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TEMPO
TEMPO

Le tempo, souvent désigné aussi par le terme de mouvement, joue un rôle essentiel dans la conception d’une œuvre musicale et dans son exécution: il fixe la durée absolue de l’unité de temps; il ne modifie pas les rapports de valeur établis par le rythme; mais selon qu’elle est exécutée rapidement ou lentement, une figure rythmique change entièrement de caractère, et son existence dans le temps prend un aspect et possède un impact totalement différents.

Le tempo peut être constant à l’intérieur d’une même pièce, l’unité de temps gardant la même durée; ce cadre temporel, abstrait, extérieur à l’œuvre, l’enferme-t-il dans un déroulement rigide? Ce n’est pas toujours le cas, car, en fait, malgré l’égalité de l’unité de temps, un changement radical des valeurs peut donner l’impression d’un changement de tempo, ralenti si les valeurs sont plus longues, accéléré si elles sont plus courtes. Un tel changement n’est pas progressif et continu, mais immédiat, et de proportions arithmétiques, les valeurs nouvelles étant des multiples ou sous-multiples de l’unité.

Le tempo peut aussi varier à l’intérieur d’une même pièce de musique; d’une façon subite si la durée de l’unité de temps change sans la préparation d’un accelerando ou d’un ritenuto, qui sont variations progressives. La reprise soudaine du tempo primitif plus lent à la fin d’un accelerando est aussi un changement brusque, de même que la reprise soudaine d’un tempo primitif plus rapide après un ritenuto. La variation est continue et progressive si un accelerando aboutit à un mouvement plus rapide que le tempo primitif ou termine une œuvre, si un ritenuto aboutit à un mouvement plus lent que le tempo primitif ou termine une œuvre, et si un accelerando succède à un ritenuto, ou le contraire, ces deux derniers cas amenant un retour progressif au tempo primitif.

Le tempo peut n’être pas absolument rigide: si le compositeur indique rubato ou tempo rubato , l’interprète a la liberté alors de donner au mouvement musical de minuscules fluctuations, diminuant très légèrement certaines valeurs, en allongeant d’autres, ce qui produit d’imperceptibles accelerando et ritenuto accentuant l’expression de la phrase mélodique.

Enfin le tempo peut n’être pas fixé par le compositeur: l’indication cadenza laisse à l’interprète une liberté de tempo, survivance des anciennes cadences improvisées. Dans les musiques en temps libre, qui ne comportent pas d’unité de temps à durée fixée, le tempo est déterminé librement par l’exécutant.

Évolution du tempo dans la musique européenne

Dans la musique proportionnelle, il n’y avait pas d’indication de tempo, mais une tradition fixant la valeur des différentes espèces de notes (integer valor ). Du XIIIe au XVIe siècle, cette valeur a considérablement varié, ce qui complique fort la détermination du juste tempo dans les transcriptions d’œuvres écrites en notation proportionnelle. Une modification effective du mouvement ne pouvait donc se réaliser que par un changement des valeurs, et comportait des proportions arithmétiques. Un exemple de cette méthode se trouve dans le psaume Beati omnes qui timent Dominum de Michael Praetorius (1571-1621), en mesures binaires et ternaires, ces dernières comprenant des sections en rondes et blanches, et d’autres en noires, croches et doubles croches.

Les termes désignant traditionnellement le tempo viennent d’Italie. La notion de tempo est alors fortement liée à celle de caractère expressif. Allegro , «gai, allègre», est indication de caractère avant de devenir indication de tempo signifiant «vif», et désignant le mouvement rapide. Adagio , signifiant initialement «à l’aise», qualifie généralement le mouvement lent et expressif d’un morceau, et prendra la signification de «lent», comme andante , «allant», deviendra «modéré». Les changements de tempo ne sont plus seulement arithmétiques, mais deviennent libres, et c’est souvent le caractère expressif qui détermine le mouvement. Nicola Vicentino écrit en 1555 qu’il désire pour le chant une mobilité du tempo afin de mettre en évidence les passions exprimées par les mots et l’harmonie. Dans les Madrigali guerriere , pour Non havea Febo ancora , Monteverdi indique: al tempo della mano , c’est-à-dire «au mouvement mesuré battu par la main», tandis que pour le Lamento della Ninfa , il précise: a tempo del’affetto del’animo e non a quello della mano , soumettant ainsi directement le mouvement musical à celui des émotions de l’âme.

