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TRADITIONALISME
TRADITIONALISME

TRADITIONALISME

Éviter toute rupture avec la tradition, parce qu’elle est le siège de la vérité, préserver les anciennes formes et valeurs politiques, religieuses, morales, parce qu’elles sont l’expression spontanée des vrais besoins d’une société, telle est l’essence du traditionalisme. Il a, certes, existé dans l’histoire autant de traditionalismes que de traditions. Mais la tradition en tant que telle peut être rattachée à la coutume, référence dans la mutualité médiévale à toute action et à tout jugement, et qui postulait qu’était bon ce qui venait des parents, ce qui avait toujours été fait. La renaissance du droit romain au XIIIe siècle devait peu à peu substituer le droit écrit au droit coutumier, la raison à l’expérience, l’abstrait au concret. Du choix du passé dépend le caractère conservateur ou, au sens propre du terme, réactionnaire du programme. En tant que référence à une histoire, la pensée traditionaliste de chaque pays présente de nécessaires singularités: le traditionalisme anglo-saxon, par exemple, est, en raison du caractère «conservateur» de ses révolutions, différent à bien des égards des systèmes réactionnaires français. En France même, depuis l’école théocratique de la Restauration, le traditionalisme n’est pas davantage que les autres familles d’esprit demeuré à l’abri des évolutions. En dépit de ces diversités, pourtant, il existe un fonds commun d’idées, de goûts et de sentiments qui donne à la doctrine une homogénéité certaine.

À toute époque, surtout dans les périodes de troubles et de bouleversements, des hommes ont proclamé leur fidélité aux traditions et leur scepticisme devant la légitimité et l’efficacité des innovations. Mais, pour que le traditionalisme devienne conscient, pour qu’il atteigne la cohérence d’une doctrine, il a fallu les profondes remises en question opérées par la philosophie des Lumières et la rupture délibérée avec le passé voulue par les hommes de 1789. Comme système, le traditionalisme date de la Révolution et son premier monument est sans doute l’ouvrage d’Edmund Burke, Réflexions sur la Révolution en France (Reflections on the Revolution in France , 1790). D’avoir été à l’origine une contre-attaque, le traditionalisme a conservé un style: celui de la contradiction — contradiction de l’individualisme libéral, des prétendus impératifs d’une raison universelle, des abstractions illusoires sur lesquelles repose la démocratie. Contre-révolutionnaire, antidémocratique, telle demeurera la doctrine.

Aux dogmes des autres écoles, libérale et socialiste, les tenants de la tradition opposent leur propre credo. C’est essentiellement la foi en l’existence d’une intention divine, responsable d’un ordre naturel, d’un cours naturel des choses, et qu’il est illégitime et malfaisant de vouloir bouleverser. Cet ordre naturel n’est pas la mécanique des libéraux; c’est l’expérience elle-même. À la politique de l’idée les traditionalistes opposent la «politique naturelle», qui est la «politique du fait», le respect des diversités, de leurs mystères, bref de l’histoire. Organicisme, positivisme, relativisme, historicisme: telle est leur pensée. Une philosophie sociale et politique découle de cette révérence pour les enseignements de la nature et les leçons de l’histoire. Adversaire de l’égalité arithmétique et de l’émiettement auxquels conduit le libéralisme, méfiante envers l’État (instrument de tous les despotismes), elle construit un système où règne un «ordre» avec ses contraintes salutaires, où l’individu est subordonné au corps social, où des associations, naturelles comme la famille, locales comme la commune (dans la mesure où elle est décentralisée) ou la province, professionnelles comme la corporation, consacrent et sauvegardent les dépendances et les solidarités de nature. Une société chrétienne a été longtemps l’idéal des traditionalistes, qui ont souvent trouvé dans l’Église un soutien efficace. Il est toujours demeuré celui d’une société rurale, où se trouvent exaltées les vertus traditionnelles à côté des qualités viriles: amour du sol, attachement à la terre, goût du travail bien fait, toutes les fidélités. Refusant l’adaptation aux changements rapides, le traditionalisme a pu être, sinon exclusivement, du moins plus particulièrement, la philosophie de groupes sociaux laissés en marge de la société politique moderne.

Caractéristique d’une famille d’esprit de la droite française située à l’extrémité de l’échiquier politique, la doctrine s’est enrichie, au fil de l’histoire, d’éléments nouveaux. À l’état pur, c’est le système de pensée que l’ultracisme sous la Restauration emprunte à Joseph de Maistre ou au vicomte de Bonald. C’est ultérieurement encore celui du parti de la fidélité à une dynastie et à un type de société que fut le légitimisme. L’émotion que suscitent les misères populaires donne au traditionalisme des catholiques sociaux (A. de Villeneuve-Bargemont, A. de Melun, La Tour du Pin, Albert de Mun) une nouvelle dimension. Il devient dans le système positiviste d’Auguste Comte l’un des éléments d’une vaste synthèse; et le traditionalisme de Taine ou de Renan n’est plus à l’image de celui du début du siècle. Sa survie au XXe siècle tient sans doute à la nouvelle vigueur que lui insuffla le nationalisme de Barrès, de Maurras, de l’Action française. Il a offert au régime de Vichy sa conception de la révolution nationale, nouveau nom donné à la vieille doctrine de la contre-révolution, et sa devise: travail, famille, patrie. À la fois tendance politique et doctrine, le traditionalisme demeure l’une des données caractéristiques de la fraction restée intransigeante de l’Église et d’une partie des cadres de l’armée.

