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ROMANCERO
ROMANCERO

En dehors de quelques acceptions plus délimitées, telles que «chanteur de romances» ou «recueil de romances», le mot romancero désigne tant l’ensemble que les différents groupes des romances espagnols. On a adopté, en français, la forme masculine afin de distinguer un romance d’une romance. Dérivé de l’adverbe bas-latin romanice (appliqué à la langue de Rome et puis à celle des peuples romanisés), le substantif espagnol romance désigna d’abord les langues néo-latines ou romanes, ainsi que leurs littératures, ensuite les parlers péninsulaires en particulier, enfin des poèmes à caractère narratif; tel est aussi le sens le plus général, au Moyen Âge, du terme français corrélatif «roman». En Espagne, le mot romance s’appliqua assez tôt à une combinaison métrique dont les vers impairs restent libres et dont les pairs constituent des assonances, surtout si le mètre de cette composition compte huit syllabes (à la manière espagnole, ce qui en fait l’équivalent de l’heptasyllabe français). Si le vers possède une ou quelques syllabes en moins, on l’appellera romancillo («petit romance»); s’il est plus long, on ajoutera le numéral correspondant (romance eneasílabo , decasílabo , etc.), dénommant romance heroico (héroïque) celui dont les vers comprennent onze syllabes (c’est-à-dire le décasyllabe français). L’ensemble de ces compositions, quel que soit leur mètre, constitue le romancero, mot espagnol adopté par d’autres langues pour désigner des corpus similaires, artistiques ou traditionnels (Romanzero de Heine, 1851, Romancéro français traditionnel de Doncieux). Le même vocable désigne, avec un complément, certaines sections, soit chronologiques (romancero nuevo ), soit thématiques (romancero del Cid ) de cette vaste «Iliade sans Homère».

Le romancero, genre national espagnol

Il peut sembler étonnant qu’un simple patron métrique revête autant d’importance. En réalité, le romance est plus que cette forme: à travers ses métamorphoses, qu’il soit narratif ou lyrique (et c’est le mélange de ces deux qualités qui fait sa saveur particulière), qu’il soit long ou court, précieux ou débraillé, satirique ou amoureux, côtoyant le roman ou la chanson, il garde un même esprit, un caractère propre qui tient, peut-être, à sa forme même. Celle-ci peut être définie comme une suite non limitée de vers octosyllabes espagnols dont les vers pairs sont assonancés. Ces trois éléments sont en effet ceux qui ont assuré la faveur toujours agissante du romance. D’abord, l’absence de longueur fixe, la seule loi étant qu’il se compose d’un nombre pair de vers afin que le dernier soit assonancé et ne reste pas sans répondant (qu’on songe aux contraintes que l’octave italienne imposa aux poèmes épiques de la Renaissance et du baroque, ou à celles que le sonnet fit subir aux effusions du lyrisme endiguées par quatorze vers à rimes bien établies). Ensuite, la rime, plus libérale, se réduit à l’assonance (comme celle des anciennes chansons de geste, ou de la chanson populaire) qui n’est requise que tous les deux vers et permet en espagnol, outre certaines libertés avec les voyelles post-toniques dont les timbres peuvent être librement comparés, le mélange de mots graves, aigus et esdrújulos (proparoxitons): call ar , all á, p alta , n adie , N ájera sont entre eux des assonances parfaites (on a mis en caractères gras les voyelles portant l’accent tonique). L’octosyllabe espagnol constitue d’autre part la coupe qu’on pourrait dire naturelle de la langue parlée, et il n’est guère difficile de passer d’un rythme prosaïque au débit naturel du romance, ce qui advient parfois involontairement. Cela explique, du moins en partie, l’universalité du romance, et le qualificatif d’«universel» n’est guère excessif si l’on songe à une popularité non seulement presque aussi ancienne que les langues elles-mêmes, castillan, portugais, catalan, mais qui accompagna ces langues dans leurs migrations, de sorte que l’on peut entendre aujourd’hui des romances sur les cinq continents.

Essai de classification

L’histoire du romancero peut être étudiée soit dans son développement temporel, soit d’un point de vue thématique, soit encore selon les différentes couches sociales qui produisent – et consomment – les romances. De toute manière, il est possible de considérer quatre grandes catégories: le romancero viejo (des origines à la fin du XVIe s.), le romancero nuevo (d’environ 1580 au milieu du siècle suivant), le romancero moderno (des romantiques à nos jours) et le romancero tradicional , qui se définit en fonction de certains caractères des catégories précédentes.

