PAMPHLET
PAMPHLE
Au sens strict, le mot «pamphlet» désigne une brochure brève et incisive, une œuvre d’actualité, de combat et de passion attaquant le plus souvent violemment un personnage connu, un parti ou une institution. Bien que la brièveté (cent pages au maximum, souvent moins, «une feuille ou deux», écrit P.-L. Courier) soit l’une des règles générales du pamphlet, certains textes, par leur nature, leur objectif, leur ton constamment virulent, pourront être considérés avant tout comme des pamphlets: ainsi La Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps (1623) du père Garasse contre les libertins, ou Napoléon le petit (1852) de Victor Hugo. Le mot peut même désigner dans un sens plus large une œuvre littéraire (à quelque genre qu’elle appartienne) polémique ou satirique (ou un film dénonçant un aspect ou une classe d’une société, voire un individu). Mais, à étendre la notion à toutes sortes de productions — pièces de théâtre (depuis Les Nuées d’Aristophane), discours politiques (depuis les Philippiques de Démosthène), grands poèmes (Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, cri de haine et de malédiction contre les catholiques; Les Châtiments de Victor Hugo, animés par une fureur vengeresse) —, on risque de la diluer totalement. C’est en fait en dehors des cadres traditionnels de la littérature qu’il faudra chercher à la préciser. Avant les feuilles de la Révolution, avant les périodiques de Lenoble, les brochures de P.-L. Courier (auteur du Pamphlet des pamphlets : «Qui dit pamphlet dit un écrit tout plein de poison»), les chansons de Béranger, La Lanterne de Rochefort ou le J’accuse de Zola, certaines époques ont connu une incroyable profusion de pamphlets; par exemple la France de 1550 à 1650. On a pu cataloguer près de 7 000 pamphlets parus pendant ces cent années et conservés dans les bibliothèques. En l’absence de journaux, le pamphlet était l’un des moyens les plus aisés, les plus rapides et les moins chers (pour les hommes en place comme pour les opposants) de publier un «advis» ou une opinion. Les brochures polémiques (généralement les in-8o de moins de cinquante pages), imprimées clandestinement, répandues par des colporteurs, souvent rééditées plusieurs fois et en des lieux différents, tiennent une place importante dans la vie politique du pays: les débats entre catholiques et protestants et les guerres de religion sont l’occasion d’une véritable guerre de pamphlets — «placards» sous François Ier, libelles contre les Guise (par exemple l’Epistre envoiee au tygre de France ), pièces en vers de Ronsard (Discours des misères de ce temps ) mais aussi des poètes protestants qui l’attaquent violemment, dénonciation des mœurs d’Henri III et des excès de la Ligue (L’Isle des Hermaphrodites, nouvellement descouverte ; La Satire Ménippée ), etc.; la Fronde voit un déluge de publications d’une violence, d’une audace et souvent d’une grossièreté inouïes (gazettes du Pont-Neuf, mazarinades écrites le plus souvent en vers burlesques qui provoqueront la rédaction, par G. Naudé, du volumineux Mascurat ou Jugement de tout ce qui a esté imprimé contre le cardinal Mazarin ). Ainsi que le montre l’exemple des Discours de Ronsard, certaines œuvres de circonstance connaissent un succès qui peut se prolonger bien au-delà de l’époque qui les a vu naître: ainsi, dès l’Antiquité, l’Apocoloquintose de Sénèque, œuvre bouffonne en prose mêlée de vers, qui célèbre la métamorphose de l’empereur Claude (qui venait de mourir) en citrouille; ainsi plus près de nous les Provinciales de Pascal, série de dix-huit lettres qui paraissent sans autorisation et dont l’auteur (qui se cache sous l’anonymat, puis sous un pseudonyme) est vainement recherché par la police, ou les «libelles», «fusées volantes», «rogatons», «petits pâtés» que Voltaire lance clandestinement depuis Ferney et dont la forme varie à l’infini (pamphlets antireligieux: Le Jésuite Berthier , Saint-Cucufin ; Dialogues philosophiques , etc.). Mais, avant d’appartenir à la «littérature», ces œuvres qui veulent abattre un adversaire, défendre une cause, entraîner un public relèvent d’abord d’une sorte de presse «parallèle» (apparue avant même la naissance, au XVIIe siècle, de la presse proprement dite) dont la tradition vigoureuse s’est maintenue jusqu’à nos jours.
pamphlet [ pɑ̃flɛ ] n. m.
