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POISSONS
POISSONS

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’accord était général pour considérer les Poissons comme une vaste classe de Vertébrés au même titre et sur le même plan que les Amphibiens, les Reptiles, les Oiseaux et les Mammifères. Mais, depuis que les progrès de la paléontologie ont montré le caractère hétérogène de cet ensemble, beaucoup de zoologistes renoncent à donner au terme de «Poissons» un sens scientifique. La classe des Poissons est alors remplacée par plusieurs groupes monophylétiques: les Myxinoïdes, les Hétérostracés, les Ostéostracés, les Galéaspides, les Pituriaspides, les Anaspides (avec les Lamproies) et les Gnathostomes. Les six premiers taxons ne forment, lorsqu’on les réunit, qu’un grade évolutif, sans valeur phylétique – celui des Agnathes –, caractérisé par le fait que leurs représentants ne possèdent pas de mâchoires. En revanche, les Gnathostomes représentent un ensemble monophylétique dont l’ancêtre était sans doute une forme proche de celui des Ostéostracés. L’analyse cladistique permet d’appréhender les parentés relatives des Agnathes et des Gnathostomes. Ces derniers sont eux-mêmes divisés en plusieurs groupes naturels: les Placodermes (ou poissons cuirassés), les Chondrichtyens (ou poissons cartilagineux), les Ostéichtyens (ou poissons osseux).

Les Tétrapodes, également monophylétiques, sont issus d’un ancêtre appartenant à ce dernier groupe dont le caractère «naturel» ne peut être admis que si les Tétrapodes sont inclus dans l’acception du taxon «Ostéichthyens». Cependant, compte tenu du fait que les Vertébrés non Tétrapodes ont en commun un mode de vie primitivement aquatique et ont retenu, outre des caractères physiologiques liés à celui-ci, une morphologie «pisciforme» (laquelle représente un trait primitif par rapport à celui des Tétrapodes et donc non pertinent pour la compréhension de la phylogénie du groupe), nous rassemblons ici sous le terme de «Poissons» un ensemble paraphylétique de Vertébrés à respiration branchiale et pourvus d’appendices pairs et impairs de types variés, désignés comme nageoires.

1. Classification phylogénétique

Stade agnathe

Jusqu’à la «révolution» cladiste, les Poissons étaient divisés en deux grands ensembles: les Agnathes et les Gnathostomes. Si ces derniers représentent un groupe monophylétique, il n’en va pas de même des Agnathes; caractérisés par l’absence de mâchoires et différents autres traits primitifs, ils ne sont représentés dans la nature actuelle que par deux groupes bien distincts: les Lamproies et les Myxines, autrefois réunies sous le terme de «Cyclostomes», qui ne désigne en réalité qu’un ensemble polyphylétique [cf. CYCLOSTOMES]; on leur joignait de nombreuses formes fossiles d’agnathes cuirassés [cf. OSTRACODERMES]. Les découvertes en paléontologie, analysées dans une optique phylogénétique, ont bien montré le caractère tout à fait artificiel d’un tel regroupement: désormais, le terme Agnathe ne désigne qu’un grade évolutif sans aucune valeur phylogénétique ni systématique, un stade auquel se trouvent les formes les plus généralisées de Vertébrés.

Ces Poissons sans mâchoires, actuels et fossiles, appartiennent en fait à plusieurs grands groupes monophylétiques dont l’analyse des caractères dérivés communs permet d’appréhender les degrés de parenté entre eux, ou avec les Gnathostomes (fig. 1).

Les Agnathes les plus généralisés sont les Myxinoïdes: l’absence de toute trace de squelette axial autre que la chorde a conduit à les exclure des Vertébrés, dont ils constituent le groupe frère et avec lesquels ils forment le clade (ensemble monophylétique) des Craniates. Ceux-ci sont caractérisés par la possession d’un crâne fibreux et de crêtes neurales.

Les Vertébrés comprennent plusieurs clades représentant autant de groupes naturels (et donc valides du point de vue de la systématique phylogénétique) caractérisés par la possession de deux canaux semi-circulaires verticaux (les Myxinoïdes n’en ont qu’un), d’un exosquelette osseux, d’un organe olfactif pair et d’un système latéral.

Le groupe de Vertébrés le moins dérivé est celui des Hétérostracés fossiles dont nous connaissons des restes depuis le Silurien moyen (Wenlockien); des Vertébrés ordoviciens comme Sacabambaspis ou Arandaspis ne peuvent encore que difficilement être classés par rapport à ces Agnathes.

Puis se serait différencié le groupe réunissant les Anaspides fossiles et les Pétromyzontides (Lamproies) sur la base de la forme générale du corps et de quelques caractères évolués communs. Cet ensemble et les Vertébrés plus dérivés ont en commun la possession de nageoires paires – qui auraient été perdues au cours de l’évolution, par les Lamproies et, éventuellement, par les Galéaspides.

Le groupe frère des Anaspides-Pétromyzontides est celui qui réunit les Galéaspides, les Ostéostracés et les Gnathostomes, dont les apomorphies communes sont l’existence d’un exosquelette d’os cellulaire, la possession d’os périchondral et d’une grosse jugulaire dorsale. Les Galéaspides, qui seraient les plus généralisés de cet ensemble, sont parfois considérés comme plus généralisés que les Anaspides-Pétromyzontides en raison du fait qu’ils ne possèdent pas de nageoires paires.

La position des Ostéostracés comme groupe frère des Gnathostomes est supportée par plusieurs synapomorphies (conduits endolymphatiques ouverts vers l’extérieur, nageoires paires en position postbranchiale, caudales hétérocerques, etc.). L’existence d’un canal naso-hypophysaire (fig. 1) chez les Anaspides-Pétromyzontides que chez les Ostéostracés peut ne représenter qu’une convergence évolutive ou un caractère primitif commun (symplésiomorphie) et ne doit pas être prise en compte dans l’établissement d’une phylogénie: les Céphalaspidomorphes, qui réunissent ces groupes sur la base de ce caractère, ne sont vraisemblablement qu’un ensemble artificiel (para-ou polyphylétique).

Les caractères particuliers (autapomorphies) les plus marquants de chacun de ces clades d’Agnathes sont traités dans les articles OSTRACODERMES et CYCLOSTOMES.

Gnathostomes

Les Gnathostomes constituent un ensemble monophylétique dont l’apomorphie principale est la possession de mâchoires articulées: celles-ci sont traditionnellement conçues comme un arc viscéral modifié (fig. 1), homologue sériel des arcs hyoïdien et branchiaux; mais la position interne de ces derniers par rapport aux branchies chez les Gnathostomes est très différente de la disposition du squelette branchial des Agnathes, externe par rapport aux poches branchiales; l’homologie de l’arc mandibulaire et des arcs hyoïdien et branchiaux des Gnathostomes est sujet à caution.

Outre la possession de mâchoires, ces Vertébrés sont caractérisés par la présence d’un troisième canal semi-circulaire horizontal, celle de myéline autour des axones, l’existence d’un tractus uro-génital et de deux paires de nageoires paires (pectorales et pelviennes). Les Gnathostomes sont représentés dans la nature actuelle par deux groupes monophylétiques: les Chondrichtyens [cf. CHONDRICHTHYENS] et les Ostéichthyens.