Romancero viejo

Fréquemment employé dès le XIIIe siècle, il faut attendre la seconde moitié du XVe siècle pour que le terme romance recouvre son sens actuel. C’est précisément à cette époque que remontent les romances les plus anciens que l’on possède. D’illustres chercheurs ont déployé des trésors d’ingéniosité afin de faire reculer cette date, mais sans succès. S. Griswold Morley a dressé la liste des premiers textes conservés: il en compte dix-sept, entre 1421 et 1508. Ces pièces ouvrent la période dite du romancero viejo , et ces romances sont, d’après Menéndez y Pelayo, d’abord «ceux dont l’existence au XVe siècle appert de façon positive», suivis des écrits identiques imprimés dans la première moitié du siècle suivant, surtout dans le Cancionero general de 1511, dans le Cancionero de romances édité à Anvers (s.d. et 1550), dans les différentes éditions de la Silva , ainsi que dans les nombreux pliegos sueltos (éditions populaires à un seul pli ou cahier) de cette époque. Leur contenu, tel qu’il a été classé par F. J. Wolf, est soit historique (histoire et traditions d’Espagne; épisodes de la guerre de frontières contre les Maures; histoire particulière des différents royaumes: Navarre, Aragon, Naples, Portugal), soit romanesque et chevaleresque. Milá y Fontanals et Menéndez y Pelayo ont perfectionné ce classement et ordonné les romances en cinq cycles:

– le cycle historique (Rodrigue et la ruine de l’Espagne; Bernado del Carpio, l’anti-Roland; Fernán González, créateur de Castille; les Infants de Lara, aux aventures si tragiques; le Cid; le roi Pierre le Cruel; les romances de frontière ou fronterizos );

– les romances carolingiens;

– les romances du cycle breton;

– des histoires romanesques variées;

– enfin, des romances lyriques.

Bien que non dénué d’intérêt, ce classement place en fin de liste les romances lyriques qui sont, avec les récits romanesques, ceux qui ont été attestés en premier. De plus, cette «matière historique» ne l’est que relativement: elle met en tête de l’histoire d’Espagne les romances sur le roi Rodrigue, alors que, même si la légende ici rapportée semble remonter au XIe siècle, les poèmes s’inspirent de la Crónica sarracina de Pedro del Corral, composée vers le milieu du XVe siècle. Qu’ils soient lyriques, fronterizos ou historiques, ces textes sont tous anonymes: quelques-uns supporteraient sans invraisemblance d’être attribués à des poètes du XVe siècle, Rodríguez del Padrón par exemple; mais, mis à part quelques compositions de souche courtisane marquées par l’emploi presque exclusif de la rime parfaite au lieu de l’assonance, la contribution des poètes lettrés se borne en général à des gloses, qui prennent successivement un ou deux vers d’un romance connu, comme aboutissement obligé de chacune des strophes dont elles se composent. On rencontre aussi des ensaladas (mélanges) de vers empruntés à des romances différents, le plus souvent assemblés de façon burlesque. La faveur des romances viejos se manifeste également dans le fait que des compositeurs les mettent en musique (pour voix seules, pour chant et vihuela ) ou se servent de leurs mélodies pour des variations instrumentales. Au milieu du XVIe siècle, ce répertoire viejo est bel et bien constitué, et il reste fixé dans la mémoire du peuple et des hommes de lettres pour les deux siècles à venir, sinon pour plus longtemps.