• XVIIIe; « brochure » 1653; mot angl.; altér. de Pamphilet, n. d'une comédie en vers latins du XII e s.
♦ Court écrit satirique, qui attaque avec violence le gouvernement, les institutions, la religion, un personnage connu. ⇒ diatribe, factum, libelle, satire. Écrire un pamphlet contre qqn. Lancer un pamphlet. Les pamphlets de Voltaire, de Paul-Louis Courier.
● pamphlet nom masculin (anglais pamphlet, contraction du nom propre Pamphilet) Petit écrit en prose au ton polémique, violent et agressif ; libelle. ● pamphlet (synonymes) nom masculin (anglais pamphlet, contraction du nom propre Pamphilet) Petit écrit en prose au ton polémique, violent et agressif ;...
Synonymes :
- diatribe
- factum
- libelle
- placard
pamphlet
n. m. Petite brochure satirique.
⇒PAMPHLET, subst. masc.
A. —Vieilli. Brochure, écrit de quelques pages le plus souvent, ne présentant aucun ton agressif. Un pamphlet (...) c'est (...) un écrit de peu de pages comme le vôtre, d'une feuille ou deux seulement (COURIER, Pamphlets pol., Pamphlet des pamphlets, 1824, p.210). Maisonnette (...) fit un pamphlet en faveur des Bourbons (STENDHAL, Souv. égotisme, 1832, p.111).
B. —Court écrit satirique, souvent politique, d'un ton violent, qui défend une cause, se moque, critique ou calomnie quelqu'un ou quelque chose. Synon. diatribe, factum, libelle, satire. Pamphlet incendiaire, piquant, virulent; pamphlets électoraux; stupide pamphlet; écrire un pamphlet contre qqn; lancer un pamphlet contre les jansénistes, Mazarin, Molière, l'Académie, un gouvernement. Un nommé Bowring prend la liberté de m'adresser un petit pamphlet où, d'un bout à l'autre, il me présente comme une espèce de monstre, moitié âne et moitié tigre (LAMENNAIS, Lettres Cottu, 1820, p.97). Je lisais un assez vif pamphlet de physicien contre Einstein. Il y était dit que ses célèbres doctrines de la relativité sont absurdes (ALAIN, Propos, 1923, p.471):
• 1. L'arrêt de la Cour de Cassation marque un tournant décisif dans l'affaire Dreyfus. Quand l'immortel pamphlet de Zola eut mis la justice en chemin, ce fut pendant une année un des plus furieux combats de l'histoire.
CLEMENCEAU, Vers réparation, 1899, p.549.
— P.ext. Toute oeuvre satirique ou polémique, donnée sous des formes variées, telles que le conte, la chanson, l'ode, etc. Synon. satire. Pamphlet littéraire, philosophique. Il y aurait bientôt trente ans déjà que, dans le plus gai des pamphlets, Montesquieu avait introduit ces graves paroles: «S'il y a un Dieu, mon cher Rhédi, il faut nécessairement qu'il soit juste (...)» (GUÉHENNO, Jean-Jacques, 1948, p.224):
• 2. L'Essai sur les moeurs et l'Esprit des Nations, mesquine parodie de l'immortel discours de Bossuet, n'est qu'une esquisse assez élégante, mais terne, et riche et mensongère. C'est moins une histoire qu'un pamphlet en grand, un artificieux plaidoyer contre le christianisme...
CHÊNEDOLLÉ, Journal, 1822, p.114.
♦En appos. Livre pamphlet, film pamphlet. Dans le même sens, je pensais ce matin que le vrai roman, c'est le roman pamphlet, et pamphlet dans le sens philosophique, ou sentimental, ou social (LÉAUTAUD, Journal littér., 3, 1913, p.93).