Aux premiers se rattachent, en plus des Sélaciens (Requins et Raies) et des Holocéphales (Chimères), deux autres groupes fossiles: les Edestides et les Pétalodontides. Les Chondrichthyens sont caractérisés par un squelette cartilagineux, recouvert de cartilage calcifié prismatique (la perte de l’ossification périchondrale est un exemple de régression).

Aux Ostéichthyens se rattachent deux grands groupes: les Actinoptérygiens (cf. ACTINOPTÉRYGIENS, CHONDROSTÉENS, BRACHIOPTÉRYGIENS) et les Sarcoptérygiens (fig. 2); leurs synapomorphies principales sont l’ossification endochondrale et l’apparition d’os dermiques particuliers (prémaxillaires, maxillaires, etc.).

Chez les Sarcoptérygiens, qui sont des Vertébrés à nageoires paires ou membres monobasalix (cf. DIPNEUSTES, CROSSOPTÉRYGIENS), le groupe le moins dérivé est celui des Actinistia (Cœlacanthes). Puis se différencient successivement l’ensemble des Porolépiformes-Dipneustes, les Ostéolépiformes, les Pandérichthyides et les Tétrapodes. Ainsi, les Sarcoptérygiens, et donc les Ostéichthyens, ne peuvent être considérés comme monophylétiques, et donc comme un groupe naturel, que dans la mesure où l’on y inclut les Tétrapodes: en toute logique phylogénétique, un Dipneuste ou un Cœlacanthe est un plus proche parent de la vache que d’un goujon.

Le cladogramme (fig. 2) montre aussi que deux grands groupes monophylétiques de Gnathostomes fossiles, principalement siluro-dévoniens, ne peuvent encore être rapprochés davantage des Chondrichtyens que des Ostéichthyens: les Placodermes et les Acanthodiens. La ressemblance de certaines parties de la cuirasse céphalothoracique des premiers avec des os dermiques des Ostéichthyens peut laisser penser à une parenté entre ces derniers et les Placodermes; d’autres caractères (pédoncule oculaire, clasper pelvien) rapprochent Chondrichthyens et Placodermes; il est possible enfin que ceux-ci soient le groupe frère de tous les autres Gnathostomes [cf. PLACODERMES].

Les Acanthodiens présentent pour les systématiciens le même type de problèmes, bien que le nombre d’apomorphies qu’ils partagent avec les Osteichthyens permette d’envisager préférentiellement l’hypothèse d’une proche parenté de ces deux groupes [cf. ACANTHODIENS].

2. La respiration

Les organes respiratoires des Poissons sont typiquement des branchies, c’est-à-dire des systèmes de lamelles épithéliales, fortement vascularisées, évagination de l’endoderme ou de l’ectoderme, situées au niveau de perforations latérales du pharynx, qui mettent en communication la cavité pharyngienne et l’extérieur. Ces perforations pharyngiennes, désignées sous le nom de fentes viscérales ou fentes branchiales, sont un trait fondamental des Chordés. Primitivement nombreuses, par exemple chez l’amphioxus [cf. CÉPHALOCORDÉS], elles sont le plus souvent chez les Poissons actuels au nombre de cinq. La région pharyngienne est soutenue par les éléments squelettiques articulés alternant avec les fentes branchiales, dont l’ensemble constitue le squelette viscéral.

Chez les Cyclostomes, les branchies sont représentées par des poches à paroi plissée disposées à l’intérieur du squelette viscéral (fig. 3 a).

Chez les Poissons cartilagineux et les Poissons osseux, les lamelles branchiales sont disposées en une double rangée sur la face externe des arcs branchiaux squelettiques. Chez les premiers, les fentes branchiales s’ouvrent séparément à l’extérieur; chez les Poissons osseux au contraire, la chambre branchiale est recouverte par un repli cutané, soutenu par des plaques osseuses minces, l’opercule, qui s’ouvre de chaque côté par une fente en arrière de la tête (fig. 3 b et c).

Structure des branchies des Téléostéens

Les Téléostéens ont quatre paires de branchies situées sous la région postérieure du crâne et recouvertes par l’opercule. Chaque branchie est formée par l’arc branchial squelettique sur lequel s’insèrent deux rangées de «filaments branchiaux» disposés en V ouvert vers l’extérieur (fig. 3 c). Les filaments d’une rangée alternent avec ceux de l’autre rangée. Les artères branchiales afférentes et efférentes longent l’arc et envoient des rameaux vers les filaments. Ceux-ci portent de fines «lamelles branchiales secondaires» recevant des capillaires et qui sont les véritables structures respiratoires au niveau desquelles se font les échanges gazeux entre le milieu intérieur et l’eau qui baigne les branchies.

Ces lamelles secondaires sont faites d’une couche de cellules épithéliales aplaties reposant sur une membrane basale et délimitant d’étroites cavités sanguines soutenues par des «cellules en pilastre». Le sang circule, dans toutes les lamelles, dans la même direction, de l’extérieur vers l’intérieur du système branchial; l’eau qui les baigne circule en une direction opposée, de l’intérieur vers l’extérieur. Il y a là un dispositif à «contre-courant» qui assure le meilleur rendement des échanges gazeux.

Mécaniques respiratoires

Les mouvements qui assurent la circulation de l’eau autour des branchies sont complexes et diffèrent nettement dans les divers groupes. En général, l’eau pénètre dans la cavité buccale par la bouche et en sort par les fentes branchiales. Pourtant, il n’en est pas ainsi chez les Cyclostomes, sinon chez la larve ammocète de la Lamproie. Chez la Lamproie adulte, qui est le plus souvent fixée par la ventouse buccale soit sur une proie soit sur un caillou, les canaux branchiaux sont traversés par un courant d’eau alternativement inhalant et exhalant. Chez les Myxines, le courant inhalant réalisé par les battements du velum passe par le canal naso-hypophysaire qui s’étend jusqu’au pharynx. Ce mécanisme est impossible lorsque la Myxine se nourrit, la tête enfouie dans sa proie. On pense que la respiration cutanée suffit alors, pour de courtes périodes, aux besoins de l’animal.

Les mécanismes de «ventilation» des branchies sont un peu différents chez les Chondrichthyens (Sélaciens) et chez les Ostéichthyens (Téléostéens). Dans les deux cas cependant, un double pompage est mis en jeu: une pompe foulante puis une pompe aspirante assurent un courant d’eau continu à la surface des branchies.

Chez un Téléostéen, la pompe foulante est réalisée par la cavité buccale, la pompe aspirante par l’opercule (fig. 3 c). La bouche étant ouverte, la cavité buccale se dilate et se remplit par l’abaissement du plancher buccal. Puis la bouche se ferme et le relèvement du plancher buccal chasse l’eau vers les fentes branchiales, tandis que l’ouverture de l’opercule l’aspire dans la chambre operculaire. Des mouvements propres des arcs branchiaux interviennent dans la dilatation et la contraction de la cavité buccale, et le courant d’eau est guidé par des replis valvulaires aux ouvertures buccales et operculaires.