traditionalisme [ tradisjɔnalism ] n. m.
• 1851; de traditionaliste
1Théol. Doctrine d'après laquelle l'homme ne peut rien connaître que par une révélation primitive et par la tradition de l'Église. Le traditionalisme de Bonald.
(v. 1975) Doctrine religieuse extrémiste prônant un retour aux traditions catholiques (liturgie, langue latine, vêtements religieux, etc.). intégrisme.
2Philos. Doctrine d'après laquelle il faut conserver les formes politiques et religieuses traditionnelles comme l'expression naturelle des besoins d'une société, même si la raison ne peut les justifier.
3Cour. Attachement aux notions et aux techniques traditionnelles. conformisme, conservatisme.

traditionalisme nom masculin Système de croyances fondé sur la tradition. Attachement aux coutumes et aux croyances transmises par la tradition. Doctrine catholique du XIXe s., considérant que les connaissances d'ordre métaphysique et religieux ne sont pas accessibles à la raison. ● traditionalisme (difficultés) nom masculin Orthographe Avec un seul n, de même que traditionaliste (comme nationalisme, nationaliste), alors qu'on écrit traditionnel, elle.

traditionalisme
n. m. Attachement aux notions et valeurs transmises par la tradition.

⇒TRADITIONALISME, subst. masc.
A. — Attachement aux valeurs, aux croyances du passé transmises par la tradition. Synon. conformisme, conservatisme. Ce traditionalisme paysan un peu buté (...) s'obstine à confondre l'intelligence et l'anarchie, la machine et la laideur, Paris et Babylone et la conscience ouvrière avec l'apocalypse (MOUNIER, Traité caract., 1946, p. 86).
B. — 1. PHILOS. ,,Doctrine d'après laquelle on doit conserver les formes politiques et religieuses traditionnelles, lors même qu'on ne saurait les justifier intellectuellement, parce qu'on les considère comme l'expression légitime et la révélation spontanée des vrais besoins d'une société, la libre critique qu'en fait la raison étant nécessairement superficielle, inadéquate et, par suite, malfaisante`` (LAL. 1968). Dans sa juste opposition au traditionalisme, Sartre en vient à méconnaître le rôle irremplaçable de la tradition (LACROIX, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 114).
2. THÉOL. CATH. Doctrine développée au XIXe s. par des philosophes ou des théologiens catholiques et réprouvée par le concile de Vatican I (1870) (d'apr. GDEL). Le traditionalisme est la doctrine d'après laquelle une révélation primitive fut absolument nécessaire au genre humain, non seulement pour acquérir la connaissance des vérités de l'ordre surnaturel, mais bien pour acquérir la connaissance des vérités suprasensibles, c'est-à-dire des vérités fondamentales de l'ordre métaphysique, moral et religieux (...). Cette révélation nous est parvenue par la tradition, l'enseignement oral et social, d'une génération à l'autre: d'où le nom de traditionalisme (Théol. cath. t. 4, 1 1920, p. 806).
Traditionalisme absolu ou rigide; traditionalisme mitigé. À côté de ce traditionalisme absolu, il y a un traditionalisme mitigé qui tout en maintenant la prééminence de la tradition de l'enseignement fait la part plus grande à la raison (GUÉRIN Suppl. 1895). Ces amendements offraient une issue au traditionalisme mitigé et extirpaient moins radicalement le traditionalisme rigide (Théol. cath. t. 4, 1 1920, p. 828).
REM. Néo-traditionalisme, subst. masc., arts. [Corresp. à supra A] Si Maurice Denis sombre dans le néo-traditionalisme, si Vallotton s'éteint et Maillol se tourne vers la sculpture, Bonnard et Vuillard ne cesseront de se développer (L'Express, 8 août 1977, p. 24, col. 2).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. 1935. Étymol. et Hist. 1. 1850 théol. cath. (M. A. CHASTEL, Les Rationalistes et les traditionalistes, Paris, J. Leroux et Jouby, 1850, p. 4: Si le rationalisme est ouvertement hostile, souvent perfide et impie, le traditionalisme est maladroit et dangereux, il engage outre mesure l'honneur et les intérêts de la cause catholique); 2. 1859 « attachement aux traditions, aux anciens usages » (M. NICOLAS, Le Parsisme ds R. germ., t. 8, p. 682); 3. 1876 « système de croyances fondé sur la tradition » (Lar. 19e). Dér. sav. de traditionnel; suff. -isme. Fréq. abs. littér.:21. Bbg. ROCHE (A.V.). Le Mot traditionalisme. Mod. Lang. Notes. 1937, t. 52, pp. 167-171.

traditionalisme [tʀadisjɔnalism] n. m.
ÉTYM. 1851, au sens 3; de traditionnel.
1 (1872, Littré). Théol. Doctrine d'après laquelle l'homme ne peut rien connaître que par une révélation primitive et par la tradition de l'Église, la raison individuelle n'étant qu'une source d'erreurs. || Le traditionalisme de Bonald.
2 Philos. Doctrine d'après laquelle il faut conserver les formes politiques et religieuses traditionnelles comme l'expression naturelle des besoins d'une société, même si la raison ne peut les justifier et quand bien même elle serait portée à les rejeter.
3 Attachement aux notions et aux coutumes traditionnelles. Conformisme, routine. || Le traditionalisme moral, idéologique, culturel, technique.
0 (…) le véritable traditionalisme reçoit de l'histoire des leçons essentiellement spirituelles, et non formelles. La meilleure façon d'être fidèle à une tradition, c'est de trouver le point où elle pourrait s'insérer dans les conditions actuelles du monde et continuer à être vivante.
Daniel-Rops, Ce qui meurt…, I.
CONTR. Modernisme.

Encyclopédie Universelle. 2012.