Prononc. et Orth.:[]. Ac. 1762: pamflet; dep.1798: -phlet. Étymol. et Hist. [1653 citat. du terme angl. au sens de «écrit de peu de valeur» (LA BOULLAYE-LE-GOUZ, Voyages et Obs., p.427 et note ds HÖFLER Anglic.); 1698 id. pamflets défini «papiers imprimez, où chacun prend la liberté de dire beaucoup de choses sur les Affaires de l'État» (Mém. et Obs. faites par un voyageur en Angleterre, 280 et note, ibid.)] 1705 en France, s'agissant d'un ouvrage écrit en angl. (P.BAYLE, Lettre à des Maizeaux, Lettres choisies..., 1714, 897, ibid.); 1762 en France «libelle, écrit satirique et polémique» (BACHAUMONT, Mém., t.1, p.48, 19 févr.). Empr. à l'angl. pamphlet «brochure, opuscule» att. dep. le XIVes. (1344 lat. médiév. d'Angleterre panfletus, 1387-8 m. angl. pamflet ds NED) désignant parfois plus partic. une brochure sur un sujet d'actualité, éventuellement de politique ou propre à la controverse, empr. à l'a. fr. Pamphilet (ca 1245 HENRI D'ANDELI, Bataille des VII Arts, éd. A. Héron, p.55: La fu li sage Chatonez, Avionès et Panfilès) dimin. de Pamphile désignant le poème lat. (ou l'aut. à qui il était attribué) Pamphilus seu de amore et comparable aux dimin. Isopet (ou Esopet, de Esope), Catonet (de Caton), Avionet (de Avianus), cf. Pamphile et Galatée, éd. J. de Morawski, Introd., p.14 et sqq. Fréq. abs. littér.:386. Fréq. rel. littér.:XIXes.: a) 1071, b) 357; XXes.: a) 318, b) 344. Bbg. BONN. 1920, p.101. —BOULAN 1934, p.115. —GOHIN 1903, p.298. —MIGL. Nome propr. 1968 [1927], p.159, 325.
pamphlet [pɑ̃flɛ] n. m.
ÉTYM. Fin XVIIe; 1653, en angl.; altér. de Pamphilet, nom d'une comédie en vers latins du XIIe siècle.
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1 Vx. ⇒ Brochure.
2 (XVIIIe). Petit livre, court écrit de caractère satirique, qui attaque avec violence le pouvoir établi, l'opinion prévalente. || Pamphlets contre le gouvernement, les institutions, la religion, un personnage connu… ⇒ Diatribe, factum (cit. 5), libelle, placard, satire (→ Épigramme, cit. 9), tract. || Pamphlets publiés contre Mazarin. ⇒ Mazarinade. || Lancer un pamphlet (→ Brûlot, cit. 2). || Faire saisir un pamphlet. || Pamphlets remplis d'invectives, d'injures, qui déchirent (cit. 30), diffament, flagellent (cit. 2) qqn. || Les pamphlets de Voltaire. || « La Lanterne », pamphlet d'Henri Rochefort (→ Mécontentement, cit. 6). — Le Pamphlet des pamphlets, de Paul-Louis Courier (→ aussi Nouveauté, cit. 18).
1 Alors, je lui demandai ce que c'était qu'un pamphlet (…) C'est, répondit-il, un écrit de peu de pages comme le vôtre, d'une feuille ou deux seulement. De trois feuilles, repris-je, serait-ce encore un pamphlet ? Peut-être, me dit-il, dans l'acception commune; mais proprement parlant, le pamphlet n'a qu'une feuille seule; deux ou plus en font une brochure. Et dix feuilles ? quinze feuilles ? vingt feuilles ? Font un volume, dit-il, un ouvrage … le pamphlet ne saurait être bon. Qui dit pamphlet, dit un écrit tout plein de poison.
P.-L. Courier, Pamphlet des pamphlets, p. 100 et 101.
2 De tous temps les pamphlets ont changé la face du monde.
P.-L. Courier, Pamphlet des pamphlets, p. 103.
3 Il (Chateaubriand) y entra (dans la vie politique), il s'y précipita la torche et le glaive à la main par le pamphlet De Buonaparte et des Bourbons. Il ne continua point toutefois sur ce ton de frénésie vengeresse (…)
Sainte-Beuve, Chateaubriand…, t. II, p. 89.
4 Il décida de publier, à ses frais, un pamphlet périodique dont il serait l'unique rédacteur, qu'il remplirait de toutes les indignations de sa pensée et qu'il lancerait chaque semaine sur Paris, comme un tison.
Léon Bloy, le Désespéré, p. 236.
5 Que le journalisme politique soit ainsi un métier faux, cela apparaît avec évidence par son arme préférée, qui est le pamphlet, c'est-à-dire un montage de formules dites percutantes ou acérées sur lesquelles la vérité ne peut jamais être posée que de travers puisqu'on y sacrifie la rondeur, la globalité du sens à la partialité des aphorismes, au tranchant des boutades, au piquant des mots.
Raymond Abellio, les Militants, p. 86.
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DÉR. Pamphlétaire.
Encyclopédie Universelle. 2012.