Chez les Sélaciens Pleurotrèmes (tels que les Requins), les mouvements de l’opercule sont, en gros, remplacés par ceux des septums qui prolongent les branchies du côté externe et séparent les fentes branchiales en délimitant une «cavité parabranchiale» fonctionnellement équivalente à la chambre operculaire (fig. 3 b).

Chez les Raies (Sélaciens Hypotrèmes), les ouvertures branchiales externes et la bouche sont situées sur la face ventrale aplatie qui repose sur le fond. Le courant d’eau inhalant passe par le spiracle situé sur la face dorsale, et non par la bouche. L’eau est expulsée du pharynx à travers les branchies.

Les organes de la respiration aérienne

Les Poissons, à quelque groupe qu’ils appartiennent, prélèvent donc l’oxygène dissous dans l’eau. Cependant, quelques Poissons osseux possèdent divers dispositifs anatomiques qui leur permettent de respirer l’air atmosphérique, soit qu’ils puissent provisoirement quitter l’eau et se déplacer à terre, soit que, la teneur en oxygène dissous dans l’eau étant trop faible, ils viennent piper l’air en surface.

Normalement, les branchies ne peuvent être utilisées pour une respiration aérienne, car, hors de l’eau, les lamelles branchiales s’affaissent, les capillaires se mettent en collapsus et ainsi les échanges gazeux ne se font plus. Il semble cependant que, chez quelques espèces qui ont l’habitude de sortir de l’eau (Anguilles, Symbranches, certaines Blennies), du mucus sécrété par l’épithélium branchial forme une émulsion gazeuse qui maintient les lamelles, permettant la respiration branchiale hors de l’eau. Chez l’Anguille, il est vrai, ce mode de respiration n’est utilisable que si la température est assez basse (7 0C), et il s’y ajoute des échanges gazeux à travers la peau, certainement importants.

Les structures adaptatives particulières permettant aux Poissons la respiration aérienne appartiennent à trois types:

– Des modifications de la muqueuse buccale et pharyngienne et de la chambre branchiale forment soit des diverticules creux, soit des arborescences ou des papilles ramifiées. Cette muqueuse est alors pourvue d’une vascularisation importante. Ces organes respiratoires accessoires sont très variés. Le labyrinthe des Anabantidés est un réseau de cavités limitées par une lame fortement contournée, insérée sur l’arc branchial I. Les Ophicéphales ont des diverticules caverneux de la cavité pharyngienne associés à la région otique. Quelques Siluroïdes (Clarias ) montrent des organes arborescents au-dessus et en arrière des branchies. Electrophorus (l’«anguille électrique»), dont l’appareil branchial est réduit, montre sur toute la muqueuse buccale des papilles irrégulières très vascularisées (fig. 4). Chez le Périophtalme, Gobiidé de la mangrove, un des rares Téléostéens marins à respiration accessoire, la cavité buccale comporte des cryptes ramifiées à structure alvéolaire; il semble que ce Poisson conserve dans sa cavité branchiale, lorsqu’il est émergé, de l’eau aérée par de l’air atmosphérique.

– Des modifications de la muqueuse gastrique ou intestinale ont un rôle respiratoire permettant l’utilisation de l’air ingéré, d’une part chez les Cobitidés (les Loches), d’autre part chez quelques Siluroïdes sud-américains (Plecostomus , Challichthys ).

– Le diverticule œsophagien des Poissons osseux était sans doute primitivement un organe respiratoire aérien, un poumon comme il a persisté chez les Dipneustes, ainsi que chez Polypterus . Chez les Actinoptérygiens, il est devenu, lorsqu’il est conservé, un organe à fonction hydrostatique, facilitant la flottaison: c’est alors la vessie gazeuse (Téléostéens). Pourtant, chez les Holostéens (Amia et Lepisosteus ), le diverticule œsophagien, irrigué par une ramification du cinquième arc aortique, présente une structure spongieuse. Il existe même quelques Téléostéens primitifs (Ostéoglossidés, Mormyridés) dont la vessie gazeuse paraît bien être le siège d’échanges respiratoires.

Irrigation des organes respiratoires

L’existence d’un dispositif de respiration aérienne chez un Poisson apporte quelques modifications au plan typique de l’appareil respiratoire. Chez un Poisson banal, le cœur ne reçoit que du sang veineux, qui est envoyé aux branchies pour l’hématose par les arcs aortiques. Lorsqu’il y a un organe respiratoire accessoire, il est branché en dérivation sur l’appareil circulatoire de telle sorte que du sang hématosé fait retour au cœur (ou au système veineux) où il se mélange au sang «veineux». Chez les Dipneustes, un cloisonnement incomplet du cœur assure sans doute une certaine séparation du sang «artériel» venant du poumon et du sang veineux. La figure 5 schématise quelques-uns de ces dispositifs.

Le sang et la respiration

Comme chez tous les Vertébrés, le sang des Poissons contient un pigment rouge, l’hémoglobine, fixé sur des cellules spéciales, les hématies ou érythrocytes. Les propriétés de l’hémoglobine vis-à-vis de l’oxygène se traduisent par une «courbe de dissociation» [cf. SANG] dont les caractéristiques principales sont le «pouvoir oxyphorique», c’est-à-dire la quantité maximale d’oxygène qui peut être fixée, les «tensions de charge» et de décharge qui expriment la capacité de la molécule à fixer l’oxygène ou à le libérer, suivant la tension de l’oxygène. Le gaz carbonique a pour effet de modifier la courbe de dissociation, ou plutôt de la déplacer en diminuant l’affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène et en favorisant par conséquent la libération de l’oxygène: c’est l’effet Bohr. Les propriétés de l’hémoglobine varient d’une espèce à l’autre, et il existe une relation entre ces propriétés et les conditions de vie. Le pouvoir oxyphorique du sang des Mammifères et des Oiseaux est plus élevé que celui des Vertébrés inférieurs poïkilothermes et des Poissons en particulier. Cette caractéristique varie peu chez les Poissons. Par contre, de larges variations concernent les tensions de charge et de décharge, qui sont plus fortes chez des Poissons actifs, comme la Truite ou le Maquereau, que chez des Poissons moins remuants, tels que la Carpe ou l’Anguille.

Les Poissons vivant dans des eaux bien aérées ont une hémoglobine très sensible au C2 (effet Bohr). Au contraire, ceux que l’on trouve dans des zones marécageuses ont un effet Bohr peu important; certains de ces Poissons sont pourvus de dispositifs de respiration accessoire aérienne. Il faut mentionner l’existence de quelques espèces de Téléostéens de l’océan Antarctique (Chaenichthys , Chaenocephalus ), dont le sang est incolore et dépourvu d’hématies; on a observé au niveau des branchies et au niveau de la peau un réseau capillaire particulièrement dense; ces animaux peu actifs vivent dans des eaux très froides, donc riches en oxygène ; l’absence des hématies diminue la viscosité du sang dont la circulation peut ainsi être accélérée.