Cette liberté du mouvement lié à l’expression, alors typiquement italienne et en rapport avec les recherches dramatiques de l’opéra, gagne la musique instrumentale, en particulier avec Frescobaldi. Elle donne naissance au rubato, qui correspond à la souplesse d’exécution de la partie chantée, contrastant avec un déroulement rigoureux de l’accompagnement. Tous les grands chanteurs italiens le pratiquent; Mozart, qui vient en Italie en 1770, à quatorze ans, l’emploiera dans ses opéras. Le rubato sera aussi utilisé en musique instrumentale, particulièrement au XIXe siècle (Chopin, Liszt), plus rarement au XXe siècle (Debussy). Aucune règle précise ne régit le rubato, à part un minimum de rigueur dans la marche de l’accompagnement; il est donc soumis au vouloir de l’interprète et tributaire de sa qualité et de son sens musical.

Dans la musique instrumentale, à l’époque baroque, la mobilité des tempi n’est pas généralisée; la stabilité du mouvement est souvent liée aux rythmes de la danse: passacaille, menuet, allemande, gavotte, toutes celles qui composent la suite.

Chez J.-S. Bach, à la recherche de formes claires d’une construction logique, à la sobriété de l’expression correspondent des tempi stables, à l’opposé de la tradition italienne. Les changements de tempo sont liés à des changements de section dans une pièce, et subits, non progressifs. Le ritenuto dans les cadences finales, si souvent pratiqué par les interprètes à partir du XIXe siècle, n’est pas dans l’esprit architectural précis de J.-S. Bach.

La rapidité dans les mouvements vifs était aussi fonction de la technique instrumentale: lors de son voyage en Italie, Mozart s’étonne des tempi lents pris par les interprètes italiens pour les danses; sa technique exceptionnelle lui permettait de prendre des presti plus rapides. Si dans ses opéras Mozart emploie le rubato et les variations progressives de tempo, sa musique instrumentale est fréquemment de mouvement assez stable: dans les sonates pour piano, il n’y a pas d’accelerando, le ritenuto et le calando sont rares et ne correspondent pas à des changements de mouvement mais à des nuances discrètes d’interprétation.

En 1816, le métronome de Maelzel est breveté; cet instrument, encore employé actuellement, permet enfin de noter avec précision les tempi; il produit de quarante à deux cent huit battements à la minute; aux expressions traditionnelles on va pouvoir adjoindre une correspondance en nombre d’unités à la minute: grave = 40 à la minute; andante = 60; prestissimo = 208.

Beethoven, qui se soucie fort du mouvement juste pour ses œuvres, publie dès 1817 des recueils de «fixation du tempo en indications métronomiques». Mais il se déclarera plus tard déçu du résultat. Cependant, l’emploi des mouvements métronomiques va se généraliser.

Au XIXe siècle, Chopin, dans son œuvre pianistique, emploie les indications traditionnelles italiennes, avec ou sans mouvement métronomique et indication de caractère. Les variations de tempo, subites ou progressives, sont notées avec précision, et les indications de rubato soigneusement localisées.

Schumann note les mouvements métronomiques, rarement isolés, le plus souvent accompagnés d’indications en allemand portant sur le mouvement, et éventuellement sur le caractère expressif de la pièce, comme pour la Fantaisie op. 17: «Exécuter d’une manière tout à fait fantaisiste et passionnée. = 80.» L’accelerando est très rarement employé; par contre le ritardando est fréquent, et aboutit soit à un retour au tempo primo, soit à un adagio, ce qui se produit à la fin de plusieurs pièces rapides. L’alternance contrastée d’un mouvement rapide, animé, et d’un mouvement lent amené par un ritardando est caractéristique de la Fantaisie op. 17 pour piano. On la retrouve dans Fabel (in Phantasiestücke ), où un thème lent, = 40, en blanches, noires et croches, précède, coupe subitement d’une pause expressive et conclut la course rapide d’un thème en doubles croches, = 108. Les variations de tempo, ainsi que les alternances de mouvements rapides et lents dans une même pièce, sont employés à des fins expressives et renforcent la dualité de caractère si frappante dans la musique de Schumann, dualité d’une expression tantôt joyeuse, légère, animée, tantôt mélancolique, voire tragique.

Au XIXe siècle, certains musiciens notent en secondes et minutes la durée d’exécution de leurs œuvres; ce qui ajoute une précision supplémentaire aux indications de tempo.

