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PARACELSE
PARACELSE

Le médecin suisse Paracelse (de son vrai nom, Theophrast Bombast von Hohenheim) joue un rôle considérable dans l’histoire de la médecine, de la philosophie, des religions, entre le Moyen Âge et l’époque moderne. Il incarne les contradictions, les invraisemblances, les intuitions géniales de la Renaissance. S’il ouvre des voies nouvelles à la science, il est également alchimiste et théologien. Penseur qui réfléchit sur son art, il est, selon les mots de Giordano Bruno, «le premier qui ait de nouveau considéré la médecine comme une philosophie». Considérée généralement comme synthèse médicale, l’œuvre paracelsienne mérite tout autant d’être tenue pour une synthèse philosophique.

Le médecin vagabond

Né à Einsiedeln près de Zurich, Paracelse est mort à quarante-huit ans, à Salzbourg, où se trouve son tombeau (dans l’église Saint-Sébastien). Si plusieurs points de détail le concernant sont encore discutés (l’obtention du doctorat à Ferrare, par exemple), si certaines légendes restent encore tenaces (voyages en Orient, séjour en Égypte), sa vie commence à être mieux connue. Vie d’études, d’errance, d’exil, comparable à celle de beaucoup d’hommes du XVIe siècle: Albrecht Dürer, Nicolas Copernic, Giordano Bruno.

Paracelse appartient à une vieille famille noble de Souabe, les Bombast von Hohenheim. Son père, médecin et professeur à l’école des mines de Villach, lui donna le prénom de Theophrast en souvenir du botaniste Théophraste d’Erésos (372?-287 av. J.-C.). C’est par admiration pour le célèbre médecin du siècle d’Auguste, Celse, qu’il s’attribua, selon un usage fréquent de son temps, le surnom de Para-Celse.

Sa vie se divise en trois grandes périodes, la deuxième étant marquée par son professorat à Bâle (1527-1528): enfance et scolarité à Einsiedeln et en Carinthie; premier cycle de voyages et d’études à travers l’Europe et premier établissement à Salzbourg en 1524-1525; de 1525 à 1527, deuxième cycle de voyages en Souabe, en Alsace, à Strasbourg qui l’héberge en 1526.

À Bâle où il est appelé sur l’initiative d’Œcolampade (Johannes Hausschein) et de l’éditeur d’Érasme, Jean Froben, il provoque le scandale: il donne ses cours en allemand, il brûle publiquement les ouvrages de Galien et d’Avicenne.

Sa mort, survenue dans des circonstances obscures, interrompt un troisième cycle de voyages, d’abord en Suisse et en Alsace, en Franconie et en Bavière, en Autriche et au Tyrol, en Bohême et en Saxe.

Le rôle joué par Paracelse dans les mouvements religieux et sociaux qui agitaient l’Allemagne d’alors, bien que mal connu, paraît important. Les contacts qu’il entretint avec les cercles évangéliques et anabaptistes sont bien assurés. Il est difficile de savoir s’il participa aux mouvements paysans.

Une œuvre encyclopédique

Grâce à Karl Sudhoff et à Kurt Goldammer, on dispose au sujet de Paracelse d’un outillage bibliographique relativement précis. La publication des œuvres est loin d’être achevée. Une part manuscrite importante a été identifiée par Sudhoff en 1899, tout récemment par Karl Heinz Weimann.

L’œuvre du médecin suisse est une véritable somme (son édition complète en est déjà au quinzième volume). Dans sa majeure partie, elle n’a pas été publiée du vivant de l’auteur. L’opposition des médecins aux thèses de leur confrère était trop forte. Ce n’est qu’après la paix d’Augsbourg (1555) qu’une véritable école de paracelsistes s’attaqua à la recherche et à la publication des manuscrits. Un médecin établi en Silésie, Johannes Huser, réalisa à Bâle de 1589 à 1591 la première édition complète.

On distinguera dans cette œuvre deux grandes parties: les écrits religieux, les écrits médicaux. Ceux-ci sont tout d’abord des traités pratiques dont les principaux concernent les bases chimiques de la médecine, la syphilis, l’épilepsie, la maladie des mineurs, les maladies de l’imagination, la peste, les cures thermales, la chirurgie, les maladies dues au tartre. Les écrits théoriques se divisent en trois groupes: écrits de justification; écrits sur les fondements philosophiques de la médecine: le Paragranum ; et sur l’étiologie: le Paramirum ; et surtout, la grande Astronomia magna , ou Philosophia sagax , volume de plus de cinq cents pages, où Paracelse essaie d’ordonner en une noble synthèse les thèmes fondamentaux de son système médico-philosophique.