3. Système nerveux et équipement sensoriel

Centres nerveux

Le système nerveux des Poissons est construit sur le plan commun à tous les Vertébrés. La moelle épinière , à la fois centre des réflexes élémentaires (substance grise centrale entourant le canal épendymaire) et voie de conduction sensorielle et motrice (substance blanche périphérique), est en relation avec la périphérie par les nerfs rachidiens dont chacun est issu de deux racines métamériques, l’une dorsale sensorielle, pourvue d’un ganglion rachidien, l’autre ventrale motrice. Les deux racines s’unissent en un nerf rachidien mixte, sauf chez les Lamproies, parmi les Cyclostomes, où elles demeurent distinctes. L’opposition entre substance blanche et substance grise est très atténuée chez les Cyclostomes, dont les axones n’ont jamais de gaine de myéline.

La moelle épinière conserve un rôle important dans le contrôle de beaucoup des activités, et l’encéphale n’atteint jamais le développement que l’on observe chez les Vertébrés supérieurs. Il n’occupe généralement qu’une faible partie de la cavité cérébrale, un cas extrême sans doute étant celui du Cœlacanthe Latimeria , dont le cerveau représente à peine le centième du volume de la cavité crânienne; chez un mâle de 40 kilogrammes, l’encéphale pèse 3 grammes.

La région antérieure de l’encéphale (télencéphale ) est essentiellement un centre olfactif (fig. 6). Les bulbes olfactifs, très proches de l’épithélium sensoriel des sacs olfactifs, sont réunis au reste du télencéphale par une paire de bandelettes olfactives souvent fort longues, surtout chez les Téléostéens. Le noyau basal (striatum) est un centre de corrélation. L’ablation du télencéphale supprime évidemment le sens olfactif, mais entraîne aussi de fortes perturbations des activités exploratrices. Chez l’Épinoche, le comportement de reproduction est troublé sans que ces modifications paraissent liées à la perte de l’olfaction.

Le télencéphale des Téléostéens et des Actinoptérygiens dans leur ensemble présente une disposition très particulière liée à son mode de développement. Chez les autres Vertébrés, les parties dorsales du tube nerveux embryonnaire représentant le pallium s’enfoncent vers le plan sagittal, tandis que les hémisphères s’évaginent. Chez les Téléostéens, les ébauches palléales se rabattent à l’extérieur pour constituer un télencéphale éversé, par opposition au télencéphale typique inversé des Tétrapodes. Les homologies des différentes parties du télencéphale éversé ne sont pas faciles à établir (fig. 6).

Au niveau du diencéphale , on trouve, dorsalement, le complexe pinéal qui, chez les Lamproies, est formé de deux organes superposés à structure de photorécepteur: l’organe pinéal et l’organe parapinéal. Cette disposition existait sans doute aussi chez les Agnathes fossiles et chez quelques Poissons osseux primitifs, dont le toit crânien comporte un foramen pinéal. L’hypothalamus, partie ventrale du diencéphale, comprend plusieurs noyaux de neurones sécréteurs dont les axones aboutissent à la neurohypophyse où s’accumule le produit de sécrétion. Sélaciens et Téléostéens possèdent un autre organe neurosécréteur situé vers l’extrémité postérieure de la moelle épinière et dénommé hypophyse caudale ou urophyse .

Le mésencéphale est souvent la partie la plus importante de l’encéphale, formant dorsalement une paire de lobes optiques volumineux qui reçoivent la quasi-totalité des fibres optiques issues de la rétine. La structure histologique complexe de cette région, avec plusieurs couches de neurones, suggère un rôle de coordination comparable à celui du cortex cérébral des Mammifères.

Le cervelet (métencéphale ), dont on connaît le rôle dans le contrôle de la posture et de la locomotion, a un développement très inégal. Réduit à une étroite bande transversale chez les Cyclostomes, il est grand chez les Sélaciens, surtout les Requins prédateurs pélagiques. Chez les Téléostéens, le cervelet, toujours important, envoie vers l’avant une lame épaisse, la valvule, qui se glisse sous les lobes optiques. Chez certains Poissons électriques (Mormyridés, Malaptérure), la valvule devient énorme et s’étend au-dessus du cerveau antérieur. Le cervelet est alors la partie la plus volumineuse de l’encéphale, particularité peut-être en rapport avec la réception des impulsions électriques.

Du bulbe rachidien (myélencéphale ) partent les nerf crâniens mixtes dits «branchiaux», ainsi que les nerfs moteurs oculaires IV et VI (le nerf moteur oculaire III a son noyau dans le mésencéphale). Il présente parfois de volumineux lobes sensoriels spécialisés. Ainsi, chez la Carpe et les Cyprinidés, le bulbe comporte dorsalement un gros lobe médian encadré par deux lobes latéraux (fig. 5). La taille de ces formations est en rapport avec le développement de la sensibilité gustative.

Le bulbe des Poissons contient aussi des centres régulateurs de la respiration et de l’osmorégulation.

Dans la paroi latérale du bulbe des Téléostéens, on trouve les péricaryons d’une paire de neurones «géants» remarquables, les cellules de Mauthner. Recevant par de nombreuses synapses des influx sensoriels variés, ces neurones envoient leur unique axone dans la moelle épinière, où il déclenche des réactions motrices.

L’équipement sensoriel

Les organes sensoriels fondamentaux des Vertébrés existent chez les Poissons. La sensibilité chimique (olfaction et goût) est bien développée chez la plupart d’entre eux. L’odorat est localisé aux sacs nasaux situés en avant ou au-dessus de la bouche, ouverts par un étroit orifice. Son importance est variable, mais il joue généralement un rôle important dans divers types de comportement: recherche des aliments, phénomènes de homing chez les migrateurs. Chez quelques Téléostéens, les sacs olfactifs présentent une régression et peuvent disparaître (Tetrodon ).

Les bourgeons gustatifs sont abondants dans la muqueuse buccale et pharyngienne. Ils peuvent se rencontrer autour de la bouche (lèvres, barbillons), sur la tête et, dans certaines espèces de Silures et de Loches, se répandre sur toute la surface du corps. L’intervention du sens gustatif ne se limite pas à la recherche et à l’appréciation des aliments.

Les yeux ont la même organisation que dans les autres groupes. Il faut noter pourtant que le cristallin sphérique est indéformable et que l’accommodation se réalise alors par divers mécanismes qui le déplacent par rapport à la rétine où se forme l’image. La réduction de l’œil jusqu’à la disparition s’est réalisée plus souvent que chez les autres Vertébrés, et l’on a dénombré ainsi une centaine d’espèces de Poissons anophtalmes vivant dans des milieux non éclairés, grands fonds marins et eaux souterraines.