Romancero nuevo

Face aux romances viejos , composés d’éléments surtout traditionnels, chaque pièce du romancero nuevo est avant tout, même si elle est restée anonyme, l’expression directe d’un créateur individuel, et soumise à l’influence du mouvement littéraire, chose inconcevable pour un romance viejo. Ses premières manifestations sont plutôt l’œuvre de rimailleurs que de vrais poètes: en partant des romances à sujet historique, on écrit des cronísticos , tirés des chroniques; le seul nom digne d’être rappelé est celui de Juan de Timoneda († 1583), qui utilise avec astuce les romances viejos et les remanie non sans bonheur. La première poussée véritablement poétique du romancero nuevo est constituée par les romances mauresques, inspirés par Las Guerras civiles de Granada (1595-1604) de G. Pérez de Hita (roman qui déclencha ce courant de mauriphilie, lequel atteignit Chateaubriand à travers Mlle de Scudéry). Un jeune poète, appelé à la plus grande notoriété, y récolte ses premiers lauriers: Lope de Vega. Cette prolifération de noms et de vêtements arabisants amène une réaction, et la satire des poètes «mahométans» détourne le goût public vers une autre forme d’évasion; on voit naître alors la vogue des romances pastoraux, tandis qu’un autre jeune maître met en scène des histoires de captifs et des exploits espagnols en Afrique: L. de Góngora. Une douzaine d’anthologies (Flores ) composent, dès 1589, le Romancero general (1600-1604). Si la plupart des pièces de ces recueils parurent de façon anonyme, elles n’en restent pas moins, de façon éminente, des poèmes personnels. À différence du romancero viejo , où le poète ne transparaît pas, on sait ici que Lope déguise ses intrigues amoureuses dans le cycle de Zaïde , et que «Belardo» est le nom qu’il se donne dans la transposition pastorale de ses aventures érotiques. Pareilles restitutions sont possibles pour d’autres poètes, car – et c’est là la réelle importance du romancero nuevo – il retient la production de presque tous les écrivains de valeur du grand siècle espagnol. On a identifié plus d’une centaine de compositions de Lope, une cinquantaine de Góngora, un romance au moins de Cervantes, trois de Quevedo... L’intérêt des artistes pour le romance a pour effet d’accroître la part du lyrisme, ce qui influa fortement sur la métrique de la composition; interrompu à des intervalles réguliers par des refrains de coupe et de longueur variées, le romance devient nettement strophique et s’assimile à la chanson: l’influence des musiciens fut, à cet égard, décisive. En outre, le romance viejo , présent dans la mémoire de tous, sera porté à la scène, et, après les adorables réussites de Gil Vicente (env. 1465-env. 1539) et les honorables tentatives de Juan de la Cueva (1543-1610), une lignée de chefs-d’œuvre (de Lope de Vega, de Guillén de Castro...) triomphe sur le théâtre espagnol et féconde celui de l’Europe (témoin Le Cid ou La Reine morte ). Le romance se prête encore à merveille à narrer les aventures des différents personnages de la comedia , et ces relaciones (récits) connurent un succès particulier même en dehors de la scène.

Romancero moderno

Tout le monde savait et chantait des romances, mais, avec la poussée du baroque, le style antihéroïque chasse les grands sujets du romancero (c’est l’époque des comédies burlesques sur les thèmes héroïques nationaux), et le romance sert alors principalement à la satire et aux jácaras de Quevedo, écrites dans la langue du milieu et racontant les «gestes» de la pègre, féminine ou masculine. Les romances deviennent de plus en plus plébéiens, et l’imprimerie populaire, fidèle encore aux relaciones des comédies, produit surtout les romances dits vulgares , pleins de crimes, de miracles, de vols et de viols, au point que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle on défendit, mais en vain, d’imprimer ces romances de ciegos (car c’étaient surtout les aveugles qui les récitaient ou les chantaient, et les vendaient). Quelques auteurs de mérite continuent faiblement la tradition du romancero nuevo, mais il faut attendre l’école romantique, avec le duc de Rivas (1791-1865), le Portugais Almeida Garrett (1799-1854), José de Espronceda (1808-1842) et José Zorrilla (1817-1893), pour assister au renouveau éblouissant du vieux genre. Dès lors, le romance redevient la forme la plus usitée de la poésie moderne, et tant les poètes de la génération de 1898 – Machado, Unamuno, Jiménez – que ceux de la génération de 1927 et des promotions postérieures se serviront du romance. Le succès du Romancero gitan García Lorca n’est qu’un épisode dans cette poussée du «romancerismo» général étudiée par Pedro Salinas. Pour la première fois depuis le Siècle d’or, la liste des auteurs de romances coïncide exactement avec l’élite de l’histoire littéraire, et, comme au XVIIe siècle, cette circonstance a conduit au renouvellement de la forme. Le romance, ainsi que le montre Tomás Navarro dans ses études sur la versification espagnole, a encore élargi son domaine formel.

Romancero tradicional

Nombre d’érudits ont fait le départ entre la notion de poésie populaire (simplement répandue) et de poésie traditionnelle (non seulement connue de tous, mais aussi considérée comme un bien commun: elle n’a plus d’auteur ni de prototype fixe, elle est librement transmise et elle existe en une multiplicité de variantes). D’une façon assez approximative, on pourrait dire que beaucoup de pièces du romancero viejo étaient devenues traditionnelles, tandis que mainte composition du nuevo n’était que populaire. La conquête de l’Amérique étendit le domaine de l’espagnol, et les chroniqueurs nous font savoir que le romance gagna aussitôt le Nouveau Monde. Le passage du XVIIe au XVIIIe siècle diminua partout le nombre de citations de romances, et l’on put croire que la tradition du genre avait disparu, tout comme sa popularité. Elle demeurait cependant «latente», selon un qualificatif cher à Menéndez Pidal; vers la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe siècle, on put constater que le romancero traditionnel n’était point mort: les Asturies, la Catalogne, le Portugal, la Galice – même les séphardim d’Afrique et d’Orient – commencèrent à révéler leurs trésors; seule la Castille demeurait étonnamment muette jusqu’à ce que María Goyri et son mari Menéndez Pidal, arrêtés à Soria en 1900 pendant leur voyage de noces, entendissent une lavandière leur chanter les premières strophes d’une tradition retrouvée. L’Amérique espagnole fut la dernière, avec les îles du Pacifique, à livrer ses richesses. Ce romancero traditionnel contient assez de romances viejos , quelques nuevos aussi, ainsi qu’un bon nombre de vulgares , et beaucoup de pièces nouvelles qui ont parfois servi à nous faire redécouvrir quelques anciens poèmes oubliés.