La bibliographie paracelsienne est inépuisable (1 180 titres parus entre 1932 et 1960). Des sociétés et des revues, en particulier les Nova Acta paracelsica , publiés par la Schweizerische Paracelsus-Gesellschaft, dont le siège est à Einsiedeln, se sont donné pour but de tenir le public et le spécialiste au courant des travaux et des découvertes. Paracelse a été peu traduit en français.

Né la même année que Rabelais, médecin lui-même, Paracelse compte avec celui-ci parmi les plus grands écrivains de la première moitié du XVIe siècle. Il écrit une langue tortueuse et lourde, un dialecte alémanique. Mais, incomparable dans l’invective, appréciant aussi bien la parabole savante que l’image vulgaire, il sait ouvrir son style à tous les souffles linguistiques.

Paracelse a été un des auteurs les plus discutés. Charlatan ou érudit profond? La question n’a plus beaucoup de sens. Comme Albert le Grand, comme Jean-Baptiste Van Helmont, il fut les deux à la fois.

Il est aussi faux de refuser à l’ennemi de la doctrine galénique toute originalité que de voir seulement en lui le génie sublime, étranger à son temps, le détruisant, l’écrasant. Son mérite premier consiste à avoir groupé dans une synthèse relativement bien construite les intuitions isolées de son époque, dans les domaines médical et philosophique.

Il est en effet hors de doute que Paracelse fait partie du groupe des humanistes et des linguistes (J. Reuchlin, J. Lefèvre d’Étaples, Agrippa de Nettesheim, Guillaume Postel), qui ont divulgué par toute l’Europe les bienfaits de l’entreprise réalisée par les fondateurs de l’Académie florentine, Marsile Ficin et Pic de la Mirandole: la vulgarisation des trésors du platonisme, du néo-platonisme, de l’hermétisme, de la kabbale.

Mais Paracelse n’eût été qu’un épigone s’il n’avait complété cet emprunt par une connaissance précise de la médecine et de la science de son temps, qui s’ouvraient à des voies nouvelles, et de l’alchimie, pratiquée notamment par l’abbé Johann Tritheim (1462-1516).

Le médecin

Le rôle joué par Paracelse dans l’histoire de la médecine est double: il se présente à la fois comme le père de la médecine hermétique et comme un précurseur.

Paracelse confirme la science de son époque dans des erreurs graves. Il corrobore l’influence attribuée aux planètes sur la naissance, l’évolution et le traitement de la maladie. La théorie des correspondances (signatures, caractères, «teinture») lui permet de décrire les rapports des organes et du monde extérieur (minerais, plantes, animaux). Il donne une place centrale à ce qu’il appelle les maladies invisibles, entendons: les délires de la foi et de l’imagination. Si cette conception fait entrevoir à Paracelse l’influence du psychisme sur le physique, elle justifie les pires abus.

Il serait faux de voir en Paracelse un des fondateurs de la science médicale moderne, au même titre qu’André Vésale (1514-1564) et William Harvey (1578-1657). Certains de ses contemporains ont effectué des découvertes qu’il était traditionnel de lui attribuer, notamment Heinrich Wolff (1520-1581), dans le domaine de la médecine chimique et minérale, Alexander Zeitz (1470?-1545?) dans celui de la critique des onguents et de la saignée, de la diététique et de l’asepsie. Il n’est pas le seul à célébrer l’expérience et la pratique. Il réalise cependant des découvertes et des analyses de détail importantes (en particulier: études de l’acide nitrique, des sels et des sulfates; découverte de produits narcotiques, du rôle des éthers; utilisation des poisons par dosage; description de la maladie des mineurs, de la syphilis; étiologie du goitre; traitement de l’hydropisie par le mercure; rôle de l’estomac et des sucs gastriques). Il a de plus deux mérites principaux: il oriente vers la thérapeutique l’alchimie qui s’épuisait dans une recherche stérile de la transmutation des métaux; en refusant d’attribuer les dérèglements morbides aux altérations des humeurs, en considérant la maladie comme l’affection particulière et locale d’un organe ou d’un ensemble d’organes, il ébranle définitivement l’édifice de Galien.

Le philosophe et le théologien

Paracelse n’est pas un esprit systématique. Sur des points essentiels, il se contredit. Il est plus intuitif que spéculatif. Il n’empêche que, partant d’une réflexion sur le monde et sur la place de l’homme dans le monde, il aborde les grands problèmes de toute philosophie, la nature de l’âme, la création, Dieu, le mal.