L’appareil stato-acoustique est représenté par l’oreille interne constituée comme chez les Tétrapodes. La partie supérieure – utricule et canaux semi-circulaires (au nombre de trois, sauf chez les Cyclostomes) – est un organe d’équilibration sensible à la position du corps par rapport à la pesanteur, mais aussi aux variations des vitesses de déplacement et aux changements de direction. La posture normale d’un Poisson paraît déterminée à la fois par la pesanteur agissant sur l’oreille (utricule) et par l’éclairement vertical agissant sur le système optique. Une modification expérimentale de la direction de l’éclairement perturbe sans doute un Poisson intact, mais elle se montre surtout efficace sur un Poisson privé de l’otolithe et de l’utricule. En ce cas, la lumière zénithale peut suppléer l’action de la pesanteur et maintenir dans sa position habituelle le Poisson opéré; mais un éclairement horizontal oblige un tel Poisson à nager sur le flanc. C’est la partie ventrale, formée du saccule et de la lagena, qui est la partie auditive, beaucoup moins développée que chez les Vertébrés supérieurs, Mammifères surtout. L’ouïe est souvent faible chez les Poissons. Cependant, chez certains Téléostéens, il existe une connexion entre la vessie gazeuse et l’oreille interne, relation qui favorise la réception des sons dans l’eau. Ces connexions sont variables. Parfois, un simple diverticule antérieur de la vessie gazeuse atteint en se bifurquant les deux capsules otiques (Clupéidés). Ailleurs, une chaîne de petits os issus des premières vertèbres (les osselets de Weber) s’intercale entre l’oreille et la vessie (Cyprinidés, Siluridés). Les performances auditives sont nettement améliorées par ces dispositifs.

L’appareil sensoriel le plus caractéristique des Poissons (bien qu’il se rencontre aussi, plus ou moins dégradé, chez les larves aquatiques des Amphibiens et chez l’adulte pour les espèces de ce groupe qui mènent une vie aquatique permanente) est le système latéral . Les récepteurs du système latéral sont groupés en sorte de bourgeons, les neuromastes, disposés superficiellement dans l’épiderme ou le long de canaux épidermiques enfoncés dans le derme mais communiquant par des pores avec la surface. Un canal du système latéral court sur chaque flanc (ligne latérale) et se prolonge sur la tête suivant un plan bien déterminé (fig. 7). Un neuromaste est fait de quelques cellules ciliées associées à des cellules de soutien et surmontées par une masse cylindrique de substance mucilagineuse, la cupula. La surface apicale de ces cellules recouverte par la cupula comporte un cil à structure typique (kinétocil) et un nombre important de cils immobiles (stéréocils), simples microvillosités cytoplasmiques (fig. 7). La base des cellules sensorielles reçoit une innervation du nerf latéral qui aboutit au rhombencéphale. Les fibres de ce nerf sont le siège d’une «activité spontanée» qui se manifeste par des trains d’ondes de dépolarisation parcourant les axones. Les courants d’eau agissant sur la cupula lui impriment une déformation transmise aux structures ciliaires. Une telle stimulation des cellules des neuromastes a pour effet de modifier le rythme des ondes nerveuses dans le nerf. Un accroissement de la fréquence des «potentiels d’action» est produit par la déformation de la cupule du côté où se trouve le kinétocil: la déformation en direction opposée a un effet inhibiteur et diminue le rythme. La stimulation des neuromastes est donc assurée par les courants d’eau à la surface du corps de l’animal, et le système latéral rend ainsi compte des mouvements de l’eau au voisinage du Poisson et sans doute aussi des vibrations de basses fréquences.

4. Les nageoires et la locomotion

Les nageoires paires (pectorales et pelviennes) présentent dans les différents groupes de Poissons des structures squelettiques très variées, étudiées par ailleurs. Quelques tentatives ont été faites pour rechercher un type primitif de nageoires et pour tracer les lignes évolutives de ces organes [cf. MEMBRES].

Les nageoires impaires ont, elles aussi, une organisation squelettique assez variable. La nageoire caudale, qui joue un rôle fondamental dans la locomotion des Poissons, est associée à la portion terminale postérieure du squelette axial. Chez les représentants les plus primitifs de toutes les sous-classes, la caudale est typiquement dissymétrique par rapport à un plan frontal; on la dit hétérocerque. Les nageoires superficiellement symétriques des Téléostéens (caudale homocerque, bilobée) ou des Dipneustes actuels (caudale diphycerque, unilobée) sont des acquisitions secondaires. Quoi qu’on en pense couramment, les nageoires paires sont rarement utilisées comme moyen de propulsion chez les Poissons. Un Poisson allongé et souple comme une Roussette (Sélacien) ou une Anguille (Téléostéen) se déplace par de larges ondulations latérales de tout le corps, ondulations provoquées par les contractions dissymétriques des muscles métamériques, qui se propagent vers l’arrière, le long du corps (fig. 8).

Chez les Poissons plus typiquement «pisciformes» (Carpe, Truite, Thon...), dont la partie antérieure (tête et tronc) est peu souple, les ondulations affectent surtout la région caudale, mais le mécanisme est le même. Les mouvements latéraux ont pour effet de refouler l’eau obliquement vers l’arrière. La réaction de l’eau soumet le Poisson à une force de direction opposée, c’est-à-dire oblique vers l’avant. Cette force R peut se décomposer en deux forces dont elle est la résultante, deux forces rectangulaires F et L:

– F est dirigée vers l’avant; efficace en raison de la forme hydrodynamique du Poisson, elle tend à le faire avancer;

– L, dirigée latéralement, est freinée par la grande surface latérale; elle tend cependant à dévier l’animal de sa course rectiligne et provoque l’embardée.

Les forces qui agissent sur le centre de gravité d’un Poisson qui nage sont dirigées suivant trois axes: longitudinal, vertical, transversal. Ce sont respectivement: la résistance à l’avancement, la poussée verticale (flottaison positive ou négative suivant que la densité du Poisson est inférieure ou supérieure à 1), la force latérale. La ligne de déplacement rectiligne peut subir des déviations autour de ces trois axes: autour de l’axe longitudinal, la déviation constitue le roulis; autour de l’axe transversal, c’est le tangage; autour de l’axe vertical, l’embardée.

L’action de la nageoire caudale hétérocerque des Sélaciens crée une force ascensionnelle qui peut être compensée par l’angle d’attaque des nageoires pectorales étalées latéralement. Les nageoires paires interviennent rarement dans la locomotion, mais elles assurent le maintien de l’orientation du corps. Chez les Téléostéens, la présence de la vessie gazeuse a pour conséquence que le centre de flottabilité est ventral par rapport au centre de gravité. Ainsi, le Poisson mort se retourne le ventre en l’air. Le Poisson vivant est donc en équilibre instable, et la position est maintenue par des mouvements incessants des nageoires, des pectorales en particulier.

En outre, le courant respiratoire refoulé des branchies pousse le Poisson vers l’avant. Ce sont encore les pectorales qui interviennent pour développer une force contraire. Enfin, les pectorales étalées perpendiculairement à l’axe du corps jouent le rôle essentiel dans le freinage du Poisson. Ce sont elles aussi qui interviennent dans les changements de direction.