Trois conceptions du temps musical: Debussy, Stravinski, Boulez

Le deuxième livre des Préludes pour piano de Debussy contient douze préludes. L’indication de tempo du début ne comporte que pour une seule de ces pièces le mouvement métronomique, accompagné d’une indication de caractère: «calme, doucement expressif. = 66» (Bruyères ). Les autres indications de début, toujours en français, portent: 1o seulement sur le tempo, exemple: «lent» (Canope ); 2o sur le tempo et le caractère expressif, exemple: «mouvement de Habanera, avec de brusques oppositions d’extrême violence et de passionnée douceur» (La Puerta del Vino ).

Les variations progressives du tempo et les changements de mouvement sont très fréquents, et les termes employés pour les indiquer divers. On trouve l’indication rubato , ainsi que celle de quasi una cadenza , qui implique une très grande liberté de tempo. Dans le prélude 4, Les fées sont d’exquises danseuses , sur huit pages, on compte dix-huit indications de variation du tempo comportant deux rubato , un «sans rigueur», quatre «cédez», deux «en retenant», un «serrez», un «retenu» et sept «retour au mouvement», soit tous les types de variations du tempo.

Les nombreuses modifications de tempo, tant progressives que subites, ainsi que les fluctuations imperceptibles du rubato contribuent à donner à la musique des préludes cette souplesse mouvante qui en est si caractéristique.

Dans les Noces d’Igor Stravinski, pour solistes, chœurs, quatre pianos et percussion, on ne trouve pas une seule variation progressive du tempo, ni ritenuto ni accelerando, les changements de mouvement sont toujours soudains, et liés aux structures thématiques, rythmiques ou harmoniques.

Ier tableau, unité: la croche. Trois tempi se succèdent: = 80, = 160, double du premier tempo, et = 80, soit = 240, triple du premier tempo. Les mesures alternent le binaire et le ternaire. Au premier tempo correspond l’exposé d’un motif. Au deuxième tempo, celui d’une variante de ce motif, accompagnée d’un continuo de doubles croches qui accentue l’impression de rapidité, puis l’exposé d’une version amplifiée du deuxième motif. Au troisième tempo, deuxième motif, de trois notes, avec deux variantes par élargissement mélodique. La note centrale des trois motifs et de leurs variantes est un mi . La suite de ce premier tableau est construite sur les combinaisons des trois tempi et des deux motifs avec leurs variantes, plus l’introduction d’un troisième motif.

Le deuxième tableau débute au tempo = 120 (= 240). La relation par multiples des tempi est momentanément abandonnée (= 104 et = 112), puis reprise. La partie centrale de ce tableau comporte une alternance serrée (toutes les deux ou trois mesures), de = 160 et = 240, notée sous la forme suivante: = 80, = più mosso , puis = tempo primo. Le tableau se termine en tempo primo = 120, tempo conservé pour tout le troisième tableau, qui ne comprend aucun changement, et pour le quatrième tableau, à l’exception de sept mesures poco meno mosso , et un temps (voix en parlando) noté poco rubato .

De même que dans les mesures alternent binaire et ternaire, dans les tempi il y a multiples par deux et par trois du tempo primo: = 80, = 160, = 80 (= 240). Les troisième et quatrième tableaux contrastent, par la fixité du mouvement, avec les deux premiers, découpés en plans de temps auxquels correspondent plans rythmiques, mélodiques et harmoniques. La force précise, quasi géométrique, de ce découpage régulier, le hiératisme de la fixité diffèrent totalement des variations nombreuses et diverses, subites ou progressives, du mouvement chez Debussy. Les Préludes et les Noces présentent deux conceptions opposées du temps musical.

