1716, « feuille périodique d'avis »; les contextes modernes se développent après 1830; de 1. afficher.
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1 Feuille écrite ou imprimée que l'on applique contre un mur, un panneau…, pour annoncer qqch. au public. ⇒ Annonce, avis, placard, proclamation. || La publicité par affiches. || Une affiche publicitaire. || Les affiches blanches de la mobilisation. || Les affiches de la propagande politique, électorale. || Affiches judiciaires (apposées en vertu de jugements), légales (électorales, de recrutement, etc.), publicitaires (illustrées). || L'affiche d'un spectacle, d'un film. || Collection d'affiches (⇒ 3. Poster [anglic.]). — Vx. || Affiche-réclame. || La vente a été annoncée par voie d'affiches. — Apposer, coller, placarder une affiche. || Couvrir les murs d'affiches. || Colleur, poseur d'affiches. || L'échelle, le pinceau à long manche, la colle du poseur d'affiches. || Les affiches des colonnes Morris, à Paris. || Un panneau couvert, tapissé d'affiches. — Spécialt. Affiche publicitaire. || Les affiches du métro. || Une campagne par affiches. ⇒ Affichage.
1 L'affiche bariolée se reproduit à plusieurs dizaines d'exemplaires, collés côte à côte tout au long du couloir de correspondance.
A. Robbe-Grillet, Projet pour une révolution à New York, p. 28-29.
2 Une affiche administrative était fixée au tableau noir réservé aux annonces officielles des ventes publiques. Une vente était annoncée pour la fin du mois.
B. Cendrars, Bourlinguer, p. 74.
3 (…) à chaque interstice libre entre deux rues, sur chaque façade, sur les tréteaux autour des marchés de poissons (…) l'alphabet de la nouvelle race, les affiches. Affiches pour les aliments, tous pourvus de noms chimiques, comme si l'Allemand ne connaissait plus la nourriture animale et végétale (…) Affiches pour la beauté, aussi fréquentes et plus larges que la publicité chez nous des sardines Amieux, et presque toutes consacrées entre Freysing et Munich à l'embellissement du nez (…)
Giraudoux, Siegfried et le Limousin, p. 76.
♦ Vx. || Homme-affiche. ⇒ Homme-affiche, homme-sandwich.
♦ Spécialt. Annonce affichée d'un spectacle; son contenu : liste des acteurs, des auteurs, etc. || Une très belle affiche. ⇒ aussi Distribution. ☑ Tête d'affiche : nom de l'acteur inscrit en tête d'affiche. || Une tête d'affiche : l'acteur lui-même. ⇒ Vedette. — Par ext. Le fait d'être joué. || La pièce est restée six mois à l'affiche. || Retirer une pièce de l'affiche. ☑ Tenir l'affiche : avoir de nombreuses représentations.
♦ Par ext. (Collectif). L'art graphique de l'affiche (→ Affichiste, cit.). || Salon de l'affiche. || Les maîtres de l'affiche. ⇒ Affichiste. — Le support publicitaire que constitue l'affichage. || Préférer l'affiche à la radio, à la presse.
2 Fig. (vx). Action de faire parade, de manifester publiquement son opinion. ⇒ Affectation, ostentation. || Il poursuivait ses travaux, sans affiche. — ☑ Loc. Faire affiche de ses opinions, les manifester.
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II Argot (déverbal de s'afficher ou métaphore du sens I.). Personne qui affiche sa nature (cf. Proust, le Temps retrouvé, Pl., p. 787, in Cellard et Rey, à propos d'un homosexuel affiché).
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DÉR. et COMP. Affichette, affichiste. Homme-affiche, porte-affiche.
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2. affiche [afiʃ] n. f.
ÉTYM. V. 1200, « épingle »; mil. XIVe, « piquet de bois »; de afficher, au sens ancien de « ficher » (→ 2. Afficher).
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Encyclopédie Universelle. 2012.