Le mode de locomotion aquatique, par ondulations latérales du corps, est donc le plus répandu chez les Poissons. Beaucoup d’espèces cependant nagent par d’autres procédés, en utilisant comme organes de propulsion diverses nageoires soumises à des battements rythmiques et propagés des rayons qui les soutiennent. Les Raies, parmi les Sélaciens, utilisent leurs larges pectorales. Les Syngnathidés nagent, le corps raide, par des battements des pectorales et de la dorsale. Les Labridés en nage lente se servent aussi de leurs pectorales. Les Gymnotidés à queue effilée se déplacent par ondulation de leur longue anale. Gymnarchus a presque la même silhouette, mais c’est la dorsale qui est développée et active. Quelques Téléostéens benthiques utilisent leurs nageoires pectorales plus ou moins modifiées pour «marcher» sur le fond (Trigles, Gobies) et même, hors de l’eau, sur le rivage, comme font les Périophtalmes.

La vitesse de nage des Poissons est variable suivant les espèces. Pour une espèce donnée, la vitesse dépend de la taille et de la fréquence des battements. Il existe des évaluations parfaitement fantaisistes, et les chiffres suivants, relatifs à la vitesse normale de déplacement de quelques espèces, peuvent être admis: Gobie 2 km/h, Cyprin 3, Anguille 5, Hareng 7, Truite 10, Barracuda 34. Mais on a observé des vitesses de pointe plus élevées pour des Poissons de forte taille: Saumon 25 km/h, Thon 80, Espadon (Xiphias ) 100.

Un certain nombre de Téléostéens à grandes nageoires paires sont souvent qualifiés de «Poissons volants». En fait, les capacités de vol véritable ne sont guère développées que chez certains genres de la famille des Exocétidés (Exocetus , Cypsilurus ). Il s’agit d’un vol plané, la propulsion étant assurée par une nage rapide dirigée obliquement vers la surface, les nageoires paires repliées et étroitement appliquées contre les flancs. Lorsque l’exocet crève la surface de l’eau, il étale largement ses pectorales exceptionnellement longues et larges, qui forment une surface portante considérable. Ainsi sont couramment réalisés des bonds de quelques mètres, durant une ou deux secondes. Mais on a observé des vols permettant au Poisson de franchir 300 à 400 mètres. Une nouvelle propulsion peut être donnée par des battements de la caudale entrant en contact avec la surface de l’eau. Il ne faut pas exclure que, pour les vols prolongés, le Poisson bénéficie d’une propulsion aérienne qui reste pourtant à préciser.

5. Les Poissons électriques

Plusieurs espèces de Poissons sont pourvues d’«organes électriques» grâce auxquels ils peuvent envoyer, dans le milieu environnant, des décharges brèves de courants électriques [cf. ÉLECTROPHYSIOLOGIE]. Ces Poissons appartiennent à des groupes systématiques divers; il y a parmi eux des Sélaciens, les Raies et les Torpilles, Poissons marins à large répartition, et des Téléostéens surtout d’eau douce appartenant à plusieurs familles à localisation géographique plus étroite: les Gymnotidés sont des Cyprinoïdes sud-américains, le Malaptérure est un Siluroïde africain, les Mormyridés (Ostéoglossiformes) sont aussi africains. Au total, plus de trois cents espèces connues possèdent des organes électriques.

Anatomie des organes électriques

Les organes électriques, toujours pairs, doivent être considérés comme des muscles profondément modifiés. Leur disposition est très variable, de même que l’origine des muscles dont ils proviennent; ces organes ne sont donc nullement homologues dans les différents groupes de Poissons électriques (cf. ÉLECTROPHYSIOLOGIE, fig. 8).

Chez la Torpille (Torpedo ), des organes électriques dérivent d’une partie de la musculature branchiale et sont ainsi innervés par les nerfs crâniens glossopharyngien (IX) et vague (X), ainsi que par le facial (VII).

Chez les Raies, au contraire, l’organe électrique représente une partie de la musculature caudale.

C’est aussi dans la queue qu’est localisé l’organe électrique d’Electrophorus , à la place de la musculature ventrolatérale, sous la musculature dorsolatérale non modifiée. Les Mormyridés ont, dans la queue, huit cordons grêles parallèles à l’axe du corps.

L’organe électrique du Malaptérure est une espèce de manteau sous-cutané qui recouvre presque tout le corps et la musculature pariétale. D’après son innervation, on pense que cet organe est dérivé d’une paire de myotomes antérieurs.

Chez Astroscopus , le seul Téléostéen marin électrique, les organes électrogènes localisés dans la tête et innervés par les nerfs crâniens IV et III (moteurs oculaires) sont dérivés des muscles du globe oculaire.

Le tissu électrogène

L’élément fondamental du «tissu électrogène» est une structure syncitiale aplatie, l’électroplaque , dérivée de la fibre musculaire. Les électroplaques sont groupées suivant un montage en série pour former des prismes eux-mêmes montés en parallèles (fig. 9). Le nombre d’électroplaques est considérable. Ainsi, chacun des deux organes électriques d’Electrophorus comprend environ 70 prismes de 6 000 à 10 000 électroplaques.

Morphologiquement, les électroplaques appartiennent à trois types. Chez les Torpilles, les deux faces sont lisses. L’électroplaque des Mormyres a une face hérissée de papilles; celle de l’Électrophore est hérissée sur ses deux faces. L’innervation se fait par une des faces où aboutissent les arborisations terminales d’une fibre motrice, comme dans la plaque motrice de la fibre musculaire. Chez les Mormyridés et le Malaptérure, la fibre nerveuse aboutit sur un pédoncule sur l’une des faces de l’électroplaque (fig. 9).

La «force» de la décharge s’exprime par la différence de potentiel que l’on peut mesurer entre les extrémités de l’organe. Ce voltage dépend évidemment des conditions de mesure, mais il est très variable suivant les espèces: Electrophorus , 600 V; Malapterurus , 400 V; Torpedo , 40 V. Il n’est que de quelques volts pour les Raies et pour les Mormyridés. Il en est de même chez les Gymnotidés, sauf Electrophorus , qui d’ailleurs émet deux types de décharges: en dehors des puissantes décharges produites en cas de besoin se reproduisent des décharges permanentes faibles, comparables à celles des autres Gymnotidés.

Darwin avait attiré l’attention sur les organes électriques, dont il ne comprenait pas comment ils avaient été maintenus par la sélection naturelle avant d’avoir atteint une puissance utile. De fait, le rôle des organes électriques puissants s’interprète aisément: ils servent à tuer ou au moins à immobiliser les proies. L’émission de décharges électriques est sans doute aussi, souvent, un moyen de défense plutôt que d’attaque.