Le «Formant 2» de la Troisième Sonate pour piano de Pierre Boulez se compose de cinq sections, dont trois comportent des structures facultatives, de tempo libre, alternant avec des structures obligatoires à exécuter dans le mouvement spécifié. Les tempi métronomiques, notés au début de chaque section, vont de = 40 à = 58/60, et restent donc dans la gamme des tempi lents avec très peu d’écart entre les extrêmes. Ce cadre général lent et assez neutre permet la grande complexité des rythmes, et, surtout dans les sections à structures facultatives, de continuelles variations, subites ou progressives, du mouvement. Ces variations peuvent affecter une ou deux notes seulement; dans «Parenthèse», entre un «retenu» et un «subitement très vif», l’indication tempo concerne juste un quart de soupir (cf. fig.). Toutes les indications sont en français, le point de départ et la fin de chacune d’elles est noté avec précision au moyen de flèches. Dans les structures facultatives, la liberté de l’interprète reste contrôlée: il choisit le tempo, mais non ses modifications, qui sont indiquées sur la partition. Toutefois les notes imprimées en caractères carrés 撚 烈 n’ont pas de valeur déterminée et peuvent être de durée libre, arrêtant alors le déroulement dans le temps au gré de l’interprète. Dans les deux sections dépourvues de structures facultatives, les variations du tempo sont beaucoup plus larges; là où elles sont extrêmement serrées, il est probable que l’interprète ne peut les exécuter toutes avec une précision absolue, mais leur accumulation même donne à cette musique une très grande mobilité dans le temps. Ce caractère de mouvance du tempo dans la Troisième Sonate est très apparenté à la conception du temps musical de Debussy dans les Préludes ; à la différence de celui-ci, chez Boulez, les variations subites ou progressives du tempo sont encore plus fréquentes et organisées systématiquement, le tempo étant pris comme un paramètre intégré à la construction rigoureuse de l’œuvre, tandis que chez Debussy elles ont plutôt le rôle d’accentuer le caractère expressif propre aux passages qu’elles affectent. Les structures de tempo libre de la sonate peuvent être rapprochées de l’indication quasi una cadenza qui, dans quelques préludes, donne à l’interprète une grande liberté de mouvement.

Fixité ou mobilité

Certaines des musiques extra-européennes ont une tradition de stabilité du tempo, d’autres, au contraire, le varient plus ou moins systématiquement.

Confucius critiquait les variations du tempo et la rapidité, de même que les variations progressives d’intensité et le fortissimo, parce qu’ils bouleversent les nerfs des auditeurs au lieu de les apaiser. Dans la musique (d’origine chinoise) de la cour japonaise, le mouvement ne doit pas dépasser trente-deux à la noire à peu près, et si l’on admet un accelerando à la fin d’un morceau, changer le tempo dans un mouvement serait une faute de goût.

Dans la musique berbère du Haut-Atlas, l’Ahwach, joué et dansé dans les fêtes profanes, alterne les chœurs d’hommes et de femmes: énoncé et réponse, repris, avec accompagnement d’une trentaine de tambours. La mesure est à quatre temps, avec premier temps marqué, l’un des tambours joue en valeurs ternaires. Au cours d’un lent accelerando, les tambours éliminent progressivement les frappes des deuxième, troisième et quatrième temps, ne jouant finalement plus que le premier, tandis que les chanteurs, abandonnant peu à peu leurs chœurs, ponctuent de cris et de you-yous la percussion. L’accelerando se poursuit jusqu’à doubler exactement le tempo (de 138 à 276 à la noire, vérification faite sur un enregistrement sur disque, et montrant l’étonnante précision de la variation), puis le tempo primitif est repris, et le même accelerando entamé. Ces séquences d’accelerando peuvent être jouées plusieurs fois.

Un autre exemple d’accelerando se trouve dans une partie d’une cérémonie du rite Mevlevî, l’Âyin, des derviches tourneurs. Quatre rythmes se succèdent dans une musique pour chœur et instruments; le premier comporte vingt-quatre temps, est en noires, croches et doubles croches, tempo: cinquante à la noire. Un imperceptible accelerando amène le deuxième, dix temps, en blanches, noires et croches, tempo: cent douze à la noire (valeurs dédoublées, donc pas de changement brusque du mouvement, le tempo est en fait très légèrement plus rapide que le précédent). Le troisième rythme est ternaire, six temps, et un lent accelerando le mène de cent douze à la noire, à cent quatre-vingt-quatre à la noire. La reprise subite d’un tempo lent (quatre-vingt-quatre à la noire) coïncide avec l’apparition du quatrième rythme, également ternaire, à neuf temps (tempi relevés sur disque).

Dans les deux exemples précédents, l’accelerando accompagne, soutient et entraîne un mouvement corporel: celui des danseurs dans la fête profane de l’Ahwach, et le tournoiement extatique des derviches dans le rituel religieux de l’Âyin.