Des concepts originaux sous-tendent sa réflexion. Toute force agissante, naturelle et surnaturelle, inférieure et supérieure, est invisible. Dans l’homme, les tempéraments et les impressions (rêves et visions) dépendent d’un corps invisible, le corps sidéral (Astralleib ). Les arcanes qui guérissent la maladie, que l’auteur appelle aussi chaos , sont invisibles. L’archée (Archeus ), qui est l’agent de toute création, est un principe individuel invisible, en relation avec l’âme du monde (Astrum, Gestirn ).

Une harmonie universelle préside au monde. Le principe trinitaire divin correspond aux trois divisions de l’univers – mondes inférieur, astral, divin –, aux trois parties de l’homme – esprit, âme, corps –, aux trois forces constitutives – soufre, mercure, sel. Tout ce qui est divin en Dieu est astral dans le firmament, terrestre sur terre. L’homme, microcosme, est la quintessence , un extrait, un résumé de l’organisme du monde: son corps est composé de soufre, de sel et de mercure, son âme obéit aux astres.

Dans l’homme et dans la nature supérieure, il n’existe point de vie sans corps: la corporéité est universelle; le corps est l’expression de l’esprit. Aussi l’âme, privée par la mort du corps matériel, possède-t-elle un corps astral, l’esprit, un corps spirituel, un corps de feu. Toute existence, en Dieu également, suppose un corps.

Cet univers cohérent est animé par deux grandes forces: l’une, traditionnelle, est la volonté; l’autre est l’imagination, capitale pour Paracelse. C’est cette dernière, en effet, qui permet la naissance du corporel à partir du spirituel, le développement de la semence, du germe contenu en chaque être, dans l’âme aussi bien qu’en Dieu: l’action de l’âme est toujours magique, parce qu’elle est production d’une image. Dieu crée l’univers en l’imaginant.

Touchant la création du monde, Paracelse est fidèle au principe du développement progressif à partir de l’unité indistincte. Entre Dieu et les trois principes, eux-mêmes sources des quatre éléments, il intercale deux puissances intermédiaires. La première porte des noms divers: Mysterium magnum, Limbus, Prima Materia, Aquaster , elle paraît proche du Logos johannique. L’Yliaster est la première matérialisation du Mysterium magnum.

Paracelse refuse la conception du mal comme négation. Sa réponse à une question qui inquiète le médecin est double: le mal est le produit d’un déséquilibre qui apparaît dès que se heurtent deux courants de vie qui, pour s’affirmer, doivent se détruire. D’autre part, la matière est corrompue dans son ensemble par la chute adamique. Elle est Cagastrum. Pour le médecin, cette perversion se manifeste dans le corps par la présence de tartres, résidus, déchets que l’organisme ne peut assimiler et qui l’empoisonnent.

Il convient de distinguer nettement entre la lumière de la nature et celle de la grâce. Paracelse, en théologie, est l’apôtre d’un spiritualisme parfois virulent qui n’atteint jamais cependant le radicalisme de l’aile gauche de la Réforme. Plus originales sont ses conceptions christologiques et mariologiques, conséquences de sa doctrine de la corporéité universelle. Elles se concentrent particulièrement dans la description d’une véritable quatrième hypostase, l’Ève céleste, la Sophia de Jakob Boehme, et dans celle d’un corps spirituel du Christ, que le croyant assimile par l’eucharistie.

L’influence du médecin suisse est si vaste, si diverse, si complexe qu’il est impossible de l’apprécier totalement. Il n’est pas seulement le chef d’une véritable école dont le grand représentant au XVIIe siècle est Jean-Baptiste Van Helmont (1577-1644). Son rôle littéraire apparaît dans toute son importance au moment du romantisme. Sans la synthèse paracelsienne, l’œuvre de Boehme et de Schelling est impensable. En joignant une réflexion sur Paracelse à une réflexion sur la tradition mystique germanique, Valentin Weigel (1533-1588) fonde la théosophie de langue allemande qui fleurit en Allemagne jusqu’au XVIIIe siècle.

Paracelse
(Philippus Aureolus Theophrastus Bombastus von Hohenheim, dit) (v. 1493 - 1541) médecin suisse. Il jeta l'anathème, à Bâle (1526-1528), sur la médecine "nouvelle" de son époque et préconisa les méthodes expérimentales. Ses théories ésotériques reposent sur l'analogie structurelle du monde extérieur et du corps humain, mais il pressentit l'importance de la nutrition et des facteurs psychiques dans le développement des maladies.

Encyclopédie Universelle. 2012.