Mais beaucoup plus nombreuses sont les espèces de Poissons électriques dont la décharge est inoffensive (1 ou 2 V). C’est le cas des Mormyridés et des Gymnotidés, dont les décharges électriques sont émises de manière continue. Ainsi est créé autour de l’animal un champ électrique, perturbé par certains objets. Le comportement du Gymnarque montre qu’il est sensible à des modifications de son champ électrique, et l’on a pu identifier des organes sensoriels superficiels qui sont responsables de cette sensibilité: ce sont les organes ampullaires ou mormyromastes, longtemps considérés comme appartenant au système latéral (fig. 9). Ils fournissent à ces Poissons qui vivent dans des eaux limoneuses où la visibilité est presque nulle des informations sur le milieu extérieur. L’émission de trains d’ondes électriques sur un rythme propre à chaque espèce permet sans doute aussi la reconnaissance des individus du groupe, émettant des signaux concordants. Ces faits, de connaissance récente, montrent que, au cours de l’évolution, les organes électriques peuvent avoir eu une valeur adaptative avant d’atteindre leur plein développement et une «force» considérable.

6. Le tégument et ses annexes

La peau des Poissons est formée, comme chez tous les Vertébrés, par un épithélium stratifié superficiel, l’épiderme, recouvrant un tissu conjonctif souvent abondamment fibreux, le derme.

L’épiderme comporte plusieurs catégories cellulaires:

– La couche basale est faite de cellules peu différenciées qui se multiplient activement pour renouveler les cellules anciennes éliminées vers la surface. Mais, tandis que, chez les Vertébrés supérieurs, les divisions cellulaires sont localisées à cette couche germinative, chez les Poissons toutes les cellules épidermiques, quelle que soit leur position, peuvent se diviser.

– Dans l’épaisseur de l’épiderme , les cellules les plus nombreuses, au moins chez les Téléostéens, sont les «cellules à filaments». Les filaments en question, de 7 à 8 nm de diamètre, abondants dans le cytoplasme périphérique, participent à la formation des desmosomes qui unissent les cellules voisines. On les a considérés comme faits de kératine. Cependant, la kératinisation de l’épiderme, qui est de règle chez les Tétrapodes et consiste en une dégénérescence complète du contenu cellulaire, accompagnant la formation de la protéine fibreuse qu’est la kératine, est exceptionnelle et très localisée chez les Poissons. Ces cellules à filaments occupent la quasi-totalité de la couche épidermique superficielle; leur surface apicale présente une curieuse différenciation de la membrane plasmique qui forme un dessin compliqué de microcrêtes, mis en évidence par la microscopie électronique à balayage. Entre ces microcrêtes est disposée une cuticule faite d’un feutrage de fins filaments mucopolysaccharidiques.

– Plusieurs types de cellules glandulaires évoluent à partir de cellules germinatives de la couche basale. Toutes libèrent en surface, entre les cellules à filaments, leur produit de sécrétion. Les cellules à mucus , les plus abondantes, lâchent à leur pôle apical un complexe de mucopolysaccharides et de protéine qui se répand sur la cuticule et protège l’organisme contre les pertes ou la pénétration d’eau et de sels minéraux. Les cellules en massue , de grande taille, avec un noyau multilobé, élaborent, chez certaines espèces, un signal chimique d’alerte. Les cellules à chlorures , enfin, abondantes dans l’épithélium branchial, se rencontrent aussi dans l’épiderme des Poissons. Par un transport actif d’ions, elles interviennent dans le maintien de la composition minérale du milieu inférieur [cf. OSMORÉGULATION].

Les glandes pluricellulaires sont exceptionnelles chez les Poissons; ce sont presque toujours des glandes venimeuses associées à des piquants isolés (opercule des Rascasses) ou à des rayons épineux de nageoires (Vives). Chez l’embryon avancé de certaines espèces, des glandes pluricellulaires (glandes de l’éclosion) apparaissent, dont la sécrétion dissout partiellement la coque et la rend plus fragile.

On considère aussi comme des structures glandulaires les organes lumineux ou photophores décrits chez de nombreux Poissons (Sélaciens et Téléostéens). La production de lumière par des êtres vivants (bioluminescence) se manifeste à la fois dans le règne végétal et dans plusieurs embranchements du règne animal [cf. PHOTOGENÈSE (biologie)].

Le derme est riche en fibres conjonctives et élastiques en couches superposées à orientation orthogonale. L’agencement de cette sorte de «contre-plaqué biologique» forme des rubans enroulés en spirales autour du corps: cette disposition facilite les déformations de l’animal.

Les écailles des poissons appartiennent à plusieurs types. Les écailles placoïdes des Sélaciens, très semblables à des dents, par leur structure et leur genèse, font irruption, comme elles, à travers l’épiderme [cf. CHONDRICHTHYENS]. Ches les Poissons osseux, les écailles sont toujours entièrement contenues dans le derme. Les premiers Ostéichthyens (Crossoptérygiens du Dévonien, par exemple) ont des écailles cosmoïdes, épaisses et articulées entre elles, faites de trois couches de tissus durs, minéralisés: la couche profonde ou plaque basale, d’os compact, est surmontée d’une couche osseuse traversée par de larges lacunes et des canaux sanguins; enfin une couche de dentine formée autour de cavités pulpaires est couverte d’une mince lame d’émail, ou d’une substance dure à aspect d’émail [fig. 10 [cf. DENTS]]. Des écailles semblables se trouvent aussi chez les Actinoptérygiens paléozoïques, mais le revêtement d’émail a un aspect particulier de lamelles superposées (ganoïne) [cf. ACTINOPTÉRYGIENS]. Ches les Actinoptérygiens modernes (Téléostéens), les écailles appartiennent au type élasmoïde. Beaucoup moins épaisses que les écailles ganoïdes, elles ne comportent ni dentine ni ganoïne et se recouvrent largement de l’avant vers l’arrière. C’est une très mince assise d’os recouvrant une plaque basale en «contre-plaqué»: strates superposées de fibrilles de collagène, parallèles dans chaque strate, mais dont l’orientation change d’une strate à l’autre, suivant une loi propre à chaque espèce. Ce type de plaque basale en contre-plaqué n’est pas propre aux Téléostéens mais existe dans toutes les lignées de Poissons osseux (Porolépiforme, Ostéolépiformes, Cœlacanthes, Dipneustes, Actinoptérygiens); les écailles ganoïdes ont partout cédé la place aux écailles élasmoïdes. Ces dernières présentent par ailleurs de curieuses anomalies de la minéralisation [cf. TÉLÉOSTÉENS ET HOLOSTÉENS].

7. Les colorations

Les Poissons sont, avec les Oiseaux, les Vertébrés qui présentent les colorations les plus variées. Certains Poissons, d’eau douce ou marins, surtout dans les régions chaudes, présentent des livrées très brillantes et contrastées où l’on trouve des rouges, des jaunes, des bruns, des noirs et même, plus rarement, du bleu et du vert. Ces diverses colorations peuvent difficilement se comprendre sans l’intervention de la sélection naturelle, mais plusieurs explications doivent être envisagées.