Tempo réel et tempo subjectif

Le tempo, dans sa réalisation comme dans ses effets, est en relation étroite avec un élément humain corporel: technique de l’exécutant, pas du danseur, battue du chef d’orchestre. La battue possible ne dépasse guère cent trente-deux à la minute, au-dessus on bat un multiple de l’unité. Un tempo moyen a été situé aux environs de 76/80 à la noire, et rapproché de l’allure de l’homme marchant. Les variations du tempo accentuent considérablement l’impact psychologique et physique du rythme.

La justesse dans le tempo et ses variations est un des éléments déterminants pour la qualité d’une interprétation musicale. Il semblerait que le mouvement métronomique, en donnant un nombre de battues à la minute, résolve la question avec précision; mais d’une part l’amplitude des variations progressives de tempo n’est pas toujours mesurable au métronome; le rubato et le temps libre lui échappent par principe; d’autre part le compositeur qui écrit une œuvre a une conception abstraite de son déroulement temporel; l’exécutant assure la réalisation concrète de l’œuvre; son rythme propre va interférer, dans le déroulement temporel, avec la conception du compositeur. Le bon tempo, pour l’exécution d’une même œuvre, peut varier selon l’interprète, et il semble que la justesse, dans ce domaine, soit atteinte lorsque se rencontrent harmonieusement la conception temporelle du compositeur et la façon dont l’interprète la ressent. Cet équilibre, subjectif et fragile, est pourtant d’une extrême importance dans l’interprétation. Même s’ils emploient les mouvements métronomiques, les compositeurs le savent bien; Schumann écrit: «La mesure innée du mouvement est le seul déterminant.» Schönberg précise, dans la préface du Quatrième Quatuor à cordes : «Les indications métronomiques ne doivent pas être prises littéralement; elles donnent seulement une suggestion du tempo.»

La marge d’imprécision est évidemment plus grande en l’absence de tempi métronomiques. Le caractère d’une musique, ses proportions, son expression sont tellement liés au déroulement temporel que, très fréquemment, le terme désignant le tempo soit exprime aussi le caractère du morceau, soit est accompagné d’une indication d’expression; on voit la marge laissée à l’interprète par de telles notions, subjectives et non mesurables. Le juste mouvement d’exécution d’une œuvre dépend du sens musical, du goût, de la mesure de l’interprète.

A. Guttmann, étudiant les variations du tempo dans les interprétations de chefs d’orchestre allemands, fait les observations suivantes: 1o Le tempo inhérent à une pièce est plus fort que le tempérament d’un chef; si c’est le tempérament qui domine dans l’interprétation, la pièce apparaît en distorsion; 2o Le tempo individuel d’un chef change d’exécution en exécution, mais la différence est beaucoup moindre qu’entre chefs lents et chefs rapides de tempérament. La plus grande variabilité enregistrée dans les exécutions d’un même ouvrage par un même chef était de 20 p. 100, dans la Cinquième Symphonie de Beethoven dirigée par Richard Strauss, alors que le même ouvrage dirigé par des chefs différents, Siegfried-Idyll de Wagner, donnait 32 p. 100 de variabilité.

On pourrait signaler, en passant, que, suivant le volume et l’acoustique du local où telle page de musique résonne, le tempo supportera des variations: ainsi la même œuvre d’orgue exécutée à Notre-Dame de Paris sur le grand plein-jeu aura avantage à être prise dans un mouvement plus lent que si elle est jouée sur le petit plein-jeu d’un positif d’appartement.

L’œuvre musicale, avec sa conception abstraite et son incarnation dans le temps réalisée par l’interprète, diffère totalement des œuvres picturales et littéraires, qui prennent toute leur réalité dès qu’elles sont achevées et atteignent directement le spectateur ou le lecteur. Seules les pièces de théâtre nécessitent cette réalisation en deux temps, création et interprétation, avec le juste tempo à trouver, et l’aventure riche et dangereuse du choc et de la conjonction des personnalités: l’écrivain et les acteurs se rencontrent dans les mots, le compositeur et les interprètes dans les sons. Les uns et les autres éveillent un rythme et l’insèrent dans le temps, selon les lois complexes, précises et énigmatiques, objectives et subjectives, qui régissent le mouvement.