Histoire littéraire du Romancero

Après une période où dominent les travaux des érudits romantiques allemands et français vient celle des historiens espagnols de la littérature qui ont préparé la voie à la dynastie des Milá y Fontanals, Menéndez y Pelayo et Menéndez Pidal; ceux-ci ont porté leur intérêt en particulier sur les romances historiques et sur les rapports du romance avec la poésie épique médiévale, dont il serait la continuation: son vers, issu du vers épique, aurait seize syllabes avec césure au milieu et assonance constante; il ne se serait dédoublé en deux octosyllabes qu’assez tardivement. Menéndez Pidal a employé, de façon particulière, toute sa science à étayer ces doctrines, hypothèses dignes d’examen, mais qu’on a la fâcheuse habitude d’accepter comme si elles étaient des faits. L’attention de ces érudits a été aussi attirée par le phénomène de la poésie traditionnelle, à laquelle ils ont consacré quelques travaux de dimensions et de valeur différentes.

romancero [ rɔmɑ̃sero ] n. m.
• 1827; mot esp., de romance
Hist. littér. Recueil de poèmes épiques espagnols en octosyllabes. Le romancero du Cid.

romancero nom masculin (espagnol romancero) Nom donné aux nombreux recueils espagnols de romances datant de la période préclassique et où sont contenues les plus anciennes légendes nationales. Ensemble de tous les romances, genre propre à la littérature espagnole.

⇒ROMANCERO, subst. masc.
HIST. LITTÉR. Genre littéraire espagnol regroupant l'ensemble des romances (v. romance A); recueil de romances espagnol(e)s appartenant à un même thème ou auteur ou à la même époque (généralement ancienne). Romancero gitano (œuvre de F. Garcia Lorca, 1928). En ce qui touche surtout les contes de l'histoire d'Espagne, il y avait cependant pour l'écrivain [don Telesforo de Trueba] un parti bien meilleur à prendre. Puisqu'il empruntait le fond de ses sujets aux chroniques et au Romancero, que ne s'inspirait-il aussi de leur poésie? (MUSSET ds R. des Deux Mondes, 1832, p. 611). Qu'il [Pierre Corneille] ait lu Las Mocedades del Cid avec passion, cela n'est pas douteux, et aussi ces fragments du Romancero qu'il cite en espagnol, et tout ce qui pouvait servir à dresser devant lui l'image du chevalier conquérant et chrétien (BRASILLACH, Corneille, 1938, p. 137).
P. anal. Recueil de poèmes médiévaux ou ensemble de récits populaires écrits en une autre langue. Romancero français (Le), recueil des romances des trouvères, par Paulin Paris (1834). La romance des anciens trouvères (...) contient tout un récit, tout un petit poëme d'amour ou de bravoure (Lar. 19e). Les innombrables récits de Coppée, genre Grève des Forgerons, ont formé une sorte de romancero du petit (THIBAUDET, Hist. littér. fr., 1936, p. 332).
Prononc. et Orth.:[]. Att. ds Ac. dep. 1878. Plur. des romanceros. Prop. CATACH-GOLF. Orth. Lexicogr. 1971, p. 294: un romancéro, plur. des romancéros. Étymol. et Hist. 1827 romanceros espagnols (HUGO, Préface de Cromwell ds Théâtre, éd. R. Purnal, J.-J. Thierry, J. Mélèze, t. 1, p. 421). Fréq. abs. littér.:14.

romancero [ʀɔmɑ̃seʀo] n. m.
ÉTYM. 1831; mot esp., de romance.
Hist. littér. Recueil de poèmes épiques espagnols en octosyllabes (romances). || Le romancero du Cid.
Par ext. || « L'Espagne, l'Allemagne, l'Angleterre citent chacune avec orgueil leur romancero national » (Nerval, in G. L. L. F.).

Encyclopédie Universelle. 2012.