Types de colorations

Les colorations dissimulatrices (ou cryptiques) ont pour effet de camoufler l’animal en le faisant passer inaperçu, dans un milieu déterminé, à la fois de ses proies et de prédateurs éventuels. Mais ces colorations cryptiques sont de deux sortes. L’homochromie est un type de camouflage plus ou moins perfectionné; la teinte générale de l’animal ressemble à peu près à celle du fond sur lequel il vit habituellement: teinte bleu gris argenté pour les Poissons nageant en pleine eau (Maquereaux, Mulets, Clupéidés, Gadidés), divers tons de gris chiné pour les Poissons de fonds sableux ou de gravier (Raies, Poissons plats, Baudroies), bruns foncés tachetés pour les animaux de fonds rocheux (Gobiidés, Rascasses), teinte générale verdâtre pour les Poissons fréquentant les herbiers (Labridés); l’homochromie est parfois renforcée par des détails morphologiques, tels que des excroissances cutanées irrégulières qui facilitent la dissimulation parmi les objets de l’entourage. Beaucoup d’animaux, et particulièrement des Poissons, ont une coloration formée de taches très vives, de bandes transversales ou longitudinales dont le nombre, la forme, la position sont généralement des caractères spécifiques et qui constituent un mode de camouflage particulier: les colorations disruptives masquent l’animal dans son milieu habituel en rendant ses formes et son contour imprécis.

Les colorations prémonitrices , au contraire, semblent attirer l’attention sur des animaux qui présentent par ailleurs quelques particularités désagréables pour un prédateur (aiguillon, carapace épaisse, goût rebutant ou toxicité). Ainsi la Vive (Trachinus ), Téléostéen littoral, a des glandes venimeuses associées à des épines de ses nageoires. Mais il porte une sorte d’insigne, sa nageoire dorsale avec une tache noire, bien visible lorsqu’il est enfoui dans le sable et qui attire l’attention sur lui. Mais la Sole commune (Solea solea ) fréquente les mêmes fonds sableux. Totalement inoffensive, elle laisse apparente sa pectorale dressée, porteuse d’une tache noire, qui ressemble à la dorsale du Trachinus . Ainsi, certains animaux présentent une coloration qui les fait ressembler à quelque autre espèce redoutable (mimétisme ).

Les colorations sexuelles se manifestent chez beaucoup de Téléostéens. Elles indiquent parfois un dimorphisme sexuel permanent ou limité à la période de reproduction. Les mâles des Épinoches et des Vairons présentent une «livrée de noce» très colorée que l’on peut provoquer expérimentalement en dehors de la période de reproduction par un traitement par des hormones sexuelles (testostérone).

Les chromatophores

Chez les Poissons, la plupart des colorations sont d’origine pigmentaire, c’est-à-dire produites par des substances colorées distribuées dans le tégument et surtout dans le derme. Ces substances, les pigments, absorbent certaines radiations et réfléchissent les autres. Elles sont localisées dans des cellules spécialisées, réparties surtout dans le derme, les chromatophores.

Les xanthophores et les érythrophores contiennent des pigments jaunes ou rouges (plus rarement verts ou bleus) de nature caroténoïde, d’origine alimentaire. Les mélanophores, cellules pigmentaires brunes ou noires (parfois aussi jaunes), très répandues, contiennent des pigments indoliques produits par l’oxydation de la tyrosine, les mélanines. Les guanophores sont des cellules chargées en cristaux de guanine, base purique provenant du métabolisme des substances azotées. La guanine, blanchâtre et brillante, est abondante dans la peau ventrale de beaucoup de Poissons. Les diverses colorations des Poissons sont généralement réalisées par la juxtaposition et la superposition de ces divers types de chromatophores.

Les colorations structurales qui s’opposent aux colorations pigmentaires sont produites par une dissociation de la lumière incidente et la neutralisation, sans absorption, de certaines radiations. Courant parmi les Oiseaux et les Insectes, ce type de coloration est rare et mal connu chez les Poissons.

L’adaptation chromatique

De nombreux Téléostéens et quelques autres Poissons, comme aussi des Amphibiens, des Reptiles et certains Invertébrés, perfectionnent leur aptitude au camouflage par des possibilités de modifications rapides de leur coloration. Ces phénomènes mettent en jeu des mouvements de «dilatation» et de «contraction» des divers chromatophores, principalement des mélanophores. En réalité, la forme étoilée des chromatophores des Poissons est constante et les modifications apparentes tiennent à la répartition des grains de pigments dans le cytoplasme et non à l’expansion et à la rétraction de sortes de pseudopodes (fig. 12). En conséquence, il est plus correct de parler de «dispersion» et d’«agrégation» du pigment.

Expérimentalement, on crée des conditions un peu artificielles mais faciles à analyser, en étudiant les réactions des cellules pigmentaires, et plus particulièrement des mélanophores, à l’éclairement et à la couleur du fond. La plupart des Poissons présentent le comportement suivant: un Poisson éclairé par-dessus, dans un aquarium à fond blanc, est bientôt en mélanoconstriction et sa peau est claire; le même Poisson, éclairé mais placé sur fond noir, a la peau sombre parce qu’il est en mélanodilatation; à l’obscurité, la teinte est intermédiaire.

Les changements rapides de la coloration, en fonction à la fois de l’intensité de l’éclairement direct et de l’intensité de l’éclairement réfléchi suivant la nature du fond, sont d’une précision remarquable chez certains Poissons et constituent l’adaptation chromatique.

Chez un Epinephelus , on a observé huit types distincts de coloration caractérisés par des bandes horizontales et verticales, des taches qui, suivant les circonstances, sont nettement marquées ou plus ou moins atténuées (fig. 11).

L’adaptation chromatique la plus précise est sans doute réalisée par les Poissons plats (sole, flétan); ils adoptent très rapidement une coloration générale qui imite de manière étonnante le fond sur lequel ils reposent [cf. MIMÉTISME]. Il est clair que, dans un tel phénomène, la rétine est un relais fondamental entre le milieu ambiant et les chromatophores.

Le contrôle des déplacements pigmentaires est assuré par deux systèmes qui, chez les Poissons, peuvent coexister ou agir seuls, suivant les espèces. L’hypophyse (pars intermedia ) élabore une hormone mélanodilatatrice (MDH), tandis que des fibres nerveuses sympathiques ont une action mélanoconstrictrice. Les deux systèmes peuvent coexister ou non (fig. 12).

Le mécanisme de l’adaptation chromatique est sans doute beaucoup plus compliqué; il existe au moins chez quelques Poissons une innervation parasympathique à action mélanodilatatrice (donc obscurcissante) et il est possible qu’une hormone hypophysaire de blanchissement (mélanoconstrictrice), mise en évidence chez des Amphibiens, soit élaborée aussi chez des Poissons.

D’autres substances hormonales ont une action éclaircissante (adrénaline) ou assombrissante (acétylcholine). Chez certains Sélaciens comme chez les Amphibiens et chez l’Anguille, un contrôle hormonal est prépondérant ou exclusif. D’autres Téléostéens paraissent avoir un double contrôle, hormonal et nerveux (Pleuronectidés, Fundulus ), tandis que certains ne sont pourvus que d’un mécanisme nerveux (Cyprinidés).

L’adaptation chromatique, en assurant l’éclaircissement d’un animal placé sur fond clair ou l’assombrissement d’un Poisson sur un fond sombre, a un rôle protecteur bien établi vis-à-vis des prédateurs.

Encyclopédie Universelle. 2012.