tempo , plur. tempi [ tɛmpo; tɛ̃po, i ] n. m.
• 1842; tempo di gavotta, di minuetto 1771; mot it., du lat. tempus « temps »
1Mus. Mouvement dans lequel s'exécute une œuvre musicale. Indication des tempi (ou parfois des tempos ). Changement de tempo. agogique. Tempo lent, rapide.
2Par ext. (v. 1922) Allure, rythme qu'un auteur donne au déroulement d'une action. Tempo d'un roman, d'un film. Rythme d'une action. « Vie exténuante [...] . Mais c'est ce “tempo” qui, pour l'instant, le rend invulnérable » (F. Mauriac).

tempo, tempos ou tempi nom masculin (italien tempo, temps) Vitesse d'exécution d'une œuvre. Notation des différents mouvements dans lesquels un morceau est écrit ou exécuté. Littéraire. Rythme de déroulement d'une action quelconque : L'action de ce film commence sur un tempo lent.tempo, tempos ou tempi (synonymes) nom masculin (italien tempo, temps) Vitesse d'exécution d'une œuvre.
Synonymes :
- mouvement

tempo
n. m. MUS Mouvement dans lequel doit être joué un morceau. Tempo furioso.
|| Spécial. Rapidité plus ou moins grande du rythme. Tempo lent, rapide.

⇒TEMPO, subst. masc.
A. — MUSIQUE
1. Vitesse d'exécution d'un morceau, généralement donnée au début par les indications chiffrées du métronome. Synon. mouvement. L'arbitraire de l'interprète ne peut désormais s'exercer ni sur le tempo, stipulé métronomiquement à chaque pas, ni sur les valeurs, notées avec exactitude, ni sur la teneur des accords, ni sur les pédales, ni sur aucune nuance susceptible d'être consignée par écrit (Arts et litt., 1936, p. 60-10). La désignation du tempo a changé. Elle était d'abord:« allegro ». Puis, Beethoven se ravise:— « nicht zu geschwind » (Pas trop vite)! (ROLLAND, Beethoven, t. 1, 1937, p. 177).
— [Suivi d'une indication en ital. pour préciser le mouvement] Tempo largo, moderato, allegro, presto, rubato. La tristesse abat, ralentit le cours des humeurs, et nous porte au tempo largo (STENDHAL, Haydn, Mozart et Métastase, 1817, p. 140). Mme Edwards (...) a joué quelques mazurkas, avec fluidité, charme, mais à la manière artiste, avec ce tempo rubato qui me déplaît si fort, ou, pour parler plus exactement: sans plus tenir aucun compte de la mesure, et avec des accents subits, des sursauts, des effets (GIDE, Journal, 1915, p. 518).
Loc. A tempo, a tempo primo. Notation indiquant à l'interprète qu'il faut reprendre le mouvement du début ou premier mouvement. Suivez exactement le a tempo, sans aucun ritardando d'expression (ROLLAND, Beethoven, t. 1, 1937, p. 265).
2. [Notamment dans la mus. de jazz] Ensemble des éléments rythmiques d'un morceau qui lui donnent son style particulier, son caractère. Synon. rythme, cadence. Tempo rapide. Sur le tempo lent, Hawkins, depuis 1929, s'est fortement inspiré de Louis Armstrong (PANASSIÉ, Jazz hot, 1934, p. 143).
— [Suivi d'un compl. indiquant un genre musical (ou une mesure) au rythme partic.] Tempo di marcia (marche), di minuetto (menuet), tempo di sestupla (mesure sextuple). [Haydn] a écrit des fugues en tempo di sestupla qui, dès que le mouvement devient vif, sont absolument de style bouffon (STENDHAL, Haydn, Mozart et Métastase, 1817, p. 140).
B. — P. anal.
1. LITT., THÉÂTRE. Allure particulière qu'un auteur donne au déroulement de son œuvre et qui a pour effet le développement (et le dénouement) plus ou moins rapide de l'action. Synon. rythme. Chez Keats, il y a dans toute pièce suprême je ne sais quelle superposition de trajets suivis par l'agencement des mots, et le plus haut situé de tous, le plus unique, c'est celui qui semble naître de l'attouchement d'une étoile par un fruit. Et ceci nous expliquerait sans doute pourquoi le tempo de Keats est, et doit être, si lent (DU BOS, Journal, 1922, p. 205). Pour ce qui est de Kaiser c'est plutôt une cadence, un rythme, un tempo qu'il a fourni au théâtre expressionniste (Arts et litt., 1936, p. 30-7).
P. anal., CIN. C'est un film d'amour, mais avec la rapidité, l'activité que j'aime au cinéma. Un tempo d'action (Arts loisirs, 4 mai 1966, p. 55, col. 1).
2. LING., PHONÉT. Allure de l'énoncé (lente, rapide, saccadée) qui est donnée par la fréquence de l'accent rythmique. En règle générale, la prose est d'un tempo plus rapide que la poésie (...) La prose de M. Jourdain veut être comprise (...). La poésie, elle, savoure (MORIER 1961, 1975).
PATHOL. Troubles du tempo. ,,Altération du rythme et du mouvement du langage parlé`` (LAFON 1963). Les troubles du tempo (...) coïncident toujours avec de graves troubles de la mimique (POROT 1960).
3. PSYCHOL., lang. cour. Rythme naturel et spontané, propre à chaque individu, qui se traduit par une vivacité plus ou moins grande dans les gestes, la parole, l'écriture, etc. Je remarque encore un autre trait de cet « impetus » de l'enfance à la vieillesse: c'est son rythme, je dirais mieux son « tempo »; il n'y a aucune absurdité, sinon dans les mots et par rapport aux notions physiques de vitesse et d'accélération, à dire que la vie ne va pas aussi vite à tous les âges (RICŒUR, Philos. volonté, 1949, p. 406). Dans le chœur discordant que nous formons, chacun, en réalité, évolue selon son tempo et son rythme propres, développant pour lui-même la loi interne et qualitative de son égoïté (JANKÉL., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 190).
REM. Tempiste, subst. masc., mus. [Néol. créé par Stendhal] Spécialiste du tempo, que ce soit dans l'écriture ou dans l'interprétation. Les Italiens sont bien loin des Allemands, dont la musique baroque, dure, sans idées, serait à faire sauter par la fenêtre, s'ils n'étaient pas les premiers tempistes du monde (STENDHAL, Rome, Naples et Flor., t. 1, 1817, p. 404).
Prononc. et Orth.:[], [-]. LITTRÉ, BARBEAU-RODHE 1930 [-]; WARN. 1968, Lar. Lang. fr. [-], [-]; ROB. 1985 [-]. Prop. CATACH-GOLF. Orth. Lexicogr. 1971, p. 309: un tempo plur. des tempos. Étymol. et Hist. 1. 1765 mus. tempo di gavotta, tempo di minuetto [it. ds le texte] (Encyclop.); 1842 a tempo (Ac. Compl.); spéc. 1934 jazz (PANASSIÉ, Jazz hot, p. 111: tempo rapide); 2. a) 1905 ling. (J. BLOCH, A. CUNY, A. ERNOUT, trad.: K. BRUGMANN, Abrégé de grammaire comparée, p. 230 ds QUEM. DDL t. 39); b) 1922 p. ext. « rythme de déroulement d'une action » ici, en parlant de la marche d'une personne (DU BOS, Journal, p. 204); spéc. id. « rythme d'une œuvre littéraire » (ID., ibid., p. 205). Mot ital. att. comme terme de mus. dep. le XVIe s. (VARCHI ds TOMM.-BELL.) et signifiant propr. « temps », du lat. tempus (cf. temps). Fréq. abs. littér.:68. Bbg. HOPE 1971, p. 365.

tempo [tɛmpo] n. m.
ÉTYM. 1842; ital. tempo « temps », employé en musique dans des expressions comme tempo di gavotta, di minuetto, in Encyclopédie; mot ital., de tempus « temps ».
1 Mus. Notation d'un mouvement qui n'est pas défini d'une manière absolue. || Tempo agitato, comodo, rubato (cit.). || Tempo di marcia, di minuetto.A tempo, indique que l'exécutant doit revenir au tempo normal.
2 Vitesse d'exécution (notamment dans la musique de jazz). || Un tempo lent, rapide.
3 (V. 1952). Allure, rythme qu'un auteur donne au déroulement d'une action. || Le tempo d'un roman, d'un film.Rythme d'une action.Psychol. « Allure spontanée propre à un individu dans ses activités, ou plus particulièrement dans l'exécution d'actes déterminés » (Piéron).
0 Le Président du Conseil est rentré cette nuit de Tunis, où un avion l'avait déposé à dix heures du matin. Vie exténuante : y résistera-t-il ? Mais c'est ce « tempo » qui, pour l'instant, le rend invulnérable.
F. Mauriac, Bloc-notes 1952-1957, p. 118.

Encyclopédie Universelle. 2012.